Cour constitutionnelle
Arrêt n° 91/2024
du 19 septembre 2024
Numéro du rôle : 8005
En cause : le recours en annulation de la loi du 21 décembre 2022 « portant confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022 déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité [civile] » et de l’arrêté royal du 27 juin 2022, précité, confirmé par cette loi, introduit par la ville d’Andenne et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 juin 2023 et parvenue au greffe le 8 juin 2023, un recours en annulation de la loi du 21 décembre 2022 « portant confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022 déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité [civile] » (publiée au Moniteur belge du 30 décembre 2022, deuxième édition) et de l’arrêté royal du 27 juin 2022, précité (publié au Moniteur belge du 4 juillet 2022), confirmé par cette loi, a été introduit par la ville d’Andenne, la commune d’Assesse, la commune d’Eghezée, la commune de Fernelmont, la ville de Gembloux, la commune de Gesves, la commune de La Bruyère, la ville de Namur, la commune d’Ohey et la commune de Profondeville, assistées et représentées par Me Nathalie Fortemps et Me Ahmed Tiouririne, avocats au barreau de Bruxelles.
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Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Nicolas Bonbled et Me Camila Dupret Torres, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 15 mai 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1. Les parties requérantes sont les communes membres de la zone de secours NAGE (Namur, Andenne, Gembloux et Eghezée). Elles font valoir qu’elles sont directement affectées par les normes attaquées, à savoir :
- la loi du 21 décembre 2022 « portant confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022 déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité [civile] » (ci-après : la loi du 21 décembre 2022) et,
- l’arrêté royal du 27 juin 2022 « déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile » (ci-
après : l’arrêté royal du 27 juin 2022), confirmé par la loi du 21 décembre 2022 précitée.
Quant au premier moyen
A.2. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 13, 41, 144, 145, 146, 159, 160 et 162 de la Constitution et avec l’article 14 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.
Les parties requérantes soutiennent que la confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022 par la loi du 21 décembre 2022 prive, sans justification raisonnable, les communes concernées de la possibilité d’introduire un recours devant le Conseil d’État ou d’agir devant les juridictions judiciaires pour faire contrôler la légalité interne et externe de l’arrêté royal du 27 juin 2022, alors qu’il s’agit de garanties juridictionnelles essentielles.
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Les parties requérantes observent que les travaux préparatoires de l’article 70 (lire : 71) de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-après : la loi du 15 mai 2007) sont peu explicites sur la raison d’être de la nécessité d’une confirmation par le législateur de l’arrêté royal d’exécution de l’article 67 de la même loi. La Constitution ne réserve pas au législateur les matières de la lutte contre l’incendie et de la sécurité civile.
Les parties requérantes soulignent que l’arrêté royal du 27 juin 2022 n’a pas fait l’objet d’une analyse approfondie de la part du Parlement, qui s’est prononcé sans avoir connaissance des avis donnés sur les projets d’arrêté royal. Des données aussi techniques que celles de l’arrêté royal du 27 juin 2022 relèvent en principe de l’exécution de la loi. En réalité, la ratification législative a pour seul but d’empêcher le Conseil d’État et les cours et tribunaux d’examiner la légalité interne et externe de l’arrêté royal du 27 juin 2022.
A.3.1. Le Conseil des ministres soutient à titre principal que le premier moyen est irrecevable, en ce que la différence de traitement attaquée découle en réalité de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, qui prévoit que l’arrêté royal pris en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la même loi doit être confirmé et qui n’est pas compris dans l’objet du recours.
Selon le Conseil des ministres, le premier moyen est également irrecevable en ce qu’il n’identifie pas les deux catégories de justiciables qui devraient être comparées.
A.3.2. Le Conseil des ministres fait valoir à titre subsidiaire que, dès lors que la différence de traitement attaquée réside dans l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, il est justifié que la motivation du recours à la confirmation législative ne figure ni au dossier administratif de l’arrêté royal du 27 juin 2022 ni dans les travaux préparatoires de la loi de confirmation.
Le Conseil des ministres soutient ensuite que la confirmation législative n’opère pas avec effet rétroactif - du moins pas avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 27 juin 2022 -, de sorte que la sécurité juridique est préservée. Elle n’a pas non plus pour objet d’influer sur un litige en cours, dès lors que cette confirmation était prévue dans la loi du 15 mai 2007. Enfin, les justiciables ne sont pas privés de garanties juridictionnelles essentielles; la confirmation législative les contraint seulement à agir devant la Cour constitutionnelle.
A.4.1. Les parties requérantes allèguent que l’examen du moyen n’implique pas l’extension de l’objet du recours à la loi du 15 mai 2007. Ce n’est pas cette loi qui leur fait grief, mais la loi du 21 décembre 2022. D’ailleurs, les parties requérantes n’auraient sans doute pas justifié, à l’époque, de l’intérêt requis pour demander l’annulation de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007.
Elles précisent que le premier moyen invite la Cour à comparer leur situation avec celle des justiciables qui disposent des garanties juridictionnelles essentielles visées plus haut.
A.4.2. Les parties requérantes soutiennent que la loi du 21 décembre 2022 est bien rétroactive, en ce qu’elle a pour effet que l’arrêté royal confirmé doit, depuis son entrée en vigueur, être considéré comme un acte du pouvoir législatif. Elle a également pour effet que le juge - le Conseil d’État ou le juge judiciaire - qui a été valablement saisi perd sa compétence.
Les parties requérantes font valoir que les moyens qui peuvent être invoqués à l’appui d’un recours dirigé contre une loi sont plus limités que ceux qu’il est possible de développer à l’appui d’un recours dirigé contre un acte réglementaire, notamment en ce qui concerne le contrôle de l’exigence de motivation interne. Une contestation utile de l’arrêté royal du 27 juin 2022, lequel est particulièrement technique, n’est possible que si les données chiffrées qu’il contient peuvent être examinées et contestées. Or une telle vérification n’est plus possible, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose une assemblée démocratiquement élue et, partant, du caractère limité du contrôle que la Cour constitutionnelle peut exercer.
A.5.1. Le Conseil des ministres allègue que le moyen ne saurait aboutir à la suppression de la différence de traitement attaquée, puisque celle-ci découle de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, lequel ne peut pas être annulé par la Cour. Par ailleurs, tous les justiciables ne disposent pas nécessairement de voies de recours devant le Conseil d’État. Les parties requérantes n’établissent pas un élément de comparaison pertinent.
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A.5.2. Le Conseil des ministres soutient que les différences procédurales qui existent entre le recours formé devant la Cour et le recours formé devant le Conseil d’État ne sont pas constitutives en soi d’une discrimination.
Les parties requérantes formulent devant la Cour des critiques largement identiques à celles qu’elles formulent devant le juge judiciaire.
Le Conseil des ministres fait valoir que l’examen exercé par la Cour diffère de l’examen exercé par le Conseil d’État, eu égard à la qualité de l’auteur de l’acte. Le fait que le législateur dispose d’une marge d’appréciation ne neutralise pas pour autant l’effet utile des garanties du contrôle. Les parties requérantes n’établissent pas que le contrôle qui a été effectué par le Parlement lors de l’adoption de la loi du 21 décembre 2022 serait irrégulier ni qu’il violerait les normes visées au moyen. Pour le surplus et compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs, la Chambre a pu s’estimer suffisamment informée sur la base des éléments qui lui ont été transmis.
Quant au deuxième moyen
A.6. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties requérantes critiquent le fait que les normes attaquées ne prennent pas en considération, lorsqu’il s’agit de déterminer les postes des revenus et dépenses entrant en ligne de compte dans le calcul du ratio visé à l’article 67
de la loi du 15 mai 2007, les revenus dont disposaient les communes dotées d’un service communal d’incendie, pour le financement de ce service d’incendie, qui provenaient de prestations dites « facturables » et de subventions qui leur étaient octroyées par des autorités publiques autres que l’État fédéral. Les normes attaquées traitent dès lors de la même manière, sans justification raisonnable, toutes les communes qui étaient dotées d’un service d’incendie, alors que certaines de ces communes bénéficiaient de recettes liées aux prestations « facturables » et de subventions.
Les parties requérantes mentionnent plusieurs interventions qui pouvaient être facturées par les services d’incendie à des tiers (recettes des prestations du service 100, interventions pour des nids de guêpes, etc.) (voy.
l’article 2bis, § 1er, de la loi du 31 décembre 1963 « sur la protection civile » (ci-après : la loi du 31 décembre 1963) et les articles 2 et 3 de l’arrêté royal du 25 avril 2007 « déterminant les missions des services de secours qui peuvent être facturées et celles qui sont gratuites »), ainsi que des subventions (subventions ACS, pour « agents contractuels subventionnés »). Ces interventions ne sont pas prises en compte dans l’arrêté royal du 27 juin 2022.
Le total de ces recettes s’élevait, pour les quatre communes-centres de groupe de la zone de secours NAGE, à 3 720 244,55 EUR au 31 décembre 2007, pour un seul exercice. Ce montant est de 1 101 029,62 EUR pour les seules recettes de prestations de l’exercice 2007. Cette absence de prise en compte n’est pas justifiée, d’autant que l’État belge disposait de toutes les informations à ce sujet. Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 27 juin 2022 justifie la non-prise en considération au titre de recettes des redevances payées par les communes protégées par le seul fait que celles-ci correspondent à une dépense pour les communes protégées.
A.7. Le Conseil des ministres soutient que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation et que la Cour ne peut censurer que les mesures qui procèdent d’une appréciation manifestement déraisonnable.
Le Conseil des ministres renvoie à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, dont il ressort que le seul fait de ne pas avoir tenu compte des revenus des autorités concernées n’est pas critiquable en soi, à la condition qu’il n’en résulte pas une discrimination entre les communes.
Le Conseil des ministres explique qu’avant la réforme de 2007, les communes de chaque province étaient réparties en groupes régionaux. Au sein de chaque groupe, une commune (dite « commune-centre ») devait disposer d’un service d’incendie fonctionnel auquel les autres communes du groupe (dites « communes protégées ») pouvaient recourir moyennant le paiement d’une redevance forfaitaire et annuelle (article 10 de la loi du 31 décembre 1963). Lors de l’évaluation du ratio, il a été décidé de tenir compte uniquement des dépenses des communes disposant d’un service d’incendie et de ne pas en soustraire les revenus (qui incluent la redevance précitée), sinon les dépenses exposées par les communes pour les communes protégées ou en renfort des services d’incendie composés de personnes principalement volontaires (les centres Z, majoritaires en Région wallonne) ne seraient pas comptabilisées.
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Selon le Conseil des ministres, il s’ensuit qu’il n’y a pas d’identité de traitement discriminatoire entre les communes-centres selon qu’elles disposaient ou non de revenus relatifs à des prestations facturables. Toutes les communes dotées d’un service d’incendie percevaient ou pouvaient percevoir des revenus de certaines interventions. Même si les communes jouissaient d’une certaine autonomie dans la décision de facturer ou non certaines interventions, certaines missions devaient nécessairement être facturées (interventions AMU, pollution, missions extra-légales, etc.). Il n’y a pas donc pas des communes qui disposaient de revenus issus de la facturation et des communes qui ne disposaient pas de tels revenus. En d’autres termes, toutes les communes disposaient de recettes et aucune de ces recettes n’a été prise en compte.
A.8. Les parties requérantes précisent qu’elles ne remettent pas en cause le fait que la disposition attaquée ne prend pas en compte, au titre de recettes, les redevances dont pouvaient bénéficier les communes-centres au sens de la loi du 31 décembre 1963.
Les parties requérantes font valoir que les communes-centres ne devaient pas facturer toutes les prestations dites « payantes » et que toutes ces communes-centres n’ont pas perçu des subventions, ni, le cas échéant, des subventions du même montant. Par ailleurs, ces communes-centres étaient libres de fixer le montant de leurs prestations facturables. L’existence et le montant de ces recettes pouvaient donc varier selon les services communaux d’incendie. Dans son avis, la section de législation du Conseil d’État a d’ailleurs mis en évidence une possible discrimination à ce sujet. Ces recettes n’étaient pas négligeables pour les parties requérantes.
A.9. Le Conseil des ministres répond qu’aucun revenu des communes n’a été pris en compte lors de l’élaboration des dispositions attaquées. Ce choix n’est pas discriminatoire, puisqu’il s’explique par l’objectif du législateur de déterminer la charge que représentaient les services d’incendie pour les communes, afin que cette charge ne s’alourdisse pas après la réforme, en raison d’obligations supplémentaires imposées par l’État fédéral.
Selon le Conseil des ministres, les subventions ACS ne concernaient que le personnel administratif du service d’incendie. Il a été décidé de ne pas tenir compte de ces montants car le nombre d’agents concernés était assez faible, de sorte que le montant des subventions était relativement peu élevé. Ainsi, d’après les formulaires remplis en 2008 pour les quatre communes de la zone NAGE qui disposaient d’un service d’incendie, ce montant représentait moins de 3,5 % du montant total des revenus indiqués.
Selon le Conseil des ministres, dès lors qu’il s’agit de déterminer la charge que représentaient les services d’incendie pour les communes, la manière dont ces communes finançaient cette charge (par la facturation de missions et/ou par les impôts communaux) n’est pas déterminante. Les communes qui disposaient d’un service d’incendie ne se trouvent pas dans des situations essentiellement différentes. L’identité de traitement entre ces communes, du fait de la non-prise en compte de leurs revenus, n’est donc pas discriminatoire.
Quant au troisième moyen
A.10. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties requérantes critiquent la prise en compte, par les normes attaquées, en vue d’établir les dépenses communales, de « coûts cachés des communes pour leurs services d’incendie » calculés selon une méthode forfaitaire. Il en résulte que les normes attaquées traitent de la même manière, sans justification raisonnable, toutes les communes qui étaient dotées d’un service d’incendie, en leur appliquant un forfait de frais cachés, alors que certaines communes étaient en mesure de justifier des frais généraux pour leurs services d’incendie.
Selon les parties requérantes, le principe de l’évaluation forfaitaire n’est pas justifié, dès lors que l’État belge disposait de tous les renseignements nécessaires pour calculer ces coûts cachés. Par ailleurs, la mesure est d’autant plus disproportionnée que les coûts cachés sont surévalués. En effet, d’une part, toutes les dépenses des services d’incendie sont prises en compte dans le calcul, sans déduction des recettes. D’autre part, des dépenses à titre de frais généraux et d’administration qui ne présentent aucun lien avec le fonctionnement des services d’incendie sont également prises en compte (comme les dépenses liées à la rémunération du collège communal, des conseillers communaux, des fonctionnaires des services communaux de la population, de l’état civil, de l’urbanisme ou encore les frais d’achat des cartes d’identité, des passeports et des permis de conduire auprès du SPF Intérieur, etc.).
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Les parties requérantes soutiennent qu’il résulte de cette méthode de calcul que, plus les dépenses d’un service communal d’incendie sont élevées, plus les coûts cachés sont importants. Le calcul repose en effet sur le total des dépenses des communes. Or, si les dépenses de personnel d’un service communal d’incendie étaient prépondérantes, c’est parce que la commune disposait d’un corps de pompiers professionnels plutôt que d’un corps de pompiers volontaires. L’existence de coûts cachés et donc le recours à du personnel communal, autre que pompier, était bien plus important dans les communes disposant d’un corps de pompiers non professionnels.
Les parties requérantes font valoir que, selon les normes attaquées, les coûts cachés pour la zone NAGE
s’élèvent à un montant exorbitant de 3 023 034,14 EUR. Sur la base de ce calcul purement théorique les coûts cachés de la ville de Namur correspondent à 20,05 % des dépenses de son service d’incendie. Des coûts cachés de 3 023 034,14 EUR pour les communes de la zone de secours NAGE correspondraient à des dépenses en personnel de 85 agents communaux, ce qui est totalement irréaliste.
A.11. Le Conseil des ministres soutient que les gouverneurs ne disposaient pas des données des centres C
(services d’incendie mono-communaux).
Le Conseil des ministres explique que le groupe de travail Financement de 2008 s’est rendu compte que de nombreux services communaux travaillaient pour leur service d’incendie communal sans que les comptes communaux en fassent état. Comme il est très difficile d’estimer le temps que chaque service transversal consacre aux différents services de la commune, dont le service d’incendie, le groupe de travail a décidé d’appliquer une approche forfaitaire. Cette méthode est objective et pertinente.
Selon le Conseil des ministres, il est logique que soit pris en compte pour le calcul des coûts cachés un pourcentage des frais généraux et d’administration des communes. Il est tout aussi logique et justifié qu’il soit tenu compte des dépenses liées au fonctionnement des communes qui présentent un lien non pas direct mais indirect avec le service d’incendie. Compte tenu de ce calcul, les frais cachés sont effectivement propres à chaque commune.
Le Conseil des ministres fait valoir que certains corps communaux qui disposaient d’un nombre important de pompiers professionnels ont des coûts cachés bien inférieurs à ceux de la ville de Namur. Les coûts cachés des communes disposant principalement de pompiers volontaires sont, eux, très disparates. Enfin, les coûts cachés pour la zone de secours NAGE correspondent à une moyenne de 18,14 %. La zone de secours des parties requérantes se situe dans la moyenne haute car, en général, les coûts cachés représentent environ 12 % des dépenses des communes d’une zone. Or, les coûts cachés ont été calculés de la même façon pour tous les services d’incendie et ces calculs donnent en général des résultats tout à fait acceptables.
A.12. Les parties requérantes répondent que le fait que les forfaits diffèrent selon les communes n’est pas pertinent, dès lors qu’elles critiquent le principe même du recours à un forfait alors que certaines communes étaient en mesure de justifier leurs frais généraux.
Les parties requérantes déduisent des observations du Conseil des ministres que les gouverneurs disposaient des données pour la grande majorité des services d’incendie. En effet, les centres C représentent uniquement 20 centres (soit 20 communes) sur 85 centres (pour 242 communes au total). Même à admettre que les données de ces centres fussent manquantes, le recours à un forfait serait justifié pour ces seuls centres et non pour l’ensemble des communes. Il est disproportionné d’appliquer un forfait à l’ensemble des communes au motif que les données nécessaires à une minorité d’entre elles manquent.
Les parties requérantes considèrent que l’intégration dans le calcul du forfait de dépenses sans le moindre lien avec la gestion des services d’incendie a automatiquement pour effet de faire augmenter le forfait « coûts cachés ». Il aurait pourtant été tout à fait envisageable que le calcul du forfait « coûts cachés » ne tienne pas compte de ces frais.
Les parties requérantes font enfin valoir que, nécessairement, du fait de la méthode choisie, plus les dépenses d’un service communal d’incendie sont élevées, plus celui-ci est censé comporter des coûts cachés importants. Or tel n’est pas forcément le cas. Il n’existe pas de rapport de proportionnalité entre le montant total des dépenses et l’ampleur des coûts cachés. Dans la mesure où les dépenses en personnel ne sont qu’un élément de la détermination des coûts cachés, il ne peut s’agir de comparer les coûts cachés de différentes communes disposant
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principalement de pompiers volontaires et de constater que ces coûts varient, pour en déduire que cette donnée ne serait donc pas pertinente. Enfin, les résultats du calcul du forfait ne sont pas « tout à fait acceptables », comme le montrent les coûts cachés pour la zone NAGE.
A.13. Le Conseil des ministres soutient qu’il n’aurait pas été possible d’appliquer la méthode du forfait aux seules communes qui ne peuvent justifier leurs frais réels. En effet, les gouverneurs ne disposaient pas d’informations complètes en ce qui concerne les coûts cachés des services régionaux d’incendie X, Y et Z, puisque seuls des frais déterminés étaient pris en compte dans le cadre du calcul des frais admissibles. Ces frais admissibles ne comprenaient pas les contributions provinciales aux services d’incendie, les charges financières relatives aux pensions du personnel des services d’incendie, les dépenses qui incombent exclusivement à la commune-centre de groupe et la prise en compte du fait que divers services communaux transversaux travaillaient pour les services d’incendie sans être à charge du budget de ceux-ci.
Le Conseil des ministres allègue enfin qu’il n’y a nulle intention de tenir compte d’une série de frais sans lien avec le fonctionnement des services d’incendie. Le seul objectif poursuivi dans le cadre de la comptabilisation d’un pourcentage des frais généraux est de tenir compte du fait que d’autres services communaux « travaillaient »
également pour le service d’incendie. Tel était le cas en ce qui concerne les fonctions 101 à 121, qui couvraient notamment les dépenses ayant trait au secrétariat communal, au cérémonial officiel ou encore aux cours de formation administrative. Tenir compte d’un pourcentage de ces dépenses permet donc de faire état de la réalité du fonctionnement communal et du fait que celui-ci n’était pas entièrement cloisonné.
-B-
Quant aux normes attaquées et à leur contexte
B.1.1. La loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-après : la loi du 15 mai 2007) a réformé la réglementation relative aux services de sécurité civile.
Auparavant, les communes de chaque province étaient, en vertu de l’article 10, § 1er, de la loi du 31 décembre 1963 « sur la protection civile » (ci-après : la loi du 31 décembre 1963), réparties en groupes régionaux pour l’organisation générale des services d’incendie. Une commune (dite « commune-centre ») du groupe régional devait disposer d’un service d’incendie pourvu du personnel et du matériel nécessaires. Les autres communes du groupe régional étaient tenues soit de maintenir ou de créer un service d’incendie disposant du personnel et du matériel nécessaires, soit d’avoir recours au service d’incendie de la commune-
centre, moyennant le paiement d’une redevance forfaitaire et annuelle.
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B.1.2. La loi du 15 mai 2007 a prévu la création de zones de secours dotées de la personnalité juridique (article 18) et organisées au niveau supralocal, chaque commune appartenant à une zone et chaque province comptant au moins une zone (article 14).
B.1.3. L’article 67 de la loi du 15 mai 2007 prévoit :
« Les zones de secours sont financées par :
1° les dotations des communes de la zone;
2° les dotations fédérales;
3° les éventuelles dotations provinciales;
4° les rétributions des missions dont le Roi autorise la récupération;
5° des sources diverses.
Aussi longtemps que le ratio entre les moyens des autorités communales et fédérale prévus en application de cette loi, n’est pas égal à un, les communes d’une zone ne devront pas, ensemble, contribuer davantage en termes réels que leur apport actuel. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avoir entendu les représentants des villes et communes, ce ratio au 31 décembre 2007 ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio.
La dotation communale visée à l’alinéa 1er, 1°, peut être diminuée en proportion de la dotation provinciale visée à l’alinéa 1er, 3° ».
Il résulte de cette disposition que les autorités communales ne doivent pas, ensemble, contribuer davantage qu’avant la réforme, en termes réels, au financement de la zone de secours dont elles font partie, et que le Roi doit établir le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et ceux de l’autorité fédérale.
Les travaux préparatoires de la loi du 15 mai 2007 mentionnent à ce sujet :
« Cet article [lire : l’article 65 du projet de loi, devenu l’article 67 de la loi] traite des sources de financement de la zone. Il s’agit de la dotation communale, de la dotation fédérale, des rétributions des missions dont les frais peuvent être récupérés et de sources diverses.
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Les sources de financement diverses des zones peuvent, entre autres, consister en des subsides, des moyens alloués par des pouvoirs publics tels que les régions, des revenus de fonds, des revenus variables, des donations et des legs, des contributions d’entreprises et de familles, etc.
Le gouvernement s’engage envers les villes et communes à ce qu’elles ne soient pas amenées à contribuer davantage en matière de financement de la sécurité civile qu’actuellement.
En d’autres termes, l’objectif est de tendre vers un ratio entre moyens fédéraux [et] moyens locaux égal à 1.
Il s’ensuit que la relation entre l’apport de l’autorité fédérale et les villes et communes évoluera dans le futur vers une répartition plus équilibrée [...].
Cela signifie également que les coûts supplémentaires qui découlent de la réforme seront à la charge du gouvernement fédéral » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2928/001, p. 24).
B.1.4. En vertu de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, l’arrêté royal visé à l’article 67, alinéa 2, de la même loi doit être confirmé au plus tard dans les six mois de son entrée en vigueur, sans quoi il cesse de produire ses effets.
B.1.5. La création effective des zones de secours a eu lieu le 1er janvier 2015 ou, pour certaines d’entre elles, à une autre date se situant au plus tard le 1er janvier 2016.
B.1.6. En ce qui concerne le financement des zones de secours, le Roi a mis en œuvre l’habilitation qui lui est conférée par l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, par l’arrêté royal du 27 juin 2022 « déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007
relative à la sécurité civile » (ci-après : l’arrêté royal du 27 juin 2022).
L’arrêté royal du 27 juin 2022 contient les dispositions suivantes :
- Les moyens des autorités communales « sont constitués par la somme des dépenses en personnel, de fonctionnement, d’investissement et les coûts cachés en matière de service d’incendie des communes qui disposaient d’un service d’incendie au 31 décembre 2007 ». Ces postes de dépenses sont repris dans l’annexe 1 (article 2, § 1er);
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- La contribution en application de la loi des communes au 31 décembre 2007 est établie par zone. Cette contribution est fixée dans l’annexe 2 (article 2, § 2);
- Une correction des montants figurant dans l’annexe 2 est prévue pour déterminer la contribution des communes en termes réels pour les années postérieures à l’année 2007
(article 2, § 3);
- Les moyens de l’autorité fédérale « sont constitués par la somme des dépenses des postes de l’Etat fédéral figurant à l’annexe 3 », cette annexe indiquant également « la manière dont ces dépenses sont réparties entre les zones » (article 3);
- Le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale prévus en application de la loi du 15 mai 2007 est fixé dans l’annexe 5, par zone de secours (article 4);
- L’article 5 concerne le calcul du ratio pour les années postérieures à l’année 2007.
B.1.7. Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 27 juin 2022 mentionne :
« La récolte des données communales visées à l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 a été assurée par un groupe de travail sous l’égide du comité de pilotage mis en place par l’arrêté ministériel du 4 février 2008 instituant un comité de pilotage en vue de la mise en œuvre de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile et fixant sa composition et ses missions.
Ce groupe de travail a récolté les informations financières des communes disposant d’un service d’incendie, à partir des données des comptes communaux relatifs aux dépenses et aux revenus afférents aux services d’incendie communaux pour l’année 2007.
Les informations nécessaires à l’établissement des données communales visées à l’article 67, alinéa 2, de la loi ont été récoltées auprès des communes par le biais d’une circulaire du 13 juin 2008. Un formulaire de consolidation a été établi, sur la base des données 2007 des comptes budgétaires puisées dans les fichiers Excel tels que reçus des communes en réponse à la circulaire du 13 juin 2008.
Lors de la réunion du comité de pilotage du 2 mars 2009, les principes et la méthode de travail ayant présidé à la récolte de ces données ont été validés. Un tableau reprenant les données par province a été présenté. Les chiffres ont été approuvés. Suite à cette approbation, le tableau consolidé a été transmis aux gouverneurs qui ont été invités, par une circulaire complémentaire
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du 2 juin 2009, à transmettre le tableau aux communes pour vérification. Celles-ci ont pu proposer des corrections jusqu’au 1er juillet 2009. Les corrections demandées ont été intégrées dans un tableau de consolidation.
[...]
Les données communales sont constituées de trois types de dépenses :
1) Les dépenses de personnel et de fonctionnement du service d’incendie communal : il s’agit principalement des dépenses identifiées sous les fonctions 351 (incendie) et 352 (aide médicale urgente) du budget communal. Le total des dépenses des communes pour l’exécution du présent arrêté comprend dès lors au moins le total des engagements sous les fonctions 351
et 352. Il était possible pour les communes d’introduire des dépenses faites dans d’autres fonctions à partir du moment où elles justifiaient que cette dépense était faite pour le service d’incendie, mais ce cas de figure reste très marginal.
2) Les coûts cachés des communes pour leur service d’incendie
Pour les dépenses communales, il a été tenu compte de certaines dépenses faites dans le cadre du fonctionnement général de la commune, mais qui ne sont pas identifiées comme des dépenses spécifiques pour le service d’incendie et qui ne sont donc pas reprises dans les fonctions budgétaires 351 et 352 des budgets et comptes communaux. Il s’agit par exemple des dépenses relatives au secrétariat, au bourgmestre, au service du personnel, au service financier de la commune. Il a été décidé, dans le cadre de la récolte des données communales, que ces frais des communes, qui apparaissent sous les fonctions 101 à 121, devaient être pris en compte dans la détermination du coût d’un service d’incendie. Le calcul de ce que l’on nomme des coûts cachés a été fait comme suit : le rapport entre le total des engagements pris pour l’exercice 2007 et le total des engagements retenus au titre de dépenses de personnel et de fonctionnement du service d’incendie communal donne un pourcentage. Celui-ci est ensuite appliqué au total des dépenses des fonctions 101 à 121. Le produit de ce calcul indique le montant des coûts cachés de la commune concernée.
3) Les investissements des communes pour leur service d’incendie
Le fait de ne tenir compte que des dépenses d’investissement d’une année, en l’occurrence 2007, donne une image biaisée et incomplète des efforts des communes en matière d’investissement pour leur service d’incendie. Il a donc été décidé de prendre la moyenne des investissements des dix dernières années depuis 2007. De plus, pour tenir compte du fait que ces investissements avaient pu être faits selon des manières différentes, à savoir sur fonds propres, par subsidiation ou par emprunt, un taux d’intérêt de 4,5 % a été appliqué sur la moitié des investissements.
[...]
Afin de tenir compte de la redevance visée à l’article 10 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, il a été décidé de ne tenir compte que des dépenses des communes disposant d’un service d’incendie et de ne pas en soustraire les revenus sinon les dépenses faites par les
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communes pour les communes protégées ou en renfort des services d’incendie Z ne seraient pas comptabilisées.
Comme l’objectif du législateur est de tenir compte des moyens communaux en matière de service d’incendie, le fait de soustraire ces revenus des dépenses des communes ne donne pas une image correcte de la prise en charge des frais [...] par toutes les communes pour organiser les services d’incendie communaux.
En effet, les redevances payées par les communes protégées aux communes disposant d’un service d’incendie en application de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile (= revenus essentiels de ces communes) sont prises en compte par le biais des dépenses des communes disposant d’un service d’incendie pour deux raisons :
1° la redevance était basée sur un principe de solidarité entre les communes au sein de la province et avait pour objectif de couvrir le service au sens large et donc pas seulement les interventions effectivement réalisées pour la commune protégée concernée. Comme il n’y a pas de lien direct entre la redevance payée par cette commune et le service dont elle a bénéficié, il est plus correct de tenir compte des dépenses des communes ayant effectué les interventions.
2° le calcul de la redevance définitive par commune n’était connu au plus tôt qu’un an après la clôture des comptes des communes disposant d’un service d’incendie. Les redevances n’étaient donc jamais payées au cours de l’année à laquelle elles avaient trait. Elles étaient payées pour la fin de l’année suivante dans le meilleur des cas, mais il y avait parfois du retard.
Par ailleurs, les redevances étant payées par tranches, sur la base d’une estimation et une régularisation intervenait ensuite lors du dernier paiement lorsque le montant de la redevance définitive était établi. Il en résulte que les communes protégées n’ont pas toutes payé en même temps la redevance définitive relative à l’année 2007 alors que les dépenses relatives aux interventions ont bien eu lieu en 2007. Il semble donc plus correct de tenir compte des dépenses des communes ayant effectué les interventions.
Il résulte de ce qui précède que le fait de ne tenir compte que des dépenses des communes qui disposaient d’un service d’incendie ne crée pas de discrimination entre les communes »
(Moniteur belge, 4 juillet 2022, pp. 54327-54329).
B.1.8. Le législateur a confirmé cet arrêté royal par la loi du 21 décembre 2022 « portant confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022 déterminant le ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et fédérale, ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio, en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité [civile] » (ci-après : la loi du 21 décembre 2022).
B.1.9. Les parties requérantes demandent l’annulation de ces deux normes.
Du fait de sa confirmation par le législateur, l’arrêté royal du 27 juin 2022 doit être assimilé à une norme législative. La Cour est donc compétente pour en connaître.
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Quant au premier moyen
B.2. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 13, 41, 144, 145, 146, 159, 160 et 162 de la Constitution et avec l’article 14 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.
Les parties requérantes soutiennent que la confirmation de l’arrêté royal du 27 juin 2022
par la loi du 21 décembre 2022 prive, sans justification raisonnable, les communes concernées de la possibilité d’introduire un recours devant le Conseil d’État ou d’agir devant les juridictions judiciaires pour faire contrôler la légalité interne et externe de l’arrêté royal du 27 juin 2022, alors qu’il s’agit de garanties juridictionnelles essentielles.
B.3.1. Le Conseil des ministres soutient que le moyen est irrecevable, d’une part, en ce que la différence de traitement attaquée découle en réalité de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, qui prévoit que l’arrêté royal pris en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la même loi doit être confirmé et qui n’est pas compris dans l’objet du recours, et, d’autre part, en ce que le moyen n’identifie pas les deux catégories de justiciables qui doivent être comparées.
B.3.2. Certes, comme il est dit en B.1.4, le principe de la confirmation par le législateur de l’arrêté royal pris en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 est prévu à l’article 71 de cette loi. Néanmoins, c’est bien la loi du 21 décembre 2022, en ce qu’elle confirme l’arrêté royal du 27 juin 2022, qui fait grief aux parties requérantes, et ces dernières sont fondées à faire valoir le grief qu’elles soulèvent dans le moyen dirigé contre les deux normes attaquées.
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Pour le reste, il ressort à suffisance de l’exposé du moyen que les parties requérantes invitent la Cour à comparer la situation des communes concernées avec celle des justiciables qui disposent de la possibilité d’agir devant le Conseil d’État ou devant le juge judiciaire.
B.3.3. Les exceptions sont rejetées.
B.4.1. L’article 13 de la Constitution garantit le droit d’accès au juge compétent.
Les articles 41, alinéa 1er, et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution consacrent le principe de l’autonomie locale, qui suppose que les autorités communales puissent se saisir de tout objet qu’elles estiment relever de leur intérêt et le réglementer comme elles le jugent opportun.
Les articles 144 et 145 de la Constitution règlent la répartition du contentieux entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives, en fonction de la nature, civile ou politique, des droits qui font l’objet de la contestation.
L’article 159 de la Constitution dispose :
« Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois ».
L’article 160 de la Constitution dispose qu’il y a pour toute la Belgique un Conseil d’État, dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi, et que ce Conseil « statue par voie d’arrêt en tant que juridiction administrative ». Par cette disposition, le Constituant a entendu consacrer le contrôle objectif de la légalité des actes administratifs.
B.4.2. L’article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, prévoit la compétence de principe de la section du contentieux administratif du Conseil d’État pour statuer par voie d’arrêt sur les recours en annulation pour violation des
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formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives.
B.4.3. Dès lors que les parties requérantes n’exposent pas, dans la requête, en quoi les normes attaquées violeraient l’article 146 de la Constitution, le moyen est irrecevable en tant qu’il est pris de la violation de cette disposition.
B.5. Comme il est dit en B.1.3, la confirmation de l’arrêté royal pris en exécution de l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 est prévue à l’article 71 de la même loi.
B.6. Il appartient en principe au législateur de décider s’il règle lui-même les matières que la Constitution ne réserve pas à la loi ni à un autre pouvoir ou si, au contraire, il confie au pouvoir exécutif le soin d’établir une réglementation. En principe, il appartient également au législateur de décider si, dans ces matières, une telle habilitation au pouvoir exécutif doit être soumise ou non à des restrictions.
En particulier, le législateur peut se réserver le pouvoir de confirmer les mesures prises par le pouvoir exécutif. Non seulement la procédure de confirmation renforce le contrôle du législateur sur l’exercice de pouvoirs qu’il délègue au Roi, mais elle permet aussi qu’un débat sur la réglementation ait lieu au sein d’une assemblée délibérante démocratiquement élue, ce qui est de nature à renforcer la légitimité démocratique de cette réglementation.
B.7. La circonstance que le Conseil d’État et le juge judiciaire ne sont plus compétents pour statuer sur la légalité de l’arrêté royal du 27 juin 2022, tel qu’il a été confirmé par la loi du 21 décembre 2022, résulte du mécanisme même de la confirmation et du fait que l’arrêté royal confirmé doit être assimilé à une norme législative, comme il est dit en B.1.9. Compte tenu de l’article 71 de la loi du 15 mai 2007, les parties requérantes savaient que l’arrêté royal du 27 juin 2022 devait faire l’objet d’une confirmation législative dans les six mois de son entrée en vigueur, sans quoi il aurait cessé de produire ses effets.
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Certes, l’intervention du législateur est de nature à empêcher les communes concernées de faire contrôler par le Conseil d’État ou le juge judiciaire la légalité de l’arrêté royal du 27 juin 2022. Cependant, cette intervention du législateur ne les prive pas du droit de mettre en cause devant la Cour la constitutionnalité de la loi par laquelle le législateur a confirmé l’arrêté royal du 27 juin 2022, ainsi que la constitutionnalité de cet arrêté royal. Les communes concernées ne sont donc pas privées de leur droit à un recours juridictionnel effectif.
B.8. Enfin, dès lors qu’elles n’empêchent en rien les autorités communales de se saisir de tout objet qu’elles estiment relever de leur intérêt et de le réglementer comme elles le jugent opportun, les normes attaquées ne portent pas atteinte au principe de l’autonomie locale garanti par les articles 41, alinéa 1er, et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution.
B.9. Le premier moyen n’est pas fondé.
Quant aux deuxième et troisième moyens
B.10. Les deuxième et troisième moyens sont pris de la violation, par les normes attaquées, des articles 10 et 11 de la Constitution.
Les parties requérantes soutiennent que le calcul du ratio au 31 décembre 2007 entre les moyens des autorités communales et ceux de l’autorité fédérale en matière de financement de la sécurité civile, visé à l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, est inexact en ce qui les concerne. Les parties requérantes reprochent à l’État belge d’avoir « gonflé artificiellement les contributions des communes pour éviter qu’il soit constaté que les contributions actuelles des communes dépassent celles de 2007 », ce qui, le cas échéant, obligerait l’État belge à prendre en charge la différence, conformément à l’article 67, alinéa 2, précité.
Le deuxième moyen concerne la non-prise en compte de certains revenus des communes dans le calcul du ratio visé à l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, tandis que le
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troisième moyen concerne le recours à une méthode forfaitaire pour calculer les coûts cachés des communes qui disposaient d’un service d’incendie au 31 décembre 2007.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.11. Les parties requérantes critiquent le fait que les normes attaquées ne prennent pas en considération, pour déterminer les postes des revenus et dépenses entrant en ligne de compte pour le calcul du ratio visé à l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, les revenus dont les communes dotées d’un service d’incendie disposaient pour le financement de ce service d’incendie, qui provenaient de prestations dites « facturables » et de subventions qui leur étaient octroyées par des autorités publiques autres que l’État fédéral. Les normes attaquées traiteraient dès lors de la même manière, sans justification raisonnable, toutes les communes qui étaient dotées d’un service d’incendie, alors que certaines de ces communes bénéficiaient de recettes liées aux prestations « facturables » et de subventions.
B.12. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
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B.13. Le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière de financement des zones de secours. La Cour ne pourrait censurer le choix politique du législateur que s’il en résultait une différence ou identité de traitement déraisonnable.
À cet égard, la Cour tient compte de ce que, conformément à l’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, les représentants des villes et des communes ont été associés à l’élaboration de l’arrêté royal du 27 juin 2022, confirmé par la loi du 21 décembre 2022.
B.14. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.3 que, par la loi du 15 mai 2007, le législateur entend faire en sorte que les villes et communes ne soient pas amenées à contribuer davantage qu’avant la réforme au financement de la sécurité civile, et que les coûts supplémentaires liés à la réforme soient à la charge de l’État fédéral.
L’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 prévoit ainsi qu’« aussi longtemps que le ratio entre les moyens des autorités communales et fédérale prévus en application de cette loi, n’est pas égal à un, les communes d’une zone ne devront pas, ensemble, contribuer davantage en termes réels que leur apport actuel » et il habilite le Roi à déterminer, « après avoir entendu les représentants des villes et communes, ce ratio au 31 décembre 2007 ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio ».
Il s’ensuit que les communes qui font partie d’une zone de secours ne doivent pas, ensemble, contribuer davantage que le montant total des dépenses communales pour la zone, tel qu’il est fixé dans les normes attaquées (ce montant devant toutefois être indexé, conformément à l’article 2, § 3, de l’arrêté royal du 27 juin 2022, tel qu’il a été confirmé).
B.15. Pour établir le ratio entre les moyens des autorités communales et ceux de l’autorité fédérale, seules les dépenses des communes qui disposaient d’un service d’incendie au 31 décembre 2007 ont été prises en compte, à l’exclusion de leurs revenus.
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Selon le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 27 juin 2022, le choix de ne pas soustraire les revenus des dépenses des communes disposant d’un service d’incendie, en particulier la redevance visée à l’article 10 de la loi du 31 décembre 1963, tend à donner une image correcte de la prise en charge des frais par toutes les communes pour organiser les services d’incendie communaux (Moniteur belge, 4 juillet 2022, p. 54328).
Ce choix permet de déterminer la charge que représentaient les services d’incendie pour les communes concernées ainsi que les obligations respectives des communes et de l’autorité fédérale quant au financement des zones de secours.
Eu égard à ces objectifs, il est raisonnablement justifié que les normes attaquées ne tiennent pas compte de la manière dont les communes finançaient la charge que représentaient pour elles les services d’incendie (par la facturation de missions, par des subventions accordées par des autorités autres que l’autorité fédérale, ou encore par des impôts communaux).
En outre, dans la mesure où l’objectif du législateur est de faire en sorte que l’autorité fédérale prenne en charge les coûts supplémentaires liés à la réforme de la sécurité civile de 2007, il est raisonnablement justifié que, pour calculer le ratio entre les moyens des autorités communales et ceux de l’autorité fédérale, il ne soit pas tenu compte des rétributions des missions dont le Roi autorise la récupération (article 67, alinéa 1er, 4°, de la loi du 15 mai 2007)
ni des revenus de sources diverses (article 67, alinéa 1er, 5°, de la même loi), en ce qu’il s’agit de revenus qui n’étaient pas à la charge de l’autorité fédérale avant la réforme de 2007. À cet égard, il y a lieu d’observer que les zones de secours peuvent aujourd’hui toujours facturer certaines de leurs prestations, conformément à l’arrêté royal du 25 avril 2007 « déterminant les missions des services de secours qui peuvent être facturées et celles qui sont gratuites ».
B.16. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le troisième moyen
B.17. Les parties requérantes critiquent également la prise en compte, par les normes attaquées, dans le cadre de l’établissement des dépenses communales, de coûts cachés des communes pour leurs services d’incendie, calculés selon une méthode forfaitaire. Les normes attaquées traiteraient donc de la même manière, sans justification raisonnable, toutes les communes qui étaient dotées d’un service d’incendie, en leur appliquant un forfait de frais cachés, alors que certaines communes pouvaient justifier des frais généraux pour leurs services d’incendie.
B.18. Comme il est dit en B.1.6, les moyens des autorités communales en matière de financement de la sécurité civile comprennent les coûts cachés en matière de services d’incendie des communes qui disposaient d’un service d’incendie au 31 décembre 2007.
L’intégration de ces coûts dans les dépenses totales vise à tenir compte de certaines dépenses qui sont faites dans le cadre du fonctionnement général de la commune, mais qui ne sont pas identifiées comme des dépenses spécifiques pour le service d’incendie.
Selon l’annexe 1 de l’arrêté royal du 27 juin 2022, les coûts cachés correspondent à :
« La somme des frais suivants résultant des comptes des communes pour l’année 2007 et indiquée dans le poste ‘ coûts cachés ’ de l’annexe 2 :
• les frais généraux et d’administration : le montant total des dépenses engagées sur les fonctions 101 à 121 multiplié par le rapport entre le total des dépenses résultant du point A ci-
avant [à savoir, les frais de personnel et de fonctionnement résultant des comptes des communes pour l’année 2007] et le total des dépenses de la commune pour l’exercice 2007;
• les autres frais généraux : le montant total des dépenses engagées sur les fonctions 132 à 138 et qui n’ont pas été facturées à la fonction 351 ou 352 (achat de carburant, de fournitures de bureau, …) multiplié par le rapport entre le total des dépenses résultant du point A ci-avant et le total des dépenses de la commune pour l’exercice 2007 ».
Le rapport au Roi mentionne :
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« Pour les dépenses communales, il a été tenu compte de certaines dépenses faites dans le cadre du fonctionnement général de la commune, mais qui ne sont pas identifiées comme des dépenses spécifiques pour le service d’incendie et qui ne sont donc pas reprises dans les fonctions budgétaires 351 et 352 des budgets et comptes communaux. Il s’agit par exemple des dépenses relatives au secrétariat, au bourgmestre, au service du personnel, au service financier de la commune. Il a été décidé, dans le cadre de la récolte des données communales, que ces frais des communes, qui apparaissent sous les fonctions 101 à 121, devaient être pris en compte dans la détermination du coût d’un service d’incendie. Le calcul de ce que l’on nomme des coûts cachés a été fait comme suit : le rapport entre le total des engagements pris pour l’exercice 2007 et le total des engagements retenus au titre de dépenses de personnel et de fonctionnement du service d’incendie communal donne un pourcentage. Celui-ci est ensuite appliqué au total des dépenses des fonctions 101 à 121. Le produit de ce calcul indique le montant des coûts cachés de la commune concernée » (Moniteur belge, 4 juillet 2022, p. 54328).
B.19. Le choix du Roi, confirmé par le législateur, de recourir à une méthode forfaitaire pour calculer les coûts cachés des communes en matière de services d’incendie n’est pas sans justification raisonnable, compte tenu du caractère non exhaustif des informations dont dispose l’État belge en ce qui concerne les dépenses des communes concernées et des difficultés inhérentes à l’identification de tels coûts cachés. Le recours à une telle méthode forfaitaire permet d’assurer l’identité de traitement entre toutes les communes concernées.
La méthode de calcul exposée en B.18 est objective et pertinente pour calculer ces coûts cachés, et elle ne produit pas des effets disproportionnés pour les communes concernées.
Compte tenu du fait qu’avant la réforme de 2007, de nombreux services communaux effectuaient des prestations pour le compte du service d’incendie sans que cela apparaisse dans les comptes communaux, il est raisonnablement justifié que les coûts cachés soient calculés sur la base du rapport entre le total des dépenses de personnel et de fonctionnement spécifiques aux services d’incendie, telles qu’elles résultent des comptes des communes, et le total des dépenses de la commune concernée pour l’exercice 2007.
Pour la même raison, il est également raisonnablement justifié que la méthode forfaitaire choisie fasse intervenir des dépenses faites dans le cadre du fonctionnement général de la commune, comme, par exemple, la rémunération des membres du collège communal ou des fonctionnaires communaux. Enfin, les parties requérantes n’établissent pas que les communes
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qui disposaient d’un corps de pompiers professionnels seraient, en ce qui concerne les coûts cachés, dans une situation à ce point différente de celle des communes qui disposaient d’un corps de pompiers non professionnels qu’elles devraient être soumises à un traitement distinct.
B.20. Le troisième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul