Cour constitutionnelle
Arrêt n° 96/2024
du 19 septembre 2024
Numéro du rôle : 8199
En cause : le recours en annulation des articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge, introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 avril 2024 et parvenue au greffe le 11 avril 2024, un recours en annulation des articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge a été introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains », assistée et représentée par Me Ronald Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles.
Le 24 avril 2024, en application de l’article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune ont informé la Cour qu’ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l’examen de l’affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire.
Des mémoires justificatifs ont été introduits par :
- la partie requérante;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Evrard de Lophem et Me Sébastien Depré, avocats au barreau de Bruxelles.
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Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1.1. L’ASBL « Ligue des droits humains », partie requérante, soutient qu’elle justifie d’un intérêt à demander l’annulation des articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge, conformément à ses statuts. Elle met en évidence que son intérêt à agir a été admis à de multiples reprises par la Cour, par le Conseil d’État et par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire. Elle affirme en outre que le recours est recevable ratione temporis en ce qu’il est introduit sur la base de l’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
A.1.2. La partie requérante prend un moyen unique de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge, en ce que les dispositions attaquées ne prévoient pas, à l’égard des étrangers qui sont analphabètes, qui possèdent les compétences linguistiques orales exigées et qui, parce qu’il leur manque des compétences et des notions linguistiques de base, ne sont pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites correspondant à ce niveau, même en participant aux formations organisées à cet effet, une exception à l’exigence de posséder une connaissance minimale d’une des langues nationales correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues. La partie requérante relève que, par l’arrêt n° 53/2023 du 23 mars 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.053), rendu sur questions préjudicielles, la Cour a jugé que les dispositions attaquées violaient les articles 10 et 11 de la Constitution dans cette mesure. Il y a dès lors lieu, par identité de motifs, d’annuler les articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge.
A.2.1. Le Conseil des ministres relève que les articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 3, ont été modifiés par les articles 122 et 123 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis » (ci-après : la loi du 28 mars 2024) et que la partie requérante ne fait pas état de cette modification. Partant, selon le Conseil des ministres, le recours porte sur les articles 1er, § 2, 5°, et 12bis du Code de la nationalité belge avant leur modification par la loi du 28 mars 2024.
A.2.2. Selon le Conseil des ministres, le constat d’inconstitutionnalité formulé dans l’arrêt n° 53/2023 précité est une lacune extrinsèque, qui ne trouve pas sa source dans les dispositions attaquées mais bien dans l’ordre juridique belge considéré dans son ensemble. Selon le Conseil des ministres, un tel constat d’inconstitutionnalité est difficilement transposable au contentieux de l’annulation, puisqu’une éventuelle annulation ne permettrait pas de faire disparaître le régime discriminatoire dénoncé dans l’arrêt n° 53/2023 précité. En réalité, la lacune constatée dans cet arrêt ne pourrait être comblée que par le législateur lui-même.
A.3. Enfin, le Conseil des ministres affirme que la lacune précitée peut être comblée par l’article 22ter de la Constitution. En effet, les personnes victimes de la discrimination constatée dans l’arrêt n° 53/2023 précité peuvent être considérées comme étant en situation de handicap, de sorte qu’elles peuvent demander un aménagement raisonnable au sens de l’article 22ter de la Constitution, qui consisterait en un régime dérogatoire à l’exigence d’obtenir le niveau A2 de connaissance linguistique à l’écrit.
-B-
B.1.1. La partie requérante demande l’annulation des articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge. Dans son moyen unique, elle soutient que ces dispositions
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violent les articles 10 et 11 de la Constitution pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés dans l’arrêt de la Cour n° 53/2023 du 23 mars 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.053).
B.1.2. Le recours en annulation a été introduit en vertu de l’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, qui dispose qu’un nouveau délai de six mois est ouvert pour l’introduction d’un recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance notamment par toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt, lorsque la Cour, statuant sur une question préjudicielle, a déclaré que cette loi, ce décret ou cette ordonnance viole entre autres une des règles visées à l’article 1er.
B.1.3. Par l’arrêt n° 53/2023 précité, publié au Moniteur belge du 27 novembre 2023, la Cour a jugé que les articles 1er, § 2, 5°, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge violaient les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces dispositions ne prévoyaient pas, à l’égard des étrangers qui sont analphabètes, qui possèdent les compétences linguistiques orales exigées et qui, parce qu’il leur manque des compétences et notions linguistiques de base, ne sont pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites correspondant à ce niveau, même en participant aux formations organisées à cet effet, une exception à l’exigence de posséder une connaissance minimale d’une des langues nationales correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
B.1.4. Les articles 1er, § 2, et 12bis, § 3, du Code de la nationalité belge ont été modifiés par les articles 122 et 123 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis » (ci-après : la loi du 28 mars 2024), publiée au Moniteur belge du 29 mars 2024, en réponse à l’arrêt de la Cour n° 53/2023, précité (Doc. parl., Chambre, 2023-2024, DOC 55-3728/001, pp. 33-34).
B.2.1. Les dispositions attaquées portent sur la connaissance linguistique que les étrangers analphabètes doivent posséder pour acquérir la nationalité belge par le biais d’une déclaration de nationalité.
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B.2.2. La déclaration de nationalité est un des modes d’acquisition de la nationalité belge pour un étranger, à côté de la demande de naturalisation.
À cette fin, l’étranger doit remplir certaines conditions, mentionnées à l’article 12bis du Code de la nationalité belge, et faire devant l’officier de l’état civil de sa résidence principale une déclaration conformément à l’article 15 du même Code.
B.2.3. En vertu de l’article 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge, la possibilité de faire une déclaration de nationalité est ouverte à :
« 1° l’étranger qui :
a) a atteint l’âge de dix-huit ans;
b) et est né en Belgique et y a fixé sa résidence principale sur la base d’un séjour légal depuis sa naissance;
2° l’étranger qui :
a) a atteint l’âge de dix-huit ans;
b) et a fixé sa résidence principale en Belgique sur la base d’un séjour légal depuis cinq ans;
c) et apporte la preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales;
d) et prouve son intégration sociale :
- ou bien par un diplôme ou un certificat délivré par un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté ou par l’Ecole royale militaire et qui est au moins du niveau de l’enseignement secondaire supérieur;
- ou bien en ayant suivi une formation professionnelle d’au moins 400 heures reconnue par une autorité compétente;
- ou bien en ayant, selon le cas, fourni la preuve délivrée par l’autorité compétente, du suivi avec succès du trajet d’intégration, du parcours d’accueil ou du parcours d’intégration prévu par l’autorité compétente de sa résidence principale au moment où il entame celui-ci;
- ou bien en ayant travaillé de manière ininterrompue au cours des cinq dernières années comme travailleur salarié et/ou comme agent statutaire nommé dans la fonction publique et/ou comme travailleur indépendant à titre principal;
e) et prouve sa participation économique :
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[...]
3° l’étranger qui :
a) a atteint l’âge de dix-huit ans;
b) et a fixé sa résidence principale en Belgique sur la base d’un séjour légal depuis cinq ans;
c) et apporte la preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales;
d) et est marié avec une personne de nationalité belge, si les époux ont vécu ensemble en Belgique pendant au moins trois ans, ou est l’auteur ou l’adoptant d’un enfant belge qui n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans ou n’est pas émancipé avant cet âge;
e) et prouve son intégration sociale :
- ou bien par un diplôme ou un certificat délivré par un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté ou par l’Ecole royale militaire et qui est au moins du niveau de l’enseignement secondaire supérieur;
- ou bien en ayant suivi une formation professionnelle d’au moins 400 heures reconnue par une autorité compétente, et en ayant travaillé, au cours des cinq dernières années, pendant au moins 234 journées comme travailleur salarié et/ou comme agent statutaire nommé dans la fonction publique ou en ayant payé en Belgique, dans le cadre d’une activité professionnelle indépendante à titre principal, les cotisations sociales trimestrielles dues par les travailleurs indépendants pendant au moins trois trimestres;
- ou bien en ayant, selon le cas, fourni la preuve délivrée par l’autorité compétente, du suivi avec succès du trajet d’intégration, du parcours d’accueil ou du parcours d’intégration prévu par l’autorité compétente de sa résidence principale au moment où il entame celui-ci;
4° l’étranger qui :
a) a atteint l’âge de dix-huit ans;
b) et a fixé sa résidence principale en Belgique sur la base d’un séjour légal depuis cinq ans;
c) et apporte la preuve qu’il ne peut, en raison d’un handicap ou d’une invalidité, ni occuper un emploi ni exercer une activité économique, ou a atteint l’âge de la pension;
5° l’étranger qui :
a) a atteint l’âge de dix-huit ans;
b) et a fixé sa résidence principale en Belgique sur la base d’un séjour légal depuis dix ans;
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c) et apporte la preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales;
d) et justifie de sa participation à la vie de sa communauté d’accueil. [...] ».
B.2.4. En vertu de l’article 1er, § 2, 5°, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 122, 1°, de la loi du 28 mars 2024, il convenait d’entendre par « preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales » :
« la connaissance minimale d’une des trois langues nationales correspondant au niveau A2
du Cadre européen commun de référence pour les langues. Cette preuve doit être rapportée par les moyens de preuve définis dans un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres ».
B.2.5. Comme il est dit en B.1.4, le législateur a modifié, par la loi du 28 mars 2024, les articles 1er, § 2, et 12bis, § 3, du Code de la nationalité belge, en réponse à l’arrêt de la Cour n° 53/2023, précité.
L’article 122 de la loi du 28 mars 2024 dispose :
« A l’article 1er du Code de la nationalité belge, modifié en dernier lieu par la loi du 20 juillet 2015, les modifications suivantes sont apportées :
1° au paragraphe 2, le 5° est complété par la phrase suivante :
‘ Pour la personne analphabète au sens du présent Code, seule la preuve d’une connaissance orale correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues, est exigée; ’;
2° le paragraphe 2 est complété par le 10° rédigé comme suit :
‘ 10° personne analphabète : la personne qui possède les connaissances linguistiques orales exigées mais qui ne possède pas les compétences et notions linguistiques de base lui permettant d’acquérir les connaissances écrites correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues, même en participant aux formations organisées à cet effet par l’autorité communautaire compétente. Le respect de ces conditions est attesté par l’autorité communautaire compétente. ’ ».
L’article 123 de la loi du 28 mars 2024 a modifié l’article 12bis, § 3, du Code de la nationalité belge, qui dispose désormais :
« La déclaration comporte, préalablement à la signature de l’étranger, la mention suivante, écrite de la main de l’étranger ou, lorsque celui-ci est dans l’incapacité de l’écrire à la main,
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prononcée oralement par l’étranger et inscrite par l’officier de l’état civil compétent : ‘ Je déclare vouloir acquérir la nationalité belge et me soumettre à la Constitution, aux lois du peuple belge et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. ’ ».
B.2.6. Aucune disposition de la loi du 28 mars 2024 ne règle spécifiquement l’entrée en vigueur de ses articles 122 et 123, lesquels ont donc sorti leurs effets dix jours après leur publication au Moniteur belge.
B.3. Les modifications des dispositions attaquées par les articles 122 et 123 de la loi du 28 mars 2024 ne sont pas visées par la partie requérante.
Partant, le recours porte sur l’article 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge et sur l’article 1er, § 2, 5°, de ce Code, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 122, 1°, de la loi du 28 mars 2024, qui ont produit les effets constatés dans l’arrêt n° 53/2023 précité, à tout le moins jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi.
B.4.1. Par son arrêt n° 53/2023 précité, la Cour a dit pour droit :
« B.7.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.2. L’article 191 de la Constitution dispose :
‘ Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ’.
L’article 191 de la Constitution n’est susceptible d’être violé qu’en ce que les dispositions en cause établissent une différence de traitement ou une identité de traitement à l’égard de certains étrangers et des Belges. Étant donné que les dispositions en cause instaurent une
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identité de traitement à l’égard de deux catégories d’étrangers, selon que l’étranger qui souhaite acquérir la nationalité belge est analphabète ou non, seuls les articles 10 et 11 de la Constitution sont susceptibles d’être violés, et non l’article 191 de la Constitution. Par conséquent, la Cour limite son examen au contrôle des dispositions en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.8. Lors de la détermination des conditions auxquelles la nationalité belge peut s’acquérir, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Lorsque les choix opérés par le législateur entraînent l’identité de traitement de catégories de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, la Cour doit toutefois examiner si cette identité de traitement repose sur une justification raisonnable.
B.9. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4, l’intention du législateur était de réserver l’acquisition de la nationalité belge par le biais d’une déclaration de nationalité aux étrangers qui justifient d’un certain degré d’intégration.
Par rapport à cet objectif, il est pertinent d’exiger une connaissance linguistique minimale.
En vue d’une intégration effective, il est essentiel de pouvoir s’exprimer dans la vie de tous les jours dans au moins une des langues nationales. Eu égard au large pouvoir d’appréciation dont il dispose en la matière, le législateur a pu raisonnablement considérer que des aptitudes tant orales qu’écrites sont nécessaires à cet effet. En ce qui concerne la définition de ces aptitudes, il a pu également se référer au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues. En effet :
‘ C’est à ce niveau que l’on trouvera la plupart des descripteurs qui indiquent les rapports sociaux tels que : utilise les formes quotidiennes de politesse et d’adresse; accueille quelqu’un, lui demande de ses nouvelles et réagit à la réponse; mène à bien un échange très court; répond à des questions sur ce qu’il fait professionnellement et pour ses loisirs et en pose de semblables;
invite et répond à une invitation; discute de ce qu’il veut faire, où, et fait les arrangements nécessaires; fait une proposition et en accepte une. C’est ici que l’on trouvera également les descripteurs relatifs aux sorties et aux déplacements, version simplifiée de l’ensemble des spécifications transactionnelles du Niveau seuil pour adultes vivant à l’étranger telles que :
mener à bien un échange simple dans un magasin, un bureau de poste ou une banque; se renseigner sur un voyage; utiliser les transports en commun : bus, trains et taxis, demander des informations de base, demander son chemin et l’indiquer, acheter des billets; fournir les produits et les services nécessaires au quotidien et les demander ’ (Cadre européen commun de référence pour les langues, 3.6).
B.10.1. La Cour doit encore examiner si le choix du législateur d’exiger non seulement les aptitudes orales mais également les aptitudes écrites du niveau A2 n’a pas des effets disproportionnés pour les étrangers analphabètes.
B.10.2. Le Cadre européen commun de référence pour les langues définit les aptitudes qui correspondent aux différents niveaux de référence, notamment au moyen de ce qu’on appelle les ‘ descripteurs d’auto-évaluation ’, auxquels les travaux préparatoires mentionnés en B.4.1
renvoient également.
En ce qui concerne le niveau A2, les descripteurs relatifs à la compréhension à la lecture et à l’écriture sont libellés comme suit :
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‘ Je peux lire des textes courts très simples. Je peux trouver une information particulière prévisible dans des documents courants comme les publicités, les prospectus, les menus et les horaires et je peux comprendre des lettres personnelles courtes et simples ’
et
‘ Je peux écrire des notes et messages simples et courts. Je peux écrire une lettre personnelle très simple, par exemple de remerciements ’ (Cadre européen commun de référence pour les langues, 3.3).
B.10.3. En substance, le niveau A2 signifie donc, en ce qui concerne les aptitudes écrites, que l’utilisateur de la langue est capable de comprendre et de rédiger des textes courts simples.
Les étrangers analphabètes aussi disposent en principe de la possibilité d’acquérir une telle connaissance linguistique écrite, relativement limitée. Les communautés ont en effet prévu des formations qui visent spécifiquement à apprendre aux analphabètes à lire et à écrire dans une des langues nationales. La circonstance que les analphabètes doivent suivre un parcours de formation spécifique et que la maîtrise du niveau A2 peut, de ce fait, leur prendre sensiblement plus de temps ne suffit pas pour conclure que les dispositions en cause ont des effets disproportionnés.
B.10.4.1. Toutefois, l’analphabétisme peut trouver son origine dans une diversité de facteurs et de circonstances. Ces facteurs et circonstances sont souvent liés au développement insuffisant du langage au cours de l’enfance, entraînant des lacunes en matière de compétences et de notions linguistiques de base qu’il est dans certains cas très difficile voire impossible à rattraper à un âge plus avancé. L’on ne saurait dès lors exclure le fait qu’un groupe déterminé d’adultes analphabètes n’est capable de développer des aptitudes écrites dans une des langues nationales que dans une mesure très limitée. Ces personnes pourraient ne jamais être en mesure d’acquérir les compétences en matière de compréhension à la lecture et d’écriture mentionnées en B.10.2, même en participant aux formations organisées à cet effet.
B.10.4.2. Ce qui précède trouve une confirmation dans l’offre des formations en matière d’alphabétisation proposée par la Communauté flamande, sur le territoire de laquelle les parties requérantes devant la juridiction a quo habitent. Il s’agit des formations du domaine d’apprentissage ‘ alphabétisation néerlandais deuxième langue ’, dont les profils de formation sont déterminés dans les annexes XXXXIII à XXXXV de l’arrêté du Gouvernement flamand du 19 juillet 2007 ‘ relatif à la structure modulaire des domaines d’apprentissage de l’éducation de base ’.
Il ressort des explications relatives à ces profils de formation qu’en suivant la formation ‘ NT2 Alpha – degré-guide oral 1 et degré-guide écrit 1.1 ’, les analphabètes qui apprennent le néerlandais comme deuxième langue peuvent en principe acquérir une connaissance du néerlandais correspondant au niveau A2 pour les aptitudes orales et au niveau A1 pour les aptitudes écrites. Ils peuvent ensuite passer aux formations régulières du domaine d’apprentissage ‘ néerlandais deuxième langue ’ (annexe XXXXIII, pp. 5-6).
Cependant, ces mêmes explications indiquent également que certains apprenants ‘ stagnent au cours de la formation NT2 Alpha – degré-guide oral 1 et degré-guide écrit 1.1, tantôt sur le plan des exigences de lecture et d’écriture, tantôt pendant les modules techniques ’. Pour ces personnes, une réorientation vers une autre formation s’impose, plus précisément la formation
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‘ NT2 Alpha – degré-guide oral 1 ’ (ibid., p. 6). À l’issue de cette formation, ‘ l’apprenant maîtrise le néerlandais en tant qu’utilisateur de base au niveau “ survie ” (A2) pour les aptitudes orales et à un niveau dit d’“ autonomie ” pour les aptitudes écrites. [...] Les aptitudes écrites se limitent à une autonomie fonctionnelle minimale. Ce niveau comporte une série d’aptitudes écrites atteignables pour les apprenants qui ne peuvent techniquement pas apprendre à lire et à écrire, mais qui peuvent s’aider de stratégies compensatoires, par exemple l’assimilation d’un ensemble limité de mots sous forme d’images. Ce niveau n’est pas décrit dans le Cadre européen de référence, puisque celui-ci est conçu pour les apprenants d’une deuxième langue qui sont alphabétisés ’ (annexe XXXXIV, p. 4).
B.10.5. Le fait qu’un analphabète, quoiqu’il possède les compétences linguistiques orales exigées, ne parvienne pas à acquérir les aptitudes écrites mentionnées en B.10.2 n’est donc dans certains cas pas la conséquence d’une mauvaise volonté de s’intégrer ou de fournir des efforts raisonnables pour apprendre une des langues nationales, mais la conséquence de lacunes en ce qui concerne certaines compétences et notions linguistiques de base. Dans de tels cas, l’exigence linguistique en cause produit des effets disproportionnés au regard de l’objectif d’intégration poursuivi par le législateur.
B.11.1. Par conséquent, les articles 1er, § 2, et 12bis, § 1er, du Code de la nationalité belge ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas une exception à l’exigence de posséder une connaissance minimale d’une des langues nationales correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues à l’égard des étrangers qui sont analphabètes, qui possèdent les compétences linguistiques orales exigées et qui, parce qu’il leur manque des compétences et notions linguistiques de base, ne sont pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites correspondant à ce niveau, même en participant aux formations organisées à cet effet.
B.11.2. Il revient au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée, en prévoyant la possibilité pour l’étranger qui fait une déclaration de nationalité de démontrer qu’en raison de son analphabétisme, il n’est pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites en question, en dépit du fait que, compte tenu de l’offre des formations existante, il a fourni des efforts raisonnables pour y parvenir.
Dans l’attente de cette intervention du législateur, il appartient à la juridiction a quo de mettre un terme à cette inconstitutionnalité, en déterminant dans les litiges au fond, le cas échéant avec l’aide d’un expert, si les étrangers concernés sont en mesure ou non d’atteindre le niveau A2 dans son ensemble ».
B.4.2. Le Conseil des ministres soutient que le recours en annulation n’est pas fondé.
Selon lui, le constat d’inconstitutionnalité formulé dans l’arrêt n° 53/2023 précité ne trouve pas sa source dans les dispositions attaquées mais dans l’ordre juridique belge considéré dans son ensemble, de sorte que l’annulation éventuelle de celle-ci ne permettrait pas de faire disparaître cette inconstitutionnalité.
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Par ailleurs, le Conseil des ministres allègue que la lacune constatée dans l’arrêt n° 53/2023
précité peut être comblée par l’article 22ter de la Constitution, en ce que les personnes victimes de la discrimination constatée dans ledit arrêt n° 53/2023 peuvent être considérées comme étant en situation de handicap et qu’elles peuvent donc demander un aménagement raisonnable au sens de cette disposition constitutionnelle, qui consisterait en l’espèce en un régime dérogatoire à l’exigence d’obtenir le niveau A2 de connaissance linguistique à l’écrit.
B.4.3. Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, le constat d’inconstitutionnalité formulé dans l’arrêt n° 53/2023 précité consiste en une lacune dans l’article 1er, § 2, 5°, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 122, 1°, de la loi du 28 mars 2024, et dans l’article 12bis, § 1er, du même Code.
L’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ne s’oppose aucunement à ce que la Cour annule une norme dont l’inconstitutionnalité constatée consiste en une lacune située dans le texte soumis à la Cour (voy., en ce sens, C. const., arrêt n° 153/2012, 13 décembre 2012, ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.153, B.2.4).
En outre, à supposer l’article 22ter de la Constitution applicable à la catégorie de personnes visée dans l’arrêt n° 53/2023 précité, la circonstance que cette disposition énonce que chaque personne en situation de handicap a droit à des aménagements raisonnables n’est pas de nature à modifier le constat d’inconstitutionnalité formulé dans cet arrêt, ni à conclure au caractère non discriminatoire des dispositions attaquées mêmes.
B.5. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés dans l’arrêt n° 53/2023 précité, il y a lieu de constater que le moyen unique est fondé. L’article 1er, § 2, 5°, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 122, 1°, de la loi du 28 mars 2024, et l’article 12bis, § 1 er, du même Code violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas, à l’égard des étrangers qui sont analphabètes, qui
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possèdent les compétences linguistiques orales exigées et qui, parce qu’il leur manque des compétences et notions linguistiques de base, ne sont pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites correspondant à ce niveau, même en participant aux formations organisées à cet effet, une exception à l’exigence de posséder une connaissance minimale d’une des langues nationales correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
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Par ces motifs,
la Cour
annule l’article 1er, § 2, 5°, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 122, 1°, de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », et l’article 12bis, § 1er, du même Code, en ce que ces dispositions ne prévoient pas, à l’égard des étrangers qui sont analphabètes, qui possèdent les compétences linguistiques orales exigées et qui, parce qu’il leur manque des compétences et notions linguistiques de base, ne sont pas en mesure d’acquérir les aptitudes écrites correspondant à ce niveau, même en participant aux formations organisées à cet effet, une exception à l’exigence de posséder une connaissance minimale d’une des langues nationales correspondant au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 septembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul