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10/07/2024 | BELGIQUE | N°83/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 10 juillet 2024, 83/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 83/2024
du 10 juillet 2024
Numéro du rôle : 8111
En cause : le recours en annulation des articles 4 et 5 de la loi du 4 mai 2023 « portant insertion du livre XIX ‘ Dettes du consommateur ’ dans le Code de droit économique », en ce qu’ils déclarent ainsi les articles XIX.7, §§ 1er et 2, XIX.12 et XV.6/2 juncto l’article XV.125/2/2 du Code de droit économique applicables aux avocats agissant dans le cadre de leur mandat au nom d’un client, introduit par l’« Orde van Vlaamse balies » et Peter Callens.
La Cour constitutio

nnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Gi...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 83/2024
du 10 juillet 2024
Numéro du rôle : 8111
En cause : le recours en annulation des articles 4 et 5 de la loi du 4 mai 2023 « portant insertion du livre XIX ‘ Dettes du consommateur ’ dans le Code de droit économique », en ce qu’ils déclarent ainsi les articles XIX.7, §§ 1er et 2, XIX.12 et XV.6/2 juncto l’article XV.125/2/2 du Code de droit économique applicables aux avocats agissant dans le cadre de leur mandat au nom d’un client, introduit par l’« Orde van Vlaamse balies » et Peter Callens.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 novembre 2023 et parvenue au greffe le 22 novembre 2023, un recours en annulation des articles 4 et 5 de la loi du 4 mai 2023 « portant insertion du livre XIX ‘ Dettes du consommateur ’ dans le Code de droit économique », en ce qu’ils déclarent les articles XIX.7, §§ 1er et 2, XIX.12 et XV.6/2
juncto l’article XV.125/2/2 du Code de droit économique applicables aux avocats agissant dans le cadre de leur mandat au nom d’un client (publiée au Moniteur belge du 23 mai 2023, deuxième édition) a été introduit par l’ « Orde van Vlaamse balies » et Peter Callens, assistés et représentés par Me Hugo Lamon, avocat au barreau du Limbourg.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Valérie De Schepper et Me Jean-François De Bock, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 15 mai 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1. La première partie requérante est l’« Orde van Vlaamse balies » (l’Ordre des barreaux flamands). La seconde partie requérante exerce la profession d’avocat. Elles estiment justifier d’un intérêt au recours en annulation. Les dispositions attaquées de la loi du 4 mai 2023 « portant insertion du livre XIX ‘ Dettes du consommateur ’ dans le Code de droit économique » (ci-après : la loi du 4 mai 2023) exposent à des sanctions pénales les avocats qui recouvrent des dettes pour le compte de leurs clients, et habilitent certains agents à effectuer des contrôles auprès de ces avocats. Ces dispositions portent atteinte à l’indépendance des avocats. Elles ont une incidence sur le droit d’accès au juge, sur l’administration de la justice et sur l’aide juridique. Par conséquent, les dispositions attaquées sont défavorables non seulement pour les avocats, mais également pour les justiciables. Par ailleurs, les parties requérantes ne contestent pas qu’un avocat est considéré comme un entrepreneur au sens du Code de droit économique. Elles estiment toutefois que, lorsqu’un avocat agit en tant que représentant de son client, une éventuelle infraction à une disposition législative ne peut être imputable qu’à ce client, que l’avocat doive être considéré comme un entrepreneur ou non.
A.2. Le Conseil des ministres observe que la loi du 4 mai 2023 a pour but de protéger les intérêts des consommateurs. Par conséquent, l’on n’aperçoit pas clairement dans quelle mesure le recours en annulation bénéficie au justiciable, dont la partie requérante défend également les intérêts, conformément à l’article 495, alinéa 2, du Code judiciaire. En outre, les dispositions attaquées portent uniquement sur le recouvrement amiable des dettes des consommateurs et non sur les activités essentielles de l’avocat. Le Conseil des ministres estime que la seconde partie requérante ne démontre pas, par ailleurs, qu’elle exerce effectivement les activités de recouvrement amiable des dettes ni, partant, que les dispositions attaquées lui sont applicables.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.3.1. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe général de l’indépendance de l’avocat et avec le principe de la sécurité juridique.
A.3.2. Le premier moyen, en sa première branche, est dirigé contre l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 4 de la loi du 4 mai 2023. Cette disposition règle la nature et la
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teneur minimale de la mise en demeure que le recouvreur de dettes envoie au consommateur. Les infractions à cette disposition sont punies d’une sanction de niveau 4 (article XV.125/2/2, 4°, du Code de droit économique).
Premièrement, la mise en demeure que le recouvreur de dettes envoie au consommateur doit être rédigée « de manière claire et compréhensible », en vertu de l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique. Selon les parties requérantes, ces mots sont trop vagues et sont susceptibles d’une interprétation arbitraire par les autorités compétentes. C’est pourquoi la disposition attaquée n’est pas suffisamment claire et précise et n’est donc pas compatible avec le principe de légalité en matière pénale ni avec le principe de la sécurité juridique. Cela est confirmé par le point de vue du Conseil des ministres, qui soutient que les mots « de manière claire et compréhensible » portent tant sur la mise en demeure dans son ensemble que sur les mentions, énumérées à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique, que la mise en demeure doit contenir au minimum.
Deuxièmement, l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique contient une obligation de mentionner dans la mise en demeure « les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie ». Cette obligation s’applique également aux avocats qui agissent en qualité de recouvreur de dettes, alors que les avocats sont exemptés de l’obligation d’inscription préalable auprès du SPF Économie (article XIX.6, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique). Selon les parties requérantes, l’indépendance de l’avocat s’oppose à ce qu’un avocat soit soumis à la surveillance d’une administration quelconque. En outre, il existe déjà plusieurs autres autorités de contrôle compétentes à l’égard des avocats. Les plaintes qui concernent les avocats peuvent être soumises au bâtonnier, conformément à l’article 458 du Code judiciaire. Par ailleurs, les consommateurs peuvent s’adresser à l’entité compétente pour le règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, en l’espèce le Service de médiation des litiges de consommation des avocats, en exécution de l’article XVI.24, § 1er, du Code de droit économique. La disposition attaquée fait donc naître une identité de traitement entre des recouvreurs de dettes qui se trouvent dans des situations différentes. En outre, les avocats ne peuvent pas savoir quelle administration de surveillance doit être mentionnée sur la mise en demeure. Pour cette raison également, les parties requérantes estiment que la disposition attaquée n’est pas compatible avec le principe de légalité en matière pénale ni avec le principe de la sécurité juridique.
A.3.3. Le premier moyen, en sa deuxième branche, est dirigé contre l’article XIX.7, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 4 de la loi du 4 mai 2023. Cette disposition règle le contrôle préalable que le recouvreur de dettes doit exercer. Les infractions à cette disposition sont punies d’une sanction de niveau 4 (article XV.125/2/2, 4°, du Code de droit économique).
Il résulte de l’article XIX.7, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique que l’avocat ne peut pas envoyer une mise en demeure au consommateur au nom de son client s’il constate que ce dernier n’a pas respecté l’article XIX.4 du même Code. Selon les parties requérantes, il en résulte qu’un avocat peut se voir infliger une sanction pénale excessivement lourde pour le non-respect, par son client, de certaines exigences de procédure.
Pour prouver qu’il ne s’est pas personnellement rendu coupable de l’infraction, l’avocat doit en outre rompre la relation de confiance avec le client et/ou violer le secret professionnel. Dans cette mesure, la disposition attaquée n’est pas compatible avec le principe de légalité en matière pénale. Les parties requérantes indiquent toutefois que leur objection de constitutionnalité serait caduque si la Cour confirmait expressément l’interprétation du Conseil des ministres selon laquelle un avocat-recouvreur de dettes ne peut jamais être tenu pour pénalement responsable des actes de son client.
A.3.4. Le premier moyen, en sa troisième branche, est dirigé contre l’article XIX.12 du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 4 de la loi du 4 mai 2023. Cette disposition porte sur le recouvrement des dettes pour lesquelles un plan d’apurement a été conclu. Les infractions à cette disposition sont punies d’une sanction de niveau 4 (article XV.125/2/2, 10°, du Code de droit économique).
Selon les parties requérantes, l’article XIX.12 du Code de droit économique n’est pas compatible avec le principe de légalité en matière pénale ni avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Cette disposition, dans le cas où un plan d’apurement a été conclu, oblige le recouvreur de dettes à envoyer au consommateur au moins une fois par an un relevé des montants déjà payés et du solde restant dû. Le recouvreur de dettes doit en outre informer sans délai le consommateur de l’extinction de la dette. Ce même article XIX.12 a pour effet que, lorsque le client ne signale pas, dans les délais, à l’avocat-recouvreur de dettes les paiements reçus directement, ce dernier s’expose à des sanctions pénales. Il est possible que le client omette d’informer l’avocat de paiements éventuels, par exemple en raison d’un oubli ou d’une erreur administrative. Il est possible également que le client ait mis fin au mandat de l’avocat après l’établissement du plan d’apurement. Dans de telles situations aussi, l’avocat reste
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pénalement responsable si le relevé précité n’est pas envoyé à temps au consommateur dans les délais impartis.
Une telle responsabilité pénale produit des effets disproportionnés à l’objectif poursuivi par le législateur, qui consiste à protéger le consommateur. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée porte aussi fondamentalement atteinte aux droits de la défense.
A.4. Le Conseil des ministres observe que les parties requérantes ne tirent de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, ainsi que du principe de la sécurité juridique aucun grief qui soit distinct du grief de violation du principe de légalité en matière pénale. En tout état de cause, les parties requérantes n’exposent pas concrètement en quoi les dispositions attaquées seraient contraires au principe d’égalité et de non-
discrimination en tant que tel ou au principe général de l’indépendance de l’avocat. Dès lors, selon le Conseil des ministres, la Cour ne doit pas examiner la prétendue violation de ces principes.
A.5.1. Le Conseil des ministres soutient, à titre principal, que les parties requérantes procèdent d’une lecture erronée des dispositions attaquées et que le premier moyen est dès lors irrecevable.
A.5.2. Le Conseil des ministres précise que l’obligation de rédiger la mise en demeure de manière « claire et compréhensible » pour le consommateur, conformément à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique, porte sur le contenu intégral de la mise en demeure et, partant, également sur les mentions obligatoires énumérées à l’alinéa 3 de ce paragraphe.
En ce qui concerne l’obligation de mentionner les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie, conformément à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du même Code, le Conseil des ministres renvoie aux travaux préparatoires de la loi du 4 mai 2023, qui mentionnent les coordonnées précises de cette administration. Cette obligation s’applique à toute personne qui exerce une activité de recouvrement amiable des dettes, y compris aux avocats-recouvreurs de dettes, et elle est indépendante de l’inscription préalable qui est visée à l’article XIX.6 du Code de droit économique.
A.5.3. Par ailleurs, il ne découle pas de l’article XIX.7, § 1er, du Code de droit économique que l’avocat-
recouvreur de dettes peut être tenu pour pénalement responsable du non-respect, par son client, des exigences de l’article XIX.4 du même Code. Selon le Conseil des ministres, il s’agit uniquement d’une obligation pour l’avocat-
recouvreur de dettes de vérifier si le client a respecté ces exigences, et en particulier de vérifier si les montants réclamés au consommateur ont été calculés correctement.
A.5.4. Enfin, le Conseil des ministres souligne que l’article XIX.12 du Code de droit économique ne tend pas davantage à tenir les avocats-recouvreurs de dettes pour pénalement responsables d’actes ou d’omissions de la part de leurs clients, que ceux-ci soient anciens ou non. Cette disposition n’empêche pas l’avocat-recouvreur de dettes de se prévaloir d’une cause d’excuse, notamment si le client n’a pas signalé à temps les paiements reçus. En ce qui concerne la prétendue violation du secret professionnel, le Conseil des ministres fait référence à l’article 22
du Code de déontologie des avocats de l’Ordre des barreaux flamands. En vertu de cette disposition, « le secret professionnel n’est pas violé lorsque l’avocat utilise les informations confidentielles qui sont nécessaires pour sa propre défense ».
A.6.1. Le Conseil des ministres estime, à titre subsidiaire, que les dispositions attaquées ne sont pas contraires au principe de légalité en matière pénale, et que, pour cette raison, le premier moyen n’est pas fondé.
A.6.2. Tout d’abord, les mots « de manière claire et compréhensible » mentionnés dans l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique ne sont pas, selon le Conseil des ministres, à ce point vagues qu’ils seraient susceptibles d’une interprétation arbitraire. Le Conseil des ministres renvoie à l’arrêt de la Cour n° 99/2010 du 16 septembre 2010 (ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.099). Par cet arrêt, la Cour a jugé que les notions utilisées dans l’article 6 de la loi du 20 décembre 2002 « relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur », en particulier les mots « de manière complète et non équivoque », ne sont pas de nature à empêcher le justiciable de déterminer quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (B.7.4).
Le Conseil des ministres estime par ailleurs que l’obligation de mentionner, dans la mise en demeure, les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie, conformément à l’article XIX.7, § 2, alinéa 3, 2°, du Code de droit économique, est aussi suffisamment claire. Les parties requérantes ne démontrent pas que cette obligation compromet l’indépendance de l’avocat. Une telle obligation permet aux consommateurs de savoir quelle autorité ils peuvent contacter en cas de plaintes portant sur le recouvrement amiable de leurs dettes. La circonstance que, comme l’observent les parties requérantes, il existe
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d’autres autorités de contrôle pour les avocats importe peu. Tant le bâtonnier que le Service de médiation des litiges de consommation des avocats ont des compétences spécifiques, à savoir, respectivement, le contrôle du respect des obligations déontologiques des avocats et le règlement extrajudiciaire des litiges entre les avocats et les consommateurs. La circonstance que l’administration de surveillance auprès du SPF Économie est également compétente à l’égard des avocats-recouvreurs de dettes garantit que le contrôle du respect du livre XIX du Code de droit économique est exercé de manière uniforme.
A.6.3. En ce qui concerne les articles XIX.7, § 1er, et XIX.12 du Code de droit économique, le Conseil des ministres répète que ces dispositions n’ont pas pour effet que les avocats-recouvreurs de dettes sont tenus pour pénalement responsables d’actes posés par leurs clients.
En ce qui concerne la proportionnalité des sanctions auxquelles s’expose un avocat-recouvreur de dettes lorsqu’il néglige les obligations prévues par ces dispositions, le Conseil des ministres souligne que le législateur peut imposer des sanctions particulièrement lourdes dans des matières où les infractions sont de nature à porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité. L’objectif consistant à garantir un degré de protection élevé du consommateur qui se trouve dans une situation de retard de paiement justifie une identité de traitement entre tous les groupes professionnels qui exercent l’activité de recouvrement amiable des dettes, y compris les avocats. Le Conseil des ministres souligne que les infractions aux dispositions précitées ne donnent pas nécessairement lieu à une sanction pénale, mais peuvent également faire l’objet d’une procédure de transaction ou d’une poursuite administrative (article XV.60/1 du Code de droit économique).
L’administration peut aussi décider de ne pas intenter une procédure ou de simplement donner un avertissement au recouvreur des dettes. En outre, les infractions aux dispositions attaquées sont punies d’une sanction de niveau 4. Une telle sanction est constituée d’une amende pénale allant d’un montant minimum de 26 euros à un montant maximum de 50 000 euros ou à 6 % du chiffre d’affaires annuel total, si cela représente un montant plus élevé (article XV.70, § 1er, 4°, du Code de droit économique). Plusieurs critères, tels que la nature, la gravité, l’ampleur et la durée de l’infraction sont pris en considération lors de l’imposition de la sanction (article XV.70, § 3, du Code de droit économique). Le Conseil des ministres estime que, partant, il est possible d’intervenir adéquatement dans chaque situation concrète. Par ailleurs, le Conseil des ministres souligne que, conformément à l’article XV.60/5 du Code de droit économique, les agents concernés doivent exercer leur compétence dans des conditions garantissant leur indépendance et leur impartialité. Ces agents doivent également respecter les principes de bonne administration. Enfin, l’article XV.60/15 du même Code prévoit une possibilité de recours devant le Conseil d’État.
En ce qui concerne le second moyen
A.7.1. Le second moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe général de l’indépendance de l’avocat. Ce moyen est dirigé contre l’article XV.6/2 du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 5 de la loi du 4 mai 2023.
A.7.2. Les parties requérantes critiquent le fait que les agents commissionnés par le ministre disposent d’une compétence générale pour rechercher et constater les infractions au Code de droit économique. Il découle de l’article XV.6/2 du Code de droit économique que cette compétence vaut aussi à l’égard des avocats qui agissent au nom d’un client en tant que recouvreur de dettes. Ainsi, il est conféré au pouvoir exécutif un pouvoir de contrôle qui porte sur les tâches principales de l’avocat en tant que représentant de son client. Auparavant, un contrôle par le pouvoir exécutif n’était possible que lorsque l’avocat, en tant qu’entrepreneur, agissait en son nom propre et pour son propre compte.
A.7.3. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée subordonne le secret professionnel de l’avocat à la possibilité pour les agents compétents d’effectuer des contrôles et des enquêtes. Par l’arrêt n° 111/2023 du 20 juillet 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.111), la Cour a toutefois jugé que le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable. Les parties requérantes renvoient également à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 juin 2007, rendu en grande chambre, en cause de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, ECLI:EU:C:2007:383, point 32). Les parties requérantes estiment que le législateur, en attribuant à certains membres du pouvoir exécutif une telle compétence de contrôle et de sanction à l’égard des avocats-recouvreurs de dettes, porte une atteinte substantielle au secret professionnel et à l’indépendance de l’avocat. Cette indépendance est un principe fondamental de l’état de droit démocratique et elle touche à l’ordre public, comme l’a confirmé la
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Cour de cassation par l’arrêt n° C.16.0177.N du 3 février 2017 (ECLI:BE:CASS:2017:ARR.20170203.2). Le principe de l’indépendance de la profession d’avocat suppose qu’il n’appartient pas au pouvoir exécutif, mais au pouvoir judiciaire, d’apprécier les actes qu’un avocat accomplit au nom de son client.
A.7.4. Le législateur ne tient par ailleurs pas compte du caractère spécifique de la profession d’avocat. En tout état de cause, les avocats sont soumis à des obligations légales et déontologiques spécifiques. Le législateur a conféré des pouvoirs étendus aux ordres des avocats afin de garantir l’indépendance du groupe professionnel. Par son arrêt n° 126/2005 du 13 juillet 2005 (ECLI:BE:GHCC:2005:ARR.126), la Cour a reconnu le statut particulier des avocats par rapport aux autres professions juridiques. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée fait dès lors naître aussi une identité de traitement entre des catégories de personnes différentes, à savoir les avocats-
recouvreurs de dettes et les bureaux de recouvrement, sans qu’existe à cet égard une justification raisonnable. Cette disposition est par conséquent également contraire au principe d’égalité et de non-discrimination.
A.8. Le Conseil des ministres observe que les parties requérantes n’exposent pas concrètement en quoi l’article XV.6/2 du Code de droit économique serait contraire à l’article 12, alinéa 2, de la Constitution. Le Conseil des ministres estime que, par conséquent, la Cour ne doit pas examiner la prétendue violation de cette disposition.
A.9.1. Le Conseil des ministres soutient, à titre principal, que les parties requérantes procèdent d’une lecture erronée de la disposition attaquée et que le second moyen est dès lors irrecevable.
A.9.2. Le Conseil des ministres estime que la distinction opérée par les parties requérantes entre les activités de l’avocat qui agit au nom d’un client et celles de l’avocat qui agit en tant qu’entrepreneur ne correspond pas à la réalité. Il est inexact qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2023, seul un contrôle par l’administration était possible à l’égard d’avocats qui agissent en tant qu’entrepreneur, sur la base du livre VI du Code de droit économique.
A.9.3. Le Conseil des ministres ajoute qu’il n’y a aucune raison d’admettre que le législateur a voulu subordonner le secret professionnel à la possibilité d’effectuer des contrôles. L’article XV.6/2 du Code de droit économique contient une garantie fondamentale du respect du secret professionnel des avocats. L’intervention du bâtonnier offre la certitude que le secret professionnel ne sera violé que dans les cas strictement prévus par la loi.
Si le bâtonnier constate que les conditions d’application légales ne sont pas remplies, les informations ne pourront pas être transmises à l’autorité concernée. La disposition attaquée ne saurait dès lors être interprétée en ce sens qu’elle compromettrait l’indépendance de l’avocat.
A.10.1. Le Conseil des ministres soutient, à titre subsidiaire, que la disposition attaquée n’est pas contraire au principe d’égalité et de non-discrimination, ni au droit à un procès équitable, ni encore au principe général de l’indépendance de l’avocat.
A.10.2. Selon le Conseil des ministres, en ce qui concerne l’activité du recouvrement amiable des dettes, le législateur pouvait choisir de traiter les avocats de la même manière que les autres groupes professionnels qui agissent en qualité de recouvreur de dettes. Cette identité de traitement poursuit un objectif légitime. Après avoir constaté que la législation existante était insuffisante pour prévenir les abus, le législateur souhaitait garantir un degré élevé de protection du consommateur.
A.10.3. Le Conseil des ministres estime que le recouvrement amiable des dettes ne relève pas des activités essentielles de l’avocat, qui consistent en la défense ou la représentation en justice du client et en la fourniture de conseils juridiques. Comme la Cour l’a jugé par l’arrêt n° 111/2023 précité, lorsqu’il exerce une activité qui ne relève pas de ses activités essentielles, l’avocat peut être soumis à l’obligation de communiquer aux autorités les informations dont il a connaissance (B.5). Le Conseil des ministres souligne par ailleurs que l’administration compétente dispose d’une expertise spécifique quant au recouvrement amiable des dettes et qu’il s’indique de prévoir une surveillance uniforme à l’égard des différents groupes professionnels qui agissent en tant que recouvreurs de dettes. Il découle aussi de l’arrêt n° 99/2010 précité que le législateur peut estimer qu’il n’est pas souhaitable de traiter différemment les divers groupes professionnels qui agissent en tant que recouvreurs de dettes (B.4.7). Par l’arrêt n° 99/2013 du 9 juillet 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.099), la Cour a en outre jugé que les différences entre les titulaires de professions libérales et les autres entreprises ne justifient pas que, pour certains
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actes accomplis par les titulaires de professions libérales, le consommateur ne bénéficie pas de la même protection que celle qu’offre la loi du 6 avril 2010 « relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur »
(B.10).
A.10.4. Enfin, selon le Conseil des ministres, la disposition attaquée ne produit pas des effets disproportionnés, étant donné qu’elle prévoit l’intervention du bâtonnier lorsque les informations sont couvertes par le secret professionnel. Cette garantie s’applique à toutes les enquêtes menées au sujet d’infractions au Code de droit économique. L’administration ne peut par ailleurs réclamer que les informations qui sont nécessaires à l’exercice de ses compétences spécifiques, en l’espèce le contrôle des activités relatives au recouvrement amiable des dettes. Il s’agit d’informations de nature limitée.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. Le recours en annulation porte sur le régime applicable aux avocats qui agissent en qualité de recouvreur de dettes, tel qu’il a été instauré par la loi du 4 mai 2023 « portant insertion du livre XIX ‘ Dettes du consommateur ’ dans le Code de droit économique » (ci-après : la loi du 4 mai 2023).
B.2. L’article 4, attaqué, de la loi du 4 mai 2023 insère un nouveau livre XIX « Dettes du consommateur » dans le Code de droit économique. Ce livre comprend le titre 1er « Paiement de dettes de consommateurs à l’égard d’entreprises » (article XIX.1 à XIX.4) et le titre 2
« Recouvrement amiable des dettes du consommateur » (article XIX.5 à XIX.15).
Selon l’exposé des motifs, le titre 1er traite « des paiements des dettes du consommateur à l’égard des entreprises en général, avec, en cas de retard de paiement, le principe du premier rappel gratuit et de la limitation des clauses indemnitaires » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 3). Le titre 2 reprend « l’essentiel de la loi du 20 décembre 2002
[relative] au recouvrement amiable des dettes du consommateur [...] tout en la complétant et en l’actualisant par des mesures qui évitent les failles et problèmes d’interprétation qu’une expérience de vingt ans a mi[s] en lumière ». « Nouveauté importante : les avocats, les officiers ministériels et les mandataires de justice dans l’exercice de leur profession ou de leur fonction (et donc essentiellement les avocats et les huissiers) seront soumis au contrôle de l’inspection économique » (ibid., pp. 9-10).
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L’exposé des motifs mentionne en outre :
« Le présent projet prévoit l’encadrement strict des clauses indemnitaires, l’obligation de l’envoi d’un premier rappel gratuit et l’écoulement obligatoire d’un délai de quatorze jours avant l’exécution des éventuelles sanctions liées au retard de paiement. Les règles régissant l’activité de recouvrement amiable ont également été renforcées. Comme exposé plus avant, les dispositions du livre XIX visent à offrir un haut niveau de protection au consommateur lorsqu’il se retrouve dans une situation de retard de paiement. Les règles ainsi prévues au livre XIX
visent à répondre au mieux à cet objectif. Pour assurer le plein effet d’un tel encadrement du recouvrement amiable des dettes et assurer une protection effective du consommateur, il est impératif que ce cadre s’applique à toutes les entreprises, sans distinction de taille ou de secteur d’activité » (ibid., p. 8).
B.3. L’article I.22/1 du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 3 de la loi du 4 mai 2023, contient les définitions relatives à l’application du livre XIX de ce Code :
« 1° recouvrement amiable de dettes : tout acte ou pratique d’une entreprise qui a pour but d’obtenir le paiement d’une dette impayée par le consommateur, à l’exception de tout recouvrement sur la base d’un titre exécutoire;
2° activité de recouvrement amiable de dettes: toute activité exercée par une entreprise qui consiste dans le recouvrement amiable de dettes impayées pour compte d’autrui, ainsi que le recouvrement amiable de créances cédées contre rémunération;
3° recouvreur de dettes : toute entreprise exerçant une activité de recouvrement amiable de dettes;
4° entreprise: toute personne physique ou morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations ».
B.4. En vertu de l’article XIX.6, § 1er, du Code de droit économique, « aucune activité de recouvrement amiable de dettes ne peut être exercée sans inscription préalable auprès du SPF Économie » (alinéa 1er). Toutefois, « les avocats, les officiers ministériels, les mandataires de justice dans l’exercice de leur profession ou de leur fonction [...] sont exemptés de cette inscription préalable » (alinéa 2).
B.5.1. Les griefs des parties requérantes portent en particulier sur les articles XIX.7 et XIX.12 du Code de droit économique.
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B.5.2. L’article XIX.7, du Code de droit économique dispose :
« § 1er. Toute activité de recouvrement amiable commence par le contrôle, par le recouvreur de dettes du respect de l’article XIX.4 en ce qui concerne les montants réclamés au consommateur.
Aucune mise en demeure ne peut être adressée au consommateur si le recouvreur de dettes constate que l’article XIX.4 n’est pas respecté.
§ 2. Sans préjudice des articles XIX.8 et XIX.9, aucune mesure ou acte de recouvrement amiable ne peut être effectué avant la mise en demeure du consommateur.
La mise en demeure, adressée au consommateur sur un support durable, rédigée de manière claire et compréhensible, contient au minimum les mentions suivantes :
1° l’identité, le numéro d’entreprise, l’adresse, le numéro de téléphone, la qualité et l’éventuelle adresse de courrier électronique du créancier d’origine. En cas de cession de créance, les coordonnées du nouveau créancier sont également indiquées;
2° le nom ou la dénomination, l’adresse, le numéro d’entreprise et les coordonnées de contact de l’entreprise qui procède au recouvrement amiable de dettes, ainsi que les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie;
3° une description précise du produit qui a donné naissance à la dette, ainsi que la date d’exigibilité de celle-ci;
4° une description précise et détaillée des montants réclamés au débiteur conformément aux articles XIX.4 et XIX.8;
5° le texte suivant, dans un alinéa séparé, en caractères gras et dans un autre type de caractère dans le cas où le recouvrement est effectué par un avocat, un officier ministériel ou un mandataire de justice :
‘ Cette lettre ne concerne PAS une citation au tribunal ou une saisie. Il ne s’agit pas d’une procédure de recouvrement judiciaire ’;
6° la mention que le consommateur peut obtenir, à sa demande, toutes les pièces justificatives de la dette;
7° la mention de la procédure à suivre en cas de contestation de la dette par le consommateur;
8° la mention que le consommateur peut demander des facilités de paiement, s’il est dans l’incapacité de payer le montant dû en une fois;
9° la mention qu’en l’absence de réaction dans le délai prévu à l’article XIX.9, § 1er, il peut être procédé à d’autres mesures ou actes de recouvrement amiable ».
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B.5.3. Le paragraphe 1er de cette disposition renvoie à l’article XIX.4 du Code du droit économique, qui dispose :
« En cas de non-paiement total ou partiel de la dette à l’expiration du délai visé à l’article XIX.2, § 1er, aucun paiement autre que ceux mentionnés ci-dessous ne peut être réclamé au consommateur :
1° les intérêts de retard qui ne peuvent pas excéder l’intérêt au taux directeur majoré de huit points de pourcentage visé à l’article 5, alinéa 2, de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Ces intérêts sont calculés sur la somme restant à payer, et/ou;
2° une indemnité forfaitaire, pour autant qu’elle soit expressément prévue, dont le montant ne peut dépasser :
a) 20 euros si le montant restant dû est inférieur ou égal à 150 euros;
b) 30 euros augmentés de 10 % du montant dû sur la tranche comprise entre 150,01 et 500 euros si le montant restant dû est compris entre 150,01 et 500 euros;
c) 65 euros augmentés de 5 % du montant dû sur la tranche supérieure à 500 euros avec un maximum de 2000 euros si le montant restant dû est supérieur à 500 euros.
Les montants visés à l’alinéa 1er sont destinés à couvrir de manière forfaitaire d’une part, les intérêts de retard de la dette et d’autre part, tous les coûts du recouvrement amiable de la dette impayée.
Est interdite et réputée non écrite, toute clause indemnitaire comportant des montants non prévus à l’alinéa 1er.
Le présent article s’applique sans préjudice de l’article VI.83, 24° ».
B.5.4. L’article XIX.12 du Code de droit économique dispose :
« Lorsque le recouvrement porte sur une dette pour laquelle un plan d’apurement est conclu, le recouvreur de dettes envoie au consommateur sur un support durable, au moins une fois par an, un relevé des montants déjà payés et du solde restant dû.
Lorsque la dette est éteinte, il en informe sans délai le consommateur ».
B.6. La loi du 4 mai 2023 apporte également des modifications au livre XV (« Application de la loi ») du Code de droit économique. Ces modifications visent à « intégrer les sanctions
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applicables au livre XIX et [à] y définir les compétences de l’inspection économique » (Doc.
parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 3).
B.7.1. En vertu de l’article XV.2, § 1er, non modifié, du Code de droit économique, qui fait partie du chapitre 1er (« Compétences générales ») du titre 1er, « l’exercice de la surveillance et la recherche et la constatation des infractions » au livre XV précité, les agents commissionnés par le ministre sont compétents pour rechercher et constater les infractions au Code de droit économique. Ces infractions peuvent faire l’objet d’une procédure de transaction, d’une poursuite administrative ou d’une poursuite pénale (article XV.60/1, § 1er, du Code de droit économique).
Les agents précités disposent à cet égard des compétences fixées aux articles XV.3 et XV.4
de ce Code, également non modifiés. Ils sont ainsi compétents pour pénétrer ou accéder à certains moments à des lieux dans lesquels ils estiment nécessaire de pénétrer pour l’accomplissement de leur tâche, sauf si cela concerne des locaux habités (article XV.3, 1°), pour faire toutes les constatations utiles, procéder à tous examens, contrôles, recherches et recueillir toutes informations qu’ils estiment nécessaires (article XV.3, 2°) et pour interroger toute personne sur tout fait dont la connaissance est utile à la recherche ou la constatation (article XV.3, 3°).
B.7.2. Dans l’exercice de leur mission relative à la recherche et à la constatation des délits économiques, les agents concernés sont soumis à la surveillance, selon le cas, du procureur général compétent ou du procureur fédéral, sans préjudice de leur subordination à leurs supérieurs au sein de l’administration (article XV.6 du Code de droit économique).
Ces agents sont en outre tenus au secret professionnel et ne peuvent divulguer à quelque personne ou autorité que ce soit les informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions (article XV.6/1, § 1er, alinéa 1er, du Code de droit économique).
Par dérogation à cette disposition, ces agents peuvent toutefois communiquer des informations confidentielles :
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« 1° sous une forme sommaire ou agrégée, à condition que des personnes physiques ou morales individuelles ne soient pas identifiables;
2° dans les cas où la communication de telles informations est prévue ou autorisée par ou en vertu du présent Code ou d’autres lois;
3° lors d’un témoignage en justice en matière pénale;
4° pour dénoncer aux autorités judiciaires des crimes et délits autres que ceux visés par le présent Code et ses arrêtés d’exécution;
5° à d’autres services et institutions publics si cela est nécessaire en vue de la recherche, la poursuite et la sanction des infractions aux législations relevant de leurs compétences;
6° à des autorités étrangères, le cas échéant dans les limites ou le respect des directives et règlements européens, si cela est nécessaire en vue de la recherche et de la poursuite d’infractions qui sont comparables aux infractions pour lesquelles ce livre prévoit des sanctions » (article XV.6/1, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique) ».
Les infractions à cette obligation de secret sont punies des peines prévues à l’article 458
du Code pénal (article XV.6/1, § 2, du Code de droit économique).
B.8.1. L’article 5, attaqué, de la loi du 4 mai 2023 insère, dans le chapitre 1er « Compétences générales », un article XV.6/2, qui dispose :
« Lorsqu’une mesure d’instruction ou une mesure de constat d’une infraction est décidée vis-à-vis du titulaire d’une profession libérale et que cette mesure porte sur des informations ou données couvertes par un secret professionnel, elle ne peut être exécutée qu’en présence du représentant de la personne qui exerce l’autorité disciplinaire sur ce titulaire ou après que cette personne a été dûment appelée, afin qu’elle puisse juger si, et éventuellement dans quelle mesure, la demande d’information ou de remise de livres et de documents est compatible avec le respect du secret professionnel.
En outre, cette mesure est exécutée dans le respect du droit à la protection de la vie privée du client du titulaire d’une profession libérale.
Les dossiers et autres documents du titulaire de la profession libérale qui sont couverts par un secret professionnel ne peuvent pas être saisis. Une copie peut en être faite qui peut être déclarée conforme par le titulaire d’une profession libérale, sous réserve des alinéas 1er et 2 et dans le respect du secret professionnel.
Le représentant de l’autorité disciplinaire compétente peut adresser toutes ses remarques concernant le respect du secret professionnel aux autorités qui ont ordonné ces mesures. Les
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actes de saisie et les procès-verbaux de visite mentionnent sous peine de nullité la présence du représentant de l’autorité disciplinaire compétente ou le fait que cette dernière a été dûment invitée, ainsi que les remarques que le représentant de l’autorité disciplinaire compétente a faites ».
B.8.2. L’exposé des motifs de la loi du 4 mai 2023 mentionne, en ce qui concerne cette disposition :
« L’actuel article XV.10/1, inséré par la loi du 15 avril 2018, qui prévoit, spécifiquement pour le livre VI, des règles visant dans certains cas à associer l’autorité disciplinaire quand une enquête est menée au sujet d’un titulaire d’une profession libérale afin qu’elle puisse juger si la demande de renseignements ou la remise de documents peut être contraire au respect du secret professionnel, est remplacé par une disposition générale qui s’applique à toutes les enquêtes menées au sujet d’infractions aux dispositions du Code. Cela garantit donc que lorsqu’une enquête est menée à l’égard d’un avocat ou d’un notaire qui commet des infractions aux dispositions du nouveau livre XIX, l’autorité disciplinaire de l’avocat ou du notaire concerné doive dans certains cas être impliquée.
Afin de garantir la relation de confidentialité particulière entre le titulaire d’une profession libérale et le consommateur, il est prévu dans cet article une intervention obligatoire de l’autorité disciplinaire compétente si un titulaire d’une profession libérale fait l’objet d’une mesure d’instruction ou de mesures de constat de potentielles infractions au Code de droit économique et à condition que cette mesure soit de nature à porter atteinte au secret professionnel, par exemple parce qu’elle impliquerait la remise de documents couverts par le secret professionnel. Ce dernier point fait l’objet d’explications complémentaires dans le texte de la loi. L’objectif ne peut en aucun cas être que l’autorité disciplinaire doive être associée aux enquêtes relatives aux obligations des titulaires d’une profession libérale qui n’ont aucun lien avec des documents ou des informations couverts par un secret professionnel, comme les obligations générales d’information, l’inscription correcte à la Banque-Carrefour des Entreprises, les mentions obligatoires sur les sites web, l’utilisation de pratiques déloyales, l’indication des prix et autres.
[...]
Une protection du secret professionnel de ce type est également reconnue explicitement dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (par exemple: affaire n° 18.603/03 du 24/07/2008, André c. État français). Enfin, il convient de souligner qu’une intervention d’autorités disciplinaires n’a rien d’insolite non plus dans le droit des consommateurs. Ainsi, l’article L.311-8 du Code de la consommation luxembourgeois prévoit la présence obligatoire du bâtonnier ou de son suppléant, en qualité d’autorité disciplinaire compétente d’un avocat. Si le titulaire de la profession libérale invoque le secret professionnel, l’autorité disciplinaire compétente estimera si, et éventuellement dans quelle mesure, la demande de renseignements ou la présentation de livres et documents est compatible avec le respect du secret professionnel.
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Il a été jugé opportun de prévoir un système similaire dans le droit belge des consommateurs afin de préserver le consommateur dans sa relation de confidentialité avec le titulaire d’une profession libérale.
L’invocation du secret professionnel ne peut toutefois en aucun cas avoir pour conséquence que les enquêtes et contrôles nécessaires ne puissent être effectués. L’autorité disciplinaire doit également y veiller » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, pp. 36-38).
En commission de la Chambre, le Vice-Premier ministre compétent a en outre déclaré :
« [L’article XV.6/2] n’est pas nouveau. Il remplace l’actuel article XV.10/1, inséré par la loi du 15 avril 2018, qui prévoit, spécifiquement pour le livre VI, des règles visant dans certains cas à associer l’autorité disciplinaire quand une enquête est menée au sujet d’un titulaire d’une profession libérale afin qu’elle puisse juger si la demande de renseignements ou la remise de documents peut être contraire au respect du secret professionnel. Il a été décidé de remplacer cet article par une disposition plus générale qui s’applique à toutes les enquêtes menées au sujet d’infractions aux dispositions du Code. Cela garantit donc que lorsqu’une enquête est menée à l’égard d’un avocat qui commet des infractions aux dispositions du nouveau livre XIX, l’autorité disciplinaire de l’avocat concerné doit dans certains cas être impliquée. Il est important de noter que seules les informations nécessaires au contrôle de l’activité de recouvrement amiable peuvent être demandées à l’avocat. Cela se fera sous le contrôle du bâtonnier qui veillera à ce que les éléments non pertinents ne soient pas transmis ou communiqués. Les informations qui relèvent des activités essentielles de la profession d’avocat, notamment la défense en justice, ne sont pas couvertes » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/003, pp. 55-56).
B.9.1. Les articles 11 et 12 de la loi du 4 mai 2023, non attaqués, insèrent, dans le Code de droit économique, les articles XV.125/2/1 et XV.125/2/2. Ces dispositions constituent la section 11/2/1 « Les peines relatives aux infractions au livre XIX » du titre 3 « L’application pénale du présent Code et de ses arrêtés d’exécution » du livre XV de ce Code. Ils prévoient des sanctions pénales pour les infractions aux dispositions relatives au paiement et au recouvrement amiable des dettes des consommateurs.
L’article XV.125/2/2 du Code de droit économique prévoit en particulier une sanction de niveau 4 pour les infractions à l’article XIX.7, § 1er, en ce qui concerne l’obligation de contrôle préalable à charge du recouvreur de dettes (4°), à l’article XIX.7, § 2, en ce qui concerne l’obligation d’une mise en demeure préalable à tout acte ou mesure de recouvrement amiable
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et à ses mentions obligatoires (5°), et à l’article XIX.12, en ce qui concerne les obligations d’information à charge du recouvreur de dettes (10°).
En vertu de l’article XV.70, § 1er, 4°, du Code du droit économique, la sanction de niveau 4
consiste en « une amende pénale allant d’un montant minimum de 26 euros à un montant maximum de 50 000 euros ou de 6 % du chiffre d’affaires annuel total du dernier exercice clôturé précéd[a]nt l’imposition de l’amende au sujet duquel des données permettant d’établir le chiffre d’affaires annuel sont disponibles, si cela représente un montant plus élevé ».
B.9.2. L’exposé des motifs relatif à la loi du 4 mai 2023 mentionne, en ce qui concerne ces dispositions, que « bien que les avocats, les officiers ministériels et les mandataires de justice ne soient pas tenus de s’inscrire auprès du SPF Économie, ils doivent tout de même respecter les dispositions du livre XIX » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 39).
Le rapport de la discussion en commission de la Chambre mentionne en outre :
« Le vice-premier ministre indique que, bien que les avocats, les officiers ministériels et les mandataires de justice ne soient pas tenus de s’inscrire auprès du SPF Économie, et ne soient donc pas concernés par la sanction de la radiation, ils doivent tout de même respecter les dispositions du présent projet de loi sous peine de se voir sanctionner civilement, pénalement et/ou administrativement.
En effet, le présent projet de loi prévoit d’autres types de sanctions qui pourront s’appliquer aux avocats, officiers ministériels et mandataires de justice. En plus des sanctions civiles visées aux articles XIX.14, alinéa 1er, et XIX.15, en projet, il s’agit des sanctions administratives ou pénales prévues aux articles XV.125/2/1 et XV.125/2/2, en projet. Ces articles prévoient que les infractions aux dispositions du livre XIX qui y sont énumérées sont sanctionnées.
Conformément à l’article XV.60/1, les infractions peuvent faire l’objet d’une procédure de transaction, d’une poursuite administrative ou de poursuites pénales » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/003, p. 60).
Quant à la recevabilité
B.10.1. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes.
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B.10.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.10.3. Les ordres des barreaux, comme la première partie requérante, sont des groupements professionnels de droit public qui ont été institués par la loi et qui regroupent obligatoirement tous ceux qui exercent la profession d’avocat.
Les ordres des barreaux ne peuvent agir en justice, sauf dans les cas où ils défendent leur intérêt personnel, que dans le cadre de la mission que le législateur leur a confiée. Ainsi donc, ils peuvent d’abord agir en justice lorsqu’ils défendent les intérêts professionnels de leurs membres ou lorsque l’exercice de la profession d’avocat est en cause. Selon l’article 495, alinéa 2, du Code judiciaire, les ordres peuvent également prendre des initiatives et des mesures « utiles [...] pour la défense des intérêts de l’avocat et du justiciable ».
B.10.4. Le régime relatif au recouvrement amiable de dettes instauré par l’article 4, attaqué, de la loi du 4 mai 2023 est également applicable aux avocats lorsqu’ils agissent en qualité de recouvreur de dettes. L’article 5, attaqué, de cette loi prévoit un régime spécifique pour le cas où une mesure d’instruction ou une mesure de constat d’une infraction est décidée à l’égard d’un titulaire d’une profession libérale, tel un avocat, et que cette mesure porte sur des informations ou données couvertes par un secret professionnel. Le recours présentement examiné s’inscrit par conséquent dans le cadre de la mission légale de la première partie requérante qui consiste à défendre les intérêts de l’avocat, de sorte que cette partie justifie de l’intérêt requis en droit.
B.10.5. Dès lors que l’intérêt de la première partie requérante est établi, l’intérêt de la seconde partie requérante ne doit plus être examiné.
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Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.11. Le premier moyen, qui se subdivise en trois branches, est dirigé contre l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique (première branche), contre l’article XIX.7, § 1er, alinéa 2, du même Code (deuxième branche) et contre l’article XIX.12, du même Code (troisième branche), tels qu’ils ont été insérés par l’article 4 de la loi du 4 mai 2023. Ce moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 49, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe général « de l’indépendance de l’avocat » et avec le principe de la sécurité juridique.
B.12.1. La Cour ne peut examiner la compatibilité des dispositions attaquées avec l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus en combinaison avec les articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution, qu’en ce que les dispositions attaquées relèvent du champ d’application du droit de l’Union, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CJUE, grande chambre, 26 février 2013, C-617/10, Åklagaren, ECLI:EU:C:2013:105, points 17 et suivants, spéc. point 21).
Dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas l’existence d’un lien de rattachement avec le champ d’application du droit de l’Union, les branches du premier moyen sont irrecevables en ce qu’elles portent sur l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B.12.2. Il n’existe par ailleurs aucun principe général de droit « de l’indépendance de l’avocat » au regard duquel la Cour pourrait contrôler les dispositions attaquées, lues en combinaison avec les articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution. En outre, l’exposé développé dans la requête ne permet pas de déduire en quoi les dispositions attaquées dans le premier moyen limiteraient l’indépendance de l’avocat, et encore moins au regard de quelles
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normes de référence la Cour devrait apprécier une telle limitation. Par conséquent, le premier moyen est irrecevable également dans cette mesure.
B.13. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.14. Le principe de la sécurité juridique interdit au législateur de porter atteinte, sans justification objective et raisonnable, à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.15. En matière pénale, le principe de la sécurité juridique est étroitement lié au principe de légalité, garanti par l’article 12, alinéa 2, de la Constitution et par l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le principe de légalité en matière pénale qui découle des dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable et, le cas échéant, de connaître la peine encourue. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
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Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.16. Le non-respect des articles XIX.7, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 2, et XIX.12 du Code de droit économique peut donner lieu à une sanction pénale de niveau 4 (article XV.125/2/2, 4°, 5°, et 10°, du Code de droit économique). Les dispositions attaquées déterminent donc les conditions auxquelles certains actes posés par un recouvreur de dettes peuvent être qualifiés d’infraction. Il en résulte que ces dispositions doivent respecter le principe de légalité en matière pénale.
B.17. Le premier moyen, en sa première branche, est dirigé contre l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique.
B.18.1. Premièrement, les parties requérantes critiquent la condition, figurant dans la phrase liminaire de l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique, selon laquelle la mise en demeure adressée au consommateur doit être rédigée « de manière claire et compréhensible ». Selon les parties requérantes, ces termes ne sont pas suffisamment clairs et précis et ils ne sont dès lors pas compatibles avec le principe de légalité en matière pénale.
B.18.2. Lorsqu’un terme n’est pas défini par le législateur, il y a lieu de lui donner son sens usuel, sauf lorsqu’il apparaît que le législateur a voulu s’en écarter (Cass., 27 avril 1999,
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Pas., 1999, I, n° 242, ECLI:BE:CASS:1999:ARR.19990427.9), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
B.18.3. Eu égard au sens usuel des mots « claire » et « compréhensible », la condition attaquée peut être interprétée en ce sens que la mise en demeure doit être facile à comprendre pour son destinataire, à savoir le consommateur. Lorsqu’elle apprécie cette condition à la lumière du principe de légalité en matière pénale, la Cour doit avoir à l’esprit que cette condition s’adresse à des recouvreurs de dettes, qui sont professionnellement engagés dans le recouvrement amiable de dettes. On peut attendre de chaque recouvreur de dettes, en particulier lorsqu’il est en outre avocat, qu’il sache comment sommer, dans une langue aisément compréhensible, un consommateur de s’acquitter d’une dette impayée et que, dans sa communication avec le consommateur, il veille à utiliser un langage compréhensible. Comme l’observe le Conseil des ministres, la condition selon laquelle la mise en demeure est rédigée de manière claire et précise doit en outre être interprétée à la lumière de tout le deuxième alinéa de l’article XIX.7, § 2, du Code de droit économique, qui prévoit de manière détaillée les mentions que la mise en demeure doit contenir au minimum.
B.18.4. La condition, figurant dans la phrase liminaire de l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, du Code de droit économique, selon laquelle la mise en demeure doit être rédigée « de manière claire et compréhensible » ne viole dès lors pas le principe de légalité en matière pénale.
B.19.1. Deuxièmement, les parties requérantes critiquent le fait que l’avocat-recouvreur de dettes doit mentionner dans la mise en demeure « les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie », conformément à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique. Cette obligation ne serait pas non plus compatible avec le principe de légalité en matière pénale parce que les avocats-recouvreurs de dettes ne pourraient pas savoir de quelle administration de surveillance il s’agit.
B.19.2. L’exposé des motifs de la loi du 4 mai 2023 identifie l’administration de surveillance compétente et mentionne ses coordonnées :
« Au paragraphe 2, 2°, il est souhaitable de mentionner littéralement les données de l’administration de surveillance dans la mise en demeure. ‘ Administration de surveillance ’ pour éviter la confusion.
21
Administration de surveillance :
Service public fédéral Économie, P.M.E., Classes moyennes et Énergie Direction générale Inspection économique BD Roi Albert II 16, 1000 Bruxelles https://economie.fgov.be » (Doc.
parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 30) ».
B.19.3. Pour le surplus, l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique prévoit expressément qu’il s’agit de l’administration de surveillance « auprès du SPF Économie ». Rien n’empêche l’avocat-recouvreur de dettes, s’il a encore des doutes sur les coordonnées exactes qu’il doit mentionner dans la mise en demeure, de s’en enquérir auprès de cette administration.
B.19.4. Il résulte de ce qui précède que chaque recouvreur de dettes sait clairement quelles coordonnées mentionner dans la mise en demeure en ce qui concerne l’administration de surveillance. La circonstance que, comme le soutiennent les parties requérantes, les avocats sont exemptés de l’obligation d’inscription préalable auprès du SPF Économie (article XIX.6, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique) ne conduit pas à une autre conclusion.
B.19.5. La condition, figurant à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique, selon laquelle la mise en demeure doit contenir « les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie » ne viole dès lors pas le principe de légalité en matière pénale.
B.20.1. Les parties requérantes soutiennent également que l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique n’est pas compatible avec le principe d’égalité et de non-
discrimination. Selon les parties requérantes, cette disposition fait naître une identité de traitement entre des recouvreurs de dettes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, à savoir les avocats-recouvreurs de dettes, qui sont exemptés de l’inscription préalable auprès du SPF Économie, conformément à l’article XIX.6, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique, et les recouvreurs de dettes, qui ne sont pas exemptés de cette inscription.
Il ne serait pas raisonnablement justifié que les avocats-recouvreurs de dettes doivent eux aussi mentionner « les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie » dans la mise en demeure.
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B.20.2. L’exemption d’inscription préalable pour les avocats n’enlève rien au fait que les agents commissionnés par le ministre soient compétents aussi à l’égard des avocats en ce qui concerne la recherche et le constat des infractions aux dispositions relatives au recouvrement amiable des dettes, comme l’indiquent les travaux préparatoires mentionnés en B.2. Il n’est dès lors pas sans justification raisonnable que les avocats-recouvreurs de dettes doivent également mentionner les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie dans la mise en demeure adressée au consommateur, afin que celui-ci sache à quelle autorité il peut s’adresser en cas de questions et/ou de plaintes quant au mode de recouvrement de la dette.
B.20.3. La circonstance que les avocats sont soumis à l’obligation, prévue à l’article XIX.7, § 2, alinéa 2, 2°, du Code de droit économique, de mentionner dans la mise en demeure « les coordonnées de l’administration de surveillance compétente auprès du SPF Économie » ne viole dès lors pas le principe d’égalité et de non-discrimination.
B.21. Le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.22.1. Le premier moyen, en sa deuxième branche, est dirigé contre l’article XIX.7, § 1er, alinéa 2, du Code de droit économique.
B.22.2. L’article XIX.7, § 1er, alinéa 1er, du Code de droit économique dispose que « toute activité de recouvrement amiable commence par le contrôle, par le recouvreur de dettes, du respect de l’article XIX.4 en ce qui concerne les montants réclamés au consommateur ».
Conformément au deuxième alinéa, attaqué, de cette disposition, « aucune mise en demeure ne peut être adressée au consommateur si le recouvreur de dettes constate que l’article XIX.4 n’est pas respecté ». L’article XIX.4, du Code de droit économique fixe le montant maximum des intérêts de retard et de l’indemnité forfaitaire qui peuvent être réclamés au consommateur en cas de non-paiement de la dette.
B.22.3. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, il ne résulte pas de la disposition attaquée que le recouvreur de dettes peut être tenu pour pénalement responsable au seul motif que l’entreprise pour laquelle il agit a violé l’article XIX.4 du Code de droit économique en réclamant au consommateur des intérêts et/ou des frais excessifs. La disposition
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attaquée a simplement pour effet qu’une sanction pénale peut être imposée au recouvreur de dettes si, en dépit du fait que l’article XIX.4 n’a pas été respecté, il envoie tout de même une mise en demeure au consommateur.
B.22.4. Dès lors que le premier moyen, en sa deuxième branche, repose sur une prémisse erronée, il n’est pas fondé.
B.23. Le premier moyen, en sa troisième branche, est dirigé contre l’article XIX.12 du Code de droit économique. Cette disposition oblige le recouvreur de dettes, lorsqu’un plan d’apurement a été conclu, à envoyer au consommateur, au moins une fois par an, un relevé des montants déjà payés et du solde restant dû. Lorsque la dette est éteinte, le recouvreur de dettes doit également en informer sans délai le consommateur.
B.24.1. Les parties requérantes allèguent que l’avocat-recouvreur de dettes dont le mandat a été résilié par le client s’expose à des sanctions pénales même après cette résiliation s’il n’envoie pas à temps au consommateur le relevé de la dette impayée, ce qui serait contraire au principe de légalité en matière pénale.
B.24.2. Les obligations prévues à l’article XIX.12 du Code de droit économique s’appliquent exclusivement au recouvreur de dettes, c’est-à-dire à l’entreprise « qui exerce une activité de recouvrement amiable de dettes » (article I.22/1, 3°, du Code de droit économique).
En ce que la résiliation du mandat de l’avocat par le client signifie également la cessation des activités de recouvrement amiable des dettes que l’avocat exerçait pour le compte de ce client, l’avocat, à partir de ce moment-là, n’agit plus en tant que recouvreur de dettes et il n’est plus soumis aux obligations prévues à l’article XIX.12 du Code de droit économique.
B.24.3. Dans cette mesure, le premier moyen, en sa troisième branche, repose dès lors sur une prémisse erronée.
B.25.1. Les parties requérantes soutiennent également qu’il est possible que le client omette d’informer l’avocat-recouvreur de dettes des paiements effectués par le consommateur, par exemple en raison d’un oubli ou d’une erreur administrative. De ce fait, le risque existerait
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que le relevé de la dette impayée envoyé au consommateur mentionne des montants erronés, sans que l’avocat-recouvreur de dettes ait pu en être informé. Selon les parties requérantes, il est contraire au principe de légalité en matière pénale que l’avocat-recouvreur de dettes puisse aussi faire l’objet de poursuites pénales dans une telle situation.
B.25.2. Comme il est dit en B.18.3, la Cour, lorsqu’elle apprécie l’obligation attaquée à la lumière du principe de légalité en matière pénale, doit garder à l’esprit que cette obligation s’adresse à des recouvreurs de dettes, qui sont professionnellement engagés dans le recouvrement amiable des dettes. On peut attendre de chaque recouvreur de dettes qu’il fasse preuve de la vigilance nécessaire quant au suivi des dettes impayées et qu’à intervalles réguliers, et à tout le moins préalablement à l’envoi du relevé précité, il prenne l’initiative de s’informer à ce sujet auprès de l’entreprise pour le compte de laquelle il agit.
B.25.3. Pour le surplus, la disposition attaquée n’empêche pas que le recouvreur de dettes soit mis hors de cause si une cause d’excuse, en particulier l’erreur invincible, est démontrée.
Selon la Cour de cassation, l’erreur peut en effet être « absolutoire si elle est invincible, ce qui signifie qu’il peut être déduit des circonstances que la personne qui se prévaut de l’erreur a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente dans la même situation » (Cass., 9 novembre 2021, P.21.0962.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20211109.2N.11).
Dans la mesure où le recouvreur de dettes ne pouvait pas connaître le montant déjà payé par le consommateur et le solde restant dû, par exemple parce que l’entreprise concernée lui a fourni des informations erronées ou incomplètes, il faut dès lors admettre qu’il peut se prévaloir d’une telle cause d’excuse.
B.25.4. La circonstance que, comme le soutiennent les parties requérantes, les informations que l’avocat-recouvreur de dettes doit communiquer pour prouver son innocence peuvent être couvertes par le secret professionnel ne porte pas atteinte à ce qui précède. Le secret professionnel n’est en effet « pas absolu mais peut être rompu, notamment, lorsque son
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dépositaire est appelé à se défendre en justice. Dans ce cas, la règle du secret professionnel doit céder mais seulement lorsqu’une valeur supérieure entre en conflit avec elle, de telle sorte que la dérogation à la règle ne s’opère que dans la mesure nécessaire à la défense des droits respectifs des parties à la cause » (Cass., 18 janvier 2017, P.16.0626.F, ECLI:BE:CASS:2017:ARR.20170118.3). Dans le même sens, l’article 22 du Code de déontologie des avocats de l’« Orde van Vlaamse balies » (l’Ordre des barreaux flamands), à savoir la première partie requérante dans le recours présentement examiné, dispose que « le secret professionnel n’est pas violé lorsque l’avocat utilise des informations confidentielles qui sont nécessaires à sa propre défense ».
B.26. Le premier moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le second moyen
B.27. Le second moyen est dirigé contre l’article XV.6/2, du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 5 de la loi du 4 mai 2023. Ce moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 12, alinéa 2, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe général « de l’indépendance de l’avocat ».
B.28. Les parties requérantes critiquent en substance le fait que l’Inspection économique soit également rendue compétente à l’égard d’avocats pour rechercher et constater les infractions aux prescriptions relatives au recouvrement amiable de dettes, et que ces infractions, même lorsqu’elles sont commises par un avocat, puissent faire l’objet de poursuites administratives ou pénales. Selon les parties requérantes, une identité de traitement est ainsi créée entre deux catégories de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, à savoir les avocats-recouvreurs de dettes et les bureaux de recouvrement, sans qu’existe une justification raisonnable à cet égard. Les parties requérantes estiment également que l’article XV.6/2 du Code de droit économique porte une atteinte disproportionnée au secret professionnel de l’avocat.
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B.29.1. L’exposé du moyen développé dans la requête ne fait pas apparaître en quoi l’article 12, alinéa 2, de la Constitution serait violé. Le moyen n’est dès lors pas recevable en ce qu’il porte sur cette disposition constitutionnelle.
B.29.2. Comme il est dit en B.12.2, il n’existe en outre aucun principe général de droit « de l’indépendance de l’avocat » au regard duquel la Cour pourrait contrôler la disposition attaquée. Le renvoi à un tel principe dans le moyen peut toutefois être interprété en ce sens que les parties requérantes estiment que l’indépendance des avocats est compromise, en ce qu’ils sont soumis à la surveillance de l’Inspection économique et qu’ils s’exposent à une sanction administrative ou pénale s’ils commettent des infractions aux prescriptions en matière de recouvrement amiable de dettes de consommateurs.
B.30.1. La Cour doit déterminer l’étendue du recours en annulation à partir du contenu de la requête et en particulier sur la base de l’exposé des moyens. La Cour limite dès lors son examen aux dispositions contre lesquelles des moyens sont dirigés.
B.30.2. Comme il est indiqué dans les travaux préparatoires de la loi du 4 mai 2023
mentionnés en B.2, une nouveauté importante de cette loi est que « les avocats, les officiers ministériels et les mandataires de justice dans l’exercice de leur profession ou de leur fonction (et donc essentiellement les avocats et les huissiers) seront soumis au contrôle de l’Inspection économique » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 10).
B.30.3. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2023, le recouvrement amiable des dettes du consommateur était régi par la loi du 20 décembre 2002 « relative au recouvrement amiable de dettes du consommateur » (ci-après : la loi du 20 décembre 2002). Cette loi a été abrogée par l’article 14 de la loi du 4 mai 2023.
En vertu de l’article 2, § 2, de la loi du 20 décembre 2002, « les articles 4, 8 à 13 et 16
[n’étaient] pas applicables au recouvrement amiable de dettes effectué par un avocat ou un officier ministériel ou un mandataire de justice dans l’exercice de sa profession ou de sa fonction ». Les articles 11 à 13 portaient en particulier sur la recherche et la constatation, par
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les agents compétents, des infractions à cette loi. Par conséquent, même s’ils devaient respecter les prescriptions de la loi du 20 décembre 2002 et les sanctions pénales et amendes administratives prévues aux articles 15 à 15/2 de cette loi, les avocats n’étaient pas soumis à la surveillance de l’Inspection économique.
B.30.4. Dans l’exposé du second moyen développé dans la requête, les parties requérantes limitent expressément la portée de ce moyen à l’article XV.6/2 du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 5 de la loi du 4 mai 2023.
Toutefois, contrairement à ce que supposent les parties requérantes, la compétence, conférée à l’Inspection économique, de rechercher et de constater les infractions au régime de recouvrement amiable de dettes commises par les avocats ne découle pas de cette disposition.
Cette disposition n’a pas non plus pour effet que ces infractions puissent faire l’objet d’une sanction administrative ou pénale. Ceci résulte en effet de ce que le régime de recouvrement amiable des dettes est prévu dans le Code de droit économique, ce qui entraîne l’application des dispositions générales du livre XV (« Application de la loi ») de ce Code, en ce qui concerne la recherche, la constatation et la poursuite d’infractions, et de ce que, contrairement à la loi du 20 décembre 2002, la loi du 4 mai 2023 ne prévoit aucune exception relative à l’application de ces dispositions à l’égard d’avocats. Les sanctions pénales pour les infractions au régime de recouvrement amiable de dettes sont en outre prévues aux articles XV.125/2/1 et XV.125/2/2
du Code de droit économique, tels qu’ils ont été insérés par les articles 11 et 12 de la loi du 4 mai 2023, qui ne sont pas attaqués par les parties requérantes.
L’article XV.6/2, attaqué, par contre, ne fait qu’établir le régime spécifique pour le cas où
une mesure d’instruction ou une mesure de constat d’une infraction est décidée vis-à-vis du titulaire d’une profession libérale et que cette mesure porte sur des informations ou données couvertes par un secret professionnel. L’annulation de cette disposition n’aurait pas pour effet que les avocats-recouvreurs de dettes ne seraient plus soumis à la surveillance de l’Inspection économique ni que les infractions qu’ils auraient commises ne puissent plus faire l’objet des sanctions administratives et pénales prévues par le Code de droit économique.
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B.30.5. Dans cette mesure, les griefs formulés par les parties requérantes sont dès lors étrangers à la disposition attaquée et le moyen est irrecevable.
B.31. La Cour doit par contre vérifier si le régime prévu à l’article XV.6/2 du Code de droit économique ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel de l’avocat et si cette disposition est dès lors compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.32. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit à un procès équitable et constitue également un fondement du secret professionnel des avocats en particulier.
B.33.1. Le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable.
Le secret professionnel de l’avocat vise en effet principalement à protéger le droit fondamental qu’a la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime, au respect de sa vie privée. Par ailleurs, l’effectivité des droits de la défense de tout justiciable suppose nécessairement qu’une relation de confiance puisse être établie entre lui et l’avocat qui le conseille et le défend. Cette nécessaire relation de confiance ne peut être établie et maintenue que si le justiciable a la garantie que ce qu’il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Il en découle que la règle du secret professionnel imposée à l’avocat est un élément fondamental des droits de la défense.
Comme la Cour de cassation l’a jugé, « le secret professionnel auquel sont tenus les membres du barreau repose sur la nécessité d’assurer une entière sécurité à ceux qui se confient à eux » (Cass., 13 juillet 2010, P.10.1096.N, ECLI:BE:CASS:2010:ARR.20100713.1; voy.
aussi 9 juin 2004, P.04.0424.F, ECLI:BE:CASS:2004:ARR.20040609.10).
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Même s’il n’est « pas intangible », le secret professionnel de l’avocat constitue dès lors « l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de la justice dans une société démocratique » (CEDH, 6 décembre 2012, Michaud c. France, ECLI:CE:ECHR:2012:1206JUD001232311, § 123).
B.33.2. La constitutionnalité de la disposition attaquée doit s’apprécier compte tenu de ce que le secret professionnel de l’avocat est un principe général qui participe du respect des droits fondamentaux, que, pour ce motif, les règles dérogeant à ce secret ne peuvent être que de stricte interprétation et qu’il faut avoir égard à la manière dont est organisée la profession d’avocat dans l’ordre juridique belge. Ainsi la règle du secret professionnel ne doit-elle céder que si cela peut se justifier par un motif impérieux d’intérêt général et si la levée du secret est strictement proportionnée.
B.34.1. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2023, le Code de droit économique contenait un article XV.10/1, qui avait été inséré par l’article 198 de la loi du 15 avril 2018
« portant réforme du droit des entreprises » et abrogé par l’article 6 de la loi du 4 mai 2023. La teneur de cette disposition était pratiquement identique à celle de l’article XV.6/2, attaqué.
L’article XV.10/1 du Code de droit économique faisait partie de la section intitulée « Les compétences particulières en matière de recherches et constatations des infractions au livre VI ». Par conséquent, cette disposition s’appliquait spécifiquement aux mesures relatives aux infractions au livre VI « Pratiques du marché et protection du consommateur ».
B.34.2. La disposition attaquée fait partie du chapitre 1er (« Compétences générales ») du livre XV du Code de droit économique. Comme il est indiqué dans les travaux préparatoires mentionnés en B.8.2, cet article, contrairement à l’article XV.10/1 précité, concerne « une disposition générale qui s’applique à toutes les enquêtes menées au sujet d’infractions aux dispositions du Code », ce qui a pour effet que « lorsqu’une enquête est menée à l’égard d’un avocat ou d’un notaire qui commet des infractions aux dispositions du nouveau livre XIX, l’autorité disciplinaire de l’avocat ou du notaire concerné doive dans certains cas être impliquée » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/001, p. 37).
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Les griefs des parties requérantes sont dirigés exclusivement contre la disposition attaquée, en ce qui concerne les infractions, commises par des avocats, au régime de recouvrement amiable de dettes, tel qu’il est prévu dans le livre XIX du Code de droit économique. La Cour limite son examen dans ce sens.
B.35.1. Il ne peut être exclu que, dans certains cas, pour contrôler si l’avocat-recouvreur de dettes s’est rendu coupable d’une infraction à ses obligations en matière de recouvrement amiable de dettes, l’Inspection économique doive prendre connaissance d’informations ou de données couvertes par le secret professionnel. Le simple fait de recourir à un avocat est en effet soumis au secret professionnel. Il en va a fortiori de même pour l’identité des clients d’un avocat, ainsi que pour les créances qu’ils ont à l’égard de consommateurs et pour lesquelles ils ont commissionné un avocat. Dans la pratique, il est du reste probable que l’avocat non seulement assure le recouvrement amiable de la dette, mais aussi qu’il conseille le client sur d’éventuelles démarches judiciaires et qu’il assure, le cas échéant, sa défense en droit.
B.35.2. Le secret professionnel des avocats est principalement destiné à protéger les intérêts du client. Ce secret ne constitue pas, pour son dépositaire, un privilège dont il pourrait se prévaloir aux fins de se soustraire aux poursuites qui seraient engagées contre lui. La simple prise de connaissance, par les autorités de poursuite, d’informations obtenues en violation du secret professionnel n’entraîne pas, en soi, une violation du droit des intéressés à un procès équitable, ni une rupture de l’égalité des armes à leur détriment. Il appartient au juge compétent de vérifier si le droit des intéressés à un procès équitable n’a pas été violé par l’utilisation de telles informations, eu égard à l’ensemble de la procédure (Cass., 28 février 2017, P.16.0261.N, ECLI:BE:CASS:2017:ARR.20170228.3).
B.36.1. La disposition attaquée prévoit une garantie spécifique de protection du secret professionnel, étant donné qu’elle prévoit la présence du représentant de la personne qui exerce l’autorité de tutelle à l’égard de l’avocat, à savoir le bâtonnier, afin que cette personne « puisse juger si, et éventuellement dans quelle mesure, la demande d’information ou de remise de livres et de documents est compatible avec le respect du secret professionnel » (article XV.6/2,
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alinéa 1er, du Code de droit économique). Le bâtonnier peut « adresser toutes ses remarques concernant le respect du secret professionnel » aux autorités concernées, et sa présence et les remarques qu’il a faites sont mentionnées, sous peine de nullité, dans les actes de saisie et les procès-verbaux de visite (article XV.6/2, alinéa 4, du Code de droit économique).
Un tel régime permet au bâtonnier d’examiner les documents, fichiers ou éléments que les agents concernés souhaitent consulter et d’aviser ceux-ci de ce qui, selon lui, relève du secret professionnel. Le bâtonnier peut par ailleurs recommander les mesures adéquates permettant de consulter certaines pièces, couvertes par le secret professionnel, sans compromettre ce secret.
Comme l’a observé le Vice-Premier ministre dans les travaux préparatoires mentionnés en B.8.2, « seules les informations nécessaires au contrôle de l’activité de recouvrement amiable peuvent être demandées à l’avocat » et « cela se fera sous le contrôle du bâtonnier qui veillera à ce que les éléments non pertinents ne soient pas transmis ou communiqués » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3132/003, pp. 55).
B.36.2. Pour le surplus, la disposition attaquée prévoit que la mesure « est exécutée dans le respect du droit à la protection de la vie privée du client du titulaire d’une profession libérale »
(article XV.6/2, alinéa 2, du Code de droit économique), et que les dossiers et autres documents du titulaire de la profession libérale qui sont couverts par le secret professionnel ne peuvent pas être saisis, mais une copie peut tout au plus en être faite (article XV.6/2, alinéa 3, du Code de droit économique).
B.37. Par ailleurs, les agents concernés peuvent « uniquement exercer les compétences afin de rechercher et constater les infractions aux dispositions du présent Code, de ses arrêtés d’exécution, des lois et leurs arrêtés d’exécution pour lesquels le présent livre prévoit des sanctions, et des règlements de l’Union européenne pour lesquels le présent livre prévoit des sanctions, à l’exception de celles reprises dans le livre IV et dans ses arrêtés d’exécution »
(article XV.2, § 1er, du Code de droit économique). Cette compétence limitée implique que les informations communiquées par l’avocat soient limitées à ce qui est nécessaire pour déterminer s’il s’agit ou non d’une infraction aux dispositions pertinentes du Code de droit économique.
En ce qui concerne le recouvrement amiable des dettes, il suffit, en principe, de consulter les
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montants réclamés au consommateur, les paiements déjà effectués et la communication avec le consommateur. Il s’agit par conséquent d’informations qui, par nature, sont limitées.
B.38. Enfin, les agents concernés sont en principe eux-mêmes tenus au secret professionnel (article XV.6/1, § 1er, du Code de droit économique) et, dans l’exercice de leur mission relative à la recherche et à la constatation des délits économiques, ils sont soumis à la surveillance du ministère public (article XV.6 du Code de droit économique). Ces éléments constituent également des garanties supplémentaires de protection de la vie privée du client de l’avocat (voy. aussi CE, avis n° 67.134/1 du 7 mai 2020).
B.39. Il résulte de ce qui précède que la disposition attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats qui agissent en qualité de recouvreur de dettes. Cette disposition ne viole pas dès lors pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le second moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 juillet 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 83/2024
Date de la décision : 10/07/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-07-10;83.2024 ?

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