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08/08/2024 | BELGIQUE | N°89/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 08 août 2024, 89/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 89/2024
du 8 août 2024
Numéro du rôle : 8244
En cause : la demande de suspension du décret flamand du 19 avril 2024 « relatif à la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene et portant modification de l’annexe au Décret électoral local et provincial du 8 juillet 2011 », introduite par Stijn De Ram et Hannes Gyselbrecht.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethun

e, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 89/2024
du 8 août 2024
Numéro du rôle : 8244
En cause : la demande de suspension du décret flamand du 19 avril 2024 « relatif à la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene et portant modification de l’annexe au Décret électoral local et provincial du 8 juillet 2011 », introduite par Stijn De Ram et Hannes Gyselbrecht.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 juin 2024 et parvenue au greffe le 20 juin 2024, une demande de suspension du décret flamand du 19 avril 2024
« relatif à la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene et portant modification de l’annexe au Décret électoral local et provincial du 8 juillet 2011 » (publié au Moniteur belge du 24 mai 2024 et tel que modifié par l’article 14 du décret flamand du 3 mai 2024 « modifiant divers décrets relatifs à la fusion volontaire de communes au 1er janvier 2025, en ce qui concerne la conservation de la personnalité juridique d’une des communes fusionnantes », également publié au Moniteur belge du 24 mai 2024), a été introduite par Stijn De Ram et Hannes Gyselbrecht, assistés et représentés par Me Simon Bekaert, avocat au barreau de Flandre occidentale.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l’annulation du même décret.
Par ordonnance du 26 juin 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet, a fixé l’audience pour les débats sur la demande de
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suspension au 17 juillet 2024, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 10 juillet 2024 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « greffe@const-court.be ».
Des observations écrites ont été introduites par :
- la commune de Ruiselede, assistée et représentée par Me Bart Martel et Me Quinten Jacobs, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante);
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Nathanaëlle Kiekens, Me Cilia Mathieu, Me Lieselotte Schellekens et Me Hannah Mignolet, avocates au barreau de Bruxelles.
À l’audience publique du 17 juillet 2024 :
- ont comparu :
. Me Simon Bekaert, pour les parties requérantes;
. Me Bart Martel, également loco Me Quinten Jacobs, pour la commune de Ruiselede;
. Me Cilia Mathieu, Me Lieselotte Schellekens et Me Hannah Mignolet, également loco Me Nathanaëlle Kiekens, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1.1. Les parties requérantes estiment qu’elles disposent d’un intérêt à leur demande de suspension et à leur recours en annulation. Tout d’abord, elles font valoir qu’elles disposent d’un intérêt parce qu’elles ont également introduit une demande de suspension et un recours en annulation devant le Conseil d’État contre les décisions du conseil communal de Ruiselede approuvant sur le principe, puis définitivement, la fusion volontaire avec la commune de Wingene, et parce que le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension contre la décision d’approbation définitive au motif que le préjudice ne découle pas de la décision du conseil communal mais du décret de fusion.
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A.1.2. En outre, les parties requérantes exposent que la première partie requérante dispose d’un intérêt personnel et que la seconde dispose à la fois d’un intérêt personnel et d’un intérêt fonctionnel. La première partie requérante est un habitant de Ruiselede et le co-initiateur de la consultation populaire organisée dans cette commune sur la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene, dont le résultat n’a pas été suivi. La seconde partie requérante, qui habite aussi Ruiselede, est également conseiller communal au sein de cette commune qui, selon elle, a décidé illégalement de procéder à la fusion. De surcroît, la seconde partie requérante est candidat conseiller communal aux élections du 13 octobre 2024, qui se dérouleront sur la base des circonscriptions électorales fusionnées de Ruiselede et Wingene, de sorte que ses chances de réélection sont réduites. Enfin, la fusion occasionnera un préjudice financier aux deux parties requérantes, puisque la pression fiscale est plus basse dans la commune de Ruiselede que dans celle de Wingene et que Ruiselede accorde des primes et des subsides plus nombreux et plus élevés que Wingene.
A.2. Le Gouvernement flamand et la commune de Ruiselede ne contestent pas l’intérêt des parties requérantes.
Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable
A.3. En ce qui concerne le préjudice grave difficilement réparable, les parties requérantes soutiennent que des élections communales inconstitutionnelles auront lieu. Les élections communales du 13 octobre 2024
concerneront en effet déjà la nouvelle commune de Wingene, issue de la fusion de Ruiselede et de Wingene. La fusion modifie la circonscription électorale dans laquelle la seconde partie requérante souhaite être élue et a une incidence sur le nombre de places éligibles pour le conseil communal et sur le nombre de candidats sur la liste communale.
Par ailleurs, les parties requérantes soulignent que l’arrêt relatif au recours en annulation n’aura pas encore été prononcé lors de la fusion des communes, à savoir le 1er janvier 2025. Cette fusion ne pourra plus être annulée, même si de nouvelles élections communales devaient être organisées. Les services des deux communes auront en effet déjà été fusionnés et des nominations auront eu lieu. En outre, la nouvelle commune aura déjà pris plusieurs décisions ayant des effets juridiques. En particulier, les règlements-taxes seront adaptés et des primes et subsides seront supprimés ou harmonisés.
A.4. Le Gouvernement flamand estime que les parties requérantes ne démontrent pas que le décret flamand du 19 avril 2024 « relatif à la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene et portant modification de l’annexe au Décret électoral local et provincial du 8 juillet 2011 » (ci-après : le décret du 19 avril 2024) ferait naître un préjudice grave difficilement réparable.
Le Gouvernement flamand souligne d’abord que les parties requérantes ne démontrent pas que l’incidence sur les élections communales qu’elles invoquent ferait naître un préjudice grave. Le décret du 19 avril 2024
n’affecte en effet pas le droit électoral proprement dit. Tout habitant de la nouvelle commune de Wingene autorisé à voter et à se porter candidat peut encore le faire. Un tel constat vaut aussi pour la seconde partie requérante, qui n’est en aucun cas certaine de siéger au conseil communal. En outre, le Gouvernement flamand fait valoir qu’il n’est pas démontré non plus que le préjudice allégué serait difficilement réparable. Le préjudice pourrait en effet être réparé par l’organisation de nouvelles élections dans les communes de Ruiselede et de Wingene. Une telle organisation n’entraînerait pas des coûts ni des efforts excessifs, puisqu’elle n’aurait aucune incidence sur les résultats des élections communales dans les autres communes.
Par ailleurs, le Gouvernement flamand soutient que les parties requérantes ne démontrent pas que la fusion serait irréversible, et qu’il ne s’agit pas d’un préjudice immédiat. Les décisions du conseil communal demeurent également d’application après la fusion, qui n’aura lieu que le 1er janvier 2025, pendant une période transitoire.
En outre, le préjudice allégué est d’ordre purement financier en ce qu’il porte sur les impôts, les subsides et les primes.
Enfin, le Gouvernement flamand fait valoir que les parties requérantes ne tiennent pas compte des conséquences financières positives de la fusion. La nouvelle commune de Wingene peut en effet bénéficier d’une reprise de dette par l’autorité flamande à concurrence de 200 euros par habitant, de sorte que l’endettement par habitant n’augmentera pas.
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A.5. La commune de Ruiselede estime que le préjudice allégué n’est pas un préjudice grave difficilement réparable. Elle fait valoir que les parties requérantes ne démontrent pas que le décret du 19 avril 2024 leur occasionnerait un préjudice financier. Les parties requérantes n’expliquent en aucune manière en quoi la modification de la circonscription électorale, du nombre de places éligibles pour le conseil communal et du nombre de candidats sur la liste communale occasionnerait un préjudice, et encore moins un préjudice grave. Elles ne démontrent pas non plus en quoi la première partie requérante subirait un préjudice grave relatif au droit de vote et d’éligibilité dont elle dispose.
Ensuite, la commune de Ruiselede observe que le préjudice, non développé dans la requête, qui consisterait, pour la seconde partie requérante, en ce que ses chances d’être élue soient réduites est un préjudice purement hypothétique, puisque rien ne démontre qu’il ne serait pas possible pour elle d’être élue dans la nouvelle commune.
Par ailleurs, il n’est nullement question d’une réduction de ses chances d’être élue. En effet, si la circonscription électorale s’agrandit, le nombre de candidats éligibles augmente. En tout état de cause, ce n’est pas le décret du 19 avril 2024 qui détermine le nombre de conseillers communaux à élire.
La commune de Ruiselede ajoute que l’absence d’un préjudice grave ressort en outre d’autant plus du fait que les parties requérantes ne sont, sur le principe, pas opposées à une fusion. Or, même dans le cas d’une fusion avec une autre commune, la circonscription électorale et les modalités y afférentes changent.
Enfin, la commune de Ruiselede renvoie à l’exposé du Gouvernement flamand en ce qui concerne le caractère difficilement réparable du préjudice allégué.
-B-
Quant au décret attaqué et à son contexte
B.1. Les parties requérantes demandent l’annulation et la suspension du décret flamand du 19 avril 2024 « relatif à la fusion volontaire des communes de Ruiselede et Wingene et portant modification de l’annexe au Décret électoral local et provincial du 8 juillet 2011, en ce qui concerne la dissolution des communes à fusionner et l’insertion de la nouvelle commune » (ci-
après : le décret du 19 avril 2024).
B.2. Le décret du 19 avril 2024 vise à fusionner les communes de Ruiselede et Wingene et à régler quelques conséquences de la fusion (Doc. parl., Parlement flamand, 2023-2024, n° 1997/1, p. 4). Il prévoit d’abord que, le 1er janvier 2025, les communes de Ruiselede et Wingene seront fusionnées en une nouvelle commune appelée Wingene (article 2 du décret du 19 avril 2024), dont les limites seront constituées par les limites extérieures des communes fusionnées de Ruiselede et Wingene (article 3 du décret du 19 avril 2024).
Ensuite, le décret du 19 avril 2024 prévoit pour la nouvelle commune de Wingene la part et le pourcentage correspondant dans la dotation complémentaire, visée à l’article 19decies du décret flamand du 5 juillet 2002 « réglant la dotation et la répartition du Fonds flamand des
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Communes » (article 4 du décret du 19 avril 2024), la part de la subvention visée à l’article 10
du décret-programme flamand du 23 décembre 2021 « accompagnant le budget 2022 » pour les années 2025 et 2026 (article 5 du décret du 19 avril 2024) et la part de la subvention visée à l’article 27 du décret-programme flamand du 16 décembre 2022 « accompagnant le budget 2023 » pour l’année 2025 (article 6 du décret du 19 avril 2024). Ces parts et le pourcentage sont égaux à la somme des parts et des pourcentages correspondants des communes originelles de Ruiselede et Wingene.
Par ailleurs, le décret du 19 avril 2024 prévoit que, par dérogation à l’article 218, § 3, alinéa 1er, du décret flamand du 8 juillet 2011 « portant organisation des élections locales et provinciales et portant modification du décret communal du 15 juillet 2005, du décret provincial du 9 décembre 2005 et du décret du 19 décembre 2008 relatif à l’organisation des centres publics d’aide sociale » (ci-après : le décret du 8 juillet 2011), les électeurs des communes fusionnées de Ruiselede et Wingene seront convoqués le 13 octobre 2024 (article 7
du décret du 19 avril 2024) et que la cession des terrains à risque peut avoir lieu sans que les obligations visées aux articles 102 à 115 du décret de la Région flamande du 27 octobre 2006
« relatif à l’assainissement du sol et à la protection du sol » ne doivent être remplies au préalable (article 8 du décret du 19 avril 2024).
Enfin, le décret du 19 avril 2024 abroge, dans le tableau intitulé « Province de Flandre occidentale, arrondissement électoral provincial de Courtrai-Roulers-Tielt » figurant dans l’annexe au décret du 8 juillet 2011, la ligne « Ruiselede » (article 9 du décret du 19 avril 2024)
et prévoit que les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 9 entreront en vigueur le 1er janvier 2025 (article 10 du décret du 19 avril 2024).
B.3. Le décret du 19 avril 2024 a été adopté en application de la procédure qui est prévue par la partie 2 (« Administration communale et centre public d’action sociale »), titre 8
(« Fusion volontaire de communes »), du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » (ci-après : le décret du 22 décembre 2017) dans le cadre des fusions volontaires de communes. Conformément aux articles 347 et 348 du décret du 22 décembre 2017, le Gouvernement flamand a soumis au Parlement flamand le projet de
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décret qui a conduit au décret du 19 avril 2024, après avoir reçu une proposition conjointe de fusion des communes de Ruiselede et Wingene.
Les travaux préparatoires mentionnent :
« 3. Le décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale contient la procédure pour pouvoir procéder à une fusion volontaire de communes. Ce décret détermine en outre les principes applicables à une telle fusion, les conditions qui les encadrent et les conséquences qui en découlent.
4. Comme il s’agit d’une fusion volontaire de communes, ce sont les conseils communaux qui font connaître leur intention et qui soumettent une proposition de fusion au Gouvernement flamand. À son tour, le Gouvernement flamand peut soumettre au Parlement flamand la proposition de fusion en tant que projet de décret de fusion. En vertu de l’article 6, § 1er, VIII, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la rectification des limites des communes relève en effet de la compétence de la Région flamande.
5. Par décisions du 19 décembre 2022, les conseils communaux de Ruiselede et de Wingene ont approuvé, de leur propre initiative, la décision de principe de fusion des deux communes et ont fait connaître au Gouvernement flamand leur intention conjointe de fusionner.
Ces décisions contiennent la date prévue pour la fusion. Il s’agit du 1er janvier 2025 (voy. à chaque fois l’article 2).
6. Par décisions prises respectivement les 19 et 23 octobre, les conseils communaux ont approuvé la proposition conjointe de fusion des deux communes. La proposition conjointe de fusion contient les éléments suivants : le nom de la nouvelle commune, à savoir Wingene, les données cadastrales indiquant les limites de la nouvelle commune et la date prévue pour la fusion. Cette proposition conjointe a été soumise correctement au Gouvernement flamand et constitue la base formelle de ce projet de décret » (ibid., pp. 3 et 4).
B.4. Le décret du 19 avril 2024 a été modifié par le décret flamand du 3 mai 2024
« modifiant divers décrets relatifs à la fusion volontaire de communes au 1er janvier 2025, en ce qui concerne la conservation de la personnalité juridique d’une des communes fusionnantes »
(ci-après : le décret du 3 mai 2024). Les modifications que ce dernier décret apporte au décret du 19 avril 2024 visent à transformer la fusion des communes de Ruiselede et Wingene d’une fusion qui supprime les communes originales et qui crée une nouvelle commune en une fusion qui conserve la personnalité juridique de la commune originale de Wingene.
À cet effet, le décret du 3 mai 2024 ajoute à l’article 2 du décret du 19 avril 2024 un deuxième alinéa, qui dispose :
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« La commune originale de Wingene est instaurée en tant que nouvelle commune de Wingene, visée à l’alinéa 1er. La commune originale de Ruiselede est abrogée » (article 17 du décret du 3 mai 2024).
Étant donné que, selon le décret du 22 décembre 2017, en cas de fusion de communes, les communes fusionnées sont supprimées et une nouvelle commune est créée, le décret du 3 mai 2024 insère aussi un article 1/1, nouveau, dans le décret du 19 avril 2024, qui prévoit plusieurs dérogations au décret du 22 décembre 2017 (article 16 du décret du 3 mai 2024). En outre, il abroge, dans l’intitulé du décret du 19 avril 2024, le membre de phrase « , en ce qui concerne l’abrogation des communes à fusionner et l’instauration de la nouvelle commune » (article 14
du décret du 3 mai 2024).
Quant aux conditions de la suspension
B.5. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
B.6.1. Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable, la suspension par la Cour d’une disposition législative doit permettre d’éviter que l’application immédiate de la norme attaquée entraîne pour la partie requérante un préjudice grave qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de cette norme.
B.6.2. Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la seconde condition de l’article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de
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suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elle demande l’annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable.
Cette personne doit notamment faire la démonstration de l’existence d’un risque de préjudice, de sa gravité, de son caractère difficilement réparable et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.7. Les parties requérantes soutiennent, à propos du préjudice grave difficilement réparable, qu’en tant qu’électeurs, mais aussi candidat conseiller communal dans le cas de la seconde partie requérante, elles seront confrontées, par l’effet du décret du 19 avril 2024, à des élections inconstitutionnelles, dès lors que les élections communales du 13 octobre 2024
concerneront la nouvelle commune de Wingene, de sorte que la circonscription électorale, le nombre de places éligibles pour le conseil communal et le nombre de candidats sur la liste communale changent.
En outre, les parties requérantes font valoir que les communes de Ruiselede et Wingene auront fusionné avant que la Cour ait statué sur le recours en annulation et que cette fusion ne pourra plus être annulée, même si de nouvelles élections communales devaient être organisées.
Les services des deux communes auront en effet déjà été fusionnés et des nominations auront eu lieu. En outre, la nouvelle commune aura aussi déjà pris plusieurs décisions ayant des effets juridiques. En particulier, les règlements-taxes seront adaptés et des primes et subsides seront supprimés ou harmonisés.
B.8.1. Le préjudice qui naîtrait d’élections organisées sur une base inconstitutionnelle serait nécessairement grave puisqu’il s’agirait d’une atteinte à la substance du droit, essentiel à l’existence même d’une démocratie représentative, d’élire et d’être élu.
En l’espèce, ce préjudice n’est toutefois pas difficilement réparable. Le préjudice est limité au territoire des communes qui sont fusionnées, à savoir Ruiselede et Wingene, et n’est qu’une simple conséquence de cette fusion. Une éventuelle annulation du décret du 19 avril 2024
impliquerait que de nouvelles élections doivent être organisées, lors desquelles Ruiselede et
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Wingene devraient à nouveau être considérées comme des communes distinctes, sauf en cas de nouveau décret dans l’intervalle. Celui-ci pourrait toutefois être attaqué devant la Cour. Le fait que de nouvelles élections ou l’introduction d’un nouveau recours s’accompagnent de certains frais et efforts ne conduit pas à une autre conclusion.
B.8.2. Le préjudice consistant en ce qu’après la fusion, d’une part, les règlements-taxes seront adaptés et, d’autre part, des primes et subsides seront supprimés ou harmonisés est hypothétique et d’ordre purement financier. Un préjudice financier peut être réparé après une éventuelle annulation du décret du 19 avril 2024.
B.8.3. Pour le surplus, les parties requérantes ne démontrent pas dans leur requête en quoi la fusion des communes de Ruiselede et Wingene risquerait de leur causer personnellement, en tant qu’habitant dans le cas de la première partie requérante et en tant qu’habitant, conseiller communal et candidat conseiller communal dans le cas de la seconde, un préjudice grave difficilement réparable.
B.9. Dès lors qu’une des conditions de fond pour que la suspension puisse être décidée n’est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 août 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 89/2024
Date de la décision : 08/08/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-08-08;89.2024 ?

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