Cour constitutionnelle
Arrêt n° 95/2024
du 19 septembre 2024
Numéro du rôle : 8113
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret flamand du 27 avril 2018 « réglant les allocations dans le cadre de la politique familiale », posée par le Tribunal du travail de Gand, division de Saint-Nicolas.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 8 novembre 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 30 novembre 2023, le Tribunal du travail de Gand, division de Saint-Nicolas, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 8, § 1er, 1°, du décret flamand du 27 avril 2019 [lire : 2018] réglant les allocations dans le cadre de la politique familiale viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’un enfant, dont la nationalité belge n’est pas prouvée, qui peut séjourner en Belgique plus de trois mois a droit aux allocations familiales, alors qu’un enfant, dont la nationalité belge n’est pas prouvée, qui peut séjourner en Belgique moins de trois mois n’a pas droit aux allocations familiales ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Sébastien Depré et Me Juliette Van Vyve, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Bart Martel, Me Kristof Caluwaert et Me Quinten Jacobs, avocats au barreau de Bruxelles.
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Par ordonnance du 29 mai 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La partie demanderesse devant la juridiction a quo et ses deux enfants mineurs ont la nationalité brésilienne.
En 2018, la mère et ses enfants obtiennent le droit de séjourner en Belgique sur la base du regroupement familial, en raison de leur cohabitation légale, depuis 2017, avec une personne ayant la nationalité belge. Ce droit de séjour ouvre le droit aux allocations familiales pour les enfants en vertu du décret flamand du 27 avril 2018 « réglant les allocations dans le cadre de la politique familiale » (ci-après : le décret du 27 avril 2018).
Par décision du 30 juin 2022, l’Office des étrangers met fin au droit de séjour en Belgique de la mère et de ses enfants, par application de l’article 42quater, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980). Cette décision est fondée sur le fait que la mère et ses enfants sont allés habiter seuls en 2019, sans avoir séjourné au moins trois ans légalement avec la personne belge en question et sans avoir résidé en Belgique depuis cinq ans. Le recours en annulation introduit contre la décision précitée de l’Office des étrangers a été rejeté par le Conseil du contentieux des étrangers le 19 janvier 2023.
Le 9 août 2022, l’ASBL « My Family », reconnue par l’autorité flamande comme organisme de paiement des allocations familiales, décide que les allocations familiales pour les enfants prennent fin le 1er juillet 2022, et ce en l’absence d’un droit de séjour en Belgique conformément à la loi du 15 décembre 1980 et en raison du non-
respect de la condition de nationalité. La mère introduit un recours administratif contre cette décision auprès de la commission du contentieux de « Opgroeien Regie », entité de l’agence « Opgroeien » (l’agence flamande chargée du bien-être des enfants) de la Communauté flamande. Après le rejet, par la commission du contentieux, de ce recours administratif, la mère interjette appel auprès du Tribunal du travail de Gand, division de Saint-Nicolas.
Le Tribunal du travail constate que l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 avril 2018 subordonne le droit aux allocations familiales pour l’enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée à l’admission ou à l’autorisation à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 et que, selon cette disposition, l’attestation d’immatriculation ne constitue pas une telle autorisation ou admission. Le Tribunal du travail constate également que la mère et ses enfants n’ont pas reçu d’attestation d’immatriculation, mais bien une « annexe 35 » au sens de l’article 111 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ». Selon le Tribunal du travail, une « annexe 35 » constitue cependant un même type d’attestation de séjour qu’une attestation d’immatriculation, étant donné que les intéressés peuvent dans les deux cas séjourner en Belgique tant que la procédure en question n’est pas terminée.
Le Tribunal du travail déduit ensuite des travaux préparatoires et de l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 avril 2018 que la question de savoir si les enfants concernés peuvent séjourner ou non en Belgique n’est pas décisive en soi pour établir s’ils ouvrent le droit aux allocations familiales; selon lui, il s’agit plutôt de savoir s’ils peuvent séjourner en Belgique pour une durée prolongée. Étant donné que la mère et ses enfants ne disposent pas d’un titre de séjour durable, ils n’ont, selon le Tribunal, pas droit aux allocations familiales. Le Tribunal se demande toutefois si l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 avril 2018, en ce qu’il exige un séjour durable
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en Belgique pour ouvrir le droit aux allocations familiales, est compatible avec le principe d’égalité et de non-
discrimination et estime qu’il convient de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Gouvernement flamand estime en ordre principal que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, puisque la réponse à cette question ne contribue manifestement pas à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. Il expose que la question préjudicielle soumet à la Cour une différence de traitement entre les enfants dont la nationalité belge n’est pas prouvée, selon que l’enfant peut séjourner en Belgique plus de trois mois ou moins de trois mois. Il estime que la disposition en cause n’est pas fondée sur le critère selon lequel l’enfant peut séjourner plus de trois mois ou non en Belgique. Selon lui, le critère de distinction utilisé par cette disposition est le fait de disposer ou non d’une admission ou autorisation à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980.
A.2.1. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand estime que la question préjudicielle doit être lue en ce sens que la Cour est interrogée au sujet d’une différence de traitement entre, d’une part, un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui est admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 et, d’autre part, un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui dispose d’un document de séjour ne constituant pas une admission ou autorisation de séjour au sens de la loi du 15 décembre 1980, comme l’« annexe 35 ». Étant donné qu’il s’agit, dans le litige soumis à la juridiction a quo, de la situation d’un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui s’est vu délivrer une « annexe 35 », le Gouvernement flamand limite sa défense à cette situation.
A.2.2. Selon le Gouvernement flamand, dans l’interprétation précitée de la question préjudicielle, la question appelle une réponse négative.
A.3.1. Le Gouvernement flamand souligne que l’admission ou autorisation à séjourner dans le Royaume au sens de la loi du 15 décembre 1980 constitue l’unique condition substantielle que le législateur décrétal impose aux enfants établis dans la région de langue néerlandaise pour entrer en considération pour le montant initial, le montant de base et l’allocation de participation universelle du « groeipakket » (l’ensemble des prestations familiales et autres allocations visant à soutenir les ménages dans l’éducation de leurs enfants). Il ne voit pas en quoi une telle condition pourrait violer le principe d’égalité et de non-discrimination.
A.3.2. Le Gouvernement flamand déduit de la jurisprudence de la Cour que le législateur peut réserver l’accès au régime résiduel des prestations familiales aux personnes qui sont établies définitivement ou à tout le moins pour une durée significative en Belgique. Si cette jurisprudence concernait le régime résiduel des prestations familiales garanties, celle-ci reste pertinente, selon le Gouvernement flamand, étant donné que le financement des prestations familiales a, dans le cadre de la sixième réforme de l’État, été dissocié des cotisations sociales. Il souligne que les articles 47/5 et 47/6 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions (ci-après : la loi spéciale du 16 janvier 1989) octroient une dotation annuelle pour les prestations familiales à la Communauté flamande, à la Communauté française et à la Commission communautaire commune.
Il ajoute que le législateur décrétal flamand a remplacé le régime résiduel des prestations familiales garanties par un système dans lequel les prestations familiales sont dissociées du statut socio-professionnel des parents et qu’il s’ensuit que le régime des prestations familiales a reçu dans son ensemble un caractère non contributif, en ce sens que les prestations familiales sont financées par les ressources générales et non par des cotisations sociales.
A.3.3. Eu égard au caractère non contributif du régime des prestations familiales, il n’est, selon le Gouvernement flamand, nullement déraisonnable de subordonner le droit à ces prestations à la condition d’être admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980. Selon lui, le législateur décrétal a ainsi réservé le droit aux prestations familiales aux enfants qui sont titulaires d’un droit de séjour durable.
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A.4.1. Le Gouvernement flamand fait valoir qu’une « annexe 35 », tout comme une attestation d’immatriculation, ne peut être considérée comme preuve d’un droit de séjour durable, étant donné que cette annexe ne confère qu’une autorisation temporaire et précaire à séjourner sur le territoire, dans l’attente du traitement du recours introduit par l’intéressé auprès du Conseil du contentieux des étrangers. Il relève que l’« annexe 35 » est remise à un moment où l’Office des étrangers ou, le cas échéant, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a déjà jugé que l’intéressé n’entre pas ou plus en considération pour une admission ou une autorisation à séjourner sur le territoire ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980. Il souligne l’objectif spécifique de cette annexe, qui consiste plus précisément à éviter que l’étranger concerné soit renvoyé au cours de la procédure de recours devant le Conseil du contentieux des étrangers. Il observe également que si, après le recours introduit auprès du Conseil du contentieux des étrangers, l’intéressé était malgré tout admis ou autorisé à séjourner sur le territoire ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980, il ouvrirait le droit aux prestations familiales.
Selon le Gouvernement flamand, par son arrêt n° 37/2013 du 14 mars 2013
(ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.037), la Cour a déjà reconnu implicitement qu’une « annexe 35 » n’est pas une admission ou autorisation de séjour au sens de la loi du 15 décembre 1980. La circonstance que le législateur décrétal a expressément précisé qu’une attestation d’immatriculation n’est pas une admission ou autorisation de séjour au sens de la loi du 15 décembre 1980 est, selon lui, dictée par l’insécurité juridique résultant d’un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 (ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20190408.2).
A.4.2. Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement flamand ne voit pas pourquoi la jurisprudence antérieure de la Cour ne pourrait pas s’appliquer en l’espèce, d’autant que la réglementation qui a donné lieu à l’arrêt n° 12/2013 du 21 février 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.012) contenait une condition de séjour de cinq ans, alors qu’en l’espèce, à tout le moins dans l’interprétation de la juridiction a quo, il est requis un séjour de plus de trois mois seulement.
A.4.3. La circonstance qu’un étranger paie, le cas échéant, des cotisations de sécurité sociale au cours de la période en question n’est, selon le Gouvernement flamand, pas pertinente, étant donné que le régime des prestations familiales ne peut être considéré comme un régime d’assurance, de sorte que les cotisations individuelles sont sans rapport avec les allocations versées. Il ajoute que l’éventuel accès au marché du travail des étrangers qui ne sont pas admis ou autorisés à séjourner sur le territoire au sens de la loi du 15 décembre 1980 est plutôt exceptionnel et qu’il était également possible, en vertu des régimes qui ont donné lieu à l’arrêt, précité, de la Cour n° 12/2013, à tout le moins en théorie, que certains étrangers qui étaient exclus du régime des prestations familiales garanties aient eu accès au marché du travail et aient donc payé des impôts.
A.4.4. Selon le Gouvernement flamand, la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés. Il relève dans ce cadre que plusieurs catégories spéciales d’étrangers entrent malgré tout en considération pour des prestations familiales, plus précisément en vertu de l’article 2 de l’arrêté ministériel du 13 mars 2019 « portant les modalités relatives aux diverses qualités de l’enfant bénéficiaire et relatives aux exemptions des conditions d’octroi pour les allocations familiales, les montants initiaux naissance et adoption et les allocations de participation universelles », bien qu’elles ne disposent pas d’une autorisation ou admission formelle au sens de la loi du 15 décembre 1980. Il ajoute que les parents d’enfants qui n’entrent pas en considération pour les prestations familiales peuvent toujours bénéficier des droits qui leur sont conférés par la loi du 12 janvier 2007 « sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers » et qu’ils peuvent demander des prestations sociales au sens de l’article 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale.
A.5. Le Gouvernement wallon estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.6.1. Le Gouvernement wallon souligne que, depuis la sixième réforme de l’État, les prestations familiales ne sont plus financées par des cotisations de sécurité sociale et ne dépendent plus non plus du statut professionnel des parents. Depuis cette réforme de l’État, les prestations familiales constituent selon lui un système dans lequel c’est l’enfant, et non donc le paiement de cotisations de sécurité sociale, qui ouvre le droit aux prestations familiales. Le régime des prestations sociales n’est, selon lui, plus un système contributif. Pour cette raison, il estime que la jurisprudence contenue dans l’arrêt, précité, de la Cour n° 12/2013 est applicable mutatis mutandis à la présente affaire.
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A.6.2. Le Gouvernement wallon fait valoir que le législateur décrétal flamand a, par la différence de traitement en cause, voulu réserver aux enfants dont le séjour en Belgique est relativement stable les moyens limités qui sont octroyés au régime des prestations familiales.
Dans le cadre du but poursuivi, il convient, selon lui, de prendre en compte la manière dont les prestations familiales sont financées. Il expose que l’article 47/5 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 prévoit en la matière une dotation qui dépend du nombre d’habitants entre 0 et 18 ans dans la région linguistique en question et que l’article 7, alinéa 4, de cette loi spéciale dispose que, par le nombre d’habitants, on entend la situation de la population au 1er janvier d’un exercice. Il déduit des travaux préparatoires de cette loi spéciale que les calculs de la dotation sont effectués sur la base des chiffres de la population publiés par la Direction générale Statistique (Statbel) et il déduit des publications de cette Direction générale que les données utilisées proviennent du Registre national, sans toutefois prendre en compte le registre d’attente des demandeurs d’asile. Il relève que l’article 2, § 1er, de la loi du 8 août 1983 « organisant un registre national des personnes physiques » dispose que sont inscrites au Registre national des personnes physiques « les personnes inscrites aux registres de la population et au registre des étrangers visés à l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour » et qu’il ressort de l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de cette loi du 19 juillet 1991 que sont inscrits dans les registres en question « les Belges et les étrangers admis ou autorisés à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, autorisés à s’y établir, ou les étrangers inscrits pour une autre raison conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, à l’exception des étrangers qui sont inscrits au registre d’attente visés au 2° ainsi que les personnes visées à l’article 2bis de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques ».
Le Gouvernement wallon déduit de ce qui précède que les personnes qui sont en possession d’une « annexe 35 » ne sont pas inscrites au Registre national. Il en déduit également que la dotation dont dispose la Communauté flamande pour financer les allocations familiales dépend du nombre d’habitants mineurs en région de langue néerlandaise qui ont la nationalité belge ou qui disposent d’un titre de séjour de plus de trois mois. Il estime que la disposition en cause, en plus de poursuivre l’objectif de réserver aux personnes qui ont un lien suffisamment fort avec la Belgique les moyens financiers limités octroyés au régime des prestations familiales, vise également à garantir l’équilibre financier des ressources publiques.
A.6.3. Le Gouvernement wallon estime que la disposition en cause est pertinente au regard des objectifs poursuivis et est raisonnablement justifiée au vu du mode de financement des allocations familiales. Il relève à cet égard que, dans l’arrêt, précité, n° 12/2013, la Cour a jugé constitutionnelle une condition de séjour en Belgique de cinq ans, alors qu’il ne s’agit en l’espèce que d’une condition de séjour en Belgique de plus de trois mois.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur les conditions auxquelles un enfant ouvre le droit aux allocations familiales en vertu du décret flamand du 27 avril 2018 « réglant les allocations dans le cadre de la politique familiale » (ci-après : le décret du 27 avril 2018).
B.2. Le décret du 27 avril 2018 remplace le régime fédéral en matière de prestations familiales, à savoir l’ensemble des réglementations relatives aux prestations familiales, établies par ou en vertu de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales, telle qu’elle était en vigueur le 31 décembre 2018, ou de la loi du 20 juillet 1971 « instituant des prestations familiales garanties » (ci-après : la loi du 20 juillet 1971), ainsi que tous leurs arrêtés d’exécution, par un régime instauré au niveau de la Communauté flamande qui prend pour point
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de départ un ensemble de dispositions « sur mesure » accompagnant la croissance de chaque enfant et de chaque famille.
Il ressort des travaux préparatoires que, par ce décret, le législateur décrétal entendait notamment abandonner le « caractère socio-professionnel des allocations familiales » et prendre « le droit de l’enfant comme point de départ ». « La dissociation des allocations familiales du statut socio-professionnel des parents fait disparaître le système des prestations familiales garanties, système qui avait été créé pour les enfants qui ne pouvaient pas ouvrir de droit aux allocations familiales sous l’empire des différents régimes en matière d’allocations familiales qui existaient à l’époque » (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1450/1, p. 6).
B.3. L’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 avril 2018 règle les conditions auxquelles les enfants qui n’ont pas la nationalité belge ouvrent le droit aux allocations familiales et dispose :
« Un enfant donne droit à des allocations familiales si :
1° sa résidence se situe en région de langue néerlandaise. L’enfant dont la preuve n’est pas fournie qu’il a la nationalité belge, doit être admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Pour l’application du présent décret, une attestation d’immatriculation ne vaut pas admission ou autorisation de séjour au sens de la présente disposition ».
B.4. Il est demandé à la Cour si cette disposition est compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution, en ce qu’un enfant qui n’a pas la nationalité belge mais qui peut séjourner en Belgique plus de trois mois donne droit aux allocations familiales, alors qu’un enfant qui n’a pas la nationalité belge et qui peut séjourner en Belgique moins de trois mois ne donne pas droit aux allocations familiales.
B.5.1. Le Gouvernement flamand fait valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, étant donné que la réponse à cette question ne saurait être utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. En effet, selon lui, le critère de distinction utilisé dans la disposition en cause n’est pas le fait de pouvoir séjourner plus de trois mois ou non en Belgique, mais bien le fait d’être admis ou autorisé ou non à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir
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conformément à la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980).
B.5.2. Il est exact que la disposition en cause ne prévoit en soi aucun critère de distinction portant sur le fait de pouvoir séjourner plus de trois mois ou non en Belgique.
B.5.3. Il ressort des faits de l’affaire pendante devant la juridiction a quo et de la motivation de la décision de renvoi que l’Office des étrangers a mis fin au droit de séjour en Belgique de la partie demanderesse devant cette juridiction et de ses enfants et que, dans l’attente du traitement, par le Conseil du contentieux des étrangers, du recours introduit par eux contre la décision en question de l’Office des étrangers, une « annexe 35 » leur a été délivrée, leur donnant le droit de séjourner provisoirement sur le territoire de la Belgique.
B.5.4. Compte tenu de ce qui précède et comme le soutient lui-même en ordre subsidiaire le Gouvernement flamand, la question préjudicielle peut être interprétée en ce sens qu’il est demandé à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui est admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 donne droit aux allocations familiales, alors qu’un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui dispose d’une « annexe 35 » ne donne pas droit aux allocations familiales.
Il ressort des mémoires introduits par les parties devant la Cour qu’elles ont pu mener une défense utile concernant la question préjudicielle interprétée en ce sens.
B.5.5. L’exception du Gouvernement flamand est rejetée.
B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
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B.6.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.1. Selon la deuxième phrase de la disposition en cause, un enfant dont la nationalité belge n’est pas prouvée donne droit aux allocations familiales lorsqu’il est admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980.
B.7.2. La troisième phrase de la disposition en cause a été insérée par l’article 4 du décret flamand du 1er juillet 2022 « modifiant l’article 5 du décret du 30 avril 2004 portant création de l’agence autonomisée interne dotée de la personnalité juridique Grandir régie (‘ Opgroeien regie ’), modifiant le décret relatif au Panier de croissance de 2018 et interprétant l’article 8 du décret relatif au Panier de croissance de 2018 » (ci-après : le décret du 1er juillet 2022), qui dispose :
« L’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du même décret [lire : le décret du 27 avril 2018], est interprété comme suit par l’ajout de la phrase suivante :
‘ Pour l’application du présent décret, une attestation d’immatriculation ne vaut pas admission ou autorisation de séjour au sens de la présente disposition ’ ».
B.7.3. Dès lors que, comme il est dit en B.5.4, la question préjudicielle invite la Cour à comparer la situation des enfants admis ou autorisés à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir et la situation des enfants disposant d’une « annexe 35 », elle ne porte que sur la deuxième phrase de la disposition en cause et non sur la troisième phrase de celle-ci, qui concerne l’hypothèse distincte des enfants qui sont titulaires d’une attestation d’immatriculation.
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B.8.1. L’« annexe 35 » concerne l’annexe visée à l’article 111 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : l’arrêté royal du 8 octobre 1981), qui dispose, tel qu’il a été modifié en dernier lieu par un arrêté royal du 24 décembre 2020 :
« Si un recours de pleine juridiction est introduit auprès du Conseil du Contentieux des Etrangers conformément à la procédure ordinaire, ou si un recours en annulation est introduit auprès du Conseil à l’encontre d’une décision visée à l’article 39/79, § 1er, alinéa 2, de la loi, ou une décision à laquelle l’article 18, paragraphe 3 et l’article 20, paragraphe 1, de l’accord de retrait sont applicables, l’administration communale délivre à l’intéressé un document conforme au modèle figurant à l’annexe 35, sur instruction du ministre ou de son délégué, si ce recours est dirigé contre une décision qui entraîne l’éloignement du Royaume.
Ce document est valable trois mois à compter de la date de délivrance et est ensuite prorogé de mois en mois jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours visé à l’alinéa précédent ».
L’annexe 35 à l’arrêté royal précité, tel qu’elle a été modifiée en dernier lieu par le même arrêté royal du 24 décembre 2020, mentionne expressément :
« L’intéressé(e) n’est ni admis(e), ni autorisé(e) au séjour mais peut demeurer sur le territoire du Royaume dans l’attente d’une décision du Conseil du Contentieux des Étrangers ».
B.8.2. Il s’ensuit que, bien que l’« annexe 35 » confère à l’intéressé le droit de séjourner sur le territoire du Royaume dans l’attente d’une décision du Conseil du contentieux des étrangers, cette annexe ne peut être qualifiée d’admission ou d’autorisation à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980.
B.9. La disposition en cause établit ainsi une différence de traitement entre la catégorie des enfants dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui sont admis ou autorisés à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980, d’une part, et la catégorie des enfants dont la nationalité belge n’est pas prouvée et qui disposent d’une « annexe 35 », d’autre part. Si les enfants de la première catégorie donnent droit aux allocations familiales, tel n’est pas le cas des enfants de la seconde catégorie.
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B.10. La différence de traitement précitée repose sur un critère objectif, plus précisément la nature du statut de séjour des enfants concernés.
B.11.1. Par son arrêt n° 12/2013 du 21 février 2013 (ECLI:BE:GHCC:2013:ARR.012), la Cour s’est prononcée sur une disposition de la loi du 20 juillet 1971 aux termes de laquelle les prestations familiales garanties ne sont en principe pas octroyées au profit d’un enfant qui est à charge d’une personne physique résidant en Belgique, lorsque cette personne physique n’a pas séjourné sans interruption et effectivement en Belgique au cours des cinq dernières années avant l’introduction de la demande de prestations familiales garanties.
Par cet arrêt, la Cour a jugé :
« B.10. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 1971 que l’objectif poursuivi par le législateur était d’instaurer un régime résiduel dans le secteur des allocations familiales :
‘ dans l’état actuel de la législation, certains enfants ne peuvent bénéficier des allocations familiales du fait qu’il n’y a, de leur chef, aucun attributaire, ni dans le régime des salariés ou des employés, ni dans celui des indépendants. D’où la nécessité de créer un régime résiduaire dans le secteur des allocations familiales ’ (Doc. parl., Sénat, 1970-1971, n° 576, rapport, p. 1).
B.11. Le législateur a pu, eu égard au caractère non contributif du régime résiduel des prestations familiales garanties, en subordonner le bénéfice à l’existence, dans le chef de l’adulte à la charge duquel se trouve l’enfant, d’un lien suffisant avec la Belgique, qui peut être considéré comme une ‘ considération très forte ’, visée dans l’arrêt, mentionné en B.5.2, Koua Poirrez c. France (§ 46) de la Cour européenne des droits de l’homme. Les articles 1er et 2 de la loi du 20 juillet 1971, nonobstant les modifications successives, ont toujours imposé des conditions - nationalité ou résidence - d’obtention des prestations familiales garanties. Le législateur n’a tempéré ces exigences que pour traiter de manière identique les Belges et les ressortissants de l’Espace économique européen (Doc. parl., Chambre, 1995-1996, n° 352/1, p. 40) ainsi que les apatrides, les réfugiés et les personnes demandant les prestations familiales garanties en faveur d’enfants ressortissants d’un Etat européen visé à l’alinéa 7, 5°, de la disposition en cause ou étant apatrides ou réfugiés.
Par ailleurs, l’article 1er, alinéa 8, de la loi en cause dispose :
‘ Si la personne physique visée à l’alinéa 1er est étrangère, elle doit être admise ou autorisée à séjourner en Belgique ou à s’y établir, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour l’établissement et l’éloignement des étrangers ’.
Par ses arrêts nos 110/2006, 48/2010 et 1/2012, la Cour a jugé que le législateur pouvait subordonner le bénéfice du régime résiduel à la condition d’un séjour régulier en Belgique.
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B.12.1. Par son arrêt n° 62/2009 précité, la Cour a jugé que, lorsque l’enfant est Belge, l’exigence d’une résidence de cinq années au moins de l’attributaire qui ne peut bénéficier des dispenses prévues à l’article 1er, alinéa 7, de la loi du 20 juillet 1971, en plus de la condition de la résidence effective de l’enfant, apparaît comme disproportionnée par rapport au souci d’étendre le bénéfice du régime résiduel lorsqu’un lien suffisant avec l’Etat belge est établi :
‘ la qualité de Belge de l’enfant, la condition de résidence de l’enfant et l’exigence pour l’attributaire d’être admis ou autorisé à séjourner en Belgique ou à s’y établir, démontrent en effet à suffisance le rattachement recherché avec l’Etat belge et il n’apparaît pas raisonnablement justifié d’exiger en outre de l’attributaire une résidence préalable d’une certaine durée en Belgique ’ (B.7). La Cour a par conséquent jugé que, lorsque l’enfant en faveur duquel la prestation familiale est demandée, est Belge, le demandeur, compte tenu entre autres de cette qualité de son enfant, a démontré un lien suffisant avec la Belgique pour percevoir des prestations familiales garanties pour cet enfant. Pour se conformer à cet arrêt, le législateur a, par l’article 34 de la loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses, excepté les personnes à la charge desquelles se trouve un enfant de nationalité belge de la condition de résidence de cinq ans. Ce faisant, il a établi une différence de traitement entre les enfants bénéficiaires des prestations familiales garanties fondée sur leur nationalité.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme citée en B.5.2, une telle différence de traitement ne peut être admise que si elle est justifiée par des ‘ considérations très fortes ’.
B.12.2. Eu égard au caractère non contributif du régime résiduel des prestations familiales garanties, qui est financé par les pouvoirs publics et non par des cotisations, le législateur peut en réserver le bénéfice aux personnes qui sont supposées, en raison de leur situation individuelle, être installées en Belgique de manière définitive ou à tout le moins pour une durée significative. L’objectif de réserver les moyens, par essence limités, octroyés au régime des prestations familiales garanties aux enfants dont il peut être présumé que leur séjour en Belgique est relativement stabilisé peut être considéré comme étant une ‘ considération très forte ’.
B.12.3. Ainsi qu’il est dit en B.11, le législateur a pu rechercher la preuve de ce rattachement avec la Belgique dans la situation de séjour de l’adulte à la charge de qui se trouve l’enfant bénéficiaire. Mais il a pu également considérer qu’il fallait, lorsque la nationalité de l’enfant montrait à elle seule un lien de rattachement avec la Belgique, prendre en compte le lien de rattachement non plus uniquement dans le chef de l’adulte, mais bien au niveau de la cellule formée par l’adulte et l’enfant. Il a donc pu estimer que le lien de rattachement suffisant avec la Belgique pouvait être démontré soit par la situation de l’adulte, et a ainsi exigé une condition de durée de résidence suffisante dans son chef, soit par celle de l’enfant. Dans ce cas, il a pu juger que la nationalité belge de l’enfant était un indicateur pertinent du lien de rattachement unissant la cellule formée par l’adulte et l’enfant à la Belgique.
B.13.1. En outre, des prestations sociales peuvent être demandées, dans les limites fixées par l’article 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale, s’il s’avère, en attendant qu’il soit satisfait aux conditions d’octroi des prestations familiales garanties, que les moyens de subsistance du demandeur ne lui permettent pas de pourvoir aux besoins réels et actuels de l’enfant, pour que sa santé et son développement soient garantis.
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B.13.2. Par ailleurs, aux termes de l’article 2, alinéa 2, de la loi du 20 juillet 1971, ‘ le ministre des Affaires sociales ou le fonctionnaire du ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l’Environnement qu’il désigne peut, dans des cas dignes d’intérêt, déroger aux conditions fixées à l’article 1er, alinéa 6 ’ de cette loi ».
B.11.2. Par son arrêt n° 12/2013, précité, la Cour a ainsi jugé qu’eu égard au caractère non contributif du régime des prestations familiales garanties, le législateur a pu réserver l’avantage de ces prestations aux personnes ayant un lien suffisant avec la Belgique et qu’il a pu rechercher la preuve de ce lien avec la Belgique dans la situation de séjour de l’adulte qui a l’enfant bénéficiaire à sa charge ou dans le fait que l’enfant bénéficiaire a la nationalité belge.
Par renvoi à ses arrêts nos 110/2006 (ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.110), 48/2010
(ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.048) et 1/2012 (ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.001), la Cour a également jugé que le législateur a pu subordonner le bénéfice du régime non contributif à la condition d’un séjour régulier en Belgique. Enfin, la Cour a jugé que le législateur a pu réserver le bénéfice des prestations familiales garanties aux personnes qui, en raison de leur situation individuelle, sont supposées être établies définitivement ou à tout le moins pour une durée significative en Belgique.
B.12.1. En vertu de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l’État, les communautés sont compétentes pour les prestations familiales (article 5, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles). Comme l’a observé la section de législation du Conseil d’État, cette compétence implique « la pleine compétence de législation, d’exécution et de contrôle », les communautés disposant également, « sur le plan du financement des allocations familiales, [...] de la pleine autonomie » (CE, avis n° 62.258/1
du 8 décembre 2017, Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1450/1, pp. 408-409).
Dans le cadre du transfert de la compétence relative aux allocations familiales aux communautés, la loi du 25 avril 2014 « portant des dispositions diverses en matière de sécurité sociale » a dissocié le financement de ces prestations du paiement de cotisations de sécurité sociale et, en vue de financer la nouvelle compétence communautaire, il a été prévu une dotation
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fédérale annuelle aux communautés (articles 47/5 et 47/6 de la loi spéciale du 16 janvier 1989
relative au financement des communautés et des régions).
B.12.2. Comme il est dit en B.2, le législateur décrétal, par le décret du 27 avril 2018, a dissocié les allocations familiales du statut socio-professionnel des parents.
B.13. Le législateur décrétal a pu réserver en principe le bénéfice des allocations familiales aux personnes ayant un lien suffisant avec la Belgique et il a pu réserver les moyens par essence limités octroyés à ce régime aux enfants dont il peut être présumé que leur séjour en Belgique est relativement stabilisé.
B.14. Étant donné qu’ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 111 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981, l’« annexe 35 » est délivrée aux personnes qui font l’objet d’une « décision qui entraîne l’éloignement du Royaume », le législateur décrétal a pu estimer que le séjour en Belgique de ces personnes n’est pas relativement stabilisé. En ce que la disposition en cause implique que l’enfant qui se voit délivrer une « annexe 35 » n’ouvre pas le droit aux allocations familiales, cette disposition est donc pertinente à la lumière de l’objectif consistant à réserver les moyens par essence limités qui sont octroyés au régime des allocations familiales aux enfants dont il peut être présumé que leur séjour en Belgique est relativement stabilisé.
B.15.1. La disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés. Lorsque le Conseil du contentieux des étrangers annule la décision administrative qui met fin au droit de séjour de l’enfant, il faut en effet, pour que s’applique la disposition en cause, que le statut de séjour originaire de l’enfant en question soit réputé n’avoir pas pris fin, de sorte que l’enfant, en ce que son statut de séjour originaire pouvait être qualifié d’admission ou d’autorisation à séjourner dans le Royaume ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 au sens de la disposition en cause, donne droit, avec effet rétroactif, aux prestations familiales pour la période au cours de laquelle son droit de séjour en Belgique est établi par une « annexe 35 ».
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B.15.2. Par l’article 8, § 1er, alinéa 4, du décret du 27 avril 2018, le législateur décrétal a habilité le Gouvernement flamand à déterminer des exemptions générales à la condition pour bénéficier des allocations familiales, contenue dans l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, de ce décret.
En vertu de l’article 2, dernier alinéa, de l’arrêté du Gouvernement flamand du 5 octobre 2018 « établissant les diverses qualités de l’enfant bénéficiaire et relatif aux exemptions des conditions d’octroi pour les allocations familiales, les montants initiaux naissance et adoption, et les allocations de participation universelles », le ministre compétent pour l’Aide aux personnes détermine ce qui est assimilé à la condition de séjour admis ou autorisé. En vertu de cette disposition, le ministre compétent a, par l’article 2 de l’arrêté ministériel du 13 mars 2019
« portant les modalités relatives aux diverses qualités de l’enfant bénéficiaire et relatives aux exemptions des conditions d’octroi pour les allocations familiales, les montants initiaux naissance et adoption et les allocations de participation universelles », prévu un certain nombre d’exemptions générales à la condition contenue dans l’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, du décret du 27 avril 2018, et plus précisément pour l’enfant victime de la traite ou du trafic des êtres humains, pour un étranger mineur non accompagné, pour l’enfant qui n’est pas admis ou autorisé à séjourner en Belgique ou à s’y établir et dont l’un des parents est belge ou est admis ou autorisé à séjourner en Belgique ou à s’y établir et pour un enfant placé ou un adulte placé à condition que l’enfant placé ou l’adulte placé séjourne dans une famille d’accueil plus d’un an sans interruption.
B.15.3. En outre, des prestations sociales peuvent être demandées, dans les limites fixées par l’article 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale, s’il s’avère, dans l’attente de la décision du Conseil du contentieux des étrangers, que les moyens de subsistance du demandeur ne lui permettent pas de pourvoir aux besoins réels et actuels de l’enfant, pour que sa santé et son développement soient garantis. Dès lors que l’aide sociale doit prendre en considération l’ensemble des besoins de l’enfant, il convient de tenir compte, pour la fixation de l’aide sociale à octroyer à cet enfant, de ce que l’enfant n’ouvre pas le droit aux allocations familiales.
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B.16. La disposition en cause, en ce qu’elle exclut les enfants qui disposent d’une « annexe 35 » du droit aux allocations familiales, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 8, § 1er, alinéa 1er, 1°, deuxième phrase, du décret flamand du 27 avril 2018
« réglant les allocations dans le cadre de la politique familiale », en ce qu’il exclut l’enfant qui dispose d’une « annexe 35 » du droit aux allocations familiales, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen