Cour constitutionnelle
Arrêt n° 84/2024
du 18 juillet 2024
Numéro du rôle : 7963
En cause : le recours en annulation des articles 5, 9°, 9, c), 10, b) et d), 18, 27, 28 et 40 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées », introduit par l’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (Femarbel).
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Kattrin Jadin, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 mars 2023 et parvenue au greffe le 31 mars 2023, l’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (Femarbel), assistée et représentée par Me Jean-Paul Hordies et Me Yohann Rimokh, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, a introduit un recours en annulation des articles 5, 9°, 9, c), 10, b) et d), 18, 27, 28 et 40 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (publiée au Moniteur belge du 30 janvier 2023).
Par la même requête, la partie requérante demandait également la suspension des mêmes dispositions ordonnancielles. Par l’arrêt n° 107/2023 du 29 juin 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.107), publié au Moniteur belge du 27 septembre 2023, la Cour a rejeté la demande de suspension.
2
Le Collège réuni de la Commission communautaire commune, assisté et représenté par Me Michel Kaiser, Me Marc Verdussen, Me Cécile Jadot et Me Pierre Bellemans, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Collège réuni de la Commission communautaire commune a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 24 avril 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a :
- décidé que l’affaire était en état et fixé l’audience au 29 mai 2024;
- invité les parties à répondre préalablement aux questions suivantes par un mémoire complémentaire à introduire par pli recommandé à la poste le 21 mai 2024 au plus tard et à communiquer dans le même délai à l’autre partie, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « greffe@const-court.be » :
« 1. Quelle incidence l’expiration d’office, sur base annuelle, de l’agrément de la moitié des places inoccupées sur une période de référence (article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ‘ modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées ’) a-t-elle sur l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation de ces mêmes places ?
2. Quelle incidence le remplacement de l’article 15, § 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008 ‘ relative aux établissements pour aînés ’, tel qu’il avait été remplacé par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ‘ modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008
relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées ’, par l’article 10
de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 22 décembre 2023 ‘ portant des dispositions diverses en matière de santé, d’aide aux personnes et de prestations familiales ’ a-t-il sur l’objet du recours en ce qui concerne l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ?
3. La version de l’article 15, § 1er de l’ordonnance du 24 avril 2008 précitée qui résulte de son remplacement par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 précitée a-t-
elle produit des effets entre son entrée en vigueur, le 1er janvier 2023, et son remplacement par l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 2023 précitée, entré en vigueur le 11 janvier 2024 ? ».
Des mémoires complémentaires ont été introduits par :
- la partie requérante;
- le Collège réuni de la Commission communautaire commune.
À l’audience publique du 29 mai 2024 :
- ont comparu :
3
. Me Jean-Paul Hordies, également loco Me Geoffroy de Foestraets, et Me Yohann Rimokh, pour la partie requérante;
. Me Michel Kaiser, également loco Me Marc Verdussen, Me Cécile Jadot et Me Pierre Bellemans, pour le Collège réuni de la Commission communautaire commune;
- les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
–A–
Quant à la recevabilité du recours
A.1.1. L’ASBL « Fédération des Maisons de Repos privées de Belgique (MR-MRS) » (Femarbel) soutient que son recours s’inscrit dans le cadre de la défense de ses membres.
A.1.2. L’intérêt à agir de la partie requérante n’est pas contesté.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.2.1. La partie requérante prend un premier moyen, divisé en deux branches, de la violation des articles 74
et 143 de la Constitution ainsi que des articles 60, alinéa 4, 63, alinéa 1er, et 68, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989).
A.2.2. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune (ci-après : le Collège réuni) considère que le moyen est irrecevable en ce qu’il invoque la violation des articles 74 de la Constitution et 68, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 car ces dispositions ne font pas partie des normes de contrôle de la Cour.
A.3.1. Dans une première branche, la partie requérante expose que l’article 5, 9°, de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022 « modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-après : l’ordonnance du 15 décembre 2022) confère une définition autonome au « secteur public », au « secteur privé à but non lucratif » et au « secteur privé à but lucratif » dont peuvent relever les établissements pour aînés. Or, ces définitions ne se confondent pas avec les définitions que l’autorité fédérale a retenues en matière de droit des sociétés et des associations. En cela, la Commission communautaire commune empiète sur la compétence fédérale en matière de droit des sociétés et des associations.
4
A.3.2. Le Collège réuni estime que la partie requérante se méprend lorsqu’elle tire des dispositions invoquées un principe de répartition des compétences qui réserverait un monopole en matière de définitions à l’autorité fédérale, fût-ce dans le cadre de sa compétence relative au droit des sociétés et des associations. Le principe d’autonomie applicable en matière de répartition des compétences implique que les entités fédérées disposent de toute la compétence d’édicter des règles propres aux matières qui leur ont été transférées, ce qui inclut la compétence de définir les secteurs visés par leur législation. La partie requérante se méprend d’autant plus qu’en l’espèce, les définitions établies à l’article 5, 9°, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’ont pas vocation à s’appliquer au-delà du champ d’application de cette ordonnance et n’empiètent par conséquent sur aucune compétence fédérale.
A.3.3. La partie requérante réplique que le moyen critique le caractère vaste des définitions proposées, lesquelles ne présentent aucun critère de rattachement avec les termes et la matière de l’ordonnance, au contraire des autres définitions de l’article 2 de l’ordonnance du 24 avril 2008 « relative aux établissements pour aînés » (ci-
après : l’ordonnance du 24 avril 2008). Ces définitions proposées, qui pourraient être extraites de l’ordonnance du 15 décembre 2022 et être greffées purement et simplement dans le Code civil ou dans le Code des sociétés et des associations, ne sont le prolongement ou la transposition d’aucune norme fédérale et ne sont partant pas admissibles.
A.3.4. Le Collège réuni estime que la portée des définitions critiquées doit s’apprécier au regard de l’objet, de la nature et du but de l’ordonnance du 15 décembre 2022. Il ressort des travaux préparatoires de ladite ordonnance qu’elle a vocation à s’appliquer uniquement aux établissements pour aînés situés en Région de Bruxelles-Capitale; aucun empiètement de compétence n’est donc à constater.
A.4.1. Dans une seconde branche, la partie requérante estime que les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui organisent le contrôle des établissements pour aînés, empiètent sur les compétences de l’autorité fédérale. En effet, ces dispositions aboutissent à supprimer les exigences selon lesquelles les agents chargés du contrôle des établissements pour aînés doivent être fonctionnaires et officiers de police judiciaire et obtenir le consentement des aînés avant de procéder à une visite domiciliaire. En attribuant des pouvoirs d’enquête étendus à des agents qui ne sont pas officiers de police judiciaire, l’ordonnance viole les règles répartitrices de compétences et empiète sur les compétences de l’autorité fédérale.
A.4.2. Le Collège réuni rappelle que la compétence de déterminer les modalités du contrôle des établissements pour aînés n’est que l’accessoire de la compétence de la politique des soins pour aînés qui a été transférée à la Commission communautaire commune lors de la sixième réforme de l’État. En conséquence, le principe d’autonomie en matière de répartition des compétences permet à la Commission communautaire commune de légiférer pour déterminer les pouvoirs des agents chargés du contrôle des établissements pour aînés sans que cela constitue un empiètement sur les compétences fédérales.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.5. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 15 et 22 de la Constitution.
La partie requérante estime qu’en supprimant les garanties qui encadrent le contrôle des établissements pour aînés, évoquées dans la seconde branche du premier moyen, les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022
portent atteinte au droit au respect de la vie privée des aînés, ainsi qu’à l’inviolabilité de leur domicile. En effet, ces dispositions permettent désormais aux agents d’Iriscare, qui ne sont pas fonctionnaires et officiers de police judiciaire, de procéder à des contrôles impliquant la visite des domiciles des résidents des établissements pour aînés sans que le consentement de ces derniers soit requis.
A.6. Le Collège réuni rappelle que l’article 27 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, prévoit expressément que le contrôle des établissements pour aînés se déroule dans le respect de l’inviolabilité du domicile.
Il en découle que les agents d’Iriscare ne peuvent exercer leurs missions que dans le respect des articles 15 et 22
de la Constitution ainsi que de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’en déduit que
5
les agents en question ne peuvent pénétrer dans le domicile des résidents que moyennant leur accord, l’article 27
de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne mettant pas en place un régime d’exception comparable à une visite domiciliaire.
Par ailleurs, le fait que les contrôles sont effectués par des agents qui ne sont pas des fonctionnaires et officiers de police judiciaire ne permet pas en soi de déduire que lesdits agents opéreront leurs contrôles en violation des règles relatives à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile. Du reste, la rédaction ancienne de l’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008 visait, par l’expression « fonctionnaires », tant les fonctionnaires contractuels que statutaires, ce qui démontre que des agents contractuels étaient déjà considérés comme à même de remplir une mission de contrôle.
A.7. La partie requérante réplique que la disparition de la garantie que constitue le fait, pour les établissements pour aînés, d’être contrôlés par des officiers de police judiciaire trahit l’objectif de paupérisation du secteur marchand qui sous-tend l’ordonnance du 15 décembre 2022. Il en résultera inévitablement une baisse de la qualité des services offerts par ces établissements aux aînés.
A.8. Le Collège réuni indique qu’il n’existe pas de lien entre la qualité des services offerts par les établissements pour aînés et le retrait de l’exigence du contrôle par des officiers de police judiciaire. La modification apportée par l’article 27 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 régularise au demeurant une situation de fait : les agents d’Iriscare, qui ne sont pas officiers de police judiciaire, procédaient déjà au contrôle de la qualité des établissements. Ces modifications tendent également à améliorer l’effectivité du respect des normes de qualité imposées dans ces établissements, ce qui ne peut en aucun cas aboutir, comme le prétend la partie requérante, à une diminution des standards de qualité.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.9. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprise telle que consacrée par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, en ce que l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 supprime le droit dont jouissaient les établissements pour aînés de céder des lits ou des places entre établissements, même à titre onéreux, ce qui porte atteinte à la liberté d’entreprise. Or, le législateur ordonnanciel ne justifie pas cette restriction à une liberté fondamentale, ni en démontrant qu’il poursuit un objectif raisonnable, ni en indiquant en quoi la mesure adoptée serait proportionnée.
A.10.1. Le Collège réuni fait observer qu’en vertu de l’article 40 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, l’article 9, c), critiqué au moyen n’est pas encore entré en vigueur, au jour du dépôt de son mémoire.
A.10.2. Quant au fond, il souligne que cette disposition est motivée par l’objectif de rendre au Collège réuni le contrôle sur la distribution des lits et des places entre établissements. L’article 6, alinéa 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008, avant sa modification par l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022, n’a jamais eu pour objectif de mettre en place un marché des lits et d’octroyer aux établissements pour aînés un droit de cession des lits, a fortiori de manière onéreuse. Dans la mesure où aucun droit n’est supprimé et où la redistribution des lits reste possible, mais à titre gratuit et de manière centralisée dans les mains du Collège réuni, la disposition attaquée n’empêche pas les établissements de développer le nombre de lits dont ils disposent et ne viole donc pas leur liberté d’entreprendre.
A.10.3. Si la Cour venait à considérer que cette disposition crée une restriction à la liberté d’entreprise des établissements pour aînés, le Collège réuni fait valoir que la liberté d’entreprendre n’est pas constitutionnellement protégée et que la Cour ne pourrait censurer l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 que si elle constatait l’existence d’un traitement discriminatoire de certains établissements au regard de leur liberté d’entreprendre. En d’autres termes, est acceptable la restriction qui vise un objectif d’intérêt général et qui répond aux exigences du test de proportionnalité.
À cet égard, le Collège réuni fait valoir que la mesure critiquée est nécessaire afin de permettre une distribution objective des lits et places selon les besoins rencontrés par chaque établissement et que, puisqu’elle ne remet pas en cause de manière absolue la possibilité pour les établissements de céder des lits ou de s’en voir attribuer des nouveaux, elle n’est pas disproportionnée.
6
A.11. La partie requérante réplique que l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 tend à contraindre au bénévolat les établissements du secteur commercial, en les empêchant de vendre et d’acheter des lits, ce qui est indéniablement une activité de nature commerciale. Cette mesure ne vise par ailleurs pas à rendre au Collège réuni la maîtrise de la distribution des lits, puisque cette maîtrise ne lui a jamais échappé. Elle indique également que la qualification de « droit à la cession des lits » ou de « modalité de redistribution des lits » est somme toute indifférente, la liberté d’entreprendre des établissements du secteur commercial étant dans les deux cas restreinte. Enfin, la partie requérante indique que c’est bien le cumul de deux mesures – l’interdiction du transfert de lits à titre onéreux et l’interdiction d’attribuer des lits au secteur marchand tant que celui-ci représente plus de 50 % du total des places – qui est discriminatoire. Ce cumul des mesures interdit par ailleurs de transposer les enseignements de l’arrêt de la Cour n° 188/2005 du 14 décembre 2005 (ECLI:BE:GHCC:2005:ARR.188) au cas d’espèce.
A.12. Le Collège réuni rappelle que la vente de lits de maison de repos n’a jamais été organisée législativement et procédait d’un vide juridique auquel l’ordonnance du 15 décembre 2022 met fin. Partant, elle ne peut être qualifiée d’activité économique, contrairement aux activités de prise en charge des aînés, qui, elles, forment l’activité économique des établissements pour aînés. Ces activités ne sont en rien entravées par l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui ne vise qu’à établir un mécanisme de contrôle de la bonne allocation des lits (ce qui n’a jamais été confié au Collège réuni). Dans cette mesure, et dès lors que la partie requérante ne démontre pas en quoi les dispositions attaquées entraînent un traitement discriminatoire des établissements du secteur privé à but lucratif, les enseignements de l’arrêt n° 188/2005, précité, sont effectivement transposables, d’autant que la norme présentement attaquée est moins stricte que celle qui était en cause dans cet arrêt.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.13. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de droit de la non-rétroactivité des lois. La partie requérante expose que l’article 40 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 prévoit la rétroactivité des dispositions de l’ordonnance car elle en fixe l’entrée en vigueur au 1er janvier 2023, alors qu’elle n’a été publiée au Moniteur belge que le 30 janvier 2023. En ce qu’aucune considération d’intérêt général ne justifie cette rétroactivité, l’article 40 attaqué viole le principe général de droit de la non-rétroactivité des lois.
A.14.1. Le Collège réuni relève que l’article 40, alinéa 2, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 a pour objet de différer l’entrée en vigueur de certaines dispositions de l’ordonnance, ne leur conférant dès lors aucun effet rétroactif. Il ne peut donc pas être visé au moyen, qui ne porte en réalité que sur l’article 40, alinéa 1er, en ce qu’il conférerait un effet rétroactif aux autres dispositions attaquées, à savoir les articles 5, 9°, 10, d), 18, 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022. Or, la partie requérante ne démontre pas en quoi ces dispositions, ni l’article 40, alinéa 1er, de la même ordonnance, seraient inconstitutionnelles en raison de leur rétroactivité prétendue.
A.14.2. Le Collège réuni considère que le moyen, ainsi limité, est irrecevable, puisque la partie requérante se contente de postuler la rétroactivité de la norme sans démontrer le caractère discriminatoire de cette rétroactivité.
Or, la Cour n’est pas compétente pour connaître directement de la violation du principe général de droit de la non-
rétroactivité des lois.
A.14.3. À titre subsidiaire, le Collège réuni conteste l’idée même que l’ordonnance du 15 décembre 2022
dispose d’un effet rétroactif. En effet, une règle de droit ne peut être qualifiée de rétroactive que si elle s’applique à des faits, actes ou situations qui étaient définitifs au moment où elle est entrée en vigueur. Un simple retard de publication ne confère pas en soi un effet rétroactif à une norme législative. En l’espèce, le Collège réuni relève que l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’a produit aucun effet obligatoire entre le 1er janvier 2023 et sa publication, le 30 janvier.
A.14.4. Au demeurant, le Collège réuni expose que l’ordonnance du 15 décembre 2022 a été promulguée le 15 décembre 2022 et a fait l’objet d’une demande de publication au Moniteur belge en date du 14 décembre 2022.
Le Collège réuni ne s’explique pas pourquoi les services du Moniteur belge n’ont procédé à la publication de
7
l’ordonnance du 15 décembre 2022 que le 30 janvier 2023. Il n’entrait donc pas dans l’intention du législateur ordonnanciel de conférer un effet rétroactif à l’ordonnance du 15 décembre 2022, ce qui explique qu’aucun motif d’intérêt général n’est évoqué pour le justifier. Si l’ordonnance présente bien un effet rétroactif, ce qui est par ailleurs contesté par le Collège réuni, il découle de circonstances fortuites et non d’une volonté du législateur ordonnanciel. Cette rétroactivité légère, à la supposer même établie, n’a placé aucun destinataire de la norme dans une situation d’insécurité juridique, de sorte qu’elle serait admissible au regard des normes de référence invoquées à l’appui du moyen.
A.15. La partie requérante considère que le Collège réuni reconnaît une rétroactivité de la norme, qui n’est pas justifiée puisque non désirée, et que cela suffit en soi à emporter l’annulation des dispositions attaquées.
A.16. Le Collège réuni réitère son argumentation : le moyen est irrecevable en ce que la partie requérante ne démontre pas le caractère discriminatoire de la rétroactivité postulée. À titre subsidiaire, il rappelle que l’ordonnance du 15 décembre 2022, à la supposer rétroactive, n’a produit aucun effet. À titre ultimement subsidiaire, le Collège réuni estime que, si la Cour devait annuler l’ordonnance du 15 décembre 2022, il y aurait lieu de restreindre l’annulation aux dispositions touchées par la rétroactivité et de la limiter à la période allant du 1er au 29 janvier 2023.
En ce qui concerne le cinquième moyen
A.17. Le cinquième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre telle qu’elle est garantie par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE) et avec les articles 1er, 16 et 20 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006
« relative aux services dans le marché intérieur » (ci-après : la directive 2006/123/CE).
A.18.1. Dans une première branche, la partie requérante critique le fait que l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 interdit au Collège réuni d’octroyer de nouveaux lits aux établissements relevant du secteur privé à but lucratif, tant que la part de ce secteur sera supérieure à 50 % du total des places agréées, ce qui établit une différence de traitement entre les opérateurs à but lucratif et les opérateurs sans but lucratif. Cette différence de traitement apparaît comme une privation générale et absolue de la liberté d’entreprendre, qui n’est pas raisonnablement justifiée. Le premier objectif (légitime) du législateur ordonnanciel d’assurer une répartition équilibrée de la capacité des établissements entre le secteur public, le secteur privé à but non lucratif et le secteur privé à but lucratif pouvait être atteint par d’autres mesures moins attentatoires à la liberté d’entreprendre des établissements du secteur privé à but lucratif. La mesure critiquée n’est pas davantage de nature à atteindre le second objectif du législateur ordonnanciel, à savoir de garantir la liberté de choix des aînés entre établissements appartenant aux différents secteurs et l’accès à des établissements abordables et accessibles : la partie requérante n’aperçoit pas et le législateur ordonnanciel ne justifie pas en quoi une restriction du nombre de lits disponibles dans le secteur privé à but lucratif pourrait garantir la liberté de choix des aînés.
A.18.2. Le Collège réuni considère que la partie requérante n’avance aucun élément soutenant la thèse selon laquelle la disposition attaquée crée bien une discrimination. Au demeurant, il expose que la situation des opérateurs appartenant au secteur privé à but lucratif n’est pas comparable à celle des opérateurs, publics ou privés, sans but lucratif. Les premiers sont en effet soumis au contrôle de sociétés au sens de l’article 1:14, § 1er, du Code des sociétés et des associations et poursuivent un but de lucre, ce qui n’est pas le cas des seconds. La disproportion de lits agréés en faveur du secteur commercial empêche également la comparabilité des situations en cause.
À considérer même que les situations soient comparables, la différence de traitement établie par la disposition attaquée est justifiée par l’objectif d’assurer la liberté de choix des aînés entre établissements, ainsi que l’accès à des établissements abordables et accessibles, ce qui constitue un motif impérieux d’intérêt général. Par ailleurs, la mesure critiquée est proportionnée, puisqu’elle ne concerne que les autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation (ci-après : ASMESE) pour les places en maisons de repos, à l’exception de toutes les autres
8
catégories d’établissements soumis à programmation. Par ailleurs, l’ordonnance du 15 décembre 2022 prévoit que le secteur à but lucratif peut, en tout état de cause, représenter la moitié des places agréées, ce qui lui assure une surreprésentation par rapport aux secteurs privé et public sans but lucratif. Au demeurant, en calculant cette surreprésentation en termes relatifs et non absolus, la mesure attaquée ne fait pas obstacle à une croissance du nombre de lits agréés dans le secteur commercial, cette croissance étant liée à la croissance du nombre global de places agréées. Enfin, en prévoyant l’entrée en vigueur différée de la mesure critiquée, le législateur ordonnanciel laisse le temps aux opérateurs concernés de se préparer.
Le Collège réuni estime par ailleurs que la liberté d’entreprendre des établissements appartenant au secteur privé à but lucratif ne fait pas l’objet d’une restriction, pour les raisons évoquées dans sa réfutation du troisième moyen.
Enfin, le Collège réuni réfute la thèse selon laquelle la directive 2006/123/CE est applicable aux maisons de repos et aux maisons de repos et de soins. Il souligne également que les articles 56 et 57 du TFUE ne sont pas violés, dans la mesure où la disposition attaquée s’applique de la même manière à tous les établissements situés sur le territoire de la Région, indépendamment de l’État membre dont relève l’établissement.
A.18.3. La partie requérante estime que, si disproportion il y a entre secteur marchand et non marchand, elle est imputable au seul Collège réuni. Elle conteste également la distinction à laquelle se livre le Collège réuni entre les opérateurs recherchant un profit et ceux qui n’en recherchent pas. Tous les établissements, qu’ils soient privés, publics ou mixtes, recherchent un certain profit, pour se trouver a minima à l’équilibre budgétaire. La partie requérante considère que les justifications du Collège réuni ne suffisent pas à établir un lien entre la liberté de choix des aînés et l’interdiction proclamée par la disposition attaquée. Par conséquent, la disposition attaquée n’est pas justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. En outre, l’objectif annoncé ne permet pas d’appliquer à l’affaire en cours les conclusions de l’arrêt de la Cour n° 135/2010 du 9 décembre 2010
(ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.135) car la Cour a, dans cette affaire, validé comme impérieux un triple objectif, le but poursuivi par le législateur ordonnanciel ne se confondant qu’avec un seul de ces trois objectifs. Elle fait également valoir que la distinction opérée par l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 repose sur un critère qui n’est pas un critère de qualité des services proposés par les établissements, ce qui n’est pas admissible.
Enfin, elle expose que le Collège réuni semble ne pas disposer de chiffres exacts quant à la part des places agréées que représente le secteur commercial, ce qui rend le seuil de 50 % fixé par la disposition attaquée imprécis, voire non mesurable.
Quant à l’application de la directive 2006/123/CE, la partie requérante fait valoir que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-57/12 du 11 juillet 2013 (ECLI:EU:C:2013:517) a considéré que le juge national, pour déterminer l’applicabilité de la directive, doit avoir égard à l’activité principale des établissements concernés.
Échappent au champ d’application de la directive les établissements dont les activités principales relèvent de la notion de services de soins de santé. Il s’en déduit que la directive s’applique bien aux maisons de repos, dont l’activité principale, d’après la définition qui en est donnée par l’ordonnance du 15 décembre 2022, est l’hébergement de personnes âgées, les activités de soins n’intervenant que de manière accessoire.
A.18.4. Le Collège réuni rappelle que la disposition attaquée, couplée à l’amélioration du contrôle effectif de la qualité des établissements, aboutit à diversifier l’offre pour les aînés tout en assurant la qualité des services, quel que soit le secteur auquel appartiennent les établissements, et donc à garantir leur liberté de choix. Le but poursuivi par le législateur ordonnanciel est donc légitime. La disposition en cause est par ailleurs proportionnée, puisqu’elle n’interdit pas, dans l’absolu, toute croissance du secteur commercial, mais lie cette croissance à celle du secteur des établissements pour aînés de manière générale. Le Collège réuni fait également valoir que l’arrêt n° 135/2010, précité, est pertinent en l’espèce, puisque le législateur ordonnanciel poursuit explicitement à tout le moins deux des trois objectifs validés par la Cour, laquelle n’impose du reste pas le cumul des trois objectifs.
Enfin, quant au manque de précision du calcul du nombre de lits agréés, le Collège réuni expose qu’un arrêté du Collège réuni sera ultérieurement adopté pour préciser la procédure exacte d’attribution des nouvelles ASMESE, procédure à laquelle la partie requérante sera représentée. Les griefs dirigés à l’encontre de cette future procédure ne relèvent pas de la compétence de la Cour.
Quant au champ d’application de la directive 2006/123/CE, le Collège réuni confirme que, selon lui, les maisons de repos doivent en être exclues, puisque les structures de soins en constituent la partie principale, à la
9
différence des résidences de services. Si toutefois la Cour devait juger que les maisons de repos entrent dans le champ d’application de la directive, il faudrait constater que les normes contestées poursuivent un objectif impérieux d’intérêt général et que des normes moins restrictives (comme un contrôle a posteriori) ne pourraient leur être substituées.
A.19.1. Dans une deuxième branche, la partie requérante expose que l’article 10, d), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 permet au Collège réuni de refuser une demande de cession d’ASMESE si elle revêt un caractère onéreux, ce qui limite la liberté d’entreprise des établissements pour aînés, ainsi que la liberté d’établissement, sans qu’un objectif d’intérêt général ou une nécessité impérieuse ne justifie cette restriction.
A.19.2. Le Collège réuni rappelle que la protection accordée à la liberté d’entreprendre n’est que relative.
En outre, il indique que l’article 7, § 3, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 10, d), de l’ordonnance du 15 décembre 2022, n’institue aucune nouvelle interdiction : l’article 7, § 3, ancien, de l’ordonnance du 24 avril 2008 prévoyait déjà l’interdiction de principe de la cession onéreuse d’ASMESE, sauf en cas de reprise d’établissement par un nouveau gestionnaire. Ce n’est que sur ce point que la disposition critiquée au moyen opère une modification, qui est par ailleurs centrale dans l’économie de l’ordonnance du 15 décembre 2022. Au demeurant, la partie requérante ne démontre pas en quoi cette mesure serait disproportionnée.
A.19.3. La partie requérante expose qu’outre la liberté d’entreprise, c’est également le droit de propriété qui est violé par la disposition attaquée, puisque l’interdiction de vente des ASMESE aboutit à dévaloriser les établissements concernés qui ne peuvent plus se servir des premiers de leurs actifs. La valeur de leur droit de propriété est donc réduite à néant. Le même raisonnement vaut pour la violation de la liberté d’entreprendre.
A.19.4. Le Collège réuni rappelle que l’interdiction critiquée n’est pas une nouveauté de l’ordonnance du 15 décembre 2022. Par ailleurs, il tient à faire remarquer que la cession d’ASMESE demeurera possible sous le régime de l’ordonnance du 15 décembre 2022, à condition qu’elle s’inscrive dans le cadre de la programmation des établissements pour aînés visée à l’article 4 de l’ordonnance du 24 avril 2008. Enfin, il est faux d’affirmer que le fait de ne conférer aucune valeur marchande aux ASMESE en elles-mêmes aboutit à anéantir la propriété des gérants des établissements, qui demeurent en tout état de cause propriétaires de leurs établissements et libres de vendre ceux-ci s’ils le désirent, lesquels ont par ailleurs une valeur, indépendamment des ASMESE qui leur sont attribuées.
A.20.1. En sa troisième branche, le moyen critique le fait que l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 sanctionne l’inoccupation de lits agréés en prévoyant que les agréments de la moitié des places inoccupées expirent de plein droit si l’établissement a un taux d’inoccupation annuel moyen de ses places agréées supérieur à zéro. Or, si cette sanction s’applique en principe à tous les types d’opérateurs, combinée à l’interdiction d’attribution d’agréments de lits pour le secteur privé à but lucratif tant que ce dernier représente plus de 50 % du total des places agréées, elle pèse particulièrement sur les opérateurs relevant du secteur privé à but lucratif, puisqu’elle aboutit pour ce secteur à une perte des lits agréés inoccupés qui ne sauraient être remplacés par de nouveaux agréments. Cette différence de traitement n’est pas justifiée.
A.20.2. Le Collège réuni rappelle que la disposition critiquée s’applique à tous les établissements pour aînés disposant d’un agrément, indépendamment du secteur auquel ils appartiennent : il n’existe donc aucune différence de traitement entre opérateurs à but lucratif et opérateurs sans but lucratif. Seuls les centres de soins de jours échappent au mécanisme d’expiration de plein droit des lits agréés inoccupés, mais cette exception se justifie par le fait que ces centres constituent des alternatives aux maisons de repos et maisons de repos et de soins, alternatives qui sont encouragées par le législateur ordonnanciel. Du reste, la mesure critiquée ne tend à récupérer que la moitié des places inoccupées, et cela dans le but de les redistribuer; cette mesure est donc inhérente à l’économie de l’ordonnance du 15 décembre 2022. En prévoyant par ailleurs un seuil de places inoccupées qui peuvent en tout état de cause être conservées par les établissements (5 % des places dont dispose l’établissement, avec un minimum absolu de 3), le législateur ordonnanciel s’est assuré de la proportionnalité de sa mesure. À titre complémentaire, le Collège réuni rappelle que les établissements ne sont subsidiés que pour leurs places effectivement occupées; la perte de lits structurellement inoccupés n’entraîne donc aucune diminution des subsides octroyés aux établissements pour aînés.
10
A.20.3. La partie requérante insiste sur le fait que c’est bien le cumul de l’interdiction d’attribuer des lits aux établissements relevant du secteur commercial tant que ce dernier représente plus de 50 % des places agréées et de l’expiration de plein droit de la moitié des places inoccupées qui est critiqué et qui constitue une différence de traitement discriminatoire et une atteinte à la liberté d’entreprendre et d’établissement. Par ailleurs, considérant les années 2022-2023 comme années de référence pour l’application du mécanisme d’expiration automatique, le législateur ordonnanciel a choisi une période perturbée par la COVID-19, dont l’incidence sur le nombre de lits inoccupés a été majeure. Partant, certains établissements pourraient se trouver dans une situation critique, perdant jusqu’à un cinquième de leurs places agréées : en deux ans, un établissement disposant de 100 lits agréés avec un taux d’occupation moyen de 71 %, chiffre qui correspond au taux moyen annuel d’occupation des établissements du secteur commercial en 2023 d’après une projection réalisée sur la base des chiffres officiels d’Iriscare, verrait donc 14 lits expirer au bout d’un an puis, sans augmentation de fréquentation, 7 lits supplémentaires la deuxième année.
A.20.4. Le Collège réuni considère qu’au vu de la prépondérance du secteur marchand en Région de Bruxelles-Capitale, ce dernier n’est pas dans une situation comparable à celle du secteur non marchand, ce qui rend toute discrimination impossible. Le Collège réuni fait également valoir que la démonstration chiffrée de la partie requérante se fonde sur des chiffres pour les années 2022-2023 qui sont incomplets et donc biaisés. S’il fallait tout de même se fonder sur l’analyse de la partie requérante, le Collège réuni estime que celle-ci ne démontre rien d’autre que le caractère proportionné de la mesure attaquée : après l’expiration de 14 lits la première année, l’établissement fictif disposerait encore de 15 places inoccupées pour absorber une éventuelle augmentation de fréquentation. Au demeurant, il n’est pas utile qu’un établissement conserve des lits vides, qui pourraient servir à l’accueil d’aînés dans un autre établissement.
A.20.5. Dans leurs mémoires complémentaires, les deux parties s’accordent sur l’analyse selon laquelle il résulte d’une lecture systémique de l’ordonnance du 24 avril 2008, telle qu’elle a été modifiée par l’ordonnance du 15 décembre 2022, que l’expiration d’office de l’agrément de la moitié des places inoccupées implique, indirectement mais certainement, la réduction du nombre de places sur lequel porte l’ASMESE de l’établissement concerné.
A.20.6. Dans leurs mémoires complémentaires, les deux parties s’accordent également sur le fait que l’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008, dans sa version résultant de sa modification par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, n’a produit aucun effet juridique, si ce n’est celui d’exister, avant son remplacement par l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé, d’aide aux personnes et de prestations familiales ». L’expiration d’office de la moitié des places inoccupées n’a effectivement été constatée par Iriscare que le 22 avril 2024, avec effet au 15 avril 2024, en application de la nouvelle version de l’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. L’ordonnance de la Commission communautaire commune du 15 décembre 2022
« modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-après : l’ordonnance du 15 décembre 2022), dont les articles 5, 9°, 9, c), 10, b) et d), 18, 27, 28 et 40 sont attaqués, modifie l’ordonnance, précitée, de la Commission communautaire commune du 24 avril 2008. Elle en modifie également
11
l’intitulé : il s’agit désormais de l’ordonnance « relative aux établissements pour aînés » (ci-
après : l’ordonnance du 24 avril 2008).
B.2. L’ordonnance du 24 avril 2008 organise le secteur des établissements pour aînés situés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leur organisation, ne relèvent pas de la compétence de la Communauté française ou de la Communauté flamande.
Aux termes de l’article 2, 4°, de cette ordonnance, il faut entendre par « établissements pour aînés » les habitations pour aînés (article 2, 4°, a)), les résidences-services et complexes résidentiels proposant des services (article 2, 4°, b)), les maisons de repos, en ce compris les places en maisons de repos et de soins (article 2, 4°, c)), les centres de soins de jour (article 2, 4°, d)), les centres d’accueil de jour et de nuit (article 2, 4°, e) et g)), ainsi que les places de court séjour (article 2, 4°, f)).
B.3.1. L’article 4 de l’ordonnance du 24 avril 2008 habilite le Collège réuni de la Commission communautaire commune (ci-après : le Collège réuni) à arrêter une programmation de tout ou partie des établissements pour aînés, à l’exception des résidences-
services et des complexes résidentiels proposant des services régis par la copropriété forcée.
Cette programmation vise à maîtriser l’évolution de l’offre d’accueil, d’hébergement ou de soins aux aînés en fonction de l’évolution des besoins de la population bruxelloise (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2006-2007, B-102/1, p. 4).
B.3.2. Le Collège réuni n’a jusqu’ici pas adopté de programmation en vertu de l’article 4
précité. L’article 31 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été remplacé par l’article 34
de l’ordonnance du 15 décembre 2022, permet au Collège réuni, dans l’attente d’une programmation définitive, de fixer, par catégorie d’établissements pour aînés qui peuvent faire l’objet d’une programmation en vertu de l’article 4 précité, le nombre maximal de places pouvant bénéficier d’une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation (ci-après :
ASMESE). En vertu du même article 31 de l’ordonnance du 24 avril 2008, le Collège réuni doit en tout cas fixer le nombre maximal de places en maisons de repos, en ce compris celles qui bénéficient d’un agrément spécial pour la prise en charge des aînés fortement dépendants et nécessitant des soins, et de places en centre de soins de jour qui peuvent bénéficier d’une ASMESE. Cette possibilité de limiter le nombre de places pouvant bénéficier d’une ASMESE
12
est qualifiée de « programmation transitoire » et constitue une innovation de l’ordonnance du 15 décembre 2022.
Par son arrêté du 28 mars 2024 « modifiant l’arrêté du Collège réuni du 4 juin 2009 fixant les procédures de programmation et d’agrément des établissements pour aînés et fixant l’entrée en vigueur de certaines dispositions de l’ordonnance du 15 décembre 2022 modifiant l’ordonnance du 24 avril 2008 relative aux établissements d’accueil ou d’hébergement pour personnes âgées » (ci-après : l’arrêté du 28 mars 2024), le Collège réuni a arrêté une programmation transitoire, limitant le nombre de places en maisons de repos à 12 060
(article 1er/1 de l’arrêté du Collège réuni de la Commission communautaire commune du 4 juin 2009 « fixant les procédures de programmation et d’agrément des établissements pour aînés »
(ci-après : l’arrêté du 4 juin 2009), tel qu’il a été inséré par l’article 3 de l’arrêté du 28 mars 2024).
B.3.3. Avant l’adoption de l’ordonnance du 15 décembre 2022, le Collège réuni pouvait, en vertu de l’article 32 de l’ordonnance du 24 avril 2008, abrogé par l’article 35 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, accorder des ASMESE en dehors de toute programmation, si ces dernières étaient compatibles avec les protocoles d’accord conclus avec l’autorité fédérale, laquelle était, jusqu’à la sixième réforme de l’État, compétente en matière de règles de base de la programmation en vertu de l’article 5, § 1er, I, 1°, c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).
B.4.1. Le régime des ASMESE est réglé par les articles 6 à 8 de l’ordonnance du 24 avril 2008. Pour pouvoir mettre en service ou exploiter un établissement pour aînés (ou une extension de la capacité d’accueil d’un tel établissement) relevant d’une catégorie pour laquelle le Collège réuni a adopté une programmation définitive ou transitoire (par application de l’article 31 de l’ordonnance du 24 avril 2008), le gestionnaire d’un établissement pour aînés doit obtenir l’autorisation du Collège réuni. Cette autorisation, qui signifie qu’un projet s’insère dans la programmation – définitive ou transitoire –, est qualifiée d’ASMESE (article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008).
B.4.2. L’ASMESE doit fixer le nombre de places pour lequel elle est accordée (article 7, § 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008). Elle perd par ailleurs de plein droit ses effets si, dans
13
les cinq ans de son obtention, le gestionnaire de l’établissement n’introduit pas une demande d’agrément (article 7, § 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008).
B.4.3. En principe, l’ASMESE ne peut pas être cédée, que ce soit à titre gratuit ou onéreux (article 7, § 3, alinéa 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008). Toutefois, le Collège réuni peut autoriser la cession d’une ASMESE, uniquement en cas de changement de gestionnaire de l’établissement auquel elle se rapporte et pour autant qu’elle soit concrétisée sur le même site et dans les mêmes conditions et délais que ceux déterminés lors de l’octroi de cette autorisation (article 7, § 3, alinéa 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008). L’article 10, d), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 permet au Collège réuni de refuser la cession d’ASMESE, même dans les conditions précitées, notamment si la cession revêt un caractère onéreux ou si elle ne s’inscrit pas dans le cadre de la programmation.
B.4.4. En vertu de l’article 7, § 3/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008, l’ASMESE peut, sur demande du gestionnaire, en tout ou en partie, être reconvertie en ASMESE ou agrément d’un autre type d’établissement pour aînés.
B.4.5. Enfin, l’article 7, § 4, de l’ordonnance du 24 avril 2008 prévoit que le Collège réuni peut supprimer ou diminuer le nombre de lits ou places autorisés dans le cadre d’une ASMESE
dans la mesure où ces lits ou places sont structurellement inoccupés durant trois années consécutives après leur mise en service ou exploitation.
B.5.1. Après l’obtention d’une ASMESE, aucun établissement pour aînés ne peut être mis en service ou offrir des services sans avoir été préalablement agréé par le Collège réuni ou sans avoir obtenu une autorisation de fonctionnement provisoire, comme le prévoit l’article 11, § 1er, alinéa 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008.
B.5.2. L’agrément est accordé à un établissement pour aînés par le Collège réuni pour une durée indéterminée (article 11, § 1er, alinéa 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008). La décision d’agrément indique le nombre maximal d’aînés pouvant être accueillis dans l’établissement et donc le nombre maximal de places sur lesquelles elle porte (article 11, § 1er, alinéa 3, de l’ordonnance du 24 avril 2008). Pour être agréé, un établissement pour aînés doit être conforme
14
aux normes arrêtées tant par les autorités fédérales compétentes que par le Collège réuni (article 11, § 1er, alinéa 4, de l’ordonnance du 24 avril 2008). Ces normes d’agrément sont détaillées, par catégorie d’établissement, dans l’arrêté du Collège réuni de la Commission communautaire commune du 18 janvier 2024 « fixant les normes d’agrément auxquelles doivent répondre les établissements pour aînés, et les normes spéciales applicables aux groupements et fusions d’établissements ».
B.5.3. L’autorisation de fonctionnement provisoire est accordée par le Collège réuni (article 13 de l’ordonnance du 24 avril 2008). Elle peut être octroyée aux établissements disposant d’une ASMESE, pour une période d’un an, renouvelable une fois. Comme l’agrément, elle fixe le nombre maximal d’aînés pouvant être hébergés ou accueillis dans l’établissement. Lorsqu’une demande d’agrément est en cours alors que l’autorisation de fonctionnement provisoire expire, cette dernière peut être prorogée par le Collège réuni (article 14 de l’ordonnance du 24 avril 2008).
B.5.4. Il résulte des dispositions précitées que la procédure permettant la mise en service et l’exploitation d’un établissement pour aînés relevant d’une catégorie soumise à programmation se déroule comme suit : le gestionnaire souhaitant exploiter un établissement doit solliciter une ASMESE, qui vise à vérifier que son projet est compatible avec la programmation (définitive ou transitoire) arrêtée par le Collège réuni. Lorsque l’ASMESE est octroyée, le gestionnaire doit demander l’agrément de son établissement. Dans un premier temps, il bénéficie d’une autorisation de fonctionnement provisoire. Durant cette phase de fonctionnement temporaire, s’il apparaît que l’établissement fonctionne conformément aux règles d’agrément, le Collège réuni lui octroie un agrément à durée indéterminée.
B.6.1. Avant son abrogation par l’article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, lequel est entré en vigueur le 11 avril 2024, l’article 6, alinéa 2, ancien, de l’ordonnance du 24 avril 2008 permettait au Collège réuni de déterminer les conditions dans lesquelles des lits et places pouvaient être cédés entre établissements du même type.
B.6.2. Avant son abrogation par l’article 5 de l’arrêté du 28 mars 2024, l’article 4 de l’arrêté du 4 juin 2009 encadrait cette cession de lits ou de places, qui pouvait se faire à titre
15
onéreux uniquement si le cédant avait acquis lesdites places à titre onéreux. La cession consistait plus précisément en une fermeture, dans l’établissement cédant, d’un certain nombre de places, dont les ASMESE expiraient donc, et en une demande de nouvelles ASMESE, introduite par l’établissement bénéficiant de la cession, portant sur un nombre de places équivalent.
B.7.1. Il ressort de l’exposé des motifs de l’ordonnance du 15 décembre 2022 que celle-ci poursuit explicitement trois objectifs. Premièrement, le législateur ordonnanciel entend tenir compte de la création de l’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales (Iriscare) par l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 23 mars 2017 « portant création de l’Office bicommunautaire de la santé, de l’aide aux personnes et des prestations familiales ». Deuxièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022
apporte à l’ordonnance du 24 avril 2008 des corrections techniques et urgentes. Troisièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 modifie le régime des autorisations spécifiques de mise en service et d’exploitation « pour remédier aux dysfonctionnements du régime actuel [...] et tendre vers une meilleure réponse aux besoins des aînés à Bruxelles [...] dans l’attente d’une réforme de plus grande envergure » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 2).
Il se déduit encore des travaux préparatoires que l’ordonnance du 15 décembre 2022
poursuit également d’autres objectifs : plus spécifiquement, le législateur ordonnanciel entend garantir le libre choix des aînés en assurant l’accessibilité des établissements, tant en termes financiers qu’en termes de répartition des lits (ibid., p. 3), et vise aussi à réformer le régime des établissements pour aînés afin de maîtriser son incidence budgétaire (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/2, p. 8).
B.7.2. À propos des dysfonctionnements du régime des ASMESE, les travaux préparatoires mentionnent :
« Le régime actuel des ASMESE est source d’inadéquation entre l’offre d’établissements pour aînés et les besoins des aînés, d’une part, et comporte un risque de dépassement budgétaire, d’autre part.
16
La programmation des établissements pour aînés constitue la pierre angulaire de l’ordonnance du 24 avril 2008. Or, il faut constater que, depuis treize ans, aucune programmation n’a encore été élaborée par le Collège réuni. Les ASMESE ont ainsi été octroyées en dehors du cadre de toute programmation, de sorte qu’au fil des années, s’est formé un important surplus de places qui bénéficient d’une ASMESE mais qui ne sont pas exploitées dans le cadre d’un agrément ou d’une autorisation de fonctionnement provisoire » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 2).
B.8.1. Pour remédier à l’excédent des places dans les établissements pour aînés qui ne sont pas exploitées dans le cadre d’un agrément ou d’une autorisation de fonctionnement provisoire bien qu’elles soient couvertes par une ASMESE, mais aussi pour tendre vers une meilleure réponse aux besoins des aînés, ainsi que pour assurer la maîtrise du budget, l’ordonnance du 15 décembre 2022 instaure trois mesures.
B.8.2. Premièrement, comme il est dit en B.3.2, le Collège réuni est habilité à fixer une programmation transitoire, dans l’attente de la programmation visée à l’article 4 de l’ordonnance du 24 avril 2008, ce qu’il a fait en adoptant l’arrêté du 28 mars 2024.
Ainsi, l’article 31 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été remplacé par l’article 34
de l’ordonnance du 15 décembre 2022, dispose :
« Dans l’attente d’une programmation arrêtée conformément au chapitre II, le Collège réuni peut fixer, par catégorie d’établissements pour aînés, le nombre maximal de places pouvant bénéficier d’une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation à l’échelle du territoire de Bruxelles-Capitale. Le Collège réuni fixe en tout cas le nombre maximal de places de maisons de repos, en ce compris celles qui bénéficient d’un agrément spécial pour la prise en charge des aînés fortement dépendants et nécessitant des soins, et de centre de soins de jour qui peuvent bénéficier d’une autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation à l’échelle du territoire de Bruxelles-Capitale ».
La programmation transitoire vise à neutraliser le risque de dépassement budgétaire car « tant que le nombre de places qui bénéficient d’une ASMESE restera supérieur au nombre de places prévues dans la programmation transitoire, aucune nouvelle ASMESE ne sera octroyée »
(ibid., p. 4).
B.8.3. Deuxièmement, l’ordonnance du 15 décembre 2022 introduit des critères qualitatifs pour l’octroi des ASMESE (article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été inséré par l’article 10, b), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022), qui permettent
17
d’accroître le contrôle du Collège réuni et d’Iriscare sur la qualité des projets d’ouverture ou d’extension d’établissements pour aînés (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 4). Parmi ces critères figure celui du secteur d’appartenance du gestionnaire de l’établissement pour aînés.
L’article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril 2008 précité dispose :
« Le Collège réuni arrête, sur avis du Conseil de gestion, des modalités supplémentaires de la procédure d’octroi de l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation. Il arrête notamment, sur avis du Conseil de gestion, les critères applicables pour l’octroi de l’autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation.
Les critères visés à l’alinéa 1er portent notamment sur :
1° l’accessibilité financière de l’établissement;
2° la volonté de l’établissement de s’inscrire dans une offre diversifiée de services et de collaborer avec les services existants dans un secteur géographique donné afin d’assurer une continuité de l’aide et des soins aux aînés;
3° l’adéquation du projet de vie d’établissement avec le public bénéficiaire concerné;
4° la participation des aînés, des aidants proches et du personnel à l’organisation de la vie et des soins au sein de l’établissement;
5° le taux d’encadrement de l’établissement en personnel d’entretien, d’aide et de soins;
6° la bonne gestion administrative et financière de l’établissement;
7° la qualité architecturale du projet en ce compris sa structuration en petites unités de vie, son implantation et les moyens mis en œuvre pour contribuer au développement durable;
8° la capacité d’hébergement maximale de l’établissement;
9° la répartition équilibrée de la capacité des établissements sur le territoire de Bruxelles-
Capitale;
10° le secteur d’appartenance du gestionnaire, en vue d’assurer une répartition équilibrée de la capacité des établissements entre le secteur public, le secteur privé à but non lucratif et le secteur privé à but lucratif. En vue de garantir la liberté de choix des aînés entre établissements appartenant aux différents secteurs, et l’accès à des établissements abordables et accessibles,
18
aucune autorisation pour l’exploitation de places de maisons de repos ne sera octroyée aux établissements appartenant au secteur privé à but lucratif, tant que ce secteur représente une part de plus de 50 % du total des places qui sont agréées en tant que places de maison de repos en vertu de la présente ordonnance ou de ses arrêtés d’exécution, en ce compris les places de maisons de repos qui bénéficient d’une autorisation de fonctionnement provisoire. Sans préjudice du principe précédent, le Collège réuni détermine ce qu’il convient d’entendre par ‘ répartition équilibrée ’.
Le Collège réuni peut fixer les modalités des critères visés à l’alinéa précédent, dont la pondération ».
Il s’ensuit que les établissements du « secteur privé à but lucratif » se voient refuser toute nouvelle ASMESE qui porterait sur l’exploitation de places de maisons de repos tant que ce secteur représente plus de 50 % du total des places qui sont agréées en tant que places de maisons de repos, en ce compris celles qui bénéficient d’une autorisation de fonctionnement provisoire.
Le « secteur privé à but lucratif » regroupe les « établissements dont le gestionnaire est soit constitué sous la forme d’une personne morale à but lucratif, soit soumis au contrôle d’une société au sens de l’article I:14, § 1er, du Code des sociétés et des associations tout en étant constitué sous la forme d’une personne morale à but non lucratif. Le Collège réuni peut déterminer ce qu’il faut entendre par ‘ soumis au contrôle de ’ [...] » (article 2, 15°, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été inséré par l’article 5, 9°, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022).
Les travaux préparatoires mentionnent :
« Aujourd’hui, sur le territoire de Bruxelles-Capitale, l’équilibre des places agréées de maisons de repos entre les secteurs est absent, avec une prépondérance de 65 % pour le secteur marchand, contre 20 % pour le secteur public et 15 % pour le secteur privé non-marchand.
Ce déséquilibre a un impact sur la nature de la prestations [sic] de services aux aînés, et peut entraver le choix des personnes qui souhaitent trouver un établissement public ou un établissement à but non lucratif à proximité de leur lieu de résidence » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 10).
B.8.4. Troisièmement, pour renforcer le contrôle que le Collège réuni et Iriscare exercent par l’application des critères qualitatifs visés à l’article 7, § 1er/1, de l’ordonnance du 24 avril
19
2008 aux ASMESE, l’ordonnance du 15 décembre 2022 supprime la possibilité de céder, entre établissements du même type, des lits ou des places autorisés (article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui abroge l’alinéa 2, ancien, de l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008).
Il ressort en effet des travaux préparatoires :
« Pour s’assurer que les ASMESE seront à l’avenir octroyées conformément aux critères qualitatifs prévus par le nouvel article 7, § 1er/1 en projet, cet article met fin aux possibilités de cessions de lits (ou places) autorisés ou agréés entre gestionnaires.
En autorisant, dans les conditions fixées par le Collège réuni, la cession de lits ou de places entre établissements du même type, l’article 6, alinéa 2, de l’ordonnance du 24 avril 2008 avait, en réalité, créé un ‘ marché ’ des ‘ lits autorisés ou agréés ’, en particulier depuis l’instauration du moratoire sur les ASMESE et agréments de lits MRPA et MRS.
Étant donné que l’ordonnance ‘ moratoire ’ empêchait l’octroi de nouvelles ASMESE (et de nouveaux agréments), les gestionnaires qui souhaitaient développer un nouveau projet de MRPA(-MRS) devaient, lors de l’introduction de leur demande d’ASMESE, pouvoir démontrer que le nombre de lits autorisés demandés correspondait à une réduction d’autant de lits autorisés dans le chef d’un autre gestionnaire.
Malgré le fait que l’ASMESE ne pouvait pas être cédée en tant que telle (c’est-à-dire en tant qu’autorisation ministérielle), l’opération de cession de places – généralement conclues à titre onéreux, sous la condition suspensive d’obtention d’une ASMESE par le gestionnaire cessionnaire – portait ainsi de facto sur ces ‘ lits autorisés ’ ou autorisations.
Les ‘ lits agréés ’ pouvaient faire l’objet d’une opération analogue, étant entendu que l’opération de cession ne pouvait jamais porter sur l’agrément lui-même, dans la mesure où
l’agrément n’est pas un droit réel mais une autorisation administrative » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, pp. 8-9).
B.9. Parallèlement aux trois mesures décrites en B.8.2 à B.8.4, l’ordonnance du 15 décembre 2022 introduit plusieurs autres mesures, parmi lesquelles celle qui consiste en l’expiration de plein droit de l’agrément de la moitié des places agréées mais inoccupées, pour autant que certaines conditions soient remplies.
Concrètement, pour favoriser le développement de projets qui répondent davantage aux besoins des aînés (ibid., p. 13), l’article 15, § 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008, dans la
20
version résultant de son remplacement par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, prévoyait que, lorsqu’un établissement pour aînés, hormis les centres de soins de jour, a un taux d’inoccupation moyen annuel de ses places agréées supérieur à zéro sur une période de référence, les agréments de la moitié des places inoccupées expirent de plein droit. Toutefois, un établissement peut disposer de places inoccupées à hauteur de 5 % de ses places agréées, avec un minimum de trois places agréées inoccupées.
Cette disposition a toutefois été remplacée par l’article 10 de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 22 décembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé, d’aide aux personnes et de prestations familiales » (ci-après :
l’ordonnance du 22 décembre 2023). Cette disposition reproduit le mécanisme d’expiration de plein droit de la moitié des places agréées inoccupées lorsqu’un établissement a un taux moyen annuel d’inoccupation de ses places agréées supérieur à zéro sur une période de référence, mais introduit une dérogation supplémentaire : le nombre des agréments qui expirent de plein droit ne peut être supérieur au nombre moyen de places inoccupées durant le dernier trimestre de l’année précédente.
B.10.1. Afin d’assurer le contrôle du respect des règles fixées par ou en vertu de l’ordonnance du 24 avril 2008, telle qu’elle a été modifiée par l’ordonnance du 15 décembre 2022, les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 24 avril 2008, qui organisent le contrôle des établissements pour aînés, ont été modifiés par les articles 27 et 28, attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022.
B.10.2. L’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, dispose :
« Les agents d’Iriscare désignés par le Collège réuni pour le contrôle des établissements sont chargés de contrôler le respect des règles fixées par ou en vertu de la présente ordonnance.
Ce contrôle comporte notamment le droit de visiter, à tout moment, dans le respect de l’inviolabilité du domicile, tout lieu ou établissement, quelle qu’en soit la dénomination, présenté comme spécialement destiné au logement ou à l’accueil des aînés, fût-ce à titre provisoire, précaire ou gratuit, et de prendre connaissance, sans déplacement, de l’ensemble des pièces et documents ».
21
B.10.3. Avant sa modification par l’article 27 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, l’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008 disposait :
« Le Collège réuni désigne les fonctionnaires des Services du Collège réuni, statutaires ou contractuels, chargés de la surveillance de l’application des dispositions de la présente ordonnance et des arrêtés pris en exécution de celle-ci. Ces fonctionnaires ont la qualité d’officier de police judiciaire. Ils prêtent serment entre les mains du président du tribunal de première instance de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, en énonçant la formule suivante :
‘ Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge. ’
Cette surveillance comporte notamment le droit de visiter, à tout moment, dans le respect de l’inviolabilité du domicile, tout lieu ou établissement, quelle qu’en soit la dénomination, présenté comme spécialement destiné au logement ou à l’accueil des personnes âgées, fût-ce à titre provisoire, précaire ou gratuit, et de prendre connaissance, sans déplacement, de l’ensemble des pièces et documents.
A peine de nullité des constats effectués et sans préjudice des dispositions sanctionnant l’inviolabilité du domicile, les fonctionnaires de l’Administration n’ont accès aux locaux constitutifs du domicile d’une personne âgée sans le consentement de celle-ci qu’en vertu d’une autorisation du juge du tribunal de police ou de son suppléant ou, en cas d’extrême urgence, lorsque l’assistance à une personne en danger le requiert ».
Il résulte de la modification de cette disposition opérée par l’article 27, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 que les agents chargés du contrôle des établissements pour aînés ne doivent plus être des officiers de police judiciaire. Il n’est par ailleurs plus explicitement prévu qu’ils ne peuvent avoir accès au domicile des aînés que moyennant leur consentement, sauf à obtenir l’autorisation du juge du tribunal de police.
Il ressort des travaux préparatoires que la suppression de l’exigence de la qualité d’officier de police judiciaire « vise à régler une difficulté pratique dans la mesure où aucun inspecteur des Services du Collège réuni n’a jamais pu obtenir cette qualité auprès du président du tribunal de première instance de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles » (ibid., pp. 17-18).
B.10.4. L’article 28, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 remplace l’article 28
de l’ordonnance du 24 avril 2008. Cette disposition fixe les missions des agents chargés du contrôle des établissements pour aînés et leur attribue certains pouvoirs d’enquête. En vertu de cette disposition, les agents d’Iriscare peuvent recourir à l’assistance de la force publique. Elle
22
prévoit également que le rapport rédigé par les agents de contrôle fait foi jusqu’à preuve du contraire.
L’article 28 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 28, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, a par la suite été modifié, quant aux modalités procédurales relatives à l’établissement du rapport des agents d’Iriscare, par l’article 17 de l’ordonnance du 22 décembre 2023.
B.11. Enfin, l’article 40, alinéa 1er, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, qui a été publiée au Moniteur belge le 30 janvier 2023, fixe l’entrée en vigueur de l’ordonnance au 1er janvier 2023.
L’article 40, alinéa 2, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, tel qu’il a été modifié par l’article 22 de l’ordonnance du 22 décembre 2023, dispose toutefois que les articles 9, c), 10, b), et 36 de l’ordonnance entrent en vigueur à une date fixée par le Collège réuni. En vertu des articles 8 et 10 de l’arrêté du 28 mars 2024, ces trois dispositions sont entrées en vigueur le 11 avril 2024.
L’article 40, alinéa 3, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, tel qu’il a été inséré par l’article 22, 2°, de l’ordonnance du 22 décembre 2023, prévoit que l’article 35 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 est entré en vigueur le 1er mars 2024.
Il en résulte que l’ordonnance du 15 décembre 2022 a produit ses effets le 1er janvier 2023, à l’exception de ses articles 9, c), 10, b), et 36, qui ont produit leurs effets le 11 avril 2024, et de son article 35, qui a produit ses effets le 1er mars 2024.
23
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen (règles répartitrices de compétences)
B.12.1. Le premier moyen est pris de la violation des articles 74 et 143 de la Constitution, ainsi que des articles 60, alinéa 4, 63, alinéa 1er, et 68, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989).
B.12.2. Le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation des articles 74 de la Constitution et 68, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, dont la Cour n’est pas habilitée à contrôler directement le respect.
B.13. Dans la première branche du premier moyen, la partie requérante fait valoir que l’article 5, 9°, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 viole les règles répartitrices de compétences, en ce que cette disposition insère une définition des « secteur public », « secteur privé à but non lucratif » et « secteur privé à but lucratif » dont relèvent les établissements pour aînés, alors que la réglementation du droit des sociétés et des associations est une compétence de l’autorité fédérale.
B.14.1. L’article 5, § 1er, I, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 inclut dans les matières personnalisables visées à l’article 128, § 1er, de la Constitution et attribue aux communautés « la politique de dispensation de soins dans les institutions pour personnes âgées, en ce compris les services de gériatrie isolés ».
Quant à l’article 5, § 1er, II, 5°, de la même loi spéciale, il attribue aux communautés :
« La politique du troisième âge à l’exception de la fixation du montant minimum, des conditions d’octroi et du financement du revenu légalement garanti aux personnes âgées ».
En vertu des articles 135 de la Constitution et 63, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, le Collège réuni et l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune
24
exercent, sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, les compétences visées à l’article 5
de la loi spéciale du 8 août 1980.
Sur ce territoire, le Collège réuni et l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune exercent donc les compétences en matière de dispensation des soins et de politique du troisième âge. Les Communautés flamande et française n’en demeurent pas moins compétentes pour les institutions qui, en raison de leur organisation, relèvent exclusivement de leurs compétences respectives (article 128, § 2, de la Constitution).
B.14.2. En vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980, l’autorité fédérale est seule compétente pour le droit commercial et le droit des sociétés.
L’article 5, 9°, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’a pas pour objet de régler la matière du droit commercial et des sociétés. En prévoyant une définition des « secteur public », « secteur privé à but non lucratif » et « secteur privé à but lucratif » dont relèvent les établissements pour aînés, le législateur ordonnanciel ne fait que préciser, pour l’application de l’ordonnance du 24 avril 2008, le sens à attribuer aux termes et catégories employés, et ce dans le cadre de l’exercice de sa compétence en matière de dispensation de soins et de politique du troisième âge.
Cette disposition n’a pas pour effet de modifier le champ d’application de la législation fédérale en matière de droit commercial et de droit des sociétés.
Les définitions contestées, lesquelles n’ont vocation à s’appliquer que dans le champ d’application limité de l’ordonnance du 24 avril 2008, ne rendent pas impossible ou exagérément difficile l’exercice par l’autorité fédérale de sa compétence en matière de droit des sociétés et des associations.
Le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.15.1. Dans la seconde branche du premier moyen, la partie requérante fait valoir que les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 violent les règles répartitrices de
25
compétences, en ce qu’il ne reviendrait qu’à l’autorité fédérale d’attribuer des pouvoirs d’enquête étendus à des fonctionnaires qui ne sont pas officiers de police judiciaire.
B.15.2. Le Constituant et le législateur spécial, pour autant qu’ils n’en aient pas disposé autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d’édicter les règles propres aux matières qui leur ont été attribuées en faisant usage, le cas échéant, de la compétence que leur confère l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
La compétence que l’article 63, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 attribue au Collège réuni et à l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune en matière de dispensation de soins dans les institutions pour personnes âgées et de politique du troisième âge implique qu’ils puissent prendre toutes les mesures propres à leur permettre d’exercer ces compétences dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale à l’égard des institutions qui ne relèvent pas de la compétence de la Communauté française ou de la Communauté flamande.
Les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 visent à assurer le contrôle par Iriscare du respect par les établissements pour aînés des dispositions de l’ordonnance du 24 avril 2008. Ils permettent au Collège réuni et à l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune d’exercer leur compétence en matière de dispensation de soins et de politique du troisième âge.
En vertu de l’article 28, § 1er, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 28, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, les agents compétents peuvent, dans l’exercice de leur mission :
« 1° procéder à tout examen, contrôle, enquête et recueillir toute information nécessaire à la réalisation des missions qui leur incombent, notamment :
a) interroger toute personne sur tout fait dont la connaissance est utile à l’exercice du contrôle;
b) se faire produire ou rechercher tout document nécessaire à l'accomplissement de leur mission, en prendre copie ou l’emporter contre récépissé;
26
2° recourir à l’assistance de la force publique ».
Étant donné que les agents compétents ne sont pas des officiers de police judiciaire, ils peuvent uniquement procéder à des enquêtes administratives. Les dispositions attaquées ne portent pas atteinte aux compétences de l’autorité fédérale en matière pénale.
Le premier moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen (droit au respect de la vie privée et inviolabilité du domicile)
B.16. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 15 et 22 de la Constitution. La partie requérante estime qu’en supprimant un certain nombre de garanties qui encadrent le contrôle des établissements pour aînés, les articles 27 et 28 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 portent atteinte au droit au respect de la vie privée des aînés, ainsi qu’à l’inviolabilité de leur domicile. En effet, ces dispositions permettraient désormais aux agents d’Iriscare, qui ne sont plus soumis à l’exigence d’être fonctionnaires statutaires et agents de police judiciaire, de procéder à des contrôles impliquant la visite des domiciles des résidents des établissements pour aînés sans que leur consentement soit explicitement requis.
B.17.1. L’article 15 de la Constitution dispose :
« Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ».
L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
27
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
B.17.2. Le droit au respect de la vie privée et familiale a pour objet essentiel de protéger les personnes contre les immixtions dans leur intimité, leur vie familiale, leur domicile ou leur correspondance. La proposition qui a précédé l’adoption de l’article 22 de la Constitution insistait sur « la protection de la personne, la reconnaissance de son identité, l’importance de son épanouissement et celui de sa famille » et elle soulignait la nécessité de protéger la vie privée et familiale « des risques d’ingérence que peuvent constituer, notamment par le biais de la modernisation constante des techniques de l’information, les mesures d’investigation, d’enquête et de contrôle menés par les pouvoirs publics et organismes privés, dans l’accomplissement de leurs fonctions ou de leurs activités » (Doc. parl., Sénat, 1991-1992, n° 100-4/2°, p. 3).
Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.17.3. L’article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’excluent pas une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, mais ils exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu’elle corresponde à un besoin social
28
impérieux dans une société démocratique et qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitime qu’elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l’obligation positive, pour l’autorité publique, de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon e.a.
c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:1994:1027JUD001853591, § 31; grande chambre, 12 octobre 2013, Söderman c. Suède, ECLI:CE:ECHR:2013:1112JUD000578608, § 78).
B.17.4. Le législateur ordonnanciel, lorsqu’il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l’autorité publique dans la vie privée, jouit d’une marge d’appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, ECLI:CE:ECHR:1994:0526JUD001696990, § 49; 27 octobre 1994, Kroon e.a. c. Pays-Bas, précité, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2005:0602JUD007778501, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2005:1124JUD007482601, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, ECLI:CE:ECHR:2007:1220JUD002389002, §§ 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2014:0225JUD001254706, § 33). Cette marge d’appréciation du législateur ordonnanciel n’est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle légale est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur ordonnanciel a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause.
B.18. L’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 27, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, prévoit que le droit de visiter à tout moment tout lieu ou établissement présenté comme spécialement destiné au logement ou à l’accueil des aînés se fait « dans le respect de l’inviolabilité du domicile ». Il en résulte que les agents d’Iriscare ne peuvent pas procéder à une telle visite sans le consentement des résidents de l’établissement pour aînés.
Le droit au respect du domicile concerne non seulement les domiciles privés, mais s’applique également aux locaux utilisés à des fins professionnelles ou commerciales (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, ECLI:CE:ECHR:2013:0314JUD002411708, § 104; 27 septembre 2005, Petri Sallinen e.a.
c. Finlande, ECLI:CE:ECHR:2005:0927JUD005088299, § 70; 28 avril 2005, Buck
29
c. Allemagne, ECLI:CE:ECHR:2005:0428JUD004160498, § 31; 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, ECLI:CE:ECHR:1992:1216JUD001371088, §§ 30-31). Il s’ensuit que les agents compétents ne peuvent en principe pas non plus procéder à une visite des locaux d’un établissement pour aînés qui ne sont pas affectés au logement, sans le consentement du gestionnaire de cet établissement.
B.19. L’article 28, § 1er, 2°, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 28, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, prévoit que les agents d’Iriscare peuvent, dans l’exercice de leur mission, se faire assister de la force publique. L’exposé des motifs relatif aux dispositions attaquées précise :
« Dans le cadre des contrôles qu’ils effectuent, les agents du service de contrôle d’Iriscare peuvent, si les circonstances l’exigent (ex : visite domiciliaire sans le consentement de l’intéressé), recourir à l’assistance de la force publique » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 18).
Il ne peut s’en déduire que les visites réalisées sans consentement sont autorisées. En effet, le sens d’une disposition législative ne peut être infléchi en faisant prévaloir sur le texte clair de cette disposition des déclarations qui ont précédé son adoption. Le texte de l’ordonnance dispose expressément qu’il faut avoir égard à l’inviolabilité du domicile. Une visite sans consentement est incompatible avec cette inviolabilité.
B.20. La Cour rappelle néanmoins que l’ingérence du législateur peut par ailleurs être plus importante lorsqu’il s’agit de locaux ou d’activités professionnelles ou commerciales (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, précité, § 104; 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, précité, § 31). L’accès aux locaux professionnels, sans le consentement du gestionnaire de l’établissement pour aînés, est possible, à certaines conditions, sans l’autorisation du juge.
B.21. Ainsi que la Cour l’a précédemment jugé concernant le pouvoir de visite des agents fiscaux, l’ingérence dans le droit à l’inviolabilité du domicile doit avant tout être liée à une finalité (arrêt n° 116/2017 du 12 octobre 2017, ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.116).
30
L’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 27 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, octroie aux agents compétents un pouvoir d’investigation administratif qui est lié à une finalité et ne peut être exercé qu’en vue de contrôler le respect des règles fixées par l’ordonnance du 24 avril 2008 ou en vertu de celle-ci.
B.22. En outre, en ce qui concerne le moment et l’objet du contrôle ainsi que la nature des locaux, le droit de visite doit s’exercer dans les limites indiquées dans les dispositions attaquées.
L’article 27, précité, de l’ordonnance du 24 avril 2008 permet la visite à tout moment et autorise également, à l’occasion de cette visite, à « prendre connaissance [...] de l’ensemble des pièces et documents ». La faculté donnée aux agents compétents de « recourir à l’assistance de la force publique » dans l’exercice de leur mission (article 28, § 1er, 2°, de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 28, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022) ne les autorise cependant pas à se procurer par la contrainte un accès aux locaux professionnels ou à exiger la consultation des livres, pièces et documents en question si le gestionnaire s’y oppose. Si le législateur ordonnanciel avait voulu imposer un tel droit d’investigation sans le consentement du gestionnaire, il aurait dû le prévoir expressément et il aurait dû en préciser les modalités, ce qui n’est pas le cas (voy. l’arrêt n° 116/2017, précité, B.10.2 et B.11.3).
B.23. Une fois que la visite a eu lieu, il appartient finalement au juge compétent de vérifier le respect des conditions énoncées dans les dispositions attaquées ainsi que la proportionnalité de la visite à l’aune du but poursuivi, qui consiste à rendre plus efficace le contrôle des établissements pour aînés et, partant, à garantir que ces établissements se conforment aux dispositions de l’ordonnance du 24 avril 2008, et en particulier aux normes d’agrément contenues dans son article 11. Ceci permet un contrôle judiciaire effectif de la régularité de la visite et des preuves recueillies.
B.24. Il résulte de ce qui précède que le « respect de l’inviolabilité du domicile » visé à l’article 27 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 27 de
31
l’ordonnance du 15 décembre 2022, doit se comprendre en ce sens que la visite d’un local habité d’un établissement pour aînés est uniquement possible moyennant l’accord du résident et que la visite d’un local professionnel d’un établissement pour aînés est uniquement possible moyennant l’accord du gestionnaire ou le respect des conditions énoncées en B.21 à B.23.
Sous réserve de cette interprétation, le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne les troisième et cinquième moyens (liberté d’entreprendre et libre prestation des services)
B.25. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre telle que consacrée par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. La partie requérante expose que l’article 9, c), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 supprime le droit dont jouiraient les établissements pour aînés de céder, à titre onéreux ou non, des lits ou des places entre établissements. En cela, cette disposition porterait atteinte à la liberté d’entreprendre, sans que le législateur ordonnanciel ne fasse valoir de considérations de nature à justifier cette restriction à un droit fondamental.
Combinée au refus d’octroi de nouvelles ASMESE aux maisons de repos du secteur privé à but lucratif tant que ces dernières disposent de plus de la moitié des places agréées, cette restriction à la liberté d’entreprendre serait par ailleurs discriminatoire en ce qu’elle aurait des conséquences plus dommageables pour les établissements de ce secteur que pour les établissements relevant des secteurs public et privé à but non lucratif.
B.26.1. Le cinquième moyen, en ses première, deuxième et troisième branches, est pris de la violation, respectivement par l’article 10, b), par l’article 10, d), et par l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre telle qu’elle est garantie par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
32
européenne (ci-après : le TFUE) et avec les articles 1er, 16 et 20 de la directive 2006/123/CE
du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 « relative aux services dans le marché intérieur » (ci-après : la directive 2006/123/CE).
B.26.2. Dans la première branche du cinquième moyen, la partie requérante fait valoir que l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 traite différemment les maisons de repos en fonction du secteur auquel elles appartiennent : les établissements relevant du secteur privé à but lucratif ne pourront en effet, en vertu de cette disposition, pas se voir octroyer de nouvelles ASMESE tant qu’ils représenteront une part supérieure à 50 % du total des places agréées en maison de repos, alors que ce refus d’octroi d’ASMESE ne concerne pas les établissements relevant des secteurs public et privé à but non lucratif.
B.26.3. Dans la deuxième branche du cinquième moyen, la partie requérante estime que l’article 10, d), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 impose une restriction à la liberté d’entreprendre des établissements pour aînés dans la mesure où cette disposition interdit la cession onéreuse d’ASMESE.
B.26.4. Dans la troisième branche du cinquième moyen, la partie requérante critique le fait que l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 sanctionne l’inoccupation de lits agréés en prévoyant que les agréments de la moitié des places inoccupées expirent de plein droit si l’établissement a un taux d’inoccupation annuel moyen de ses places agréées supérieur à zéro.
Combinée au refus d’octroi de nouvelles ASMESE qui s’impose aux maisons de repos relevant du secteur privé à but lucratif, cette expiration d’office serait à l’origine d’une différence de traitement entre établissements en fonction du secteur dont ils relèvent : les établissements des secteurs public et privé à but non lucratif peuvent compenser cette expiration d’office en se voyant octroyer de nouvelles ASMESE, alors que les établissements du secteur privé à but lucratif ne pourraient pas la compenser.
B.27. Les troisième et cinquième moyens étant notamment pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre, la Cour les examine ensemble.
33
En ce qui concerne le cinquième moyen, la Cour examine d’abord si les articles 1er, 16 et 20 de la directive 2006/123/CE et les articles 56 et 57 du TFUE sont applicables à la situation des établissements pour aînés relevant de la compétence de la Commission communautaire commune et situés en Région de Bruxelles-Capitale.
B.28.1. L’article 1er de la directive 2006/123/CE définit son objet, à savoir l’établissement de « dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services ».
B.28.2. L’article 16 de la même directive a trait à la libre prestation des services. Il dispose :
« 1. Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.
L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.
Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants :
a) la non-discrimination : l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies;
b) la nécessité : l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement;
c) la proportionnalité : l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
2. Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes :
a) l’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur leur territoire;
b) l’obligation pour le prestataire d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, y compris une inscription dans un registre ou auprès d’un ordre ou d’une association professionnels existant sur leur territoire, sauf dans les cas visés par la présente directive ou par d’autres instruments de la législation communautaire;
34
c) l’interdiction pour le prestataire de se doter sur leur territoire d’une certaine forme ou d’un certain type d’infrastructure, y compris d’un bureau ou d’un cabinet d’avocats, dont le prestataire a besoin pour fournir les services en question;
d) l’application d’un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de service à titre indépendant;
e) l’obligation, pour le prestataire, de posséder un document d’identité spécifique à l’exercice d’une activité de service délivré par leurs autorités compétentes.
f) les exigences affectant l’utilisation d’équipements et de matériel qui font partie intégrante de la prestation du service, à l’exception de celles nécessaires à la santé et la sécurité au travail;
g) les restrictions à la libre prestation des services visées à l’article 19.
[...] ».
B.28.3. L’article 4 de la directive 2006/123/CE définit certains termes employés dans cette directive. En particulier, il dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) ‘ service ’, toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité [lire : l’article 57 du TFUE];
2) ‘ prestataire ’, toute personne physique ressortissante d'un État membre, ou toute personne morale visée à l’article 48 du traité [lire : l’article 54 du TFUE] et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service;
[...]
4) ‘ État membre d’établissement ’, l’État membre sur le territoire duquel le prestataire du service concerné a son établissement;
5) ‘ établissement ’, l’exercice effectif d’une activité économique visée à l’article 43 du traité [lire : l’article 49 du TFUE] par le prestataire pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée;
[...]
10) ‘ État membre où le service est fourni ’, l’État membre où le service est fourni par un prestataire établi dans un autre État membre;
[...] ».
35
B.28.4. L’article 20 de la même directive a trait au principe de non-discrimination qui s’applique aux destinataires des services. Il dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que le destinataire ne soit pas soumis à des exigences discriminatoires fondées sur sa nationalité ou son lieu de résidence.
2. Les États membres veillent à ce que les conditions générales d’accès à un service, qui sont mises à la disposition du public par le prestataire, ne contiennent pas des conditions discriminatoires en raison de la nationalité ou du lieu de résidence du destinataire, sans que cela ne porte atteinte à la possibilité de prévoir des différences dans les conditions d’accès lorsque ces conditions sont directement justifiées par des critères objectifs ».
B.29.1. En vertu de l’article 4, point 5), de la directive 2006/123/CE, la notion « d’établissement » doit s’entendre, pour l’application de la même directive, comme l’exercice effectif d’une activité économique pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée.
B.29.2. Les établissements pour aînés, tels que définis par l’article 2, 4°, de l’ordonnance du 24 avril 2008, constituent des infrastructures stables à partir desquelles la fourniture de services aux aînés est réellement assurée. Par conséquent, quel que soit l’État membre dans lequel le prestataire de services qui exploite des établissements pour aînés situés dans la Région de Bruxelles-Capitale est principalement établi, ce prestataire dispose par définition d’un établissement en Belgique.
B.29.3. Il ressort du libellé de l’article 16 de la directive 2006/123/CE et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux « services fournis dans un État membre autre que celui dans lequel leur prestataire est établi, contrairement aux dispositions du chapitre III de ladite directive, relatif à la liberté d’établissement des prestataires, à savoir les articles 9 à 15 de celle-ci, qui s’appliquent pour leur part également à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre » (CJUE, 3 décembre 2020, C-62/19, Star Taxi App SRL, ECLI:EU:C:2020:980, point 73).
B.29.4. Les services fournis par les prestataires exploitant un établissement pour aînés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ne constituent donc pas des « services dans un
36
État membre autre que celui dans lequel ils sont établis » au sens de l’article 16 de la directive 2006/123/CE et échappent dès lors au champ d’application de cette disposition.
B.30. Quant à l’article 20 de la directive 2006/123/CE, son libellé est limité à l’interdiction d’exigences discriminatoires fondées sur la nationalité ou le lieu de résidence du destinataire du service. Les articles 10, b) et d), et 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne peuvent aboutir à une discrimination du destinataire du service, en l’espèce les résidents des établissements pour aînés, sur la base de leur nationalité ou de leur lieu de résidence.
B.31. Le cinquième moyen, en ses trois branches, n’est pas fondé en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 1er, 16 et 20 de la directive 2006/123/CE.
B.32.1. Les articles 56 et 57 du TFUE sont relatifs à la libre prestation des services.
L’article 56 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union ».
L’article 57 du TFUE dispose :
« Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment :
a) des activités de caractère industriel,
37
b) des activités de caractère commercial,
c) des activités artisanales,
d) les activités des professions libérales.
Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants ».
B.32.2. En principe, les dispositions du TFUE en matière de libre prestation des services ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (CJUE, 3 décembre 2020, C-62/19, précité, point 71).
B.33.1. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que la libre prestation des services consacrée par l’article 56 du TFUE couvre « toutes les prestations qui ne sont pas offertes de manière stable et continue, à partir d’un domicile professionnel dans l’État membre de destination » (CJUE, 23 février 2016, C-179/14, Commission c. Hongrie, ECLI:EU:C:2016:108, point 150). Au contraire, dès lors qu’un opérateur entend exercer, de manière effective, son activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée, sa situation doit être examinée à l’aune de la liberté d’établissement, telle que définie à l’article 49 du TFUE (CJUE, 14 novembre 2018, C-342/17, Memoria Srl, ECLI:EU:C:2018:906, point 44).
B.33.2. Pour les motifs exposés en B.29.2, les établissements pour aînés constituent des installations stables au départ desquelles les services sont effectivement fournis et ce pour une durée indéterminée. Partant, les prestataires qui exploitent des établissements pour aînés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, quel que soit l’État membre dans lequel ils sont principalement établis, disposent d’un établissement en Belgique, au sens du droit de l’Union européenne.
Il découle de ce qui précède que les mesures contenues dans les articles 10, b) et d), et 18, attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne constituent pas des restrictions à la libre prestation des services fournis par les ressortissants des États membres (ou par les personnes morales assimilées à des ressortissants de l’Union par l’article 54 du TFUE) établis dans un
38
État membre autre que celui du destinataire de la prestation et échappent donc au champ d’application des articles 56 et 57 du TFUE.
B.34. Le cinquième moyen, en ses trois branches, n’est pas fondé en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 56 et 57
du TFUE.
B.35. La Cour doit encore examiner si les articles 9, c), 10, b) et d), et 18, attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 portent atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre des gestionnaires des établissements pour aînés.
B.36.1. La loi du 28 février 2013, qui a introduit l’article II.3 du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d’Allarde des 2-17 mars 1791. Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d’industrie, a régulièrement servi de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.36.2. La liberté d’entreprendre, visée par l’article II.3 du Code de droit économique, doit s’exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d’entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l’Union européenne applicables, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, dès lors qu’il s’agit d’une règle répartitrice de compétences.
Enfin, la liberté d’entreprendre est également garantie par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B.36.3. La liberté d’entreprendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que le législateur compétent règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Celui-ci n’interviendrait de manière déraisonnable que s’il limitait la liberté
39
d’entreprendre sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
La liberté d’entreprise « doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société ». Elle peut dès lors « être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique » (CJUE, grande chambre, 22 janvier 2013, C-283/11, Sky Österreich GmbH, ECLI:EU:C:2013:28, points 45 et 46; grande chambre, 21 décembre 2016, C-201/15, AGET
Iraklis, ECLI:EU:C:2016:972, points 85 et 86).
B.37.1. La Cour doit examiner si les articles 9, c), 10, b) et d), et 18, attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 limitent la liberté d’entreprendre des gestionnaires des établissements pour aînés sans nécessité ou de manière disproportionnée au but poursuivi par le législateur ordonnanciel.
B.37.2. La Cour doit également examiner si ces dispositions traitent différemment, sans justification raisonnable, les établissements pour aînés relevant du secteur privé à but lucratif, d’une part, et les établissements relevant des secteurs public et privé à but non lucratif, d’autre part.
B.38.1. Comme il est dit en B.7.1, il ressort des travaux préparatoires que l’ordonnance du 15 décembre 2022 poursuit plusieurs objectifs. Le législateur ordonnanciel a entendu remédier aux dysfonctionnements du régime antérieur applicable aux établissements pour aînés. Le législateur ordonnanciel a d’abord voulu répondre de la manière la plus adéquate possible aux besoins des aînés et garantir leur liberté de choix, en assurant la qualité et l’accessibilité financière des établissements, leur répartition géographique et leur répartition entre les différents secteurs public, associatif et commercial. Le législateur ordonnanciel a également souhaité assurer le caractère finançable du système en limitant son incidence budgétaire et en permettant aux pouvoirs publics de récupérer la maîtrise de l’offre des places dans les établissements pour aînés.
B.38.2. Pour ce faire, le législateur ordonnanciel a mis en place un système qui peut se résumer comme suit : d’abord, la moitié des places agréées qui sont inoccupées voient leur
40
agrément expirer de plein droit, sur une base annuelle (article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022). Comme le soutiennent tant le Collège réuni que la partie requérante, l’expiration de l’agrément de la moitié des places inoccupées entraîne indirectement mais certainement la réduction, dans la même proportion, du nombre de places sur lequel porte l’ASMESE accordée à l’établissement concerné.
Cette expiration d’office permet au Collège réuni de redistribuer les places à d’autres établissements, en fonction d’une série de critères qualitatifs fixés par l’article 10, b), attaqué, de la même ordonnance. Parmi ces critères figure le secteur d’appartenance des établissements sollicitant l’octroi d’une ASMESE pour des places en maisons de repos. En outre, pour assurer que la distribution des places soit effectivement soumise aux critères arrêtés par le législateur ordonnanciel, ce dernier a prévu que la cession directe des lits et places entre établissements de même type n’est plus possible (article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022) et que la cession d’ASMESE, qui n’est possible que dans le cas d’un changement de gestionnaire d’un établissement pour aînés, peut être refusée par le Collège réuni « notamment si elle revêt un caractère onéreux » (article 10, d), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022).
B.39.1. Les objectifs spécifiques de chacune de ces dispositions peuvent se résumer comme suit.
B.39.2. L’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 prévoit l’expiration automatique, sur une base annuelle, de la moitié des agréments des places agréées inoccupées dans un établissement. Le caractère inoccupé de ces places, durant une période de référence d’un an, tend à indiquer qu’elles ne répondent pas à un besoin (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2022-2023, B-132/1, p. 13).
L’expiration des agréments, et donc indirectement des ASMESE portant sur ces places inoccupées, permet, dans le cadre d’une programmation limitant le nombre de places agréées et d’ASMESE disponibles, d’assurer la redistribution desdites places selon une série de critères, lesquels permettent de déterminer l’établissement où ces places répondront le mieux au besoin des aînés.
41
B.39.3. L’article 10, b), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 vise à déterminer les critères qualitatifs que le Collège réuni doit prendre en compte lors de la procédure d’octroi d’une ASMESE. Ces critères visent entre autres l’accessibilité financière de l’établissement, la répartition géographique des places, la taille des établissements ou l’adéquation du projet de vie de l’établissement avec le public bénéficiaire concerné. Cette disposition prévoit également qu’en ce qui concerne les places en maisons de repos, le secteur dont relève l’établissement qui demande une ASMESE est un critère à prendre en compte : tant que les établissements du secteur privé à but lucratif représenteront plus de la moitié des places agréées comme places en maisons de repos, aucune nouvelle ASMESE ne leur sera accordée. Ce dernier critère est justifié par les considérations suivantes :
« Le critère relatif à la répartition équilibrée de la capacité des établissements appartenant au secteur public, au secteur privé à but non lucratif et au secteur privé à but lucratif doit permettre d’offrir aux aînés un libre choix entre les établissements du secteur public, du secteur non-marchand et du secteur marchand, et pour rétablir l’équilibre entre les établissements des trois secteurs.
Aujourd’hui, sur le territoire de Bruxelles-Capitale, l’équilibre des places agréées de maisons de repos entre les secteurs est absent, avec une prépondérance de 65 % pour le secteur marchand, contre 20 % pour le secteur public et 15 % pour le secteur privé non-marchand.
Ce déséquilibre a un impact sur la nature de la prestations de services aux aînés, et peut entraver le choix des personnes qui souhaitent trouver un établissement public ou un établissement à but non lucratif à proximité de leur lieu de résidence.
À cet égard, l’avant-projet d’ordonnance prévoyait qu’aucune nouvelle ASMESE ne pourrait être octroyée au secteur marchand, tant que ce secteur représenterait plus de 50 % de la capacité totale de tous les établissements agréés en vertu de l’ordonnance du 24 avril 2008.
Il ressort toutefois de l’avis du Conseil de gestion de la Santé et de l’Aide aux personnes d’Iriscare du 22 février 2022 que ce dispositif avait notamment pour effet que les maisons de repos du secteur marchand se verraient privés de la possibilité d’obtenir une ASMESE
supplémentaire dite ‘ MRS ’ (pour maison de repos et de soins) sur leurs places de maison de repos qui sont occupées par des résidents présentant un profil de dépendance dit ‘ lourd ’, afin d’en améliorer le taux d’encadrement en personnel soignant et de réactivation. Pour éviter toute discrimination entre les résidents des établissements des secteurs public, privé non-marchand et marchand quant à l’encadrement auquel ils peuvent prétendre en fonction de leur profil de dépendance, le dispositif précité a été limité aux ASMESE qui portent sur des places de ‘ maisons de repos ’. Dans le dispositif tel qu’adapté suite à l’avis précité du 22 février 2022, les établissements du secteur marchand peuvent donc prétendre à la requalification de leurs places de maisons de repos en places de maisons de repos et de soins, au même titre que les établissements des secteurs public et privé non-marchand (c’est-à-dire dans le respect des
42
critères qualitatifs prévus par le nouvel article 7, § 1er/1 en projet et sous réserve de places disponibles dans la programmation (le cas échéant, la programmation transitoire)) » (ibid., pp. 10-11).
B.39.4. Avant sa modification par l’article 9 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008 disposait :
« Il est interdit de mettre en service ou d’exploiter un nouvel établissement visé à l’article 2, 4°, ou de mettre en service ou d’exploiter une extension de la capacité d’accueil ou d’hébergement d’un de ces établissements existants sans y être autorisé par le Collège réuni, si l’établissement concerné entre dans une catégorie d’établissements pour laquelle le Collège réuni a arrêté une programmation conformément au chapitre II. L’autorisation prévue à l’alinéa 1er, qui signifie qu’un projet s’insère dans la programmation, est appelée ‘ autorisation spécifique de mise en service et d’exploitation ’.
Pour l’application de l’alinéa 1er, le Collège réuni peut, de l’avis de la section, arrêter les conditions de cession de lits ou de places entre établissements du même type ».
L’article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 abroge l’alinéa 2, ancien, de l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008. Il en résulte que le Collège réuni ne peut plus autoriser les cessions directes de lits ou de places entre établissements, quelles qu’en soient les conditions. Cette disposition vise à mettre fin au « ‘ marché ’ des ‘ lits autorisés ou agréés ’ », et donc à « s’assurer que les ASMESE seront à l’avenir octroyées conformément aux critères qualitatifs prévus par le nouvel article 7, § 1er/1 » (ibid., p. 8).
B.39.5. L’article 10, d), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 prévoit qu’une ASMESE ne peut pas être cédée, sauf en cas de changement de gestionnaire de l’établissement auquel elle se rapporte. Le Collège réuni peut toutefois refuser cette cession notamment si elle présente un caractère onéreux. Cette disposition vise à éviter qu’une valeur marchande soit attribuée à l’ASMESE elle-même. Cette disposition participe donc à la récupération, par les pouvoirs publics, de la maîtrise de l’offre à destination des aînés.
B.39.6. Il découle de ce qui précède que les mesures mises en place par les articles 9, c), 10, b) et d), et 18, attaqués, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 visent à rendre la maîtrise au Collège réuni sur la répartition de l’offre des lits et places dans les établissements pour aînés
43
soumis à la programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif général de l’ordonnance de répondre aux dysfonctionnements du système antérieur afin de mieux répondre aux besoins des aînés et d’assurer leur libre choix. Les ingérences dans la liberté d’entreprendre des gestionnaires des établissements pour aînés, à les supposer établies, poursuivent donc un objectif légitime.
B.40. La Cour doit encore examiner si les mesures attaquées ne sont pas disproportionnées au but légitime poursuivi par le législateur ordonnanciel.
B.41.1. L’abrogation de l’alinéa 2, ancien, de l’article 6 de l’ordonnance du 24 avril 2008
par l’article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’a pas pour effet de rendre impossible la redistribution des lits et des places : elle ne fait obstacle qu’à leur cession directe.
Il sera par conséquent toujours possible, pour les établissements pour aînés, de se voir attribuer de nouveaux lits ou de nouvelles places agréés, s’ils en font la demande auprès du Collège réuni.
B.41.2. Cette disposition ne fait pas obstacle, de manière absolue, à l’augmentation de la capacité d’accueil des établissements pour aînés. Cette disposition ne porte pas plus atteinte à l’activité économique principale des établissements pour aînés, laquelle consiste, en fonction du type d’établissement, à accueillir, héberger ou soigner les aînés et non à vendre et acheter des places et des lits.
B.41.3. Il résulte de ce qui précède que l’article 9, c), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’impose pas de limitation disproportionnée à la liberté d’entreprendre des gestionnaires d’établissements pour aînés.
B.41.4. Certes, combinée au refus d’octroi de nouvelles ASMESE aux maisons de repos relevant du secteur privé tant que ces dernières représentent plus de la moitié du total des places agréées en maisons de repos, cette mesure pèse particulièrement sur les maisons de repos appartenant au secteur commercial.
Toutefois, la différence de traitement qui résulte de la combinaison des articles 9, c), et 10, b), est raisonnablement justifiée, dans la mesure où, d’une part, elle est limitée aux maisons de repos du secteur privé à but lucratif, à l’exclusion des autres types d’établissements pour aînés
44
relevant de ce même secteur, et où, d’autre part, elle participe de manière décisive à l’objectif de récupération par les pouvoirs publics de la maîtrise de l’offre à destination des aînés.
B.41.5. Le troisième moyen n’est pas fondé.
B.42.1. L’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 fait naître une différence de traitement entre les maisons de repos relevant du secteur privé à but lucratif, qui ne pourront plus se voir attribuer des ASMESE tant qu’elles représenteront plus de 50 % du total des places agréées comme places en maisons de repos, et les maisons de repos relevant des deux autres secteurs, lesquelles ne sont pas soumises à ce refus de nouvelles ASMESE.
Cette différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le secteur dont relèvent les maisons de repos et, partant, le fait qu’elles poursuivent ou non un but de lucre.
Le législateur ordonnanciel peut raisonnablement veiller à répartir équitablement le nombre de lits disponibles en maisons de repos. La circonstance qu’il soit prévu en l’espèce une limitation du nombre de lits disponibles pour le secteur privé à but lucratif est justifiée par les objectifs poursuivis par le législateur ordonnanciel.
Il n’est en effet pas dépourvu de justification raisonnable de pratiquer une politique qui tend notamment à la maîtrise des dépenses publiques et qui, à cette fin, décourage le développement excessif de maisons de repos poursuivant un but de lucre. De même, il n’est pas dépourvu de justification raisonnable de s’assurer que les maisons de repos du secteur privé à but lucratif ne concentrent au maximum que la moitié des places agréées et donc que les maisons de repos des secteurs public et privé sans but lucratif disposent, ensemble, de l’autre moitié des places, en vue de permettre aux aînés d’opter pour un établissement relevant du secteur de leur choix, ainsi que de leur assurer l’accessibilité financière des maisons de repos.
Eu égard à ces considérations et au fait que le refus d’attribution de nouvelles ASMESE
aux établissements du secteur privé à but lucratif tant qu’ils représentent plus de la moitié des places agréées est limité aux places en maisons de repos, à l’exclusion de tous les autres types d’établissements, la différence de traitement qui résulte de l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 est raisonnablement justifiée.
45
B.42.2. Pour les mêmes motifs, la limitation de la liberté d’entreprendre prévue par l’article 10, b), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’est pas disproportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur ordonnanciel.
B.42.3. Le cinquième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.43.1. L’interdiction de principe de la cession d’ASMESE reproduite dans l’article 10, d), attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’est pas une interdiction nouvelle : elle figurait déjà dans l’article 7, § 3, de l’ordonnance du 24 avril 2008, telle que publiée au Moniteur belge du 16 mai 2008, qui disposait :
« L’autorisation accordée ne peut être cédée sauf en cas de changement de gestionnaire de l’établissement auquel elle se rapporte et pour autant qu’elle soit concrétisée sur le même site et dans les mêmes conditions et délais ».
La législation antérieure n’est modifiée que pour permettre au Collège réuni de refuser la cession d’une ASMESE en cas de changement de gestionnaire de l’établissement auquel elle se rapporte « notamment si [la cession] revêt un caractère onéreux » (article 10, d), de l’ordonnance du 15 décembre 2022).
B.43.2. En ce qu’il ne crée aucune interdiction nouvelle et en ce qu’il offre la possibilité (et non l’obligation) au Collège réuni de refuser une cession d’ASMESE si cette dernière a un caractère onéreux, cession qui n’est possible que dans le cadre de la reprise d’un établissement par un autre gestionnaire, l’article 10, d), de l’ordonnance du 15 décembre 2022 ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre des établissements pour aînés.
B.43.3. Le cinquième moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
B.44.1. L’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008, tel qu’il a été modifié par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022, a été remplacé par l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 2023. La version de l’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008
qui est issue de sa modification par l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’a donc
46
été en vigueur et n’a pu produire des effets qu’entre le 1er janvier 2023 et l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 décembre 2023, soit le 11 janvier 2024.
B.44.2. L’unique effet que la version de l’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008 qui est issue de sa modification par l’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022
aurait pu produire réside dans l’expiration de plein droit de l’agrément, et donc de l’ASMESE, portant sur la moitié des places inoccupées de chaque établissement pour aînés soumis à une programmation, définitive ou transitoire. Cette expiration aurait dû être constatée par Iriscare le 1er janvier 2024.
Or, à cette date, aucune programmation, qu’elle soit définitive ou transitoire, n’avait été arrêtée par le Collège réuni. Iriscare n’a donc constaté l’expiration d’aucun agrément. Il ressort du mémoire complémentaire de la partie requérante qu’une telle expiration a été notifiée aux établissements pour aînés en date du 22 avril 2024, avec effet au 15 avril 2024, en application de l’article 15 de l’ordonnance du 24 avril 2008 dans sa version résultant de son remplacement par l’article 10 de l’ordonnance du 22 décembre 2023.
L’article 18, attaqué, de l’ordonnance du 15 décembre 2022 n’a donc produit aucun effet juridique avant l’entrée en vigueur de la réforme opérée par l’ordonnance du 22 décembre 2023.
B.44.3. Il résulte de ce qui précède que le recours est sans objet en ce qui concerne l’article 18 de l’ordonnance du 15 décembre 2022.
En ce qui concerne le quatrième moyen (principe général de droit de la non-rétroactivité de la loi)
B.45. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de droit de la non-rétroactivité des lois. La partie requérante allègue qu’en prévoyant l’entrée en vigueur, sauf exceptions, des dispositions de l’ordonnance du 15 décembre 2022 au 1er janvier 2023, l’article 40 de la même ordonnance rétroagit sans que cela soit justifié par des considérations d’intérêt général.
47
B.46.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.46.2. La Cour examine l’intérêt de la partie requérante au regard de chacune des dispositions attaquées.
B.47.1. La partie requérante ne démontre ni dans sa requête ni dans ses écrits de procédure en quoi sa situation ou celle de ses membres serait directement et défavorablement affectée par l’article 40 de l’ordonnance du 15 décembre 2022.
B.47.2. En ce qu’il est dirigé contre l’article 40 de l’ordonnance du 15 décembre 2022, le recours est irrecevable.
48
Par ces motifs,
la Cour,
sous réserve de l’interprétation mentionnée en B.24, rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 juillet 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul