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26/09/2024 | BELGIQUE | N°100/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 26 septembre 2024, 100/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 100/2024
du 26 septembre 2024
Numéro du rôle : 8010
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 207, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992, introduit par l’article 53, 1°, de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l’impôt des sociétés » (actuellement l’article 206/3, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992), posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des

juges Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Magali Plovi...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 100/2024
du 26 septembre 2024
Numéro du rôle : 8010
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 207, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992, introduit par l’article 53, 1°, de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l’impôt des sociétés » (actuellement l’article 206/3, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992), posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 23 mai 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 juin 2023, le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 207 alinéa 7 du code des impôts sur les revenus 1992 tel qu’introduit par l’article 53, 1° de la loi du 25 décembre 2017, (actuel article 206/3, § 1, code des impôts sur les revenus 1992), viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que cette disposition doit être interprétée en ce sens que son application est susceptible de générer un supplément d’impôt qui dépend, dans certaines situations, de l’appréciation des termes ‘ en l’absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 % d’accroissements ’ repris à l’article 444
du CIR 92, étant donné qu’aucun critère objectif ni autre ne définit cette notion, induisant ainsi le fait que l’existence même d’une dette d’impôt pourrait relever de la seule appréciation de l’agent taxateur et non de la loi ? ».
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Des mémoires ont été introduits par :
- la SA « Products Supplies & Services Europe », assistée et représentée par Me Christophe Halet, avocat au barreau de Liège-Huy;
- la SA « Lantman », assistée et représentée par Me Thierry Lauwers, avocat aux barreaux de Gand et de Bruxelles (partie intervenante);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Isabelle Tasset, avocate au barreau de Liège-Huy.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « Lantman »;
- le Conseil des ministres.
Par ordonnance du 29 mai 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 12 juin 2024, a fixé l’audience au 10 juillet 2024.
À l’audience publique du 10 juillet 2024 :
- ont comparu :
. Me Thierry Lauwers, pour la SA « Lantman »;
. Me Aurore Dewulf, avocate au barreau du Brabant wallon, loco Me Isabelle Tasset, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. Les faits et la procédure antérieure
La SA « Products Supplies & Services Europe », partie demanderesse devant la juridiction a quo, a introduit sa déclaration à l’impôt des sociétés relative à l’exercice d’imposition 2020 avec 22 jours de retard. Elle avait également introduit tardivement ses déclarations relatives aux exercices d’imposition 2016, 2017 et 2018.
L’administration fiscale lui a ensuite adressé une notification d’imposition d’office pour l’exercice d’imposition 2020. Cette imposition d’office a été calculée sur la base du résultat déclaré tardivement de 33 143,10 euros. Un accroissement d’impôt de 50 % a été appliqué, s’agissant d’une quatrième infraction sans intention d’éluder l’impôt. En application de l’article 207, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-
après : le CIR 1992), la déduction des pertes est rejetée pour cet exercice.
La SA « Products Supplies & Services Europe » conteste le rejet de ses pertes professionnelles par une réclamation introduite auprès de l’administration fiscale puis, après le rejet de celle-ci, devant la juridiction a quo.
Devant la juridiction a quo, la SA « Products Supplies & Services Europe » fait valoir que l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 est arbitraire en ce qu’il autorise l’agent taxateur à évaluer la bonne foi du contribuable de manière discrétionnaire.
La juridiction a quo observe qu’avant l’insertion de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 par l’article 53, 1°
(lire : 4°), de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l’impôt des sociétés », l’accroissement d’impôt pouvait être calculé sur une base imposable réduite à 0 euro, ce qui n’a pas incité la SA « Products Supplies &
Services Europe » à remplir correctement ses obligations de déclaration. Elle observe par ailleurs que la notion de bonne foi n’est d’aucun intérêt dans le litige qui lui est soumis, dès lors que celui-ci concerne une quatrième infraction, à l’égard de laquelle l’administration fiscale ne dispose d’aucune marge d’appréciation. Estimant que la question préjudicielle suggérée par la partie requérante est néanmoins utile à la solution du litige, la juridiction a quo soumet celle-ci à la Cour, après l’avoir légèrement reformulée.
III. En droit
-A-
A.1. La SA « Products Supplies & Services Europe » expose que l’application de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 dépend « dans certaines situations » de l’appréciation, par l’administration fiscale, de la bonne foi du contribuable, étant donné que l’article 444, alinéa 2, du même Code dispose qu’« en l’absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 % d’accroissement ».
Selon la SA « Products Supplies & Services Europe », l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 traite différemment les contribuables qui ont correctement rempli leurs obligations fiscales et ceux qui ont introduit une déclaration fiscale tardive ou inexacte. Alors que les contribuables de la première catégorie voient leur cotisation à l’impôt des sociétés enrôlée sur la base de leur déclaration présumée exacte en vertu de l’article 339 du CIR 1992, les contribuables de la seconde catégorie sont soumis, d’une part, à une imposition d’office en vertu de l’article 351
du même Code ou à une rectification en vertu de l’article 346 du même Code et, d’autre part, à un accroissement d’impôt de minimum 10 %.
L’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 entraîne des effets disproportionnés pour les contribuables qui font l’objet d’une imposition d’office, dès lors que la limitation de déduction des pertes prévue par cette disposition porte, dans ce cas, sur l’intégralité de leur résultat. De même, les accroissements d’impôts portent sur tous les revenus déclarés tardivement. En cas de rectification de la déclaration, par contre, la limitation de déduction des pertes prévue à l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 vise uniquement le supplément de base imposable. Les contribuables dont la déclaration est rectifiée peuvent ainsi toujours opérer des déductions de leurs pertes sur la
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partie de la base imposable non rectifiée. Les accroissements d’impôts qui leur sont appliqués portent par ailleurs uniquement sur le supplément de revenus.
Une société qui déclare tardivement une base imposable inexistante ou très faible peut ainsi se voir enrôler une cotisation démesurée. La sanction du dépôt tardif de la déclaration fiscale est d’autant plus disproportionnée lorsqu’il s’agit d’une première infraction. Dans cette hypothèse, l’application de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 444 du même Code, relève de la seule appréciation de l’agent taxateur.
La SA « Products Supplies & Services Europe » expose que certaines juridictions tentent de limiter les conséquences disproportionnées que la disposition en cause entraîne pour le contribuable. Elle se réfère à cet égard à un jugement du Tribunal de première instance de Gand du 13 septembre 2022 (n° 21/655/A).
A.2.1. Le Conseil des ministres observe que l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 nécessite la réunion de deux conditions cumulatives : d’une part, la rectification de la déclaration de la société ou l’imposition d’office de ses revenus et, d’autre part, l’application effective d’un accroissement d’impôt. Cette disposition n’exige pas qu’en cas d’imposition d’office visée à l’article 351 du même Code, l’administration fiscale rectifie les revenus déclarés tardivement par le contribuable. L’objectif du législateur est, d’une part, de garantir l’imposition effective des suppléments à la suite de contrôles et, d’autre part, d’inciter les entreprises à remplir correctement leurs obligations de déclaration. L’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 n’est pas mis en œuvre lorsqu’un accroissement de 10 % n’est pas effectivement appliqué à l’égard d’une première infraction commise en l’absence de mauvaise foi ou à l’égard d’une augmentation de revenus inférieure à 2 500 euros. Les pertes dont la déduction n’est pas autorisée en vertu de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 pour un exercice donné peuvent toujours être déduites au cours des périodes imposables ultérieures, à condition que la société respecte ses obligations fiscales. Cette disposition entraîne dès lors uniquement une anticipation de la perception de l’impôt.
À titre principal, le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle n’est manifestement pas utile à la solution du litige. La question préjudicielle concerne la situation, visée à l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992, dans laquelle l’administration fiscale dispose de la possibilité de renoncer à imposer un accroissement d’impôts de 10 % en l’absence de mauvaise foi et uniquement pour la première infraction. L’administration fiscale ne dispose pas d’une telle possibilité dans le litige soumis à la juridiction a quo, dès lors que celui-ci concerne une quatrième infraction. Cette quatrième infraction a été sanctionnée d’un accroissement d’impôts de 50 %, conformément à l’échelle des accroissements d’impôts fixée à l’article 225 de l’arrêté royal du 27 août 1993
« d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 » (ci-après : l’AR/CIR 1992), en application de l’article 444, alinéa 1er, du CIR 1992. Le législateur a voulu que cette échelle s’impose à l’administration fiscale sans marge d’appréciation de la part de cette dernière lorsque le taux d’accroissement excède 10 %. Le raisonnement de la juridiction a quo est difficilement compréhensible, puisqu’elle admet elle-même que la notion de bonne foi est sans intérêt dans le litige qui lui est soumis.
À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la disposition en cause ne viole pas les articles 10, 11
et 172 de la Constitution. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 7/2019 du 23 janvier 2019
(ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.007), la possibilité pour l’administration fiscale de renoncer au minimum de 10 %
d’accroissement d’impôts, prévue à l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992, permet de tenir compte du principe de proportionnalité. Cette possibilité ne donne pas lieu à des décisions arbitraires. Balisée par le commentaire administratif du CIR 1992, elle a pour conséquence que l’administration fiscale peut décider de maintenir le minimum de 10 % d’accroissement uniquement après avoir analysé les circonstances de chaque cas. Le contribuable peut en tout état de cause contester la position de l’administration fiscale en introduisant un recours auprès de celle-ci et, le cas échéant, devant les tribunaux. Il ne peut être reproché au législateur de ne pas avoir établi des critères à ce point précis que l’administration fiscale et le juge ne disposeraient plus d’aucun pouvoir d’appréciation dans une matière qui se caractérise par une très grande diversité de situations. Dans notre système déclaratoire, il appartient au contribuable de remplir ses obligations fiscales. Comme la juridiction a quo le précise dans la décision de renvoi, l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 permet d’atteindre les objectifs poursuivis par le législateur, contrairement au système antérieurement en vigueur.
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A.2.2. Le Conseil des ministres soutient que la SA « Products Supplies & Services Europe » critique l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 bien au-delà de l’hypothèse visée par la question préjudicielle. La remise tardive d’une déclaration fiscale porte préjudice à l’État, puisqu’elle risque de l’empêcher de lever l’impôt dans les délais légaux et qu’elle entraîne un surcroît de travail pour ses services. La procédure de rectification visée à l’article 346 du CIR 1992 et la procédure d’imposition d’office visée à l’article 351 du même Code sont deux procédures distinctes. Il ne peut être reproché au législateur de ne pas appréhender toutes les hypothèses.
A.3. La SA « Lantman » estime disposer d’un intérêt à intervenir, dès lors qu’elle est confrontée à une imposition dans le cadre de laquelle il est fait application de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 à la suite d’un accroissement d’impôt de 10 %, imposition qu’elle conteste dans le cadre d’une procédure judiciaire en cours. La SA « Lantman » intervient en qualité de liquidateur de la SA « Steelinvest », qui a été dissoute et liquidée le 19 décembre 2019. L’administration fiscale a rectifié la base imposable de la SA « Steelinvest » pour l’exercice d’imposition 2019. Elle a appliqué un accroissement d’impôts de 10 % pour une première infraction sans intention d’éluder l’impôt, en vertu de l’article 444 du CIR 1992 juncto l’article 226 (lire : 225) de l’AR/CIR 1992. Elle a refusé de déduire les pertes de la période imposable s’élevant à 911 421,52 euros, conformément à l’article 207, alinéa 7, du même Code. Une cotisation à l’impôt des sociétés d’un montant de 46 915,39 euros a ensuite été établie à charge de la SA « Steelinvest » pour l’exercice d’imposition 2019. Après le rejet de sa réclamation administrative dirigée contre cette cotisation, la SA « Lantman » a introduit une action devant le Tribunal de première instance de Flandre occidentale. Elle a demandé à ce Tribunal de poser des questions préjudicielles à la Cour concernant la constitutionnalité de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992.
La SA « Lantman » soutient qu’elle est confrontée à la même hypothèse que celle qui est à l’origine de la question préjudicielle présentement examinée. Elle fait valoir que l’application effective d’un accroissement d’impôt de 10 % à la partie du résultat qui fait l’objet d’une rectification ou d’une imposition d’office « déclenche »
l’application de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 et, par conséquent, la naissance d’une base imposable minimale. L’administration fiscale n’est toutefois pas tenue d’imposer un accroissement d’impôt de 10 % en l’absence de mauvaise foi. L’application ou non de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 repose dès lors sur l’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale quant à l’application ou non, en l’absence de mauvaise foi, d’un accroissement d’impôt de 10 %. L’administration fiscale a reconnu qu’elle dispose d’un tel pouvoir d’appréciation dans ses conclusions de synthèse dans la procédure judiciaire en cours à laquelle la SA « Lantman »
est partie. Le législateur n’a pas fixé de lignes directrices permettant de déterminer quand l’administration fiscale renonce ou non à l’accroissement de 10 % en l’absence de mauvaise foi.
Selon la SA « Lantman », il y a également lieu d’examiner la conformité de la disposition en cause au regard de l’article 170, § 1er, de la Constitution. La portée de la question préjudicielle n’en serait pas modifiée, puisque cette disposition est liée aux normes de contrôle mentionnées dans la question préjudicielle.
La SA « Lantman » soutient que l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 viole les articles 10, 11, 170, § 1er, et 172, alinéa 2, de la Constitution, en ce qu’il laisse à un organe non élu le pouvoir de déterminer la base imposable, le montant final de l’impôt et les exonérations éventuellement applicables et en ce qu’il ne permet pas au contribuable de déterminer, avec un niveau minimum de prévisibilité, le régime fiscal qui lui sera appliqué. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a supposé qu’aucun accroissement d’impôt ne s’appliquerait en cas d’infraction commise de bonne foi. L’administration fiscale n’en tient toutefois pas compte dans le cas de la SA « Lantman ». En l’absence de critères établis par la loi, le contrôle du juge est aussi arbitraire que l’est la décision de l’administration fiscale. La doctrine partage la position de la SA « Lantman ». Selon cette dernière, rien ne justifie de maintenir les effets de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 pour le passé. Les effets de la disposition en cause ne pourraient en tout cas pas être maintenus à l’égard des procédures judiciaires en cours.
A.4. Le Conseil des ministres répond, premièrement, que la situation de la SA « Steelinvest » diffère de la situation soumise à la juridiction a quo. Deuxièmement, il n’appartient pas à la SA « Lantman » d’étendre la portée de la question préjudicielle. Troisièmement, l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 est clair et précis. Quatrièmement, les critiques de la SA « Lantman » sont dirigées en réalité contre l’article 444 du CIR 1992. Cinquièmement, aucun accroissement ne sera établi en cas de force majeure. Sixièmement, la faculté pour l’administration fiscale de renoncer à l’accroissement de 10 % permet d’éviter une sanction automatique pour une première infraction. Il est cohérent qu’en cas de renoncement à l’accroissement de 10 %, les pertes déductibles puissent être prises en
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compte, sous peine de taxer plus lourdement le contribuable à l’égard duquel l’administration fiscale a fait preuve de clémence. Septièmement, l’administration fiscale a justifié devant le Tribunal de première instance de Flandre occidentale sa décision de ne pas renoncer à l’accroissement de 10 % à l’égard de la SA « Steelinvest ».
-B-
B.1.1. L’article 207, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il est applicable à l’exercice d’imposition 2020, dispose :
« Aucune de ces déductions ou compensation avec la perte de la période imposable ne peut être opérée [...] sur la partie du résultat qui fait l’objet d’une rectification de la déclaration visée à l’article 346 ou d’une imposition d’office visée à l’article 351 pour laquelle des accroissements d’un pourcentage égal ou supérieur à 10 p.c. visés à l’article 444 sont effectivement appliqués, à l’exception dans ce dernier cas des revenus déductibles conformément à l’article 205, § 2 ».
L’article 351 du CIR 1992 prévoit que l’administration fiscale peut procéder à la taxation d’office en raison du montant des revenus imposables qu’elle peut présumer eu égard aux éléments dont elle dispose, notamment en cas de remise tardive par le contribuable de sa déclaration fiscale.
L’article 444 du CIR 1992, tel qu’il est applicable à l’exercice d’imposition 2020, dispose :
« En cas d’absence de déclaration, de remise tardive de celle-ci ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés, déterminés avant toute imputation de précomptes, de crédits d’impôt, de quotité forfaitaire d’impôt étranger et de versements anticipés, sont majorés d’un accroissement d’impôt fixé d’après la nature et la gravité de l’infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 % à 200 % des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés.
En l’absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 % d’accroissement.
Le total des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés et de l’accroissement d’impôt ne peut dépasser le montant des revenus non déclarés.
L’accroissement ne s’applique que si les revenus non déclarés atteignent 2.500 euros.
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Aucun accroissement d’impôt n’est appliqué lorsque la réintégration dans la comptabilité de bénéfices dissimulés, comme prévu aux articles 219 et é, alinéa 2, est faite dans un exercice comptable postérieur à l’exercice comptable au cours duquel le bénéfice dissimulé a été réalisé dans les conditions visées dans ce même article 219, alinéa 4 ».
B.1.2. Les termes « sur la partie du résultat qui fait l’objet d’une rectification de la déclaration visée à l’article 346 ou d’une imposition d’office visée à l’article 351 pour laquelle des accroissements d’un pourcentage égal ou supérieur à 10 p.c. visés à l’article 444 sont effectivement appliqués, à l’exception dans ce dernier cas des revenus déductibles conformément à l’article 205, § 2 » ont été introduits à l’article 207, alinéa 2 (devenu l’alinéa 7), du CIR 1992 par l’article 53, 4°, de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l’impôt des sociétés », lequel s’applique à partir de l’exercice d’imposition 2019 (article 86, A, de la même loi).
Cette mesure a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires :
« [La] présente disposition complète l’article 207, alinéa 2, CIR 92 actuel (devenu l’alinéa 7) afin de garantir l’imposition effective des suppléments à la suite de contrôles.
Pour inciter les entreprises à remplir correctement leurs obligations de déclaration, il n’y aura dorénavant, exception faite des déductions pour RDT non-encore effectuées pour l’année même, plus de déduction fiscale autorisée (cela vaut aussi pour les pertes de l’année d’exercice même) sur les suppléments de la base imposable qui sont établis à la suite d’un contrôle fiscal (base imposable minimale). Cette mesure vise également à obtenir une plus grande conformité des pratiques fiscales (‘ compliance ’).
Toutefois, cette disposition ne s’appliquera qu’en cas d’application effective des accroissements visés à l’article 444, CIR 92, d’un pourcentage égal ou supérieur à 10 p.c.
La taxation effective sans déduction d’éléments déductibles sur les suppléments de base imposable sera d’application lorsqu’un accroissement d’impôt est effectivement appliqué. Dans les cas où un accroissement de 10 p.c. est applicable mais qu’il n’est pas effectivement appliqué (en l’absence de mauvaise foi), la mesure ne trouvera pas à s’appliquer si cela concerne une première infraction.
Dans les autres cas l’impôt devra toujours être effectivement payé par le contribuable.
La disposition en projet s’appliquera donc toujours en cas de fraude, le taux des accroissements étant dans ce cas toujours d’au moins 50 p.c. » (Doc. parl., Chambre, 2017-
2018, DOC 54-2864/001, pp. 94-95).
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B.1.3. L’échelle des accroissements prévue par l’article 444 du CIR 1992 a été établie par l’article 225 de l’arrêté royal du 27 août 1993 « d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 » (ci-après : l’AR/CIR 1992), comme suit :
Nature des infractions Accroissements A. Absence de déclaration due à des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable : Néant B. Absence de déclaration sans intention d’éluder l’impôt :
- 1ère infraction (compte non tenu des absences de déclaration visées sub A) : 10 p.c.
- 2e infraction : 20 p.c.
- 3e infraction : 30 p.c.
À partir de la 4e infraction, les infractions de cette nature sont classées sub C et sanctionnées comme telles.
C. Absence de déclaration avec intention d’éluder l’impôt :
- 1ère infraction : 50 p.c.
- 2e infraction : 100 p.c.
- 3e infraction et infractions suivantes : 200 p.c.
D. Absence de déclaration accompagnée soit d’une inexactitude ou omission par faux ou d’un usage de faux au cours de la vérification de la situation fiscale, soit d’une corruption ou d’une tentative de corruption de fonctionnaire :
dans tous les cas : 200 p.c.
B.1.4. Le contenu de l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 a été déplacé vers l’article 206/3, § 1er, du même Code par les articles 12 et 15, c), de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/001, pp. 15-
16), lequel s’applique à partir de l’exercice d’imposition 2022 (article 23 de la même loi).
Cette modification est sans incidence sur l’examen de la question préjudicielle.
B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992, tel qu’il est applicable à l’exercice d’imposition 2020, est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, « en ce que cette disposition doit être interprétée en ce sens que son application est susceptible de générer un supplément d’impôt qui dépend, dans certaines situations, de l’appréciation des termes ‘ en l’absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 % d’accroissements ’ repris à l’article 444 du CIR 92, étant donné qu’aucun
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critère objectif ni autre ne définit cette notion, induisant ainsi le fait que l’existence même d’une dette d’impôt pourrait relever de la seule appréciation de l’agent taxateur et non de la loi ».
B.3. Le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle est inutile pour la solution du litige au fond, étant donné qu’elle concerne la situation visée à l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992 dans laquelle l’administration fiscale peut renoncer à imposer un accroissement d’impôts de 10 % en l’absence de mauvaise foi pour une première infraction, tandis que le litige au fond concerne une quatrième infraction et dès lors un accroissement d’impôt de 50 %.
B.4. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
B.5.1. L’accroissement d’impôt visé à l’article 444 du CIR 1992 est une sanction administrative que le législateur a prévue en cas de non-déclaration, en cas de remise tardive de la déclaration ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, pourvu que les revenus non déclarés dépassent 2 500 euros.
Les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés sont majorés d’un accroissement d’impôt fixé par le Roi, d’après la nature et la gravité de l’infraction, sans que le total puisse dépasser le montant des revenus non déclarés.
Selon l’échelle des accroissements établie par l’article 225 de l’AR/CIR 1992 précité, une première infraction est sanctionnée d’un accroissement d’impôt de 10 %.
En vertu de l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 225 de l’AR/CIR 1992, l’administration fiscale peut renoncer à imposer l’accroissement d’impôt minimum de 10 % applicable à une première infraction s’il y a « absence de mauvaise foi ».
B.5.2. L’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 prévoit, quant à lui, qu’aucune déduction de la perte de la période imposable ne peut être opérée sur la partie du résultat qui fait l’objet d’une
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imposition d’office « pour laquelle des accroissements d’un pourcentage égal ou supérieur à 10 p.c. visés à l’article 444 sont effectivement appliqués ».
Comme le mentionnent les travaux préparatoires cités en B.1.2, il s’ensuit que, lorsque l’administration fiscale renonce, en vertu de l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 225 de l’AR/CIR 1992, à imposer l’accroissement d’impôt minimum de 10 % applicable à une première infraction commise en l’absence de mauvaise foi, l’interdiction de déduction des pertes énoncée à l’article 207, alinéa 7, du CIR 1992 ne s’applique pas.
B.6.1. Le litige soumis à la juridiction a quo concerne une quatrième infraction qui a donné lieu à un accroissement d’impôt de 50 %, de sorte que, comme l’observe la juridiction a quo elle-même, la faculté prévue à l’article 444, alinéa 2, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 225 de l’AR/CIR 1992, de renoncer à l’accroissement d’impôt minimum de 10 % pour une première infraction en l’absence de mauvaise foi ne s’y applique pas.
B.6.2. Une réponse à la question préjudicielle n’est manifestement pas utile à la solution du litige.
L’exception est fondée.
11
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 septembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 100/2024
Date de la décision : 26/09/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

La question préjudicielle n'appelle pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 207, alinéa 7, du Code des impôts sur les revenus 1992, introduit par l'article 53, 1°, de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l'impôt des sociétés » (actuellement l'article 206/3, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992), posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège. Droit fiscal - Impôts sur les revenus - Impôt des sociétés - Remise tardive de la déclaration - Accroissements d'impôts - Renonciation


Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-09-26;100.2024 ?

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