Cour constitutionnelle
Arrêt n° 80/2024
du 10 juillet 2024
Numéro du rôle : 7995
En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 31, alinéa 2, 4°, 32, alinéa 2, 2°, et 34, § 1er, 1°, 1°bis et 2°, b), du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour d’appel de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 21 avril 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mai 2023, la Cour d’appel de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes :
« Les articles 32, alinéa 2, 2° et 31 alinéa 2, 4° du Code des impôts sur les revenus 1992
violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils imposent les indemnités, constituées au moyen de primes visées à l’article 52, 3°, b, 4e tiret, perçues dans le cadre d’un contrat d’assurance collectif ou individuel conclu par l’employeur de la victime ou la société dont la victime est dirigeant d’entreprise, suite à une incapacité temporaire, sans qu’il y ait de perte effective de revenus professionnels dans le chef de la victime et sans que celle-ci n’ait jamais déduit les primes d’assurances y relatives à titre de charges professionnelles, alors que les mêmes indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance individuel contre les accidents corporels sans qu’il y ait non plus de perte de revenus pour la victime, ne sont pas soumises à l’impôt conformément à l’article 38, 8° du Code des impôts sur les revenus et alors que les mêmes indemnités versées à la suite d’une action du droit commun de la responsabilité civile ne sont pas taxables en l’absence de perte de rémunération ?
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L’article 34, § 1er, 1° et 1°bis du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il soumet à l’impôt sur les revenus des indemnités perçues dans le cadre d’un contrat d’assurance collectif ou individuel conclu par l’employeur de la victime ou la société dont la victime est dirigeant d’entreprise, suite à une incapacité permanente, sans qu’il n’y ait de perte effective de revenus professionnels dans le chef de la victime et sans que celle-ci n’ait jamais déduit les primes d’assurances y relatives à titre de charges professionnelles, alors que les mêmes indemnités versées en application de la législation sur les accidents du travail conformément à l’article 39, § 1, du Code des impôts sur les revenus 1992 ou en application du droit commun, en réparation d’une incapacité permanente, en l’absence de perte de revenus professionnels, ne sont pas soumises à l’impôt ?
L’article 34, § 1, 2°, b) du CIR 92 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables des indemnités versées par une compagnie d’assurances suite à une incapacité permanente, sans qu’il y ait de perte de revenus professionnels dans le chef du bénéficiaire qui n’a pas pu déduire les primes à titre de charges professionnelles, alors que les mêmes indemnités, en l’absence de perte de revenus professionnels, ne seraient pas taxables si elles étaient versées dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’assurance individuel contre les accidents corporels ou à la suite d’une action de droit commun ou dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’assurance invalidité/incapacité, de type revenu garanti financé par des cotisations personnelles de la victime qui n’ont pas été déduites au titre de charges professionnelles ? ».
Aucun mémoire recevable n’a été introduit.
Par ordonnance du 24 avril 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, que les débats étaient clos et l’affaire mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Une SPRL souscrit, au profit de son gérant, une police d’assurance de type « revenu garanti ». Cette SPRL
paie les primes de la police d’assurance, qu’elle déduit ensuite à titre de frais professionnels. Le 26 novembre 2008, le gérant bénéficiaire de l’assurance procède à une déclaration de sinistre, à laquelle la compagnie d’assurances donne suite en lui versant des indemnités.
La Cour d’appel de Liège est saisie d’un litige qui oppose l’État belge et le gérant de la SPRL bénéficiaire des indemnités, à propos de la soumission à l’impôt sur les revenus des indemnités relevant des exercices d’imposition 2012 et 2015.
Par un arrêt du 10 janvier 2022, la Cour d’appel a fixé la date de la consolidation de l’incapacité au 1er mai 2013. Il en résulte que le bénéficiaire des indemnités était en incapacité temporaire en 2011 (exercice d’imposition 2012) et en incapacité permanente en 2014 (exercice d’imposition 2015). La Cour d’appel relève
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qu’il n’a pas subi de perte de rémunération au cours de ces deux années, de sorte que les indemnités obtenues ne l’ont pas été en réparation d’une perte de rémunération.
La Cour d’appel de Liège s’interroge sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des dispositions du Code des impôts sur les revenus qui rendent imposables les indemnités versées par la compagnie d’assurances en cas d’incapacité temporaire et en cas d’incapacité permanente dans le cadre de la police d’assurance « revenu garanti ». Elle fait droit à la demande de l’intimé de poser à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles reproduites plus haut, après les avoir légèrement modifiées.
III. En droit
-A-
Aucun mémoire n’a été valablement introduit.
-B-
Quant aux dispositions en cause
B.1.1. La première question préjudicielle porte sur les articles 32, alinéa 2, 2°, et 31, alinéa 2, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).
Tel qu’il était applicable lors de l’exercice d’imposition 2012, l’article 32 du CIR 1992
disposait :
« Les rémunérations des dirigeants d’entreprise sont toutes les rétributions allouées ou attribuées à une personne physique :
1° qui exerce un mandat d’administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues;
2° qui exerce au sein de la société une fonction dirigeante ou une activité dirigeante de gestion journalière, d’ordre commercial, financier ou technique, en dehors d’un contrat de travail.
Elles comprennent notamment :
[...]
2° les avantages, indemnités et rémunérations d’une nature analogue à celles qui sont visées à l’article 31, alinéa 2, 2° à 5°;
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[...] ».
Tel qu’il était applicable lors du même exercice d’imposition, l’article 31, alinéas 1er et 2, du CIR 1992 disposait :
« Les rémunérations des travailleurs sont toutes rétributions qui constituent, pour le travailleur, le produit du travail au service d’un employeur.
Elles comprennent notamment :
[...]
4° les indemnités obtenues en réparation totale ou partielle d’une perte temporaire de rémunérations, en ce compris les indemnités attribuées en exécution d’un engagement de solidarité visé aux articles 10 et 11 de la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale, et les indemnités constituées au moyen des cotisations et primes visées à l’article 52, 3°, b, 4e tiret;
[...] ».
B.1.2. En vertu de l’article 52, 3°, b), quatrième tiret, du CIR 1992, constituent des frais professionnels les cotisations patronales versées en exécution :
« d’un engagement collectif ou individuel qui doit être considéré comme un complément aux indemnités légales en cas de décès ou d’incapacité de travail par suite d’un accident du travail ou d’un accident ou bien d’une maladie professionnelle ou d’une maladie; ».
B.2.1. La deuxième question préjudicielle porte sur l’article 34, § 1er, 1° et 1°bis, du CIR 1992. La troisième question préjudicielle porte sur l’article 34, § 1er, 2°, b), du CIR 1992.
Tel qu’il était applicable lors de l’exercice d’imposition 2015, l’article 34, § 1er, du CIR 1992 disposait :
« Les pensions, rentes et allocations en tenant lieu comprennent, quels qu’en soient le débiteur, le bénéficiaire, la qualification et les modalités de détermination et d’octroi :
1° les pensions et les rentes viagères ou temporaires, ainsi que les allocations en tenant lieu, qui se rattachent directement ou indirectement à une activité professionnelle;
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1°bis les pensions et les rentes viagères ou temporaires, ainsi que les allocations en tenant lieu, qui constituent la réparation totale ou partielle d’une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits;
2° les capitaux, valeurs de rachat de contrats d’assurance-vie, pensions, pensions complémentaires et rentes, constitués en tout ou en partie au moyen de :
[...]
b) cotisations et primes en vue de la constitution d’une pension complémentaire visée dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale, en ce compris les pensions complémentaires attribuées en exécution d’un engagement de solidarité visé aux articles 10 et 11 de la loi précitée et les pensions constituées au moyen de cotisations et primes visées à l’article 38, § 1er, alinéa 1er, 18° et 19°;
[...] ».
B.2.2. En vertu de l’article 38, § 1er, alinéa 1er, 19°, du CIR 1992 sont exonérés à l’égard des dirigeants d’entreprise :
« les avantages résultant, pour les dirigeants d’entreprise qui recueillent des rémunérations visées à l’article 30, 2°, du paiement incombant à l’entreprise ou à la personne morale visée à l’article 220 ou 227, 3°, de cotisations et primes visées à l’article 52, 3°, b, qui se rapportent à des rémunérations qui sont allouées ou attribuées régulièrement et au moins une fois par mois avant la fin de la période imposable au cours de laquelle l’activité rémunérée y donnant droit a été exercée et à condition que ces rémunérations soient imputées sur les résultats de cette période ».
Quant aux questions préjudicielles
B.3.1. Les trois questions préjudicielles concernent la soumission à l’impôt sur les revenus d’indemnités versées par une compagnie d’assurances en exécution d’un contrat d’assurance conclu par une entreprise au profit de son dirigeant en compensation d’une incapacité temporaire (première question) ou permanente (deuxième et troisième questions) due à une maladie. Les primes relatives au contrat d’assurance ont été payées et déduites à titre de frais professionnels par la société dont le bénéficiaire est le dirigeant.
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La juridiction a quo a constaté, en l’espèce, que le dirigeant en cause n’a pas subi de perte de revenus en raison de la maladie qui l’affecte, et elle en a déduit que les indemnités concernées n’ont pas été obtenues en réparation totale ou partielle d’une perte de rémunération.
B.3.2. En application des dispositions en cause, les indemnités prévues par un contrat d’assurance de type « revenu garanti » conclu par une entreprise au profit de son dirigeant qui sont attribuées lors de la réalisation du risque, c’est-à-dire lorsque survient une incapacité de travail temporaire ou permanente due à une maladie, sont soumises à l’impôt, même lorsque le bénéficiaire n’a pas subi de perte de revenu à cause de cette incapacité.
B.3.3. Les indemnités versées au dirigeant en raison de l’incapacité temporaire sont en effet constituées au moyen des cotisations et primes acquittées par l’entreprise et considérées, à l’égard de cette dernière, comme des frais professionnels (articles 31, alinéas 1er et 2, 4°, et 52, 3°, b), quatrième tiret, du CIR 1992). D’après la juridiction a quo, les indemnités versées au dirigeant en raison de l’incapacité permanente sont soit considérées comme se rattachant directement ou indirectement à l’activité professionnelle (article 34, § 1er, 1°, du CIR 1992), soit visées sous la catégorie des indemnités constituées au moyen de cotisations et primes acquittées par l’entreprise et considérées, à l’égard de cette dernière, comme des frais professionnels (articles 34, § 1er, 2°, 38, § 1er, alinéa 1er, 19°, et 52, 3°, b), quatrième tiret, du CIR 1992).
B.4.1. Bien que les dispositions concernant la soumission à l’impôt, d’une part, de l’indemnité compensant une incapacité temporaire et, d’autre part, de l’indemnité compensant une incapacité permanente ne soient pas les mêmes, la circonstance que l’indemnité compense une incapacité temporaire ou une incapacité permanente n’a pas d’incidence sur l’examen des différences de traitement soumises à la Cour. Il en va de même en ce qui concerne les deux dispositions législatives qui, d’après la juridiction a quo, pourraient fonder l’imposition des indemnités versées en raison de l’incapacité permanente. La Cour examine donc les trois questions conjointement.
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B.4.2. La Cour est invitée à comparer les indemnités versées dans les situations visées dans les questions préjudicielles avec les indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance individuel contre les accidents corporels (première et troisième questions), avec les indemnités versées par le responsable d’un accident de droit commun (première, deuxième et troisième questions), avec les indemnités versées en application de la législation sur les accidents du travail (deuxième question) et avec les indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance de type revenu garanti financé par des cotisations individuelles que le bénéficiaire n’a pas déduites au titre de charges professionnelles (troisième question).
B.5.1. Les allocations obtenues en exécution d’un contrat d’assurance individuel contre les accidents corporels sont exonérées en vertu de l’article 38, § 1er, alinéa 1er, 8°, du CIR 1992. En vertu de l’article 39, § 1er, du CIR 1992, les pensions, rentes ou allocations visées à l’article 34, § 1er, 1°, attribuées en application de la législation sur les accidents du travail ou de la législation sur les maladies professionnelles sont exonérées dans la mesure où elles ne constituent pas la réparation d’une perte permanente de bénéfices, de rémunérations ou de profits. Les indemnités versées par le responsable d’un accident de droit commun ne sont pas considérées comme des revenus imposables.
Enfin, la juridiction a quo déduit de l’arrêt de la Cour n° 102/2005 du 1er juin 2005
(ECLI:BE:GHCC:2005:ARR.102) que, lorsque le bénéficiaire a contracté lui-même une assurance de type « revenu garanti » et qu’il n’a pas déduit les primes qu’il a payées, l’indemnité qui lui est versée lors de la réalisation du risque n’est pas non plus imposable. Par cet arrêt, ainsi que par l’arrêt n° 73/2007 du 10 mai 2007 (ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.073), la Cour a en effet jugé que la circonstance que la prime annuelle d’assurance a été déduite ou non par le bénéficiaire de l’indemnité à titre de charge professionnelle pouvait justifier une différence de traitement en ce qui concerne l’imposition des indemnités versées en cas de réalisation du risque.
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B.5.2. Les dispositions en cause font donc naître plusieurs différences de traitement entre les contribuables qui sont bénéficiaires d’indemnités obtenues lorsque survient une incapacité qui est due à un accident ou à une maladie et qui n’a pas occasionné de perte de revenus.
B.6. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.1. Par l’arrêt n° 120/2001 du 10 octobre 2001 (ECLI:BE:GHCC:2001:ARR.120), la Cour a dit pour droit :
« L’article 32bis du Code des impôts sur les revenus 1964, actuellement l’article 34, § 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, avant sa modification par la loi du 19 juillet 2000, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables les indemnités versées par une compagnie d’assurances en réparation d’une invalidité physiologique et/ou économique, sans qu’il y ait perte de revenus dans le chef de la victime, et alors que les primes liées au contrat d’assurance n’ont pas été déduites par le bénéficiaire de l’indemnité au titre de charges professionnelles ».
B.7.2. Par l’arrêt n° 55/2003 du 30 avril 2003 (ECLI:BE:GHCC:2003:ARR.055), la Cour a dit pour droit :
« En ce qu’il rend imposables les montants versés, en indemnisation d’une invalidité physiologique et/ou économique causée par un accident, en exécution d’un contrat d’assurance collectif conclu par l’employeur de la victime, sans que celle-ci ait subi une perte de revenus, l’article 34, § 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole les articles 10 et 11 de la Constitution ».
L’inconstitutionnalité constatée dans cet arrêt portait sur la circonstance qu’une indemnité versée en exécution d’un contrat d’assurance collectif « revenu garanti », en réparation d’une invalidité physiologique ou économique et sans perte de revenus, était imposable. Il s’agissait
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d’une assurance souscrite et payée par l’employeur du bénéficiaire, lequel n’avait donc pas la possibilité de déduire les primes à titre de frais professionnels.
B.7.3. Par l’arrêt n° 146/2008 du 30 octobre 2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.146), la Cour a dit pour droit :
« L’article 31, alinéa 2, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa rédaction applicable à l’exercice d’imposition 1998, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables les montants versés, en indemnisation d’une invalidité physiologique et/ou économique causée par un accident, en exécution d’un contrat d’assurance collectif conclu par l’employeur de la victime, sans que celle-ci ait subi une perte de revenus ».
B.8. La Cour a encore jugé, en des termes pratiquement identiques, par les arrêts nos 55/2003 et 146/2008 précités :
« Lorsque le contrat d’assurance a été conclu par l’employeur du bénéficiaire, ce dernier, n’ayant pas acquitté les primes, ne peut les déduire en charge professionnelle. Le fait que l’employeur aurait pu, éventuellement, effectuer la déduction des primes est étranger au bénéficiaire de l’indemnité.
La circonstance que les primes aient été, le cas échéant, déduites ne saurait avoir d’influence sur le fait générateur de l’impôt, tel qu’il se déduit de , du CIR 1992, interprété à la lumière de la volonté du législateur, exprimée dans les travaux préparatoires de la loi du 5 janvier 1976, et qui était de fonder la taxation sur la perte de revenus professionnels et la compensation de cette perte par l’indemnité versée. Le critère de distinction ne saurait dès lors être considéré comme pertinent au regard de l’objet de la disposition ».
B.9. Les arrêts nos 55/2003 et 146/2008 portaient sur des exercices d’imposition antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 28 avril 2003 « relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale » (ci-après : la loi du 28 avril 2003), dont les articles 74, 75, 1°, et 76, 1°, ont respectivement modifié les articles 31, alinéa 2, 4°, 34, § 1er, 2°, b), et 38, § 1er, alinéa 1er, 19°, du CIR 1992.
Les questions préjudicielles présentement examinées concernent des exercices d’imposition postérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi.
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B.10.1. Il ressort de la justification des amendements du Gouvernement qui ont conduit à l’insertion des dispositions précitées dans le CIR 1992 par la loi du 28 avril 2003 que le législateur a entendu adopter le principe selon lequel, « pour certains engagements, il ne peut y avoir imposition que, soit à l’entrée (rejet de la déduction des cotisations ou primes payées et par conséquent exonération des prestations), soit à la sortie (déduction des cotisations ou primes payées et par conséquent imposition des prestations) » (Doc. parl., Chambre, 2002-2003, DOC 50-1340/007, p. 9), de sorte « qu’il est sans importance que les indemnités visées ci-avant couvrent ou non une perte réelle de revenus » (ibid., p. 10).
B.10.2. Dans l’avis qu’elle a rendu au sujet de ces amendements, la section de législation du Conseil d’État a observé que les dispositions en projet maintenaient une discrimination que la Cour avait jugée contraire au principe d’égalité, notamment par l’arrêt n° 120/2001 précité (ibid., p. 157). Le législateur a indiqué, en réponse à cette observation :
« Le Conseil d’État fait remarquer que le texte proposé ne satisfait pas à l’arrêt n° 120/2001
du 10 octobre 2001 de la Cour d’arbitrage.
L’arrêt précité stipule que la taxation des indemnités qui se rattachent directement ou indirectement à l’exercice de l’activité professionnelle et qui sont octroyées par une entreprise d’assurances en réparation d’une invalidité physiologique et/ou économique sans qu’il n’y ait perte de revenus pour la victime et sans que le bénéficiaire de l’indemnité n’ait déduit les primes liées au contrat à titre de frais professionnels, est en contradiction avec les dispositions des articles 10 et 11 de la Constitution.
Cette problématique concerne entre autres les articles 31, 34 et 39, CIR 92 et exige en particulier la refonte complète de l’article 34, CIR 92.
Les adaptations qui doivent être effectuées pour mettre les dispositions visées en conformité avec l’arrêt précité sont trop confuses que pour les insérer dans le cadre de la loi PC.
Toutefois, le Gouvernement s’engage à régler cette problématique par une initiative législative particulière.
Provisoirement, on ne s’est pas conformé à l’avis du Conseil d’État » (ibid., p. 12).
B.11. Le principe d’égalité et de non-discrimination ne s’oppose pas à ce que le législateur revienne sur ses objectifs initiaux pour en poursuivre d’autres. Le législateur dispose, qui plus est, d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’impôts.
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Il ressort de ce qui précède que le législateur a fait un choix différent en 2003, de sorte qu’il n’importe plus, comme ce fut le cas pour l’option politique précédente, de savoir si les indemnités concernées compensent une perte de revenus ou non. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier le caractère opportun ou souhaitable de ce choix.
Au regard de cet objectif, il est pertinent que le législateur prenne également en considération les indemnités qui ne compensent pas une perte de revenus pour le bénéficiaire.
Il n’apparaît pas que cette mesure produise des effets disproportionnés.
B.12. L’article 31, alinéa 2, 4°, du CIR 1992, tel qu’il était applicable à l’exercice d’imposition 2012, et l’article 34, § 1er, 1° et 2°, b), tel qu’il était applicable à l’exercice d’imposition 2015, sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils rendent imposables les indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance de type « revenu garanti » conclu par une entreprise au profit de son dirigeant, à la suite d’une incapacité temporaire ou permanente qui n’a pas occasionné une perte effective de revenus professionnels à la victime.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. L’article 31, alinéa 2, 4°, du CIR 1992, tel qu’il était applicable à l’exercice d’imposition 2012, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables les indemnités, constituées au moyen de primes visées à l’article 52, 3°, b), quatrième tiret, du même Code, versées en exécution d’un contrat d’assurance conclu par la société dont la victime est le dirigeant, à la suite d’une incapacité temporaire qui n’a pas occasionné une perte effective de revenus professionnels à la victime.
2. L’article 34, § 1er, 1°, du CIR 1992, tel qu’il était applicable à l’exercice d’imposition 2015, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables les indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance conclu par la société dont la victime est le dirigeant, à la suite d’une incapacité permanente qui n’a pas occasionné une perte effective de revenus professionnels à la victime.
3. L’article 34, § 1er, 2°, b), du CIR 1992, tel qu’il était applicable à l’exercice d’imposition 2015, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il rend imposables les indemnités versées en exécution d’un contrat d’assurance conclu par la société dont la victime est le dirigeant, à la suite d’une incapacité permanente qui n’a pas occasionné une perte effective de revenus professionnels à la victime.
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Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 juillet 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul