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26/09/2024 | BELGIQUE | N°98/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 26 septembre 2024, 98/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 98/2024
du 26 septembre 2024
Numéros du rôle : 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927
En cause : les recours en annulation partielle de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE », introduits par la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », par la SA « Spotify Belgium » et la so

ciété de droit suédois « Spotify AB », par la société de droit irlandais « Meta P...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 98/2024
du 26 septembre 2024
Numéros du rôle : 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927
En cause : les recours en annulation partielle de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE », introduits par la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », par la SA « Spotify Belgium » et la société de droit suédois « Spotify AB », par la société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », par la SRL « Streamz » et par la SA « Sony Music Entertainment Belgium » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 janvier 2023 et parvenue au greffe le 31 janvier 2023, un recours en annulation des articles 39 et 54 de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » (publiée au Moniteur belge du 1er août 2022)
a été introduit par la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », assistées et représentées par Me William Timmermans, Me Gerrit Vandendriessche et Me Sophie Lens, avocats au barreau de Bruxelles.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 janvier 2023 et parvenue au greffe le 1er février 2023, un recours en annulation des articles 60, 61 et 62 de la même loi a été introduit par la SA « Spotify Belgium » et la société de droit
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suédois « Spotify AB », assistées et représentées par Me Ted Shapiro et Me Carina Gommers, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me Steve Ronse, Me Thomas Quintens et Me Guillaume Vyncke, avocats au barreau de Flandre occidentale.
c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 janvier 2023 et parvenue au greffe le 1er février 2023, la société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », assistée et représentée par Me Benoit Van Asbroeck et Me Marc Martens, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 38, 39 et 40 de la même loi.
d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 janvier 2023 et parvenue au greffe le 1er février 2023, la SRL « Streamz », assistée et représentée par Me Joos Roets et Me Timothy Roes, avocats au barreau d’Anvers, et par Me Christoph De Preter et Me Judith Bussé, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 61 et 62 de la même loi.
e. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 janvier 2023 et parvenue au greffe le 1er février 2023, un recours en annulation des articles 54 et 60 à 62 de la même loi a été introduit par la SA « Sony Music Entertainment Belgium », la SA « Universal Music », la SA « Warner Music Benelux », la SRL « Play It Again, Sam », la SA « North East West South », la SA « CNR Records » et l’ASBL « Belgian Recorded Music Association », assistées et représentées par Me Jean-François Bellis, Me Peter L’Ecluse et Me Margot Vogels, avocats au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
- la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », assistées et représentées par Me Sophie Lens, Me William Timmermans et Me Gerrit Vandendriessche (parties intervenantes dans les affaires nos 7924, 7925 et 7927);
- la SC « Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs » (SABAM), assistée et représentée par Me Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles (partie intervenante dans toutes les affaires);
- la SC « Société de Droit d’Auteur des Journalistes », assistée et représentée par Me Tanguy de Haan et Me Maxime Vanderstraeten, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante dans les affaires nos 7922 et 7925);
- l’ASBL « Flemish Games Association », l’ASBL « Wallonia Games Association », l’ASBL « Games.brussels », l’ASBL « Video Games Federation Belgium », l’AISBL « Video Games Europe » et l’ASBL de droit suédois « European Games Developer Federation Ekonomisk Förening », assistées et représentées par Me Pieter Paepe, avocat au barreau de
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Bruxelles, et par Me Stefan Sottiaux, avocat au barreau d’Anvers (parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927);
- la SRL « Streamz », assistée et représentée par Me Joos Roets, Me Timothy Roes, Me Christoph De Preter et Me Judith Bussé (partie intervenante dans les affaires nos 7924 et 7927);
- la société de droit français « Deezer », assistée et représentée par Me Steve Ronse, Me Thomas Quintens, Me Guillaume Vyncke, Me Ted Shapiro et Me Carina Gommers (partie intervenante dans les affaires nos 7924, 7926 et 7927);
- la SA « Spotify Belgium » et la société de droit suédois « Spotify AB », assistées et représentées par Me Steve Ronse, Me Thomas Quintens, Me Guillaume Vyncke, Me Ted Shapiro et Me Carina Gommers (parties intervenantes dans l’affaire n° 7926);
- la SC « PlayRight », l’ASBL « De Acteursgilde », l’ASBL « Fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis », l’ASBL « De Muziekgilde » et la fondation d’utilité publique « Fondation de l’Union des Artistes du Spectacle », assistées et représentées par Me Fabienne Brison, avocate au barreau de Bruxelles, et par Me Hans-Kristof Carême, avocat au barreau de Louvain (parties intervenantes dans toutes les affaires);
- la SC « Vlaamse Nieuwsmedia », la SC « La Presse.be - Alliance des Médias d’Information » et l’ASBL « WE MEDIA », assistées et représentées par Me François Tulkens, Me Sarah Van Den Brande, Me Jonathan Renaux et Me Pauline Van Muylder, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me Bernard Vanbrabant, avocat au barreau de Liège-Huy (parties intervenantes dans les affaires nos 7922 et 7925);
- la société de droit français « Société des auteurs et compositeurs dramatiques », la société de droit français « Société civile des auteurs multimédia », la SCRL « deAUTEURS », l’ASBL « Les Professionnels de la Production et de la Création Audiovisuelles », l’ASBL « Scenaristengilde » et l’ASBL « Unie van Regisseurs », assistées et représentées par Me Maxime Vanderstraeten et Me Alain Strowel, avocat au barreau de Bruxelles (parties intervenantes dans toutes les affaires);
- la SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels », assistée et représentée par Me Jean-Ferdinand Puyraimond, avocat au barreau de Bruxelles (partie intervenante dans toutes les affaires);
- la SA « Sony Music Entertainment Belgium », la SA « Universal Music », la SA « Warner Music Benelux », la SRL « Play It Again, Sam », la SA « North East West South », l’ASBL « Belgian Recorded Music Association » et la SA « CNR Records », assistées et représentées par Me Jean-François Bellis, Me Peter L’Ecluse et Me Margot Vogels (parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924 et 7926);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Aube Wirtgen et Me Pieter Callens, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
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Des mémoires en réplique ont été introduits par :
- la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. »;
- l’ASBL « Flemish Games Association » et autres;
- la société de droit français « Deezer »;
- la SA « Spotify Belgium » et la société de droit suédois « Spotify AB »;
- la SC « PlayRight » et autres;
- la SC « Vlaamse Nieuwsmedia » et autres;
- la société de droit français « Société des auteurs et compositeurs dramatiques » et autres;
- la SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels »;
- la SA « Sony Music Entertainment Belgium » et autres;
- le Conseil des ministres.
Par ordonnance du 29 mai 2024, après avoir entendu les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune, la Cour a décidé que les affaires étaient en état et fixé l’audience au 26 juin 2024.
À l’audience publique du 26 juin 2024 :
- ont comparu :
. Me William Timmermans, Me Sophie Lens et Me François Lambert, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7922;
. Me Steve Ronse et Me Thomas Quintens, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7924 et pour la société de droit français « Deezer »;
. Me Benoit Van Asbroeck, Me Camille Vanpeteghem et Me Kevin Munungu Lungungu, avocats au barreau de Bruxelles, également loco Me Marc Martens, pour la partie requérante dans l’affaire n° 7925;
. Me Joos Roets et Me Christoph De Preter, également loco Me Timothy Roes, pour la partie requérante dans l’affaire n° 7926;
. Me Peter L’Ecluse et Me Malik Aouadi, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7927;
. Me Frédéric Lejeune, pour la SC « Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs » (SABAM);
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. Me Tanguy de Haan, pour la SC « Société de Droit d’Auteur des Journalistes »;
. Me Christoph De Preter loco Me Pieter Paepe, pour l’ASBL « Flemish Games Association » et autres;
. Me Hans-Kristof Carême et Me Alessandra Poppe, avocate au barreau de Bruxelles, loco Me Fabienne Brison, pour la SC « PlayRight » et autres;
. Me François Tulkens, Me Sarah Van Den Brande, Me Jonathan Renaux, Me Pauline Van Muylder et Me Bernard Vanbrabant, pour la SC « Vlaamse Nieuwsmedia » et autres;
. Me Maxime Vanderstraeten et Me Leana Derard, avocate au barreau de Bruxelles, également loco Me Alain Strowel, pour la société de droit français « Société des auteurs et compositeurs dramatiques » et autres;
. Me Jean-Ferdinand Puyraimond, pour la SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels »;
. Me Aube Wirtgen et Me Pieter Callens, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A–
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne la position des parties requérantes
Affaire n° 7922
A.1.1. La société de droit américain « Google LLC » (ci-après : Google LLC) et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. » (ci-après : Google Ireland Ltd.) estiment disposer d’un intérêt à demander l’annulation de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » (ci-après : la loi du 19 juin 2022). Tout d’abord, Google LLC indique être responsable de l’acquisition des licences d’utilisation des contenus protégés par l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 « sur le droit d’auteur et les droits
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voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » (ci-après : la directive (UE) 2019/790), transposée par la loi du 19 juin 2022. Ensuite, Google Ireland Ltd. précise fournir les services Google dans l’espace économique européen ainsi qu’en Suisse, dans le cadre desquels des extraits de publication de presse, susceptibles d’être protégés en vertu de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, sont affichés en ligne à l’attention des utilisateurs. En outre, elles soulignent que Google LLC possède et contrôle l’infrastructure technique permettant à YouTube de fonctionner et que Google Ireland Ltd. est le fournisseur dans l’espace économique européen et en Suisse de ce service.
A.1.2. Les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées affectent directement et défavorablement leur situation juridique et économique. Premièrement, elles relèvent que ces dispositions confient à l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (ci-après : l’IBPT) le soin de prendre des décisions contraignantes dans le cas où des parties ne parviennent pas à un accord dans les quatre mois suivant le début des négociations, ce qui prive les parties requérantes de leur liberté contractuelle. Deuxièmement, la loi du 19 juin 2022 impose des obligations considérables en termes d’échange d’informations aux parties précitées, dont la portée n’est pas claire et qui doivent être respectées dans un délai d’un mois, ce qui est court. Ces obligations impliquent un investissement important et ne tiennent pas compte des limitations juridiques et contractuelles auxquelles les parties requérantes peuvent être soumises. Cette situation est aggravée par l’absence de garanties appropriées qui encadrent la divulgation des informations. Troisièmement, la loi du 19 juin 2022 prévoit un droit à la rémunération inaliénable et incessible, soumis à une gestion collective obligatoire, à payer par les prestataires de services de partage de contenus en ligne lorsque les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ont cédé à un tiers leur droit de communication au public. Le droit de communication au public est démembré en un droit d’autorisation et un droit à rémunération, de sorte que les prestataires de services de partage de contenus en ligne doivent conclure deux accords distincts pour le même contenu. Par ailleurs, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
impose aux prestataires précités de vérifier si les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants remplissent les conditions pour bénéficier du droit à rémunération, mais aussi d’assurer le paiement de ces personnes, dont la rémunération est déjà prévue dans les accords de licence que les prestataires de services de partage de contenus en ligne signent habituellement avec les titulaires de droits dérivés. Partant, il existe un risque élevé de devoir payer deux fois pour la même communication ou mise à disposition du public de l’objet protégé par le droit d’auteur.
Les parties requérantes ajoutent que le nouveau droit à la rémunération incessible, prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, ajoute une obligation supplémentaire par rapport au régime prévu par l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790. Enfin, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 restreint la libre prestation des services, telle que prévue à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), dès lors qu’il rend la prestation transfrontalière de services par les prestataires de services de partage de contenus en ligne moins attractive en créant des barrières juridiques et des coûts de transaction spécifiques au territoire belge.
A.1.3. En ce qui concerne la capacité d’agir, les parties requérantes soulignent que Google LLC a la personnalité juridique et est une société dûment constituée en vertu des lois de l’État du Delaware aux États-Unis d’Amérique et que Google Ireland Ltd. a également la personnalité juridique et est une société dûment constituée en vertu des lois de la République d’Irlande. Les parties requérantes ajoutent qu’en vertu de l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989), il n’est pas requis de fournir la preuve de la décision d’introduire le recours dans la requête, mais il suffit que la partie requérante soit en mesure de fournir cette preuve à la première demande. Dans ce cadre, les parties requérantes produisent, à l’occasion de leur mémoire en réponse, plusieurs pièces destinées à prouver la validité de la décision d’introduire le recours.
Affaire n° 7924
A.2.1. La SA « Spotify Belgium » (ci-après : Spotify Belgium) et la société de droit suédois « Spotify AB »
(ci-après : Spotify AB) estiment disposer d’un intérêt à demander l’annulation des articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, dès lors que ces dispositions introduisent un régime de droit à une rémunération individuelle qui affecte directement les entreprises telles que Spotify. En effet, celle-ci est un prestataire de services de la société de l’information au sens de l’article XI.228/10 du Code de droit économique et est explicitement visée dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022.
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A.2.2. Les parties requérantes précisent que les intérêts de Spotify sont affectés défavorablement par la loi du 19 juin 2022, puisque cette entité est désormais responsable des paiements aux sociétés de gestion ou aux organismes de gestion collective, ce qui n’était pas le cas auparavant, et ce, malgré le fait que Spotify accorde des licences et verse une rémunération aux titulaires de droits d’auteur et de droits voisins (ci-après : les titulaires de droits) pour les droits des artistes-interprètes ou exécutants. Le nouveau système de rémunération a une incidence directe sur la liberté contractuelle de Spotify, ses opérations commerciales et sa capacité à fournir des services en Belgique.
A.2.3. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes précisent que les décisions d’intenter le recours ont été prises par leur conseil d’administration avant le dépôt de la requête.
Affaire n° 7925
A.3.1. La société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland » soutient être directement et défavorablement affectée, sur le plan juridique et économique, par la loi du 19 juin 2022, de sorte qu’elle dispose de l’intérêt requis pour demander l’annulation des articles 38 et 39 de cette loi. Elle précise mettre à disposition le service Facebook en Belgique, qui permet aux utilisateurs, y compris les éditeurs de presse, de partager des publications de presse, y compris des hyperliens vers ces publications. Selon elle, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après : la Cour de justice) relative aux articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (ci-après : la directive 2001/29/CE) que les droits visés par ces dispositions sont des droits exclusifs permettant à leurs titulaires d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la mise à disposition du public de leurs œuvres. Ces droits sont également de nature préventive, en ce sens que tout acte de reproduction ou de mise à disposition du public des œuvres ou des prestations du titulaire du droit d’auteur ou des droits voisins nécessite son consentement préalable.
La partie requérante précise que le législateur européen a entendu faire bénéficier également les éditeurs de presse des droits précités. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 prévoit ainsi que, dans les limites fixées aux considérants nos 54, 55 et 57, les États membres doivent accorder aux éditeurs de presse établis dans l’Union européenne les droits voisins prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse.
A.3.2. Selon la partie requérante, la loi du 19 juin 2022 est susceptible d’être interprétée comme exigeant des prestataires de services de la société de l’information et des éditeurs de presse qu’ils négocient l’utilisation des publications de presse dans les conditions qu’elle fixe, indépendamment des types d’usage et des spécificités du service fourni par le prestataire de services de la société de l’information concerné. En outre, certains passages dans les travaux préparatoires de cette loi semblent suggérer qu’en pratique, une rémunération est par conséquent due aux éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse. Par ailleurs, la loi du 19 juin 2022 impose aux prestataires de services de la société de l’information des obligations d’information à l’égard des éditeurs de presse. Ces prestataires doivent, à la demande écrite des éditeurs de presse, fournir des informations actualisées, pertinentes et complètes quant à l’exploitation de leurs publications de presse afin qu’ils puissent évaluer la valeur de leurs droits voisins.
Dans l’hypothèse où la loi du 19 juin 2022 devrait être interprétée de la manière précitée, elle serait de nature à préjudicier la partie requérante, dès lors qu’elle l’obligerait à employer des ressources humaines importantes pour répondre à ces exigences disproportionnées et à procéder à des investissements potentiellement significatifs, à ses dépens, afin de réunir des informations qui peuvent ne pas être facilement disponibles, sans nécessairement prévoir, en contrepartie, des garanties suffisantes pour protéger la nature confidentielle des informations concernées, qui relèvent du secret d’affaires.
A.3.3.1. La partie requérante précise qu’il ressort de l’article 7 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, lorsqu’un recours en annulation est introduit par une personne morale, celle-ci n’est plus tenue de produire la preuve de la décision d’intenter le recours en annulation. Cette preuve doit être fournie à la première demande de la Cour. En outre, à moins que les statuts de la société doivent faire l’objet d’une publication aux annexes du Moniteur belge, il n’est pas requis d’en joindre une copie à la requête. Selon la partie requérante, l’article 7 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 fixe de manière complète et précise l’ensemble des règles applicables en ce qui concerne la capacité et la qualité des personnes morales, indépendamment du lieu géographique de leur siège social
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ou de leur forme juridique. Il ne ressort d’aucune disposition de la loi spéciale précitée, pas plus que de la jurisprudence de la Cour, que les personnes morales de droit étranger doivent être représentées par leur succursale belge.
A.3.3.2. La partie requérante ajoute que les conditions auxquelles peut être soumis le droit d’accès à un juge ne peuvent aboutir à restreindre le droit de manière à affecter sa substance même. Le droit d’accès au juge se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une forme de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente. Le fait d’exiger d’une société non établie en Belgique d’agir devant la Cour exclusivement par le biais d’une succursale établie en Belgique constituerait une barrière au droit d’accès au juge qui ne servirait aucunement la bonne administration de la justice.
Enfin, la partie requérante précise qu’elle est en l’espèce représentée par des avocats belges et qu’aucun élément de fait ou de droit est de nature à remettre en cause l’existence de la décision d’intenter le recours en annulation contre la loi du 19 juin 2022 ni le fait que cette décision ait été adoptée par l’organe compétent en vertu des statuts de la partie requérante.
Affaire n° 7926
A.4.1. La SRL « Streamz » estime disposer d’un intérêt à demander l’annulation des articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 au regard de son objet social, sur la base duquel elle propose une plateforme de streaming par laquelle du contenu audiovisuel belge, européen et international est proposé au consommateur.
A.4.2. La partie requérante précise qu’en application des dispositions attaquées, elle est désormais soumise à une obligation de rémunération qui engendre une charge financière supplémentaire, potentiellement lourde, ainsi qu’une réorganisation substantielle de la chaîne de valeur audiovisuelle locale. Selon la partie requérante, cette situation entraîne une incertitude juridique considérable et, en toute hypothèse, affaiblit davantage la position concurrentielle de la plateforme Streamz par rapport aux principales plateformes internationales de streaming.
Partant, la partie requérante est directement et défavorablement affectée par les dispositions attaquées. Selon la jurisprudence constante de la Cour, dès lors que l’intérêt au recours est établi, la partie requérante ne doit pas en outre justifier d’un intérêt pour chacun des moyens qu’elle invoque.
A.4.3. En ce qui concerne les exceptions d’irrecevabilité, la partie requérante relève tout d’abord que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un avocat agissant au nom d’une partie est présumé être mandaté par la personne qu’il prétend représenter. En vertu de l’article 440 du Code judiciaire, l’avocat ne doit pas présenter de procuration, sauf si la loi exige un mandat spécial, ce qui n’est pas le cas de la loi spéciale du 6 janvier 1989. La Cour conserve la possibilité, en vertu de l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, de demander à une personne morale de produire la preuve de la décision des organes compétents d’introduire le recours. Cependant, la partie qui soulève l’exception d’irrecevabilité doit toutefois démontrer de manière plausible que la décision d’agir en justice n’a pas été prise par les organes compétents, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
En toute hypothèse, l’organe compétent de la partie requérante, à savoir son conseil d’administration, a bien décidé, en temps utile, d’introduire le recours.
Affaire n° 7927
A.5.1. Les parties requérantes sont plusieurs personnes morales actives dans le secteur musical. Il s’agit tout d’abord de la SA « Sony Music Entertainment Belgium », de la SA « Universal Music », de la SA « Warner Music Benelux », de la SRL « Play It Again, Sam », de la SA « North East West South » et de la SA « CNR Records », qui se présentent comme des labels produisant, distribuant et commercialisant des enregistrements sonores des clips musicaux, notamment en octroyant sous licence les droits de reproduction et de mise à la disposition du public sur ces enregistrements et vidéos aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et aux services de streaming. Elles soutiennent disposer d’un intérêt à demander l’annulation des articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, dès lors que ces dispositions interfèrent substantiellement et de manière injustifiée avec leur liberté d’entreprise, y compris avec leur capacité à conclure des accords de licence qui correspondent à leurs propres intérêts commerciaux et à ceux des exécutants qu’elles représentent.
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A.5.2. La dernière partie requérante est l’ASBL « Belgian Recorded Music Association », qui représente les distributeurs et les producteurs de musique enregistrée en Belgique. Sa mission consiste à représenter, conseiller et avancer les intérêts de l’industrie musicale belge et à protéger ses valeurs. Elle précise que les dispositions attaquées interfèrent de manière injustifiée avec l’équilibre complexe et délicat des relations contractuelles du secteur musical.
En ce qui concerne la position des parties intervenantes
Affaire n° 7922
A.6. La SC « Vlaamse Nieuwsmedia », la SC « La Presse.be – Alliance des médias d’information » et l’ASBL « WE MEDIA » (ci-après : les parties intervenantes) soutiennent qu’elles ont intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7922, dès lors que, comme leurs statuts respectifs le mettent en évidence, l’arrêt de la Cour est susceptible d’influencer la situation dans laquelle elles se trouvent en termes de modalités de mise en œuvre du droit voisin reconnu aux éditeurs de presse établis en Belgique, affiliés auprès d’elles et dont elles défendent les intérêts.
Affaire n° 7924
A.7.1. Google LLC et Google Ireland Ltd. (ci-après : les premières parties intervenantes), qui sont les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, estiment disposer d’un intérêt à intervenir dans la procédure, dès lors qu’elles ont aussi introduit un recours en annulation de plusieurs dispositions de la loi du 19 juin 2022, dont notamment son article 54. Elles soutiennent que cette disposition interfère substantiellement et de manière injustifiée avec leur liberté d’entreprise, en ce compris leur liberté de contracter, et met à mal l’équilibre complexe et délicat des différents acteurs du secteur concerné. Partant, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 affecte la situation juridique et économique des premières parties intervenantes, notamment en ce qu’il a une incidence sur leur liberté contractuelle, sur leurs opérations commerciales et sur leur capacité à fournir des services en Belgique.
A.7.2. En ce qui concerne les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, les premières parties intervenantes soutiennent que le sort de ceux-ci est intimement lié à celui de l’article 54 de cette loi, qui couvre des situations a priori différentes. En effet, l’ensemble de ces dispositions consacrent, au profit des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants, à charge des prestataires de services de la société de l’information, un droit à la rémunération incessible, auquel il ne peut pas être renoncé et soumis à une gestion collective obligatoire, en contrepartie de la communication au public ou de la prestation. En réalité, le droit à la rémunération visé par l’article 54, d’une part, et par les articles 60 à 62, d’autre part, est essentiellement le même.
A.8. La société de droit français « Deezer » (ci-après : la seconde partie intervenante) se présente comme l’un des principaux fournisseurs de services de streaming musical, par le biais d’un site internet et d’applications, notamment en Belgique. La seconde partie intervenante soutient qu’elle dispose d’un intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7924, dès lors que le droit à la rémunération introduit par les dispositions attaquées dans cette affaire est susceptible de l’affecter directement. En effet, en application de ces dispositions, elle est désormais responsable des paiements aux sociétés de gestion et aux organismes de gestion collective, ce qui n’était pas le cas auparavant, et ce, malgré le fait qu’elle conclut déjà des licences et verse une rémunération pour les droits des exécutants aux titulaires de droits. Partant, le nouveau système de rémunération a une incidence directe et défavorable sur sa liberté contractuelle, sur ses opérations commerciales ainsi que sur sa capacité à fournir des services en Belgique.
Enfin, la seconde partie intervenante précise que les décisions requises du conseil d’administration afin d’intervenir dans l’affaire n° 7924 ont été prises en temps utile.
Affaire n° 7925
A.9. Google LLC et Google Ireland Ltd. (ci-après : les premières parties intervenantes), qui sont les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, estiment disposer d’un intérêt à intervenir dans la procédure, dès lors qu’elles ont aussi introduit un recours en annulation contre plusieurs dispositions de la loi du 19 juin 2022, dont son article 39. Les premières parties intervenantes ajoutent que les articles 38 et 40 de cette loi, également attaqués
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dans l’affaire n° 7925, sont directement et intrinsèquement liés à l’article 39, de sorte qu’elles disposent d’un intérêt à participer aux débats relatifs à ces dispositions. Pour le surplus, les premières parties intervenantes mettent en évidence le fait que les articles 38, 39 et 40 de la loi du 19 juin 2022 affectent directement et défavorablement leur situation juridique et économique, en tant que prestataires de services de la société de l’information.
A.10. La SC « Vlaamse Nieuwsmedia », la SC « La Presse.be – Alliance des médias d’information » et l’ASBL « WE MEDIA » (ci-après : les secondes parties intervenantes) soutiennent qu’elles ont intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7925, pour les mêmes raisons que celles développées dans l’affaire n° 7922, dans laquelle elles sont aussi parties intervenantes.
Affaire n° 7926
A.11. Spotify Belgium et Spotify AB, qui sont les parties requérantes dans l’affaire n° 7924, et la société de droit français « Deezer » (ci-après : les parties intervenantes) justifient leur intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7926 par des développements substantiellement identiques à ceux tendant à démontrer l’intérêt de la société de droit français « Deezer » à intervenir dans l’affaire n° 7924, dans laquelle elle est aussi partie intervenante. Les parties intervenantes précisent que les décisions d’intervenir dans l’affaire n° 7926 ont été prises en temps utile par les organes compétents.
Affaire n° 7927
A.12.1. Google LLC et Google Ireland Ltd. (ci-après : les premières parties intervenantes), qui sont les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, estiment disposer d’un intérêt à intervenir dans la procédure, dès lors qu’elles ont aussi introduit un recours en annulation contre plusieurs dispositions de la loi du 19 juin 2022, dont son article 54. Elles soutiennent que cette disposition interfère substantiellement et de manière injustifiée avec leur liberté d’entreprise, en ce compris leur liberté de contracter, et met à mal l’équilibre complexe et délicat des différents acteurs du secteur concerné. Partant, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 affecte la situation juridique et économique des premières parties intervenantes, notamment en ce qu’il a une incidence sur leur liberté contractuelle, leurs opérations commerciales et leur capacité à fournir des services en Belgique.
A.12.2. En ce qui concerne les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, les premières parties intervenantes soutiennent que le sort de ceux-ci est intimement lié à celui de l’article 54 de cette loi, qui couvre des situations a priori différentes. En effet, l’ensemble de ces dispositions consacrent, au profit des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants, à charge des prestataires de services de la société de l’information, un droit à la rémunération incessible, auquel il ne peut pas être renoncé et soumis à une gestion collective obligatoire, en contrepartie de la communication au public ou de la prestation. En réalité, le droit à la rémunération visé par l’article 54, d’une part, et par les articles 60 à 62, d’autre part, est essentiellement le même.
A.13. La société de droit français « Deezer » (ci-après : la seconde partie intervenante) justifie son intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7927 par des développements substantiellement identiques à ceux tendant à démontrer son intérêt à intervenir dans l’affaire n° 7924, dans laquelle elle est aussi partie intervenante. Elle précise également que les décisions requises du conseil d’administration afin d’intervenir dans l’affaire n° 7927 ont été prises en temps utile.
Affaires nos 7922 et 7925
A.14. La SC « Société de Droit d’Auteur des Journalistes » (ci-après : la partie intervenante), dont les membres sont des journalistes, soutient qu’elle dispose d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922 et 7925.
Elle précise que son objet est de gérer les droits d’auteur des journalistes, dont l’exploitation a été cédée à son profit. Or, les articles 37 à 40 de la loi du 19 juin 2022 instaurent un nouveau régime légal visant à protéger les éditeurs de publications de presse et les auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse. En particulier, les auteurs se voient attribuer « une part appropriée de la rémunération » que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse, et ont droit à des « informations actualisées, pertinentes et complètes » sur cette rémunération. Les travaux préparatoires de cette loi précisent que les journalistes peuvent être considérés comme auteurs d’œuvres intégrées dans les
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publications de presse. Partant, la partie intervenante ainsi que ses membres sont directement concernés par le nouveau dispositif légal, de sorte que l’intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922 et 7925 est établi.
Affaires nos 7924 et 7927
A.15. La SRL « Streamz » (ci-après : la partie intervenante), qui est la partie requérante dans l’affaire n° 7926, estime disposer d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7924 et 7927. La partie intervenante précise que ses membres sont des groupes belges de médias actifs dans les secteurs de la presse écrite, de la télévision, de la radiodiffusion, de télécommunications et de production de contenu. Elle ajoute avoir lancé, en septembre 2020, une plateforme flamande de streaming. La partie intervenante affirme que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 introduisent un certain nombre d’obligations supplémentaires par rapport à la directive (UE) 2019/790 qui est transposée, qui sont précisément contraires à celle-ci. C’est en particulier le cas du nouveau droit à la rémunération dont les plateformes de streaming sont débitrices, et ce, même si ces plateformes ont acquis contractuellement tous les droits sur ces œuvres audiovisuelles.
La partie intervenante soutient que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 la soumettent désormais à une obligation de paiement supplémentaire, alors qu’elle a déjà acquis légalement et contractuellement tous les droits pertinents sur les œuvres audiovisuelles qu’elle souhaite diffuser en continu. Ces dispositions l’affectent également de manière disproportionnée par rapport aux principales plateformes internationales de streaming et la placent désormais dans une situation d’incertitude juridique. Par ailleurs, compte tenu des conséquences économiques graves et onéreuses du droit à rémunération précité, il existe un risque qu’elle ne soit plus en mesure de rivaliser à armes égales avec les services internationaux de diffusion en continu. Ce risque est d’autant plus aggravé par la circonstance que les autres États membres n’ont pas introduit de droit à rémunération similaire, à l’occasion de la transposition de la directive (UE) 2019/790. En d’autres termes, le droit à la rémunération attaqué ne crée pas une harmonisation mais, au contraire, entraîne une distorsion du marché et une réduction de la compétitivité des plateformes de streaming et des productions audiovisuelles belges.
Affaires nos 7922, 7924 et 7926
A.16. La SA « Sony Music Entertainment Belgium », la SA « Universal Music », la SA « Warner Music Benelux », la SRL « Play It Again, Sam », la SA « North East West South », la SA « CNR Records » et l’ASBL « Belgian Recorded Music Association » (ci-après : les parties intervenantes) soutiennent qu’elles disposent d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924 et 7926, pour des raisons similaires à celles qu’elles invoquent à l’appui de leur intérêt à agir dans le cadre de l’affaire n° 7927, dans laquelle elles sont les parties requérantes.
Affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927
A.17.1. Dans l’hypothèse où les jeux vidéo créés, développés et édités par leurs membres respectifs entrent dans le champ d’application de la loi du 19 juin 2022, c’est-à-dire s’il s’agit d’œuvres audiovisuelles protégées par le droit d’auteur, les ASBL « Flemish Games Association », « Wallonia Games Association », « Games.brussels », « Video Games Federation Belgium », l’AISBL « Video Games Europe » et l’ASBL de droit suédois « European Games Developer Federation Ekonomisk Förening » (ci-après : les parties intervenantes)
estiment disposer d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927. En effet, comme leurs différents statuts le mettent en évidence, elles représentent les intérêts de l’ensemble des acteurs de l’industrie du jeu vidéo, y compris une proportion très importante des studios de développement, des éditeurs et des plateformes dans l’Union européenne et la quasi-totalité des studios de développement en Belgique.
A.17.2. Les parties intervenantes précisent que les dispositions attaquées portent gravement atteinte aux intérêts économiques et moraux de leurs membres car les droits à rémunération nouvellement introduits créent des charges financières supplémentaires, restreignent considérablement la liberté contractuelle et la liberté d’association et créent une grande incertitude juridique. Ces conséquences potentielles vont à l’encontre des objectifs poursuivis par les parties intervenantes, qui comprennent le développement de l’industrie des jeux vidéo et l’élimination des barrières qui empêchent la publicité gratuite.
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Affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927
Première partie intervenante
A.18. La SC « Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs » (SABAM) (ci-après : la première partie intervenante) estime disposer d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927.
Elle se présente comme une société de gestion collective, autorisée à exercer ses activités par arrêté ministériel, notamment au profit des auteurs au sens des articles 54 et 62 de la loi du 19 juin 2022. Dans la mesure où les articles 54 et 60 à 62 de cette loi portent notamment sur des mécanismes de gestion collective obligatoire dans le domaine des droits d’auteur, la situation de la première partie intervenante est susceptible d’être directement affectée par l’arrêt que la Cour rendra à propos des recours en annulation dirigés contre ces articles.
Deuxièmes parties intervenantes
Recevabilité de l’intervention
A.19. Plusieurs personnes morales et physiques (ci-après : les deuxièmes parties intervenantes) soutiennent qu’elles ont intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927.
Il s’agit tout d’abord de la SC « PlayRight » (ci-après : PlayRight) qui, conformément à ses statuts, est chargée de la perception, de la gestion et de la répartition des droits voisins des artistes-interprètes ou exécutants en Belgique et à l’étranger. Elle est autorisée à exercer ses activités en vertu d’un arrêté ministériel. Elle précise qu’elle conclut avec des artistes-interprètes ou exécutants des contrats prévoyant que les droits de communication au public lui sont transférés en vue de leur gestion collective, ce qui inclut les droits à rémunération visés par les articles 54 et 62 de la loi du 19 juin 2022. Par ailleurs, PlayRight représente des artistes-interprètes ou exécutants affiliés à des sociétés de gestion étrangères avec lesquels des accords de réciprocité ont été conclus. Dès lors qu’elle est autorisée à intenter une action en justice pour protéger les intérêts des artistes-interprètes ou exécutants, son intérêt à intervenir est démontré.
En outre, à l’invitation de PlayRight, quatre ASBL représentant les intérêts des artistes-interprètes ou exécutants, ainsi que les présidents de ces groupes, souhaitent également intervenir dans les affaires précitées. Il s’agit de l’ASBL « De Acteursgilde », qui représente les artistes-interprètes ou exécutants du secteur audiovisuel, principalement en Flandre, de l’ASBL « Fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis », qui représente les artistes-interprètes ou exécutants de l’industrie musicale, principalement en Belgique francophone, de l’ASBL « De Muziekgilde », qui représente les artistes-interprètes ou exécutants du secteur de la musique, principalement en Flandre, et de la fondation d’utilité publique « Fondation de l’Union des Artistes du Spectacle », qui représente les artistes-interprètes ou exécutants du secteur audiovisuel, principalement en Belgique francophone. Ces parties intervenantes souhaitent intervenir dans les affaires précitées afin d’envoyer un signal clair que l’ensemble du secteur des artistes-interprètes ou exécutants du secteur musical et audiovisuel partage les mêmes préoccupations. En outre, il n’est pas exclu que ces groupes jouent un rôle actif, avec ou sans PlayRight, dans la détermination de la rémunération à laquelle les artistes-interprètes ou exécutants ont droit en vertu des dispositions attaquées. L’intérêt à intervenir des ASBL précitées est donc démontré, tout comme celui des personnes physiques qui en sont les présidents respectifs et qui sont elles-mêmes des artistes-interprètes ou exécutants.
Recevabilité des recours
A.20. Les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que les recours dans les affaires n os 7922, 7924 et 7926 sont irrecevables, en l’absence de toute décision avérée de l’organe compétent pour introduire ceux-ci.
Troisièmes parties intervenantes
A.21. Les sociétés de droit français « Société des auteurs et compositeurs dramatiques » et « Société civile des auteurs multimédia », la SCRL « deAUTEURS », l’ASBL « Les Professionnels de la Production et de la Création Audiovisuelles », l’ASBL « Scenaristengilde » et l’ASBL « Unie van Regisseurs » (ci-après : les
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troisièmes parties intervenantes) affirment justifier d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927, dès lors qu’elles ont pour objet la défense des intérêts des auteurs ou qu’elles sont des sociétés ou des organismes de gestion collective des droits d’auteur et qu’elles sont donc directement intéressées au maintien des articles 39, 54 et 62 de la loi du 19 juin 2022, qui non seulement consacrent des droits à rémunération au profit des auteurs, mais sont également destinés à simplifier et à centraliser la collecte de la rémunération due aux auteurs.
Les troisièmes parties intervenantes ajoutent que certaines d’entre elles sont déjà intervenues dans l’affaire à l’origine de l’arrêt n° 128/2016 du 13 octobre 2016 (ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.128). Cette affaire concernait l’article XI.225 du Code de droit économique, qui, à l’instar des articles 39, 54 et 62 de la loi du 19 juin 2022, prévoit un droit incessible à la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes et exécutants au titre de la retransmission par câble, lorsqu’ils ont cédé leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la retransmission par câble à un producteur d’œuvre audiovisuelle. Elles ajoutent que l’article XI.225 du Code de droit économique énonce également que la gestion de ce droit à rémunération au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants ne peut être exercée que par des sociétés de gestion représentant des auteurs.
Quatrième partie intervenante
Recevabilité de l’intervention
A.22.1. La SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels » (ci-après : la quatrième partie intervenante) est une société de gestion collective qui assure, tant en Belgique qu’à l’étranger, l’exploitation, l’administration et la gestion de tous les droits d’auteur découlant de l’activité intellectuelle et de l’expression créative des auteurs au travers de l’écrit, de la parole et des réalisations visuelles ou audiovisuelles sous forme graphique, plastique, photographique fixe ou animée et de tous les droits connexes. Elle représente ainsi un répertoire composé d’auteurs de différentes catégories d’œuvres visuelles. Dans ce cadre, elle assure l’exercice et l’administration de tous les droits relatifs à la reproduction et à la communication au public des œuvres de ses membres, ainsi que la perception et la répartition des redevances provenant de ces droits, tant individuels que collectifs. La quatrième partie intervenante ajoute qu’elle est reconnue comme société de gestion collective par un arrêté ministériel et qu’elle est également chargée de la perception et de la répartition du droit de suite en vertu d’un arrêté royal. Elle négocie dès lors les contrats de licence et de cession avec les utilisateurs des œuvres des ayants droit qu’elle représente.
A.22.2. Dès lors que la loi du 19 juin 2022 vise directement les sociétés de gestion collective en qualité de bénéficiaires directes du droit à la rémunération résiduelle prévu par les articles 54, 60, 61 et 62 de cette loi, la quatrième partie intervenante estime justifier d’un intérêt à intervenir dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926
et 7927.
Recevabilité des recours
A.23.1. La quatrième partie intervenante soutient que le recours dans l’affaire n° 7922 est irrecevable, dès lors que les parties requérantes ne produisent ni copies de leurs statuts, ni aucune pièce permettant de démontrer qu’elles sont représentées par leurs organes compétents pour introduire le recours.
A.23.2. Elle souligne que l’action de Google LLC est irrecevable en application de l’article 2:148, alinéa 2, du Code des sociétés et des associations, sauf pour elle à prouver qu’elle a déposé son acte constitutif conformément à l’article 2:24, § 2, 1°, de ce Code. Par ailleurs, cette partie requérante ne produit aucunement la preuve ni de l’identité ni du pouvoir de représentation de son « managing member », ni la preuve de la validité de la délégation de pouvoir ou de signature accordée à son secrétaire adjoint. La quatrième partie intervenante demande que l’identité précitée lui soit communiquée conformément à l’article 703, § 1er, alinéa 3, du Code judiciaire. Dans son mémoire en réplique, elle soutient que les parties requérantes ne prouvent pas que la personne physique ayant décidé d’introduire le recours était effectivement habilitée pour ce faire.
En ce qui concerne Google Ireland Ltd., la quatrième partie intervenante affirme qu’il n’est pas démontré que les pouvoirs des personnes qui ont décidé de l’introduction du recours ont été attribués et publiés conformément
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au droit irlandais et au droit dérivé de l’Union européenne, ni que ces éventuelles mesures de publicité précisent si ces personnes ont le pouvoir d’engager la société seules ou avec d’autres. Dans son mémoire en réplique, la quatrième partie intervenante soutient que Google Ireland Ltd. ne produit pas la preuve qu’elle est dotée d’une personnalité morale opposable aux tiers, qu’elle agit par des personnes physiques qui sont désignées régulièrement et dont les pouvoirs sont opposables aux tiers, et que la décision d’introduire le recours a été régulièrement prise par ses organes. Les noms des personnes physiques ayant décidé d’introduire le recours n’apparaissent au demeurant pas dans les statuts de Google Ireland Ltd. Partant, il y a lieu d’exiger la preuve de la décision d’intenter le recours, en application de l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
A.23.3. La quatrième partie intervenante soulève une exception d’irrecevabilité similaire en ce qui concerne les affaires nos 7924 et 7925. En ce qui concerne l’affaire n° 7924, elle ajoute que Spotify AB n’avance pas de motifs pour lesquels son objet social serait affecté par la loi du 19 juin 2022 et que Spotify Belgium n’a pas déposé de copie de la publication de ses statuts aux annexes du Moniteur belge.
A.23.4. En ce qui concerne le recours dans l’affaire n° 7926, la quatrième partie intervenante soutient ensuite que la partie requérante n’a pas produit la décision d’agir et, à supposer que cette décision soit antérieure au 12 décembre 2022, que cette décision est irrégulière en vertu des articles 2:18, 2:14, 1° et 5°, et 2:8, § 1er, 5°, du Code des sociétés et des associations. La quatrième partie intervenante demande que la partie requérante produise l’identité de ses organes conformément à l’article 703, § 1er, alinéa 3, du Code judiciaire et que la Cour exige la preuve d’intenter le recours conformément à l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
A.23.5. La quatrième partie intervenante conteste par ailleurs la recevabilité de l’intervention de certaines parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927, dès lors qu’elles ne produisent pas la preuve que la décision d’intervenir dans les affaires présentement examinées a été prise par l’organe compétent. Elle soulève également une exception d’irrecevabilité au sujet de l’intervention de la seconde partie intervenante dans l’affaire n° 7927 en ce qu’elle ne précise pas l’identité de ses représentants et ne dépose pas ses statuts. Partant, la quatrième partie intervenante demande que cette partie intervenante produise l’identité de ses organes conformément à l’article 703, § 1er, alinéa 3, du Code judiciaire. En outre, la seconde partie intervenante dans l’affaire n° 7927 ne démontre pas en quoi son objet social serait affecté par la loi du 19 juin 2022 ni que les pouvoirs des personnes qui ont décidé de l’introduction du recours ont été attribués et publiés.
A.23.6. Selon la quatrième partie intervenante, l’intervention des premières parties intervenantes dans l’affaire n° 7924, des premières parties intervenantes dans l’affaire n° 7925 et des premières parties intervenantes dans l’affaire n° 7927 est irrecevable pour les mêmes motifs qui conduisent à considérer irrecevable le recours que ces parties intervenantes ont introduit dans l’affaire n° 7922, dans laquelle elles sont les parties requérantes. Par ailleurs, par leurs développements, ces parties intervenantes tentent d’étendre la portée des requêtes initiales dans les affaires dans lesquelles elles interviennent.
La quatrième partie intervenante soutient en outre que l’intervention des parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927 est irrecevable en ce qu’elle tente d’étendre la portée des requêtes initiales dans ces affaires.
Enfin, la quatrième partie intervenante soutient que les interventions de la partie intervenante dans les affaires nos 7924 et 7927, de la seconde partie intervenante dans l’affaire n° 7924, des parties intervenantes dans l’affaire n° 7926, de la seconde partie intervenante dans l’affaire n° 7927 et des parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924 et 7926 sont irrecevables, pour les mêmes motifs qui amènent à considérer comme irrecevables les requêtes à l’origine des affaires dans lesquelles certaines de ces parties intervenantes sont parties requérantes, mais aussi parce que les recours dans lesquels ces parties intervenantes souhaitent intervenir sont eux-mêmes irrecevables, et enfin au motif que ces parties intervenantes tentent d’étendre la portée des requêtes initiales.
En ce qui concerne la position du Conseil des ministres
A.24. Le Conseil des ministres soutient que la requête dans l’affaire n° 7924 est irrecevable, dès lors que l’objet direct et réel des parties requérantes consiste à interroger la Cour de justice, par le biais de cinq questions
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préjudicielles, sur la conformité des articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, avec les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE, avec l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), avec l’article 56 du TFUE et avec l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 « prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (texte codifié) » (ci-après : la directive (UE) 2015/1535). En d’autres mots, les parties requérantes ne visent pas directement l’annulation des articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022. De la sorte, elles abusent de la procédure en annulation devant la Cour en vue d’exercer un recours direct auprès de la Cour de justice. En réalité, il appartient aux justiciables de saisir le juge judiciaire, dans le cadre d’une contestation portant sur le droit subjectif à la rémunération prévu par les dispositions attaquées, puis de demander à ce juge d’interroger la Cour de justice à titre préjudiciel.
Quant au fond
En ce qui concerne la position des parties requérantes
Affaire n° 7922
Premier moyen
A.25.1. Le premier moyen est pris de la violation, par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21
et 52, paragraphe 1, de la Charte.
A.25.2.1. Les parties requérantes allèguent que le moyen est recevable, dès lors qu’il identifie les catégories de personnes à comparer, à savoir celles qui bénéficient de l’application sans discrimination de la liberté de commerce et d’industrie, d’une part, et celles qui n’en bénéficient pas, à savoir les prestataires de services de la société de l’information, d’autre part. À cet égard, les parties requérantes mettent en évidence que la jurisprudence de la Cour considère comme recevable le moyen dénonçant une différence de traitement entre, d’une part, des personnes soumises à une loi transposant de manière non conforme une directive européenne et, d’autre part, les autres sujets de droit soumis à des lois conformes aux directives qu’elles transposent. Dans ce cas, la Cour compare automatiquement la catégorie des personnes soumises à une directive qui n’est pas correctement transposée à la catégorie des personnes soumises à une directive correctement transposée.
A.25.2.2. En outre, le premier moyen démontre en quoi l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution et les articles 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte.
A.25.2.3. Par ailleurs, les parties requérantes soulignent que, de jurisprudence constante, la Cour considère qu’elle est compétente pour contrôler le respect de la liberté de commerce, de l’industrie et d’entreprise en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Si la norme attaquée a pour conséquence une atteinte discriminatoire à ces libertés, celle-ci viole ces libertés et doit être annulée.
A.26.1. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, en ce qu’il introduit l’article XI.216/2, § 2, du Code de droit économique, porte atteinte à la liberté d’entreprise en introduisant une procédure contraignante de fixation des tarifs devant l’IBPT. Elles soutiennent que cette disposition vise à introduire un mécanisme en cas d’échec des négociations dans un délai de quatre mois, à l’occasion duquel chaque partie peut lancer une procédure de fixation des tarifs et saisir l’IBPT, qui rend une décision contraignante imposant le montant de la rémunération due pour une certaine utilisation. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que le législateur vise à imposer aux prestataires de services de la société de l’information une obligation de rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leur contenu.
A.26.2.1. Dans une première sous-branche, invoquée à titre principal, les parties requérantes affirment que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 porte atteinte à l’essence de la liberté d’entreprise en prévoyant que l’une ou l’autre des parties à la négociation peut demander à l’IBPT de fixer un prix contraignant pour l’exploitation en
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ligne de publications de presse si les négociations échouent dans les quatre mois de leur entame. Par conséquent, si l’une des parties à la négociation en cours considère que les conditions proposées ne sont, par exemple, pas équilibrées, elle ne peut pas librement décider de se retirer des négociations et n’a plus la liberté de ne pas poursuivre la conclusion d’un accord. La partie concernée peut en effet unilatéralement décider de recourir à l’IBPT après expiration de la période de quatre mois et ainsi contourner le refus de l’autre partie de conclure un contrat via la décision contraignante de l’IBPT. Dans ce cadre, l’IBPT peut en effet imposer aux deux parties les conditions d’utilisation en ligne des publications de presse, et ce même si l’une des parties n’a pas envisagé l’utilisation des publications en cause. Une telle situation peut conduire à l’obligation pour les prestataires de services de la société de l’information d’utiliser, et en tout cas de payer pour l’utilisation, des publications de presse sur leurs plateformes alors qu’ils n’avaient initialement pas envisagé une telle utilisation. Or, la liberté d’entreprise comprend également la liberté de choisir avec qui l’on fait des affaires. Selon les parties requérantes, la jurisprudence de la Cour de justice s’oppose précisément à l’introduction d’une telle obligation de contracter.
Enfin, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 prévoit que chaque partie à la négociation peut exiger de l’IBPT qu’il fixe un prix contraignant pour l’exploitation en ligne des publications de presse en cas d’échec des négociations.
Par conséquent, les prestataires de services de la société de l’information ainsi que les éditeurs de presse ne peuvent plus déterminer librement le prix afférent à la fourniture de leurs services, ce qui participe pourtant indéniablement de l’essence de la liberté d’entreprise.
A.26.2.2. En réponse aux arguments développés par les parties intervenantes et par le Conseil des ministres, les parties requérantes soulignent que le législateur belge lui-même a reconnu que la procédure devant l’IBPT, attaquée, est problématique au regard de la liberté contractuelle. En outre, il est clair que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 repose sur la prémisse que les prestataires de services de la société de l’information utilisent nécessairement les publications de presse des éditeurs bénéficiant du nouveau droit voisin et qu’ils doivent donc payer pour l’utilisation considérée. Cette disposition n’envisage pas la possibilité que les prestataires de services de la société de l’information puissent ne pas juger opportun ou nécessaire d’utiliser certaines publications de certains éditeurs et puissent par conséquent ne pas souhaiter négocier et, encore moins, contracter, comme cela ressort clairement des travaux préparatoires. Par ailleurs, il est clair que l’objectif poursuivi par le législateur n’est pas limité à encourager les négociations ou la conclusion d’un accord, mais consiste aussi à éviter qu’une publication de presse puisse logiquement ne pas être utilisée en l’absence d’accord, en mettant en place un mécanisme qui oblige les parties, en particulier les prestataires de services de la société de l’information, à négocier et à conclure un accord avec les éditeurs et, in fine, à les payer, et ce même lorsqu’ils ne souhaitent pas contracter avec certains éditeurs, par exemple parce qu’ils ne veulent pas utiliser leurs publications de presse.
A.26.2.3. À cet égard, les parties requérantes affirment que l’article XI.216/2, § 2, du Code de droit économique, inséré par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, prévoit explicitement une obligation unilatérale de négocier du contenu que les prestataires de services de la société de l’information ne souhaitent pas utiliser et que le libellé de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 a pour effet que l’obligation de négocier s’adresse principalement, voire exclusivement, aux prestataires précités. En outre, l’article 39 ne se limite pas à prévoir une obligation de négocier mais prévoit une possibilité légale de sanctionner et de contourner l’éventuel refus de négocier d’un prestataire de services de la société de l’information en le forçant à conclure un contrat et à payer une rémunération en introduisant une procédure devant l’IBPT. À cet égard, le fait que la procédure devant l’IBPT peut être initiée uniquement par une des parties et jamais d’office par cet Institut ne change rien au fait que cette procédure est un moyen de pression inutile et disproportionné pour forcer les prestataires de services de la société de l’information à contracter. Les parties requérantes affirment par ailleurs que le fait que d’autres formes de règlements des litiges ne soient pas expressément exclues par la création de la procédure devant l’IBPT n’est pas pertinent, dès lors que l’article 39 constitue un mécanisme dissuadant indubitablement le recours à de telles autres formes.
A.26.2.4. Les parties requérantes soutiennent donc que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 viole l’essence de la liberté d’entreprise, plus particulièrement la liberté contractuelle des prestataires de services de la société de l’information. Cette disposition est par ailleurs discriminatoire en ce qu’elle crée une différence de traitement injustifiée entre les éditeurs, d’une part, et les prestataires de services de la société de l’information, d’autre part, mais aussi entre les prestataires précités, d’une part, et d’autres utilisateurs d’œuvres protégées dans d’autres secteurs qui ne sont pas soumis à une procédure contraignante aussi intrusive et qui peuvent recourir à des mécanismes de résolution des litiges de moindre portée, d’autre part, tels que, par exemple, les radiodiffuseurs et
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les câblodistributeurs pour les litiges concernant la retransmission par câble d’émissions télévisées, qui peuvent recourir à la médiation en l’absence d’accord entre parties en vertu de l’article XI.228 du Code de droit économique.
A.26.3.1. Dans l’hypothèse où la Cour considérerait que la loi du 19 juin 2022 ne viole pas l’essence de la liberté d’entreprise, les parties requérantes développent une seconde sous-branche, dans laquelle elles affirment que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 entraîne une limitation disproportionnée de la liberté d’entreprise des prestataires de services de la société de l’information. Selon elles, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que l’article 39 vise à faciliter les pratiques de licence entre les éditeurs de presse et les prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation en ligne de publications de presse. À cette fin, la loi du 19 juin 2022 introduit une procédure contraignante de fixation des tarifs devant l’IBPT, en allant au-delà de la directive, et suggère une obligation de paiement à charge des prestataires de services de la société de l’information.
Les parties requérantes soutiennent que ces mesures ne sont pas appropriées et ne sont pas nécessaires pour atteindre l’objectif poursuivi.
A.26.3.2. Tout d’abord, les conditions de la procédure applicable devant l’IBPT, plus particulièrement les délais, sont trop strictes, ce qui entrave l’efficacité des négociations entre parties. Cette procédure peut être engagée si les parties n’ont pas trouvé d’accord après une période de quatre mois de négociations seulement, alors que le droit voisin des éditeurs de presse est un nouveau mécanisme sans aucun précédent. Ce droit voisin des éditeurs de presse contient de nombreux nouveaux concepts et de nouvelles implications et obligations pour les deux parties, qui sont tous sujets à une interprétation ultérieure par le juge. En outre, la négociation de contrats de licence relatifs à des droits de propriété intellectuelle prend généralement beaucoup de temps, surtout s’ils couvrent plusieurs territoires. Par ailleurs, il convient de tenir compte de la réalité du marché actuel de la presse en Belgique, en ce qu’il existe quelques grands groupes d’édition, qui possèdent de nombreux sites web pouvant potentiellement être qualifiés de publications de presse. Chacun de ces sites doit être vérifié et contrôlé afin de déterminer s’il répond à la définition de publication de presse, des données doivent être fournies à cette fin et des négociations doivent être menées sur les conditions d’utilisation par les prestataires de services de la société de l’information.
Partant, un délai de quatre mois apparaît comme un délai excessivement court et déraisonnable, puisque les parties ont généralement besoin de beaucoup plus de temps pour négocier les contrats de licence. Il en découle qu’une partie peut exercer sur l’autre une pression lors des négociations afin de l’inciter à signer le contrat proposé, sous la menace de saisir l’IBPT afin qu’il rende une décision contraignante sur la rémunération. Les parties sont donc de facto privées de leur liberté contractuelle.
A.26.3.3. Ensuite, les parties requérantes dénoncent l’absence de garanties procédurales suffisantes pour les parties qui font l’objet des décisions contraignantes relatives aux tarifs applicables aux licences à conclure en vertu de l’article XI.216/2 du Code de droit économique. En effet, la législation organique de l’IBPT ne prévoit pas de garantie quant à l’impartialité des membres de cet Institut, qui rendront pourtant une décision administrative contraignante à l’égard des prestataires de services de la société de l’information et des éditeurs de presse concernés par la rémunération due pour l’utilisation en ligne de publications de presse.
A.26.3.4. Les parties requérantes allèguent par ailleurs que les décisions contraignantes de l’IBPT perturbent les possibilités d’octroi de licences à l’échelle de l’Union européenne, tant pour les prestataires de services de la société de l’information que pour les éditeurs de presse. Selon elles, la directive (UE) 2019/790 a pour objectif de renforcer le marché unique et de favoriser l’octroi de licences, dans l’ensemble de l’Union européenne, sur du contenu de titulaires de droits à des prestataires de services de la société de l’information. Or, la procédure obligatoire de fixation des tarifs devant l’IBPT introduite par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 impose aux parties d’isoler le territoire de la Belgique en ce qui concerne leur stratégie de concession de licences, de sorte que l’émergence d’un organisme territorial de fixation des tarifs unilatéralement désigné en Belgique crée une interférence disproportionnée dans le marché des licences à l’échelle de l’Union européenne.
A.26.3.5. Les parties requérantes ajoutent qu’en application de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, les parties sont limitées dans leur capacité à s’accorder sur d’autres conditions qu’une rémunération en contrepartie de l’autorisation d’utilisation en ligne de publications de presse. En effet, cette disposition suppose que les éditeurs doivent en tout état de cause recevoir une rémunération. Ce constat est renforcé par le fait que l’IBPT peut imposer un tarif contraignant aux parties. Cependant, en vertu de la liberté contractuelle, les parties doivent pouvoir librement négocier si elles peuvent ou non déterminer un usage et un prix mutuellement bénéfiques. Si les parties
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parviennent à un accord sur l’autorisation de l’utilisation du contenu, elles peuvent convenir de ce qu’elles obtiennent en contrepartie de cette autorisation, tel un prix convenu d’un commun accord, qui ne consiste pas nécessairement en un paiement à l’éditeur, ni nécessairement en une rémunération pécuniaire. De nombreuses autres options sont possibles, telles qu’une licence gratuite, une rémunération en nature ou encore un accord de visibilité ou de parrainage. Par ailleurs, si les parties ne se mettent pas d’accord sur l’utilisation du contenu ou sur les conditions de celle-ci, la liberté contractuelle permet aux parties de mettre fin aux négociations sans se voir imposer une quelconque forme de paiement ou de rémunération. Or, en application de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, cette option n’est plus possible.
A.26.3.6. Enfin, les parties requérantes relèvent que les droits exclusifs des titulaires de droits sont limités par la décision de l’IBPT. Selon elles, il découle de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 que les taux qui sous-
tendent la rémunération que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information sont déterminés par une décision administrative de l’IBPT. Or, les auteurs des œuvres intégrées dans les publications de presse ne sont pas parties à la procédure devant l’IBPT. Par conséquent, cette procédure est également largement disproportionnée vis-à-vis des auteurs des œuvres intégrées dans les publications de presse, puisqu’ils ne peuvent exercer aucun contrôle sur la rémunération de leurs œuvres protégées par le droit d’auteur et ne sont pas en mesure d’effectivement exercer leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de leurs œuvres qui sont intégrées dans des publications de presse, ce qui est contraire au droit de l’Union européenne.
A.26.3.7. Les parties requérantes ajoutent que la Cour de justice exige que la charge de prouver la nécessité et le caractère proportionné d’une mesure restreignant une liberté fondamentale incombe à celui qui s’en prévaut, à savoir, en l’espèce, le Conseil des ministres et les parties intervenantes, exigence à laquelle il n’est pas satisfait en l’espèce. Par ailleurs, elles rappellent que les conditions procédurales, et notamment les délais, applicables devant l’IBPT sont disproportionnées, ce qui nuit à l’efficacité des négociations entre les parties. À cet égard, elles soulignent que la procédure devant l’IBPT est unique dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins et que les mécanismes prévus dans d’autres secteurs démontrent que le législateur aurait parfaitement pu opter pour un autre mécanisme moins strict, ainsi que pour un délai de négociation d’une durée plus longue, voire une absence de délai.
Les parties requérantes précisent encore que la procédure devant l’IBPT ne prévoit pas de garanties procédurales suffisantes et que cette absence est bien imputable à la loi du 19 juin 2022 elle-même. À cet égard, elles soulignent que le manque d’impartialité de l’IBPT a déjà été confirmé à plusieurs reprises, notamment par la section de législation du Conseil d’État. Par ailleurs, la circonstance que l’IBPT peut se faire assister par des experts externes n’est pas pertinente, dès lors que ce mécanisme ne permet pas de pallier le manque d’expertise intrinsèque de l’IBPT lui-même, qui est, in fine, le seul à pouvoir prendre une décision contraignante. En ce qui concerne la possibilité d’un recours devant la Cour des marchés, les parties requérantes allèguent que cette possibilité ne permet pas de compenser le manque d’expertise et d’expérience de l’IBPT lui-même et que la Cour des marchés intervient en tant qu’instance d’appel alors qu’elle n’est pas la mieux placée pour ce faire, étant donné que les affaires en matière de droit d’auteur et de droits voisins sont normalement traitées par une autre chambre de la Cour d’appel de Bruxelles.
A.27.1. Dans une seconde branche, les parties requérantes soutiennent qu’en ce qu’il introduit l’article XI.216/2, § 3, dans le Code de droit économique, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 interfère avec la liberté contractuelle en instaurant une obligation étendue et unilatérale de partage de données aux prestataires de services de la société de l’information. En effet, cette disposition impose à ceux-ci de partager avec les éditeurs de presse un grand nombre d’informations commerciales potentiellement très sensibles sur la manière dont le contenu des éditeurs de presse est exploité sur leur plateforme. Il ressort du texte et des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que cette obligation est imposée pour favoriser la négociation entre les parties et pour permettre aux éditeurs de presse d’évaluer la valeur de leur droit. En particulier, les prestataires de services de la société de l’information doivent fournir un aperçu complet de la manière dont les publications de presse sont exploitées et consultées sur leur plateforme, ainsi que les revenus directs qu’ils génèrent de l’utilisation de la publication de presse. Par cette obligation de partage d’informations, les éditeurs de presse peuvent acquérir une connaissance approfondie de la manière dont les prestataires de services de la société de l’information mènent leurs activités et élaborent leur stratégie, ce qui est par nature une information commerciale sensible et hautement confidentielle.
Par ailleurs, dans de nombreux cas, les informations que les prestataires de services de la société de l’information sont tenus de communiquer sont même couvertes par la protection des secrets d’affaires.
Cette obligation de partage d’informations impose un investissement important et engendre des risques élevés. À cet égard, bien que la loi du 19 juin 2022 énonce que les informations sont traitées de manière strictement
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confidentielle, aucune garantie légale spécifique n’est prévue, telle qu’une sanction particulière, pour s’assurer que les éditeurs de presse respecteront effectivement une obligation de confidentialité. Partant, la loi du 19 juin 2022
ne prévoit pas de mesures spécifiques ou adéquates pour assurer la protection des informations confidentielles. En outre, l’obligation de partage d’informations ne tient pas compte des limitations juridiques et contractuelles auxquelles les prestataires peuvent être confrontés en vue de se conformer à cette obligation. Les parties requérantes relèvent également que l’obligation de partage d’informations n’est imposée qu’à une seule partie, à savoir les prestataires de services de la société de l’information, et n’est pas imposée aux éditeurs de presse. La nature unilatérale de l’obligation de partage d’informations méconnaît donc les principes généraux d’octroi de licences de droits d’auteur et de droits voisins, selon lesquels toute négociation de bonne foi pour l’octroi de licences sur des droits impose aux deux parties de se partager mutuellement les informations nécessaires. Dans le même esprit, à l’aune de l’objectif visé par le nouveau droit voisin conféré aux éditeurs de presse, à savoir l’amortissement de leurs investissements dans les publications de presse, les prestataires de services de la société de l’information devraient au moins avoir accès aux informations détenues par les éditeurs sur les bénéfices tirés de l’utilisation en ligne de leurs publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information, par exemple le montant des recettes publicitaires découlant du trafic généré par les prestataires de services de la société de l’information.
A.27.2.1. Les parties requérantes précisent que l’atteinte à la liberté d’entreprise engendrée par l’article 39
de la loi du 19 juin 2022 n’est pas justifiée, dès lors qu’il s’agit d’une mesure manifestement disproportionnée.
A.27.2.2. Tout d’abord, les parties requérantes relèvent que les prestataires de services de la société de l’information sont habilités à demander des mesures, procédures et voies de recours afin d’empêcher, ou, le cas échéant, d’obtenir réparation pour l’acquisition, l’utilisation ou la divulgation illicites de leurs secrets d’affaires.
La jurisprudence constante de la Cour de justice reconnaît en outre le principe général du droit des entreprises à la protection de leurs secrets commerciaux et informations confidentielles.
A.27.2.3. Ensuite, les parties requérantes soutiennent que les prestataires de services de la société de l’information sont obligés de faire des investissements importants pour se conformer à l’obligation de partage d’informations dans un délai très court, à savoir un mois à compter de la demande adressée en ce sens par les éditeurs de presse. Selon les parties requérantes, en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, la liberté d’entreprise comprend notamment le droit pour toute entreprise de pouvoir utiliser librement, dans les limites de sa responsabilité pour ses propres actes, les ressources économiques, techniques et financières dont elle dispose.
Or, une obligation étendue et unilatérale de partage d’informations à laquelle il convient de se conformer dans un délai d’un mois seulement, telle que celle prévue par la loi du 19 juin 2022, méconnaît ce principe. En outre, en vertu de cette loi, les prestataires de services de la société de l’information sont tenus de supporter, seuls, l’ensemble des coûts générés par cette obligation de partage d’informations, au profit d’intérêts privés, à savoir ceux des éditeurs de presse, plutôt que pour promouvoir un intérêt général.
A.27.2.4. Enfin, les parties requérantes observent qu’en vertu de l’article XI.216/2, § 4, du Code de droit économique, introduit par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, plusieurs exclusions au nouveau droit des éditeurs de presse sont établies. En effet, la protection accordée par l’article XI.216/2, § 1er, du Code de droit économique ne s’applique pas aux actes d’hyperliens, aux utilisations de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse et aux utilisations d’œuvres ou de prestations dont la protection a expiré. Par ailleurs, le considérant n° 57 de la directive (UE) 2019/790 et les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 précisent que les simples faits rapportés dans les publications de presse sont exclus du champ de protection du droit des éditeurs de presse.
Cette dernière exclusion est fondée sur le principe de base du droit d’auteur, à savoir la dichotomie entre l’idée et l’expression, selon laquelle la protection est accordée à l’expression concrète d’idées et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels. Partant, l’exclusion des simples faits du droit des éditeurs de presse ne doit pas et ne peut pas être remise en cause. Dans la mesure où les prestataires de services de la société de l’information ne sont pas tenus d’obtenir l’autorisation des éditeurs de presse pour les actes relevant du champ d’application des exclusions précitées, ils ne doivent pas accorder de rémunération pour ces actes. En pratique, toutefois, il est impossible pour les prestataires de services de la société de l’information de vérifier dans quelle mesure une certaine publication de presse relève des exceptions. Les prestataires de services de la société de l’information doivent donc obtenir des éditeurs de presse des informations leur permettant d’apprécier quelles publications ne relèvent pas du champ d’application du droit des éditeurs de presse, dès lors
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que cela a une incidence immédiate sur la proposition de rémunération qui peut être faite aux éditeurs. En outre, il existe de nombreuses situations dans lesquelles les utilisations en ligne de publications de presse améliorent et favorisent l’amortissement des investissements des éditeurs, ce qui devrait être pris en compte lorsque les prestataires formulent une proposition de rémunération.
A.27.3.1. Les parties requérantes soutiennent que ni le Conseil des ministres, ni les parties intervenantes ne parviennent à faire la clarté au sujet des informations qui doivent être fournies en exécution de l’obligation unilatérale qui est imposée aux prestataires de services de la société de l’information, de sorte que ceux-ci sont placés dans une situation impossible puisqu’ils ne connaissent pas l’étendue de leur obligation et ne peuvent donc pas prendre les mesures nécessaires pour éviter de risquer de violer la législation, ce qui démontre le caractère complètement disproportionné de la mesure. Par ailleurs, l’obligation précitée place les prestataires de services de la société de l’information dans une situation contractuelle défavorable en ne leur permettant pas de prendre part aux négociations en toute connaissance de cause. En outre, contrairement à ce que le Conseil des ministres avance, la seule précision selon laquelle les éditeurs ne pourront pas utiliser les informations fournies à d’autres fins que celles d’évaluer la valeur de leur droit n’est pas suffisante pour garantir la préservation de leur caractère confidentiel.
Les parties requérantes ajoutent que l’obligation d’information ne saurait être justifiée au regard de l’article 19 de la directive (UE) 2019/790, dès lors que l’obligation de transparence prévue par cette disposition s’applique exclusivement à la relation contractuelle nouée entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et leurs cocontractants directs, dans le cadre des contrats d’exploitation, et n’est pas conçue pour s’appliquer aux accords commerciaux entre deux entreprises privées. Les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 attestent d’ailleurs clairement du fait que l’article 39 de cette loi ne vise pas à transposer l’article 19 de la directive (UE) 2019/790. Quand bien même l’article 19 de la directive (UE) 2019/790 aurait servi d’inspiration au législateur belge, il convient de relever que cette disposition prévoit expressément des mesures visant à tempérer l’obligation de transparence et à garantir que celle-ci reste proportionnée, mesures qui ne sont pas reprises dans l’article 39 de la loi du 19 juin 2022.
A.27.3.2. Pour le surplus, les parties requérantes soutiennent que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 doit être annulé dans son intégralité, dès lors qu’il a été conçu par le législateur comme un tout indissociable, contrairement à ce que demande la quatrième partie intervenante dans les affaires n os 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927.
Deuxième moyen
A.28.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 33, 40 et 144
de la Constitution.
A.28.2. Les parties requérantes affirment que le moyen est recevable, dès lors que celui-ci ne porte pas directement sur la compatibilité de la disposition attaquée avec les articles 33, 40 et 144 de la Constitution. Ces dernières dispositions sont invoquées en combinaison avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, qui relèvent bien de la compétence de la Cour. Par ailleurs, les parties requérantes considèrent que leurs développements démontrent clairement en quoi les normes de référence précitées sont violées. Enfin, en ce qui concerne la prétendue absence de clarté du moyen, les parties requérantes relèvent que le Conseil des ministres a parfaitement saisi la portée de celui-ci et n’éprouve aucune difficulté à y répondre.
A.29.1. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que les droits visés par la loi du 19 juin 2022 sont des droits subjectifs civils, de sorte que le législateur n’a pas le droit de réserver les contestations relatives à ces droits à d’autres instances que les tribunaux ordinaires. Partant, il n’est pas admissible que l’IBPT
puisse rendre des décisions administratives contraignantes dans ces matières. La circonstance, mentionnée dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022, selon laquelle un recours auprès de la Cour des marchés est possible n’est pas pertinente dans ce cadre.
A.29.2. Dans une seconde branche, invoquée à titre subsidiaire, les parties requérantes affirment que, dans l’hypothèse où le législateur aurait le droit de créer des organes spécialisés pour traiter en première instance des litiges relatifs aux droits subjectifs civils, il y a lieu de considérer que ce procédé n’est autorisé que si ces organismes sont choisis pour des raisons spécifiques, par exemple, leur expertise spécifique ou leur expérience, et dans la mesure où la procédure devant ceux-ci offre des garanties comparables à celles qu’offre un tribunal, par
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exemple, en matière de confidentialité. Or, ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Tout d’abord, l’IBPT
ne dispose pas d’expertise spécifique ou d’expérience en matière de propriété intellectuelle, de presse, de droits de licence et autres. Ce sont les tribunaux ordinaires, les tribunaux de l’entreprise en particulier, qui disposent d’une expertise pour ces questions. Il n’y a aucune raison pour le législateur de retirer ces questions des tribunaux, ni de donner la priorité à un règlement des litiges par l’IBPT. Par ailleurs, la procédure devant l’IBPT ne prévoit pas les mêmes garanties procédurales que la procédure devant les tribunaux ordinaires, notamment en termes de protection des secrets d’affaires.
A.29.3.1. En réponse aux arguments du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes, les parties requérantes ajoutent qu’il n’est pas admissible qu’une décision de nature administrative tranche des litiges relatifs à des droits subjectifs civils. Admettre un système dans lequel une autorité administrative tranche des litiges portant sur des droits civils subjectifs pour autant qu’un recours de pleine juridiction soit ouvert devant un tribunal de l’ordre judiciaire permettrait au législateur, sans aucune limite, de soustraire tout litige au pouvoir judiciaire. En outre, en désignant l’IBPT comme autorité prééminente dans le cadre des litiges, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 prive les justiciables de la longue pratique en matière de droits d’auteur et de droits voisins des juridictions ordinaires et de leur expertise bien plus poussée que celle de l’IBPT. En tout état de cause, le fait que l’IBPT soit actif dans des secteurs susceptibles de présenter quelques similitudes avec le secteur des droits d’auteur et de droits voisins est insuffisant comme justification pour établir sa compétence.
Les parties requérantes précisent en outre que le recours devant la Cour des Marchés ne remédiera pas aux lacunes et manques de garantie de la procédure devant l’IBPT. À cet égard, elles précisent que la partie qui succombe devant l’IBPT devra non pas uniquement argumenter sur le plan de la défense de ses droits subjectifs mais également sur le plan de la légalité de la décision administrative devant la Cour des Marchés, ce qui crée, en degré d’appel, un litige hybride qui pourrait détourner le débat initial relatif à la sauvegarde des droits subjectifs vers un débat sur la légalité de la décision de l’IBPT. Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’IBPT est la partie adverse devant la Cour des marchés, de sorte que cet institut apparaît à la fois comme juge et partie dans un litige concernant des droits civils subjectifs entre un éditeur et un prestataire de services de la société de l’information, avec pour conséquence que la partie perdante se retrouvera, sans aucun doute, face à deux adversaires lors de la procédure d’appel, alors que le litige initial n’opposait que deux parties. Les parties requérantes allèguent ensuite que le système mis en place par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 instaure une différence de traitement, dès lors que les autres sujets de droit peuvent bénéficier d’une décision rendue par une juridiction indépendante et impartiale tant en première instance qu’en degré d’appel, ce qui ne sera pas le cas des prestataires de services de la société de l’information, alors que le double degré de juridiction est normalement établi en Belgique, même à supposer qu’il ne constitue pas un principe général de droit.
A.29.3.2. Selon les parties requérantes, l’affirmation du Conseil des ministres selon laquelle le recours à l’IBPT est facultatif doit être grandement relativisée, dès lors que cette procédure peut être introduite à l’initiative d’une seule partie, que la décision de l’IBPT est contraignante pour les deux parties et que la procédure précitée est prioritaire dans l’hypothèse où une procédure judiciaire est également introduite. La seule manière pour que la procédure devant l’IBPT puisse être considérée comme étant facultative est d’interpréter la disposition attaquée en ce sens que, même si la procédure devant l’IBPT a été entamée, elle doit prendre fin de plein droit dès le moment où au moins une des parties impliquées porte le litige devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.
Troisième moyen
A.30.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 et avec les articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE.
A.30.2. Selon les parties requérantes, le troisième moyen est recevable. En effet, de jurisprudence constante, la Cour se considère comme compétente pour vérifier si une disposition législative viole une directive européenne lue en combinaison avec les dispositions constitutionnelles au regard desquelles elle peut exercer son contrôle, notamment les articles 10 et 11 de la Constitution. En outre, les parties requérantes considèrent qu’elles démontrent bien en quoi les mesures attaquées ne sont pas justifiées et proportionnées au regard de l’objectif poursuivi et
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violent les dispositions de référence citées au moyen. Par ailleurs, elles affirment que le libellé du moyen est suffisamment clair.
A.31.1. Dans une première branche, les parties requérantes dénoncent la procédure de fixation des tarifs devant l’IBPT, prévue par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022.
A.31.2.1. Dans une première sous-branche, les parties requérantes affirment que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 constitue une mesure d’harmonisation maximale, de sorte que les États membres ne peuvent donc pas modifier le champ d’application de cette disposition comme ils le souhaitent. Or, ni le libellé de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, ni aucun autre élément de cette directive ne fait référence à une procédure réglementaire de fixation des tarifs. À cet égard, la directive (UE) 2019/790 ne comporte aucune disposition spécifique relative à la rémunération des droits des éditeurs de presse. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne fait qu’exposer les droits dont bénéficient les éditeurs de presse, sans comporter de référence à une rémunération, ni à une procédure contraignante de fixation des tarifs devant un organe administratif qui aurait le droit de déterminer la rémunération en lieu et place des parties. Le législateur belge a donc introduit, dans le cadre de la transposition de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, une lourde obligation supplémentaire. Dans ce cadre, selon les parties requérantes, il peut être déduit d’autres directives européennes dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins que, lorsque le législateur européen cherche à réglementer les négociations, ou à permettre la réglementation des négociations, un langage explicite à cet effet est inclus dans la directive considérée.
Les parties requérantes ajoutent qu’en tout état de cause, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 dépasse la marge de manœuvre dont les États membres auraient pu se prévaloir, qui serait nécessairement très limitée, alors qu’il existait clairement d’autres solutions moins radicales pour atteindre l’objectif poursuivi et que la procédure devant l’IBPT est discriminatoire.
A.31.2.2. Dans une seconde sous-branche, les parties requérantes allèguent que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 viole les articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE et, a fortiori, l’article 15, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, dès lors que ce dernier fait explicitement référence à la directive 2001/29/CE. Selon les parties requérantes, l’article XI.216/2, § 2, du Code de droit économique, inséré par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, restreint les droits exclusifs des titulaires de droits en ce que l’IBPT peut imposer une décision contraignante à ces titulaires en ce qui concerne la rémunération pour l’utilisation en ligne des publications de presse. En effet, par ce mécanisme, l’IBPT règle en réalité les modalités et l’exécution du droit de reproduction et de mise à disposition du public des éditeurs de presse. Une décision contraignante sur la rémunération empêche notamment les titulaires de droits de choisir s’ils souhaitent obtenir une rémunération pour l’utilisation de leurs œuvres, ou un autre type de compensation, et de décider de la partie commerciale du contrat de licence, à savoir le prix, en même temps que des autres conditions de la licence. Le législateur belge, en désignant un organisme administratif pour déterminer la rémunération due pour une certaine exploitation, ce qui, a priori, entraîne une obligation de paiement, contourne le caractère préventif du droit de reproduction et de mise à disposition du public des éditeurs de presse et crée, de manière injustifiée, une exception supplémentaire aux droits exclusifs des ayants droit. Partant, ce mécanisme prive ainsi les titulaires de droits d’exercer leur droit exclusif et transforme de facto leur droit préventif en un droit à rémunération, ce qui a déjà été jugé contraire au droit de l’Union européenne par la Cour de justice. Les parties requérantes ajoutent que la disposition attaquée introduit une obligation de négocier pour toutes les parties, qu’elles soient ou non intéressées par un accord de licence. Or, l’obligation de négocier et le recours possible à l’IBPT sont contre-productifs et limitent l’efficacité des droits créés par le droit de l’Union européenne.
A.32.1. Dans une seconde branche, les parties requérantes dénoncent l’obligation de partage d’informations imposée aux prestataires de services de la société de l’information. Elles soutiennent que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 viole l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, dès lors que celle-ci ne prévoit aucune obligation pour les prestataires de services de la société de l’information de partager des informations avec les éditeurs de presse ou les auteurs. En réalité, ces informations sont de nature confidentielle et relèvent même de la protection des secrets d’affaires. Les parties requérantes se réfèrent au considérant n° 68 de la directive (UE) 2019/790, qui prévoit que l’obligation de transparence à charge des prestataires de services de partage de contenus en ligne dans le contexte de l’article 17 de cette directive ne peut pas affecter les secrets d’affaires des prestataires de services de partage de contenus en ligne. De la même manière, les secrets d’affaires des prestataires de services de la société de l’information ne peuvent pas être affectés par une obligation de partage d’informations, non prévue dans la directive, introduite par une transposition nationale.
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A.32.2. Les parties requérantes rappellent que la loi du 19 juin 2022 introduit une obligation de partage d’informations uniquement à charge des prestataires de services de la société de l’information. Ce faisant, les éditeurs de presse peuvent acquérir une connaissance approfondie de la manière dont ces prestataires mènent leurs activités et construisent leur stratégie, ce qui, par essence, constitue une information hautement confidentielle.
Ensuite, les éditeurs de presse doivent transmettre ces informations aux auteurs, sans aucune garantie quant au respect de la confidentialité des informations considérées. Cela signifie donc que les informations commerciales confidentielles et sensibles appartenant aux prestataires précités seront potentiellement divulguées à de nombreux tiers, en dehors de tout contrôle. Par conséquent, en introduisant une obligation unilatérale de partage d’informations uniquement à charge des prestataires de services de la société de l’information, la loi du 19 juin 2022 va au-delà du but et des objectifs poursuivis par la directive (UE) 2019/790 et viole son article 15.
A.32.3. Enfin, contrairement à ce que la quatrième partie intervenante dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927 soutient, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 doit être annulé dans son intégralité.
Quatrième moyen
A.33.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535.
Selon les parties requérantes, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect d’une directive européenne lue conjointement avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Par ailleurs, la Cour s’est déjà estimée compétente pour statuer sur la violation potentielle de l’obligation de notification prévue par l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535, par le biais du principe d’égalité et de non-discrimination. Elles ajoutent que le moyen est suffisamment clair et expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535.
A.33.2. Les parties requérantes observent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne fait pas référence à un produit, c’est-à-dire à une œuvre audio ou audiovisuelle, mais à l’interdiction faite aux prestataires de services de partage de contenus en ligne de conclure des accords concernant la rémunération des auteurs. En d’autres termes, en vertu de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont obligés de négocier non seulement avec les titulaires de droits sur l’autorisation de communication et la mise à disposition du public de leurs œuvres, mais aussi de négocier avec les organismes de gestion collective la rémunération directe des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, avec le risque que cette rémunération soit déjà couverte par le premier accord conclu directement avec les titulaires de droits. L’article 54 perturbe ainsi les pratiques existantes en matière de licences, en ce qu’elle impose notamment aux prestataires de services de partage de contenus en ligne un système complexe d’octroi de licences et de négociation, qui limite la prestation transfrontalière de services par ces prestataires.
A.33.3. Les parties requérantes allèguent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 constitue une règle relative aux services au sens de l’article 1er de la directive (UE) 2015/1535, et ce, en raison de la définition du « prestataire de services de partage de contenus en ligne » au sens de la directive. Elles relèvent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est entré en vigueur le 1er août 2022, mais que le Gouvernement belge n’a pas notifié le projet de cette disposition à la Commission avant cette entrée en vigueur. Par conséquent, l’obligation de notification prévue à l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 n’a pas été respectée, ce qui entraîne l’inapplicabilité de la mesure entre particuliers. Par ailleurs, selon les parties requérantes, l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la directive (UE) 2015/1535 n’est pas applicable en l’espèce, dès lors que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne transpose pas l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 et va au-delà du cadre mis en place par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, qui est d’harmonisation maximale, de sorte que la mesure attaquée ne vise pas à se conformer à un acte contraignant de l’Union. En outre, l’article 54 porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise et à la liberté contractuelle. Pour le surplus, la circonstance que l’État belge n’ait pas encore fait l’objet d’une procédure d’infraction ne signifie pas que la disposition attaquée est conforme à la directive (UE) 2015/1535.
A.33.4. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent que la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 1er, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition de droit nationale, telle que celle prévue à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 - instaurant
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un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits - constitue une « règle technique », à savoir une « règle relative aux services », dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission européenne conformément à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive (UE) 2015/1535.
Selon les parties requérantes, la question préjudicielle doit obligatoirement être posée dans l’hypothèse où la Cour aurait le moindre doute quant à la compatibilité de l’absence de notification de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 avec l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535. Cette question est, par ailleurs, particulièrement pertinente au regard de la jurisprudence de la Cour de justice. Les parties requérantes ajoutent que la question porte bien sur l’interprétation de la directive (UE) 2015/1535 et non sur sa validité.
Cinquième moyen
A.34. Les parties requérantes prennent un cinquième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 et avec les articles 3 et 5 de la directive 2001/29/CE. Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect d’une directive européenne lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles ajoutent que le moyen expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les autres dispositions citées au moyen.
A.35.1.1. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 viole l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 en ce qu’il crée un démembrement du droit de communication et de mise à disposition du public. Elles rappellent que l’article 17 de cette directive constitue une mesure d’harmonisation maximale, que les États membres ne peuvent pas modifier à leur guise. Cette harmonisation maximale concerne l’ensemble de l’article 17 de cette directive et pas uniquement certaines parties de celui-ci. Par ailleurs, en l’espèce, ni le libellé de l’article 17, ni aucun autre élément de la directive ne fait référence à un droit à rémunération inaliénable et incessible, tel que celui prévu à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022. Le législateur belge semble clairement avoir introduit une obligation de grande portée qui n’est pas prévue par le texte de la directive et qui est susceptible de mettre en péril la balance des intérêts contenue dans l’article 17
de celle-ci.
Les parties requérantes mettent en évidence que le droit d’auteur et les droits voisins sur une œuvre audio ou audiovisuelle confèrent au titulaire du droit non seulement le droit exclusif de communiquer ou de mettre l’œuvre à disposition du public, mais aussi le droit d’autoriser un tiers à effectuer un tel acte – tel que, par exemple, la mise à disposition de musique sur une plateforme – et, par conséquent, de décider des conditions dans lesquelles cette autorisation sera accordée, y compris ce que le titulaire du droit obtiendra en échange de son autorisation. Or, en introduisant un droit à rémunération inaliénable, la loi du 19 juin 2022 crée un démembrement du droit de communication au public en un droit d’autoriser la communication, d’une part, et un droit de recevoir une rémunération, en l’occurrence, incessible, d’autre part. Cela signifie que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants conservent toujours le droit d’obtenir une rémunération pour l’exploitation considérée, même s’ils ont cédé le droit d’exploiter effectivement leur œuvre à un tiers et même si ce tiers reçoit également une rémunération pour l’exploitation de ce droit. Les parties requérantes ajoutent que la directive (UE) 2019/790 ne fait pas de distinction entre le droit d’autorisation et le droit à rémunération pour la communication au public ou la mise à disposition de contenus protégés. Au contraire, il s’agit de composantes d’un seul et même droit. Ainsi, en dissociant ou en fragmentant les prérogatives économiques et juridiques qui découlent du droit de communication ou de mise à disposition du public, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 porte atteinte à la portée et à l’étendue des droits prévus à l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790.
A.35.1.2. Les parties requérantes ajoutent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne peut pas servir de fondement à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, comme le parcours législatif de cette loi le met clairement en évidence, notamment les travaux préparatoires et les courriers échangés entre l’État belge et la Commission européenne, qu’il convient de prendre en considération, contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient.
Par ailleurs, le champ d’application de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 est strictement limité aux relations
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contractuelles nouées entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et leurs cocontractants directs, et ne peut pas être appliqué aux relations entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires des droits afférents aux contenus téléchargés sur leurs services. En outre, la Commission européenne a expressément indiqué que le mécanisme de rémunération tel que repris dans l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
était non seulement contraire à l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, mais qu’il ne pouvait pas davantage être fondé sur l’article 18 de celle-ci.
A.35.1.3. Selon les parties requérantes, à considérer que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale ou que l’article 18 de celle-ci sert de fondement à la disposition attaquée, il y a lieu de relever en toute hypothèse que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne respecte pas le droit européen relatif à la propriété intellectuelle ni l’harmonisation des droits exclusifs sous la directive 2001/29/CE. Elles précisent que le droit à rémunération attaqué étend indûment le champ de protection des droits exclusifs de communication et mise à disposition au public prévus par l’article 3 de la directive 2001/29/CE. En effet, ce mécanisme crée un démembrement du droit exclusif en un droit d’autoriser et, corrélativement, d’interdire, d’une part, et en un droit à rémunération, d’autre part. Or, ces deux droits sont intrinsèquement liés et ne peuvent pas être dissociés. Le droit à rémunération qui était initialement lié au droit exclusif d’autoriser s’étend dorénavant au-delà du champ contractuel, dès lors qu’il est désormais opposable aux tiers avec lesquels les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants n’ont aucun lien contractuel, et ce, alors qu’ils ont déjà été payés une première fois par leur cocontractant direct en contrepartie de la cession consentie.
Les parties requérantes ajoutent que le mécanisme de rémunération instauré par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 se distingue fondamentalement des mécanismes mis en place dans d’autres États membres, que le Conseil des ministres et plusieurs parties intervenantes mettent en évidence afin de justifier la mesure attaquée, de sorte que ces exemples étrangers ne sont en réalité pas pertinents. En effet, la variété des différents régimes de droit à la rémunération résiduelle quant à leurs origines et champs d’application ne permet pas de comparer utilement les divers mécanismes en question. En tout état de cause, le fait que d’autres pays aient adopté des régimes de rémunération résiduelle n’est pas de nature à justifier la disposition attaquée. En outre, les parties requérantes soutiennent que le mécanisme instauré par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 se distingue aussi des droits à rémunération résiduelle adoptés dans d’autres domaines, mis en exergue par le Conseil des ministres et plusieurs parties intervenantes, qui n’apparaissent pas davantage pertinents.
A.35.2.1. Dans une seconde branche, les parties requérantes affirment que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 viole l’article 3 de la directive 2001/29/CE et, a fortiori, l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 en ce que certains aspects des droits exclusifs des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants sont restreints, voire supprimés. Tout d’abord, elles soutiennent qu’en application de la disposition attaquée, les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ne peuvent plus disposer librement de leurs droits exclusifs, dès lors qu’ils ne peuvent pas décider de céder le droit à rémunération à un tiers, ni d’autoriser l’utilisation de leurs œuvres sous une licence gratuite. À cet égard, les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants doivent avoir la possibilité de donner leur autorisation d’utiliser les œuvres à titre gratuit. Ce principe est confirmé, entre autres, par le considérant n° 82 de la directive (UE) 2019/790, dont il découle que la concession de licences gratuites doit être possible.
Ensuite, les parties requérantes observent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 prévoit que le droit à la rémunération ne peut être exercé que par des organismes de gestion collective représentant les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants. Cette gestion collective obligatoire des droits empêche l’exercice individuel des droits exclusifs au titre du droit d’auteur ou des droits voisins, ce qui va à l’encontre de la nature exclusive du droit de communication au public, dès lors que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants devraient pouvoir disposer de leurs droits comme ils l’entendent pour en autoriser l’utilisation à leurs propres conditions, y compris sans faire appel à un organisme de gestion collective.
A.35.2.2. Les parties requérantes ajoutent que la limitation apportée à l’exercice des droits exclusifs précités est démontrée par le fait que la gestion collective obligatoire empêche de choisir de s’en remettre à un organisme collectif de gestion, de choisir par quel organisme être représenté dans l’hypothèse où il en existe plusieurs, de négocier le prix d’une cession de droits individuellement ou par l’intermédiaire d’une entité choisie et, enfin, de
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négocier la partie commerciale de l’accord de licence en même temps que les autres conditions de la licence ou avec d’autres droits voisins d’entités apparentées.
A.35.2.3. En réponse aux développements du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée empêche de renoncer à une rémunération, ce qui limite significativement le pouvoir de disposer librement des droits exclusifs consacrés par l’article 3 de la directive 2001/29/CE. Elles mettent en évidence qu’une fois un droit cédé, le cédant perd en principe toute prérogative économique. Cependant, la disposition attaquée crée une exception à ce principe en maintenant un droit à rémunération incessible et inaliénable au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant cédant.
Une telle situation est manifestement contraire aux prescrits de la directive (UE) 2019/790. Les parties requérantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 doit être interprété comme permettant aux titulaires de droits d’autoriser ou d’interdire la communication au public d’œuvres ou de prestations via des services de partage de contenus en ligne, de licencier lesdits droits ou de les recéder à titre gratuit, auquel cas aucune rémunération résiduelle ne serait due par le prestataire de services de la société de l’information, sans quoi la notion de gratuité perdrait tout son sens. En effet, seule une telle interprétation permet de garantir le droit des titulaires de droits de disposer librement de leurs droits exclusifs et de les céder à titre gratuit, comme le prévoit expressément la directive (UE) 2019/790.
Les parties requérantes précisent qu’en imposant un régime de gestion collective obligatoire, la disposition attaquée a pour effet que l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant n’aura que peu voire pas d’influence sur la détermination de la rémunération résiduelle qui sera négociée par les organismes de gestion collective. Il perd donc la libre disposition de son droit exclusif par rapport à cet aspect de la rémunération. Par ailleurs, les parties requérantes soutiennent que le mécanisme de rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 crée un risque de double paiement, ce qui témoigne également de l’incompatibilité de cette disposition avec l’article 17 de la directive (UE) 2019/790.
A.35.3. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec l’article 3 de la directive 2001/29/CE, s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue à l’article 54
de la loi du 19 juin 2022, qui introduit un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et qui prévoit que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits. Les parties requérantes soutiennent que, contrairement à ce que le Conseil des ministres et certaines parties intervenantes soutiennent, la réponse à cette question n’est pas évidente et, partant, est nécessaire à la solution du litige.
Sixième moyen
A.36. Les parties requérantes prennent un sixième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790.
Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect d’une directive européenne lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles ajoutent qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, la Cour doit écarter la règle de droit interne qui l’empêche de statuer sur un moyen fondé sur la violation du droit de l’Union européenne si cette violation n’est pas alléguée en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution et si la partie requérante n’expose pas une différence de traitement constituant une discrimination. À titre subsidiaire, elles soutiennent que le moyen expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790. Pour le surplus, elles considèrent que le moyen est suffisamment clair.
A.37.1. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790, les prestataires de services de partage de contenus en ligne peuvent uniquement s’exonérer de leur responsabilité pour la mise à disposition de contenus pour lesquels ils n’ont pas obtenu d’autorisation en vertu de l’article 17, paragraphe 1, s’ils remplissent trois conditions cumulatives. En imposant une obligation supplémentaire aux prestataires de services de partage
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de contenus en ligne par le biais de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, le législateur belge modifie donc unilatéralement ce nouveau régime. En effet, même dans l’hypothèse où les trois conditions de l’article 17, paragraphe 4, apparaissent remplies, il n’est pas possible de se soustraire à la responsabilité de l’action en rémunération directe que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants peuvent exercer.
Dans ce cadre, les parties requérantes soulignent que la Commission européenne a observé que l’ajout de ce type d’obligation de rémunération supplémentaire est incompatible avec le texte de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 et contrevient à l’objectif d’harmonisation poursuivi. En l’espèce, le législateur a ignoré les observations de la Commission européenne.
A.37.2. Les parties requérantes ajoutent que, dans l’hypothèse où l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 serait considéré comme compatible avec les dispositions de référence citées au moyen, il y aurait lieu de préciser qu’il n’impose pas d’obligation de payer une rémunération aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants lorsque le fournisseur de services de partage de contenus en ligne démontre qu’il a obtenu l’autorisation de communication au public ou de mise à disposition de la part du titulaire des droits dérivés, en conséquence de quoi il a en fait déjà – à tout le moins indirectement – fourni une contrepartie à l’auteur ou à l’artiste-interprète ou exécutant qui a cédé ses droits au titulaire des droits dérivés considéré, ou qu’il a satisfait aux trois conditions cumulatives de l’article 17, paragraphe 4, a) à c), de la directive (UE) 2019/790.
A.37.3. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui introduit un droit à rémunération obligatoire inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et qui prévoit que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits.
Septième moyen
A.38. Les parties requérantes prennent un septième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect d’une directive européenne lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles ajoutent que le moyen est suffisamment clair et expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
A.39.1. Tout d’abord, les parties requérantes relèvent que, contrairement au mécanisme prévu par l’article 18
de la directive (UE) 2019/790, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 prévoit une rémunération pour les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui est due par les prestataires de services de partage de contenus en ligne en plus des créances découlant de leurs accords contractuels existants. Selon les parties requérantes, même si l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 prévoit la possibilité pour les États membres d’utiliser « différents mécanismes » pour atteindre l’objectif d’une rémunération appropriée prévu par l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, il est toutefois expressément précisé que, quel que soit le mécanisme effectivement mis en place, les États membres doivent respecter le principe de la liberté contractuelle et le droit de l’Union applicable, comme il ressort notamment du considérant n° 73 de la directive. En l’espèce, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne respecte pas la liberté contractuelle, en ce qu’il restreint indéniablement la possibilité pour les auteurs et les artistes-
interprètes ou exécutants de transférer et de donner en licence leurs droits à des tiers et est par ailleurs susceptible d’affecter les contrats existants. Cette disposition limite par ailleurs la liberté contractuelle des titulaires de droits dérivés dans leurs relations avec les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, mais aussi la liberté contractuelle des prestataires de services de partage de contenus en ligne, en ce qu’ils sont tenus de conclure des contrats avec des organismes de gestion collective et pourraient être amenés à adapter des contrats de licence existants afin d’éviter des doubles paiements.
A.39.2. Les parties requérantes relèvent que les transpositions nationales de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 doivent être conformes au droit de l’Union européenne applicable. Or, en l’espèce, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 apparaît contraire à l’article 3 de la directive 2001/29/CE, en ce qu’il restreint
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les droits exclusifs accordés aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants, comme la seconde branche du cinquième moyen le met en évidence. L’imposition obligatoire d’une gestion collective des droits et d’un droit à rémunération inaliénable et incessible restreint de manière flagrante la libre jouissance et l’exercice effectif du droit de communication et de mise à disposition du public des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants.
A.39.3. Par ailleurs, les parties requérantes soutiennent que l’adoption de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’était pas nécessaire, dès lors que le législateur avait déjà transposé l’article 18, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 en adoptant les articles XI.167/1 et XI.205/1 du Code de droit économique, insérés par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022. En outre, les travaux préparatoires de l’article XI.167/1 du Code de droit économique indiquent clairement que l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 n’a pas été transposé dans le Code de droit économique, afin de laisser une place à la liberté contractuelle des parties. Enfin, les parties requérantes mettent en évidence le fait que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 concerne la rémunération due par les titulaires de droits dérivés aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants en vertu de leurs accords respectifs, et non la rémunération due par les prestataires de services de partage de contenus en ligne.
A.39.4. En réponse aux arguments du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes, les parties requérantes soutiennent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 vise exclusivement les relations contractuelles nouées entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et leurs cocontractants directs, comme il en ressort d’une interprétation contextuelle et téléologique de cette disposition. À l’inverse, l’article 18
n’instaure aucun principe général de rémunération appropriée et proportionnelle en faveur des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants susceptible d’être appliqué à charge de n’importe quelle personne, comme un tiers sans relation contractuelle avec ces derniers.
A.39.5. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui introduit un droit à rémunération obligatoire inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et qui prévoit que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits.
Huitième moyen
A.40. Les parties requérantes prennent un huitième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte. Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect des dispositions précitées du droit primaire de l’Union européenne lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles ajoutent qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, la Cour doit écarter la règle de droit interne qui l’empêche de statuer sur un moyen fondé sur la violation du droit de l’Union européenne si cette violation n’est pas alléguée en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution et si la partie requérante n’expose pas une différence de traitement constituant une discrimination. À titre subsidiaire, elles soutiennent que le moyen expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les dispositions précitées du droit primaire de l’Union européenne. Pour le surplus, elles considèrent que le moyen est suffisamment clair.
A.41.1. Dans une première branche, développée à titre principal, les parties requérantes soutiennent que le droit inaliénable à la rémunération, consacré par la disposition attaquée, affecte l’essence de la liberté d’entreprendre. En effet, en prévoyant que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leurs droits de communication et de mise à disposition bénéficient d’un droit inaliénable à rémunération à charge des prestataires de services de partage de contenus en ligne, la loi du 19 juin 2022 constitue une ingérence dans le droit d’exercer une activité commerciale. L’article 54 de cette loi impose notamment aux plateformes telles que YouTube de conclure deux accords, au lieu d’un seul, et ce, pour le même droit, à savoir le premier avec les titulaires de droits dérivés auxquels les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ont cédé leur droit de communication/mise à disposition du public, et le second avec les organismes de gestion collective représentant
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les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants couvrant ce nouveau droit à rémunération inaliénable et incessible. En conséquence, les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont confrontés à des coûts de transaction et à une incertitude accrus et doivent prendre des mesures qui ont une incidence administrative et financière importante.
A.41.2.1. Dans une deuxième branche, développée à titre subsidiaire, les parties requérantes affirment que le droit inaliénable à la rémunération, prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, constitue une limitation disproportionnée de la liberté d’entreprise.
A.41.2.2. Tout d’abord, les parties requérantes soutiennent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas suffisamment clair et précis. En effet, en vertu de cette disposition, les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants peuvent bénéficier du droit à rémunération à condition d’avoir cédé leurs droits à un tiers. Il n’est toutefois pas précisé de quelle partie il peut s’agir. Les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont donc tenus de vérifier si les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants ont effectivement cédé ou transféré leurs droits à un tiers et, ce faisant, s’ils remplissent les critères d’éligibilité pour exercer leurs droits à rémunération. Cette démarche entraîne des coûts encore plus élevés de mise en œuvre et de conformité, ainsi qu’une incertitude financière et juridique accrue pour les prestataires de services de partage de contenus en ligne.
Dans ce cadre, il est disproportionné et pratiquement impossible pour les prestataires de services de partage de contenus en ligne de vérifier si chacun des titulaires de droits potentiels a transféré ou octroyé une licence sur ses droits à un tiers. En tout état de cause, il n’existe pas de moyens accessibles au public pour vérifier si un transfert de droits a eu lieu. Les prestataires de services de partage de contenus en ligne ne peuvent donc guère être certains que, lorsqu’un paiement est effectué, il l’est dans le cadre de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 et que ce paiement a été effectué au créancier adéquat. En outre, le droit à rémunération prévu à l’article 54 s’applique à tout type de transfert à un tiers, de sorte que les conditions du droit à rémunération sont formulées de manière trop large, puisque tout auteur ou artiste-interprète ou exécutant, quel que soit le type d’œuvre qu’il a créé, peut avoir un droit à rémunération dès que son droit de communication au public est présumé ou effectivement transféré à un tiers et ce, indépendamment du fait qu’il ait déjà été rémunéré.
Partant, en pratique, il ne sera pas possible pour les prestataires de services de partage de contenus en ligne d’effectuer tous les contrôles et toutes les diligences nécessaires pour garantir l’application correcte du droit à rémunération prévu par la loi du 19 juin 2022. De plus, la cession des droits est une question contractuelle, de sorte qu’elle est sujette à des changements quotidiens. En outre, les contrats concernés par la disposition attaquée sont souvent, voire systématiquement, soumis à des obligations de confidentialité, ce qui peut empêcher le prestataire de services de partage de contenus en ligne de vérifier si un auteur ou un artiste-interprète a cédé ses droits à un tiers. L’importance des coûts de transaction impliqués, combinée à la difficulté et à l’incertitude d’évaluer si les conditions de l’article 54 sont remplies, crée une charge disproportionnée pour les prestataires de services de partage de contenus en ligne et, par conséquent, constitue une restriction à la liberté d’exercer une activité. Or, toute limitation à un droit fondamental, tel que celui garanti par l’article 16 de la Charte , doit être prévisible dans ses effets et avoir une base juridique suffisamment accessible, c’est-à-dire être énoncée de manière suffisamment claire et précise pour permettre aux intéressés de régler leur conduite en conséquence.
A.41.2.3. Les parties requérantes soutiennent de surcroît que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est disproportionné au but poursuivi. Selon elles, il n’est pas certain qu’un droit à rémunération directe soit approprié pour renforcer les droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, ce qui constitue pourtant l’objectif poursuivi par la loi du 19 juin 2022.
Tout d’abord, les parties requérantes mettent en évidence l’existence d’un risque élevé de double paiement.
En effet, en vertu de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, lu en combinaison avec l’article 53 de la même loi, les prestataires de services de partage de contenus en ligne doivent négocier non seulement avec les titulaires de droits dérivés, mais aussi avec les organismes de gestion collective représentant les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants. Il s’ensuit que les prestataires de services de partage de contenus en ligne devraient payer une fois le titulaire de droits dérivés – par exemple, une maison de disques ou un producteur qui accorde l’autorisation de mettre le contenu en question à disposition sur la plateforme du prestataire de services de partage de contenus en ligne – ainsi qu’une fois l’organisme de gestion collective représentant les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants en vertu de leur droit inaliénable à rémunération, dans la mesure où ils ont transféré leur droit de communication au public à un tiers. Les services juridiques de la Commission européenne ont précisément mis en évidence cet écueil. Selon les parties requérantes, si l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 avait été
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correctement transposé, les prestataires de services de partage de contenus en ligne n’auraient eu à négocier qu’un seul contrat, à savoir avec la partie détenant le droit de communication et de mise à disposition du public – à savoir l’auteur, l’artiste-interprète ou exécutant, ou le titulaire de droits dérivés –, aux termes duquel une rémunération potentielle aurait alors pu être négociée.
En outre, selon les parties requérantes, les parties auxquelles les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ont transféré leurs droits, ainsi que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants eux-mêmes, n’auront très probablement pas la même opinion sur la part qu’ils représentent dans une œuvre particulière, ce qui conduira à des demandes de rémunération se chevauchant et potentiellement contradictoires vis-à-vis des prestataires de services de partage de contenus en ligne. En effet, la demande de rémunération distincte résultant de l’article 54 nécessite une évaluation des droits qui, jusqu’à présent, étaient évalués ensemble. La manière dont la rémunération au titre de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 devrait être évaluée est donc incertaine, puisqu’il s’agit d’un mélange de droit à rémunération et de droit exclusif.
Les parties requérantes ajoutent qu’aucune des parties aux différents contrats n’a pleine connaissance de ce qui a été convenu dans d’autres contrats de cession. Par conséquent, lors du calcul de la rémunération conformément à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, un prestataire de services de partage de contenus en ligne n’a aucune connaissance de la rémunération déjà perçue par les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants concernés en raison de leurs contrats avec des titulaires de droits dérivés. Par ailleurs, lorsque les redevances de cession prennent la forme de sommes forfaitaires, une répartition peut s’avérer impossible. En outre, la plupart des contrats de cession sont multi-territoriaux et couvrent souvent une utilisation mondiale, de sorte qu’il est difficile d’affecter la rémunération versée aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants dans la chaîne de cession à des utilisations spécifiques en Belgique. Enfin, les prestataires de services de partage de contenus en ligne ne pourront peut-être pas déduire ou compenser les paiements effectués en vertu de l’article 54 de leurs obligations de paiement envers les titulaires de droits dérivés, car ceux-ci sont soumis à des accords contractuels existants.
Comme le résultat de la négociation avec une société de gestion collective n’est pas contraignant pour les titulaires de droits dérivés, les montants à payer à chacune des contreparties contractuelles seront contestés. Une telle situation apparaît contraire aux principes de la directive (UE) 2019/790 et installerait également un déséquilibre entre les droits des différentes parties prenantes. Ni l’article 54, ni aucune autre disposition de la loi du 19 juin 2022
ne prévoit de garanties en application desquelles les rémunérations déjà perçues par les auteurs ou les artistes-
interprètes ou exécutants lors du transfert de leurs droits d’autorisation seront prises en compte. Il est donc clair que des mesures législatives telles que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui donnent lieu à des augmentations des coûts importants pour les prestataires de services de partage de contenus en ligne, sont inacceptables et restreignent de manière significative la liberté d’entreprise des prestataires de services de partage de contenus en ligne.
A.41.2.4. Les parties requérantes dénoncent également l’absence de période transitoire dans la loi du 19 juin 2022. Elles mettent en évidence que les prestataires de services de partage de contenus en ligne ont déjà conclu des contrats de licence qui sont en cours, de sorte qu’ils sont contraints de modifier les contrats existants en raison de l’entrée en vigueur de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022. Il apparaît toutefois que la loi du 19 juin 2022 ne prévoit aucune mesure transitoire pour accompagner de manière proportionnée l’entrée en vigueur, au 1er août 2022, de l’article 54, qui s’applique rétroactivement aux contrats existants entre les auteurs et les artistes-
interprètes ou exécutants, d’une part, et les titulaires de droits dérivés, d’autre part, ainsi qu’aux contrats conclus entre les titulaires de droits dérivés et les prestataires de services de partage de contenus en ligne. Les parties requérantes précisent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas pertinent en l’espèce et que rien ne permet d’établir que l’absence de mesures transitoires procède d’un choix délibéré du législateur.
A.41.2.5. En réponse aux arguments du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes, les parties requérantes ajoutent que le système de gestion collective obligatoire, attaqué, ne crée pas un point de contact unique, mais des points de contact supplémentaires, dès lors que le droit à la rémunération ne sera pas revendiqué par un seul organisme de gestion collective, mais par plusieurs organismes.
A.41.3. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 16 de la Charte, lu en combinaison ou non avec les articles 20 et 21
de cette Charte, s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui impose, au surplus sans période transitoire, un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser
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la communication au public de leurs œuvres ou autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et qui prévoit que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits. Contrairement à ce que le Conseil des ministres et différentes parties intervenantes soutiennent, la réponse à cette question n’est pas évidente, de sorte qu’elle est nécessaire à la solution du litige.
Neuvième moyen
A.42. Les parties requérantes prennent un neuvième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte. Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect des dispositions précitées du droit primaire de l’Union européenne, lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elles ajoutent que le moyen est suffisamment clair et expose clairement en quoi la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les dispositions précitées du droit primaire de l’Union européenne.
A.43.1. À l’estime des parties requérantes, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 constitue une restriction non justifiée à la libre prestation des services. En effet, cette disposition donne mandat aux prestataires de services de partage de contenus en ligne de faire droit aux demandes de rémunération directe des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants en ce qui concerne l’exploitation de leurs œuvres en Belgique. Ce droit à la rémunération perturbe et complexifie les pratiques actuelles d’octroi de licences et de cession dans le secteur et crée un régime de licences et de cession spécifique à la Belgique, qui diffère des régimes mis en place dans d’autres États membres conformément à la directive (UE) 2019/790. En l’absence de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, donc dans l’hypothèse d’une transposition correcte de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, les prestataires de services de partage de contenus en ligne offrant des services en Belgique seraient en mesure d’obtenir une licence à part entière d’un titulaire de droits dérivés établi dans un autre État membre. Toutefois, du fait de l’introduction de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, les prestataires de services de partage de contenus en ligne offrant des services en Belgique ne sont plus en mesure de conclure de tels accords, puisque cette disposition les oblige à négocier un droit à rémunération pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants avec les organismes de gestion collective en Belgique pour satisfaire à leurs obligations. À cet égard, les parties requérantes rappellent que la loi du 19 juin 2022 ne prévoit aucune période transitoire pour l’entrée en vigueur de l’article 54, de sorte que les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont tenus de réviser immédiatement leurs contrats actuels.
Par conséquent, les prestataires de services de partage de contenus en ligne, qui fournissent leurs services dans l’ensemble du marché unique numérique de l’Union européenne, sont obligés de développer de nouveaux mécanismes de licence uniquement pour la Belgique afin de se conformer à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022.
À défaut, ils seront contraints de modifier leurs services de manière à ce qu’ils ne soient pas accessibles depuis la Belgique. En d’autres termes, la loi belge rend la prestation transfrontalière moins attrayante car elle crée des barrières juridiques et des coûts de transaction spécifiques uniquement pour le territoire belge, ce qui est d’autant plus problématique au regard de la nature transfrontalière inhérente aux services des prestataires de services de partage de contenus en ligne.
A.43.2. Les parties requérantes affirment par ailleurs que la restriction engendrée par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne peut être justifiée, dès lors qu’elle n’est pas nécessaire pour atteindre son objectif. Les parties requérantes constatent que l’exposé des motifs de cette loi ne précise pas quel est l’objectif spécifique poursuivi par l’article 54. Elles supposent donc que le législateur a considéré, d’une certaine manière, que le droit à rémunération servirait à améliorer la situation des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants et à garantir qu’ils reçoivent une rémunération appropriée et proportionnelle.
Les parties requérantes soutiennent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas approprié pour atteindre cet objectif car il ne renforce pas les droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants. En réalité, la position de négociation des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants est affaiblie par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, étant donné que ceux-ci ne peuvent plus céder leurs droits à rémunération, de sorte que les titulaires de droits dérivés réduiront probablement leurs paiements de redevances, en tenant compte de la portée réduite de la concession des droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants. En outre, les coûts de transaction importants dus à la nécessité de négocier et de rédiger des accords vont également affaiblir la position des auteurs
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et des artistes-interprètes ou exécutants. Par ailleurs, en séparant les droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants qui étaient jusqu’à présent négociés ensemble, le législateur crée une incertitude dans les discussions de prix des titulaires de droits dérivés avec les prestataires de services de partage de contenus en ligne, qui peut se traduire par des paiements globalement plus faibles. Les parties requérantes ajoutent que l’objectif apparemment poursuivi par la disposition attaquée constitue un objectif de nature économique qui ne constitue pas une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation de services.
A.43.3. En outre, les parties requérantes affirment que la mesure prévue par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas nécessaire car elle ne constitue pas le moyen le moins restrictif pour atteindre l’objectif poursuivi.
En effet, les dispositions de la loi du 19 juin 2022 transposant les articles 18 à 22 de la directive (UE) 2019/790
prévoient déjà des garanties pour que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants obtiennent une rémunération appropriée et proportionnelle dans le cas où ils ont concédé une licence ou cédé leurs droits à un tiers. En toute hypothèse, selon les parties requérantes, il n’est pas nécessaire de renforcer le pouvoir de négociation des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants vis-à-vis des prestataires de services de partage de contenus en ligne. En pratique, en effet, les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ne négocient pas avec les prestataires de services de partage de contenus en ligne. Ce sont les titulaires de droits dérivés qui négocient avec les prestataires de services de partage de contenus en ligne, au nom des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants.
Enfin, les parties requérantes affirment que l’absence de période transitoire est un élément pertinent pour confirmer le caractère disproportionné de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022.
A.43.4. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose une législation nationale, telle que celle prévue à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui instaure, par une mesure unique et au surplus sans période transitoire, un droit à rémunération inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, qui peuvent exercer ce droit à l’égard des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne offrant leurs services dans l’État membre concerné. Selon les parties requérantes, la question préjudicielle doit obligatoirement être posée dans l’hypothèse où la Cour aurait le moindre doute quant à l’interprétation de l’article 16 de la Charte, le cas échéant lu en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte.
Affaire n° 7924
Premier moyen
A.44. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la directive (UE) 2019/790 et avec l’article 16 de la Charte. Elles soutiennent que le moyen relève de la compétence de la Cour, dès lors que la Cour peut contrôler le respect de dispositions de droit international en combinant celles-ci avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.45.1. Les parties requérantes soutiennent que la directive (UE) 2019/790 vise une harmonisation de grande envergure dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins et, en son article 18, oblige expressément les États membres à respecter le droit à la liberté contractuelle garanti par l’article 16 de la Charte. Elles mettent en évidence que les dispositions attaquées régissent les relations contractuelles entre les artistes-interprètes ou exécutants et leurs contreparties contractuelles, telles que les labels de musique et non des tiers comme Spotify.
Selon elles, un droit à une rémunération obligatoire inaliénable et incessible qui est soumis à une gestion collective obligatoire viole le principe de la liberté contractuelle et ne respecte pas un juste équilibre des droits et des intérêts en cause. Les normes européennes et internationales en droit d’auteur et droits voisins indiquent clairement et explicitement quand de tels mécanismes sont autorisés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La loi du 19 juin 2022
oblige Spotify à conclure un contrat supplémentaire avec une société de gestion collective afin de satisfaire les demandes de rémunération, alors qu’auparavant, seul un contrat avec le titulaire des droits, tel qu’une maison de disques, était nécessaire. Les parties requérantes ajoutent que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 semble offrir un minimum de liberté contractuelle grâce à la dérogation possible à la gestion collective obligatoire lorsqu’une convention collective est en place, mais ce mécanisme est en réalité inopérant, dès lors que, dans la pratique, les sociétés de gestion collective chercheront à faire appliquer largement le droit à rémunération à l’encontre des prestataires de services de la société de l’information. En outre, les entités visées par la disposition n’ont aucun
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lien avec d’éventuelles conventions collectives. L’approche suivie par le législateur belge ne tient en réalité pas compte des spécificités du secteur musical, dès lors qu’elle néglige les obstacles pratiques à la conclusion de conventions collectives. En Belgique, de telles conventions dans le secteur musical sont d’ailleurs inexistantes. En outre, de telles conventions collectives devraient être conclues par le producteur, c’est-à-dire la partie contractante qui acquiert les droits auprès des artistes-interprètes ou exécutants, et non par les services de streaming tenus d’effectuer des paiements à la société de gestion collective en vertu de la loi du 19 juin 2022.
A.45.2. Les parties requérantes soulignent que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, une dérogation à l’article 16 de la Charte doit être prévue par la loi et soumise au respect de l’essence des droits et libertés garantis. Selon elles, le principe du libre choix du cocontractant constitue un élément essentiel du droit à la liberté contractuelle, de sorte qu’en prévoyant un droit à une rémunération résiduelle et, de surcroît, en soumettant ce droit à une gestion collective obligatoire, le législateur belge viole l’article 16 de la Charte. Une telle mesure ne peut être qualifiée de restriction nécessaire correspondant aux objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou aux exigences de la protection des droits et libertés d’autrui. En effet, la directive (UE) 2019/790 elle-même ne permet pas de restrictions au droit à la liberté contractuelle, comme le mettent en évidence les lettres échangées par la Commission européenne avec le ministre compétent dans la perspective de la promulgation de la loi du 19 juin 2022.
Selon les parties requérantes, le droit à rémunération prévu à l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 entraîne des coûts de transaction élevés et entrave la conclusion d’accords pour la distribution de musique en ligne conformément aux pratiques établies dans le secteur. L’obligation de négocier séparément avec une société de gestion et/ou un organisme de gestion collective pour régler le droit à rémunération en plus des accords déjà conclus a des conséquences négatives pour tous les acteurs du marché de la musique en ligne, mais aussi pour les consommateurs qui peuvent être privés de services musicaux ou d’un choix complet. Les parties requérantes observent que la restriction à la liberté contractuelle est prétendument introduite pour protéger la partie contractuellement faible et faciliter la valorisation et le paiement de la compensation. Cependant, les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022 offrent déjà une protection suffisante pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte à la liberté précitée.
A.46.1. Les parties requérantes ajoutent qu’en l’espèce, la violation du droit de l’Union européenne constitue ipso facto également une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les dispositions attaquées traitent différemment les entrepreneurs qui concluent des contrats de services bien définis, comme Spotify, et les autres entrepreneurs qui concluent également des contrats de services similaires, en interdisant aux entrepreneurs de la première catégorie de pouvoir encore choisir librement son cocontractant, alors que les entrepreneurs de la seconde catégorie peuvent encore le faire sans aucune justification.
A.46.2. Les catégories de personnes précitées sont, selon les parties requérantes, similaires. En effet, le principe de la liberté contractuelle, garanti par l’article 16 de la Charte, s’applique à tout entrepreneur au sein du droit de l’Union européenne. Il va de soi qu’au regard de cette liberté contractuelle, toute personne concluant un contrat de service se trouve dans une situation identique et tout à fait comparable aux services de la société de l’information. Les parties requérantes soutiennent que la différence de traitement entre les personnes précitées n’est pas appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi, dès lors que les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 ne démontrent pas que l’adoption des articles 60, 61 et 62 de cette loi repose sur une analyse économique solide. L’utilité de la mesure n’a pas non plus été démontrée. Les parties requérantes précisent que le type de rémunération prévu par les dispositions attaquées s’est avéré très difficile à gérer par le passé et a donné lieu à de longs litiges.
En toute hypothèse, les parties requérantes soutiennent que le système attaqué est totalement disproportionné.
En effet, en imposant l’introduction d’un droit à rémunération inaliénable et en le soumettant à une gestion collective obligatoire, le législateur belge va au-delà de ce qui est nécessaire pour transposer la directive (UE) 2019/790. À cet égard, elles soulignent que la loi du 19 juin 2022 perturbe un marché qui fonctionne avec des pratiques d’octroi de licences bien établies conformément à un système harmonisé mis en place dans l’Union, en entraînant des doubles paiements, des coûts de transaction considérables et une incertitude juridique et commerciale. Dans le même temps, la valeur potentielle du droit à une rémunération résiduelle reste incertaine.
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A.47. Les parties requérantes dénoncent par ailleurs l’absence de diligence raisonnable dans le cadre de l’adoption de la loi du 19 juin 2022. Selon elles, le législateur belge n’a pas fait preuve de la précaution requise lors de l’adoption des dispositions attaquées et n’a donc pas veillé à ce que la réglementation applicable aux objets de la loi soit élaborée de manière qualitative et minutieuse, par une évaluation appropriée. Elles font référence, à cet égard, à l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État ainsi qu’à la circonstance que l’intention d’adopter les mesures attaquées n’a pas été notifiée à la Commission européenne alors qu’il s’agissait de « règles techniques » au sens de la directive (UE) 2015/1535.
A.48.1. Afin de réfuter la position du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes, les parties requérantes formulent plusieurs observations.
A.48.2. Tout d’abord, elles mettent en évidence le fait que le droit à rémunération inaliénable est une limitation inadmissible du droit exclusif de mise à disposition. Le fait qu’un artiste-interprète ou exécutant reste formellement en mesure d’autoriser ou d’interdire les actes de mise à disposition ne garantit pas la pleine jouissance et l’exercice de ce droit. En outre, en ce qui concerne le mécanisme de gestion collective obligatoire, les parties requérantes affirment que ce mécanisme rend les négociations plus complexes.
A.48.3. Les parties requérantes ajoutent que, si le législateur européen avait voulu autoriser des mesures telles que le droit, attaqué, à une rémunération inaliénable, il l’aurait fait dans le cadre d’un instrument de droit dérivé, de manière explicite. Or, il n’existe aucune base juridique explicite dans le droit de l’Union européenne qui reconnaisse une limitation du droit exclusif des artistes-interprètes ou exécutants d’exercer librement le droit de mise à disposition en vertu de l’article 3, paragraphe 2, a), de la directive 2001/29/CE en introduisant un droit à rémunération inaliénable en relation avec le droit de mise à disposition. En outre, le mécanisme attaqué ne relève d’aucune des exceptions et limitations que les États membres sont autorisés à établir en vertu de l’article 5 de cette directive.
A.48.4. En toute hypothèse, les conditions pour pouvoir adopter une limitation ou une exception à un droit exclusif, notamment établies par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29/CE, ne sont pas remplies en l’espèce. Tout d’abord, le droit à rémunération inaliénable ne constitue pas un cas particulier, dès lors que la limitation engendrée n’est ni clairement définie, ni étroite dans son champ d’application. En effet, le mécanisme attaqué s’étend à un ensemble varié d’artistes-interprètes ou exécutants qui contribuent aux secteurs de la musique, de l’audiovisuel et des jeux vidéo en streaming, mais, sans autre justification, certains types d’exploitation sont exclus, tels que les services de streaming transactionnels. La limitation est également trop large en ce sens qu’elle n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif fixé et constitue donc une exception disproportionnée à l’obligation de protéger le droit exclusif concerné. Si l’intention est de garantir que les artistes-interprètes ou exécutants reçoivent une rémunération équitable, il aurait été suffisant et plus efficace d’introduire des règles s’appliquant entre les parties contractantes concernées, c’est-à-dire les artistes-interprètes ou exécutants et les producteurs.
Par ailleurs, le droit à rémunération inaliénable contesté entre en conflit avec l’exploitation normale du droit de mise à disposition des artistes-interprètes ou exécutants. Au lieu d’être en mesure de recevoir un paiement intégral de leurs contreparties contractuelles, les producteurs, les artistes-interprètes ou exécutants seront potentiellement moins bien payés lors de la conclusion de tels accords. Ils recevront en réalité un montant à un stade ultérieur, en fonction d’un taux fixé par une société de gestion collective et collecté auprès de certains services de streaming. Pour de nombreux artistes-interprètes ou exécutants, cela signifie qu’ils ne peuvent plus adapter les conditions à leurs préférences individuelles dans la même mesure qu’auparavant. Enfin, le mécanisme attaqué prive les artistes-interprètes ou exécutants de la liberté de conclure des contrats qui conviennent le mieux à leur situation individuelle, en tenant compte de leurs capacités spécifiques, de leur popularité et de la demande du marché.
A.48.5. À l’estime des parties requérantes, le droit à la rémunération attaqué est en tout état de cause exclu par l’article 3, paragraphe 2, a), de la directive 2001/29/CE. Selon elles, l’existence de droits à rémunération inaliénables dans certains instruments de droit dérivé de l’Union européenne, cités par le Conseil des ministres et par certaines parties intervenantes, atteste précisément du fait qu’une base juridique expresse doit être prévue par le droit européen afin de créer un tel type de droit. En outre, les parties requérantes précisent que la Cour de justice n’a jamais autorisé l’adoption de droits à rémunération similaires à celui prévu par les dispositions attaquées.
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A.48.6. Les parties requérantes soutiennent par ailleurs que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne fournit pas de base juridique pour l’adoption du mécanisme attaqué, dès lors qu’il ressort clairement de son libellé et de sa finalité que cette disposition prévoit le principe d’une rémunération appropriée et proportionnée dans les contrats d’exploitation. Il ne peut donc pas constituer une base pour un droit qui rend les tiers responsables du paiement et opère en dehors de la sphère contractuelle. À cet égard, les parties requérantes précisent que la marge de manœuvre laissée aux États membres dans la mise en œuvre de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne s’étend pas à l’introduction d’une législation telle que le droit à la rémunération attaqué, qui a d’ailleurs une incidence importante sur les autres dispositions du chapitre 3 de cette directive, avec lesquelles il s’articule mal.
Selon les parties requérantes, à supposer que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 puisse constituer le fondement du mécanisme de rémunération attaqué, il y a lieu de considérer que ce mécanisme ne respecte pas le juste équilibre des droits et des intérêts en présence. À cet égard, elles précisent que les États membres ne peuvent pas user de leur pouvoir discrétionnaire dans la transposition de la directive de manière à compromettre les objectifs de la directive, qui comprend la garantie du bon fonctionnement du marché unique numérique. Les parties requérantes allèguent que l’évaluation du juste équilibre précité n’a pas été effectuée dans le cadre du processus d’adoption de la loi du 19 juin 2022. Elles ajoutent que le droit inaliénable à rémunération interfère avec la liberté contractuelle des utilisateurs en contournant les contrats de licence existants et en leur imposant des obligations de paiement. En outre, ce droit porte atteinte aux pratiques du marché, développées sur la base d’un système harmonisé, entrave l’octroi efficace de licences pour les droits pertinents et sape les contrats existants en modifiant les prémisses sous-jacentes sur lesquelles les conditions contractuelles ont été convenues.
A.48.7. Les parties requérantes allèguent par ailleurs que le droit inaliénable à la rémunération ne respecte pas le principe de la liberté contractuelle. En effet, l’artiste-interprète ou exécutant n’est plus en mesure de conclure des accords prévoyant la cession d’un droit à rémunération non grevé. Le droit à rémunération contesté est inaliénable, de sorte que, lorsque l’artiste-interprète ou exécutant choisit de céder son droit exclusif, sa liberté contractuelle est limitée car il ne peut alors céder librement que la partie exploitation de ce droit et non l’ensemble des droits financiers. Une partie essentielle du droit de mise à disposition, à savoir la rémunération, n’est donc plus soumise au même niveau de liberté contractuelle. En conséquence, l’artiste-interprète ou exécutant ne peut pas contrôler individuellement et adapter les conditions de compensation à ses préférences dans le cadre du transfert des droits exclusifs. En outre, le droit à rémunération inaliénable entrave la liberté contractuelle des parties contractantes auxquelles les droits exclusifs sont généralement transférés. Le nouveau système de rémunération compromet également les contrats existants dans lesquels les droits des exécutants ont été acquis ou concédés sous licence. L’introduction d’un paiement supplémentaire séparé rompt l’équilibre contractuel et modifie les prémisses sur lesquelles les conditions contractuelles ont été convenues. Enfin, le nouveau système de rémunération porte atteinte à la liberté contractuelle des services de streaming relevant du droit à rémunération inaliénable contesté, en affectant les accords contractuels existants et en leur imposant l’obligation de conclure des contrats avec de nouvelles parties, à des coûts de transaction accrus, pour pouvoir utiliser les droits concédés et fournir le même service. À cet égard, les parties requérantes mettent en évidence le fait que le législateur belge n’a pas prévu de période transitoire.
A.48.8. En ce qui concerne la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, les parties requérantes affirment que le principe de la liberté contractuelle s’applique à tous les entrepreneurs au sein de l’Union européenne, dont les services de streaming. Cependant, ces derniers sont traités différemment des autres opérateurs ou fournisseurs de services, puisque leur liberté contractuelle est sévèrement restreinte par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022. En toute hypothèse, les catégories de personnes précitées sont suffisamment comparables.
A.49.1. Enfin, les parties requérantes demandent que quatre questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice.
La première question vise à déterminer si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison ou non avec l’article 20 de cette directive, s’oppose à une législation nationale qui introduit un droit à rémunération obligatoire incessible et inaliénable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, exerçable à l’encontre de certains prestataires de services de streaming par la gestion collective obligatoire.
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La deuxième question vise à déterminer si les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE
s’opposent à une réglementation nationale qui introduit un droit à rémunération obligatoire incessible et inaliénable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, exerçable à l’encontre de certains prestataires de services de streaming par une gestion collective obligatoire.
La troisième question vise à déterminer si l’article 16 de la Charte, lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, s’oppose à une réglementation nationale qui instaure un droit à rémunération obligatoire incessible et inaliénable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, exerçable à l’encontre de certains prestataires de services de streaming par la gestion collective obligatoire.
Enfin, la quatrième question vise à déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose à une législation nationale qui introduit un droit de rémunération obligatoire incessible et inaliénable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, exerçable à l’encontre de certains prestataires de services de streaming, qui offrent leurs services dans l’État membre dans lequel la législation nationale en question est introduite, par une gestion collective obligatoire.
A.49.2. Contrairement à ce que le Conseil des ministres et certaines parties intervenantes soutiennent, les questions préjudicielles précitées ne visent pas à abuser de la procédure devant la Cour constitutionnelle afin de saisir directement la Cour de justice, mais constituent simplement une application de l’article 267 du TFUE.
Second moyen
A.50. Les parties requérantes prennent un second moyen de la violation, par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la directive (UE) 2019/790 et l’article 56
du TFUE. Elles soutiennent que le moyen relève de la compétence de la Cour, dès lors que la Cour peut contrôler le respect de dispositions de droit international en combinant celles-ci avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.51.1. Selon les parties requérantes, l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 introduit un droit à rémunération inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes- interprètes ou exécutants pour l’exploitation de leurs œuvres par certains prestataires de services de la société de l’information, qui, en l’absence de convention collective, sont soumis à une gestion collective obligatoire. Ce faisant, la loi du 19 juin 2022 a pour effet d’exclure le territoire belge de la négociation relative à l’établissement de services transfrontaliers de musique en ligne situés en dehors du territoire. En l’absence de cette disposition, un prestataire de services de la société de l’information serait en mesure d’obtenir une licence entièrement payée, par exemple d’un producteur ou d’une maison de disques d’un autre État membre. Cette licence comprendrait alors à la fois le droit d’interprétation ou d’exécution et le droit de mise à disposition ainsi que les redevances nécessaires à payer en contrepartie.
La loi du 19 juin 2022 ajoute une rémunération à la rémunération normale que les artistes-interprètes ou exécutants reçoivent déjà lorsqu’ils transfèrent leurs droits aux maisons de disques, par exemple. Or, dans la grande majorité des autres États membres, les artistes-interprètes ou exécutants continuent à recevoir une rémunération raisonnable de la part des maisons de disques qui exploitent leurs droits. La position de monopole de la société de gestion ou de l’organisme de gestion collective permet d’exiger une rémunération supplémentaire qui excède la notion de rémunération appropriée exigée par la directive (UE) 2019/790. Ce système de « double paiement » n’est pas couvert par le droit d’auteur et les droits voisins et la restriction à la libre prestation des services ne peut être justifiée par la protection de la propriété intellectuelle. En outre, à l’estime des parties requérantes, l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 engendre également une violation manifeste de la liberté d’entreprendre. En tout état de cause, les conditions pour déroger au principe de la libre circulation des services ne sont pas réunies. Ainsi, même si l’objectif de faciliter la valorisation du droit à rémunération ainsi que le paiement de celle-ci constituait un motif d’intérêt général, il n’est nullement démontré que cette mesure servirait à atteindre cet objectif. La rémunération appropriée et juste des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants est déjà garantie par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022.
A.51.2. Par ailleurs, les parties requérantes soutiennent que la violation du droit de l’Union européenne entraîne ipso facto la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 traite différemment les opérateurs qui concluent des contrats de services, en ce sens qu’une catégorie peut
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encore conclure des contrats transfrontaliers sans restrictions, tandis qu’une autre catégorie, à savoir celle des prestataires de services de la société de l’information, ne dispose plus de cette possibilité. Selon les parties requérantes, les catégories de personnes précitées sont comparables, dès lors qu’il s’agit d’entrepreneurs au sens du droit de l’Union européenne. En outre, la disposition attaquée poursuit un objectif légitime et la différence de traitement repose sur le fait de proposer un service de streaming, ce qui constitue un critère objectif. Cependant, la différence de traitement est totalement inadaptée à la réalisation de l’objectif poursuivi, puisqu’il n’est nullement démontré que la valorisation du droit à rémunération ainsi que le paiement de celle-ci seront facilités par l’introduction de la mesure en cause. En toute hypothèse, le système prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022
produit des effets disproportionnés, comme il ressort des développements relatifs au premier moyen.
A.51.3.1. Les parties requérantes précisent que le droit à rémunération inaliénable contesté entrave la conclusion de contrats de licence transfrontaliers et crée un obstacle important à la libre prestation de services. En effet, les prestataires de services de la société de l’information doivent s’adapter à différents systèmes de droits d’auteur sur différents marchés de l’Union européenne, ce qui est contraire à l’intention qui sous-tend le système harmonisé de droits d’auteur sur lequel repose la directive (UE) 2019/790.
A.51.3.2. Par ailleurs, la loi du 19 juin 2022 traite les prestataires de services différemment, de sorte qu’une catégorie est toujours en mesure de conclure des contrats transfrontaliers sans restriction, tandis qu’une autre catégorie, à savoir les services de streaming dans le champ d’application de la loi belge, ne peut plus le faire. Les parties requérantes ajoutent qu’il n’est pas nécessaire qu’elles identifient les catégories de prestataires de services comparables et qu’il n’est pas non plus nécessaire qu’un prestataire de services étranger soit effectivement traité différemment d’un prestataire de services national. La Cour de justice estime en effet, de manière abstraite, que le champ d’application de l’article 56 du TFUE comprend toute mesure de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre. Par ailleurs, les parties requérantes précisent que, dans la grande majorité des autres États membres de l’Union européenne, les artistes-interprètes ou exécutants continuent à recevoir une rémunération des titulaires de droits dérivés qui exploitent leurs droits, alors qu’en vertu du droit à rémunération inaliénable attaqué, une rémunération supplémentaire doit être négociée par les prestataires de services de la société de l’information avec un organisme de gestion collective chargé du droit à rémunération inaliénable et incessible.
A.51.4. Pour le surplus, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 1er, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens que les dispositions du droit national qui introduisent un droit à rémunération obligatoire incessible et inaliénable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, exerçable à l’encontre de certains prestataires de services de streaming par la gestion collective obligatoire, constituent une « règle technique », à savoir une « règle relative aux services », au sens de cette disposition, dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive. Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, l’application correcte du droit européen n’est pas évidente en l’espèce, de sorte qu’il convient de poser la question préjudicielle précitée.
Affaire n° 7925
Premier moyen
A.52. La partie requérante prend un premier moyen, invoqué à titre principal, de la violation, par les articles 38, 39 et 40 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution et de la liberté de commerce et d’industrie, lus en combinaison avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790. La partie requérante soutient que le moyen est recevable, dès lors qu’il invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et de la liberté de commerce et d’industrie, lus en combinaison avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, et que les développements du moyen exposent les raisons pour lesquelles les dispositions de la loi du 19 juin 2022 portent une atteinte discriminatoire à la liberté de commerce et d’industrie, interprétée à la lumière des limites fixées à l’article 15 de la directive précitée. Par ailleurs, la Cour est compétente pour contrôler le respect de dispositions de droit international pourvu qu’elles soient invoquées en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, ce qui est le cas en l’espèce.
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A.53.1. En ce qui concerne le fond du moyen, la partie requérante précise tout d’abord que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’impose pas de cadre rigide pour la gestion commerciale et pratique du nouveau droit voisin reconnu aux éditeurs de presse. La directive reconnaît que les circonstances entourant l’exploitation du droit d’auteur varient considérablement suivant les prestataires de services de la société de l’information et les éditeurs de presse concernés. Ainsi, l’article 15 laisse ouverte la possibilité d’accorder des autorisations d’exploitation des publications de presse de différentes manières, afin de respecter la liberté contractuelle des parties, comme c’est le cas pour l’ensemble des droits voisins. De manière radicalement contraire à l’article 15 de la directive, la loi du 19 juin 2022 est susceptible d’être interprétée comme introduisant un système de négociation obligatoire, par lequel un organe de régulation, I’IBPT, peut adopter des décisions individuelles contraignantes sur le montant de la rémunération due pour l’utilisation en ligne des publications de presse. Par ailleurs, il ressort des travaux préparatoires de l’article 38 de la loi du 19 juin 2022 que cette disposition pourrait inclure un droit pour les éditeurs de presse d’obtenir une rémunération auprès des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse. En outre, en vertu de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, l’IBPT a le pouvoir de superviser les négociations entre les parties et peut déterminer d’office la rémunération due pour les exploitations au cas où les parties ne parviendraient pas à un accord. La décision est contraignante et doit donc être exécutée par les destinataires de la décision, potentiellement de manière forcée.
Partant, la loi du 19 juin 2022 s’écarte significativement de la directive (UE) 2019/790, dont l’article 15 se limite à décrire le droit voisin dont bénéficient désormais les éditeurs. Il s’agit d’un droit exclusif, permettant aux éditeurs de presse d’empêcher la reproduction de leurs publications de presse. Cet article, toutefois, n’impose ni l’exploitation ni la négociation d’une telle exploitation. L’article 15 ne confère cependant pas aux éditeurs de presse ou aux utilisateurs individuels le droit d’imposer l’utilisation en ligne des publications de presse. Il n’impose pas non plus d’obligation de négocier les conditions d’utilisation en ligne des publications aux prestataires de services de la société de l’information. Selon les parties requérantes, cette interprétation est confirmée par le considérant n° 82 de la directive (UE) 2019/790.
A.53.2. La partie requérante précise en outre que les droits conférés par l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne couvrent pas les publications de presse consistant en de simples faits, dès lors que ces publications ne sont pas protégées par le droit d’auteur, comme le considérant n° 57 de cette directive le met en évidence. Cette interprétation résulte également de l’article 15, paragraphe 5, de la directive, qui implique que toute rémunération potentielle des éditeurs de presse doit être partagée avec les auteurs du contenu, ce qui confirme que seul le contenu des publications de presse qui constitue une œuvre protégée par le droit d’auteur est éligible au nouveau droit voisin. En l’espèce, les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022 protègent toutes les publications de presse, indépendamment du fait que leur contenu soit ou non protégé par le droit d’auteur. Ces dispositions dépassent donc largement le champ d’application de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
A.53.3. Par ailleurs, selon la partie requérante, les exceptions au droit voisin des éditeurs de presse, prévues par l’article 15, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, ne sont pas correctement transposées par la loi du 19 juin 2022. En vertu de cette disposition, les droits voisins dont bénéficient les éditeurs de presse ne s’appliquent notamment pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, ce qui est confirmé par le considérant n° 55 de la directive. Or, cette exception n’est pas reprise par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022. Les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 indiquent que cette exclusion serait inhérente au droit voisin, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire de la prévoir explicitement Cependant, selon la partie requérante, l’omission du législateur belge est de nature à entraver l’objectif d’harmonisation complète recherchée par la directive et à conduire à une insécurité juridique pour les prestataires de services de la société de l’information, pour lesquels cette exception est de la plus haute importance.
La partie requérante précise que Facebook constitue essentiellement une plateforme sur laquelle ses utilisateurs peuvent partager des informations avec leurs amis et leur famille. Par conséquent, l’utilisation en ligne par les utilisateurs individuels de Facebook correspond exactement à l’utilisation envisagée par le législateur européen lorsqu’il a formulé l’exception relative à un usage privé ou non commercial. Dans ce cadre, les considérants de la directive précisent que son article 15 a été motivé par la nécessité de réglementer l’utilisation des publications de presse par des services tels que les agrégateurs de nouvelles et les services de surveillance des médias. Or, Facebook n’utilise pas lui-même les publications de presse : ce sont les éditeurs de presse qui téléversent des liens vers leurs publications de presse sur Facebook, tandis que les autres utilisations des publications de presse sur la plateforme sont principalement le fait d’utilisateurs individuels, à des fins privées ou non commerciales, relevant ainsi de l’exception prévue à l’article 15, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive. La justification du législateur belge n’est donc pas pertinente. À cet égard, il n’est pas correct d’affirmer, comme le font certaines parties intervenantes, que la partie requérante elle-même joue un rôle indispensable et intervienne délibérément lorsque les éditeurs de presse décident eux-mêmes de téléverser des liens vers leur
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contenu sur le service Facebook, puisque celle-ci n’intervient pas dans la création ou la sélection des contenus téléversés par les utilisateurs de sa plateforme et elle ne procède ni au visionnage ni au contrôle de ces contenus avant leur téléversement, lequel s’effectue selon un procédé automatisé. Partant, le partage des liens vers des publications de presse sur le service Facebook n’emporte dans le chef de la partie requérante aucunement des actes de communication au public.
A.53.4. La partie requérante ajoute que de nombreux éditeurs de presse ont leur propre page Facebook, sur laquelle ils partagent volontairement leur propre contenu. Ces publications sont généralement accompagnées d’un hyperlien dirigeant les utilisateurs vers les publications qui ont été publiées sur le site web de l’éditeur de presse.
Par conséquent, les éditeurs de presse décident eux-mêmes quels liens, vers leur propre contenu le cas échéant, ils mettent à disposition sur Facebook. Cependant, compte tenu du libellé particulièrement large de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, il n’est pas exclu que les prestataires de services de la société de l’information soient soumis à l’obligation de négociation y compris pour les publications de presse qui ont été mises en ligne sur Facebook de manière volontaire par un éditeur de presse. Selon la partie requérante, il découle de la jurisprudence de la Cour de justice qu’un acte de reproduction ou de mise à disposition du public ne peut être imputé à un intermédiaire que dans le cas où celui-ci a joué un rôle indispensable et délibéré dans la communication au public, c’est-à-dire si l’intervention de la plateforme a été effectuée en pleine connaissance de cet acte et de ses conséquences, dans le but de fournir au public un accès aux œuvres protégées.
A.53.5. Enfin, la partie requérante relève que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 impose aux prestataires de services de la société de l’information de fournir aux éditeurs de presse des informations pertinentes, actualisées et complètes sur le nombre de consultations et les revenus générés par l’exploitation de leurs publications de presse.
Or, ces informations comprendront nécessairement des données confidentielles ou pouvant relever du secret d’affaires. Bien que la loi du 19 juin 2022 prévoie que les informations communiquées aux éditeurs de presse soient traitées de manière confidentielle, elle ne contient aucune garantie en cas de violation de cette obligation de confidentialité. En outre, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 prévoit que les auteurs des publications de presse peuvent demander aux éditeurs de presse des informations pertinentes sur l’exploitation de la publication de presse, y compris les informations que les éditeurs de presse auraient reçues des prestataires de services de la société de l’information. Il n’existe donc aucune garantie que la confidentialité de ces informations soit suffisamment protégée dans les accords conclus entre les éditeurs de presse et les auteurs.
Selon la partie requérante, il découle du considérant n° 68 de la directive (UE) 2019/790 que l’article 15 de celle-ci doit être interprété comme interdisant aux États membres d’exiger des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne qu’ils fournissent aux titulaires de droits des informations détaillées et individualisées pour chaque œuvre ou autre objet protégé identifié. Par ailleurs, indépendamment de la question de la confidentialité des informations précitées, l’obligation de fournir des informations contenue dans la loi du 19 juin 2022 n’est aucunement prévue dans la directive (UE) 2019/790. En outre, en prévoyant que seuls les prestataires de services de la société de l’information soient tenus de fournir des informations aux éditeurs de presse, la loi du 19 juin 2022
va à l’encontre des objectifs et de la finalité de la directive. En effet, une vue d’ensemble et complète des investissements réalisés et déjà récupérés par les éditeurs de presse est nécessaire, notamment afin de déterminer dans quelle mesure les prestataires précités doivent encore contribuer à cette récupération.
A.54.1. En réponse aux arguments développés par le Conseil des ministres et par les différentes parties intervenantes, la partie requérante rappelle d’abord que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 est d’harmonisation maximale, comme il ressort du considérant n° 55 de cette directive et de la mise en œuvre de cette disposition par d’autres États membres. En toute hypothèse, la transposition de l’article 15 par l’État belge donne lieu à des interprétations divergentes et disproportionnées. Même à supposer que les États membres disposeraient d’une certaine marge de manœuvre dans le cadre de la transposition précitée, il y aurait lieu de considérer que celle-ci est particulièrement limitée, dès lors que la directive se réfère explicitement à l’article 114 du TFUE, qui encadre de manière stricte la possibilité pour un État membre de prévoir des normes plus strictes que la norme d’harmonisation et impose à l’État membre de notifier à la Commission ses intentions et d’obtenir l’approbation préalable de cette dernière. Or, le législateur belge n’a, en l’occurrence, pas sollicité une quelconque approbation de la Commission.
A.54.2. Ensuite, la partie requérante relève que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne fait référence ni à une « négociation de bonne foi entre les parties », ni à une « rémunération due pour l’utilisation des publications de presse », pas plus qu’il n’impose la création d’un organe administratif chargé de superviser les
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négociations entre les parties et qui aurait le droit de déterminer, de manière unilatérale et contraignante, la rémunération redevable en lieu et place des parties. L’article 15 de la directive précitée crée un droit exclusif, permettant aux éditeurs de presse d’empêcher la reproduction de leurs publications de presse, ce qui, toutefois, n’impose ni l’exploitation ni la négociation ou la rémunération d’une telle exploitation. En outre, le fait que l’article 15 confère aux éditeurs de presse un droit exclusif sur les publications de presse n’implique nullement que les prestataires de services de la société de l’information soient obligés d’initier des négociations.
La partie requérante ajoute que la référence à l’article 18 et au considérant n° 73 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas pertinente en l’espèce, dès lors qu’ils ne s’appliquent qu’aux auteurs et artistes-
interprètes ou exécutants et uniquement dans le cadre des contrats d’exploitation. Les éditeurs de presse ne sont donc manifestement pas concernés. En toute hypothèse, le système de rémunération attaqué est contraire à l’esprit de cette directive, précisé au considérant n° 82, selon lequel aucune disposition de la directive ne saurait être interprétée comme empêchant les titulaires de droits voisins d’autoriser l’utilisation de leurs œuvres ou d’autres objets protégés à titre gratuit.
A.54.3. En ce qui concerne le type de contenu couvert par le droit des éditeurs de presse, la partie requérante soutient que le contenu d’un titre de presse doit être protégé en premier lieu au titre du droit d’auteur pour qu’il s’agisse d’une publication de presse au sens de la directive (UE) 2019/790, et que seul le contenu répondant à la notion d’œuvre bénéficie des droits conférés par cette directive, comme le considérant n° 57 de celle-ci le met d’ailleurs en évidence. La partie requérante précise que l’objet du droit voisin est le même tant pour les éditeurs de presse que pour les auteurs dudit contenu, à savoir le seul contenu protégé par les droits d’auteur. La part appropriée des revenus, le cas échéant, perçus par les éditeurs de presse à rétrocéder aux auteurs porte, selon les termes utilisés par le législateur européen, sur l’ensemble de la rémunération. Le législateur européen n’a nullement entendu séparer les revenus en deux blocs, l’un prétendument lié au contenu non protégé et l’autre au contenu protégé, et pour cause.
La partie requérante ajoute que, dans un premier temps, les parties à la négociation doivent se mettre d’accord sur les titres de presse qui répondent à la définition et aux critères de publications de presse au sens de la directive (UE) 2019/790 et qui sont donc éligibles à l’application du droit voisin conféré aux éditeurs de presse.
Dans un deuxième temps, les parties doivent se mettre d’accord sur les modalités de l’autorisation d’utilisation.
Dans la mesure où une éventuelle rémunération serait prévue, il découle de l’article 15, paragraphe 5, de la directive (UE) 2019/790 que seul le contenu effectivement protégé par le droit d’auteur, sans préjudice des différentes exceptions prévues par ailleurs, peut entrer en ligne de compte pour le calcul de cette rémunération.
A.54.4. En ce qui concerne l’obligation d’information prévue par la loi du 19 juin 2022, la partie requérante souligne que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne contient aucune obligation d’échange d’informations et que l’article 19 de celle-ci n’est pas pertinent, puisqu’il ne s’applique qu’aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants. Elle relève également qu’aucun garde-fou n’est établi par le législateur afin d’éviter que le partage d’information ne conduise à la divulgation d’informations sensibles et confidentielles non strictement nécessaires pour déterminer une éventuelle rémunération. En effet, les prétendues garanties établies par la loi du 19 juin 2022
ne sont pas en mesure de prévenir ce risque. Par ailleurs, il est inexact de supposer que les prestataires de services de la société de l’information et les éditeurs de presse seraient dans une relation contractuelle impliquant une partie faible, dès lors que ces éditeurs sont des entreprises importantes eu égard à la concentration du marché belge.
Enfin, la circonstance que les éditeurs de presse doivent ensuite transmettre les informations reçues aux sociétés de gestion collective des auteurs est aussi de nature à affecter le caractère confidentiel des informations précitées, dès lors, notamment, que ces sociétés de gestion sont tenues par une obligation de transparence vis-à-vis des ayants droit qu’elles représentent.
A.55. À titre subsidiaire, la partie requérante demande que quatre questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice.
A.56.1. La première question préjudicielle vise à déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790
s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qui impose aux éditeurs de presse et aux prestataires de services de la société de l’information un cadre de négociation strict, supervisé par une instance administrative nationale, dont les décisions sont susceptibles d’appel devant une juridiction ordinaire, qui pourrait aboutir à une obligation de rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation en
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ligne de leurs publications de presse, indépendamment du fait que ces publications aient été mises en ligne par les éditeurs de presse eux-mêmes.
A.56.2. La deuxième question préjudicielle vise à déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790
s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qui impose aux prestataires de services de la société de l’information une obligation unilatérale de fourniture d’informations.
A.56.3. La troisième question préjudicielle vise à déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790
s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qui omet de transposer l’exception au droit des éditeurs de presse pour les utilisations privées ou non commerciales.
A.56.4. Enfin, la quatrième question préjudicielle vise à déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à la protection par le droit voisin accordée aux éditeurs de presse, pour les publications ou parties de publications de presse qui ne sont pas éligibles à la protection par le droit d’auteur, par exemple lorsqu’elles reflètent uniquement ou principalement de simples faits plutôt qu’un contenu journalistique susceptible d’être protégé par le droit d’auteur.
A.57. La partie requérante précise que les questions préjudicielles ne visent pas à ce qu’il soit statué sur la compatibilité d’une norme nationale avec le droit de l’Union européenne, mais bien à interpréter la directive (UE) 2019/790. Par ailleurs, il ne peut être soutenu que l’article 15 de cette directive est un acte clair permettant de ne pas poser les questions précitées, comme les interprétations divergentes des différentes parties intervenantes et du Conseil des ministres le mettent en évidence.
Deuxième moyen
A.58. À titre subsidiaire, la partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 10 et 56 du TFUE, des articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte et des articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. Elle invoque aussi la violation de l’article 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000
« relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur » (ci-après : la directive 2000/31/CE). La partie requérante affirme que le moyen est recevable, d’abord pour les mêmes raisons qui conduisent à admettre la recevabilité du premier moyen.
Ensuite, la partie requérante allègue qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les dispositions constitutionnelles et conventionnelles invoquées dans un moyen en annulation consacrent les mêmes principes, ceux-ci forment un ensemble indissociable. Il s’ensuit, d’une part, que la Cour tient compte de ces dispositions de droit international lors de son contrôle de la disposition attaquée et que, d’autre part, compte tenu de cet ensemble indissociable, il suffit d’expliquer les raisons pour lesquelles la liberté fondamentale concernée est méconnue, sans qu’il soit nécessaire d’exposer en quoi chacune des dispositions invoquées serait spécifiquement violée. Elle ajoute que les développements du second moyen exposent de manière structurée et argumentée les raisons pour lesquelles la loi du 19 juin 2022 porte une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie et implique une violation des différentes dispositions visées au moyen.
A.59.1. Dans une première branche, la partie requérante soutient que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022
pourrait aboutir à imposer des conditions dans lesquelles des accords avec chaque éditeur de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse devraient être conclus, y compris l’obligation de fournir une rémunération, indépendamment du fait que le téléversement ait été initié par les éditeurs eux-mêmes. En effet, la loi du 19 juin 2022 attribue à l’IBPT le pouvoir de superviser la négociation menée entre les parties et de déterminer d’autorité la rémunération due pour les exploitations au cas où les parties ne parviendraient pas à un accord. Chaque partie peut demander à l’IBPT de prendre une décision, qui est contraignante pour les parties et peut être exécutée, de manière forcée, par I’IBPT. Par ailleurs, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 impose non seulement une obligation de négociation, mais aussi une obligation de verser une rémunération au titre de l’utilisation en ligne des publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information.
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A.59.2. La partie requérante soutient qu’une telle interprétation de la loi du 19 juin 2022 n’est pas compatible avec le texte et les objectifs de la directive (UE) 2019/790. Cette interprétation apparaît également disproportionnée vis-à-vis des prestataires de services de la société de l’information dont le modèle économique n’est pas axé sur la réutilisation de publications de presse, d’autant plus lorsque l’utilisation en ligne des publications de presse est déclenchée par les bénéficiaires du droit voisin eux-mêmes, à savoir les éditeurs de presse, par le téléversement de leurs propres publications de presse sur la plateforme. La partie requérante ajoute que cette interprétation ne tient pas compte de la valeur économique que les éditeurs de presse retirent de la diffusion de leur contenu sur des plateformes en ligne telles que Facebook. Il est cependant clair que, dans ce cas, les éditeurs de presse décident, volontairement et indépendamment, de mettre leur contenu à disposition sur la plateforme, précisément parce qu’ils obtiennent une plus-value significative en interagissant avec les utilisateurs des plateformes, notamment en générant du trafic vers leurs sites web et des revenus à partir des publicités qui s’y trouvent. L’éditeur de presse utilise donc Facebook comme un outil de marketing librement accessible, afin d’élargir la portée de ses publications et d’acquérir des spectateurs et des lecteurs supplémentaires.
Dans l’hypothèse où le droit des éditeurs de presse conduit à une rémunération, même lorsque les éditeurs de presse téléchargent eux-mêmes leur contenu sur les plateformes des prestataires de services de la société de l’information, cela signifie que les éditeurs de presse pourraient générer et augmenter unilatéralement leur flux de revenus réclamés à la plateforme en téléversant davantage de publications de presse sur la plateforme en question.
Selon la partie requérante, l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’envisageait certainement pas un cadre dans lequel les éditeurs de presse pourraient unilatéralement forcer les plateformes à négocier et finalement à payer pour leur contenu. Un tel modèle constituerait une restriction flagrante de la liberté de commerce et d’industrie.
A.59.3. Par ailleurs, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées ne peuvent être interprétées comme supposant qu’un accord concernant l’usage d’une publication de presse ne peut être conclu que si cet usage a une rémunération comme contrepartie. Cette interprétation est contraire à la liberté de commerce et d’industrie, dans la mesure où elle prive les parties de stipuler librement les conditions de la licence. La partie requérante met en évidence le fait que le droit des éditeurs de presse est accompagné d’une liberté de licence. Il s’agit d’une liberté pour les éditeurs d’autoriser ou de refuser l’autorisation d’utiliser leur contenu, et d’une liberté pour les prestataires de services de la société de l’information d’utiliser ou de ne pas utiliser le contenu des éditeurs de presse. Elle rappelle par ailleurs que les droits fondamentaux, tels que la liberté de commerce et d’industrie, sont par essence supérieurs aux dispositions d’une directive et que la Cour de justice évalue les droits de propriété intellectuelle à la lumière du droit fondamental de la liberté de commerce. On ne peut donc pas soutenir que le principe de la liberté de commerce et d’industrie ne pourrait être invoqué dans le contexte des droits des éditeurs de presse.
A.60.1. Dans une deuxième branche, la partie requérante affirme que les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022 portent une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie en ce qu’ils visent toutes les publications de presse, sans en distinguer le type ou le contenu. La partie requérante précise que les droits voisins sont liés au droit d’auteur en ce qu’ils visent à protéger la contribution artistique ou financière investie dans la création littéraire et artistique. Toutefois, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 peut être interprété comme exigeant des prestataires de services de la société de l’information qu’ils obtiennent l’autorisation des éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse, sous réserve des exceptions peu claires citées dans cette disposition. Une telle interprétation aurait pour conséquence que toutes les publications de presse entreraient dans le champ de l’article 39, indépendamment du fait que leur contenu soit protégé par le droit d’auteur.
A.60.2. Selon la partie requérante, la mesure prévue par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 est contraire à l’objectif poursuivi. Tout d’abord, certaines publications de presse contiennent de larges sections qui ne sont que la reproduction exacte de simples faits. Or, le considérant n° 57 de la directive (UE) 2019/790 indique clairement que les droits accordés aux éditeurs de publications de presse ne doivent pas s’étendre aux simples faits rapportés dans les publications de presse. Dans ce contexte, les simples faits sont exclus de la protection, non seulement parce qu’ils ne sont pas protégeables en vertu de la législation sur le droit d’auteur, mais aussi parce qu’ils ne sont pas l’expression de la créativité du journaliste ni de l’investissement réalisé par l’éditeur de presse dans la production d’une publication de presse. Ensuite, de nombreuses publications de presse contiennent des articles très semblables dans la mesure où elles ne font que reproduire des dépêches d’agences de presse. Une telle réutilisation peut difficilement être considérée comme constituant un investissement réalisé par les éditeurs de presse, qui justifierait le recouvrement de celui-ci. Or, l’exposé des motifs de la loi du 19 juin 2022 rappelle que l’objectif poursuivi est de protéger les investissements réalisés par les éditeurs, tels que leurs investissements financiers ou organisationnels réalisés dans la production des publications de presse, afin de sauvegarder une presse pluraliste.
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Enfin, la partie requérante relève que l’accès aux articles de presse complets est souvent réservé à ceux qui ont souscrit un abonnement payant auprès de l’éditeur de presse. Dans une telle situation, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 semble imposer aux prestataires de services de la société de l’information de rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse, même si seuls des extraits de la publication en ligne sont affichés et que le téléversement est uniquement initié par l’éditeur de presse, étant entendu que ces cas représentent une proportion importante des articles publiés sur les plateformes et en particulier sur Facebook.
A.61.1. Dans une troisième branche, la partie requérante soutient que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022
impose indirectement une obligation de surveillance étendue aux prestataires de services de la société de l’information. En effet, cette disposition impose de procéder à une analyse approfondie du contexte dans lequel chaque publication est utilisée, de sorte que la disposition attaquée oblige les prestataires de services de la société de l’information de procéder à une surveillance étroite de tous les téléversements effectués par les utilisateurs de la plateforme.
A.61.2. Cette obligation de surveillance est clairement disproportionnée à l’objectif poursuivi par la directive (UE) 2019/790 et par la loi du 19 juin 2022. En outre, la Cour de justice estime que des mesures imposant à un prestataire de services de mettre en place, exclusivement à ses frais, un système de filtrage impliquant une surveillance générale et permanente afin d’empêcher des atteintes futures aux droits de propriété intellectuelle constituent une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie. Une telle obligation générale de surveillance est par ailleurs contraire à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE et à l’article XII.20
du Code de droit économique. À cet égard, la partie requérante souligne aussi que les prestataires de services de la société de l’information n’ont pas d’indication exacte de l’information qu’ils sont tenus de rechercher sur leur plateforme et seront alors tenus de tout superviser et de procéder à des tris successifs pour arriver à extraire les informations pertinentes. Enfin, les parties requérantes soutiennent que cette obligation est également contraire à la liberté d’entreprise, comme la Cour de justice a eu l’occasion de le constater.
A.62. À titre subsidiaire, la partie requérante demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, interprété à la lumière de l’article 16 de la Charte, lu ou non en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte et avec l’article 15 de la directive 2000/31/CE, s’oppose à une législation nationale qui impose des conditions dans lesquelles des accords avec chaque éditeur de presse pour l’utilisation en ligne de ses publications de presse doivent être conclus, y compris l’obligation de fournir une rémunération pour l’utilisation en ligne des publications de presse, indépendamment du fait que l’utilisation en ligne des publications concernées ait été effectuée par les éditeurs de presse eux-mêmes, qui couvrirait l’ensemble des publications de presse, sans faire de distinction, selon que le contenu est protégé ou non par le droit d’auteur, ou selon que les utilisateurs peuvent accéder aux publications en question dans leur intégralité ou seulement à des extraits de celles-ci, et qui aurait pour effet d’imposer une obligation de surveillance étroite des contenus publiés par les utilisateurs sur la plateforme.
Troisième moyen
A.63. Dans l’hypothèse où le premier moyen serait déclaré non fondé, la partie requérante prend, à titre subsidiaire, un troisième moyen de la violation, par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 10 et 56 du TFUE, des articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que des articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. La partie requérante soutient que le moyen est recevable, pour les mêmes raisons que celles développées au sujet du deuxième moyen.
A.64.1. La partie requérante affirme qu’il ressort de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 que les prestataires de services de la société de l’information doivent fournir, à la demande des éditeurs de presse, un grand nombre d’informations ou de données qui ne sont pas publiquement accessibles et qui sont directement liées à la conduite de l’activité des plateformes. Il s’agit donc d’informations confidentielles. Une obligation miroir existe également à charge des éditeurs de presse et en faveur des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective. Selon la partie requérante, ces obligations constituent une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie, dès lors que les données confidentielles concernées peuvent également contenir des informations commerciales potentiellement très sensibles qui, dans certaines circonstances, relèvent de la stratégie commerciale
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du prestataire de services de la société de l’information. Ce faisant, les éditeurs de presse et d’autres tiers peuvent acquérir une connaissance approfondie de la manière dont les prestataires de services de la société de l’information mènent leurs activités et établissent leur stratégie. Ces informations constituent, au demeurant, des secrets d’affaires soumis à une protection en vertu de l’article XI.332/4 du Code de droit économique, dès lors qu’elles présentent une valeur commerciale.
La partie requérante relève que l’objectif poursuivi par les obligations précitées est de permettre aux éditeurs de presse et aux auteurs de publications de presse de déterminer la part appropriée de rémunération qu’ils sont censés recevoir. La mesure contenue dans l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 est toutefois manifestement disproportionnée à cet objectif. Tout d’abord, les informations commerciales précitées sont susceptibles d’être partagées par les éditeurs de presse et par les auteurs avec de nombreuses personnes avec lesquelles les prestataires de services de la société de l’information n’ont pas de relation contractuelle, si bien que ces derniers n’ont aucun contrôle sur le respect du caractère hautement confidentiel de ces informations. Par ailleurs, il n’existe aucune garantie que la confidentialité de ces informations soit suffisamment protégée dans les accords conclus entre les éditeurs de presse et les auteurs, étant donné que la loi du 19 juin 2022 ne prévoit aucune sanction en cas de violation de la confidentialité. En outre, le prestataire n’a aucune certitude que les éditeurs de presse et les auteurs concluront des accords de confidentialité et, si tel est le cas, que les mêmes conditions s’appliqueront que dans l’accord conclu entre le prestataire et l’éditeur de presse. Or, des fuites d’informations causeraient un préjudice immédiat et irréparable aux prestataires de services de la société de l’information concernés. La partie requérante ajoute que la Cour de justice estime qu’une obligation de fourniture de données détaillées constitue une atteinte grave aux intérêts économiques des entreprises.
A.64.2. En outre, l’obligation pour les prestataires de services de la société de l’information de fournir des informations actualisées, pertinentes et complètes sur l’exploitation des publications de presse les contraint à effectuer des investissements substantiels pour se conformer à cette obligation, notamment pour surveiller la plateforme afin de vérifier si certaines utilisations de publications de presse entrent dans le champ d’application du droit voisin. L’obligation précitée est d’autant plus problématique qu’elle s’applique même si les éditeurs de presse ont eux-mêmes téléversé leur publication de presse sur la plateforme ou encore même si l’utilisation de ces publications de presse sur les plateformes a généré des revenus pour les éditeurs de presse ou leur a permis de récupérer en tout ou en partie leurs investissements.
Selon la partie requérante, en imposant l’obligation d’information aux seuls prestataires de services de la société de l’information et non aux éditeurs de presse, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 exclut toute possibilité pour les prestataires de vérifier dans quelle mesure les éditeurs de presse ont déjà pu récupérer leurs investissements en faisant apparaître leurs publications de presse sur la plateforme. Le caractère unilatéral de l’obligation est par ailleurs en contradiction avec l’obligation de négocier de bonne foi imposée par la loi du 19 juin 2022 aux parties. Ce système a pour conséquence que les prestataires précités devront donc supporter l’ensemble des coûts liés à l’obligation de fourniture d’informations, et ce, au seul profit d’intérêts privés, à savoir ceux des éditeurs de presse, et non en vue de promouvoir un quelconque intérêt général. En outre, il découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la liberté d’entreprise comprend notamment le droit pour toute entreprise d’utiliser librement, dans les limites de sa responsabilité, les ressources économiques, techniques et financièresdont elle dispose. À cet égard, l’obligation prévue par la disposition attaquée contraint les prestataires de services de la société de l’information d’une manière telle qu’elle restreint le libre usage de leurs ressources car ils sont obligés de prendre des mesures dont le coût est particulièrement important.
A.64.3. La partie requérante observe par ailleurs que les précisions apportées par le Conseil des ministres, qui explique que rien n’empêche la conclusion d’accords afin d’entourer l’obligation d’information attaquée de certaines garanties et que la législation relative au secret d’affaires est susceptible de s’appliquer, ne sont pas formellement prévues par la loi du 19 juin 2022, ce qui constitue une source d’insécurité juridique. Les sanctions prévues par la législation relative aux secrets d’affaires ne sont pas suffisantes dans la mesure où les éditeurs de presse et les sociétés de gestion collective pourraient faire valoir qu’une telle divulgation est autorisée en vertu de l’article XI.332/3 du Code de droit économique. La partie requérante souligne également que les sociétés de gestion collective sont tenues à une obligation de transparence envers leurs membres, de sorte qu’il est erroné d’affirmer que le système de société de gestion collective a pour effet de limiter le nombre des destinataires des informations communiquées.
A.65. À titre subsidiaire, la partie requérante demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, interprété à la lumière de l’article 16 de la
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Charte, lu ou non en combinaison avec les articles 20 et 21 de la même Charte, s’oppose à une législation nationale imposant une obligation de fourniture d’informations confidentielles relatives à l’exploitation des publications de presse, d’une part, aux éditeurs de presse, sans distinguer si les éditeurs de presse ont eux-mêmes mis en ligne les publications de presse et/ou sans tenir compte des bénéfices générés par les éditeurs de presse et/ou sans tenir compte du niveau de récupération de leur investissement tel que prévu au considérant n° 54 de la directive précitée par l’utilisation en ligne de leurs publications de presse sur les plateformes mises à disposition par les prestataires de services de la société de l’information tels que la partie requérante, et, d’autre part, aux auteurs de publications de presse, sans aucune garantie que le caractère confidentiel des informations sera conservé conformément aux conditions imposées à l’éditeur de presse concerné.
Dans son mémoire en réponse, la partie requérante demande que la question soit reformulée afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, interprété à la lumière de l’article 16 de la Charte, lu ou non en combinaison avec les articles 20 et 21 de la Charte, s’oppose à une législation nationale imposant aux seuls prestataires de services de la société de l’information une obligation de fourniture d’informations, y compris le cas échéant des informations confidentielles, relatives à l’exploitation des publications de presse aux éditeurs de presse, sans distinguer si les éditeurs de presse ont eux-mêmes mis en ligne les publications de presse et/ou sans tenir compte des bénéfices générés par les éditeurs de presse et/ou sans tenir compte du niveau de récupération de leur investissement tel que prévu au considérant n° 54 de la directive précitée par l’utilisation en ligne de leurs publications de presse sur les plateformes mises à disposition par les prestataires précités et sans imposer aux éditeurs de presse de fournir à leur tour des informations aux prestataires à ces égards, et indirectement aux sociétés de gestion collectives représentant les auteurs de publications de presse, sans avoir aucune garantie que le caractère confidentiel des informations sera conservé conformément aux conditions imposées à l’éditeur de presse concerné.
Quatrième moyen
A.66. Dans l’hypothèse où le premier moyen serait déclaré non fondé, la partie requérante prend, à titre subsidiaire, un quatrième moyen de la violation, par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, du principe de l’unité du pouvoir exécutif, tel que consacré par les articles 10, 11, 33 et 37 de la Constitution. La partie requérante souligne que le moyen est recevable, puisque les articles 33 et 37 de la Constitution peuvent être soumis au contrôle de la Cour par la combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.67.1. La partie requérante relève que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 prévoit que l’éditeur de presse et les prestataires de services de la société de l’information sont tenus de négocier de bonne foi pour ce qui concerne le droit de reproduction et le droit de mise à disposition du public des publications de presse. En cas de désaccord relatif à la rémunération due, l’IBPT peut être saisi par l’une des parties pour traiter le litige et établir cette rémunération. Partant, l’article 39 attribue à une autorité administrative indépendante le pouvoir d’adopter des décisions individuelles contraignantes déterminant la rémunération qui est due par les prestataires de services de la société de l’information aux éditeurs de presse. La partie requérante observe, à cet égard, que la compétence dévolue à l’IBPT ne découle aucunement du droit de l’Union européenne, dès lors que la directive (UE) 2019/790
n’impose pas aux États membres de charger une autorité administrative indépendante d’une compétence spécifique de règlement des litiges opposant les prestataires de services de la société de l’information et les éditeurs de presse.
Partant, la primauté du droit européen sur le droit national ne justifie pas la mise en place du système prévu par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022.
A.67.2. Par ailleurs, la partie requérante soutient que, jusqu’à présent, l’IBPT n’agit que sur les marchés réglementés des télécommunications et de la poste. Il ne dispose d’aucune expérience en ce qui concerne le droit d’auteur et les droits voisins, la détermination d’une rémunération appropriée et proportionnée pour les œuvres des titulaires de droits intellectuels, ou l’interaction entre les prestataires de services de la société de l’information et les titulaires de droits. En outre, l’IBPT dispose d’encore moins d’expertise en ce qui concerne le marché des éditeurs de presse. L’ensemble de sa structure et de son cadre législatif est construit autour du secteur des postes et télécommunications. La partie requérante relève également qu’aucune garantie n’assure que les membres de l’IBPT amenés à prendre des décisions contraignantes soient impartiaux vis-à-vis des secteurs dans lesquels interviennent les prestataires de services de la société de l’information et les éditeurs de presse.
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A.67.3. La partie requérante ajoute que les pouvoirs accordés à l’IBPT ne sont pas suffisamment limités. En effet, la loi du 19 juin 2022 ne fournit aucun critère clair et objectif dont l’IBPT doit tenir compte. L’article 39 de la loi du 19 juin 2022 se borne à prévoir que l’IBPT peut être amené à prendre en compte le nombre de consultations des publications de presse et les revenus générés par l’utilisation de ces publications sur la plateforme. Ces éléments sont particulièrement larges et laissent un pouvoir d’appréciation discrétionnaire qui n’est pas encadré par des conditions précises. La partie requérante souligne que, dans d’autres secteurs réglementés, le législateur a clairement et objectivement encadré les pouvoirs des autorités compétentes. En outre, dans plusieurs secteurs, les prix à payer par les opérateurs économiques sont également strictement encadrés par la réglementation applicable. Selon la partie requérante, la circonstance que l’IBPT n’a pas un pouvoir réglementaire n’est pas de nature à infirmer l’analyse qui précède.
Affaire n° 7926
Premier moyen
A.68. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Selon elle, le moyen est recevable, dès lors que la disposition de droit international visée par celui-ci est invoquée en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. En outre, le moyen est suffisamment clair, dès lors qu’il dénonce sans équivoque l’inégalité de traitement existant entre les personnes vis-
à-vis desquelles l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 est violé, notamment les services de streaming, et les personnes vis-à-vis desquelles cette disposition est correctement appliquée. En ce qui concerne la quatrième branche de ce moyen, la partie requérante met en évidence que celle-ci porte aussi sur une violation de la liberté contractuelle garantie par l’article 16 de la Charte. Selon la jurisprudence de la Cour, dans ce cas, la catégorie des personnes dont les droits fondamentaux sont violés doit être comparée aux catégories de personnes qui ne doivent pas subir une telle violation.
A.69.1. Dans une première branche, la partie requérante soutient que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne concerne que les contrats d’exploitation et ne peut en aucun cas constituer une base juridique pour le droit à la rémunération visé par les dispositions attaquées. Selon la partie requérante, l’objectif du législateur européen était uniquement de réglementer la relation contractuelle entre l’ayant droit et son cocontractant direct, comme les considérants de la directive le mettent en évidence. Ni une interprétation contextuelle ni une interprétation téléologique de l’article 18 de la directive ne permettent d’interpréter cette disposition comme réglementant également les relations extracontractuelles. Les études préparatoires à l’adoption de la directive (UE) 2019/790 démontrent également que l’article 18 se limite à la sphère contractuelle. À
l’inverse, la loi du 19 juin 2022 impose une rémunération extracontractuelle que le fournisseur de services de la société de l’information doit verser directement à la société de gestion de titulaires de droit. Cette relation contractuelle supplémentaire n’est soumise à aucune cession ou licence supplémentaire de droits d’exploitation et ne constitue pas non plus une contrepartie à une limitation légale du droit d’auteur ou à l’exercice obligatoire d’un droit par l’intermédiaire d’une société de gestion. La partie requérante ajoute que, si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 autorise les États à recourir à divers mécanismes pour faire respecter le droit à une rémunération adéquate et proportionnée, il ne les autorise toutefois pas à introduire un nouveau droit à l’indemnisation.
A.69.2. Dans une deuxième branche, développée à titre subsidiaire, la partie requérante soutient que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à toute interprétation non uniforme du droit à la rémunération appropriée et proportionnelle au sein des États membres. Or, le gouvernement belge lui-même a concédé que le droit prévu par les dispositions attaquées va au-delà de ce qu’exige l’article 18. La partie requérante souligne que la rémunération appropriée et proportionnelle visée à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 est un concept du droit de l’Union européenne qui appelle une mise en œuvre uniforme, dont l’interprétation, comme la Cour de justice l’a mis en évidence, est réservée aux institutions européennes. En outre, les services de la Commission européenne ont également estimé que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne permet pas de créer un nouveau droit à la rémunération.
La partie requérante affirme également que, tant d’un point de vue économique que juridique, le mécanisme attaqué entraîne un double paiement, de sorte que les droits de rémunération contractuels et extracontractuels
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seront en fin de compte supportés par les plateformes de streaming. Par ailleurs, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 était déjà transposé par d’autres dispositions de la loi du 19 juin 2022, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’adopter les dispositions attaquées. En effet, sur la base du droit contractuel à la rémunération prévu par les articles XI.167/1 et XI.205/1 du Code de droit économique, introduits par la loi du 19 juin 2022, l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant se voit déjà garantir une rémunération appropriée et proportionnelle.
A.69.3. Dans une troisième branche, développée à titre plus subsidiaire, la partie requérante allègue que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une réglementation aboutissant à un double paiement ou à une rémunération supplémentaire pour l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant. Or, les dispositions attaquées aboutissent à ajouter un droit extracontractuel à la rémunération par rapport au droit contractuel à la rémunération appropriée et proportionnelle, et ce, pour la même exploitation, ce qui donne lieu à une double rémunération interdite par le droit de l’Union européenne. Un État membre ne peut pas prévoir une rémunération supplémentaire pour un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant au détriment de certains acteurs du même secteur économique, d’autant plus dans le cadre d’une harmonisation maximale en vue de créer un marché numérique unifié pour la mise à disposition en ligne d’œuvres audiovisuelles. En effet, le droit à la rémunération vise à compenser un préjudice subi par un titulaire de droit et ne peut pas être utilisé pour fournir un revenu supplémentaire, certainement pas dans le cas où la rémunération convenue par l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant dans le contrat d’exploitation est déjà appropriée et proportionnée. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par la Cour de justice.
En toute hypothèse, dans le cas où le droit visé par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 devrait a priori être considéré comme permettant une rémunération appropriée et proportionnée, la partie requérante observe qu’aucune garantie n’est prévue afin d’éviter une rémunération potentiellement excessive in concreto. La partie requérante ajoute qu’il est faux de prétendre que les plateformes de streaming peuvent décider de ne pas proposer de contenu si le coût de la rémunération est excessif. En effet, cette affirmation ignore les accords de licence déjà conclus et admet que les dispositions attaquées peuvent mettre en péril la viabilité de l’industrie du streaming, en particulier les acteurs locaux et de petite taille. En effet, seules les très grandes plateformes multinationales ont effectivement la possibilité économique de se retirer du marché belge et de cesser tout simplement d’offrir du contenu.
A.69.4. Dans une quatrième branche, invoquée à titre infiniment subsidiaire, la partie requérante fait valoir que le droit à la rémunération visé par les dispositions attaquées constitue une restriction disproportionnée de la liberté contractuelle et, partant, viole l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Selon la partie requérante, le droit à la rémunération prévu par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 manque de clarté, dès lors que son libellé est extrêmement vague. En conséquence, une plateforme de streaming qui a acquis ou souhaite acquérir des droits sur des œuvres audiovisuelles n’a aucune idée du coût économique total des droits en question, ce qui porte atteinte à l’autonomie des parties et à leur liberté de déterminer librement une rémunération pour l’exploitation concernée.
En outre, les dispositions attaquées entraînent des négociations forcées pour la plateforme de streaming, dès lors qu’une redevance supplémentaire doit être payée, bien que le montant ne soit pas encore déterminé. La partie requérante observe également que le législateur belge ne justifie aucunement la mesure prévue par les articles 61
et 62 de la loi du 19 juin 2022 au regard de la limitation occasionnée à la liberté contractuelle.
A.69.5. Dans une cinquième branche, la partie requérante ajoute à toutes fins utiles que le législateur européen a rejeté la possibilité d’introduire un droit à la rémunération tel que celui prévu par les dispositions attaquées, comme la genèse de la directive (UE) 2019/790 le met en évidence.
Deuxième moyen
A.70.1. La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la libre prestation des services, telle que garantie par le droit de l’Union européenne.
A.70.2. Selon la partie requérante, la première branche du moyen est recevable pour les mêmes raisons qui amènent à admettre la recevabilité du premier moyen. En ce qui concerne la seconde branche, la partie requérante soutient que la Cour considère comme recevable le moyen tiré de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les dispositions du TFUE relatives à la libre circulation. Dans cette
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hypothèse, la Cour suppose que la violation reprochée consiste à refuser à une catégorie particulière de personnes la libre prestation de services, alors que cette liberté s’applique sans restriction à toute autre personne, sans exiger que la différence de traitement critiquée soit systématiquement exposée. La partie requérante relève qu’en toute hypothèse, la seconde branche indique suffisamment clairement que le requérant critique une différence de traitement fondée sur la nationalité. Plus précisément, la partie requérante dénonce qu’une certaine catégorie de personnes, en particulier les services de streaming transfrontaliers basés dans d’autres États membres de l’Union européenne, voient l’exercice de leur liberté d’offrir des services transfrontaliers entravé, contrairement aux services de streaming nationaux.
A.71.1. Dans une première branche, la partie requérante dénonce une violation de la liberté de fournir des services de la société de l’information, telle que consacrée par l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE
et par l’article 4, paragraphe 7, de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010
« visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels » (ci-après : la directive 2010/13/UE). La partie requérante relève que le débiteur de l’obligation de rémunération prévue par les dispositions attaquées, à savoir les plateformes de streaming, relève du champ d’application des directives précitées, de sorte que ces plateformes bénéficient en principe de la liberté de fournir des services de la société de l’information. Cette liberté peut être restreinte dans certains cas spécifiques, pourvu que l’État membre démontre la nécessité de la restriction et que celle-ci soit justifiée par un motif d’ordre public, de santé publique, de sécurité ou de protection des consommateurs. Ces conditions ne sont aucunement remplies en l’espèce.
Selon la partie requérante, la circonstance qu’elle-même ne fournit pas de services à partir d’un autre État membre que la Belgique ne l’empêche pas d’invoquer la violation de la directive 2000/31/CE à partir du moment où la requête est recevable, ce qui est le cas en l’espèce. Par ailleurs, il ne peut être soutenu que le mécanisme de rémunération attaqué ne constitue pas une restriction à la gratuité des services électroniques, dès lors qu’il crée une charge supplémentaire pour les plateformes de diffusion en continu qui doivent s’engager dans des négociations complexes et longues. En outre, les plateformes de streaming étrangères ne sont pas soumises à une réglementation similaire dans leur propre État membre. La partie requérante soutient également que le droit à la rémunération visé par les dispositions attaquées relève du « domaine coordonné » au sens de la directive 2000/31/CE. Elle ajoute que cette directive n’autorise que des mesures spécifiques relatives à un service particulier, alors que la loi du 19 juin 2022 introduit une règle générale applicable à des secteurs entiers, de sorte que le mécanisme attaqué ne peut pas être justifié par l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31/CE.
A.71.2.1. Dans une deuxième branche, invoquée à titre subsidiaire, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées méconnaissent la libre circulation des services telle que prévue par l’article 56 du TFUE.
La partie requérante précise que les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 entravent cette liberté de circulation par l’établissement d’un obstacle économique, à savoir le paiement supplémentaire d’un droit à la rémunération qui représente une charge financière supplémentaire pour les plateformes de streaming. Elle soutient que la plateforme « Streamz » est victime d’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, dirigée contre les plateformes de streaming d’autres États membres de l’Union européenne, qui est en toute hypothèse prohibée par le droit de l’Union européenne. Selon la partie requérante, la loi du 19 juin 2022 ne tient pas compte des redevances appropriées et proportionnées déjà payées par les plateformes étrangères dans l’État membre d’origine, de sorte qu’en plus des paiements contractuels déjà effectués dans cet État membre, ces plateformes devront payer la redevance extracontractuelle en Belgique. La partie requérante ajoute que la plateforme « Streamz » est aussi victime d’une discrimination directe, dès lors que l’intention du législateur belge était surtout de soumettre les plateformes de streaming étrangères à l’obligation de rémunération, de sorte qu’il n’est pas justifié qu’une plateforme belge soit aussi visée. En toute hypothèse, la partie requérante estime que la loi du 19 juin 2022 n’est pas justifiée par un intérêt public supérieur. La partie requérante estime qu’en tout état de cause, les dispositions attaquées ne sont pas appropriées, dès lors que le législateur européen lui-même a considéré que cette mesure n’était pas adaptée pour créer une rémunération appropriée et proportionnelle de l’auteur et de l’artiste-interprète.
En outre, selon la partie requérante, le droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées bénéficiera surtout aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants étrangers. À l’inverse, les auteurs et les titulaires de droits belges recevront une rémunération beaucoup plus faible en application de la mesure attaquée. Plus encore, le droit à la rémunération sera, dans les faits, surtout profitable aux producteurs étrangers, dès lors que les droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants sont beaucoup moins protégés dans les pays non membres de l’Union.
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La partie requérante ajoute que la mesure attaquée est disproportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur belge. Elle soutient, outre que la mesure n’est pas motivée dans les travaux préparatoires, que les articles XI.167/1
à XI.167/6 du Code de droit économique mettent déjà en œuvre l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, de sorte que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants bénéficieront de deux flux de rémunération, à savoir une rémunération contractuelle, qui doit déjà être « appropriée et proportionnée », d’une part, et une rémunération extracontractuelle, versée en plus de la rémunération contractuellement prévue, d’autre part. La partie requérante allègue que le caractère disproportionné de la mesure attaquée découle également du fait que les plateformes de streaming supporteront des coûts spécifiques, ce qui entraînera d’importantes difficultés pour se conformer à un régime propre à un seul État membre, à savoir la Belgique. En effet, les plateformes de streaming devront mettre en place une structure de négociation particulière pour négocier avec les sociétés de gestion collectives belges, contrairement à ce qui est applicable dans la grande majorité des autres États membres. Par ailleurs, la partie requérante met en évidence une série de problèmes d’application concrètement engendrés par l’introduction de la mesure attaquée exclusivement sur le sol belge, particulièrement au regard du droit des utilisateurs à faire valoir leur abonnement de streaming lorsqu’ils se déplacent temporairement dans un autre État de l’Union européenne.
En outre, selon la partie requérante, les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté contractuelle des plateformes de streaming. En effet, les plateformes qui ont négocié et conclu des contrats de licence de longue durée ou de grande ampleur par le passé se retrouvent soudain confrontées à un coût supplémentaire qui n’avait pas été pris en compte ou budgétisé.
A.71.2.2. La partie requérante précise qu’elle est habilitée à invoquer l’article 56 du TFUE en tant que prestataire de services belge à partir du moment où l’intérêt au recours est établi, ce qui est le cas en l’espèce. Elle ajoute que, lorsque le législateur adopte une législation qui entrave spécifiquement la fourniture de services transfrontaliers par les plateformes de diffusion en continu, il crée nécessairement une discrimination sur la base de la nationalité, dès lors qu’aucune plateforme de streaming transfrontalière n’est établie en Belgique et qu’il ressort clairement des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que le législateur belge vise les plateformes de streaming internationales.
Par ailleurs, le rétablissement de l’équilibre entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et les plateformes de streaming, d’autre part, ne constitue pas une raison impérieuse d’intérêt général autorisant l’adoption de la mesure attaquée, qui n’est de toute manière pas appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi puisque cette mesure bénéficiera principalement aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants non européens et est susceptible de paralyser le marché en ayant pour effet que certains contenus ne pourront plus être diffusés en streaming. En outre, le risque subsiste que seules les grandes plateformes de diffusion en continu, internationales et dominantes, bénéficiant d’énormes économies d’échelle et de ressources comparables, soient encore en mesure de créer et de diffuser du contenu. Cette circonstance portera atteinte encore davantage au système belge des productions locales.
Troisième moyen
A.72. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 17 de la Charte et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Selon la partie requérante, le moyen est recevable, dès lors qu’il est de jurisprudence constante que le grief pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec un autre droit fondamental, en l’espèce le droit de propriété, ne doit pas explicitement indiquer quelles catégories de personnes sont traitées différemment.
A.73.1. Selon la partie requérante, le droit de propriété, garanti par les dispositions citées au moyen, s’oppose à une obligation de rémunération telle que prévue par les dispositions attaquées. En réalité, cette obligation n’est admissible que dans le but de compenser un dommage effectif causé par une restriction du droit de propriété. Or, en l’espèce, il n’existe aucune restriction susceptible de donner lieu à l’introduction d’une obligation de remboursement. En effet, l’auteur ou artiste-interprète ou exécutant conserve le droit exclusif d’approuver la communication de sa prestation par le biais de la diffusion en continu. En d’autres termes, le titulaire des droits est parfaitement en mesure d’autoriser contractuellement ou de négocier l’exclusion de la communication publique via le streaming. En outre, en vertu du droit belge, le droit exclusif d’approuver la communication appartient individuellement à l’auteur ou artiste-interprète ou exécutant et ne doit pas être exercé collectivement. Par ailleurs, lorsqu’une œuvre audiovisuelle est réalisée, l’auteur ou artiste-interprète ou exécutant dispose d’un droit à une
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rémunération distincte par mode d’exploitation. En toute hypothèse, comme les développements des autres moyens le mettent en évidence, la rémunération contractuellement prévue satisfait déjà à la condition de rémunération appropriée et proportionnelle, garantie par le droit de l’Union européenne. Enfin, dans le cas où le titulaire du droit ne recevrait pas une rémunération appropriée et proportionnée en vertu du contrat, il dispose de la faculté de saisir le juge compétent pour demander la révision de la rémunération.
A.73.2. Partant, l’obligation prévue par les dispositions attaquées est contraire à la logique même du droit à la rémunération consacré par la Cour de justice. La partie requérante souligne également que cette obligation crée le risque que la plateforme de streaming paie davantage que le dommage effectivement subi par le titulaire de droits. Or, la Cour de justice s’est déjà expressément opposée à une formulation trop large de l’obligation de payer une compensation lorsqu’elle n’est plus proportionnée au préjudice subi. La partie requérante ajoute que l’objectif du législateur de mieux rémunérer une profession, en l’occurrence les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, ne peut justifier de porter atteinte au droit de propriété d’autres entreprises, à savoir les plateformes de streaming.
Quatrième moyen
A.74. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 38 et 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 4, 1°, 3°, 5° et 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), de l’article 143, § 1er, de la Constitution et du principe de proportionnalité. Selon elle, le moyen est recevable, dès lors que la partie requérante a exposé avec suffisamment de clarté quelles matières culturelles relevant de la compétence des communautés sont réglées par les dispositions attaquées.
A.75.1. Dans une première branche, développée à titre principal, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées empiètent sur la compétence exclusive des communautés en matière de culture et de services des médias, dès lors que l’élément prépondérant de la situation juridique réglée par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 porte sur ces matières. Selon la partie requérante, il semble que le législateur fédéral ait supposé que les mesures attaquées relevaient de la compétence de l’autorité fédérale en matière de propriété industrielle et intellectuelle. En l’espèce, bien que le droit à la rémunération ait été présenté comme un droit d’auteur ou un droit voisin, il y a lieu de constater qu’en réalité, ce droit ne constitue pas un droit à la rémunération mais une mesure de soutien déguisée envers les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dès lors que ceux-ci ne sont pas lésés d’une quelconque manière par une limitation de leur droit de propriété. Une telle mesure de soutien fait partie de la politique culturelle, laquelle couvre le droit de mener une politique d’encouragement et de soutien aux créateurs et aux artistes-interprètes des beaux-arts et de déterminer les conditions et les modalités d’octroi des aides financières.
La partie requérante ajoute qu’il appartient également aux communautés de régler le contenu et les aspects techniques des services de médias audiovisuels et sonores. Or, tant les radiodiffuseurs classiques que les plateformes de streaming relèvent de cette matière, à la suite de l’interprétation large de la notion de services de médias par la Cour. La partie requérante souligne également que les mesures attaquées, par leur champ d’application matériel, visent spécifiquement à réglementer une condition essentielle de l’organisation des services de médias audiovisuels.
A.75.2. Dans une deuxième branche, invoquée à titre subsidiaire, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées méconnaissent le principe de proportionnalité, également garanti dans le principe de loyauté fédérale. En effet, selon la partie requérante, les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 entravent de manière significative la politique culturelle des communautés qui, en matière de services de médias audiovisuels, vise spécifiquement à encourager la production d’œuvres audiovisuelles de haute qualité. Dans ce cadre, les différentes communautés imposent des obligations et des quotas très spécifiques aux radiodiffuseurs privés de télévision. La partie requérante précise que le droit à la rémunération attaqué a une incidence potentiellement pernicieuse sur la capacité des diffuseurs privés de télévision à investir en priorité dans des productions locales de haute qualité. En effet, la production d’œuvres belges de haute qualité n’est dans de nombreux cas rentable qu’à condition qu’il existe des revenus de streaming minimalement garantis. L’exercice de la compétence culturelle des communautés en matière de politique médiatique locale est soudainement entravé par l’introduction d’un droit fédéral à la rémunération qui redessine complètement la chaîne de valeur audiovisuelle locale et qui entrave l’engagement des diffuseurs de télévision à miser fortement sur les productions belges, par l’introduction de charges financières
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disproportionnées. Selon la partie requérante, les dispositions attaquées entraînent donc un appauvrissement culturel de la télévision belge. La partie requérante ajoute que, dans l’hypothèse où les compétences de l’autorité fédérale et celles des communautés en matière de politique des médias et de la culture seraient considérées comme intrinsèquement imbriquées, le principe de loyauté fédérale exigerait la conclusion d’un accord de coopération.
Cinquième moyen
A.76. La partie requérante prend un cinquième moyen de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 20 à 22 de la Charte. Selon elle, le cinquième moyen est recevable, dès lors que les différentes dispositions de référence citées au moyen garantissent toutes le principe d’égalité et de non-discrimination, et ce de manière similaire, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de distinguer la portée de ces dispositions.
A.77.1. À l’estime de la partie requérante, les dispositions attaquées traitent de la même manière, sans justification raisonnable, deux catégories de plateformes de streaming qui se trouvent pourtant dans des situations substantiellement différentes, à savoir, d’une part, les plateformes internationales de diffusion en continu, qui ont un chiffre d’affaires très important, un pouvoir de négociation surdimensionné vis-à-vis des détenteurs de droits et un pouvoir de fixation des prix particulièrement fort vis-à-vis des abonnés, et, d’autre part, les plateformes locales de diffusion en continu, qui engendrent un chiffre d’affaires nettement moins élevé et qui disposent d’un pouvoir de négociation plus faible par rapport au détenteur des droits, ainsi que d’un pouvoir de fixation des prix plus faible vis-à-vis de l’abonné.
A.77.2. La partie requérante relève tout d’abord que les dispositions attaquées ne s’inscrivent pas dans l’objectif général de la loi du 19 juin 2022, qui entend surtout lutter contre les violations en ligne importantes ou généralisées du droit d’auteur et des droits voisins, par l’introduction d’une procédure judiciaire spécifique. Ces dispositions, qui résultent d’un amendement adopté à la hâte par le législateur, ont pour finalité de rétablir l’équilibre entre les plateformes de streaming en ligne, d’une part, et les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants individuels, d’autre part. À cet égard, le législateur a supposé que les artistes-interprètes individuels n’avaient pas un pouvoir de négociation suffisant pour négocier une rémunération adéquate face à des sociétés aussi importantes, de sorte qu’il a voulu s’assurer qu’ils ne puissent pas être contraints de renoncer à leur droit à la rémunération.
Selon la partie requérante, l’objectif poursuivi est à première vue légitime, mais les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 démontrent que le législateur a traduit cet objectif dans les articles 61 et 62 de manière rapide, imprudente et excessivement sommaire. Tout d’abord, le législateur considère à tort que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants négocient directement avec les plateformes de diffusion en continu. Or, la réalité est plus complexe, puisque le service de streaming achète les œuvres protégées à un producteur et que c’est avec ce producteur que le détenteur de droits négocie la rémunération pour le transfert de ses droits et sa prestation.
Ensuite, le législateur suppose que toutes les plateformes sont toujours économiquement dominantes de manière disproportionnée. Ce faisant, il néglige complètement le fait qu’il existe également de petites plateformes de streaming locales, telles que la partie requérante elle-même, qui ne jouissent pas d’une domination économique comparable, et que la domination économique des services de streaming peut rapidement décliner sous l’influence des changements technologiques et des comportements des téléspectateurs.
A.77.3. La partie requérante ajoute que l’égalité de traitement engendrée par les dispositions attaquées, indépendamment de la position dominante sur le plan économique, est injustifiée. À cet égard, elle allègue tout d’abord qu’il convient d’opérer une distinction selon que le prestataire de services dispose ou non d’un pouvoir de négociation excessif. En effet, lorsque ce n’est pas le cas, il est présumé que les titulaires de droits sont effectivement rémunérés en proportion de la valeur qu’ils créent. Leur accorder un droit à une rémunération supplémentaire dans une telle situation n’est pas conforme à l’intention du législateur et donne lieu à un enrichissement sans cause. Ce constat est accentué par le fait qu’il est prévu que le droit à la rémunération est incessible et ne peut faire l’objet d’une renonciation de la part des auteurs ou des artistes-interprètes ou exécutants, ce qui signifie que le titulaire des droits conserve toujours le droit de réclamer une rémunération. En réalité, au lieu de rétablir un équilibre, l’inclusion injustifiée des plateformes locales de streaming dans le système prévu par les dispositions attaquées conduit à une distorsion de l’équilibre dans un sens contraire.
En toute hypothèse, la partie requérante fait valoir que le législateur aurait pu atteindre l’objectif fixé par des moyens moins restrictifs, par exemple en choisissant d’autres critères permettant d’évaluer la dominance
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économique du prestataire de services. La partie requérante souligne que la réglementation européenne applicable en la matière repose précisément sur de tels critères en se fondant, entre autres, sur le nombre d’abonnés, le nombre moyen d’utilisateurs uniques sur une période donnée, le chiffre d’affaires, le nombre d’États membres dans lesquels le service en ligne est offert ou une combinaison de ces facteurs. Ensuite, la partie requérante soutient qu’il n’était absolument pas nécessaire d’assimiler les petits services locaux de streaming à des géants internationaux de la diffusion en continu pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur, qui était simplement de corriger la domination excessive des plateformes de diffusion en continu étrangères et internationales. Enfin, la partie requérante souligne que les critères retenus par les dispositions attaquées créent d’autres discriminations, ce qui atteste d’une technique législative bâclée. Ainsi, sans aucune justification raisonnable, les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 opèrent une distinction entre les modèles commerciaux et les modèles techniques, alors qu’au regard de l’objectif du législateur, il n’existe aucune différence quant à la manière dont les œuvres sonores ou audiovisuelles sont mises à la disposition du public. Par ailleurs, les jeux vidéo, également protégés par le droit d’auteur sous le terme d’œuvres audiovisuelles, sont placés dans la même catégorie que les films et les séries télévisées, alors que le législateur n’a jamais établi qu’il existait également un écart de valeur pour les jeux vidéo.
Affaire n° 7927
Premier moyen
A.78. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 17 de la directive (UE) 2019/790.
Selon elles, le moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour contrôler le respect de dispositions de droit international pourvu que celles-ci soient invoquées en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. En outre, le moyen dénonce la différence de traitement en défaveur des parties requérantes, par rapport aux personnes morales soumises à des lois belges compatibles avec les directives européennes que ces lois transposent.
A.79.1. Tout d’abord, les parties requérantes soutiennent que, contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne transpose pas l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, comme l’historique législatif de cette loi le met en évidence. Par ailleurs, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790
harmonise complètement la relation entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits pour ce qui concerne les contenus protégés téléversés par les utilisateurs des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Dans cette matière harmonisée, il n’est pas permis aux États membres d’introduire des règles supplémentaires, comme un droit spécial au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants. Or, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 modifie la portée du droit de mise à disposition du public qu’un exécutant transfère ou octroie en licence à un label. Cette disposition sépare le droit en deux, limitant ainsi la valeur du droit concerné, tout en créant un droit distinct de l’exécutant à une rémunération.
Les parties requérantes ajoutent que la notion de communication au public ou de mise à la disposition du public visée par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 doit nécessairement être interprétée en conformité avec la notion correspondante contenue dans l’article 3 de la directive 2001/29/CE. En ce qui concerne cette dernière disposition, la Cour de justice a jugé que les États membres ne peuvent pas unilatéralement étendre la portée des droits harmonisés par l’acquis communautaire et qu’une extension du droit de mise à la disposition du public au niveau national affecterait la sécurité juridique et le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, il découle, notamment, de plusieurs considérants de la directive 2001/29/CE que celle-ci tend notamment à remédier aux disparités législatives et à l’insécurité juridique qui entourent la protection des droits d’auteur. Or, admettre qu’un État membre puisse protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend également des opérations autres que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive aurait pour effet de créer des disparités législatives et donc, pour les tiers, une insécurité juridique.
Par ailleurs, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’établit pas de normes minimales auxquelles les États membres seraient libres d’ajouter des obligations supplémentaires. Au contraire, il vise à harmoniser complètement les règles en matière de responsabilité pour la communication au public et la mise à la disposition du public d’œuvres et autres objets protégés par le droit d’auteur téléversés par les utilisateurs de fournisseurs de services de streaming.
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A.79.2. Ensuite, les parties requérantes soulignent que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’envisage pas de droit à rémunération supplémentaire que les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants peuvent réclamer aux fournisseurs de services de streaming, tel que celui pourtant créé par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022.
L’article 17, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive précise que, lorsqu’un tel fournisseur communique au public ou met à la disposition du public des œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, il doit obtenir une autorisation de la part des titulaires de droit concernés, comme un accord de licence. L’article 17 établit le mécanisme principal par lequel les fournisseurs précités peuvent éviter d’être tenus responsables pour l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur téléversés par leurs utilisateurs. Les parties requérantes soulignent que de nombreux fournisseurs ont déjà obtenu des licences couvrant à la fois les droits des labels et ceux des exécutants que ces labels représentent. L’article 17 n’envisage pas non plus un régime de gestion collective tel que celui prévu par la disposition attaquée.
Les parties requérantes soutiennent qu’il peut exister des situations où une directive européenne requiert des États membres qu’ils établissent un droit à rémunération soumis à une gestion collective obligatoire. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. En outre, dans l’industrie musicale, le droit de mise à la disposition du public est soumis à une série de pratiques de licence bien établies qui constituent un moyen efficace pour les utilisateurs d’obtenir tous les droits et de garantir une rémunération appropriée.
A.79.3. En outre, selon les parties requérantes, un droit à rémunération soumis à une gestion collective porte atteinte à l’objectif poursuivi par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 de contribuer au développement d’un marché unique numérique et à un marché d’octroi des licences efficace, dès lors que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 interfère avec des pratiques d’octroi de licences bien établies, qui fixent déjà un cadre au sein duquel les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne obtiennent l’autorisation des titulaires de droits. À cet égard, les parties requérantes mettent concrètement en évidence les difficultés engendrées par la disposition attaquée ainsi que son impact négatif sur la négociation entre les différents acteurs de l’industrie musicale et la diminution de revenus corrélative. Elles soulignent par ailleurs qu’en tout état de cause, le droit à rémunération créé par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas justifié par la nécessité de garantir la protection des droits de propriété intellectuelle des exécutants. En effet, ceux-ci reçoivent déjà une rémunération appropriée et des services de la part des labels sur la base de contrats librement négociés.
A.79.4. Les parties requérantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 modifie le champ d’application du droit de communication au public, y compris le droit de mise à disposition, ainsi que le régime spécifique de responsabilité en matière de droit d’auteur établi par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790. En effet, l’acte d’autoriser un fournisseur de streaming à communiquer un contenu au public donne simultanément lieu à deux obligations de paiement, l’une à un label et l’autre à un organisme de gestion collective. Ainsi, la valeur du paquet de droits détenu par un label, lorsqu’il exerce ses propres droits exclusifs ainsi que les droits qu’il a obtenus de l’artiste-interprète ou exécutant et pour lesquels il a payé, est diminuée par rapport à la situation envisagée par la directive (UE) 2019/790, qui ne prévoit pas d’obligation de paiement séparée et supplémentaire à un organisme de gestion collective. Par conséquent, l’équilibre soigneusement établi par le législateur européen est perturbé.
A.79.5. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ou octroyé en licence leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au fournisseur de services de partage de contenus en ligne. Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, la Cour est bien tenue de poser la question préjudicielle précitée, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne ne s’impose pas avec évidence et que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 donne à tout le moins lieu à des interprétations contradictoires ainsi qu’à des disparités législatives au sein des États membres.
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Deuxième moyen
A.80. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, avec l’article 16 de la Charte, avec l’article 6 du Traité sur l’Union européenne (ci-après : le TUE) et avec l’article 56 du TFUE. Selon les parties requérantes, le moyen est recevable, dès lors que les dispositions consacrant la liberté d’entreprise, citées au moyen, sont invoquées en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.81.1. Tout d’abord, les parties requérantes affirment que la Cour de justice considère que la transmission de contenu par un signal télévisé doit, en raison de sa nature et de l’absence de disposition contraire dans le droit primaire, être considérée comme une prestation de service. Il en va de même pour la transmission en ligne de contenus numériques, y compris la musique, dans la mesure où ils sont normalement fournis contre rémunération.
Les parties requérantes précisent que, dans l’industrie musicale, les fournisseurs de streaming qui offrent leurs services en Belgique obtiennent normalement les droits nécessaires directement de la part d’un label, d’un agent de licence ou d’un distributeur. Les licences mondiales ou multi-territoriales ainsi octroyées comprennent les droits des exécutants ainsi que ceux qui sont détenus par les labels. De la sorte, il existe un système de pratiques contractuelles efficaces et bien établies qui garantit que les exécutants soient rémunérés de manière appropriée et proportionnelle pour l’exploitation de leurs enregistrements par les fournisseurs.
Toutefois, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 impose aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de négocier séparément une redevance supplémentaire avec l’organisme de gestion collective belge compétent, de sorte qu’il empêche les fournisseurs d’obtenir les droits nécessaires pour la Belgique au moyen d’accords de licence multi-territoriaux avec les labels. De la sorte, la disposition attaquée entrave ou, à tout le moins, rend moins attrayants les services d’un prestataire établi dans un autre État membre. Elle limite également la faculté des labels de fournir des services transfrontaliers et porte atteinte à la liberté de recourir à l’organisme de gestion collective de son choix, dès lors que, dans la pratique, un seul organisme se voit confier la gestion du droit à la rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 pour les artistes-interprètes ou exécutants.
A.81.2. Les parties requérantes estiment que la restriction engendrée par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
n’est pas justifiée au regard des objectifs poursuivis, dès lors que les exécutants négocient librement et gagnent une rémunération qui peut être considérée comme appropriée et proportionnelle. Les parties requérantes relèvent qu’au cours du processus législatif, l’État belge n’a recueilli aucune preuve au soutien de l’argument selon lequel le droit à rémunération supplémentaire serait objectivement justifié à la lumière des restrictions qu’il entraîne. De plus, bien qu’il soit difficile de prédire les effets précis de l’article 54 de la loi du 19 janvier 2022 sur la rémunération de différents groupes d’exécutants, il est clair que cette disposition n’est pas capable de rendre la rémunération des exécutants plus équitable ou plus appropriée dans son ensemble, dès lors que certains d’entre eux recevront un double paiement, ce qui ne remplit pas la condition d’existence de raisons impérieuses d’intérêt général au sens du droit de l’Union européenne. Selon les parties requérantes, il faut aussi s’attendre à ce que l’introduction du droit à rémunération supplémentaire prévu par la disposition attaquée crée des frictions tout au long de la chaîne de licences et aboutisse à des revenus amoindris pour les exécutants. C’est le cas en Espagne, qui est le seul pays où un droit à rémunération obligatoire soumis à une gestion collective pour la mise à disposition est en vigueur.
A.81.3. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ou octroyé en licence leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au fournisseur de services de partage de contenus en ligne et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle. Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, la question préjudicielle doit être posée à la Cour de justice dans l’hypothèse où la Cour constitutionnelle n’annulerait pas l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, dès lors qu’en l’espèce, l’application correcte du droit de l’Union européenne n’est pas à ce point évidente qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
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Troisième moyen
A.82. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Selon elles, le troisième moyen est recevable, pour les mêmes raisons qui conduisent à admettre la recevabilité du premier moyen.
A.83.1. Tout d’abord, les parties requérantes relèvent que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022
introduisent un droit incessible à une rémunération supplémentaire de la part des services de streaming, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective. Selon les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022, les dispositions attaquées visent à garantir que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores ou audiovisuelles reçoivent une rémunération appropriée pour l’exploitation de leurs œuvres et prestations par les plateformes de streaming. Toutefois, ces travaux préparatoires ne font référence à aucune étude d’expert ou autre base soutenant l’idée que la création d’un droit de rémunération supplémentaire est nécessaire pour garantir une rémunération appropriée. Au lieu de cela, le législateur se contente de faire un parallèle avec la rémunération due par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, visée par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, alors qu’il existe une distinction importante entre ces deux systèmes. Les parties requérantes ajoutent que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 donne lieu à une situation extrêmement déroutante car, dans l’hypothèse où l’exécutant produit ses enregistrements lui-même, il n’est pas visé par cette disposition, alors que les musiciens de studio qu’il a engagés pour participer à l’enregistrement bénéficient de ce régime. De plus, dans tous les autres cas de figure contractuels où l’exécutant est le producteur et contracte avec un label ou un intermédiaire, il ne transfère pas ses droits à un producteur et n’est donc pas non plus visé par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022.
A.83.2. Les parties requérantes affirment que l’interprétation précitée de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022
a pour effet d’octroyer le droit à une rémunération supplémentaire aux exécutants qui reçoivent le plus d’avantages et qui gagnent le mieux leur vie. Ce système est arbitraire et complètement contre-intuitif au regard de l’objectif de l’article 62 de garantir aux exécutants une rémunération appropriée. En toute hypothèse, le législateur n’a pas tenu compte du fait que les exécutants sont déjà rémunérés de manière appropriée et proportionnelle pour la mise à la disposition du public de leurs enregistrements par les services de streaming, et ce, par le biais de leurs accords avec les labels ou avec les distributeurs.
A.84.1. En outre, les parties requérantes soutiennent que les États membres ne peuvent pas imposer un droit à une rémunération supplémentaire soumis à une gestion collective obligatoire pour la mise à la disposition du public d’enregistrements. En effet, la directive (UE) 2019/790 elle-même vise à garantir que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants reçoivent une rémunération équitable dans les contrats régissant l’exploitation de leurs œuvres et autres objets protégés, par le biais de divers mécanismes. Au-delà de ces mesures spécifiques que les États membres doivent mettre en œuvre, l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 laisse aux États membres un certain degré de liberté pour adopter d’autres mesures visant à garantir une rémunération appropriée et proportionnelle. Par conséquent, contrairement à l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, l’article 18 n’est pas une mesure d’harmonisation maximale. Cependant, les États membres ne disposent pas d’une totale liberté lorsqu’ils mettent en œuvre cette dernière disposition, puisqu’ils doivent se conformer au droit de l’Union européenne et tenir compte du principe de liberté contractuelle.
A.84.2. Or, selon les parties requérantes, les dispositions attaquées limitent la liberté contractuelle en ce que le droit à rémunération qu’elles établissent interfère avec la liberté de contracter des labels et réduit la valeur des droits qu’ils ont acquis auprès des exécutants par le biais d’une licence ou d’une cession. En effet, les articles 60
à 62 de la loi du 19 juin 2022 restreignent la capacité exclusive des labels à déterminer contractuellement les termes selon lesquels ces droits exclusifs sont octroyés en licence. En outre, le droit à rémunération précité interfère également avec la liberté des exécutants de conclure des accords qu’ils considèrent comme étant dans leur intérêt.
Certes, la liberté d’entreprise n’est pas absolue et les législations nationales peuvent en limiter la portée.
Cependant, de telles limitations ne sont admissibles que si elles respectent l’essence de ces droits et libertés, si elles sont conformes au principe de proportionnalité, si elles sont nécessaires et si elles permettent d’atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis par la législation des États membres. À l’estime des parties requérantes, ces conditions ne sont pas réunies en l’espèce.
A.84.3. Les parties requérantes mettent par ailleurs en évidence la portée étroite de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, qui, à la différence de l’article 54 de cette loi, ne prévoit un droit à rémunération supplémentaire que
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lorsque l’artiste-interprète ou exécutant a transféré son droit à un producteur. Par conséquent, pour chaque enregistrement diffusé en streaming, les services de diffusion en continu ou l’organisme de gestion collective devront connaître la nature du contrat d’enregistrement en amont, ce qui est en réalité impossible, de sorte qu’un organisme de gestion collective ne peut pas assurer la distribution correcte du revenu.
A.85. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains services de la société de l’information tels que les services de streaming aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au service de la société de l’information et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle. Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, il est nécessaire de poser la question préjudicielle dans l’hypothèse où la Cour n’annulerait pas les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, en raison de l’absence totale de consensus quant à la portée de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, de sorte qu’il existe des divergences d’interprétation au sein de l’Union européenne.
Quatrième moyen
A.86. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, avec l’article 16 de la Charte, avec l’article 6 du TUE et avec l’article 56 du TFUE. Selon les parties requérantes, ce moyen est bien recevable, pour les mêmes raisons qui conduisent à admettre la recevabilité du deuxième moyen.
A.87.1. Selon les parties requérantes, les dispositions attaquées interfèrent de manière injustifiée avec la libre circulation des services. Elles soulignent que la transmission de contenus par le biais d’un signal de télévision doit être considérée comme une prestation de services, tout comme la transmission en ligne de contenus numériques, y compris la musique, dans la mesure où cette transmission est normalement fournie contre rémunération. Elles rappellent qu’il existe déjà un système de pratiques contractuelles efficaces et bien établies qui garantit que les exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle pour l’exploitation de leurs enregistrements par les services de streaming. Or, les dispositions attaquées empêchent les services de streaming d’obtenir les droits nécessaires pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne par le biais d’accords de licence multi-territoriaux avec les labels. Dans la mesure où ce système entrave ou rend moins attrayantes les activités d’un prestataire de services établi dans un autre État membre, la liberté de fournir des services transfrontaliers au sein de l’Union européenne est limitée. La liberté des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants de recourir aux services de l’organisme de gestion collective de leur choix est également entravée, dès lors qu’en pratique, un seul organisme représentant les artistes-interprètes ou exécutants se voit confier la gestion du droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées.
A.87.2. Les parties requérantes soutiennent que la restriction précitée de la libre circulation des services n’est pas justifiée. En effet, l’objectif supposé des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 est de garantir que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants reçoivent une rémunération appropriée et proportionnelle. Il s’agit en principe d’un objectif légitime d’intérêt général. Toutefois, les dispositions attaquées ne sont pas en mesure d’atteindre cet objectif car elles ne créent pas d’avantages clairs et cohérents pour les exécutants et ne sont pas non plus nécessaires ou proportionnées pour atteindre cet objectif. Les articles 19 à 22 de la directive (UE) 2019/790, tels que transposés par la loi du 19 juin 2022, créent déjà des mécanismes visant à garantir que les artistes-
interprètes reçoivent une rémunération appropriée et proportionnelle.
A.87.3. À titre subsidiaire, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains services de la société de l’information tels que les services de streaming aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence
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au service de la société de l’information et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
Contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, il est nécessaire de poser la question préjudicielle dans l’hypothèse où la Cour n’annulerait pas les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne n’est pas évidente au point de ne laisser place à aucun doute raisonnable.
En ce qui concerne la position des parties intervenantes
Affaire n° 7922
A.88.1.1. En ce qui concerne le premier moyen, les parties intervenantes observent tout d’abord que la première sous-branche de la première branche est fondée sur une compréhension erronée de la mission conférée à l’IBPT par l’article XI.216/2, § 2, du Code de droit économique. En effet, la procédure de règlement des litiges initiée devant l’IBPT perdrait son objet si le prestataire décidait finalement qu’il n’entend tout bonnement plus contracter de licence d’exploitation avec l’éditeur de presse concerné et, partant, reproduire ou communiquer en ligne au public les publications de presse de ce dernier. Il en irait de même dans l’hypothèse où l’éditeur de presse ne souhaiterait plus conférer une autorisation d’exploitation. En réalité, l’absence d’accord permettant à la partie la plus diligente de recourir à la procédure de règlement des litiges de l’IBPT ne porte pas sur le consentement respectif des parties à concéder et à se voir concéder une autorisation d’exploitation, mais bien sur les modalités d’une telle autorisation et son éventuelle contrepartie, pécuniaire ou non. Les parties intervenantes ajoutent que la procédure initiée devant l’IBPT ne doit pas être menée coûte que coûte à son terme dans l’hypothèse où le consentement à concéder ou à se voir concéder une autorisation d’exploitation disparaîtrait en cours de procédure.
Enfin, il ne ressort pas davantage de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 que la procédure de règlement des litiges pourrait et devrait être entamée dans l’hypothèse où le prestataire de services de la société de l’information n’aurait jamais envisagé l’exploitation des publications de presse d’un éditeur de presse particulier. Partant, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 ne permet pas de contourner le refus de l’autre partie de conclure un contrat et ne pénalise nullement un tel refus. Il ne crée pas davantage une obligation pour les prestataires de services de la société de l’information de rémunérer l’utilisation en ligne de publications de presse alors même qu’ils n’avaient pas nécessairement envisagé d’utiliser lesdites publications. Par ailleurs, il ne prive ni ces prestataires, ni les éditeurs de presse de la liberté de choisir avec qui faire ou non des affaires.
A.88.1.2. En outre, les parties intervenantes précisent que l’obligation de négocier de bonne foi, prévue par la disposition attaquée, ne s’applique qu’à la condition que le prestataire de services de la société de l’information souhaite effectivement procéder à une exploitation et souhaite obtenir une autorisation pour ce faire, étant entendu que l’éditeur de presse doit consentir une telle autorisation. On ne saurait nullement déduire de ce système une obligation unilatérale de négocier. En outre, la procédure devant l’IBPT que consacre l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 ne saurait raisonnablement être interprétée comme offrant à l’éditeur de presse une possibilité légale de contourner l’éventuel refus de négocier d’un prestataire et de forcer celui-ci à conclure un contrat ou à payer une rémunération. En effet, il n’y a de saisine possible de l’IBPT qu’en cas de désaccord des parties quant aux seules modalités de la licence à octroyer, étant entendu que chacune des parties doit nécessairement encore souhaiter, respectivement, obtenir et consentir une telle autorisation.
A.88.2.1. En ce qui concerne la seconde sous-branche de la première branche du moyen, les parties intervenantes soulignent d’abord que l’ouverture de la procédure de règlement des litiges devant l’IBPT ne se fait pas automatiquement à l’échéance du délai de quatre mois, puisqu’elle suppose que l’une des parties prenne l’initiative d’introduire une requête en règlement de litige auprès de I’IBPT. Partant, rien n’interdit aux parties, qui sont tenues de négocier de bonne foi, de poursuivre leurs négociations amiables au-delà de cette échéance. Par ailleurs, les parties intervenantes n’aperçoivent pas en quoi le recours à l’IBPT pourrait constituer un moyen de pression pour forcer la conclusion d’une licence à des conditions auxquelles l’autre partie n’aurait autrement pas consenti, puisque la procédure de règlement des litiges de l’IBPT est contradictoire, indépendante et impartiale et qu’un recours de pleine juridiction devant la Cour des marchés peut être introduit. En outre, selon les parties intervenantes, le délai de quatre mois permet d’éviter de profondes défaillances dans la négociation qui empêchent
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celle-ci d’aboutir. Les parties intervenantes observent encore que ce délai apparaît pertinent, dès lors que la durée de protection offerte par le nouveau droit voisin des éditeurs de presse est relativement courte.
A.88.2.2. Les parties intervenantes ajoutent que les griefs relatifs à l’absence d’impartialité éventuelle des membres de l’IBPT ne sont en réalité pas imputables à la loi du 19 juin 2022, mais bien à la loi organique de cet Institut. En toute hypothèse, il y a lieu de considérer que, dans le cas très peu probable où un conflit d’intérêts existerait dans le chef d’un membre de l’IBPT, il conviendrait que celui-ci se déporte. Par ailleurs, en cas de doute quant à l’impartialité d’un membre de l’IBPT, les parties pourraient demander sa récusation, voire, pour un membre nouvellement nommé, demander l’annulation de sa nomination ou encore faire valoir, devant la Cour des marchés, un manque d’impartialité comme moyen d’annulation de la décision de l’IBPT. En outre, l’absence d’expertise particulière des membres de l’IBPT dans la matière des droits voisins, du droit d’auteur et de l’exploitation en ligne de publications de presse, à la supposer établie, ne constitue pas en soi un grief d’inconstitutionnalité ni une violation de la liberté d’entreprise. À toutes fins utiles, il y a lieu de relever que les membres du conseil de l’IBPT peuvent se faire assister, dans leurs missions, par des experts externes, soumis aux mêmes conditions de compétence, d’intégrité et d’indépendance que les membres du conseil eux-mêmes.
A.88.2.3. Ensuite, les parties intervenantes relèvent que le droit des éditeurs de presse n’est pas un droit uniforme et unique, mais bien un droit national dont il existe autant de formes que d’États membres, ce qui explique pourquoi ce droit a été créé par voie de directive et non par voie de règlement. Par ailleurs, il demeure loisible aux prestataires de services de la société de l’information de négocier des accords à portée européenne avec les éditeurs de presse. Ce n’est qu’en cas d’absence d’accord dans le délai visé par la loi, et si une des parties le requiert, que la procédure devant I’IBPT est susceptible d’être appliquée.
A.88.2.4. Les parties intervenantes ajoutent qu’il ne ressort pas de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 que la rémunération due en contrepartie de l’octroi de l’autorisation d’exploitation en ligne des publications de presse doive obligatoirement revêtir une nature pécuniaire. En réalité, à supposer bien entendu que tant le prestataire de services de la société de l’information que l’éditeur de presse y consentent, les parties sont parfaitement libres de s’accorder sur d’autres contreparties ou sur l’absence de contrepartie.
A.88.2.5. Par ailleurs, les parties intervenantes soutiennent que les auteurs ne seraient pas nécessairement parties aux négociations entièrement amiables menées entre éditeurs de presse et prestataires de services de la société de l’information si aucun recours devant l’IBPT n’était prévu. Le nouveau droit voisin est en effet octroyé aux seuls éditeurs de presse, en cette qualité propre, au titre de leur contribution organisationnelle et financière dans la production de publications de presse. Dans ce cadre, il leur revient souverainement de concéder ou non en licence un tel droit exclusif aux prestataires précités et d’en déterminer la contrepartie, sans l’intervention des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins portant sur les œuvres et prestations intégrées dans la publication de presse concernée. Ces titulaires restent, en outre, libres d’autoriser ou d’interdire, sur la base de leurs droits d’auteur ou droits voisins, l’exploitation de leurs œuvres ou prestations par des tiers. Dès lors, les parties intervenantes n’aperçoivent pas en quoi la consécration d’une procédure de règlement des litiges devant l’IBPT
empêcherait les titulaires de droits d’auteur et voisins sur les œuvres intégrées dans les publications de presse d’effectivement exercer leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de leurs œuvres qui sont intégrées dans des publications de presse. Par ailleurs, les titulaires précités conservent la liberté de négocier avec l’éditeur de presse la contrepartie de la cession ou concession en licence de leurs droits d’auteur ou droit voisins au profit de ce dernier. En outre, l’article XI.216/2, § 6, du Code de droit économique leur offre la possibilité, en aval, de négocier la part appropriée qui leur est due en vertu de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
A.88.3. À l’estime des parties intervenantes, pour les raisons qui précèdent, il y a lieu de considérer que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 n’emporte pas de limitation de la liberté d’entreprise qui irait au-delà de ce que nécessite une mise en œuvre effective. Par ailleurs, même à supposer que l’article 39 entraînerait une limitation disproportionnée de la liberté d’entreprise, les parties intervenantes soutiennent que les parties requérantes ne démontrent pas en suffisance en quoi il en résulterait une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors qu’elles ne prennent pas la peine d’identifier les sujets de droit vis-à-vis desquels une telle discrimination serait établie et ne démontrent pas en quoi les autres dispositions de référence citées au moyen seraient violées.
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A.89.1. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, les parties intervenantes concèdent tout d’abord que les informations concernées par l’obligation d’information visée à l’article 39 de la loi du 19 juin 2022
peuvent revêtir un caractère confidentiel et constituer des secrets d’affaires. Toutefois, l’article 39 prévoit une protection de ces informations, notamment en laissant la possibilité aux prestataires de services de la société de l’information de subordonner la fourniture des informations concernées à la conclusion préalable d’un accord de confidentialité précisant les obligations incombant à l’éditeur de presse dans le traitement desdites informations.
Pour le surplus, le Code de droit économique contient des règles générales destinées à assurer la protection des secrets d’affaires. Selon les parties intervenantes, les prestataires de services de la société de l’information ne se trouvent pas dans une situation très différente de celles d’autres exploitants d’œuvres littéraires ou artistiques ou d’objets protégés. En effet, il est extrêmement courant que la redevance due en vertu d’un contrat de licence soit fixée en fonction du chiffre d’affaires, des revenus ou des bénéfices réalisés par le licencié à travers l’exploitation du bien protégé par le droit donné en licence.
A.89.2. Selon les parties intervenantes, les parties requérantes exagèrent l’importance des investissements que requiert le respect de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, notamment parce que des entreprises sophistiquées disposent plus que probablement déjà des outils permettant de mesurer l’utilisation qui est faite des contenus qu’elles mettent à la disposition de leurs utilisateurs, de même que les revenus, essentiellement publicitaires, qu’elles en retirent. Par ailleurs, il est légitime de faire supporter par les seuls prestataires de services de la société de l’information l’ensemble des coûts générés par cette obligation de partage d’information, dès lors que ce sont eux qui tirent profit de l’utilisation en ligne qui est en cause. Il n’est pas concevable qu’un licencié fasse supporter par son cocontractant le coût lié à ses propres déclarations permettant de déterminer l’étendue de l’exploitation à laquelle il procède.
A.89.3. Contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent, l’obligation prévue par la disposition attaquée ne peut être considérée comme manquant de clarté. En effet, cette obligation vise à s’appliquer à des prestataires de services de la société de l’information différents et doit résister aux évolutions techniques en la matière, d’où le recours à des termes généraux.
A.90.1. En ce qui concerne le deuxième moyen, les parties intervenantes observent tout d’abord, quant à la première branche, que, de jurisprudence constante, la Cour considère que l’article 144 de la Constitution n’empêche pas des autorités administratives de prendre une décision relative à un droit civil, pour autant qu’un recours puisse être exercé contre cette décision devant une juridiction judiciaire. En l’espèce, toute décision contraignante prise par l’IBPT à l’égard de prestataires de services de la société de l’information et d’éditeurs de presse peut faire l’objet d’un recours devant la Cour des marchés, ce qui constitue un recours de pleine juridiction.
A.90.2. Les parties intervenantes relèvent, au sujet de la seconde branche du moyen, que les critiques des parties requérantes ne portent pas sur la disposition attaquée mais sur la législation organique de l’IBPT. Pour le surplus, elles estiment que cette branche repose sur des allégations non étayées. Selon elles, il est incontestable que l’IBPT dispose d’une expertise importante en matière de règlement des litiges entre des acteurs du secteur de la technologie et que la législation organique de l’IBPT prévoit des garanties procédurales assurant la protection du secret d’affaires.
A.91.1. Enfin, en ce qui concerne le troisième moyen, les parties intervenantes soutiennent tout d’abord que celui-ci ne précise pas en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés, notamment dès lors que les catégories de personnes à comparer ne sont pas indiquées.
A.91.2. À titre subsidiaire, les parties intervenantes font valoir que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790
ne s’oppose pas à une obligation de partages de données dans le chef des prestataires de services de la société de l’information ni à l’intervention d’un régulateur indépendant pour trancher les différends pouvant survenir entre ces prestataires et les éditeurs de presse. D’ailleurs, ces modalités permettent de réaliser certains objectifs poursuivis par la directive, notamment assurer un niveau élevé de protection aux titulaires de droits et favoriser la conclusion d’accords de licence équitables. Les parties intervenantes ajoutent que, sous réserve de la théorie de l’abus de droit, les éditeurs demeurent parfaitement libres d’interdire l’utilisation en ligne, par un prestataire de services de la société de l’information, de leurs publications de presse, tout comme les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins sur les œuvres ou prestations intégrées dans ces publications demeurent libres d’en interdire l’utilisation. Ce n’est que dans l’hypothèse où ces titulaires de droits acceptent d’accorder une licence mais ne
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peuvent pas se mettre d’accord avec les prestataires de services de la société de l’information sur les conditions, notamment financières, de cette licence que l’IBPT peut être saisi pour arbitrer le différend. Par ailleurs, rien n’empêche les parties, au cours de la phase de négociation, de se mettre d’accord sur un autre type de compensation ou d’autres conditions de la licence. En outre, sous réserve du respect du droit de la concurrence, les prestataires de services de la société de l’information, après avoir négocié de bonne foi, peuvent en principe renoncer à reproduire ou mettre à disposition du public les publications de presse pour lesquelles un éditeur demanderait un prix excessif.
A.91.3. Les parties intervenantes ajoutent que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale, comme son libellé le met en évidence. Elles précisent par ailleurs que, dans l’hypothèse où les parties décideraient finalement, après que l’IBPT a rendu sa décision, de ne pas contracter, la rémunération fixée par l’institut ne serait évidemment pas due, à condition qu’aucune exploitation des publications de presse concernées ne soit alors réalisée par le prestataire concerné.
Affaire n° 7924
Premières parties intervenantes
A.92.1. Les premières parties intervenantes déclarent soutenir pleinement le premier moyen formulé par les parties requérantes et, à cet égard, renvoient également aux septième et huitième moyens développés dans l’affaire n° 7922. À titre subsidiaire, les premières parties intervenantes demandent qu’à la place des questions préjudicielles proposées par les parties requérantes, les troisième, cinquième et sixième questions préjudicielles formulées dans le cadre de l’affaire n° 7922 soient posées.
A.92.2. En ce qui concerne le second moyen formulé par les parties requérantes, les premières parties intervenantes déclarent également soutenir pleinement les différents griefs. Elles renvoient par ailleurs aux quatrième et neuvième moyens développés dans l’affaire n° 7922. À titre subsidiaire, les premières parties intervenantes demandent qu’à la place de la question préjudicielle proposée par les parties requérantes, une autre question soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national telle que celle prévue aux articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 – disposition qui instaure un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits – constitue une « règle technique », à savoir une « règle relative aux services », au sens de la directive (UE) 2015/1535, dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission européenne conformément à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.
Seconde partie intervenante
A.93.1. En ce qui concerne le premier moyen soulevé par les parties requérantes, la seconde partie intervenante précise que le droit à la rémunération prévu par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 va à l’encontre de la liberté contractuelle garantie par l’article 16 de la Charte, en ce qu’il oblige de nouer des relations contractuelles complexes et coûteuses avec une société de gestion collective, sans qu’aucune relation contractuelle n’existe. La Cour de justice a précisé que le respect de l’article 16 de la Charte peut impliquer de laisser au prestataire de services la liberté de déterminer les mesures spécifiques à prendre pour atteindre le résultat recherché. À cet égard, le droit à rémunération prévu par les dispositions attaquées supprime cette liberté en dictant comment il doit être satisfait au principe d’une rémunération appropriée et proportionnelle, et ce, à l’égard d’une partie qui n’a pas de relation contractuelle avec l’exécutant.
A.93.2. La seconde partie intervenante ajoute que le droit à la rémunération attaqué porte atteinte à l’exercice de son activité commerciale en dictant qui est tenu de payer la rémunération et comment celle-ci est gérée. Ce faisant, les dispositions attaquées violent la liberté contractuelle. Tout d’abord, elles portent atteinte à l’essence de l’article 16 de la Charte, dès lors que les services de streaming, tels que Deezer, sont contraints de contracter avec une partie supplémentaire, à savoir une société de gestion collective. Ensuite, en toute hypothèse, la loi du
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19 juin 2022 constitue une limitation injustifiée du droit garanti par l’article 16 de la Charte, qui ne satisfait pas aux exigences de proportionnalité imposées par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
A.93.3. Selon la seconde partie intervenante, le principe de rémunération appropriée et proportionnelle prévu par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est applicable que dans le cadre d’un contrat et ne peut pas servir de base pour un paiement supplémentaire par des tiers. Partant, les dispositions attaquées n’ont aucun fondement dans l’article 18 de la directive. En outre, l’article 20 de cette directive introduit un mécanisme permettant aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants de réclamer une rémunération appropriée et juste supplémentaire dans le cas où la rémunération initialement convenue s’avère exagérément faible par rapport aux revenus tirés ultérieurement de l’exploitation des œuvres et des interprétations ou exécutions. Cette disposition ne donne toutefois pas le droit de formuler une telle demande à l’égard de tiers. La seconde partie intervenante relève que l’État belge a transposé l’article 20 de la directive (UE) 2019/790 dans le Code de droit économique, ce qui constitue un moyen pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants de réclamer une rémunération supplémentaire, en l’absence d’une convention collective prévoyant un mécanisme comparable, lorsque la rémunération initiale s’avère exagérément faible par rapport à tous les revenus ultérieurs tirés de l’exploitation de l’œuvre ou de l’interprétation ou exécution. Ce système, qui est obligatoire, est non seulement suffisant pour garantir une rémunération appropriée et proportionnelle aux exécutants, mais il ne crée aucune discrimination et ne viole pas le droit européen.
A.93.4. Par ailleurs, la seconde partie intervenante observe que le Gouvernement belge n’a pas notifié le projet à l’origine de la loi du 19 juin 2022 à la Commission européenne, comme il est prescrit par l’article 5, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535. Elle souligne aussi que la Commission européenne a attiré à deux reprises l’attention de l’État belge sur le fait que le système envisagé n’était pas autorisé par la directive (UE) 2019/790. À cet égard, le législateur belge a sciemment ignoré les objections de la Commission.
A.93.5. La seconde partie intervenante allègue ensuite que la gestion collective obligatoire sur un droit à rémunération, prévue par les dispositions attaquées, ne répond pas aux conditions établies par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29/CE et par les traités internationaux auxquels l’Union européenne et la Belgique sont parties. Selon la seconde partie intervenante, la violation du droit de l’Union européenne constitue également, en l’espèce, une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que la loi du 19 juin 2022
interdit à certains entrepreneurs de pouvoir encore choisir librement leur cocontractant. La seconde partie intervenante soutient que cette différence de traitement n’est pas du tout appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi par la loi du 19 juin 2022. En toute hypothèse, les dispositions attaquées sont absolument disproportionnées, dès lors qu’elles transposent erronément la directive (UE) 2019/790. Ensuite, la seconde partie intervenante soutient que le législateur belge n’a pas fait preuve de la précaution requise lors de l’adoption des dispositions attaquées. Il n’y a donc pas eu de préparation législative minutieuse ou d’évaluation appropriée. Elle précise en outre qu’il convient de poser les questions préjudicielles formulées par les parties requérantes. La seconde partie intervenante affirme que, contrairement à ce que le Conseil des ministres et certaines parties intervenantes soutiennent, le premier moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour statuer sur la violation de normes internationales lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Pour le surplus, les développements de la seconde partie intervenante relatifs au premier moyen sont similaires à ceux formulés par les parties requérantes.
A.94.1. En ce qui concerne le second moyen soulevé par les parties requérantes, la seconde partie intervenante affirme tout d’abord qu’en ajoutant un droit supplémentaire à une rémunération soumise à la gestion collective obligatoire, la loi du 19 juin 2022 ajoute une rémunération à la rémunération normale que les exécutants reçoivent déjà lorsqu’ils transfèrent leurs droits aux maisons de disques, ce qui n’est pas conforme à la directive (UE) 2019/790. En outre, la loi du 19 juin 2022 a pour effet d’empêcher un prestataire de services de la société de l’information offrant ses services en Belgique de contracter avec un licencié d’un autre État membre.
La seconde partie intervenante soutient également qu’en tout état de cause, les conditions pour déroger au principe de la libre circulation des services ne sont nullement réunies. Ainsi, même si l’objectif de faciliter la valorisation du droit à rémunération et de faciliter le paiement de la rémunération constitue un motif d’intérêt général, il n’est aucunement démontré que cette mesure servirait à atteindre cet objectif. La rémunération appropriée et juste des auteurs et des exécutants est déjà assurée par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la mesure de grande portée contenue dans l’article 62 de cette loi.
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A.94.2. La seconde partie intervenante soutient par ailleurs que la violation du droit de l’Union européenne entraîne également une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la loi du 19 juin 2022 traite différemment les opérateurs qui concluent des contrats de services, en ce sens qu’une catégorie peut encore conclure des contrats transfrontaliers sans restrictions, tandis qu’une autre catégorie, à savoir celle des prestataires de services de la société de l’information, ne dispose plus de cette possibilité. Selon la seconde partie intervenante, cette différence de traitement n’est pas appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi, dès lors que l’utilité de la mesure n’est pas démontrée. Par ailleurs, les dispositions attaquées produisent des effets disproportionnés. Enfin, la seconde partie intervenante demande que la question préjudicielle formulée par les parties requérantes soit posée à la Cour de justice.
A.94.3. En outre, la seconde partie intervenante affirme que, contrairement à ce que le Conseil des ministres et certaines parties intervenantes soutiennent, le second moyen est recevable, dès lors que la Cour est compétente pour statuer sur la violation de normes internationales lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Pour le surplus, les développements de la seconde partie intervenante relatifs au second moyen sont similaires à ceux formulés par les parties requérantes.
Affaire n° 7925
Premières parties intervenantes
A.95. Les premières parties intervenantes soutiennent que les quatre moyens soulevés par la partie requérante sont fondés. En ce qui concerne les premier, deuxième et troisième moyens, elles renvoient par ailleurs aux développements relatifs aux premier et troisième moyens développés dans l’affaire n° 7922. En ce qui concerne le quatrième moyen, elles se réfèrent aux griefs invoqués à l’appui du deuxième moyen dans l’affaire n° 7922. Les premières parties intervenantes soulignent en particulier que les services de Google contribuent à augmenter le volume de trafic vers les sites des éditeurs de presse et, ce faisant, leur capacité à monétiser ce trafic par le biais d’abonnements ou de la publicité. En outre, la condition selon laquelle une publication de presse doit être composée principalement d’œuvres littéraires doit conduire, dans les faits, à une appréciation minutieuse et au cas par cas de chacun des éléments composant ladite publication. À cet égard, le seul fait que quelques-uns desdits éléments constituent une œuvre ne suffit pas à ce que la publication dans son ensemble puisse être qualifiée de publication de presse au sens du nouveau droit voisin.
Secondes parties intervenantes
A.96.1. En ce qui concerne le premier moyen, les secondes parties intervenantes relèvent que celui-ci invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et de la liberté de commerce et d’industrie, lus en combinaison avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, mais qu’il ne précise pas par rapport à qui la partie requérante serait discriminée ni en quoi serait violée cette liberté, dont le fondement constitutionnel ou conventionnel n’est au demeurant pas précisé. Partant, le premier moyen est irrecevable.
A.96.2.1. À supposer le premier moyen recevable, les secondes parties intervenantes soutiennent que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne fait pas obstacle aux modalités de mise en œuvre du droit exclusif précisées dans les dispositions attaquées. Elles affirment que ni l’article 1er, paragraphe 1, ni l’article 15, ni le considérant n° 83 de la directive (UE) 2019/790 ne sont d’harmonisation complète et maximale, de sorte qu’il serait interdit aux États membres de préciser certaines modalités de mise en œuvre du nouveau droit exclusif, en particulier des points non abordés par l’article 15 de la directive. À cet égard, elles ajoutent qu’il n’est pas possible de déduire du considérant n° 55 de la directive (UE) 2019/790 ni de l’article 114 du TFUE que la directive précitée serait d’harmonisation maximale.
A.96.2.2. Selon les secondes parties intervenantes, la directive (UE) 2019/790 ne fait pas obstacle au système attaqué de règlement des différends et n’interdit en aucune manière le recours aux services d’un régulateur dont les décisions peuvent être contestées devant une autorité judiciaire. Ensuite, la compétence attribuée à l’IBPT
ne prive en aucune manière l’éditeur de presse du droit d’interdire l’utilisation de ses publications de presse. Par ailleurs, le pouvoir de supervision de l’IBPT n’intervient que si les parties sont en désaccord quant aux modalités, essentiellement financières, de la licence envisagée. En outre, la loi du 19 juin 2022 ne confère en aucune manière aux éditeurs de presse ou aux utilisateurs individuels le droit d’imposer l’utilisation en ligne des publications de
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presse. Sous réserve du respect du droit de la concurrence, les prestataires de services de la société de l’information, après avoir négocié de bonne foi, peuvent en principe renoncer à reproduire ou mettre à disposition du public les publications de presse pour lesquelles un éditeur demanderait un prix excessif. Par ailleurs, l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 ne limite pas la liberté des prestataires de services de la société de l’information et des éditeurs de s’accorder sur des conditions autres qu’une rémunération pécuniaire en contrepartie de l’autorisation d’exploitation.
A.96.2.3. Les secondes parties intervenantes ajoutent que la définition de la notion de publication de presse donnée par le nouvel article XI.216/1 du Code de droit économique est fidèle à la définition qu’en donne l’article 2, point 4, de la directive (UE) 2019/790. Cette directive ne subordonne en revanche nullement la naissance de la protection conférée par le droit voisin à une quelconque condition de protection par le droit d’auteur ou un droit voisin de l’ensemble des autres œuvres, prestations ou éléments inclus dans la publication, accessoirement à l’œuvre littéraire de nature journalistique qui la compose à titre principal. Partant, il est erroné d’affirmer que les droits voisins octroyés par la directive ne couvrent que le contenu des publications de presse éligible à la protection par le droit d’auteur et que, par conséquent, les articles XI.216/1 et XI.216/2 du Code de droit économique dépasseraient largement le champ d’application de l’article 15 de cette directive.
A.96.2.4. À l’estime des secondes parties intervenantes, le grief fait à l’article XI.216/2 du Code de droit économique de ne pas préciser expressément que le nouveau droit exclusif ne s’applique notamment pas aux utilisations, à titre privé et non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels n’est pas fondé, dès lors que c’est à juste titre que le législateur belge a considéré cette exception comme surabondante.
Il n’existe donc aucune insécurité juridique. En outre, l’obligation de négocier de bonne foi mise à charge de l’éditeur de presse et du prestataire de services de la société de l’information par l’article XI.216, § 2, du Code de droit économique n’est imposée que dans les circonstances visées au paragraphe 1er de cette disposition. Si ces circonstances ne se produisent pas, il n’existe aucune obligation de négocier.
A.96.2.5. Au sujet des téléversements réalisés par les éditeurs de presse eux-mêmes, les secondes parties intervenantes relèvent que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 ne s’écarte pas de la directive (UE) 2019/790.
Partant, dans l’hypothèse où il faudrait considérer que le téléversement précité relèverait du champ d’application de l’article 39 précité, cette circonstance découlerait de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 lui-même.
A.96.2.6. En ce qui concerne l’obligation faite aux prestataires de services de la société de l’information par l’article XI.216/2, § 3, du Code de droit économique de fournir aux éditeurs des informations sur le nombre de consultations des publications de presse et sur les revenus que le prestataire tire de l’exploitation des publications de presse, les secondes parties intervenantes observent que le texte précise, d’une part, que les informations fournies ne pourront en aucun cas être utilisées à d’autres fins que l’évaluation du droit à la rémunération et que les informations fournies devront être traitées de manière strictement confidentielle. Il en va de même en ce qui concerne l’article XI.216/2, § 7, du Code de droit économique. À supposer que ces informations soient secrètes, celles-ci sont susceptibles de bénéficier de la protection conférée aux secrets d’affaires. Les prestataires de services de la société de l’information pourront dès lors exiger des éditeurs de presse la conclusion d’un accord de confidentialité incluant, notamment, l’obligation de conclure à leur tour avec les auteurs des accords de confidentialité d’une portée similaire. Les secondes parties intervenantes ajoutent que les prestataires précités ne sont pas tenus de donner suite à des demandes de partage d’informations qui ne seraient pas nécessaires afin d’évaluer la rémunération éventuelle. Par ailleurs, contrairement à ce que la partie requérante soutient, les sociétés de gestion collective ne sont nullement tenues de fournir à leurs membres un accès individuel et détaillé à toutes les informations transmises par les éditeurs de presse.
A.96.3. Au sujet des questions préjudicielles à la Cour de justice formulées par les parties requérantes, les secondes parties intervenantes formulent plusieurs observations. Tout d’abord, elles soutiennent que la première question préjudicielle est entièrement fondée sur une interprétation inexacte de la loi du 19 juin 2022, de sorte qu’elle est irrecevable. À titre subsidiaire, elles demandent que cette question soit reformulée afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à ce que, dans le cas où un prestataire de services de la société de l’information fait un usage en ligne de publications de presse et où l’éditeur de presse est disposé à autoriser les exploitations concernées mais où les parties, après une négociation de bonne foi, ne peuvent trouver un accord, la partie la plus diligente puisse faire appel à une procédure de règlement des litiges devant un organe
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administratif indépendant, au cours de laquelle la rémunération peut être déterminée par une décision administrative contraignante, qui est susceptible d’appel devant une juridiction ordinaire. Ensuite, les secondes parties intervenantes affirment que la deuxième question préjudicielle est superflue, dès lors que sa réponse est manifestement négative. En ce qui concerne la troisième question préjudicielle, les secondes parties intervenantes relèvent que celle-ci est biaisée, dès lors que l’exception qu’elle vise découle de l’énoncé de la loi du 19 juin 2022.
À titre subsidiaire, elles demandent que cette question soit reformulée afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue à l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qui omet de transposer de manière expresse l’exception au droit des éditeurs de presse pour les utilisations privées ou non commerciales. Enfin, selon les secondes parties intervenantes, la quatrième question préjudicielle est entièrement fondée sur une interprétation inexacte de la loi du 19 juin 2022 et est dès lors dénuée de pertinence, de sorte qu’il n’y a pas lieu de la poser.
A.97.1. En ce qui concerne le deuxième moyen, les secondes parties intervenantes relèvent tout d’abord que la partie requérante n’indique pas en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution, les articles 10 et 56 du TFUE et les articles 20 et 21 de la Charte sont violés, de sorte que ce moyen est irrecevable.
A.97.2.1. Les secondes parties intervenantes observent ensuite, à propos de l’atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie dénoncée dans la première branche du moyen, que, lorsqu’il y a reproduction ou communication au public des publications de presse par un prestataire de services de la société de l’information, la loi du 19 juin 2022 autorise les titulaires de droits soit à requérir la cessation pure et simple de cette utilisation en ligne, soit à l’autoriser moyennant le paiement d’une rémunération qui, à défaut d’avoir pu être convenue entre les parties, est fixée par voie d’autorité par l’IBPT. À cet égard, les secondes parties intervenantes affirment que le but d’un droit exclusif n’est pas uniquement de mettre son titulaire en position d’interdire une exploitation mais également de lui permettre d’en retirer une valeur. En outre, il n’y a pas lieu de tenir compte, dans la détermination de cette valeur, de la circonstance que l’utilisation qui est faite des publications de presse par le prestataire de services de la société de l’information a également pour effet d’augmenter le trafic vers les sites web des titulaires.
La valeur de l’utilisation autorisée doit être mesurée à l’aune du chiffre d’affaires, des revenus ou des bénéfices qu’elle apporte pour le prestataire et non des avantages qu’elle entraîne pour les titulaires de droits.
Selon les secondes parties intervenantes, il y a lieu de tenir compte des réutilisations, par les prestataires de services de la société de l’information, des publications téléversées initialement par les éditeurs, ces prestataires relayant ces publications sous forme de suggestions sur le fil d’actualité des utilisateurs, de sorte que les prestataires doivent être redevables d’une rémunération. Les secondes parties intervenantes rappellent par ailleurs que, dans l’hypothèse où le téléversement de la publication effectuée par l’éditeur de presse doit être considéré comme relevant du champ d’application de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, cette circonstance découlerait de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 lui-même. Partant, la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige, dès lors que la critique de la partie requérante porte sur l’existence d’une discordance entre l’article 39
de la loi du 19 juin 2022 et l’article 15 de la directive précitée.
A.97.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche du moyen, les secondes parties intervenantes soutiennent que celle-ci est fondée sur une interprétation inexacte de la loi en ce qu’elle postule que le droit exclusif des éditeurs de presse peut trouver à s’appliquer même à l’égard de publications de presse qui contiennent uniquement de pures informations ne pouvant être qualifiées d’œuvres littéraires ou artistiques, alors que tel n’est pas le cas eu égard à la définition de la publication de presse par l’article XI.216/1 du Code de droit économique, qui implique que cette dernière doive nécessairement être principalement composée d’œuvres littéraires de nature journalistique. Pour le surplus, les secondes parties intervenantes affirment que le moyen manque en droit en ce qu’il suppose que des dépêches de presse ne pourraient, à elles seules, être qualifiées de publications de presse, alors que de telles dépêches bénéficient généralement de la mise en forme et de l’originalité nécessaires pour être qualifiées d’œuvres et alors que les agences de presse sont expressément mentionnées par la directive (UE) 2019/790 en tant que bénéficiaires du nouveau droit exclusif. La deuxième branche manque aussi en droit en ce qu’elle pose que la reproduction ou la communication au public, par un prestataire de services de la société de l’information, d’extraits d’articles de presse, pour leur utilisation en ligne, échapperait au droit exclusif lorsque la totalité desdits articles n’est accessible que moyennant un abonnement. Il découle en effet de l’article XI.216/2, § 1er, du Code de droit économique et de l’article 2 de la directive 2001/29/CE que la reproduction d’une publication de presse, comme la reproduction d’une œuvre, peut être partielle, étant entendu que la reproduction de mots isolés ou de très courts extraits est permise sans autorisation.
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A.97.2.3. Les secondes parties intervenantes relèvent encore, en ce qui concerne la troisième branche du moyen, que la loi du 19 juin 2022 n’impose aucune obligation de surveillance généralisée mais se contente d’imposer la communication d’informations dont le prestataire de services de la société d’information est détenteur et qui présentent une pertinence pour permettre à l’éditeur de presse de valoriser son droit voisin. Elles ajoutent que le libellé de la loi du 19 juin 2022 permet au prestataire de services de la société de l’information de circonscrire l’étendue de l’obligation d’information. Par ailleurs, la circonstance que la qualité de « publication de presse » ne soit pas subordonnée à la condition que l’ensemble des éléments inclus dans la publication soient protégés par le droit d’auteur allège sensiblement la charge d’identification par le prestataire des contenus dont l’utilisation suppose une autorisation préalable de l’éditeur de presse et dont il est, le cas échéant, tenu de signaler l’exploitation à l’éditeur de presse.
A.97.3. Selon les secondes parties intervenantes, il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice la question préjudicielle formulée par la partie requérante. Selon elles, la seule question qui pourrait être posée est celle de savoir si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, interprété à la lumière des articles 16 et 17 de la Charte, s’oppose à une législation nationale qui autorise le titulaire de droits sur une publication de presse faisant l’objet d’une utilisation en ligne par un prestataire de services de la société de l’information à postuler une rémunération de ce chef, à défaut de faire interdire purement et simplement cet usage, d’une part, et prévoit le paiement de cette rémunération même dans l’hypothèse où les articles de presse ne sont utilisés que sous forme d’extraits, autres que de très courts extraits, d’autre part. Cependant, selon les secondes parties intervenantes, la réponse à cette question est manifestement négative.
A.98.1. En ce qui concerne le troisième moyen, les secondes parties intervenantes relèvent tout d’abord que la partie requérante n’indique pas en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution, les articles 10 et 56 du TFUE et les articles 20 et 21 de la Charte sont violés, de sorte que ce moyen est irrecevable.
A.98.2. Pour le surplus, les secondes parties intervenantes affirment que les éditeurs de presse ne doivent pas nécessairement révéler aux sociétés et organismes de gestion collective le nombre précis de consultations des publications de presse et le montant précis des revenus que le prestataire de services de la société de l’information tire de l’exploitation de leurs publications de presse. En vertu de l’article XI.216/2, § 7, du Code de droit économique, seules les informations actualisées, pertinentes et complètes sur la rémunération que l’éditeur de presse perçoit du prestataire de services de la société de l’information sont visées. Ce partage d’information est évidemment nécessaire, afin que les sociétés et organismes de gestion collective puissent apprécier le caractère approprié de la part de rémunération qui leur est proposée.
Par ailleurs, la disposition attaquée prévoit une protection des informations que les prestataires de services de la société de l’information sont tenus de communiquer, de telle manière qu’il est loisible aux prestataires de services de la société de l’information de subordonner la fourniture des informations concernées à la conclusion préalable d’un accord de confidentialité. En outre, le système de gestion collective obligatoire mis en place par la loi du 19 juin 2022 a pour effet de limiter le nombre de destinataires des informations communiquées par les éditeurs de presse. Les secondes parties intervenantes soulignent également que le Code de droit économique contient plusieurs règles générales destinées à assurer la protection des secrets d’affaires. En ce qui concerne l’absence apparente de sanction en cas de violation, par la partie qui cède ou donne en licence ses droits, de la confidentialité des données d’exploitation que le prestataire obtient du cessionnaire ou du licencié, il convient d’observer que de telles sanctions sont prévues par le droit commun, qui apparaît suffisant. Les secondes parties intervenantes affirment encore que les investissements engendrés par la disposition attaquée sont à relativiser et que le caractère unilatéral de l’obligation d’information est conforme à la norme dans le domaine de la gestion individuelle des œuvres littéraires et artistiques. En outre, l’obligation d’information attaquée ne s’applique pas lorsque le prestataire n’a procédé à aucune utilisation en ligne de la publication de presse préalablement à la conclusion de la licence.
A.98.3. Enfin, les secondes parties intervenantes soutiennent que la question préjudicielle formulée par la partie requérante repose sur plusieurs prémisses inexactes. Dans l’hypothèse où la Cour souhaiterait interroger la Cour de justice dans le cadre du troisième moyen, il y aurait lieu de reformuler cette question préjudicielle afin de déterminer si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, interprété à la lumière de l’article 16 de la Charte, s’oppose à une législation nationale imposant aux prestataires de services de la société de l’information de fournir, à la demande écrite de l’éditeur de presse, des informations, le cas échéant confidentielles, sur l’exploitation des
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publications de presse à laquelle se livre le prestataire de services de la société de l’information afin que l’éditeur de presse puisse évaluer la valeur du droit consacré par cet article 15 et imposant aux éditeurs de presse concernés de communiquer aux sociétés ou organismes de gestion des droits des auteurs d’œuvres incorporées dans ces publications de presse des informations sur la rémunération que l’éditeur de presse perçoit du prestataire de services de la société de l’information.
A.99. En ce qui concerne le quatrième moyen, les secondes parties intervenantes soutiennent que les conditions dégagées par la jurisprudence de la Cour afin que des compétences exécutives puissent être confiées à une autorité administrative indépendante sont remplies en l’espèce.
Affaire n° 7926
A.100.1. Les parties intervenantes allèguent tout d’abord que le droit à la rémunération inaliénable et incessible prévu par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elles soutiennent que cette dernière disposition est limitée à l’exploitation des contrats et ne s’applique donc pas aux relations extracontractuelles. Elles ajoutent qu’une rémunération contractuelle est déjà prévue pour les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants, de sorte que le droit à la rémunération supplémentaire prévu par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 engendre un second paiement pour les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants. Par ailleurs, les modalités de calcul de la rémunération de l’organisme de gestion collective ne sont pas non plus définies. En outre, une rémunération appropriée et proportionnée est déjà prévue dans d’autres dispositions de la loi du 19 juin 2022, notamment les articles 5, 7, 30 et 32. Les parties intervenantes précisent encore que les dispositions attaquées violent la liberté contractuelle garantie par l’article 16 de la Charte, dès lors que ces dispositions engendrent des relations commerciales complexes et coûteuses avec un organisme de gestion collective. En toute hypothèse, la restriction apportée à cette liberté est disproportionnée en ce qu’elle ne permet pas d’atteindre l’objectif fixé. En réalité, le législateur belge va plus loin que ce que le droit de l’Union européenne exige, comme la Commission européenne l’a mis en évidence.
A.100.2. Ensuite, les parties intervenantes affirment que le nouveau droit à la rémunération prévu par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 56 du TFUE, qui garantit la libre circulation des services. En effet, les dispositions attaquées ont pour effet qu’un prestataire de services de la société de l’information offrant ses services en Belgique est empêché par la loi du 19 juin 2022 de conclure un accord avec un preneur de licence d’un autre État membre. En tout état de cause, les conditions requises pour pouvoir déroger au principe de libre circulation des services ne sont pas réunies en l’espèce, puisque l’objectif d’assurer une rémunération appropriée et proportionnelle des auteurs et artistes-
interprètes ou exécutants est déjà atteint par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022.
A.100.3. Par ailleurs, les parties intervenantes soutiennent que les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022
violent le droit de propriété, comme le troisième moyen de la partie requérante dans l’affaire n° 7926 le met en évidence. En effet, le système de rémunération supplémentaire introduit par ces dispositions engendre l’obligation de payer une deuxième fois pour un droit qui a été acquis légitimement. Or, un tel système n’est autorisé qu’en vertu du mécanisme de modification du contrat prévu par l’article 20 de la directive (UE) 2019/790, tel qu’il a été transposé par le législateur belge.
A.100.4. En outre, les parties intervenantes demandent que les questions préjudicielles formulées par les parties requérantes dans l’affaire n° 7924 soient posées à la Cour de justice.
A.100.5. En réponse aux arguments du Conseil des ministres et de plusieurs autres parties intervenantes, les parties intervenantes soutiennent que la Cour est bien compétente pour contrôler le respect de dispositions de droit international, en les combinant avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.100.6. Pour le surplus, les parties intervenantes développent des arguments similaires aux griefs formulés par la partie requérante dans l’affaire n° 7926 et par les parties requérantes dans l’affaire n° 7924.
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Affaire n° 7927
Premières parties intervenantes
A.101.1. Les premières parties intervenantes soutiennent que le premier moyen formulé par les parties requérantes est fondé. Elles renvoient également, à cet égard, aux développements relatifs aux cinquième et sixième moyens dans l’affaire n° 7922. À titre subsidiaire, elles demandent qu’à la place de la question préjudicielle proposée par les parties requérantes, la deuxième question préjudicielle formulée dans l’affaire n° 7922 soit posée à la Cour de justice.
A.101.2. En ce qui concerne les deuxième et quatrième moyens formulés par les parties requérantes, les premières parties intervenantes estiment que ceux-ci sont fondés et se réfèrent aux arguments développés dans les huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922. À titre subsidiaire, elles demandent qu’à la place des questions préjudicielles proposées par les parties requérantes, les cinquième et sixième questions préjudicielles formulées dans l’affaire n° 7922 soient posées à la Cour de justice.
A.101.3. Par ailleurs, selon les premières parties intervenantes, le troisième moyen invoqué par les parties requérantes est fondé. Dans ce cadre, elles font également référence au septième moyen développé dans l’affaire n° 7922. À titre subsidiaire, à la place de la question préjudicielle proposée par les parties requérantes, elles demandent que la quatrième question préjudicielle formulée dans l’affaire n° 7922 soit posée à la Cour de justice.
Seconde partie intervenante
A.102. Les développements de la seconde partie intervenante relatifs aux articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, qui font l’objet des troisième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7927, sont, en substance, identiques à ceux qu’elle développe dans le cadre de son intervention dans l’affaire n° 7924.
Affaires nos 7922 et 7925
A.103.1. La partie intervenante examine tout d’abord le troisième moyen dans l’affaire n° 7922 et le premier moyen dans l’affaire n° 7925. Elle soutient que, contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes dans ces affaires, l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale. Selon elle, si cette directive (UE) 2019/790 a pour objectif d’harmoniser et de rapprocher les législations des États membres en fixant des principes et des objectifs généraux, elle laisse toutefois une certaine latitude aux États membres pour adopter des mesures de transposition propres à leur législation nationale et aux particularités de leurs marchés. Chaque État membre peut ainsi choisir les moyens les plus efficaces et équilibrés pour atteindre les objectifs fixés. Partant, le législateur belge était libre de déterminer les modalités et les mécanismes relatifs à l’article 15 de la directive, en particulier ceux ayant trait à la rémunération, pour autant que ceux-ci respectent les intérêts en présence ainsi que les principes généraux du droit de l’Union européenne.
A.103.2.1. Ensuite, la partie intervenante revient sur les griefs portant sur les compétences conférées à l’IBPT, développés dans les premier, deuxième et troisième moyens dans l’affaire n° 7922 ainsi que dans les premier, deuxième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7925. Elle affirme que, pour donner un effet utile à l’article 15, paragraphe 5, de la directive (UE) 2019/790, le législateur belge a décidé d’imposer aux parties de négocier de bonne foi, ce qui implique logiquement d’avoir une vue complète sur l’utilisation des publications de presse en question. Dans ce cadre, les parties ne sont nullement contraintes de conclure des contrats, dès lors que la négociation n’a lieu que pour autant que l’éditeur de presse est disposé à autoriser les exploitations précitées.
A.103.2.2. En outre, contrairement à ce que les parties requérantes affirment, l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 institue bien un système de rémunération appropriée et proportionnelle en faveur des éditeurs de presse et des auteurs d’œuvres intégrées dans ces publications de presse. Dans ce cadre, au cas où un accord n’est pas trouvé, le législateur belge a permis qu’une autorité administrative indépendante, I’IBPT, arbitre le différend en fixant un tarif. La partie intervenante relève que chacune des parties est libre de saisir I’IBPT, et ce dans un délai de quatre mois à partir de l’ouverture des négociations, ce qui constitue un délai raisonnable pour échanger des arguments et pour qu’une décision soit prise, afin que le différend n’entrave pas inutilement
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longtemps le cours des affaires des parties ni ne pénalise les auteurs en attente de la part des revenus qu’ils doivent recevoir. Par ailleurs, afin d’éviter qu’une partie ne fasse traîner les choses en longueur, le législateur a eu la sagesse de prévoir que le différend est arbitré par une autorité indépendante, à savoir l’IBPT.
La partie intervenante souligne qu’en tant qu’autorité administrative indépendante, l’IBPT dispose déjà de l’expertise nécessaire en matière de régulation des télécommunications et des services postaux en Belgique. Elle s’est également vu attribuer des compétences en matière de services de médias audiovisuels. Son service de règlement de litiges possède ainsi une longue expérience en matière de gestion impartiale et équitable de conflits concernant des fournisseurs de services, d’équipements ou de réseaux de communications électroniques et des fournisseurs de services médias audiovisuels. La prise de décisions administratives est en outre une des missions que la loi confère déjà à l’IBPT. En outre, on ne saurait faire grief à l’IBPT de n’avoir aucune expérience en matière de droits des éditeurs de presse, dès lors que la loi du 19 juin 2022 instaure précisément un nouveau mécanisme. En réalité, ce système permet d’éviter la création d’une nouvelle autorité pour traiter les conflits, dans une perspective d’efficacité et de réduction des coûts.
A.103.2.3. Selon la partie intervenante, le fait qu’une autorité administrative indépendante fixe un tarif en cas de désaccord des parties prenantes n’a rien de neuf. En effet, de nombreuses autorités administratives indépendantes sont habilitées en Belgique à fixer des tarifs et à trancher des différends. La gestion des conflits par l’IBPT et la prise de décisions contraignantes sont par ailleurs strictement encadrées par la loi. Par ailleurs, le droit voisin nouvellement instauré se veut par nature évolutif et sera sans doute source de questions d’interprétation, notamment quant à l’application ou non de certaines exceptions. La partie intervenante soutient qu’il est de l’intérêt de toutes les parties prenantes de confier à un organisme le soin de trancher au cas par cas. L’IBPT ne se substituera par ailleurs pas aux autorités judiciaires, qui pourront toujours être saisies soit en premier lieu, soit en degré d’appel. Le droit fondamental d’accès à la justice, consacré par l’article 47 de la Charte, reste entièrement garanti, puisque la partie qui aura un intérêt à introduire un recours pourra le faire devant la Cour des marchés.
À l’estime de la partie intervenante, le choix de confier la supervision des négociations et la gestion à l’IBPT
s’avère judicieux compte tenu des particularités du marché belge de l’édition. Celui-ci est en effet bilingue et très concentré car il repose sur un nombre restreint d’acteurs. Les accords entre les éditeurs de presse et les plateformes seront ainsi limités à quelques cas seulement. L’IBPT sera à même d’écouter les parties prenantes, de trancher et de trouver des solutions au cas par cas. En revanche, le marché belge des journalistes est constitué d’une pléthore d’acteurs. En confiant à ces sociétés de gestion collective le soin de négocier avec les éditeurs de presse, le cas échéant par l’intermédiaire d’une convention collective et sous la supervision d’une commission en cas de litiges, le législateur belge tient compte de cette réalité.
A.103.3.1. Au sujet du droit d’information, sur lequel portent le premier moyen dans l’affaire n° 7922 et le troisième moyen dans l’affaire n° 7925, la partie intervenante soutient que le législateur belge a transposé fidèlement l’obligation de transparence garantie par l’article 19 de la directive (UE) 2019/790 vis-à-vis des éditeurs de presse par les prestataires de services de la société de l’information. À cet égard, il a pris le soin de limiter textuellement les informations qui sont visées. Cette obligation d’information n’est ni excessive ni disproportionnée mais apparaît nécessaire pour permettre une application cohérente du droit voisin par les parties, dans le cadre de la négociation entre elles. Il s’agit d’une juste contrepartie à l’utilisation de publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information. La partie intervenante ajoute que, comme il s’agit d’une obligation légale, les prestataires de services de la société de l’information ne peuvent y opposer la protection des secrets d’affaires ou des données à caractère personnel. La partie intervenante relève encore que la loi prévoit certaines restrictions quant aux finalités pour lesquelles ces données peuvent être utilisées et quant au caractère confidentiel des informations, précisément en vue de protéger les modèles économiques des prestataires de services de la société de l’information.
A.103.3.2. La partie intervenante précise qu’en pratique, l’obtention des informations précitées par les éditeurs de presse ne leur permettra ni plus ni moins que de prendre connaissance des informations relatives à l’exploitation de leurs propres publications de presse et aux revenus générés par celle-ci. Une divulgation illicite de secrets d’affaires ou d’informations relatives à la stratégie de plateformes n’est donc pas à craindre. Par ailleurs, le caractère unilatéral de l’obligation d’information, critiqué par les parties requérantes, découle du système voulu
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par le législateur européen et se justifie pleinement. En effet, le système vise à protéger la partie faible dans les négociations en lui permettant l’accès à des informations pertinentes relatives à l’exploitation des œuvres et autres objets protégés.
En ce qui concerne l’obligation d’information des éditeurs de presse à l’égard des auteurs dont les œuvres sont intégrées dans une publication de presse, les mêmes restrictions quant aux finalités et au caractère confidentiel sont prévues par la loi. De plus, seuls les sociétés de gestion ou les organismes de gestion collective représentant les auteurs sont habilités à recevoir l’information. Ces sociétés et organismes sont également strictement réglementés par la loi, de sorte qu’aucune fuite n’est à craindre. En toute hypothèse, les informations qui seront transmises à ces sociétés de gestion collective ne concerneront que le montant de la rémunération perçue par les éditeurs de presse.
A.103.3.3. Par ailleurs, la partie intervenante soutient que les parties requérantes figurent parmi les entreprises les plus puissantes du monde, en particulier dans le domaine du traitement de l’information en ligne et de tout type de données, de sorte qu’elles n’ont aucune difficulté, que ce soit en termes techniques ou humains, à respecter la loi et les obligations qui en découlent.
A.103.4.1. La partie intervenante examine ensuite les exceptions au régime prévu par l’article 15 de la directive, dont il est question dans les trois premiers moyens de l’affaire n° 7925. Elle relève que l’article XI.216/2, § 4, tel qu’il a été introduit par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, prévoit que certaines publications de presse sont exclues du régime, à savoir les hyperliens, les utilisations de mots isolés ou de très courts extraits et les utilisations d’œuvres dont la protection a expiré. La partie intervenante allègue qu’il s’agit d’une transposition textuelle de l’article 15, paragraphe 1, troisième et quatrième alinéas, de la directive (UE) 2019/790, lu à la lumière des considérants nos 57 et 58 de cette directive. Ce système n’entraîne aucune obligation de surveillance permanente, mais suppose uniquement que le service concerné devra obtenir les autorisations des éditeurs de presse chaque fois qu’il entend utiliser elle-même les publications de presse, sauf si une exception s’applique.
A.103.4.2. Par ailleurs, la partie intervenante soutient que la question de savoir si les publications de presse sont protégées ou non par le droit d’auteur n’est pas pertinente, dès lors que le régime de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne porte pas sur des œuvres, mais sur des publications de presse. Cependant, il est clair qu’une publication de presse est dans la majorité des cas protégée par le droit d’auteur, comme la jurisprudence de la Cour de justice le met en évidence.
En outre, contrairement à ce que la partie requérante dans l’affaire n° 7925 indique, si la publication de presse publiée sur la plateforme consiste uniquement en un hyperlien mis en ligne par l’éditeur de presse ou l’utilisateur, le service concerné n’est pas soumis à la disposition attaquée, puisque les hyperliens ne sont pas visés par le régime. La partie intervenante ajoute que la partie requérante précitée tire un avantage des publications de presse qui circulent sur sa plateforme, dès lors qu’elle oblige ses utilisateurs à lui accorder des droits d’exploitation sur les contenus qui sont mis en ligne sur le service Facebook, comme ses conditions générales l’indiquent. Partant, les publications de presse, même versées par les éditeurs de presse et les utilisateurs, font partie intégrante de la réussite du modèle économique de la partie requérante et constituent un pilier fondamental de sa stratégie en matière de publicité.
A.103.5. Enfin, en ce qui concerne les demandes de questions préjudicielles, la partie intervenante constate que la partie requérante dans l’affaire n° 7925 est la seule partie dans les affaires jointes à demander que la Cour de justice soit interrogée au sujet de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, sans doute de manière dilatoire. En réalité, il n’y a pas lieu de poser les questions préjudicielles, dès lors que la directive se limite à établir la direction que le législateur national doit suivre. En outre, l’article 15 est suffisamment clair et sa lecture ne laisse place à aucun doute raisonnable.
Affaires nos 7922, 7924 et 7926
A.104.1. À titre principal, les parties intervenantes affirment soutenir pleinement les arguments développés par les parties requérantes dans l’affaire n° 7922 à l’appui de leurs quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième moyens, par les parties requérantes dans l’affaire n° 7924 à l’appui de leurs deux moyens et
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par la partie requérante dans l’affaire n° 7926 à l’appui de son premier moyen et de la seconde branche de son deuxième moyen, tout en renvoyant aux griefs similaires développés dans l’affaire n° 7927.
Elles ajoutent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne peut pas constituer une base juridique valable pour le droit à rémunération établi par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 et par les articles 60 à 62 de la même loi. En effet, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne s’applique qu’aux relations entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et les entités avec lesquelles ceux-ci ont directement conclu un accord de licence ou de cession, d’autre part. Pour le surplus, les parties intervenantes affirment que les articles 54 et 60
à 62 de la loi du 19 juin 2022 restreignent de manière injustifiée la liberté contractuelle de multiples acteurs de l’industrie de la musique enregistrée.
A.104.2. À titre subsidiaire, les parties intervenantes demandent que plusieurs questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice.
A.104.3.1. La première question vise à déterminer si l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, aux auteurs et aux artistes-
interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, constitue une « règle technique » au sens de cette disposition, dont le projet doit faire l’objet d’une communication préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.
A.104.3.2. La deuxième question vise à déterminer si l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ou octroyé en licence leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au fournisseur de services de partage de contenus en ligne.
A.104.3.3. La troisième question vise à déterminer si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ou octroyé en licence leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au fournisseur de services de partage de contenus en ligne et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs et/ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
A.104.3.4. La quatrième question vise à déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ou octroyé en licence leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au fournisseur de services de partage de contenus en ligne et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs et/ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
A.104.3.5. La cinquième question vise à déterminer si l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains services de la société de l’information tels que les services de streaming, aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, constitue une « règle technique » au sens de cette disposition, dont le projet doit faire l’objet d’une communication préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.
A.104.3.6. La sixième question vise à déterminer si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains
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services de la société de l’information tels que les services de streaming aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au service de la société de l’information et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs et/ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
A.104.3.7. La septième question vise à déterminer si les articles 3 et 5 de la directive 2001/29/CE s’opposent à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains services de la société de l’information tels que les services de streaming aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au service de la société de l’information et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs et/ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
A.104.3.8. La huitième question vise à déterminer si l’article 56 du TFUE s’oppose à des dispositions législatives nationales octroyant un droit incessible, auquel il ne peut être renoncé et devant obligatoirement faire l’objet d’une gestion collective, à une rémunération supplémentaire de la part de certains services de la société de l’information tels que les services de streaming aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont transféré leur droit de mise à la disposition du public, lorsque ce droit est dérivé du droit de mise à la disposition du public déjà octroyé en licence au service de la société de l’information et lorsqu’un système établi de pratiques contractuelles garantit déjà que les auteurs et/ou les artistes-interprètes ou exécutants sont rémunérés de manière appropriée et proportionnelle.
Affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927
A.105.1. Tout d’abord, les parties intervenantes soutiennent que le quatrième moyen soulevé par les parties requérantes dans l’affaire n° 7922 est fondé. Selon les parties intervenantes, bien que les développements contenus dans ce moyen ne portent que sur l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, ceux-ci s’appliquent mutatis mutandis aux articles 60 à 62 de cette loi. Les parties intervenantes affirment que les articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 constituent indubitablement des règles relatives aux services de la société de l’information au sens de la directive (UE) 2015/1535, qui doivent être notifiées à la Commission européenne. La législation en matière de propriété intellectuelle est également manifestement soumise à cette obligation. Or, le projet à l’origine de la loi du 19 juin 2022 n’a pas fait l’objet d’une telle notification. Les parties intervenantes allèguent à cet égard que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, l’absence de notification doit être soulevée par toute juridiction nationale, même d’office, et la simple constatation de l’absence de notification suffit à rendre les dispositions du droit national inapplicables sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen plus approfondi.
Les parties intervenantes ajoutent que l’exception à la notification, prévue par l’article 7 de la directive (UE) 2015/1535, ne peut pas être invoquée.
A.105.2. À titre subsidiaire, les parties intervenantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer si l’établissement, par et en vertu de la législation d’un État membre, d’un droit à rémunération inaliénable et incessible en faveur des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants qui ont contribué à une œuvre sonore ou audiovisuelle, à charge, d’une part, des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne pour les œuvres sonores ou audiovisuelles partagées par les utilisateurs sur la plateforme de partage de contenus en ligne et, d’autre part, des prestataires d’un service de la société de l’information – service dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est d’offrir, à des fins lucratives, une grande quantité d’œuvres sonores et/ou audiovisuelles protégées par le droit d’auteur ou des droits voisins et par lequel 1) les utilisateurs ont le droit d’accéder aux œuvres sonores ou audiovisuelles proposées moyennant un paiement récurrent en espèces ou sans ce paiement, 2) les utilisateurs ne peuvent pas acquérir une reproduction permanente de l’œuvre à laquelle ils accèdent, 3) les utilisateurs ont accès aux œuvres sonores ou audiovisuelles proposées en un lieu et à un moment qu’ils choisissent individuellement et 4) le prestataire de services a la responsabilité éditoriale de la fourniture et de l’organisation de ce service, y compris la disposition, le classement et la promotion des œuvres sonores ou audiovisuelles –, étant entendu qu’en l’absence de convention collective, ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un organisme de gestion collective représentant respectivement les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, constitue une règle relative aux services au sens de l’article 1er, paragraphe 1, e), et une règle technique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535.
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A.106.1. Les parties intervenantes affirment ensuite que le premier moyen dans l’affaire n° 7927 ainsi que les cinquième et sixième moyens dans l’affaire n° 7922 sont fondés. Selon elles, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 est une disposition qui vise une harmonisation maximale. La transposition belge de cette disposition, par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, n’est pas correcte car elle crée un droit à rémunération en faveur des auteurs et des artistes-interprètes qui n’est tout simplement pas prévu à l’article 17 de la directive. Par ailleurs, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 limite à tort la portée et l’étendue des droits exclusifs, à savoir le droit d’auteur et les droits voisins, que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants tirent de l’article 3 de la directive 2001/29/CE. En effet, il prévoit que le droit à la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes est en partie inaliénable et incessible, mais aussi que ce droit fait l’objet d’une gestion collective obligatoire, de sorte que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 altère la valeur économique du droit que les auteurs ou les artistes-
interprètes ou exécutants peuvent concéder sous licence ou transférer. Ce système conduit à un régime national distinct et donc à une incertitude juridique, ce que la directive (UE) 2019/790 cherche précisément à éviter.
A.106.2. Les parties intervenantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 va à l’encontre de la ratio legis et de l’objectif même de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, qui est de promouvoir l’octroi de licences efficaces dans le marché unique numérique, en modifiant les pratiques bien établies dans le secteur des jeux vidéo, par l’introduction d’un droit à rémunération supplémentaire, géré collectivement et applicable sur le territoire d’un État membre de l’UE, qui existe parallèlement aux utilisations de licences existantes, ce qui entraîne des frictions, une insécurité juridique et une complexité non souhaitées et inutiles dans le processus d’octroi de licences.
A.107.1. Par ailleurs, les parties intervenantes affirment que le huitième moyen dans l’affaire n° 7922 et le deuxième moyen dans l’affaire n° 7927 sont fondés. Elles soulignent à cet égard que l’introduction d’un droit à rémunération inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants perturbe de manière illégale et disproportionnée le cadre contractuel existant entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les membres des parties intervenantes. En vertu de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, les fournisseurs auront désormais l’obligation de conclure un accord à la fois avec les titulaires de droits ainsi qu’avec les sociétés de gestion représentant les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants, ce qui augmentera considérablement les coûts de transaction et l’incertitude juridique. En outre, les parties intervenantes soutiennent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 entrave le commerce transfrontalier et la libre circulation des services. En effet, il perturbe et complique les pratiques actuelles d’octroi et de cession de licences dans le secteur et crée un régime belge spécifique d’octroi et de cession de licences qui diffère des régimes en vigueur dans d’autres États membres.
A.107.2. Les parties intervenantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne répond pas aux critères requis afin qu’une restriction à la libre circulation des services de la société de l’information soit admissible. En effet, la mesure prévue par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne peut pas être justifiée sur la base de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31/CE, dès lors que cette disposition ne concerne que les restrictions portant sur un prestataire de services bien défini et non sur une restriction générale telle que celle prévue par le législateur belge. En outre, l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31/CE n’autorise les restrictions que pour des raisons d’ordre public, de protection de la santé publique, de sécurité publique et de protection des consommateurs. En toute évidence, la protection des intérêts de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant ou l’élimination d’un prétendu écart de valeur ne relèvent pas des exceptions précitées.
Les parties intervenantes précisent encore que, par leur nature, les droits à rémunération ne sont pas des droits d’auteur ou des droits voisins stricto sensu mais bien des droits économiques. En l’espèce, la loi du 19 juin 2022
n’établit aucune limitation des droits exclusifs de l’auteur ou de l’artiste-interprète ou exécutant et il n’existe donc pas de contrepartie comme c’est normalement le cas pour le droit à rémunération. Au contraire, le droit à rémunération prévu par l’article 54 de cette loi constitue une compensation additionnelle de facto sous la forme d’un subside fourni aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants. Il est donc clair que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE s’oppose au droit à rémunération précité, étant donné qu’il s’agit en réalité d’une subvention ou d’une mesure d’aide en faveur des auteurs ou des artistes-interprètes ou exécutants.
A.107.3. Les parties intervenantes affirment qu’en tout état de cause, l’article 54 de loi du 19 juin 2022 viole l’article 56 du TFUE, tout d’abord en ce que le droit à la rémunération qu’il prévoit induit une discrimination sur la base de la nationalité. En effet, les principaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne opèrent à partir d’États membres autres que la Belgique. Les fournisseurs qui sont établis dans un autre État membre et qui, en outre, offrent leurs services en Belgique à partir de cet autre État membre opèrent, par définition, dans un
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environnement transfrontalier et peuvent donc se prévaloir de la libre circulation des services. À la suite de l’introduction de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, ces fournisseurs devront désormais mener des négociations supplémentaires et distinctes pour le territoire belge et devront supporter des coûts de transaction supplémentaires.
Les parties intervenantes renvoient à cet égard au neuvième moyen dans l’affaire n° 7922. Elles soulignent que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne établis dans d’autres États membres et offrant leurs services en Belgique, entre autres, sont confrontés à une double charge par rapport aux fournisseurs établis en Belgique et offrant leurs services uniquement au public belge.
Pour le surplus, les parties intervenantes allèguent que le droit à la rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas justifié par un intérêt public supérieur. Elles supposent que l’objectif poursuivi est lié au fait que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ne sont pas rémunérés de manière adéquate et qu’ils sont désavantagés par la diffusion en continu d’œuvres par l’intermédiaire des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Ce n’est pas une raison impérieuse d’intérêt général, dès lors que des raisons purement économiques sont exclues de cette notion par la jurisprudence de la Cour de justice. Par ailleurs, les parties intervenantes relèvent qu’il existe déjà un droit général contractuel à une rémunération équitable et appropriée en faveur des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants.
Les parties intervenantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est disproportionné, dès lors qu’il existe d’autres moyens pour atteindre l’objectif d’une rémunération appropriée pour les auteurs et les artistes-
interprètes ou exécutants, sans qu’il soit nécessaire d’introduire un droit à rémunération spécifique à la Belgique.
Les parties intervenantes se réfèrent en particulier au droit à une rémunération appropriée et proportionnelle dans une relation contractuelle, tel que visé par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Par ailleurs, le droit à la rémunération attaqué n’est pas adapté au secteur des jeux vidéo, dès lors que l’industrie bénéficie de la distribution gratuite d’enregistrements de sessions de jeux vidéo par l’intermédiaire des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Cette publicité gratuite augmente la demande de jeux vidéo auprès du grand public. Or, le droit à la rémunération menace d’engendrer un effet dissuasif et de réduire la visibilité en ligne du contenu des jeux vidéo, freinant ainsi la demande pour cet important produit culturel.
A.108. Ensuite, les parties intervenantes affirment que le septième moyen dans l’affaire n° 7922 est fondé, dès lors que les articles 18 et suivants de la directive (UE) 2019/790 prévoient déjà une rémunération appropriée dans la sphère contractuelle, par le biais de mécanismes spécifiques. À cet égard, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ajoute un mécanisme supplémentaire sans fondement en droit européen, à savoir un droit légal à l’indemnisation, alors qu’un tel droit n’est pas prévu par l’article 18 de la directive précitée et a même été explicitement refusé par le législateur européen au cours du processus d’adoption de cette directive.
A.109.1. Les parties intervenantes soutiennent que le troisième moyen dans l’affaire n° 7927, le premier moyen dans l’affaire n° 7926 et le premier moyen dans l’affaire n° 7924 sont fondés. Elles soutiennent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 vise clairement à assurer une compensation appropriée et proportionnelle dans la sphère contractuelle et ne peut donc pas constituer une base juridique pour un droit de compensation supplémentaire et extracontractuel qui restreint illégalement la liberté contractuelle des parties concernées. Un droit de compensation extracontractuel tel que prévu par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 n’est donc pas conforme à l’article 18 de la directive. Par ailleurs, cette disposition s’oppose à l’interprétation du droit à une compensation appropriée et proportionnelle telle qu’envisagée par le législateur belge. En effet, la notion de rémunération appropriée et proportionnelle doit être interprétée de manière uniforme conformément au droit de l’Union européenne. Le législateur belge ne peut donc pas aller au-delà de ce que le droit de l’Union européenne exige pour garantir une rémunération appropriée et proportionnelle.
A.109.2. À l’estime des parties intervenantes, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à la double rémunération de l’auteur ou de l’artiste-interprète ou exécutant. Or, les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022
induisent une telle double rémunération, en raison de la combinaison de la rémunération contractuelle versée par le producteur à l’auteur ou à l’artiste-interprète ou exécutant – qui doit déjà être appropriée et proportionnelle conformément aux articles XI.167/1 et XI.205/1 du Code de droit économique –, d’une part, et de la rémunération supplémentaire désormais prévue aux articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, d’autre part.
A.109.3. Les parties intervenantes ajoutent que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 créent une insécurité juridique en raison de l’imprécision des dispositions attaquées, qui ne fixent aucun critère concernant l’étendue du droit à rémunération, la méthode de calcul ou encore le cadre de négociation, et qu’ils restreignent également le commerce transfrontalier et l’octroi de licences sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
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A.110.1. Ensuite, les parties intervenantes soutiennent que le quatrième moyen dans l’affaire n° 7927, le premier moyen dans l’affaire n° 7926 et le premier moyen dans l’affaire n° 7924 sont fondés. Elles soutiennent que le droit à la rémunération prévu par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 emporte une restriction à la libre circulation des services de la société de l’information, ce qui est contraire à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE, et qu’il constitue une subvention déguisée ou un mécanisme de soutien pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants belges.
En ce qui concerne la violation de l’article 56 du TFUE, les parties intervenantes soutiennent que le droit à la rémunération attaqué induit une discrimination fondée sur la nationalité et que ce droit n’est pas justifié par une raison impérieuse d’intérêt général, dès lors qu’il n’existe aucun élément démontrant qu’il existe réellement un problème de rémunération insuffisante pour tout type d’œuvre audiovisuelle, et en particulier pour les jeux vidéo, qui entraînerait la nécessité de prévoir une rémunération supplémentaire pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants. Elles soulignent aussi que les articles 18 et suivants de la directive (UE) 2019/790 prévoient déjà une rémunération appropriée et proportionnelle pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et que l’objectif du législateur de lutter contre le prétendu pouvoir de négociation de Spotify, Netflix, Prime ou Disney+
n’est pas pertinent pour l’industrie des jeux vidéo.
A.110.2. En tout état de cause, selon les parties intervenantes, le droit à la rémunération attaqué n’est pas approprié pour atteindre l’objectif déclaré de renforcer les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants dans leur position de négociation, supposée faible. En effet, ce droit pénalise le streaming, qui est une technologie émergente cruciale pour la distribution des jeux vidéo au grand public.
Affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927
Première partie intervenante
A.111.1. La première partie intervenante soutient tout d’abord que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas contraire à l’article 17 de la directive (UE) 2019/790. Elle relève que cette dernière disposition ne peut pas être interprétée comme s’opposant à la mise en place par un État membre d’un droit à rémunération incessible soumis à gestion collective obligatoire, dès lors que le législateur européen est totalement muet sur la question de la rémunération et des modalités de celle-ci. En outre, même à supposer que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790
soit d’harmonisation maximale, comme le soutiennent certaines parties requérantes, cette harmonisation est en tout état de cause limitée à l’objet visé par l’article 17 – c’est-à-dire l’acte de communication au public ou de mise à disposition du public effectué par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne en lien avec les œuvres et objets téléversés par les utilisateurs – ainsi qu’à la responsabilité des fournisseurs précités. À l’inverse, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 ne saurait être considéré comme étant d’harmonisation maximale par rapport à des questions qu’il ne règle pas, comme les modalités de négociation, de conclusion et d’obtention des autorisations par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne.
A.111.2. À l’estime de la première partie intervenante, le considérant n° 61 de la directive (UE) 2019/790
atteste du fait que les États membres disposent d’une large marge de manœuvre lors de la transposition de cette directive en vue de réguler les autorisations et les accords qui doivent être conclus entre les titulaires de droit et les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Partant, tant le libellé même de l’article 17 que le considérant n° 61 de la directive (UE) 2019/790 réfutent l’idée que cette directive serait d’harmonisation maximale en matière de mécanismes et de modalités relatives aux autorisations à obtenir par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Les orientations relatives à l’article 17, adoptées par la Commission européenne, vont dans le même sens.
A.112.1. Ensuite, la première partie intervenante allègue que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas contraire à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elle soutient que l’article 18 n’est pas limité à l’encadrement de la relation entre, d’une part, l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant et, d’autre part, son cocontractant direct.
Cette disposition prévoit, de manière générale, un principe de rémunération appropriée et proportionnelle, de sorte que, lorsque les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants cèdent ou donnent en licence leurs droits exclusifs, ils ont le droit de percevoir une telle rémunération. À l’inverse, il n’est pas précisé qui doit payer cette rémunération. Partant, rien n’interdit qu’un tiers soit redevable de celle-ci. La première partie intervenante ajoute que, selon le considérant n° 73 de la directive (UE) 2019/790, la gestion collective est un mécanisme expressément envisagé pour garantir le principe de rémunération appropriée et proportionnelle.
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A.112.2.1. La première partie intervenante affirme que le but poursuivi par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est de garantir aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants une rémunération appropriée lorsque leurs œuvres et leurs prestations sont exploitées par des prestataires de services de partage de contenus en ligne, à la suite de téléversements par les utilisateurs. Pour satisfaire cet objectif, le législateur belge a prévu deux mesures.
Premièrement, il a souhaité établir un droit à rémunération incessible, de sorte que ce droit demeure, quoi qu’il arrive, acquis à son titulaire. Deuxièmement, il a instauré une gestion collective obligatoire de ce droit à rémunération, justifié par la force de négociation dont une société de gestion collective dispose, en vue de donner de meilleurs résultats qu’une négociation isolée et individuelle. Ces mesures sont par ailleurs d’application limitée, dès lors qu’elles ne visent que l’hypothèse particulière de communication au public dans le contexte spécifique des services de partage de contenus en ligne, lorsque les œuvres ou les prestations ont été téléversées par des tiers, à savoir les utilisateurs des services, et ce, précisément parce que dans ce contexte, le législateur a estimé qu’il était très difficile d’obtenir une rémunération appropriée. Une résolution du Parlement européen fait également écho à cette problématique, tout en précisant que la gestion collective des droits est un moyen de protéger les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants face aux différentes plateformes qui dominent le marché.
A.112.2.2. La première partie intervenante soutient ensuite que le législateur belge a tenu compte d’un juste équilibre des droits et des intérêts en présence, en vue de renforcer, dans une mesure proportionnée et limitée, la position des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, vis-à-vis des prestataires de services de partage de contenus en ligne, au moyen de la gestion collective obligatoire, et, d’autre part, vis-à-vis de leurs cocontractants, par l’incessibilité du droit à la rémunération.
A.112.2.3. Par ailleurs, la première partie intervenante relève que l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant n’est pas obligé de céder son droit de communication au public, qui constitue un droit exclusif. Cependant, dans l’hypothèse où une cession a lieu, une rémunération appropriée et incessible est prévue par la loi. De la sorte, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est conforme au considérant n° 61 de la directive (UE) 2019/790. En aval, le cessionnaire de l’auteur ou de l’artiste-interprète ou exécutant a toujours la possibilité d’interdire la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne, ce qui confirme que le droit en cause est exclusif. Par son arrêt n° 128/2016, précité, la Cour a d’ailleurs jugé que l’existence d’un droit à rémunération incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants ne remet nullement en cause le caractère exclusif du droit d’autoriser ou d’interdire un acte de communication au public. En outre, l’examen de la dernière partie du considérant n° 61 de la directive (UE) 2019/790 indique que, dès l’instant où les titulaires de droits ne se voient pas contraints de donner leur autorisation ou de conclure des accords de licence, la liberté contractuelle est suffisamment préservée.
A.112.2.4. En ce qui concerne les griefs des parties requérantes selon lesquels le système prévu par l’article 54 de loi du 19 juin 2022 empêche de céder ou de donner en licence le droit de communication au public, à titre gratuit, la première partie intervenante relève que la gratuité d’un transfert de droits est, par définition, limitée lorsqu’il y a matière à gestion collective. Par ailleurs, même dans le contexte d’une gestion collective, la gratuité n’est pas totalement exclue. En réalité, ce problème est surtout d’ordre théorique, dès lors que, pour la très grande majorité des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, l’objectif est d’être rémunéré, de sorte que la question de la cession à titre gratuit ne se pose pas vraiment.
A.112.2.5. Enfin, même dans l’hypothèse où l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 empêcherait les cessions à titre gratuit, il s’agirait d’une limitation très circonscrite et justifiée par l’objectif poursuivi. En effet, la liberté contractuelle peut être limitée pour assurer l’objectif de rémunération appropriée prévu par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. D’ailleurs, le législateur européen lui-même a déjà, par le passé, prévu un droit à la rémunération incessible pouvant être soumis à une gestion collective obligatoire en vue de garantir une rémunération aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants, de sorte que le législateur belge a mis en œuvre un mécanisme qui existait déjà en droit de l’Union européenne. À cet égard, rien ne s’oppose à ce qu’un législateur national, dans le cadre de la marge de manœuvre dont il dispose, s’inspire de mécanismes prévus par le droit de l’Union européenne poursuivant le même objectif.
A.112.3. En ce qui concerne la position exprimée en 2021 par les services de la Commission européenne, selon laquelle le droit à la rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas conforme aux articles 17 et 18 de la directive (UE) 2019/790, la première partie intervenante relève tout d’abord qu’il ne s’agit que d’un simple avis et non d’un acte officiel ou d’un acte à valeur interprétative contraignante. Ensuite, elle soutient que cette position repose entièrement sur la prémisse selon laquelle l’article 17 de la directive serait d’harmonisation maximale et empêcherait l’adoption d’un droit à rémunération incessible, soumis à une gestion
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collective obligatoire. Selon la première partie intervenante, cette position ne saurait être suivie, dès lors que l’article 17 ne règle pas la question des autorisations qui doivent être obtenues par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne.
A.112.4. La première partie intervenante opère ensuite un parallèle avec l’arrêt n° 128/2016 de la Cour, qui concernait, en matière de retransmission par câble, un droit à rémunération incessible au profit des auteurs ou artistes-interprètes et exécutants, soumis à gestion collective obligatoire. Cette matière était par ailleurs aussi régie par une directive européenne qui, comme en l’espèce, ne prévoyait pas de mécanisme de droit à rémunération incessible soumis à gestion collective. La première partie intervenante relève que, par son arrêt précité, la Cour a rejeté le recours en annulation. Partant, il existe déjà, en droit belge, une disposition dont la portée est similaire à celle de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui a été expressément maintenue par la Cour, dans un contexte institutionnel européen semblable. À l’occasion de cet arrêt, la Cour a également validé l’objectif d’assurer une rémunération adéquate aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants, qu’elle a jugé raisonnable et justifié.
A.113.1. Au sujet des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, la première partie intervenante estime que le système mis en place par le législateur belge n’est pas contraire à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elle observe, en premier lieu, que l’article 17 de cette directive n’est pas pertinent au regard des dispositions précitées de la loi du 19 juin 2022, dès lors que les prestataires visés dans ces dispositions ne sont pas des fournisseurs de services au sens de l’article 17 de la directive. En ce qui concerne l’article 18 de la directive, la première partie requérante renvoie dans une large mesure aux développements relatifs à la conformité de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 avec cette disposition, dès lors que les mécanismes mis en place par l’article 54 et par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 sont très similaires, tout comme l’objectif poursuivi par leur adoption.
A.113.2. En particulier, la première partie intervenante relève que les mesures contenues dans l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 ne s’appliquent qu’à l’hypothèse particulière du droit de communication au public d’œuvres sonores et/ou audiovisuelles par un prestataire de services de la société de l’information. La définition d’un tel prestataire est d’ailleurs très précise, ce qui limite l’application de la règle. L’article 62 de la loi du 19 juin 2022
ne régit donc pas toutes les applications possibles du droit de communication au public. Le législateur belge a également respecté l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790, qui impose aux États membres de tenir compte d’un juste équilibre des droits et des intérêts en cause lorsqu’ils mettent en œuvre le mécanisme de leur choix dans le but de garantir une rémunération appropriée. Il a veillé à renforcer, dans une mesure proportionnée et limitée, la position des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores et/ou audiovisuelles par rapport aux prestataires de services de la société de l’information. La première partie intervenante ajoute que le recours à la gestion collective obligatoire, tel que prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, est d’autant plus proportionné qu’il n’intervient qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire s’il n’existe pas de convention collective applicable.
A.113.3. La première partie intervenante précise encore qu’en vertu de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant a toujours la possibilité de ne pas céder son droit de communication au public. De même, le producteur, à qui le droit exclusif a été cédé, a toujours la possibilité d’interdire la communication au public par un prestataire de services de la société de l’information. En ce qui concerne la liberté contractuelle, qui n’est pas absolue, elle réitère son observation selon laquelle la gestion collective est compatible avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
A.113.4. Enfin, en ce qui concerne les difficultés qu’auraient les sociétés de gestion collective pour identifier les personnes qui ont le droit à la rémunération incessible, pour calculer la part correcte qui revient à chacun ou encore pour déterminer si l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant a cédé ses droits à un producteur, la première partie intervenante soutient que ces difficultés sont inhérentes au travail quotidien des sociétés de gestion collective et que celles-ci jouissent d’un savoir-faire considérable à cet égard.
Deuxièmes parties intervenantes
A.114.1. À titre préalable, les deuxièmes parties intervenantes observent notamment que les articles 54 et 62
de la loi du 19 juin 2022 trouvent leur fondement non pas dans l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, mais bien dans l’article 18 de cette directive, qui est d’harmonisation minimale. En effet, l’article 18 autorise explicitement les États membres à utiliser différents mécanismes, dans le respect de la liberté contractuelle et du
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juste équilibre entre les droits et les intérêts en présence, afin d’assurer une rémunération adéquate et proportionnée des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants. En toute hypothèse, le cadre normatif de l’Union européenne autorise les régimes de gestion collective obligatoire. Les deuxièmes parties intervenantes ajoutent que l’approche retenue par le législateur belge a été approuvée et confirmée par une résolution du Parlement européen du 20 octobre 2021. Elles soulignent également qu’une directive a été adoptée afin de réglementer la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins, ce qui atteste que le mécanisme ne pose pas de problème de principe au législateur européen. En toute hypothèse, les sociétés de gestion collective sont soumises à de nombreuses obligations ainsi qu’à des contrôles, et ce, tant en vertu du droit dérivé de l’Union européenne que du droit belge.
Les deuxièmes parties intervenantes précisent également que les dispositions attaquées s’inspirent de mécanismes antérieurs issus du droit de l’Union européenne, du droit interne d’autres États membres et du droit belge lui-même. D’ailleurs, un système similaire à celui prévu par les dispositions attaquées a été validé par la Cour en ce qui concerne la retransmission par câble. Les deuxièmes parties intervenantes soulignent aussi que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur le mode d’élaboration des lois, ce qui fait l’objet de plusieurs griefs dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927. Ensuite, les deuxièmes parties intervenantes démontrent que les dispositions attaquées n’entraînent pas réellement de risque de double paiement. En réalité, elles induisent des redevances supplémentaires distinctes couvrant différentes exploitations par différentes parties. Dans des cas exceptionnels, un double paiement pourrait effectivement se produire, mais le montant sera généralement si insignifiant que ce dernier ne peut pas être considéré comme une rémunération appropriée et proportionnelle au sens de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Le droit comparé atteste également de l’absence de risque de double paiement in concreto.
A.114.2. En outre, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent qu’il n’y a pas lieu de faire droit aux différentes demandes de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice formulées dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927, dès lors que les articles 17 et 18 de la directive (UE) 2019/790 sont suffisamment clairs en ce qu’ils permettent au législateur belge d’opter pour un mécanisme de droit à rémunération incessible, soumis au régime de gestion collective obligatoire, en ce qui concerne les plateformes de partage et les services de streaming.
A.115.1. Les deuxièmes parties intervenantes affirment que le quatrième moyen dans l’affaire n° 7922 est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.115.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur le quatrième moyen dans l’affaire n° 7922, dès lors que celui-ci est pris de l’absence de notification à la Commission européenne et qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le mode d’élaboration de la loi.
A.115.3. À titre infiniment subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes allèguent que le quatrième moyen dans l’affaire n° 7922 n’est pas fondé. Tout d’abord, elles affirment que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas une règle technique au sens de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535, de sorte que cette dernière disposition ne s’applique pas en l’espèce. Dans l’hypothèse où l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 devrait être considéré comme une règle technique, les deuxièmes parties intervenantes précisent qu’il y a lieu d’appliquer l’exception à l’obligation de notification contenue dans l’article 7 de la directive (UE) 2015/1535.
A.116.1. En ce qui concerne le cinquième moyen dans l’affaire n° 7922, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 et des articles 3 et 5 de la directive 2001/29/CE, lus en combinaison avec les articles 10
et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.116.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes allèguent que le cinquième moyen dans l’affaire n° 7922 n’est pas fondé.
A.116.3.1. En ce qui concerne la première branche, elles rappellent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
ne transpose pas l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, mais bien l’article 18 de cette directive, lequel ne
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prévoit pas une harmonisation maximale. Les deuxièmes parties intervenantes ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 prévoit simplement une rémunération garantie pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants en cas de cession d’un droit exclusif. Il s’agit d’un droit unique dont deux aspects peuvent appartenir à deux titulaires de droits différents. Par ailleurs, l’article 54 ne réduit pas non plus le droit de communication au public à un simple droit à rémunération. Par conséquent, la liberté contractuelle de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant est également sauvegardée. L’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est donc conforme à l’objectif général du législateur européen d’accorder aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants un degré élevé de protection.
A.116.3.2. En ce qui concerne la seconde branche du cinquième moyen dans l’affaire n° 7922, les deuxièmes parties intervenantes rappellent tout d’abord que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants disposent du choix de céder ou non leurs droits exclusifs, de sorte que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est conforme au droit de l’Union européenne. Par ailleurs, le choix du législateur belge en faveur d’un droit résiduel à rémunération avec gestion collective obligatoire vise à protéger les intérêts des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, compte tenu de leur position de négociation économiquement et juridiquement plus faible, mais aussi du contexte économique. Ce choix du législateur présente de nombreux avantages et apparaît conforme aux objectifs du législateur européen. À cet égard, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la gestion collective est encouragée par plusieurs dispositions de droit de l’Union européenne. Elles ajoutent que cette gestion constitue une mesure proportionnée, comme cela ressort du champ d’application limité à l’exercice du droit résiduel à rémunération vis-à-vis des fournisseurs de plateformes de partage et de services de streaming. Les deuxièmes parties intervenantes soulignent aussi que les sociétés de gestion opèrent dans un cadre juridique strict, qui en réglemente à la fois le fonctionnement et la supervision.
A.117.1. Ensuite, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que le sixième moyen dans l’affaire n° 7922 est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.117.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes rappellent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne transpose pas l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 et précisent que le droit à la rémunération découle de l’obtention du consentement du titulaire de droits, requis en vertu du paragraphe 1 de l’article 17 de la directive, distinct du régime de responsabilité prévu par son paragraphe 4, qui ne s’applique qu’en l’absence de consentement.
A.118.1. En ce qui concerne le septième moyen dans l’affaire n° 7922, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.118.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes rappellent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale, de sorte que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
peut ajouter des éléments supplémentaires. Selon les deuxièmes parties intervenantes, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 a un champ d’application large en ce qu’il vise toute exploitation, y compris l’exploitation indirecte ou subséquente au transfert de droit exclusif. Il n’est pas limité aux relations contractuelles entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et leurs cocontractants. Par ailleurs, c’est conformément à l’objectif du législateur de l’Union européenne d’assurer une rémunération appropriée et proportionnelle qu’un droit direct à rémunération à l’égard des fournisseurs de plateformes de partage est prévu, et ce, afin de tenir compte des éventuelles imperfections de l’accord conclu avec les producteurs. En outre, selon les parties requérantes, le droit de l’Union autorise la transposition de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 par des mécanismes extracontractuels. Ce faisant, le législateur belge ne méconnaît pas la liberté contractuelle, dès lors que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ont le choix de céder ou non leur droit exclusif de communication au public.
Les deuxièmes parties intervenantes précisent encore que le mécanisme des conventions collectives est nécessaire compte tenu de l’objectif du législateur de l’Union européenne et de la faible position de négociation des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le contexte économique de l’exploitation des plateformes de partage.
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A.119.1. Le huitième moyen dans l’affaire n° 7922 est, à l’estime des deuxièmes parties intervenantes, irrecevable en ce qu’il invoque la violation des articles 10 et 56 du TFUE et des articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.119.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la liberté d’entreprise peut être limitée par les droits de propriété intellectuelle, comme le droit d’auteur et les droits voisins, qui sont aussi des droits fondamentaux en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de la Charte. Selon elles, en cas de conflit entre droits fondamentaux, il convient de rechercher un juste équilibre entre eux, ce qui a précisément été fait en l’espèce afin que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants reçoivent une rémunération appropriée et proportionnelle. En outre, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
n’entraîne pas, en soi, d’augmentation des coûts de transaction, dès lors qu’il est possible de conclure un seul accord avec une seule société de gestion collective. Par ailleurs, cette gestion collective est soumise à un cadre juridique strict. Elles relèvent également que la disposition attaquée n’entraîne pas d’incertitude juridique et que, si elle entraîne une certaine incertitude financière, il y a lieu de préciser que celle-ci est inhérente à la conduite d’activités de services et à l’adoption d’un nouveau texte législatif. Les deuxièmes parties intervenantes soulignent ensuite que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’entraîne pas de double paiement pour les auteurs et artistes-
interprètes ou exécutants, dès lors que les fournisseurs de services de diffusion en continu rémunèrent les sociétés de gestion, qui distribuent ensuite les revenus aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants.
A.120.1. En ce qui concerne le neuvième moyen dans l’affaire n° 7922, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 56 du TFUE, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.120.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que des restrictions peuvent être apportées à la libre prestation des services garantie par l’article 56, premier alinéa, du TFUE, notamment en cas de raisons impérieuses d’intérêt public. Or, les droits d’auteur et les droits voisins de l’artiste-interprète ou exécutant peuvent être considérés comme de telles raisons. Elles ajoutent que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
vise à garantir aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants un droit à une rémunération appropriée et proportionnelle, même dans le cas de nouvelles formes d’exploitation en ligne. À défaut d’un droit explicite à la rémunération incessible et soumis à un régime de gestion collective obligatoire, les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants se retrouveraient désarmés dans le contexte économique actuel.
A.121.1. Les deuxièmes parties intervenantes formulent ensuite des observations relatives à l’affaire n° 7927. En ce qui concerne le premier moyen dans cette affaire, elles soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 10
et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.121.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes rappellent qu’à leur estime, la base du droit à la rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas l’article 17 mais bien l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elles ajoutent que ce droit n’est pas contraire à l’article 3 de la directive 2001/29/CE, dès lors que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants ont le choix d’exercer ou non leur droit exclusif de communication au public. En outre, d’autres États membres ont adopté des mécanismes similaires. Les deuxièmes parties intervenantes relèvent encore que l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 laisse aux États membres la liberté de choisir la mesure la plus appropriée et que des mécanismes similaires à celui prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ont déjà été introduits par le passé afin de garantir aux auteurs et aux artistes-
interprètes ou exécutants une rémunération appropriée. Elles observent par ailleurs que la Cour n’est pas compétente pour opérer une évaluation d’opportunité des éventuels inconvénients qu’entraînerait la renégociation des accords, engendrée par la disposition attaquée. Elles soulignent qu’un régime de gestion obligatoire entraîne de nombreux avantages. En ce qui concerne la discrimination invoquée dans le premier moyen, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celle-ci n’est pas suffisamment démontrée par les parties requérantes.
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A.122.1. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 7927, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation des articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, de l’article 16 de la Charte et de l’article 56 du TFUE, lus en combinaison avec les articles 10 et 11
de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions législatives, de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.122.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que le droit à la rémunération ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire mais qu’il s’agit d’une rémunération appropriée et proportionnelle, tout comme le régime de gestion collective obligatoire. Elles soulignent également que la rémunération, la gestion et les frais des sociétés de gestion sont réglementés par la loi. Les deuxièmes parties intervenantes reviennent ensuite sur le cas de l’Espagne, mis en évidence par les parties requérantes, et soutiennent que le régime mis en place dans cet État atteste d’une expérience réussie en la matière. Elles soulignent également que la libre circulation des services transfrontaliers n’est pas empêchée, qu’il n’est pas porté atteinte au libre choix de la société de gestion et que le système attaqué n’entraîne pas de risque de double paiement.
A.123.1. Les deuxièmes parties intervenantes formulent ensuite plusieurs observations au sujet de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022. À cet égard, elles soutiennent tout d’abord que le premier moyen dans l’affaire n° 7924 est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de la directive (UE) 2019/790 et de l’article 16 de la Charte, lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne. Ce moyen est également irrecevable en ce qu’il formule quatre questions préjudicielles destinées à être posées à la Cour de justice, de sorte que les parties requérantes souhaitent en réalité demander à cette juridiction si les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 sont conformes à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, aux articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE, à l’article 16 de la Charte et à l’article 56 du TFUE. Selon les deuxièmes parties intervenantes, les parties requérantes abusent ainsi de la procédure en annulation devant la Cour.
A.123.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes rappellent tout d’abord que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants jouissent d’une pleine liberté contractuelle, que la liberté d’entreprise n’est pas un principe absolu et qu’il convient de rechercher un juste équilibre qui permette d’assurer une rémunération appropriée et proportionnelle. Elles soutiennent que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 est une mesure raisonnable en ce qu’il ne s’applique qu’en cas de cession des droits exclusifs, qu’il ne prévoit pas une rémunération excessive et qu’il établit un régime de gestion collective obligatoire offrant de nombreux avantages, soumis à un cadre juridique strict. Elles précisent par ailleurs que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790
s’applique à toute exploitation, en ce compris à l’exploitation indirecte, et n’est donc pas limité aux relations contractuelles directes. En outre, les parties intervenantes soulignent que le droit à la rémunération prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 s’inspire de précédents européens et qu’il tient compte de la position de faiblesse des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, de sorte que le droit d’adapter les contrats, prévu par les articles XI.167/3 et XI.205/3 du Code de droit économique, n’est pas suffisant pour assurer une protection efficace des membres de ces professions. Elles ajoutent que le législateur européen n’a pas rejeté explicitement le droit à la rémunération prévu par la disposition attaquée, mais qu’il a au contraire souhaité laisser aux États membres le soin de choisir les mécanismes les plus appropriés afin d’assurer une rémunération appropriée et proportionnelle.
Au sujet de la différence de traitement attaquée dans le premier moyen dans l’affaire n° 7924, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que les catégories de personnes ne sont pas suffisamment comparables, que l’obligation de rémunération s’applique indistinctement et qu’il ne convient pas d’opérer une distinction entre le secteur de la musique et le secteur audiovisuel. Ensuite, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la différence de traitement permet d’atteindre l’objectif poursuivi. Par ailleurs, les deuxièmes parties intervenantes précisent que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 ne concerne pas l’étendue du droit de communication au public, mais seulement une modalité de son exercice, et préserve la prérogative exclusive du droit. Pour le surplus, elles renvoient à leurs observations formulées au sujet du huitième moyen dans l’affaire n° 7922.
A.124.1. Ensuite, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que le deuxième moyen dans l’affaire n° 7924 est irrecevable, pour des raisons similaires à celles invoquées au sujet du premier moyen. Elles ajoutent
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que le deuxième moyen est aussi irrecevable en ce qu’il porte sur les modalités d’élaboration de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, ce qui échappe à la compétence de la Cour.
A.124.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la restriction que l’article 62
de la loi du 19 juin 2022 apporte à la libre circulation des services est justifiée et proportionnée, dès lors qu’elle vise l’objet spécifique du droit d’auteur et des droits voisins, à savoir la garantie d’une rémunération équitable. À
cet égard, la restriction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire. Elles soulignent en outre que ni la directive 2001/29/CE ni les instruments de droit international conventionnel invoqués par les parties requérantes n’interdisent le mécanisme de la gestion collective obligatoire prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022.
A.125.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7926, les deuxièmes parties intervenantes affirment tout d’abord que le premier moyen dans l’affaire n° 7926 est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.125.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent tout d’abord que les mécanismes invoqués par la partie requérante ne visent pas à assurer une rémunération appropriée et proportionnelle. Elles rappellent ensuite que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 laisse une marge de manœuvre aux États qui leur permet de recourir à différents mécanismes. Par ailleurs, à leur estime, la rémunération visée par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 ne vise aucunement à indemniser un désavantage ou un dommage éventuel. Elles affirment en outre que la disposition attaquée n’induit pas une fragmentation du marché. Pour le surplus, les deuxièmes parties intervenantes renvoient à leurs observations formulées à propos des premier et deuxième moyens dans l’affaire n° 7927, au premier moyen dans l’affaire n° 7924 et aux quatrième, cinquième, septième et huitième moyens dans l’affaire n° 7922.
A.126.1. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 7926, les deuxièmes parties intervenantes soulèvent une exception d’irrecevabilité similaire à celle invoquée au sujet du premier moyen.
A.126.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes affirment que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 ne porte pas atteinte aux objectifs poursuivis par la directive 2000/31/CE, dès lors que le droit à la rémunération attaqué ne relève pas du domaine coordonné par la directive et ne concerne pas les services fournis à partir d’un autre État membre. Elles ajoutent que la disposition attaquée n’empêche pas la partie requérante de fournir ses services comme auparavant, mais elle assure seulement que la rémunération est garantie aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants. Par ailleurs, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la directive (UE) 2019/790 autorise les États membres à prendre en compte les évolutions récentes de la société de l’information, telles que l’émergence de plateformes de diffusion en continu. Pour le surplus, les deuxièmes parties intervenantes renvoient aux observations relatives aux cinquième, septième, huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922, au deuxième moyen dans l’affaire n° 7924 et au troisième moyen dans l’affaire n° 7926.
A.127.1. En ce qui concerne le troisième moyen dans l’affaire n° 7926, les deuxièmes parties intervenantes soulèvent une exception d’irrecevabilité similaire à celles invoquées au sujet des premier et deuxième moyens.
A.127.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que le droit de propriété n’est pas violé par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, dès lors que la partie requérante s’appuie sur la prémisse erronée selon laquelle cette disposition oblige les plateformes de streaming à payer deux fois, ce qui n’est pas le cas. En réalité, l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 introduit simplement un droit résiduel à la rémunération, sans aucun impact potentiel sur la jouissance paisible du droit de propriété en tant que tel. Les deuxièmes parties intervenantes rappellent dans ce cadre que le droit à la rémunération attaqué ne vise aucunement à la réparation d’un désagrément ou d’un dommage.
A.128.1. En ce qui concerne le quatrième moyen dans l’affaire n° 7926, les deuxièmes parties intervenantes soulèvent une exception d’irrecevabilité similaire à celles invoquées au sujet des premier, deuxième et troisième moyens.
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A.128.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que la mesure prévue par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 relève bien de la compétence de l’autorité fédérale en matière de droit d’auteur, de droits voisins et de propriété intellectuelle. Il ne s’agit aucunement d’une mesure de soutien financier aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants qui relèverait de la politique culturelle, ni d’une mesure de compensation pour un dommage occasionné. Pour le surplus, la mesure attaquée n’a pas une incidence disproportionnée sur l’exercice des compétences communautaires en matière culturelle et médiatique.
A.129.1. En ce qui concerne le cinquième moyen dans l’affaire n° 7926, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce que la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi la disposition attaquée violerait les articles 10 et 11 de la Constitution. Par ailleurs, la Cour n’est pas compétente pour contrôler le processus d’élaboration d’une disposition législative.
A.129.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes soulignent d’abord que l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 vise à garantir aux auteurs et aux artistes-interprètes une rémunération appropriée et proportionnée, étant donné leur position plus faible vis-à-vis de leurs cocontractants et le contexte économique des services de streaming. Les deuxièmes parties intervenantes précisent qu’aucune distinction n’est faite entre les fournisseurs de streaming, de sorte que les fournisseurs locaux sont aussi visés. Cependant, l’objectif poursuivi par le législateur reste le même en présence de ce type de fournisseur, qui conserve, malgré sa taille réduite, une position contractuelle plus forte que celle de l’auteur ou de l’artiste-interprète ou exécutant. Les caractéristiques du fournisseur, notamment le nombre d’abonnés, sont néanmoins prises en compte par la société de gestion collective dans la détermination du montant de la rémunération.
A.130.1. Les deuxièmes parties intervenantes formulent ensuite plusieurs observations sur les moyens développés dans l’affaire n° 7927. En ce qui concerne le troisième moyen, elles soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi ces dispositions constitutionnelles sont violées et que la Cour n’est pas compétente pour réaliser un contrôle direct au regard de dispositions de droit international conventionnel ou du droit de l’Union européenne.
A.130.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes rappellent que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale et que le mécanisme prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 est valable au regard du droit de l’Union européenne. Elles ajoutent qu’il est très improbable que ce mécanisme conduise à une réduction des revenus des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants. En ce qui concerne le risque financier auquel seraient confrontées les parties requérantes, les deuxièmes parties intervenantes affirment que les producteurs utilisent diverses techniques contractuelles pour minimiser ce risque, par exemple en obligeant un donneur de licence à renoncer à sa part des droits de producteur perçus dans le cadre de la gestion collective ou en récupérant les coûts d’enregistrement auprès de l’auteur ou artiste-interprète ou exécutant. Pour le surplus, elles renvoient à leurs observations relatives aux cinquième et septième moyens dans l’affaire n° 7922, au premier moyen dans l’affaire n° 7924 et au premier moyen dans l’affaire n° 7927.
A.131.1. Enfin, en ce qui concerne le quatrième moyen dans l’affaire n° 7927, les deuxièmes parties intervenantes soutiennent que celui-ci est irrecevable en ce que la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi la disposition attaquée violerait les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.131.2. À titre subsidiaire, les deuxièmes parties intervenantes se réfèrent à leurs observations formulées au sujet des huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922.
Troisièmes parties intervenantes
A.132.1. Les troisièmes parties intervenantes commencent par formuler des observations générales au sujet des questions préjudicielles que les différentes parties requérantes demandent de poser à la Cour de justice. Elles affirment que cette juridiction n’est pas compétente pour se prononcer sur la compatibilité d’une norme de droit belge avec le droit européen et que la Cour a, par son arrêt n° 128/2016, précité, déjà jugé que l’introduction par le législateur belge d’un droit à rémunération lié à un droit exclusif est compatible avec le cadre européen au cas où ce dernier prévoit un droit exclusif similaire. Les troisièmes parties intervenantes soutiennent que
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l’enseignement de cet arrêt est parfaitement transposable en l’espèce, contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent.
A.132.2. Ensuite, les troisièmes parties intervenantes estiment que l’introduction, aux articles 39, 54 et 62
de la loi du 19 juin 2022, de droits incessibles à rémunération obligatoirement gérés par les organismes de gestion collective constitue une transposition conforme et nécessaire du principe de rémunération appropriée et proportionnelle contenu dans l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elles soulignent que la garantie d’une juste rémunération de l’auteur ou de l’artiste-interprète ou exécutant a été de longue date une préoccupation constante du législateur européen. Le choix d’ajouter l’article 18 dans la directive (UE) 2019/790 consolide l’acquis du droit de l’Union européenne en matière de rémunération des créateurs, que la directive (UE) 2019/790
a érigé en un principe général du droit d’auteur.
Les troisièmes parties intervenantes ajoutent que, contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent, l’introduction de l’article 18 dans la directive (UE) 2019/790 n’est ni le fruit d’une errance législative ni le produit d’une prise de conscience de dernière minute. L’insertion dans le texte final est certes tardive car la disposition ne figurait pas dans la proposition initiale de la Commission européenne, mais la procédure législative ordinaire des colégislateurs européens est telle que le Parlement européen est tout à fait en droit d’amender un texte proposé par la Commission européenne et donc de lui donner un contenu et une finalité complémentaires. Les troisièmes parties intervenantes soutiennent par ailleurs que l’intention du législateur européen est de laisser les États membres libres de choisir les mécanismes appropriés pour s’assurer de la mise en œuvre du principe de rémunération appropriée et proportionnelle. Le libellé de la directive (UE) 2019/790 indique d’ailleurs clairement que l’harmonisation réalisée par l’article 18 de cette directive est tout à fait minimale. À cet égard, le choix du législateur européen de ne pas imposer un mécanisme particulier de mise en œuvre permet de respecter la pluralité des approches et dispositions nationales en matière de droit d’auteur ainsi que le principe des compétences partagées entre le législateur européen et les États membres. Les troisièmes parties intervenantes soulignent également que l’Espagne connaît déjà un droit incessible à rémunération.
A.132.3. En outre, les troisièmes parties intervenantes soulignent qu’un droit à rémunération inscrit dans la loi apparaît comme une solution adéquate lorsque les conditions de production ou d’exploitation ne sont pas propices à la mise en œuvre des rémunérations contractuelles, comme dans le cas de productions audiovisuelles et musicales à contributions multiples, sur des marchés complexes, en évolution rapide et dans lesquels l’asymétrie de l’information entre les acteurs est telle qu’elle rend difficile le fait de négocier dès le départ une rémunération appropriée. Elles précisent que plusieurs organisations ainsi que des experts estiment que le droit à rémunération incessible soumis à la gestion collective est une solution particulièrement utile à la fois pour les titulaires de droits et pour les producteurs. Elles rappellent par ailleurs que la Commission européenne a elle-même envisagé le recours à un droit incessible à rémunération et a confirmé que les États membres pouvaient mettre en œuvre le principe de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 par le biais d’un droit à rémunération incessible tout en renforçant le rôle de la gestion collective des droits d’auteurs. En ce qui concerne l’élaboration de la loi du 19 juin 2022, les troisièmes parties intervenantes relèvent encore que l’amendement à l’origine des dispositions attaquées offre une justification alignée avec les recommandations et études menées depuis 2015 au niveau européen.
A.132.4. Ensuite, les troisièmes parties intervenantes affirment que les sociétés de gestion collective sont considérées par le législateur européen comme des acteurs clés dans l’économie du droit d’auteur et que la fixation des tarifs par les sociétés de gestion collective est profondément réglementée, au niveau européen et au niveau national. Les troisièmes parties intervenantes observent par ailleurs que le droit de l’Union européenne, en ce compris la directive (UE) 2019/790, encourage la gestion collective des droits d’auteur, ce qui a fait en outre l’objet de nombreux arrêts de la Cour de justice. À cet égard, elles soulignent que la gestion collective ne se présente pas comme un choix qui poserait des risques de tarifs arbitraires de rémunération mais, au contraire, permet un contrôle qui vise précisément à ce que les tarifs de rémunération soient appropriés et non discriminatoires. Les troisièmes parties intervenantes soulignent également que de nombreux États européens ont introduit des droits à rémunération, obligatoirement gérés de manière collective, sur le même modèle que celui prévu par la loi du 19 juin 2022. Or, aucun de ces droits à rémunération, dont certains précèdent de plusieurs années l’entrée en vigueur de la directive (UE) 2019/790, n’a été déclaré contraire au droit européen.
A.132.5. À l’estime des troisièmes parties intervenantes, il ne convient pas de poser les questions préjudicielles relatives à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, formulées par les parties requérantes dans l’affaire n° 7924 et par les parties requérantes dans l’affaire n° 7927, dès lors que l’application et l’interprétation du droit de l’Union ne laissent place à aucun doute raisonnable.
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A.133.1. En ce qui concerne les critiques de plusieurs parties requérantes selon lesquelles 1’article 54 de la loi du 19 juin 2022 violerait les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 et avec l’article 3 de la directive 2001/29/CE, les troisièmes parties intervenantes relèvent tout d’abord que le fait que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 ne prévoit pas l’introduction d’un droit à rémunération ne signifie pas que la mise en œuvre d’un tel droit soit prohibée. En outre, l’ajout du droit à rémunération n’est pas justifié par la transposition de l’article 17 de la directive, mais bien par la transposition de l’article 18 de celle-ci. En toute hypothèse, l’article 17 ne s’oppose pas à l’introduction de ce droit à rémunération car son libellé est tout à fait neutre à ce sujet. Les troisièmes parties intervenantes ajoutent que les arguments selon lesquels l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 est compatible avec la directive (UE) 2019/790 sur le fondement de l’article 18 de celle-ci sont donc aussi pertinents pour l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, eu égard aux similarités entre les mécanismes.
A.133.2. Selon les troisièmes parties intervenantes, l’harmonisation effectuée par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 ne porte que sur l’acte de communication au public effectué par les services de partage de contenus en ligne au sens de l’article 3 de la directive 2001/29/CE, ainsi que sur sa mise en œuvre par des licences ou par le blocage d’accès aux contenus non autorisés, dans le respect des droits des usagers des plateformes de partage. Elles ajoutent que le contenu matériel du droit de communication au public est complètement harmonisé par l’article 3 de la directive 2001/29/CE, tel qu’interprété par la Cour de justice, mais que les États membres restent libres de déterminer la nature et l’ampleur de la protection du droit d’auteur et des droits voisins. En effet, le fait que la portée de la communication au public soit ainsi harmonisée n’a aucune incidence sur le droit à rémunération, qui n’affecte à son tour aucunement la portée ou le contenu matériel du droit exclusif de communication au public. L’harmonisation partielle de la matière laisse la possibilité aux États membres d’introduire des mécanismes additionnels.
A.133.3. Les troisièmes parties intervenantes allèguent par ailleurs que l’insertion d’un droit incessible à rémunération, à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, participe à la réalisation de l’objectif visé par le législateur européen aux articles 17 et 18 de la directive (UE) 2019/790 d’assurer une rémunération appropriée grâce à un bon fonctionnement du marché unique numérique. À cet égard, elles soulignent que le simple droit à rémunération au profit des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants ne va pas affecter la capacité des producteurs d’interdire la communication au public via les plateformes de partage. Par ailleurs, plusieurs études ont souligné la compatibilité d’un droit non exclusif à une rémunération ou d’une revendication directe de rémunération avec l’article 17 de la directive (UE) 2019/790.
En outre, le choix d’introduire un droit à rémunération à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 s’inscrit dans le droit fil des justifications à l’insertion de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, ainsi que de celles légitimant les insertions de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022. L’article 18 de la directive (UE) 2019/790 fonde clairement l’introduction du droit à rémunération aux articles 54 et 62 de la loi du 19 juin 2022, sans que l’article 17 de cette directive ne vienne limiter cette possibilité.
A.133.4. Les troisièmes parties intervenantes affirment également que le grief de certaines parties requérantes selon lequel un droit à rémunération soumis à la gestion collective pour les créateurs de contenus téléversés sur les services de partage de contenus en ligne risque de susciter le paiement de rémunérations trop élevées ou mènerait à une double rémunération n’est nullement démontré. Au contraire, les données factuelles sur le fonctionnement du marché confirment la nécessité de faire bénéficier ces créateurs d’un droit à rémunération incessible. Le législateur belge a bien perçu l’existence d’un écart de valeur entre la part des producteurs, d’un côté, et celle des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants, de l’autre, qu’il a corrigé par l’introduction des droits incessibles à rémunération, sur la base de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
A.133.5. Par ailleurs, selon les troisièmes parties intervenantes, les différentes parties requérantes s’appuient sur une connaissance incomplète et très partiale du fonctionnement du marché et de la négociation de contrats entre les sociétés de gestion collective et les services de partage de contenus en ligne pour contester l’insertion d’un droit incessible à rémunération à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022. En réalité, la loi du 19 juin 2022 ne modifie pas de manière substantielle les dynamiques contractuelles et n’introduit pas un bouleversement dans les pratiques existantes, puisque des accords volontaires ont déjà été conclus avec les sociétés de gestion collective et mis en œuvre par les plateformes.
A.133.6. En ce qui concerne les demandes de questions préjudicielles portant sur l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que celles-ci ne doivent pas être posées, dès lors que le droit de mise à disposition au public inscrit à l’article 3 de la directive 2001/29/CE ne s’oppose pas
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à une réglementation nationale qui introduit un droit à rémunération obligatoire incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et soumis à la gestion collective obligatoire. Par ailleurs, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 ne s’oppose pas non plus à l’insertion d’un tel droit, puisque cette disposition est tout à fait neutre à cet égard et que l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 constitue le fondement de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022.
A.134.1. En ce qui concerne les moyens pris de la violation, par les articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprise et la libre circulation des services, les troisièmes parties intervenantes relèvent tout d’abord que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi le droit à la rémunération attaqué serait totalement disproportionné au but poursuivi. Au contraire, l’interférence qui pourrait exister avec la liberté d’entreprise et avec la libre circulation des services, inhérente à toute réglementation d’une activité économique, est en l’espèce apte à garantir que les titulaires de droits seront rémunérés de manière appropriée. L’introduction du droit à rémunération est donc proportionnée à l’objectif légitime poursuivi, cette mesure étant en outre tout à fait fondée en droit sur l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
A.134.2. Les troisièmes parties intervenantes relèvent que les contrats en matière de droits d’auteur passés entre les organismes de gestion collective et les plateformes comme Google, YouTube et Meta couvrent aussi la Belgique et permettent d’assurer d’ores et déjà une rémunération plus appropriée des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants. Le mécanisme du droit à rémunération légalement consacré ne fera que faciliter à l’avenir la conclusion de tels accords avec effet transfrontalier. La situation qui en résultera va sensiblement diminuer les coûts de transaction pour les plateformes, qui ne devront plus veiller à négocier la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants avec une myriade de producteurs et pourront s’appuyer sur les contrats collectifs conclus avec les organismes de gestion collective sur de vastes répertoires.
Les troisièmes parties intervenantes précisent en outre que la possibilité de passer les accords précités avec les organismes de gestion collective devrait renforcer la sécurité juridique au profit des plateformes. Par ailleurs, dans l’hypothèse où la libre circulation des services serait limitée, l’article 56 du TFUE ne serait pas violé. Cette disposition elle-même et la jurisprudence de la Cour de justice fournissent plusieurs justifications permettant des restrictions fondées sur des raisons impérieuses d’intérêt général. Or, la garantie de rémunération au profit des créateurs, au cœur de la protection de la propriété intellectuelle, est précisément un objectif d’intérêt général.
A.134.3. Ensuite, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que les questions préjudicielles relatives à la liberté d’entreprise et à la libre circulation des services ne sont pas pertinentes, dès lors que les parties requérantes ne fournissent aucun élément concret à l’appui de la violation qu’elles dénoncent et qu’en toute hypothèse, l’application et l’interprétation du droit de l’Union européenne ne laissent aucun doute raisonnable sur la manière de répondre aux questions posées.
A.134.4. Au sujet de l’absence de période transitoire, dénoncée par les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, les troisièmes parties intervenantes observent que ces parties requérantes ne démontrent pas en quoi la date d’entrée en vigueur de la loi litigieuse emporterait une différence de traitement dépourvue de justification raisonnable ou porterait une atteinte disproportionnée au principe de confiance légitime.
A.135. En ce qui concerne les critiques de la partie requérante dans l’affaire n° 7926, selon laquelle le droit à rémunération prévu par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 violerait le droit de propriété, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que cette partie requérante n’applique pas les principes en vigueur en la matière, tels qu’ils ressortent de la jurisprudence belge et européenne, mais se limite à se baser sur des arrêts de la Cour de justice qui ne sont absolument pas pertinents en l’espèce.
A.136.1. En ce qui concerne le quatrième moyen dans l’affaire n° 7926, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas les règles répartitrices de compétences.
Au sujet de la première branche, elles observent que la partie requérante ne démontre pas que la mesure attaquée relèverait d’une des compétences des communautés énumérées à l’article 4, 1° et 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980. Par ailleurs, les troisièmes parties intervenantes affirment que le droit à rémunération instauré par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 relève uniquement du droit d’auteur, et plus généralement de la propriété intellectuelle. Or, en vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, l’autorité fédérale est exclusivement compétente pour fixer les règles générales en matière de propriété intellectuelle. La mesure attaquée ne constitue ni une mesure de soutien financier en faveur des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants,
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ni des aspects de contenu et techniques des services de médias audiovisuels, mais bien une mesure relevant du droit d’auteur. À tout le moins, l’élément prépondérant de la relation juridique réglée est l’aspect du droit d’auteur.
A.136.2. Au sujet de la seconde branche du quatrième moyen dans l’affaire n° 7926, les troisièmes parties intervenantes considèrent que les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas le principe de loyauté fédérale. À cet égard, elles relèvent d’abord que la partie requérante s’abstient de citer précisément le fondement légal de la compétence des communautés prétendument mise en péril. En outre, la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi la nouvelle mesure rendrait exagérément compliqué l’exercice par les communautés de leur compétence en matière de culture. Selon les troisièmes parties intervenantes, la partie requérante s’attache exclusivement aux prétendus effets négatifs de la mesure sur la capacité des organismes privés de radiodiffusion télévisuelle non linéaire de remplir leurs obligations et, notamment, de respecter les quotas relatifs à la production locale, ce qui constitue un argument étranger au principe de loyauté fédérale. Par ailleurs, elles soulignent que la partie requérante ne démontre pas en quoi un droit à rémunération proportionnelle et appropriée en faveur des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants mettrait ipso facto en péril le système des plateformes de streaming et leur rentabilité et précisent que des représentants des communautés ont été associés à l’élaboration de la loi du 19 juin 2022.
A.137.1. En ce qui concerne les critiques des parties requérantes portant sur la violation de la directive (UE) 2015/1535, les troisièmes parties intervenantes relèvent que les articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 ne constituent pas des règles techniques, de sorte que le projet à l’origine de ces dispositions ne devait pas être communiqué à la Commission européenne. En effet, le but premier de ces dispositions est de s’assurer que les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants perçoivent un revenu adéquat. Elles ne régissent pas en soi l’accès ou l’exercice de l’activité des prestataires de services de la société de l’information, dès lors qu’il ne s’agit pas de déterminer les règles applicables à la communication au public effectuée par ces prestataires mais d’en déterminer les conséquences. À cet égard, la rémunération de l’auteur ne constitue pas la contrepartie du service fourni par le prestataire de services de la société de l’information.
A.137.2. En toute hypothèse, si les articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 devaient être considérés comme constituant des règles techniques au sens de la directive (UE) 2015/1535, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que ces articles ne devaient pas être notifiés à la Commission européenne car ils transposent la directive (UE) 2019/790, et plus précisément son article 18. En ce qui concerne la question préjudicielle formulée à ce sujet par les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, les troisièmes parties intervenantes soutiennent que cette question revient en réalité à demander à la Cour de justice d’apprécier la validité des articles 54 et 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, ce qui ne relève pas de sa compétence, et que cette juridiction a déjà interprété la disposition du droit de l’Union européenne en cause. La question préjudicielle ne doit donc pas être posée. Les troisièmes parties intervenantes ajoutent que la Commission européenne n’a pas entamé de procédure en manquement contre la Belgique, alors que la loi du 19 juin 2022 a été officiellement notifiée à cette institution.
A.138. Ensuite, les troisièmes parties intervenantes affirment que les amendements au projet de la loi du 19 juin 2022 ne devaient pas nécessairement être soumis à la section de législation du Conseil d’État et qu’en toute hypothèse, la Cour n’est pas compétente pour contrôler le processus d’élaboration des dispositions législatives, de sorte qu’elle ne peut pas censurer l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État ni l’absence de notification à la Commission européenne.
A.139. Enfin, les troisièmes parties intervenantes relèvent, en ce qui concerne les moyens dans l’affaire n° 7925 dirigés contre l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qu’aucun grief ne porte sur les paragraphes 6 et 8 de l’article XI.216/2 du Code de droit économique, inséré par cette disposition, de sorte que, si la Cour venait à annuler l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, il n’y aurait lieu de l’annuler que partiellement.
Quatrième partie intervenante
A.140. En premier lieu, la quatrième partie intervenante relève que le droit à une rémunération inaliénable, incessible et soumis à une gestion collective obligatoire a déjà été reconnu comme compatible avec le droit européen par la Cour à l’occasion de son arrêt n° 128/2016 et que, comme en l’espèce, le droit à la rémunération prévu par la disposition attaquée dans cette affaire n’était pas expressément prévu par le droit dérivé de l’Union européenne.
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A.141.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7922, la quatrième partie intervenante observe tout d’abord que le premier moyen est irrecevable en ce qu’il a pour objet véritable la prétendue violation de la liberté d’entreprise, qui n’est pas en tant que telle visée par l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 comme une norme de référence dont la Cour contrôle le respect. Par ailleurs, le moyen précité a manifestement pour but d’interroger la conformité de la loi belge au droit de l’Union européenne, ce qui échappe cependant manifestement à la compétence de la Cour. Ensuite, selon la quatrième partie intervenante, les parties requérantes n’exposent pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre de la discrimination qu’elles invoquent évasivement, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante soutient que le premier moyen ne vise pas l’annulation des paragraphes 6 et 8 de l’article XI.216/2 du Code de droit économique, de sorte que l’annulation éventuelle de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, qui insère l’article XI.216/2 précité, ne doit être que partielle.
A.141.2. Au sujet des deuxième et troisième moyens, la quatrième partie intervenante soutient que ceux-ci sont irrecevables en ce que les parties requérantes n’exposent pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre des discriminations qu’elles invoquent évasivement, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. À
titre subsidiaire, la partie intervenante renvoie à ses développements relatifs au premier moyen.
A.141.3. Au sujet du quatrième moyen, la quatrième partie intervenante soulève une exception d’irrecevabilité similaire à celles invoquées dans les premier, deuxième et troisième moyens. Elle ajoute que la Cour n’est pas compétente pour contrôler le mode d’élaboration de la loi. À titre subsidiaire, elle soutient que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’est pas une règle technique devant être notifiée à la Commission européenne en vertu de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535. En effet, l’article 54 n’est pas relatif aux activités ou à l’exercice des services de la société de l’information, puisqu’il ne vise pas à régir les plateformes des prestataires de services de partage de contenus en ligne ni la communication au public d’une œuvre par un prestataire de services de partage de contenus en ligne. L’article 54 de la loi du 19 juin 2022 porte sur la rémunération due aux ayants droit en cas de communication au public et ne vise que de manière incidente les services des prestataires précités, puisqu’elle n’est que la conséquence de la communication au public.
A.141.4. Au sujet du cinquième moyen, la quatrième partie intervenante soutient que les parties requérantes n’expliquent pas quelle différence de traitement ni quelles situations équivalentes seraient en cause, de sorte que ce moyen est irrecevable. À titre subsidiaire, elle soutient que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’est d’harmonisation maximale qu’en ce qui concerne l’aspect spécifique de la communication au public, comme la Commission européenne l’a mis en évidence. Cette disposition est en revanche neutre en ce qui concerne l’attribution des droits qu’elle vise, notamment en matière de rémunération, qui n’est donc pas couverte par l’harmonisation maximale précitée.
En toute hypothèse, la quatrième partie intervenante affirme que le droit à la rémunération attaqué vise en réalité à transposer l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 et non l’article 17 de celle-ci. L’article 18, qui est d’harmonisation minimale, prévoit que les États membres sont libres de recourir à divers mécanismes, comme un droit incessible. À cet égard, la Commission européenne a souligné qu’il était contraire au marché unique numérique de ne pas permettre aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants de négocier le contenu de leurs contrats ni d’obtenir une rémunération équitable et que le droit incessible et la gestion collective apparaissaient comme des moyens permettant d’assurer une telle rémunération. Le Parlement européen a adopté une position similaire. Par ailleurs, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas limité aux relations contractuelles entre les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et les cocontractants directs, d’autre part, puisqu’il énonce une règle générale s’appliquant à toute situation où un contrat doit être conclu. À cet égard, la quatrième partie intervenante relève que les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants ont droit à une rémunération pour chaque mode d’exploitation de leurs œuvres, de sorte que, si un tiers utilise une œuvre ou un objet protégé, il doit rémunérer le titulaire des droits sur celui-ci conformément à l’article XI.167 du Code de droit économique. Dès lors que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont réputés réaliser une communication au public des œuvres qui sont téléversées sur leurs plateformes en vertu de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, ceux-ci doivent rémunérer les ayants droit. Ainsi, ces services sont bien dans une relation contractuelle avec les ayants droit.
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Ensuite, la quatrième partie intervenante affirme que le droit de communication se distingue nettement du droit à rémunération en ce que le premier nécessite une autorisation préalable de 1’ayant droit, contrairement au second. Elle précise que les auteurs et artistes-interprètes et exécutants disposent librement de leur droit exclusif, dès lors qu’ils peuvent autoriser ou interdire la communication au public réalisée par les services de partage de contenus en ligne. Une fois cette autorisation accordée, la rémunération est due. Le droit à rémunération de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’affecte nullement l’existence ou la portée du droit exclusif. En outre, rien dans la directive (UE) 2019/790 ne permet de considérer qu’il est interdit aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants d’autoriser l’utilisation de leurs œuvres à titre gratuit.
A.141.5. Au sujet du sixième moyen, la quatrième partie intervenante soutient que celui-ci est irrecevable en ce que les parties requérantes n’exposent pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre de la discrimination qu’elles invoquent évasivement, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. La quatrième partie intervenante affirme par ailleurs qu’il serait contraire à la Constitution, et notamment au principe suivant lequel les pouvoirs sont d’attribution, d’autoriser que la Cour étende sa compétence au-delà de ce que prévoit l’article 142 de la Constitution, même en vue de conférer un caractère effectif au droit de l’Union européenne. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante rappelle que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale en ce qui concerne le droit à la rémunération. En outre, elle n’aperçoit pas en quoi le droit à rémunération instauré par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 a un quelconque lien avec la question de la responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne visée à l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790, transposé par l’article 55 de la loi du 19 juin 2022, qui n’est pas attaqué et auquel l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’ajoute rien.
A.141.6. Au sujet du septième moyen, la quatrième partie intervenante soutient que celui-ci est irrecevable en ce que les parties requérantes n’exposent pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre de la discrimination qu’elles invoquent évasivement, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante affirme que le droit à la rémunération visé par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne vise pas uniquement la relation directe entre les ayants droit et les prestataires de services de partage de contenus en ligne.
La quatrième partie intervenante ajoute que les parties requérantes ne démontrent pas que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 s’applique bien aux contrats conclus avant son entrée en vigueur et rappelle que la directive (UE) 2019/790 a été adoptée pour protéger les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants et leur assurer une rémunération dans le cadre de l’exploitation en ligne de leurs œuvres ou prestations et ce, en raison de l’écart de valeur constaté entre la rémunération des ayants droit et des exploitants de leurs œuvres ou prestations. Elle souligne également que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’impose pas aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants de donner leur autorisation ni de conclure des accords de licence. Ce n’est que lorsque ceux-ci ont exercé leur liberté contractuelle et autorisé la communication au public de leurs œuvres ou prestations que le droit à rémunération est dû. Ainsi, ces ayants droit conservent leur droit exclusif et décident comment et avec qui conclure des conventions d’exploitation. Enfin, il ne peut être soutenu que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
n’est pas nécessaire, dès lors que les articles XI.167/1 et XI.205/1 du Code de droit économique prévoient déjà un droit à une rémunération appropriée et proportionnelle au sens de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. En effet, une rémunération inaliénable, incessible et soumise à une gestion collective est le seul moyen pour que les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants perçoivent une rémunération équitable effective. D’autres États membres ont d’ailleurs déjà prévu une telle rémunération, qui constitue le mécanisme le plus efficace pour assurer une rémunération équitable aux auteurs et artistes-interprètes et exécutants, comme des études et la doctrine l’ont démontré.
A.141.7. Au sujet des huitième et neuvième moyens, la quatrième partie intervenante soutient tout d’abord que ceux-ci sont irrecevables en ce que les parties requérantes n’exposent pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre de la discrimination qu’elles invoquent évasivement, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. À titre subsidiaire, elle affirme que le droit à rémunération contenu dans l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne fait que régler l’activité économique des prestataires de services de partage de contenus en ligne. Ce droit à rémunération n’est que résiduel et ne confère aucun ius prohibendi. Ainsi, il ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre consacrée par 1’article 56 du TFUE. À supposer que ce droit fasse effectivement obstacle au
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fonctionnement du marché intérieur, il y a lieu de considérer qu’il est raisonnablement justifié par rapport au but poursuivi. En effet, ce droit à rémunération ne vise qu’à atteindre l’objectif de la directive (UE) 2019/790, à savoir assurer une juste rémunération aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants, et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Ces ayants droit conservent en effet un droit à recevoir une rémunération par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective de la part des exploitants de leurs œuvres ou prestations sur le territoire belge.
Ensuite, selon la quatrième partie intervenante, le droit à la rémunération attaqué ne donne pas lieu à un double paiement pour une même prestation. En effet, les prestataires de services paient les cessionnaires pour la licence que ceux-ci leur accordent et qui autorise les prestataires à réaliser la communication au public sur leurs plateformes. Les prestataires de services paient ensuite une rémunération aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants qui ont cédé ce droit exclusif d’autoriser ou d’interdire cette communication au public. En outre, les sociétés de gestion collective sont soumises à une obligation de transparence, doivent appliquer des tarifs équitables, non discriminatoires et publiés et doivent publier un rapport de gestion. Elles sont par ailleurs soumises à un contrôle par le SPF Économie. Par conséquent, les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont parfaitement informés des tarifs. La quatrième partie intervenante ajoute que la gestion collective obligatoire facilite énormément l’aspect administratif, puisque les prestataires de services de partage de contenus en ligne ne doivent pas négocier avec un nombre incalculable d’auteurs et d’artistes-interprètes ou exécutants.
A.142.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7924, la quatrième partie intervenante soutient que le premier moyen est irrecevable en ce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles, mêmes lues en combinaison avec des dispositions constitutionnelles dont la Cour contrôle le respect. Par ailleurs, la quatrième partie intervenante soulève l’exception obscuri libelli en ce qu’il est affirmé que la violation du droit européen constituerait ipso facto également une violation des articles 10 et 11 de la Constitution et du principe d’égalité et de non-discrimination qui y est consacré, au motif qu’il est impossible de comprendre le critère de distinction entre les catégories de personnes visées. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante renvoie à ses développements au sujet de l’affaire n° 7922, relatifs à la liberté d’entreprendre, à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 et à l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535.
A.142.2. En ce qui concerne le deuxième moyen, la quatrième partie intervenante affirme que celui-ci est irrecevable en ce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles, mêmes lues en combinaison avec des dispositions constitutionnelles dont la Cour contrôle le respect. Par ailleurs, le deuxième moyen est imprécis et équivoque en ce que les développements ne permettent pas de comprendre en quoi l’ensemble des prestataires de services de la société de l’information seraient affectés par la disposition attaquée. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante renvoie à ses développements relatifs à la libre prestation des services dans l’affaire n° 7922.
A.143.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7925, la quatrième partie intervenante soutient que les moyens sont irrecevables en ce qu’ils n’exposent pas en quoi les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022 violeraient le principe d’égalité et de non-discrimination consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution. En réalité, ces moyens consistent en une critique des articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022 en ce qu’ils ne transposeraient pas correctement l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, ce qui échappe à la compétence de la Cour.
A.143.2. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante constate qu’aucun des moyens n’est dirigé contre l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 en ce qu’il insère l’article XI.216/2, §§ 6 et 8, dans le Code de droit économique, de sorte qu’une annulation éventuelle ne peut être que partielle.
A.144.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7926, la quatrième partie intervenante soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité au sujet du premier moyen. Tout d’abord, elle soutient que le moyen est étranger à la compétence de la Cour, dès lors que cette dernière n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles, même lues en combinaison avec des dispositions constitutionnelles dont elle assure le respect. En outre, la quatrième partie intervenante allègue que la partie requérante n’expose pas de manière claire et univoque quelles sont, dans le cadre de la discrimination qu’elle invoque confusément, les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées, ni en quoi la disposition attaquée discriminerait l’une de ces catégories par rapport à l’autre. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante soutient que le premier moyen n’est pas fondé et renvoie à cet égard aux observations relatives aux cinquième, septième, huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922.
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A.144.2. Pour ce qui est du deuxième moyen, la quatrième partie intervenante soulève des exceptions d’irrecevabilité similaires à celles invoquées au sujet du premier moyen. À titre subsidiaire, elle renvoie à ses observations concernant l’absence de violation de la liberté d’entreprendre et de la libre prestation des services, relatives aux huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922.
A.144.3. Au sujet du troisième moyen, la quatrième partie intervenante affirme que celui-ci est irrecevable, dès lors que la Cour n’est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles, mêmes lues en combinaison avec des dispositions constitutionnelles dont elle assure le respect. À titre subsidiaire, elle allègue que le droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées ne donne pas lieu à un double paiement mais à deux paiements distincts, à savoir le paiement au cessionnaire pour le droit exclusif de communication au public, d’une part, et le paiement d’une rémunération à l’auteur, l’artiste-
interprète ou exécutant, d’autre part. Par ailleurs, elle relève que la partie requérante n’explicite pas en quoi les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 constitueraient une expropriation ou une ingérence dans le droit au respect de ses biens. Elle ajoute que le droit de rémunération attaqué n’est pas une indemnisation, mais qu’il vise uniquement à assurer une rémunération appropriée et proportionnelle aux auteurs, artistes-interprètes ou exécutants, qui consiste à leur attribuer une part équitable des revenus de l’exploitation de leurs œuvres ou prestations.
A.144.4. Au sujet du quatrième moyen, la quatrième partie intervenante soulève plusieurs questions d’irrecevabilité. Tout d’abord, elle affirme que la partie requérante n’expose nullement en quoi les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 violent les principes et dispositions invoqués au moyen, de sorte que le moyen est irrecevable en application de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. En outre, le moyen est irrecevable pour défaut d’intérêt, dès lors que les communautés n’ont même pas montré une velléité de réguler la matière concernée par la directive (UE) 2019/790, transposée par la loi du 19 juin 2022. À cet égard, la quatrième partie intervenante relève qu’aucune communauté n’a introduit de recours contre les dispositions attaquées. Partant, le moyen est irrecevable en vertu des articles 2, 2°, et 5 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante relève que la section de législation du Conseil d’État n’a pas, dans son avis sur l’avant-projet à l’origine de la loi du 19 juin 2022, remis en question la compétence du législateur fédéral. Elle ajoute que la réglementation du droit à rémunération des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants relève bien de la compétence économique de l’autorité fédérale visée à l’article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 et non des matières culturelles confiées aux communautés. Par ailleurs, si le but des dispositions attaquées est bien de préserver les droits des auteurs, artistes-interprètes ou exécutants, ce n’est nullement en prévoyant à leur bénéfice des aides structurelles sous forme de subsides publics dans le cadre d’une politique de soutien aux artistes. À propos du respect du principe de loyauté fédérale, la quatrième partie intervenante affirme que la partie requérante n’expose pas en quoi les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 rendraient impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences des législateurs communautaires pour les matières qui les concernent.
A.144.5. Au sujet du cinquième moyen, la quatrième partie intervenante soutient que celui-ci est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles 20, 21 et 22 de la Charte, dès lors que le contrôle de ces dispositions échappe à la compétence de la Cour.
En toute hypothèse, le moyen n’explique pas en quoi les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 violeraient les dispositions précitées. Par ailleurs, selon la quatrième partie intervenante, la partie requérante ne dispose pas d’un intérêt au moyen, dès lors, notamment, qu’elle n’est pas une plateforme locale de streaming.
À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante affirme que, dans un contexte de marché numérique mondial où des prestataires de services de la société de l’information, tels que définis par l’article XI.228/10 du Code de droit économique, offrent à leurs clients un accès à des contenus numériques forcément globalisés, le critère de comparaison retenu par la partie requérante, à savoir la nature locale ou internationale de la plateforme de streaming concernée, n’est pas pertinent. En outre, la partie requérante ne démontre pas qu’il existerait des plateformes de streaming locales, qui seraient de surcroît en position de faiblesse vis-à-vis des ayants droit et de leurs clients. En toute hypothèse, les dispositions attaquées se contentent de désigner les sociétés de gestion collective de droits d’auteur et droits voisins comme interlocutrices des prestataires de services en ligne qu’elles visent, afin de percevoir la rémunération équitable devant revenir aux ayants droit, sans déterminer le montant de
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cette rémunération, laissée à l’appréciation des sociétés de gestion collective. Celles-ci peuvent, en pratique, moduler l’évaluation de cette rémunération en fonction d’une série de critères objectifs, en ce compris le nombre d’abonnés des plateformes, ou leur poids sur le marché numérique. Dès lors, rien n’indique que la partie requérante devrait payer la même rémunération que d’autres plateformes plus importantes sur le marché du streaming. À
considérer que l’identité de traitement entre les catégories de personnes citées au moyen serait établie, il faudrait considérer que celle-ci est raisonnablement justifiée au regard de l’objectif principal de la directive (UE) 2019/790, transposée par la loi du 19 juin 2022.
A.145.1. En ce qui concerne l’affaire n° 7927, la quatrième partie intervenante relève tout d’abord que le premier moyen est irrecevable, dès lors qu’il n’expose pas en quoi l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution. En réalité, ce moyen constitue une critique de la disposition attaquée au regard de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, ce qui échappe à la compétence de la Cour. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante renvoie à ses développements relatifs au cinquième moyen dans l’affaire n° 7922.
A.145.2. Pour ce qui est du deuxième moyen, la quatrième partie intervenante renvoie à l’exception d’irrecevabilité soulevée au sujet du premier moyen et ajoute que les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, l’article 16 de la Charte, l’article 6 du TUE et l’article 56 du TFUE ne relèvent pas de la compétence de la Cour. À titre subsidiaire, la quatrième partie intervenante se réfère aux observations formulées à l’égard des huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922.
A.145.3. Au sujet du troisième moyen, la quatrième partie intervenante soulève une exception d’irrecevabilité, dès lors que celui-ci n’expose pas en quoi les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 violent les articles 10 et 11 de la Constitution. À titre subsidiaire, elle renvoie aux observations relatives au septième moyen dans l’affaire n° 7922.
A.145.4. Au sujet du quatrième moyen, la quatrième partie intervenante soutient que celui-ci est irrecevable, dès lors qu’il invoque une violation de la libre circulation des services et de la liberté d’entreprise, qui ne relèvent pas des compétences de la Cour, sans démontrer en quoi les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution. À titre subsidiaire, elle se réfère aux arguments développés au sujet des huitième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7922.
A.146.1. En ce qui concerne les différentes questions préjudicielles à la Cour de justice formulées par les parties requérantes, la quatrième partie intervenante soutient tout d’abord que les questions visant les articles 17
et 18 de la directive (UE) 2019/790 ne doivent pas être posées, dès lors qu’il n’existe aucun doute quant à l’interprétation de ces dispositions. Il en va de même au sujet de la question de savoir si l’article 56 du TFUE
s’oppose à une législation nationale, telle que celle prévue à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui instaure, par une mesure unique et au surplus sans période transitoire, un droit à rémunération inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, qui peuvent exercer ce droit à l’égard des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne offrant leurs services dans l’État membre concerné.
A.146.2. Selon la quatrième partie intervenante, si la Cour devait considérer qu’il convient de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice, il y aurait lieu d’interroger celle-ci afin de déterminer si l’article 291
du TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation telle l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qui instaure un droit à rémunération inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, soumis à une gestion collective obligatoire, et si la réponse est différente selon que l’on applique ce droit à rémunération à un fournisseur de services de partage de contenus en ligne au sens de l’article 2, paragraphe 6, de la directive (UE) 2019/790, réputé faire une communication au public d’une œuvre ou d’un objet protégé en vertu de l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, ou à tout autre utilisateur de l’œuvre ou de l’objet protégé.
A.146.3. En ce qui concerne les questions préjudicielles formulées par les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, la quatrième partie intervenante relève qu’il n’existe pas de définition légale de « prestataire de services de partage de contenus en ligne » dans la directive (UE) 2019/790, puisqu’il s’agit d’une notion de droit belge, de sorte que les questions qui portent sur cette notion ne peuvent pas être posées à la Cour de justice.
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A.146.4. En ce qui concerne les questions préjudicielles formulées par les parties requérantes dans l’affaire n° 7924, la quatrième partie intervenante affirme qu’il n’existe pas de définition légale de « prestataires de services de streaming » dans la directive (UE) 2019/790 ni dans la directive 2001/29/CE, de sorte que les questions préjudicielles faisant référence à cette notion ne peuvent pas être posées à la Cour de justice.
A.146.5. En ce qui concerne les questions préjudicielles formulées par la partie requérante dans l’affaire n° 7925, la quatrième partie intervenante affirme qu’il n’existe pas de définition légale de « prestataire de services de la société de l’information » dans la directive (UE) 2019/790, de sorte que les questions préjudicielles faisant référence à cette notion ne peuvent pas être posées à la Cour de justice.
A.146.6. En ce qui concerne les questions préjudicielles formulées par la partie requérante dans l’affaire n° 7926, la quatrième partie intervenante affirme que ces questions manquent d’objectivité et procèdent d’une interprétation spécifique préalable en ce qu’elles qualifient le droit à rémunération attaqué de « supplémentaire »
et qu’elles sous-entendent un traitement distinct des services de la société de l’information, alors que la loi du 19 juin 2022 vise les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de façon indistincte. Partant, les questions préjudicielles ne doivent pas être posées à la Cour de justice.
En ce qui concerne la position du Conseil des ministres
Affaires nos 7922, 7924, 7925 et 7927
A.147. En ce qui concerne l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres relève à titre préalable que les critiques des parties requérantes relatives au mode d’élaboration des articles 39 et 54 de la loi du 19 juin 2022 sont irrecevables, dès lors qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler le processus législatif.
A.148.1. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que les parties requérantes n’exposent pas en quoi les articles 10 et 11
de la Constitution, ni les articles 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte seraient violés par les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022.
A.148.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que le premier moyen n’est pas fondé. En ce qui concerne la première sous-branche de la première branche, il soutient que la liberté contractuelle demeure la règle et que ce n’est que lorsque l’éditeur de presse est disposé à donner son autorisation mais que les parties ne parviennent pas à un accord que l’IBPT peut être saisi, et ce, à la demande de la partie la plus diligente, lorsque les négociations se prolongent d’au moins quatre mois. La saisine de l’IBPT est un ultime remède, strictement limité au cas spécifique du défaut d’accord dans le cadre de l’exercice de la liberté contractuelle des parties. À
défaut d’accord, la publication de presse ne peut pas être utilisée car elle est protégée par un droit exclusif. Selon le Conseil des ministres, le délai de quatre mois est raisonnable, dès lors qu’il laisse aux parties assez de temps pour conclure elles-mêmes un accord et qu’il évite qu’à défaut d’accord, l’incertitude sur l’utilisation de la publication de presse ne dure déraisonnablement longtemps. Ce mécanisme sert aussi la sécurité juridique. Le Conseil des ministres souligne également que la procédure est ouverte aux deux parties, de sorte que le prestataire de services de la société de l’information peut également y recourir dans le cas où l’éditeur ferait traîner les discussions. Il relève en outre que l’IBPT ne peut jamais agir d’office, ni dans le cas où l’éditeur de presse ne veut pas autoriser l’exploitation de la publication de presse, ni lorsque les prestataires de services de la société de l’information décident de ne pas exploiter les publications de l’éditeur de presse. Par ailleurs, le Conseil des ministres affirme que la circonstance que les prestataires de services de la société de l’information et les éditeurs de presse sont empêchés de choisir avec qui faire des affaires découle de la nature même des droits de propriété intellectuelle, de sorte que ce n’est pas l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 lui-même qui limite ce choix.
Le Conseil des ministres ajoute que la seule obligation instaurée par le législateur est que, dans l’hypothèse où les parties décident de négocier, celles-ci doivent mener les négociations de bonne foi. Cette obligation ne vaut que lorsque les publications de presse sont effectivement utilisées. Les prestataires de services de la société de l’information restent libres de décider s’ils souhaitent effectuer une telle utilisation, étant entendu que, lorsque la publication est utilisée, une rémunération est due. Le Conseil des ministres relève par ailleurs que la décision de l’IBPT concerne uniquement la rémunération précitée. Si les prestataires de services de la société de l’information considèrent que le montant de cette rémunération est trop élevé, ils ont toujours la possibilité de s’abstenir d’utiliser ces éditions de presse ou de contracter avec un autre éditeur de presse sous de meilleures conditions contractuelles.
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Il en découle donc que, même si l’IBPT a la possibilité de prendre une décision contraignante, cela ne signifie pas que les prestataires de services de la société de l’information sont obligés de contracter avec les éditeurs.
A.148.3.1. En ce qui concerne la seconde sous-branche de la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres soutient tout d’abord que les conditions de la procédure applicable devant l’IBPT ne sont pas trop strictes et n’entravent pas l’efficacité des négociations entre parties. Le Conseil des ministres relève que les critiques des parties requérantes quant au délai de quatre mois pour saisir l’IBPT sont en réalité imputables à l’article 97 de la loi du 19 juin 2022, qui n’est pas attaqué. Par ailleurs, la procédure est entourée de garanties procédurales suffisantes, comme il ressort des missions de l’IBPT et de son statut d’autorité administrative indépendante. Il relève qu’un recours de pleine juridiction est ouvert contre les décisions de l’Institut, et ce, devant la Cour des marchés. En outre, les décisions de l’IBPT ne perturbent pas les possibilités d’octroi de licences à l’échelle de l’Union, ni pour les prestataires de services de la société de l’information transfrontaliers, ni pour les éditeurs de presse opérant ou non à l’échelle transfrontalière. En effet, rien ne s’oppose à ce que les publications de presse soient couvertes par un accord pluriannuel à l’échelle de l’Union, étant entendu que la procédure devant l’IBPT permet d’éviter d’imposer des conditions défavorables pour le marché belge, ce qui est de nature à inciter un prestataire de services de la société de l’information à proposer des conditions équivalentes ailleurs s’il ne souhaite pas conclure des accords distincts. Le Conseil des ministres ajoute que les licences transfrontalières restent parfaitement possibles et que, même en l’absence de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, les prestataires de services de la société de l’information doivent prendre en compte les intérêts et les conditions parfois divergents des éditeurs de presse de différents pays, ce qui est en réalité intrinsèque aux licences transfrontalières.
Le Conseil des ministres précise encore que les parties ne sont pas limitées dans leur capacité à s’accorder sur d’autres conditions qu’une rémunération en contrepartie de l’autorisation en ligne des publications de presse, dès lors que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 n’impose pas en soi une obligation de rémunération, comme les travaux préparatoires de cette loi le mettent en évidence. Par ailleurs, le prestataire de services de la société de l’information et l’éditeur de presse sont toujours libres de mettre un terme aux négociations. Ce n’est que dans le cas où les parties veulent conclure un accord mais n’y parviennent pas dans un délai de quatre mois que l’IBPT
peut être saisi. Le Conseil des ministres ajoute que les droits exclusifs des titulaires de droits ne sont pas limités par la décision éventuelle de l’IBPT. Il découle simplement de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 que les auteurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur et intégrées dans une publication de presse ont droit à une part appropriée de la rémunération que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse. Le droit voisin introduit par l’article 39 est un droit exclusif qui appartient uniquement aux éditeurs de presse. Lorsqu’un éditeur ou un prestataire de services de la société de l’information souhaite publier une œuvre protégée par le droit d’auteur, il doit bien évidemment respecter ce droit d’auteur détenu par un tiers. Autrement dit, l’article 39 ne transforme pas le droit des auteurs des œuvres intégrées dans les publications de presse en un droit à rémunération mais laisse intacts les droits exclusifs conférés par le droit d’auteur aux auteurs. En réalité, les droits exclusifs doivent être distingués du droit à une part appropriée de la rémunération. En ce qui concerne les difficultés liées à l’octroi de licences transfrontalières qu’engendreraient éventuellement les dispositions attaquées, le Conseil des ministres relève que les droits de propriété intellectuelle sont intrinsèquement liés au territoire sur lequel ils sont octroyés. Si le législateur européen avait voulu supprimer tout obstacle aux licences transfrontalières, il l’aurait fait par une harmonisation maximale au niveau des licences d’exploitation, ce qui n’est pas le cas.
A.148.4.1. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Conseil des ministres observe que l’obligation d’information attaquée ne vise que les informations actuelles, pertinentes et complètes afin que l’éditeur de presse puisse estimer la valeur de son droit voisin. Par ailleurs, des garanties suffisantes sont prévues afin de protéger la confidentialité de ces informations et les éditeurs de presse doivent également prendre les mesures appropriées pour assurer cette confidentialité. La protection du secret d’affaires demeure par ailleurs intacte. En outre, l’obligation de fournir des informations est susceptible d’une application in concreto et le législateur ne peut appréhender a priori l’ensemble des situations susceptibles de survenir. Le Conseil des ministres relève encore que les parties sont libres de conclure les accords nécessaires afin de prévoir d’autres garanties en vue de protéger les informations confidentielles et le secret d’affaires. Il souligne ensuite que l’obligation d’information dans le chef des prestataires de services de la société de l’information n’oblige pas à effectuer des investissements humains, financiers et techniques qui seraient disproportionnés. Dans ce cadre, il souligne que la notion d’éditeur de presse est une notion du droit de l’Union européenne qui constitue un critère objectif permettant de déterminer quels prestataires sont redevables de l’obligation d’information.
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Par ailleurs, selon le Conseil des ministres, l’obligation précitée vise à promouvoir un intérêt public, à savoir le partage approprié de la valeur générée pour assurer une presse libre et pluraliste indispensable afin de garantir un journalisme de qualité et l’accès des citoyens à l’information, mais aussi pour assurer la pérennité du secteur de l’édition et, partant, pour promouvoir la disponibilité d’informations fiables. Le Conseil des ministres relève encore que l’obligation d’information ne touche pas à la substance même du droit à la liberté d’entreprise et laisse à son destinataire le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour collecter et transférer l’information nécessaire. Le Conseil des ministres soutient ensuite que l’obligation de partage d’informations unilatérale n’est pas disproportionnée, dès lors qu’elle poursuit l’objectif légitime de veiller à ce que les négociations entre les parties respectives se déroulent dans les meilleures conditions possibles.
A.148.4.2. Le Conseil des ministres ajoute que ce sont bien les éditeurs et les prestataires de services de la société de l’information eux-mêmes qui sont les mieux placés pour identifier, en fonction des circonstances particulières, les informations pertinentes pour la négociation. Il précise également que l’obligation de transparence visée à l’article 19 de la directive (UE) 2019/790 est susceptible de s’appliquer aux prestataires précités, pourvu que les conditions des articles XI.167/2 et XI.205/2 du Code de droit économique soient remplies.
A.149.1. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi les articles 33, 40 et 144 de la Constitution seraient violés et en ce que ces dispositions ne ressortissent en toute hypothèse pas au contrôle de la Cour. Par ailleurs, le Conseil des ministres estime que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi il y aurait, concrètement, une violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution.
A.149.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que le deuxième moyen n’est pas fondé. Il précise tout d’abord qu’en vertu de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, l’IBPT est habilité à prendre une décision administrative et non une décision juridictionnelle. Cette décision administrative est susceptible d’un recours de pleine juridiction, de sorte que le droit d’accès à un juge est garanti. Par ailleurs, l’article 144 de la Constitution ne s’oppose pas à ce qu’une autorité administrative tranche des litiges portant sur des droits civils, pourvu qu’un recours de pleine juridiction soit ouvert devant un juge judiciaire, ce qui est le cas en l’espèce. En outre, l’IBPT
est un organe pertinent, au regard de ses missions et des garanties qui entourent la procédure devant cet Institut.
Le Conseil des ministres met également en évidence d’autres exemples dans lesquels une autorité administrative tranche des litiges relatifs à des droits subjectifs, afin de démontrer que le mécanisme attaqué n’est pas inédit.
Selon le Conseil des ministres, tant l’IBPT que la Cour des marchés apparaissent comme les instances de recours les plus indiquées, dès lors que les litiges relatifs à la rémunération visée à l’article 39 de la loi du 19 juin 2022
revêtent davantage un caractère économique que lié au droit d’auteur. En effet, il s’agit d’évaluer la valeur retirée des utilisations, compte tenu notamment de la position des parties sur le marché. Enfin, le Conseil des ministres relève que la section de législation du Conseil d’État n’a pas formulé de commentaires sur une éventuelle violation de l’article 144 de la Constitution en ce qui concerne le pouvoir de l’IBPT de régler les litiges entre opérateurs de télécommunications, pouvoir qui est similaire au mécanisme attaqué.
A.150.1. Au sujet du troisième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable, d’une part, en ce que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 et les articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE ne relèvent pas des normes de référence dont la Cour contrôle le respect et, d’autre part, en ce que les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.150.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme, en ce qui concerne la première sous-branche de la première branche, que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale, dès lors qu’il ne fait qu’imposer aux États membres de prévoir un nouveau droit voisin qui réponde aux conditions de cet article et qui soit conforme à l’objectif de celui-ci. L’article 15 ne prévoit rien sur une quelconque procédure devant être suivie pour arriver à des licences ou sur un régime de rémunération particulier. Il faut donc considérer que les États membres conservent une large marge d’appréciation, dans le cadre de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir résoudre les difficultés pour l’octroi de licences relatives à l’utilisation en ligne des publications, ce qui complique l’amortissement des investissements et le respect effectif des droits concernés. À cet égard, l’objectif du législateur belge de renforcer les éditeurs de presse dans leurs relations avec les prestataires de services de la société de l’information correspond pleinement à l’objectif poursuivi par la directive.
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En introduisant le droit voisin des éditeurs de presse, le législateur européen a principalement souhaité fournir une base juridique pour négocier de bonne foi des licences entre les éditeurs de presse et les intermédiaires. Le cadre procédural et matériel de ces négociations n’a néanmoins pas été précisé, laissant ainsi cette tâche aux États membres. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 se borne à prévoir l’objet de ce droit, son étendue, sa durée et son titulaire. Sur ces points, les dispositions attaquées ne s’écartent aucunement de la norme transposée. Le Conseil des ministres ajoute que la Belgique n’est certainement pas la seule à avoir fait usage de la possibilité légitime d’insérer des modalités procédurales dans le cadre de la transposition de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 en droit national. D’autres États membres, bien que chacun l’ait fait d’une autre manière, ont également introduit des modalités procédurales contenant une obligation d’information ou l’intervention d’un régulateur indépendant pour trancher les différends pouvant survenir dans le cadre des négociations.
A.150.3. En ce qui concerne la seconde sous-branche de la première branche du troisième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres souligne que l’éditeur de presse reste libre de décider s’il veut autoriser des exploitations par des prestataires de services de la société de l’information et s’il souhaite une rémunération pour cette licence. Partant, il n’est pas correct de postuler que le mécanisme introduit par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 priverait les titulaires de droits d’exercer leur droit exclusif ou transformerait de facto leur droit préventif en un droit à rémunération. Il n’est aucunement question d’obliger les éditeurs à mettre du contenu à la disposition des prestataires de services de la société de l’information ou d’obliger ces prestataires à reproduire des contenus ou à les communiquer au public. En effet, ce n’est que dans le cas où l’éditeur de presse veut effectivement autoriser l’utilisation et que le prestataire de services de la société de l’information veut reproduire l’œuvre ou la communiquer au public mais que les négociations traînent depuis au moins quatre mois que l’IBPT
peut être saisie.
A.150.4. Au sujet de la seconde branche du troisième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres affirme que la communication des informations visées par l’article XI.216/2, §§ 3 et 7, du Code de droit économique est nécessaire pour assurer une rémunération équitable aux éditeurs de presse. Cette obligation de communication a d’ailleurs déjà été introduite en France. Le Conseil des ministres précise que les prestataires de services de la société de l’information ne sont tenus de fournir que les informations directement liées aux publications de presse dont la partie négociante est détentrice.
A.151.1. Quant à l’affaire n° 7925, le Conseil des ministres soutient avant tout que le premier moyen est irrecevable en ce que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne relève pas des compétences de la Cour et que la violation des articles 10 et 11 de la Constitution n’est pas développée in concreto.
A.151.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres relève d’abord que l’IBPT ne peut jamais agir d’office, pas non plus dans le cas où l’éditeur de presse ne veut pas permettre l’exploitation de sa publication de presse. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que le contenu lui-même de l’article de presse soit protégé en tant que tel par le droit d’auteur pour être protégé par le droit voisin concerné, mais simplement que la publication de presse réponde au champ d’application de ce droit voisin. Ni l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, ni l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne prévoient une condition d’originalité. Le Conseil des ministres précise en outre que les exceptions au droit voisin des éditeurs de presse sont correctement transposées dans la loi du 19 juin 2022, comme il ressort de la définition de la notion de « droit voisin » contenue dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022. Il ajoute que, contrairement à ce que la partie requérante soutient, le droit voisin des éditeurs de publications de presse ne s’étend pas aux actes d’hyperlien. À cet égard, il affirme que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 ne peut s’interpréter comme obligeant un prestataire de services de la société de l’information à négocier une licence et éventuellement une rémunération pour les publications de presse que les éditeurs ont eux-
mêmes téléversées de manière indépendante et sous leur contrôle total, dès lors qu’il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une « utilisation » par le prestataire de services de la société de l’information au sens de cette disposition.
Ensuite, le Conseil des ministres soutient que l’obligation d’information prévue par l’article XI.216/2, § 7, du Code de droit économique n’oblige l’éditeur de presse à ne fournir des informations que sur la rémunération qu’il a perçue pour la reproduction ou la communication au public de l’article de presse par un certain prestataire de services de la société de l’information, et ce, afin de permettre à la société de gestion concernée d’évaluer la partie appropriée de cette rémunération appartenant à l’auteur en question. Il ne s’agit donc pas d’obliger l’éditeur de presse à partager avec la société de gestion toutes les informations transférées par le prestataire de services de la société de l’information à l’éditeur de presse sur la base de l’article XI.216/2, § 3, du Code de droit économique.
Par ailleurs, il est logique que seuls les prestataires précités soient tenus de fournir des informations aux éditeurs de presse, dès lors que l’objectif du législateur est de renforcer les éditeurs de presse dans leur relation contractuelle
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avec ces prestataires en remédiant à l’écart de valeur. En réalité, l’obligation d’information découle de l’asymétrie d’information qui n’existe que dans le chef des éditeurs de presse.
A.151.3. Selon le Conseil des ministres, il est erroné de postuler que, pour qu’une publication de presse soit protégée, elle doit être une œuvre originale au sens du droit d’auteur. En effet, le nouveau droit exclusif des éditeurs de presse n’est pas un droit d’auteur, mais un droit voisin qui ne concerne pas une œuvre mais une publication de presse. Il n’est donc nullement nécessaire que l’article de presse soit protégé en tant que tel par le droit d’auteur pour être protégé par le droit voisin en question, mais simplement que la publication de presse réponde au champ d’application de ce droit voisin. Cela découle également du fait qu’il s’agit d’un droit voisin distinct et exclusif, ainsi que du fait que ce droit voisin vise à reconnaître la contribution organisationnelle et financière des éditeurs dans la production de publications de presse, laquelle peut être indépendante de la protection par le droit d’auteur.
Ni l’article 39 de la loi du 19 juin 2022, ni l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 ne prévoient une condition d’originalité. En outre, il n’était pas utile de transposer l’exception prévue par l’article 15, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, puisqu’elle découle de la définition du nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse mêmes. Par ailleurs, ce droit voisin ne porte pas atteinte aux règles existantes du droit de l’Union européenne en matière de droit d’auteur applicables aux utilisations privées ou non commerciales des publications de presse par des utilisateurs individuels, comme les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 le mettent en évidence.
A.151.4. Le Conseil des ministres ajoute, au sujet des questions préjudicielles formulées par la partie requérante, qu’il n’est pas nécessaire d’interroger la Cour de justice, dès lors qu’il n’existe aucun doute quant à l’interprétation ou la validité des dispositions du droit de l’Union européenne pertinentes.
A.152.1. En ce qui concerne le deuxième moyen soulevé par la partie requérante, le Conseil des ministres affirme tout d’abord que celui-ci est irrecevable en ce que la partie requérante n’explique pas de quelle manière l’article 10 du TFUE ainsi que les articles 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte seraient violés par la loi du 19 juin 2022. Par ailleurs, ni ces dispositions, ni l’article 56 du TFUE ne relèvent de la compétence de la Cour. En outre, la partie requérante ne démontre pas in concreto en quoi il y aurait une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
A.152.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient, en ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, que l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 n’oblige ni l’éditeur de presse, ni le prestataire de services de la société de l’information de mener des négociations autour d’une licence. En réalité, ce n’est que dans le cas où le prestataire souhaite faire un usage d’une publication au sens de l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 et que l’éditeur de presse est disposé à autoriser une telle utilisation que les négociations concernant la licence à octroyer auront lieu, comme il ressort des travaux préparatoires de cette loi. Par ailleurs, l’IBPT ne s’est pas vu attribuer le pouvoir de superviser la négociation menée entre les parties. Cet institut intervient uniquement dans le cas où les parties veulent aboutir à un accord mais qu’elles ne parviennent pas à une solution dans un délai de quatre mois et qu’une partie saisit l’Institut. Partant, les parties peuvent négocier librement aussi longtemps qu’elles le souhaitent.
A.152.3. Au sujet de la deuxième branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres rappelle tout d’abord que l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 n’implique aucunement que seul le contenu des publications de presse constituant une œuvre protégée par le droit d’auteur est éligible au nouveau droit voisin. Il précise que de simples faits rapportés dans les publications de presse ne sont toutefois pas visés. Dans l’hypothèse d’une reprise d’une publication de presse par des agences de presse, le Conseil des ministres affirme que chaque réutilisation est en toute hypothèse potentiellement soumise aux droits d’auteur.
A.152.4. Le Conseil des ministres ajoute, en ce qui concerne la troisième branche du deuxième moyen, que l’article XI.216/2, §§ 3 et 7, du Code de droit économique opère une distinction entre les publications de presse protégées par le droit voisin, d’une part, et celles qui ne bénéficient pas de cette protection, d’autre part. Par ailleurs, cette disposition tient compte de l’utilisation privée ou non commerciale par un utilisateur individuel ainsi que du fait que les éditeurs de presse eux-mêmes ont téléversé les publications de presse sur la plateforme en question. Il ajoute que les obligations qui découlent de l’article XI.216/2 n’imposent pas aux prestataires de services de la société de l’information de procéder à une surveillance de tous les téléversements effectués par les utilisateurs de la plateforme.
A.152.5. Enfin, le Conseil des ministres affirme qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par la partie requérante, dès lors qu’il n’existe, en l’espèce, aucun doute quant à l’interprétation ou à la validité du droit de l’Union européenne.
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A.153.1. En ce qui concerne le troisième moyen soulevé par la partie requérante, le Conseil des ministres affirme tout d’abord que celui-ci est irrecevable en ce que la partie requérante n’explique pas de quelle manière l’article 10 du TFUE ainsi que les articles 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte seraient violés par la loi du 19 juin 2022. Par ailleurs, ni ces dispositions, ni l’article 56 du TFUE ne relèvent de la compétence de la Cour. En outre, la partie requérante ne démontre pas in concreto en quoi il y aurait une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
A.153.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que les obligations d’information prévues dans l’article XI.216/2, §§ 3 et 7, du Code de droit économique se limitent aux informations directement liées aux publications de presse dont l’éditeur de presse est détenteur et à ce qui est pertinent pour permettre à l’éditeur de presse d’évaluer la valeur de son droit voisin. Le Conseil des ministres ajoute que l’obligation de transparence entre les éditeurs de presse et les prestataires de services de la société de l’information, visée à l’article XI.216/2, § 3, du Code de droit économique, n’est pas identique à l’obligation de transparence entre les éditeurs et les sociétés de gestion des auteurs, prévue par l’article XI.216/2, § 7, du Code de droit économique. En toute hypothèse, ces obligations de transparence ne sont pas disproportionnées à l’objectif d’attribuer une part appropriée de la rémunération aux auteurs et de remédier à l’écart de valeur en permettant à l’éditeur de presse d’évaluer la valeur de son droit voisin.
Le Conseil des ministres rappelle par ailleurs que des garanties destinées à assurer la confidentialité des informations fournies sont prévues par la loi, notamment en ce qui concerne la protection du secret d’affaires, et que les parties peuvent conclure des accords en vue d’assurer cette confidentialité. Il réitère également son observation selon laquelle les hyperliens utilisés sur les plateformes ne sont pas visés par le droit voisin, qui vise uniquement la reproduction et la communication au public de l’article de presse lui-même. Lorsque l’éditeur de presse reproduit intégralement une publication de presse, il ne génère pas de revenus. En ce qui concerne les coûts importants qui seraient entraînés par l’obligation d’information, dénoncée par la partie requérante, le Conseil des ministres affirme que cette hypothèse n’est nullement démontrée et qu’en tout cas, l’État belge a formulé cette obligation de manière restrictive, de sorte que les prestataires de services de la société de l’information ne doivent partager que les informations visant à assurer une part appropriée de la rémunération aux auteurs et à permettre à l’éditeur de presse d’évaluer la valeur de son droit voisin. Enfin, dès lors qu’il n’existe aucun doute quant à l’interprétation et la validité du droit de l’Union européenne, il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle formulée par la partie requérante à la Cour de justice.
A.154.1. En ce qui concerne le quatrième moyen de la partie requérante dans l’affaire n° 7925, le Conseil des ministres soutient tout d’abord que celui-ci est irrecevable en ce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler le respect des articles 33 et 37 de la Constitution, qui règlent la répartition des compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. À tout le moins, la partie requérante ne démontre pas en quoi les articles 10
et 11 de la Constitution seraient violés in concreto.
A.154.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que l’IBPT n’est habilité par l’article 39 de la loi du 19 juin 2022 qu’à prendre des décisions à portée individuelle, que cet institut est une autorité administrative indépendante dont les décisions sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel de pleine juridiction auprès de la Cour des marchés et qu’en toute hypothèse, les exigences relatives aux attributions et aux délégations d’une compétence réglementaire sont remplies en l’espèce.
A.155.1. Le Conseil des ministres formule ensuite plusieurs observations quant aux moyens dirigés contre l’article 54 de la loi du 19 juin 2022. En ce qui concerne, tout d’abord, le premier moyen dans l’affaire n° 7927, il soutient que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas une norme de contrôle de la Cour. Par ailleurs, les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11
de la Constitution seraient violés.
A.155.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790
n’harmonise pas complètement la relation entre les prestataires de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droit, de telle sorte qu’il ne serait pas permis aux États membres d’introduire des règles supplémentaires en matière de droit d’auteur. En toute hypothèse, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 transpose l’article 18 de la directive, qui autorise explicitement les États membres à recourir à différents mécanismes afin de mettre en œuvre le droit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle. Le Conseil des ministres ajoute que les orientations de la Commission européenne sur l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, invoquées par les parties requérantes, qui sont au demeurant dépourvues de valeur contraignante, n’interdisent pas la mise en œuvre d’un droit à rémunération similaire à celui
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prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022. Le Conseil des ministres précise encore que l’article 3 de la directive 2001/29/CE ne s’oppose pas non plus à un tel droit à la rémunération, qui existe d’ailleurs depuis de nombreuses années en Espagne, en Italie ou en Pologne sans que la Commission européenne n’ait jamais lancé de procédure d’infraction à l’égard de ces États. Le Conseil des ministres soutient également que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’élargit pas la portée du droit exclusif qui est rémunéré, ni n’affecte son exercice. En outre, les droits résiduels à la rémunération constituent des mécanismes contractuels en matière de droit d’auteur, qui restent du ressort des législations nationales.
Selon le Conseil des ministres, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est conforme à la mise en œuvre du principe de subsidiarité prévu dans l’article 5 du TUE, qui permet aux États membres d’appliquer mutatis mutandis des instruments de cession d’autres droits d’exploitation prévus par des instruments de droit dérivé, ce qui est le cas en l’espèce. Par ailleurs, le Conseil des ministres soutient que la Commission européenne n’a, jusqu’à présent, pas du tout pris position sur la question de savoir si le droit prévu à l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est compatible avec la directive (UE) 2019/790, lequel répond par ailleurs aux préoccupations exprimées dans une résolution du Parlement européen. Le Conseil des ministres remarque également que les orientations précitées de la Commission européenne suggèrent qu’un mécanisme de gestion collective est possible dans le cadre de la transposition de l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, pourvu toutefois qu’un tel mécanisme respecte le droit de l’Union européenne et en particulier l’article 12 de cette directive, qui énonce diverses garanties pour le fonctionnement des organismes de gestion collective, ce qui est le cas du droit belge. Le Conseil des ministres souligne que le renforcement de la position des titulaires de droits, qui constitue l’objectif poursuivi par la directive, est précisément garanti par le mécanisme de gestion collective obligatoire, comme les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 le mettent en évidence. Au demeurant, un tel mécanisme existe déjà dans des instruments du droit dérivé de l’Union européenne ainsi que dans le Code de droit économique. Le Conseil des ministres précise ensuite que le cadre juridique préexistant n’était pas suffisant pour sauvegarder les droits des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants ni pour garantir une rémunération adéquate de ces derniers, ce pourquoi la directive (UE) 2019/790 a précisément été adoptée.
A.155.3. Enfin, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute raisonnable à ce sujet.
A.156.1. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 7927, le Conseil des ministres soutient à principal que celui-ci n’est pas recevable en ce que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, l’article 16 de la Charte et l’article 6 du TUE seraient violés par les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022. En outre, ni les dispositions précitées, ni l’article 56 du TFUE ne sont des normes de référence dont la Cour contrôle le respect. À tout le moins, les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 seraient violés par les dispositions attaquées.
A.156.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que le deuxième moyen n’est pas fondé. Tout d’abord, il affirme que les parties requérantes ne démontrent pas quelles catégories de prestataires de services sont traitées différemment, ni en quoi l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 constitue une restriction ou une entrave à la libre prestation des services au sein de l’Union européenne. Ensuite, le Conseil des ministres précise que les droits à rémunération attaqués ne contreviennent pas à la liberté d’entreprise, dès lors que les droits exclusifs restent entre les mains des ayants droit, qui conservent la possibilité de décider comment et à qui des licences sont octroyées. En outre, ces droits ne confèrent qu’un droit résiduel à rémunération qui s’applique certes territorialement en Belgique mais qui ne devient pas un obstacle au fonctionnement du marché intérieur. En toute hypothèse, si tel devait être le cas, il y aurait lieu de considérer qu’une telle mesure est justifiée au regard de l’objectif d’assurer une juste rémunération pour les auteurs et les artistes-interprètes et exécutants. En effet, la protection des droits de propriété intellectuelle peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général et le droit collectif inaliénable à réparation, instauré par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, vise à assurer une rémunération appropriée pour chaque utilisation des objets protégés.
A.156.3. Le Conseil des ministres ajoute que, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 entraîne une restriction à la libre circulation des services, il conviendrait de considérer que cette mesure est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. À cet égard, il précise que le fait que la gestion du droit à rémunération ne peut être exercée que par les sociétés de gestion collective vise à faciliter la valorisation du droit à rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, mais aussi à faciliter le
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versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique, ce qui permet de garantir le droit à une rémunération appropriée. Selon le Conseil des ministres, le mécanisme prévu par l’article 54
de la loi du 19 juin 2022 est nécessaire au regard de ces objectifs en ce qu’il est fondé sur l’expérience de terrain et qu’il met les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants dans une position de force lors des négociations. En outre, le champ d’application de ce mécanisme est délimité en ce qu’il ne concerne que la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne et qu’il ne s’applique pas aux autres catégories de droits.
Pour le surplus, la circonstance que la mise en place de ce système nécessite plusieurs ajustements n’est pas de nature à modifier les constats qui précèdent. Le Conseil des ministres souligne encore que plusieurs études démontrent que la rémunération actuelle des titulaires de droits dans le marché numérique n’est pas appropriée et proportionnelle, mais aussi que le droit à la rémunération attaqué constitue la solution idoine pour faire face à cette problématique. Par ailleurs, l’harmonisation des droits d’auteur nationaux au sein de l’Union européenne repose sur le principe de subsidiarité, qui autorise les différences entre les législations nationales, comme l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 et la Commission européenne le mettent en évidence.
A.156.4. Enfin, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.157.1. En ce qui concerne le quatrième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 ne relève pas de la compétence de la Cour et que la violation des articles 10 et 11 de la Constitution n’est pas démontrée in concreto.
En outre, la Cour n’est pas compétente pour contrôler les modalités d’élaboration des dispositions législatives.
A.157.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme qu’il n’existait aucune obligation de notification à la Commission européenne préalable à l’adoption de l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, dès lors que l’article 7, paragraphe 1, a), de la directive (UE) 2015/1535 dispense les États d’une telle obligation lorsque ceux-ci transposent les actes contraignants du droit de l’Union dans leur droit national, ce qui est précisément le cas en l’espèce, puisque l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 vise à transposer l’article 18, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 et qu’à cette occasion, la marge de manœuvre de l’État belge était limitée par l’article 18, paragraphe 2, de cette directive. Le Conseil des ministres ajoute que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
n’introduit pas une règle technique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535, devant faire l’objet d’une notification à la Commission européenne. En effet, l’objectif du législateur à l’occasion de l’adoption de la loi du 19 juin 2022 est de garantir de manière générale une rémunération appropriée et proportionnelle pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants dans le cadre de la transposition de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, qui ne vise pas spécifiquement à réglementer les services de la société de l’information, puisque les services hors ligne sont aussi visés, et ce, par les articles 5 et 30 de cette loi.
A.157.3. Par ailleurs, selon le Conseil des ministres, il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.158.1. En ce qui concerne le cinquième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci n’est pas recevable en ce que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 et les articles 3
et 5 de la directive 2001/29/CE ne relèvent pas de la compétence de la Cour et que les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.158.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres considère, au sujet de la première branche du cinquième moyen, que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas une mesure d’harmonisation maximale interdisant l’introduction du droit à rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, qu’en toute hypothèse, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne transpose pas l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 mais l’article 18
et que le droit à rémunération précité n’est pas neuf au niveau de l’Union européenne, dès lors que l’Espagne, l’Italie et la Pologne prévoient depuis longtemps des droits similaires pour la communication au public en ligne.
En outre, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne porte pas atteinte au droit de communication au public d’un auteur ou d’un artiste-interprète ou exécutant mais vise à donner effet à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
Au sujet de la seconde branche du cinquième moyen, le Conseil des ministres souligne que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants disposent encore librement de leurs droits exclusifs. La circonstance que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 énonce que le droit à rémunération spécifique est incessible et ne peut faire
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l’objet d’une renonciation n’est pas de nature à modifier ce constat, dès lors que ce droit à rémunération ne s’applique que dans la situation où le droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public a été cédé. Par ailleurs, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne fait pas obstacle à ce que les titulaires de droits exclusifs autorisent l’utilisation à titre gracieux de leurs œuvres ou d’autres objets protégés, y compris au moyen de licences gratuites non exclusives, au bénéfice de tout utilisateur. Le Conseil des ministres attire encore l’attention sur le fait que la gestion collective obligatoire pour le droit à la rémunération ne restreint pas le droit exclusif, qui est distinct.
Lorsque des droits exclusifs sont cédés, seul le droit à rémunération incessible est soumis à une gestion collective obligatoire. À cet égard, cette gestion vise à faciliter la valorisation du droit à rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants ainsi que le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique. De cette manière, les prestataires de services de partage de contenus en ligne ne doivent pas s’adresser à un nombre incalculable de personnes, ce qui rendrait l’exercice de ce droit à rémunération inapplicable. Par ailleurs, le Conseil des ministres affirme que, contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent, la Commission européenne n’a jamais affirmé que les États membres ne peuvent pas transposer l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 par un mécanisme de gestion collective obligatoire. Enfin, l’article 54
de la loi du 19 juin 2022 n’induit pas de risque de double paiement.
A.158.3. Enfin, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.159.1. En ce qui concerne le sixième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres allègue à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 ne relève pas de la compétence de la Cour et que les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.159.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres rappelle que l’article 17 de la directive (UE) 2019/790
n’est pas une mesure d’harmonisation maximale et que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 trouve son fondement dans l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Il souligne en outre que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022
n’impose pas d’obligations supplémentaires au mécanisme de responsabilité des prestataires de services de partage de contenus en ligne mis en place par l’article 17, paragraphe 4, de la directive. D’ailleurs, le droit à la rémunération visé par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est complètement séparé de la question de la responsabilité, c’est-à-dire de la question de savoir si les actes de communication au public sont autorisés ou non.
A.159.3. Enfin, le Conseil des ministres considère qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.160.1. En ce qui concerne le septième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne relève pas des compétences de la Cour et que les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.160.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790
n’a pas vocation à régler uniquement la relation contractuelle directe entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et leurs licenciés ou cessionnaires, d’autre part, comme le libellé même de cette directive le met en évidence. En réalité, cette disposition introduit un principe général en faveur des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants sur la base duquel ils ont droit à une rémunération appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle et potentielle des droits qu’ils ont concédés à des tiers. À cet égard, les États membres disposent d’une importante marge de manœuvre pour atteindre cet objectif. Le Conseil des ministres ajoute que la nécessité d’assurer une rémunération appropriée aux titulaires de droits implique aussi d’assurer une répartition appropriée de cette rémunération entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et leurs cocontractants commerciaux, d’autre part.
Par ailleurs, le Conseil des ministres considère que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 n’affecte pas la liberté contractuelle des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants et ne restreint pas non plus leur possibilité de transférer ou de donner en licence leurs droits à des tiers. En effet, le droit à la rémunération ne s’applique que dans le cas où le droit d’autoriser et d’interdire la communication au public a été cédé, donc lorsque la liberté contractuelle a été exercée. Les nouveaux titulaires de droit restent libres de contracter et les prestataires de services de la société de l’information conservent la possibilité de ne pas réaliser de communication au public. En outre, en
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ce qui concerne l’affirmation selon laquelle l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne serait pas nécessaire, étant donné que l’article 18, paragraphe 1, de la directive a déjà été transposé par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022, le Conseil des ministres soutient que ces dernières dispositions n’empêchent pas le législateur d’introduire un droit à rémunération, dès lors que celui-ci lui a apparu nécessaire afin d’atteindre l’objectif de rémunération appropriée et proportionnelle dans l’hypothèse où les droits exclusifs d’autoriser ou d’interdire la communication au public ont été cédés, comme les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 le mettent en évidence.
A.160.3. Enfin, le Conseil des ministres allègue qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.161.1. En ce qui concerne le huitième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci n’est pas recevable, dès lors que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi l’article 10 du TFUE et les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte seraient violés par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 et que ni ces dispositions, ni l’article 56 du TFUE ne sont des normes de référence dont la Cour contrôle le respect. À tout le moins, les parties ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.161.2. À titre subsidiaire, au sujet de la première branche du huitième moyen, le Conseil des ministres rappelle que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne régit pas exclusivement la relation contractuelle directe entre les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et leurs licenciés ou cessionnaires, d’autre part. Il ajoute que l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne méconnaît pas la liberté d’entreprendre. En effet, par l’introduction de cette disposition, le législateur belge a opté pour le seul mode efficace susceptible d’assurer aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants une juste rémunération proportionnelle pour l’exploitation par les prestataires de services de partage de contenus en ligne de leurs œuvres et de leurs prestations sur le territoire belge, conformément à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
Au sujet de la seconde branche, le Conseil des ministres soutient que le droit inaliénable à rémunération prévu par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 ne constitue pas une limitation disproportionnée à la liberté d’entreprise.
Tout d’abord, cette disposition est claire et précise. En outre, les prestataires de services de partage de contenus en ligne n’ont pas à rechercher chaque titulaire de droits, puisqu’ils ont un seul point de contact, à savoir la société de gestion collective compétente, qui va vérifier si un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant a effectivement cédé son droit d’autoriser ou de refuser la communication au public. En toute hypothèse, il appartient à celui qui prétend disposer ou gérer un droit à rémunération de le prouver. Le Conseil des ministres ajoute que le mécanisme de gestion collective n’est pas disproportionné, puisque ce mécanisme a pour but de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique. Par ailleurs, les auteurs et les artistes-
interprètes ou exécutants ne perdent pas leur liberté de choix de la structure de licence, dès lors que, dans l’hypothèse où les droits n’ont pas été cédés à des tiers, la liberté de négocier les droits exclusifs avec les prestataires de services de partages de contenus en ligne demeure. En outre, l’absence de mesures transitoires ne mène à aucune discrimination en l’espèce.
A.161.3. Enfin, selon le Conseil des ministres, il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.162.1. En ce qui concerne le neuvième moyen dans l’affaire n° 7922, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable, dès lors que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi l’article 10 du TFUE et les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte seraient violés par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 et que ni ces dispositions, ni l’article 56 du TFUE ne sont des normes de référence dont la Cour contrôle le respect. À
tout le moins, les parties ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.162.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres relève que les parties requérantes ne démontrent pas quelles catégories de prestataires de services sont traitées différemment, ni en quoi l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 entraîne une restriction ou une entrave à la libre prestation des services au sein de l’Union européenne, ni en quoi cette disposition crée une frontière interne au sein du marché intérieur. En toute hypothèse, l’article 54 de la loi du 19 juin 2022 est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, dès lors que l’objectif poursuivi est
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de faciliter la valorisation du droit à la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants mais aussi de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique. Selon le Conseil des ministres, le droit à rémunération et la gestion collective par les sociétés de gestion sont des moyens appropriés pour atteindre ces objectifs et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire. Par ailleurs, le champ d’application du droit à rémunération est suffisamment limité et des mesures transitoires ne sont pas nécessaires.
A.162.3. Enfin, selon le Conseil des ministres, il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.163.1. Le Conseil des ministres examine ensuite les moyens relatifs aux articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022. En ce qui concerne, tout d’abord, le troisième moyen dans l’affaire n° 7927, celui-ci est irrecevable, dès lors que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne fait pas partie des dispositions de référence dont la Cour contrôle le respect et qu’à tout le moins, les parties requérantes ne démontrent pas in concreto en quoi les articles 10
et 11 de la Constitution seraient violés.
A.163.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790
autorise explicitement les États membres à recourir à différents mécanismes, y compris des mécanismes de gestion collective ou de négociation collective. Dans ce cadre, les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 garantissent aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants une rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations sur les plateformes de streaming, qui génèrent des revenus importants et continus. Le législateur a en effet considéré que ces plateformes devaient aussi être visées par le droit à la rémunération, dès lors que le modèle commercial dominant en ligne est précisément le streaming. Par ailleurs, la nécessité de prévoir une rémunération appropriée et proportionnelle pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants dans le contexte du streaming découle de plusieurs études qui attestent de la rémunération disproportionnée de ces titulaires de droit. Le Conseil des ministres signale également que l’Espagne a déjà introduit un système similaire dans son droit interne. Il ajoute que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 permettent de parvenir à une rémunération équitable pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, mais reflètent aussi la vision du Parlement européen exprimée dans une résolution du 20 octobre 2021, par laquelle cette institution encourage le recours au mécanisme de gestion collective des droits dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2019/790. La Commission européenne a adopté une position similaire.
Le Conseil des ministres souligne encore que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’applique tant aux plateformes de partage de contenus en ligne qu’aux plateformes de streaming et que cette disposition n’interdit aucunement l’adoption des mesures prévues aux articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022. Il souligne par ailleurs que le législateur de l’Union européenne a souhaité recourir au mécanisme de la directive et non à celui du règlement, de sorte à laisser une marge de manœuvre aux États dans le cadre de l’objectif de garantir une rémunération appropriée et proportionnelle. Selon le Conseil des ministres, ce système existe d’ailleurs en droit belge et en droit européen depuis plusieurs années. Il souligne aussi que le droit d’auteur en droit de l’Union européenne fonctionne sur la base du principe de subsidiarité, de sorte que, tant qu’il n’existe pas de règlement européen en la matière, la protection de ce droit demeure une question de droit national. Conformément à ce principe de subsidiarité, les États membres sont libres de mettre en œuvre un mécanisme de droit à une rémunération équitable auquel il ne peut être renoncé, qui est déjà prévu par certains instruments de droit européen applicables en la matière.
A.163.3. À l’estime du Conseil des ministres, le fait qu’une redevance ne soit due, en vertu des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, que dans le cas d’un transfert de droit et non d’une licence n’engendre pas de discrimination, puisqu’en cas de licence, le titulaire contrôle toujours son droit exclusif et n’a pas droit à la rémunération, dès lors qu’il peut toujours tirer des revenus récurrents de l’exploitation de son œuvre. Le Conseil des ministres ajoute que les dispositions précitées de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas la liberté contractuelle, dès lors que les différentes hypothèses mises en évidence par les parties requérantes sont dépourvues de fondement.
A.163.4. Enfin, le Conseil des ministres considère qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.164.1. En ce qui concerne, ensuite, le quatrième moyen dans l’affaire n° 7927, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi
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les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, l’article 6 du TFUE et l’article 16 de la Charte seraient violés et que ni ces dispositions, ni l’article 56 du TFUE ne font partie des normes de référence dont la Cour contrôle le respect. En toute hypothèse, selon le Conseil des ministres, les parties requérantes ne développent pas in concreto la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980.
A.164.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que les parties requérantes ne démontrent pas que les dispositions attaquées créent une discrimination en défaveur des prestataires de services établis dans un autre État membre, ni en quoi l’article 56 du TFUE serait violé. En toute hypothèse, le Conseil des ministres soutient qu’une restriction à la libre circulation des services serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Il met en évidence que les dispositions attaquées ont pour but de valoriser le droit à rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, mais aussi de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique. Or, le droit à rémunération et la gestion collective sont appropriés pour atteindre ces objectifs et ne vont pas non plus au-delà de ce qui est nécessaire, dès lors que le champ d’application de ces mesures est suffisamment délimité par le législateur.
A.164.3. Pour le surplus, le Conseil des ministres affirme qu’il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.165.1. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 7924, le Conseil des ministres soutient à titre principal que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 16 de la Charte et l’article 18 de la directive (UE) 2019/790
ne constituent pas des normes de référence dont la Cour contrôle le respect. Il n’appartient pas davantage à la Cour de contrôler le respect de l’article 2, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, ni de l’article 5, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535.
A.165.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres allègue tout d’abord que les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas la liberté d’entreprise et la liberté contractuelle. Il relève d’abord que le législateur avait l’objectif d’instaurer une garantie aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores ou audiovisuelles d’obtenir une rémunération appropriée pour l’exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations par les plateformes de streaming. De la sorte, il souhaitait rétablir un équilibre entre les plateformes de partage de contenus en ligne et les plateformes de streaming, d’une part, et les auteurs ainsi que les artistes-
interprètes ou exécutants, d’autre part. En prévoyant que la gestion du droit à rémunération est réservée aux sociétés de gestion, le législateur avait pour but de valoriser le droit à la rémunération des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants, mais aussi de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique. Le Conseil des ministres précise toutefois que, dans l’hypothèse où une convention collective est conclue, le mécanisme de la gestion collective obligatoire ne s’applique pas. Par ailleurs, la valeur du droit à la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants fait l’objet d’une négociation entre les différentes parties. Les mesures attaquées sont aussi bénéfiques pour les plateformes de streaming en ce que ces dernières évitent de devoir s’adresser à chaque auteur et à chaque artiste-interprète ou exécutant, ce qui emporterait des coûts beaucoup plus importants. Partant, le législateur a trouvé un équilibre en ce qui concerne la protection des intérêts des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, d’une part, et de ceux des plateformes de streaming, d’autre part. Pour le surplus, selon le Conseil des ministres, les parties requérantes ne démontrent nullement que le législateur aurait porté une atteinte déraisonnable à la liberté d’entreprendre.
A.165.3. Le Conseil des ministres ajoute que les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, qui laisse aux États membres la liberté d’utiliser différents mécanismes afin d’offrir aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants une rémunération appropriée et proportionnelle.
Il rappelle que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 a vocation à s’appliquer aux plateformes de streaming, que cette disposition ne vise pas les relations contractuelles directes, que le législateur européen n’a pas souhaité recourir à un règlement en la matière, que l’objectif du législateur belge est de rétablir un équilibre entre les acteurs du marché et que les revenus provenant de la diffusion en continu sont importants et réguliers.
Le Conseil des ministres ajoute qu’une notification préalable à la Commission européenne n’était pas nécessaire, dès lors que les dispositions attaquées ne visent qu’à titre incident les services de la société de l’information, puisque les artistes et leurs droits sont les premiers concernés, d’une part, et que les articles 60 à 62
de la loi du 19 juin 2022 ne constituent pas une règle technique au sens de l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535, d’autre part. Par ailleurs, le Conseil des ministres affirme que l’adoption des
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dispositions attaquées repose sur plusieurs études pertinentes et qu’elle reflète les préoccupations du Parlement européen exprimées dans sa résolution du 20 octobre 2021 ainsi que celles de la Commission européenne.
A.165.4. Ensuite, le Conseil des ministres soutient que les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. À son estime, les catégories de personnes visées par les parties requérantes ne sont pas suffisamment comparables, dès lors qu’une des catégories n’est pas suffisamment définie et identifiée et que les parties requérantes ne tiennent pas compte des spécificités du secteur concerné. En toute hypothèse, il y a lieu de considérer que la différence de traitement n’est pas déraisonnable. En effet, l’objectif des dispositions attaquées est de garantir une rémunération appropriée aux auteurs et aux artistes-interprètes ou exécutants, que leurs œuvres soient communiquées et mises à la disposition du public ou non. En limitant le champ d’application de ces dispositions aux services de la société de l’information visés par l’article 61 de la loi du 19 juin 2022, le législateur a choisi un critère pertinent afin d’atteindre cet objectif. En outre, le législateur a souhaité viser uniquement les services de streaming présentant certaines caractéristiques précises.
A.165.5. Enfin, le Conseil des ministres considère qu’il n’est pas nécessaire de poser les quatre questions préjudicielles formulées par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
A.166.1. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 7924, le Conseil des ministres estime que celui-ci est irrecevable en ce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler le respect de l’article 56 du TFUE.
A.166.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que les parties requérantes ne démontrent pas de manière claire et univoque en quoi l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 crée une discrimination en défaveur d’un prestataire de services établi dans un autre État membre, de sorte que ce moyen n’est pas recevable sur ce point. Au sujet de la violation prétendue du principe de libre circulation des services, le Conseil des ministres considère que celle-ci n’est pas non plus étayée de manière concrète, mais qu’en toute hypothèse, l’éventuelle restriction à ce principe est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, au regard du but poursuivi par le législateur à travers l’adoption des articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, mais aussi de la limitation de la portée des dispositions attaquées. Le Conseil des ministres rappelle par ailleurs que d’autres instruments de droit dérivé de l’Union européenne prévoient déjà une gestion collective obligatoire.
A.166.3. Enfin, à l’estime du Conseil des ministres, il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle formulée par les parties requérantes, dès lors que l’application correcte du droit de l’Union européenne est si évidente qu’il n’existe aucun doute à cet égard.
Affaire n° 7926
A.167.1. En ce qui concerne le premier moyen, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable en ce que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne fait pas partie des normes de référence de la Cour et qu’à tout le moins, la partie requérante ne démontre pas en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient, in concreto, violés par les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022.
A.167.2. À titre subsidiaire, en ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres soutient que la rémunération appropriée et proportionnelle visée à l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas limitée aux relations entre les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants titulaires de droits et leur cocontractant direct. Au contraire, l’article 18, paragraphe 2, de cette directive donne aux États membres la liberté d’utiliser différents mécanismes pour fournir une rémunération appropriée et proportionnelle. Par ailleurs, la directive ne précise pas que les mécanismes de gestion collective seraient exclus.
La position de la Commission européenne confirme cette interprétation. L’objectif de l’article 18 est de parvenir à une répartition équitable entre les différents acteurs du secteur. Il vise à compenser la répartition déséquilibrée au détriment des auteurs et artistes-interprètes ou exécutants dans la relation avec leurs cocontractants, tels que les producteurs, et notamment les plateformes de distribution d’œuvres musicales ou audiovisuelles et les plateformes de partage en ligne. Par ailleurs, contrairement à ce que la partie requérante affirme, l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne vise pas uniquement les labels, les producteurs et les éditeurs qui exploitent les droits des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants titulaires de droits, mais son libellé général permet aux États membres de l’interpréter de manière plus large et d’appliquer l’obligation de rémunération proportionnelle également aux plateformes de diffusion en continu.
105
Selon le Conseil des ministres, la partie requérante ne peut pas être suivie en ce qu’elle affirme que l’insertion des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 est inutile au vu de l’existence des articles XI.167/1, XI.167/5, XI.205/1 et XI.205/5 du Code de droit économique, dès lors que l’article 18, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 autorise les États membres à utiliser des mécanismes différents. En toute hypothèse, les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 n’étayent pas la position de la partie requérante. La partie requérante ne peut pas davantage être suivie en ce qu’elle soutient que l’article 18 de la directive se limite à réglementer les relations contractuelles. En effet, selon le Conseil des ministres, le libellé de la directive lui-même met en évidence que l’article 18 consacre un principe général, s’étendant à la mise en œuvre de mécanismes extracontractuels.
A.167.3. Au sujet de la deuxième branche du premier moyen, le Conseil des ministres soutient qu’il appartient aux États membres de déterminer les mécanismes visant à assurer une rémunération appropriée et proportionnelle au sens de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une notion uniforme du droit de l’Union européenne. À cet égard, le Conseil des ministres relève que l’Espagne a prévu un système similaire à celui prévu par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022.
Le Conseil des ministres ajoute que, contrairement à ce que la partie requérante allègue, les dispositions attaquées n’induisent pas une double rémunération et l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 n’est pas d’harmonisation maximale.
A.167.4. Ensuite, en ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, le Conseil des ministres allègue que les dispositions attaquées n’entraînent pas de double paiement. Il s’agit d’une rémunération unique, appropriée et proportionnelle, qui ne signifie pas que la plateforme de streaming paie deux fois la même chose. Les plateformes paient le producteur pour la licence et reçoivent également une redevance distincte pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants qui ont précédemment transféré leurs droits. À cet égard, le Conseil des ministres souligne que les plateformes de streaming pourront toujours décider de ne pas partager les œuvres avec le public si l’intégralité des droits n’est pas économiquement viable pour elles. En outre, le système prévu par la loi belge facilite également la gestion pour les producteurs, puisque celle-ci est assurée par des sociétés de gestion, qui font par ailleurs l’objet d’un contrôle par les autorités publiques. Le Conseil des ministres rappelle que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants sont dans une position contractuelle faible vis-à-vis des plateformes de diffusion en continu et des producteurs. La liberté contractuelle joue donc en leur défaveur. L’objectif du mécanisme belge, qui est conforme à l’objectif de la directive (UE) 2019/790, est de renforcer la position de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant et de rétablir l’équilibre grâce à un droit à rémunération incessible et à une gestion collective obligatoire.
A.167.5. À propos de la quatrième branche du premier moyen, le Conseil des ministres observe que les plateformes de streaming connaissent les montants versés aujourd’hui pour rémunérer l’exploitation des œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins. Cette rémunération sera désormais divisée en un paiement pour les droits exclusifs, d’une part, et un paiement pour le droit à rémunération non transférable des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, d’autre part. Dans ce cadre, la plateforme de streaming conserve la faculté de négocier, mais la négociation se déroule désormais avec la société de gestion collective. Le Conseil des ministres précise ensuite que le droit à rémunération prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 ne s’applique que lorsque l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant ne gère plus pleinement son droit exclusif, de sorte qu’il n’existe aucune contrainte contractuelle au détriment de la plateforme de streaming. Par ailleurs, en ce qui concerne l’absence de justification de la mesure, dénoncée par la partie requérante, le Conseil des ministres observe que les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 attestent du fait que l’introduction de l’article 61 de cette loi a fait l’objet de débats et d’analyses, notamment sur la base d’études. En toute hypothèse, le Conseil des ministres rappelle que la liberté contractuelle n’est pas absolue et peut être limitée pour assurer un juste équilibre des droits et des intérêts en présence.
A.167.6. Au sujet de la cinquième branche du premier moyen, le Conseil des ministres affirme que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 est défini de manière large et ne fait pas de distinction entre les différentes plateformes, à savoir les plateformes de partage en ligne ou les plateformes de streaming, de sorte que ces dernières peuvent également être visées, bien qu’elles ne soient pas explicitement mentionnées par le libellé de la directive. À cet égard, le Conseil des ministres souligne que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 sont non seulement conformes à l’objectif du législateur européen de parvenir à une rémunération appropriée et proportionnelle pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants et à la grande marge de manœuvre des États membres à cet égard, mais ils reflètent également la vision du Parlement européen, exprimée dans sa résolution du 20 octobre 2021, et de la Commission européenne.
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A.168.1. En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable, dès lors que l’article 3 de la directive 2000/31/CE, l’article 4 de la directive 2010/13/UE et l’article 56
du TFUE ne relèvent pas de la compétence de la Cour et qu’à tout le moins, la partie requérante ne démontre pas concrètement en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
A.168.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que la première branche du moyen n’est pas fondée. Il rappelle tout d’abord que l’objectif de la directive 2000/31/CE est de supprimer les obstacles aux services en ligne transfrontaliers au sein de l’Union européenne et d’offrir une sécurité juridique aux entreprises et aux consommateurs. Le régime d’indemnisation prévu par les dispositions attaquées ne porte pas atteinte à cet objectif. Le Conseil des ministres souligne que le régime de rémunération prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 n’entraîne aucune restriction pour les plateformes de streaming étrangères. En effet, celles-ci peuvent toujours offrir leur contenu aux utilisateurs finaux belges de la même manière qu’avant l’introduction de la loi du 19 juin 2022, même si le système de paiement a subi une modification via les sociétés de gestion collective.
Cependant, le système de paiement est totalement indépendant de la possibilité d’offrir ou non des services de diffusion en continu. Le Conseil des ministres ajoute que le régime d’indemnisation ne relève pas de l’article 2, h), de la directive 2000/31/CE, dès lors que ce régime ne concerne pas l’activité d’une plateforme de streaming.
En outre, le Conseil des ministres relève que la directive (UE) 2019/790 exclut explicitement le régime de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE. Il observe encore que la directive 2000/31/CE autorise les États à prendre en compte les évolutions récentes de la société de l’information, ce qui est le cas du streaming, qui engendre un déséquilibre important entre les bénéfices des plateformes de streaming et ceux des auteurs et artistes-
interprètes ou exécutants.
A.168.3. Au sujet de la seconde branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres soutient tout d’abord que celle-ci est irrecevable pour défaut d’intérêt, dès lors que les griefs de la partie requérante dénoncent la situation d’un fournisseur de streaming basé dans un autre État membre de l’Union européenne, alors qu’elle est elle-même basée en Belgique. À supposer cette branche recevable, le Conseil des ministres allègue que la partie requérante ne démontre pas de manière claire et non équivoque en quoi un prestataire de services d’une autre nationalité ou établi dans un autre État membre serait traité différemment d’un prestataire de services de nationalité belge ou établi sur le territoire belge, ni en quoi le droit à la rémunération prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022 constituerait une entrave à la libre prestation des services. En ce qui concerne la prétendue discrimination sur la base de la nationalité, le Conseil des ministres relève que le législateur n’a pas particulièrement visé les plateformes de streaming basées dans d’autres États membres de l’Union européenne. Au contraire, le législateur a voulu empêcher tout service de streaming de tomber dans le champ d’application du système de rémunération, en définissant à l’article 61 de la loi du 19 juin 2022 les services de streaming qui tombent sous le régime de l’article 62 de la loi du 19 juin 2022.
En toute hypothèse, le Conseil des ministres soutient qu’une restriction éventuelle à la libre circulation des services serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Les dispositions attaquées visent en effet à protéger les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants en leur garantissant un droit à une rémunération appropriée et proportionnelle pour l’exploitation de leurs œuvres sonores et audiovisuelles et de leurs prestations par les plateformes de streaming et, ainsi, à rétablir l’équilibre entre les plateformes de streaming, d’une part, et les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants individuels, d’autre part. Selon le Conseil des ministres, le droit à rémunération et sa gestion collective exercée par les sociétés de gestion sont appropriés pour atteindre ces objectifs et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire, dès lors que le législateur a strictement délimité le champ d’application du droit à la rémunération.
A.169.1. En ce qui concerne le troisième moyen, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable, dès lors que ni l’article 17 de la Charte ni l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ne constituent des normes de référence dont la Cour contrôle le respect et qu’à tout le moins, la partie requérante n’expose pas concrètement en quoi les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 violeraient les articles 10, 11 et 16 de la Constitution.
A.169.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres rappelle tout d’abord que l’article 61 de la loi du 19 juin 2022 n’entraîne pas de double paiement. Il ajoute que la partie requérante ne démontre pas en quoi les dispositions attaquées portent atteinte au droit de propriété des plateformes de streaming. En réalité, ces dispositions se limitent à introduire un droit à rémunération pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, sans aucune incidence éventuelle sur la jouissance paisible des droits de propriété en tant que telle. Le Conseil des ministres considère par ailleurs qu’il n’est pas exact d’affirmer, comme le fait la partie requérante, qu’un droit à la rémunération ne peut être introduit que pour compenser un dommage effectif, comme les considérants de la directive (UE) 2019/790 le mettent d’ailleurs en évidence.
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A.170.1. En ce qui concerne le quatrième moyen, le Conseil des ministres soutient que la première branche de celui-ci est irrecevable en ce qu’elle n’expose pas en quoi les dispositions attaquées violeraient l’article 4, 1° et 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
A.170.2. À titre subsidiaire, le Conseil considère, au sujet de la première branche, que les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 relèvent bien de la matière de la propriété industrielle et intellectuelle, qui relève de la compétence de l’autorité fédérale en vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
Contrairement à ce que la partie requérante affirme, le droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées ne constitue pas une mesure d’aide financière qui relève de la compétence culturelle des communautés. Il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 que la mesure attaquée vise à garantir que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores ou audiovisuelles reçoivent une rémunération appropriée pour l’exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations par les plateformes de streaming. Il ne s’agit pas d’encourager la création de nouvelles œuvres sonores et audiovisuelles. Dans l’hypothèse improbable où la Cour considérerait que le droit à la rémunération précité consisterait en une aide d’État visant à encourager une telle création, il faudrait considérer que cette aide relève du droit civil ou du statut social de l’auteur, pour lesquels l’autorité fédérale est exclusivement compétente.
A.170.3. Au sujet de la seconde branche du quatrième moyen, le Conseil des ministres affirme que la partie requérante ne démontre pas en quoi les articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022 rendraient impossibles ou exagérément difficiles les compétences des communautés. Par ailleurs, à supposer que les dispositions attaquées auraient de tels effets, il ne pourrait en être déduit une violation du principe de loyauté fédérale, sous peine de vider de sa substance l’autonomie de l’autorité fédérale en la matière. En effet, il est inhérent à une structure fédérale que différents législateurs puissent prendre des mesures dans leur propre sphère de compétence, dont les autres législateurs doivent ensuite tenir compte. Il appartient exclusivement au législateur compétent de concrétiser la politique en matière de propriété intellectuelle et de droit d’auteur, sans que la Cour ne puisse remettre en cause ce choix d’opportunité.
A.171.1. En ce qui concerne le cinquième moyen, le Conseil des ministres soutient que celui-ci est irrecevable en ce que la partie requérante ne démontre pas en quoi l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 20, 21 et 22 de la Charte seraient violés. Par ailleurs, ces dispositions ne font pas partie des normes de référence dont la Cour contrôle le respect.
A.171.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme tout d’abord que le législateur n’a pas commis d’erreur en supposant que les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants négocient avec les plateformes de streaming. Il rappelle à cet égard que, si les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants cèdent ou concèdent leurs droits exclusifs au producteur ou à l’éditeur, ils conservent le droit à rémunération. Les services de streaming, quant à eux, exploitent les œuvres et les prestations des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, pour lesquelles ils génèrent des revenus. Les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants peuvent alors réclamer une part de ces revenus. En ce qui concerne la critique de la partie requérante selon laquelle le législateur aurait ignoré le fait qu’il existe également des plateformes de streaming locales et que la position économique sur le marché des plateformes de streaming locales n’a pas été prise en compte, le Conseil des ministres précise que le législateur a très clairement défini le champ d’application des articles 60, 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, de sorte que tout service de streaming n’est pas visé. Selon le Conseil des ministres, on ne peut raisonnablement attendre du législateur qu’il opère une différenciation supplémentaire, par exemple en fonction de leur domination économique, au sein du groupe des services de streaming qui remplissent les conditions strictement définies et qu’il élabore ainsi un régime spécifique et individuel pour chaque catégorie concevable de fournisseurs de services de streaming. Le Conseil des ministres rappelle enfin que les dispositions attaquées n’introduisent pas un droit à la double rémunération.
108
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte d’adoption
B.1.1. Les recours en annulation portent sur plusieurs dispositions de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » (ci-après : la loi du 19 juin 2022).
B.1.2. Comme son libellé l’indique, la loi du 19 juin 2022 vise principalement à transposer la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » (ci-après : la directive (UE) 2019/790) (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, p. 4; DOC 55-2608/003, pp. 3-4).
B.1.3. La directive (UE) 2019/790 a pour objectif d’adapter et de compléter le droit de l’Union européenne en matière de droit d’auteur et de droits voisins à l’évolution des technologies, tout en maintenant un niveau élevé de protection. À cet égard, la directive prévoit des règles « visant à adapter certaines exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins à l’environnement numérique et transfrontière, ainsi que des mesures destinées à faciliter certaines pratiques d’octroi de licences » (considérant n° 3).
B.2. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 38 (affaire n° 7925), 39
(affaires nos 7922 et 7925), 54 (affaires nos 7922 et 7927), 60 (affaires nos 7924 et 7927), 61
(affaires nos 7924, 7926 et 7927) et 62 (affaires nos 7924, 7926 et 7927) de la loi du 19 juin 2022.
B.3.1. Les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022 visent à créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse à l’occasion de l’utilisation de leurs publications de presse sur internet par les prestataires de services de la société de l’information (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, pp. 72-73).
109
B.3.2.1. L’article 38 de la loi du 19 juin 2022 insère un article XI.216/1 dans le Code de droit économique, qui dispose :
« § 1er. Aux fins de la présente section, on entend par ‘ publication de presse ’ une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou prestations, et qui :
a) constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé;
b) a pour but de fournir au public en général des informations liées à l’actualité ou d’autres sujets; et
c) est publiée sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services.
Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, ne sont pas considérés comme des publications de presse.
§ 2. Aux fins de la présente section, on entend par ‘ service de la société de l’information ’ un service au sens de l’article I.18, 1° ».
B.3.2.2. L’exposé des motifs de la loi du 19 juin 2022 précise que l’article XI.216/1 du Code de droit économique a vocation à transposer l’article 2 de la directive (UE) 2019/790
(Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, p. 72), qui énonce :
« Définitions
Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) ‘ organisme de recherche ’, une université, y compris ses bibliothèques, un institut de recherche ou toute autre entité, ayant pour objectif premier de mener des recherches scientifiques, ou d’exercer des activités éducatives comprenant également des travaux de recherche scientifique :
a) à titre non lucratif ou en réinvestissant tous les bénéfices dans ses recherches scientifiques; ou
b) dans le cadre d’une mission d’intérêt public reconnue par un État membre;
de telle manière qu’il ne soit pas possible pour une entreprise exerçant une influence déterminante sur cet organisme de bénéficier d’un accès privilégié aux résultats produits par ces recherches scientifiques;
110
2) ‘ fouille de textes et de données ’, toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations;
3) ‘ institution du patrimoine culturel ’, une bibliothèque accessible au public, un musée, des archives ou une institution dépositaire d’un patrimoine cinématographique ou sonore;
4) ‘ publication de presse ’, une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, et qui :
a) constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou spécialisé;
b) a pour but de fournir au public en général des informations liées à l’actualité ou d’autres sujets; et
c) est publiée sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un fournisseur de services.
Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, ne sont pas des publications de presse aux fins de la présente directive;
5) ‘ service de la société de l’information ’, un service au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point b), de la directive (UE) 2015/1535;
6) ‘ fournisseur de services de partage de contenus en ligne ’, le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives.
Ne sont pas des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de la présente directive les prestataires de services tels que les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972, les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage ».
B.3.3.1. L’article 39 de la loi du 19 juin 2022 insère un article XI.216/2 dans le Code de droit économique, qui dispose :
« § 1er. Sans préjudice du droit de l’auteur, de l’artiste-interprète ou exécutant, du producteur de phonogrammes ou de premières fixations de films et de l’organisme de radiodiffusion, l’éditeur de presse établi dans un Etat membre de l’Union européenne a seul le droit de :
111
1° reproduire sa publication de presse ou d’en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit, qu’elle soit directe ou indirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie, pour son utilisation en ligne par un prestataire de services de la société de l’information;
2° mettre sa publication de presse à la disposition du public par un procédé quelconque, pour son utilisation en ligne par un prestataire de services de la société de l’information, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
§ 2. L’éditeur de presse et le prestataire de services de la société de l’information doivent négocier de bonne foi en ce qui concerne les exploitations visées au paragraphe 1er et la rémunération due à cet égard, pour autant que et dans la mesure où l’éditeur de presse est disposé à autoriser les exploitations précitées.
En l’absence d’accord, la partie la plus diligente peut faire appel à la procédure de règlement des litiges devant l’Institut belge des services postaux et des télécommunications, visée à l’article 4 de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges, au cours de laquelle la rémunération pour les exploitations visées au paragraphe 1er peut être décidée et où une décision administrative contraignante telle que visée à l’article 4 précité peut être prise.
§ 3. Le prestataire de services de la société de l’information fournit, à la demande écrite de l’éditeur de presse, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur l’exploitation des publications de presse afin que l’éditeur de presse puisse évaluer la valeur du droit visé au paragraphe 1er. En particulier, le prestataire de services de la société de l’information fournit des informations sur le nombre de consultations des publications de presse et sur les revenus que le prestataire de services de la société de l’information tire de l’exploitation des publications de presse.
Les informations sont fournies dans un délai d’un mois à compter du jour suivant la notification de la demande écrite de l’éditeur de presse.
Les informations fournies ne seront en aucun cas utilisées à d’autres fins que l’évaluation du droit visé au paragraphe 1er et l’attribution d’une part appropriée de cette rémunération visée au paragraphe 6. Les informations fournies sont traitées de manière strictement confidentielle.
§ 4. La protection accordée en vertu du paragraphe 1er n’est pas applicable :
1° aux actes d’hyperliens;
2° aux utilisations de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse;
3° aux utilisations d’œuvres ou de prestations dont la protection a expiré.
112
§ 5. Est présumé éditeur de presse, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur la publication de presse, sur une reproduction de la publication de presse, ou en relation avec une communication au public de celle-ci, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier.
§ 6. Les auteurs d’œuvres intégrées dans une publication de presse ont droit à une part appropriée de la rémunération que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse.
La part de la rémunération, visée à l’alinéa 1er, à laquelle les auteurs ont droit, est incessible.
La part de la rémunération visée à l’alinéa 1er est déterminée conformément à une convention collective entre les éditeurs de presse d’une part et les auteurs, visés à l’alinéa 1er, d’autre part.
La gestion du droit à une part appropriée de la rémunération visée à l’alinéa 1er ne peut être exercé que par des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective qui ont une succursale en Belgique.
Dans les conditions qu’Il détermine, le Roi peut charger une société de gestion représentative de l’ensemble des sociétés de gestion et organismes de gestion collective gérant en Belgique le droit à rémunération, visé à l’alinéa 1er, de la conclusion de la convention collective, visée à l’alinéa 3, et de la perception et la répartition de cette rémunération.
§ 7. L’éditeur de presse fournit, à la demande écrite des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective visés au paragraphe 6, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur la rémunération que l’éditeur de presse perçoit du prestataire de services de la société de l’information.
Les informations sont fournies dans un délai d’un mois à compter du jour suivant la notification de la demande écrite de la société de gestion ou de l’organisme de gestion collective.
En aucun cas, les informations fournies ne sont utilisées à d’autres fins que l’évaluation de la part appropriée visée au paragraphe 6. Les informations fournies sont traitées de manière strictement confidentielle.
§ 8. En l’absence d’un accord sur la part appropriée telle que visée au paragraphe 6, les parties peuvent faire appel à une commission. Cette commission est présidée par un représentant du ministre et est composée de représentants des éditeurs de presse et de représentants des ayants droit. La commission détermine la part appropriée de la rémunération visée au paragraphe 6. Le Roi fixe les modalités d’exécution additionnelles de cette disposition. Le Roi peut fixer la rémunération des membres de cette commission.
La commission visée à l’alinéa 1er ne peut être saisie que s’il est prouvé que les parties ont, à tout le moins, tenté la médiation visée aux articles 1724 à 1737 du Code judiciaire ».
113
B.3.3.2. L’exposé des motifs de la loi du 19 juin 2022 précise que l’article XI.216/2 du Code de droit économique a vocation à transposer l’article 15, paragraphes 1, 2 et 5, de la directive (UE) 2019/790 (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, p. 73), qui énonce :
« Protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne
1. Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse établis dans un État membre les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE
pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l’information.
Les droits prévus au premier alinéa ne s’appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels.
La protection accordée en vertu du premier alinéa ne s’applique pas aux actes d’hyperliens.
Les droits prévus au premier alinéa ne s’appliquent pas en ce qui concerne l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse.
2. Les droits prévus au paragraphe 1 laissent intacts et n’affectent en aucune façon les droits conférés par le droit de l’Union aux auteurs et autres titulaires de droits, à l’égard des œuvres et autres objets protégés intégrés dans une publication de presse. Les droits prévus au paragraphe 1 sont inopposables aux auteurs et autres titulaires de droits et, en particulier, ne doivent pas les priver de leur droit d’exploiter leurs œuvres et autres objets protégés indépendamment de la publication de presse dans laquelle ils sont intégrés.
[...]
5. Les États membres prévoient que les auteurs d’œuvres intégrées dans une publication de presse reçoivent une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse perçoivent des fournisseurs de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse ».
B.4.1. L’article 54 de la loi du 19 juin 2022 instaure un droit à la rémunération au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant dans l’hypothèse où le droit à la communication au public, en ce compris le droit de mise à disposition, a été cédé à un prestataire de services de partage de contenus en ligne (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-
2608/001, p. 90).
B.4.2.1. L’article 54 de la loi du 19 juin 2022 insère un article XI.228/4 dans le Code de droit économique, qui dispose :
114
« § 1er. Lorsqu’un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant a cédé son droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne, tel que visé à l’article XI.228/3, § 1er, il conserve le droit d’obtenir une rémunération au titre de la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne.
§ 2. Le droit à rémunération visé au paragraphe 1er, est incessible et ne peut pas faire l’objet d’une renonciation de la part des auteurs ou artistes-interprètes ou exécutants.
§ 3. La gestion du droit à rémunération des auteurs visé au paragraphe 1er, ne peut être exercée que par des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective représentant les auteurs.
La gestion du droit à rémunération des artistes-interprètes ou exécutants visé au paragraphe 1er, ne peut être exercée que par des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective représentant des artistes-interprètes ou exécutants.
§ 4. Les dispositions des paragraphes 1er à 3 sont impératives ».
B.4.2.2. Dans l’exposé des motifs de la loi du 19 juin 2022, l’article XI.228/4 du Code de droit économique n’est pas expressément présenté comme ayant vocation à transposer une disposition particulière de la directive (UE) 2019/790 (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, pp. 90, 91, 305 et 310).
B.4.2.3. L’article XI.228/4 du Code de droit économique est contenu dans le nouveau chapitre 4/1 du titre 5 du livre XI du Code de droit économique. Ce chapitre, intitulé « De l’utilisation d’œuvres et de prestations par des prestataires de services de partage de contenus en ligne », est inséré par l’article 51 de la loi du 19 juin 2022, non attaqué. Les travaux préparatoires de cette disposition précisent que le chapitre 4/1, précité, du Code de droit économique a pour objectif de transposer l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 (ibid., pp. 84-85), qui énonce :
« Utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne
1. Les États membres prévoient qu’un fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public aux fins de la présente directive lorsqu’il donne au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs.
Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit dès lors obtenir une autorisation des titulaires de droits visés à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la
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directive 2001/29/CE, par exemple en concluant un accord de licence, afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés.
2. Les États membres prévoient que, lorsqu’un fournisseur de services de partage de contenus en ligne obtient une autorisation, par exemple en concluant un accord de licence, cette autorisation couvre également les actes accomplis par les utilisateurs des services relevant du champ d’application de l’article 3 de la directive 2001/29/CE lorsqu’ils n’agissent pas à titre commerciale ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs.
3. Quand un fournisseur de services de partage de contenus en ligne procède à un acte de communication au public ou à un acte de mise à la disposition du public, dans les conditions fixées par la présente directive, la limitation de responsabilité établie à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE ne s’applique pas aux situations couvertes par le présent article.
Le premier alinéa du présent paragraphe n’affecte pas l’éventuelle application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE à ces fournisseurs de services pour des finalités ne relevant pas du champ d’application de la présente directive.
4. Si aucune autorisation n’est accordée, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur et d’autres objets protégés, à moins qu’ils ne démontrent que :
a) ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation; et
b) ils ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires; et en tout état de cause
c) ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b).
5. Pour déterminer si le fournisseur de services a respecté les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 4, et à la lumière du principe de proportionnalité, les éléments suivants sont, entre autres, pris en considération :
a) le type, l’audience et la taille du service, ainsi que le type d’œuvres ou autres objets protégés téléversés par les utilisateurs du service; et
b) la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et leur coût pour les fournisseurs de services.
6. Les États membres prévoient que, à l’égard de nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l’Union depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros calculés conformément à la recommandation 2003/361/CE de la Commission, les conditions au
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titre du régime de responsabilité énoncé au paragraphe 4 sont limitées au respect du paragraphe 4, point a), et au fait d’agir promptement, lorsqu’ils reçoivent une notification suffisamment motivée, pour bloquer l’accès aux œuvres ou autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs site internet.
Lorsque le nombre moyen de visiteurs uniques par mois de tels fournisseurs de services dépasse les 5 millions, calculé sur la base de l’année civile précédente, ils sont également tenus de démontrer qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour éviter d’autres téléversements des œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires.
7. La coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits ne conduit pas à empêcher la mise à disposition d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par des utilisateurs qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins, y compris lorsque ces œuvres ou autres objets protégés sont couverts par une exception ou une limitation.
Les États membres veillent à ce que les utilisateurs dans chaque État membre puissent se prévaloir de l’une quelconque des exceptions ou limitations existantes suivantes lorsqu’ils téléversent et mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs sur les services de partage de contenus en ligne :
a) citation, critique, revue;
b) utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche.
8. L’application du présent article ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance.
Les États membres prévoient que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne fournissent aux titulaires de droits, à leur demande, des informations adéquates sur le fonctionnement de leurs pratiques en ce qui concerne la coopération visée au paragraphe 4 et, en cas d’accords de licence conclus entre les fournisseurs de services et les titulaires de droits, des informations sur l’utilisation des contenus couverts par les accords.
9. Les États membres prévoient la mise en place par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne d’un dispositif de traitement des plaintes et de recours rapide et efficace, à la disposition des utilisateurs de leurs services en cas de litige portant sur le blocage de l’accès à des œuvres ou autres objets protégés qu’ils ont téléversés ou sur leur retrait.
Lorsque des titulaires de droits demandent à ce que l’accès à leurs œuvres ou autres objets protégés spécifiques soit bloqué ou à ce que ces œuvres ou autres objets protégés soient retirés, ils justifient dûment leurs demandes. Les plaintes déposées dans le cadre du dispositif prévu au premier alinéa sont traitées sans retard indu et les décisions de blocage d’accès aux contenus téléversés ou de retrait de ces contenus font l’objet d’un contrôle par une personne physique.
Les États membres veillent également à ce que des mécanismes de recours extrajudiciaires soient disponibles pour le règlement des litiges. Ces mécanismes permettent un règlement impartial des litiges et ne privent pas l’utilisateur de la protection juridique accordée par le droit national, sans préjudice du droit des utilisateurs de recourir à des voies de recours judiciaires efficaces. En particulier, les États membres veillent à ce que les utilisateurs puissent s’adresser
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à un tribunal ou à une autre autorité judiciaire compétente pour faire valoir le bénéfice d’une exception ou d’une limitation au droit d’auteur et aux droits voisins.
La présente directive n’affecte en aucune façon les utilisations légitimes, telles que les utilisations relevant des exceptions ou limitations prévues par le droit de l’Union, et n’entraîne aucune identification d’utilisateurs individuels ni de traitement de données à caractère personnel, excepté conformément à la directive 2002/58/CE et au règlement (UE) 2016/679.
Les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne informent leurs utilisateurs, dans leurs conditions générales d’utilisation, qu’ils peuvent utiliser des œuvres et autres objets protégés dans le cadre des exceptions ou des limitations au droit d’auteur et aux droits voisins prévues par le droit de l’Union.
10. À compter du 6 juin 2019, la Commission organise, en coopération avec les États membres, des dialogues entre parties intéressées afin d’examiner les meilleures pratiques pour la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits. Après consultation des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, des titulaires de droits, des organisations d’utilisateurs et des autres parties prenantes concernées, et compte tenu des résultats des dialogues entre parties intéressées, la Commission émet des orientations sur l’application du présent article, en particulier en ce qui concerne la coopération visée au paragraphe 4. Lors de l’examen des meilleures pratiques, une attention particulière doit être accordée, entre autres, à la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et aux limitations. Aux fins des dialogues avec les parties intéressées, les organisations d’utilisateurs ont accès aux informations adéquates fournies par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sur le fonctionnement de leurs pratiques en ce qui concerne le paragraphe 4 ».
B.4.2.4. En commission, il a été suggéré que l’adoption de l’article XI.228/4 du Code de droit économique est autorisée par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/003, p. 28). Dans ses écrits de procédure, le Conseil des ministres soutient également que l’article XI.228/4 du Code de droit économique a vocation à transposer cette disposition.
L’article 18 de la directive (UE) 2019/790 énonce :
« Principe de rémunération appropriée et proportionnelle
1. Les États membres veillent à ce que, lorsque les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants octroient sous licence ou transfèrent leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés, ils aient le droit de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle.
2. Aux fins de la mise en œuvre en droit national du principe énoncé au paragraphe 1, les États membres sont libres de recourir à différents mécanismes et tiennent compte du principe de la liberté contractuelle et d’un juste équilibre des droits et des intérêts ».
118
B.5.1. Les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 visent à garantir une rémunération appropriée au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant d’œuvres audiovisuelles ou sonores pour l’exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations par les plateformes de streaming (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/005, p. 5).
B.5.2.1. L’article 60 de la loi du 19 juin 2022 insère un chapitre 4/2 dans le titre 5 du livre XI du Code de droit économique. Ce chapitre est intitulé : « De l’utilisation d’œuvres sonores et/ou audiovisuelles par certains prestataires de services de la société de l’information ».
Dans ce chapitre, l’article 61 de la loi du 19 juin 2022 insère un article XI.228/10, qui dispose :
« Le présent chapitre s’applique aux prestataires de services de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est l’offre à des fins lucratives d’une quantité importante d’œuvres sonores et/ou audiovisuelles protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins, et où :
1° les utilisateurs ont, contre une rémunération récurrente en argent ou sans une telle rémunération, le droit d’accès aux œuvres sonores et/ou audiovisuelles offertes;
2° les utilisateurs ne peuvent acquérir une reproduction permanente de l’oeuvre consultée;
3° les utilisateurs ont accès aux œuvres sonores et/ou audiovisuelles offertes de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement; et
4° le prestataire de service a la responsabilité éditoriale pour l’offre et l’organisation de ce service, y compris l’organisation, le classement et la promotion des œuvres sonores et/ou audiovisuelles ».
Dans le même chapitre, l’article 62 insère un article XI.228/11, qui dispose :
« § 1er. Lorsqu’un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant d’une œuvre sonore ou audiovisuelle a cédé son droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public, en ce compris la mise à la disposition du public, par un prestataire de services de la société de l’information visé à l’article XI.228/10, à un producteur, il conserve le droit d’obtenir une rémunération au titre de la communication au public par un prestataire de services de la société de l’information, visé à l’article XI.228/10.
§ 2. Le droit à rémunération visé au paragraphe 1er, est incessible et ne peut pas faire l’objet d’une renonciation de la part des auteurs ou artistes-interprètes ou exécutants.
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§ 3. En l’absence de convention collective applicable, telle que définie à l’article XI.167/5, la gestion du droit à rémunération des auteurs d’une œuvre sonore ou audiovisuelle visé au paragraphe 1er, ne peut être exercée que par des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective représentant les auteurs.
En l’absence de convention collective applicable, telle que définie à l’article XI.205/5, la gestion du droit à rémunération des artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle visé au paragraphe 1er, ne peut être exercée que par des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective représentant des artistes-interprètes ou exécutants.
§ 4. Les dispositions des paragraphes 1er à 3 sont impératives ».
B.5.2.2. Les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, qui sont issus d’un amendement, ne sont pas expressément présentés comme ayant vocation à transposer une disposition particulière de la directive (UE) 2019/790.
B.5.2.3. L’amendement précité se réfère toutefois à la résolution du Parlement européen du 20 octobre 2021 « sur la situation des artistes et la reprise culturelle dans l’UE (2020/2261(INI)) » (ci-après : la résolution 2020/2261), qui porte sur la manière dont la directive (UE) 2019/790 devrait être transposée (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-
2608/005, p. 5).
B.5.2.4. En commission, le Vice-Premier ministre et ministre de l’Économie et du Travail a précisé que les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 visent à établir le même système en ce qui concerne le streaming que celui prévu par l’article 54 de cette loi (Doc. parl., Chambre 2021-2022, DOC 55-2608/006, p. 10).
Quant à la recevabilité
B.6.1. Plusieurs parties intervenantes et le Conseil des ministres soulèvent des exceptions d’irrecevabilité.
B.6.2.1. La SC « PlayRight », l’ASBL « De Acteursgilde », l’ASBL « Fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis », l’ASBL « De Muziekgilde » et la fondation d’utilité publique « Fondation de l’Union des Artistes du Spectacle », ainsi que plusieurs
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personnes physiques, qui sont plusieurs des parties intervenantes dans les affaires n os 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927, soutiennent que les recours dans les affaires nos 7922, 7924 et 7926
sont irrecevables, dès lors que les parties requérantes dans ces affaires, qui sont des personnes morales, ne produisent pas la décision de l’organe compétent pour intenter les recours.
B.6.2.2. La SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels », qui est une des parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927, soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité en ce qui concerne ces recours en annulation.
En ce qui concerne l’affaire n° 7922, la partie intervenante précitée affirme que les parties requérantes, qui sont la société de droit américain « Google LLC », régie par le droit de l’État du Delaware aux États-Unis d’Amérique, et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », ne produisent pas de copie de leurs statuts et ne démontrent pas que la décision d’intenter le recours a été prise par l’organe compétent, contrairement à ce que l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989) exige. La partie intervenante soutient en outre que le recours est également irrecevable en application de l’article 2:148, alinéa 2, du Code des sociétés et des associations et conteste la validité du pouvoir de représentation des membres qui agissent au nom des parties requérantes.
En ce qui concerne l’affaire n° 7924, la partie intervenante allègue que les parties requérantes, qui sont la SA « Spotify Belgium » (ci-après : Spotify Belgium) et la société de droit suédois « Spotify AB » (ci-après : Spotify AB), ne produisent pas de copie de leurs statuts et ne démontrent pas que la décision d’intenter le recours a été prise par les organes compétents, contrairement à ce que l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 exige. En outre, selon la partie intervenante, les parties requérantes ne démontrent pas en quoi leur objet social serait affecté par la loi du 19 juin 2022. La partie intervenante ajoute que le recours de Spotify AB est irrecevable sur la base de l’article 2:148, alinéa 2, du Code des sociétés et des associations et conteste la validité du pouvoir de représentation des membres qui agissent au nom de la partie requérante.
121
En ce qui concerne l’affaire n° 7925, la partie intervenante affirme que la partie requérante, qui est la société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », ne produit pas de copie de ses statuts et ne démontre pas que la décision d’intenter le recours a été prise par les organes compétents, contrairement à ce que l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989
exige. Par ailleurs, la partie intervenante soutient que le recours est irrecevable sur la base de l’article 2:148, alinéa 2, du Code des sociétés et des associations et conteste la validité du pouvoir de représentation des membres qui agissent au nom de la partie requérante.
En ce qui concerne l’affaire n° 7926, la partie intervenante soutient que la partie requérante, qui est la SRL « Streamz », ne produit pas de décision d’agir, contrairement à ce que l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 exige, et conteste la validité du pouvoir de représentation d’un des membres qui agissent au nom de la partie requérante. En outre, la partie intervenante soutient que les quatrième et cinquième moyens sont irrecevables, à défaut d’intérêt.
B.6.2.3. La SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels » soulève en outre plusieurs exceptions d’irrecevabilité en ce qui concerne les interventions.
En ce qui concerne l’intervention des ASBL « Flemish Games Association », « Wallonia Games Association », « Games.brussels », « Video Games Federation Belgium », de l’AISBL « Video Games Europe » et de l’ASBL de droit suédois « European Games Developer Federation Ekonomisk Förening » dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927, la partie intervenante précitée soutient que celles-ci ne démontrent pas que la décision d’intervenir a été prise par les organes compétents. Par ailleurs, la partie intervenante précitée conteste la validité du pouvoir de représentation des membres qui agissent au nom de ces ASBL.
En ce qui concerne l’intervention de la société de droit français « Deezer » (ci-après :
Deezer) dans l’affaire n° 7927, la partie intervenante soutient que celle-ci ne dépose pas une copie de ses statuts et ne précise pas l’identité de ses représentants. Par ailleurs, elle conteste la validité du pouvoir de représentation des membres qui agissent au nom de Deezer. En outre, selon la partie intervenante précitée, Deezer ne démontre pas en quoi son objet social serait
122
affecté par la loi du 19 juin 2022. Pour les mêmes motifs, la partie intervenante soutient que les interventions de Deezer dans les affaires nos 7924 et 7926 sont irrecevables. Pour le surplus, la partie intervenante précitée soutient que les interventions de Deezer dans les affaires n os 7924, 7926 et 7927 sont irrecevables en ce qu’elles modifient la portée des requêtes initiales dans ces affaires.
En ce qui concerne l’intervention de Spotify Belgium et de Spotify AB dans l’affaire n° 7926, la partie intervenante précitée soutient que celle-ci est irrecevable pour les mêmes motifs qui conduisent à l’irrecevabilité de la requête dans l’affaire n° 7924, dans laquelle Spotify Belgium et Spotify AB sont les parties requérantes, et en ce que, par leur intervention, Spotify Belgium et Spotify AB cherchent à modifier la portée de la requête initiale dans l’affaire n° 7926.
En ce qui concerne l’intervention des SA « Sony Music Entertainment Belgium », « Universal Music » et « Warner Music Benelux », de la SRL « Play It Again, Sam », des SA « North East West South » et « CNR Records » et de l’ASBL « Belgian Recorded Music Association » dans les affaires nos 7922, 7924 et 7926, la partie intervenante précitée soutient que celle-ci est irrecevable en ce qu’elle tend à modifier la portée des requêtes initiales dans ces affaires.
B.6.2.4. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes dans l’affaire n° 7924 en ce que l’objet direct et réel de leur recours serait d’exercer un recours direct auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après : la Cour de justice) et non de demander l’annulation des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022.
En outre, le Conseil des ministres soutient que la partie requérante dans l’affaire n° 7926
ne justifie pas d’un intérêt en ce qui concerne la seconde branche de son deuxième moyen.
B.6.2.5. Par ailleurs, la recevabilité de la plupart des moyens dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927 est contestée par le Conseil des ministres et par plusieurs parties intervenantes, dès lors que ces moyens ne seraient pas suffisamment développés et que la Cour ne serait pas compétente pour procéder à un contrôle direct au regard de dispositions de droit
123
international conventionnel, du droit dérivé de l’Union européenne, de certains articles de la Constitution et de dispositions législatives.
B.7. La Cour examine d’abord les exceptions d’irrecevabilité qui portent sur le respect de l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, puis celles relatives à l’intérêt au sens de l’article 2, alinéa 1er, 2°, et 87, § 2, de la même loi spéciale et, enfin, les autres exceptions d’irrecevabilité.
En ce qui concerne l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989
B.8.1. L’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 dispose :
« Si le recours est introduit ou l’intervention est faite par une personne morale, cette partie produit, à la première demande, la preuve, de la décision d’intenter ou de poursuivre le recours ou d’intervenir et, lorsque ses statuts doivent faire l’objet d’une publication aux annexes du Moniteur belge, une copie de cette publication ».
B.8.2. Les règles en matière de recevabilité d’une requête tendent à assurer une bonne administration de la justice et à contrer les risques d’insécurité juridique. La Cour doit toutefois veiller à ne pas appliquer ces règles de manière excessivement formaliste.
B.9. La Cour examine d’abord le respect des exigences relatives à la copie de la publication des statuts puis celles qui touchent à la décision d’intenter ou de poursuivre le recours ou d’intervenir.
B.10.1. Par courrier du 23 janvier 2024, Spotify Belgium, qui est une des parties requérantes dans l’affaire n° 7924, apporte la preuve du dépôt de ses statuts au Moniteur belge.
B.10.2.1. La société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », qui sont les parties requérantes dans l’affaire n° 7922, Spotify AB, qui est l’autre partie requérante dans l’affaire n° 7924, la société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », qui est la partie requérante dans l’affaire n° 7925, et Deezer, qui est une des parties intervenantes dans les affaires nos 7924, 7926 et 7927, sont, en
124
tant que personnes morales qui ont leur siège statutaire à l’étranger, soumises à l’article 2:148
du Code des sociétés et des associations, qui dispose :
« Les personnes morales qui ont leur siège statutaire à l’étranger, peuvent exercer leurs activités, ester en justice en Belgique, et y établir une succursale.
Toutefois les actions intentées par les personnes morales étrangères qui ont une succursale en Belgique, sont irrecevables si elles n’ont pas déposé leur acte constitutif conformément aux articles 2:24, 2:25 ou 2:26 ».
B.10.2.2. L’article 2:27 du Code des sociétés et des associations précise que, conformément à l’article 2:13 de ce Code, « l’objet des documents visés aux articles 2:24, 2:25, § 2 et 2:26 est publié par mention aux annexes du Moniteur belge ».
B.10.2.3. Il s’ensuit qu’en application de l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la copie de la publication des statuts aux annexes du Moniteur belge ne doit être produite par la partie requérante ou intervenante qui est une personne morale qui a son siège statutaire à l’étranger que lorsque celle-ci dispose d’une succursale en Belgique.
Il ne ressort pas des pièces portées à la connaissance de la Cour dans le cadre des affaires présentement examinées que tel est le cas des parties citées en B.10.2.1. En toute hypothèse, la SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels » n’apporte pas d’éléments concrets de nature à démontrer que ces parties disposent d’une succursale en Belgique.
B.10.3. Les exceptions d’irrecevabilité touchant à la copie de la publication des statuts sont rejetées.
B.11.1. L’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 prévoit que la preuve de la décision d’intenter le recours ou d’intervenir doit être produite « à la première demande ».
Cette formulation permet à la Cour de renoncer à une telle demande, notamment lorsque la personne morale est représentée par un avocat, comme c’est le cas en l’espèce.
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Cette interprétation ne fait pas obstacle à ce qu’une partie allègue que la décision d’intenter le recours n’a pas été prise par l’organe compétent de la personne morale, à condition d’apporter la preuve de son allégation, ce qu’elle peut faire par toute voie de droit. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
B.11.2. Cependant, lorsque la preuve de la décision d’agir en justice est produite, la présomption selon laquelle l’organe compétent de la personne morale a pris cette décision dans le délai imparti et dans le respect des règles fixées en la matière devient caduque.
B.11.3. Par ailleurs, lorsqu’une société qui a la personnalité juridique agit en justice, l’acte de procédure posé par l’organe de représentation compétent dans les limites de son pouvoir de représentation est réputé lier la société au même titre qu’une décision de l’organe ayant la capacité d’agir.
Une partie peut toutefois contester que l’acte de procédure concerné ait été posé par l’organe de représentation compétent.
B.12.1. Les parties requérantes et intervenantes citées en B.6.2.1 à B.6.2.3, contre lesquelles une exception d’irrecevabilité est soulevée, sont représentées par un avocat. Il s’ensuit qu’à leur égard, la présomption réfragable citée en B.11.1 s’applique, mais devient caduque si la décision d’agir en justice est produite.
B.12.2. La société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », partie requérante dans l’affaire n° 7925, la SRL « Streamz », partie requérante dans l’affaire n° 7926, les ASBL « Flemish Games Association », « Wallonia Games Association », « Games.brussels », « Video Games Federation Belgium », l’AISBL « Video Games Europe » et l’ASBL de droit suédois « European Games Developer Federation Ekonomisk Förening », parties intervenantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7926 et 7927, et Deezer, partie intervenante dans les affaires nos 7924, 7926 et 7927, bénéficient de la présomption réfragable précitée.
À l’égard des parties précitées, la SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels »
ne formule que des allégations générales et n’avance pas d’éléments concrets et précis desquels
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il apparaîtrait que la validité des décisions d’intenter le recours ou d’intervenir et le pouvoir de représentation des organes doivent être remis en doute.
B.12.3.1. La société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », parties requérantes dans l’affaire n° 7922, et Spotify Belgium et Spotify AB, parties requérantes dans l’affaire n° 7924, produisent les décisions d’intenter le recours ainsi que plusieurs pièces destinées à démontrer la validité du pouvoir de représentation de leurs organes.
B.12.3.2. Il ressort des éléments portés à la connaissance de la Cour qu’en ce qui concerne les parties requérantes précitées, les décisions d’intenter le recours ou d’intervenir sont valides et que le pouvoir de représentation des organes est établi au regard des exigences légales applicables.
B.12.3.3. Le but visé par l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989sur la Cour constitutionnelle, qui consiste à offrir aux acteurs juridiques la certitude que l’action a été introduite de manière régulière, est donc atteint.
B.13. Les exceptions d’irrecevabilité relatives à la validité de la décision d’agir et au pouvoir de représentation des organes sont rejetées.
En ce qui concerne l’intérêt
B.14.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s’ensuit que l’action populaire n’est pas admissible.
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B.14.2. En outre, pour vérifier si une personne physique ou morale justifie d’un intérêt à intervenir dans un recours en annulation, il convient d’avoir égard à l’article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, qui dispose :
« Lorsque la Cour [...] statue sur les recours en annulation visés à l’article 1er, toute personne justifiant d’un intérêt peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l’article 74. Elle est de ce fait, réputée partie au litige ».
Justifie d’un intérêt au sens de l’article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 la personne qui montre que sa situation peut être directement affectée par l’arrêt que la Cour est appelée à rendre à propos du recours en annulation.
B.15.1. Il ressort des statuts des parties requérantes dans l’affaire n° 7924 que Spotify Belgium a notamment pour objet, en Belgique ou à l’étranger, « la commercialisation, la vente et la mise à disposition d’une plateforme numérique pour la distribution de services médiatiques, et dans ce cadre la commercialisation et la vente d’espaces publicitaires pour les services » et que Spotify AB a notamment pour objet d’« offrir des services liés à l’Internet sur des supports numériques tels que la musique, les jeux et la télévision » .
Les parties requérantes estiment justifier d’un intérêt à demander l’annulation des articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022 en tant que prestataires de services de la société de l’information qui sont redevables de la rémunération visée par ces dispositions, de sorte que celles-ci affecteraient leur liberté contractuelle, leurs activités commerciales et leur capacité à fournir des services en Belgique.
B.15.2. Selon les statuts de la SRL « Streamz », partie requérante dans l’affaire n° 7926, celle-ci a notamment pour objet « le développement, la réalisation, l’exploitation et la commercialisation de vidéos à la demande par abonnement (subscription-based video on demand) et de produits et services y afférents » et « le développement, l’exploitation, l’achat et la vente, l’obtention en licence et la commercialisation de brevets, droits intellectuels, copyrights et actifs immatériels durables y apparentés ».
La partie requérante estime justifier d’un intérêt à demander l’annulation des articles 61 et 62 de la loi 19 juin 2022 en ce qu’elle propose une plateforme de streaming par laquelle du
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contenu audiovisuel belge et international est proposé au consommateur, de sorte que les dispositions attaquées la soumettent à une obligation de rémunération qui constitue une lourde charge financière et qui affaiblit sa position concurrentielle sur le marché du streaming.
B.15.3. Les statuts de Deezer, partie intervenante dans les affaires nos 7924, 7926 et 7927, précisent notamment que celle-ci a pour objet, tant en France qu’à l’étranger, « la conception, la création, le développement, l’édition et l’exploitation de tous sites Internet, applications informatiques ou mobiles », « le développement de logiciels, brevets, droit de propriété intellectuelle ou industrielle ou de toute autre solution technologique » et « la production, réalisation, édition, diffusion, distribution, promotion, exploitation, commercialisation de tous contenus audiovisuels, en ce compris, notamment, tous contenus audio, quel que soit leur mode de diffusion, leur format et le domaine concerné, par tous moyens et sur tous supports connus ou non à ce jour ».
La partie intervenante estime justifier d’un intérêt à intervenir dans les affaires précitées en tant que l’un des principaux fournisseurs de services de streaming musical, dès lors qu’elle est redevable de la rémunération visée par les dispositions attaquées, de sorte que celles-ci affecteraient sa liberté contractuelle, ses activités commerciales et sa capacité à fournir des services en Belgique.
B.16.1. Il ressort de ce qui précède que les parties précitées démontrent en suffisance que leur situation est directement et défavorablement affectée par les dispositions attaquées et justifient donc, respectivement, de l’intérêt requis au sens de l’article 2, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 et au sens de l’article 87, § 2, de la même loi spéciale.
B.16.2. Lorsqu’une partie requérante justifie de l’intérêt requis pour demander l’annulation des dispositions attaquées, elle ne doit pas justifier en outre d’un intérêt aux moyens qu’elle invoque.
B.17. Les exceptions d’irrecevabilité relatives à l’absence d’intérêt sont rejetées.
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En ce qui concerne les autres exceptions d’irrecevabilité
B.18.1. La Cour est compétente pour contrôler des normes législatives au regard des règles répartitrices de compétence entre l’autorité fédérale, les communautés et les régions, ainsi qu’au regard des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.18.2. Tous les moyens sont pris de la violation d’une ou plusieurs de ces règles dont la Cour garantit le respect. Dans la mesure où les parties requérantes invoquent en outre des dispositions de droit international conventionnel ou de droit dérivé de l’Union européenne et d’autres articles de la Constitution et des principes généraux, la Cour n’en tiendra compte qu’en ce qu’elles dénoncent une violation des règles précitées, combinées avec les dispositions et principes visés. Dans cette mesure, les moyens sont recevables.
B.18.3. Dans la mesure où certaines parties requérantes dénoncent l’absence de consultation de la section de législation du Conseil d’État, qui serait imposée par les lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, force est de constater que la Cour n’est pas compétente pour contrôler des normes législatives au regard d’autres normes législatives.
B.19.1. En ce qui concerne l’exception soulevée par le Conseil des ministres selon laquelle l’objet véritable de l’affaire n° 7924 serait d’exercer un recours direct auprès de la Cour de justice, il y a lieu de relever que les différents moyens sont en substance pris de la violation de dispositions qui relèvent du contrôle de la Cour, notamment lues en combinaison avec plusieurs dispositions de droit primaire et dérivé de l’Union européenne, conformément aux principes qui ont été rappelés en B.18.2. Dans ce cadre, les parties requérantes demandent, en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), que plusieurs questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice.
B.19.2. Les circonstances qui précèdent ne sont nullement de nature à conduire à l’irrecevabilité de la requête, mais constituent une simple application des principes qui gouvernent les compétences respectives de la Cour et de la Cour de justice.
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B.20.1. La SC « Société Multimédia des Auteurs des Arts Visuels » soutient encore que plusieurs parties intervenantes soulèvent des moyens nouveaux ou, à tout le moins, étendent la portée des requêtes en annulation.
B.20.2. Une partie intervenante ne peut modifier ou étendre le recours originaire. En effet, l’article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ne permet pas, contrairement à l’article 85, que des moyens nouveaux soient formulés dans un mémoire en intervention. Partant, la Cour ne prend en considération les griefs invoqués par les parties intervenantes qu’en ce qu’ils correspondent aux moyens formulés dans les requêtes.
B.21.1. Enfin, plusieurs exceptions d’irrecevabilité portent sur l’absence de clarté des moyens.
B.21.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
Cette exigence n’est pas de pure forme. Elle vise à fournir à la Cour ainsi qu’aux institutions et aux personnes qui peuvent adresser un mémoire à la Cour un exposé clair et univoque des moyens.
B.21.3. Il ressort des mémoires du Conseil des ministres et des différentes parties intervenantes qu’ils ont pu répondre de manière adéquate aux griefs formulés par les parties requérantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927.
B.22 Les exceptions d’irrecevabilité sont rejetées.
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Quant au fond
B.23.1. L’examen de la conformité d’une disposition législative aux règles répartitrices de compétences doit en règle précéder celui de sa compatibilité avec les dispositions du titre II et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.23.2. En effet, la circonstance que la loi du 19 juin 2022 entend, comme son intitulé l’indique, transposer la directive (UE) 2019/790 dans l’ordre juridique belge ne dispense pas le législateur qui transpose les dispositions de la directive de l’obligation de respecter les règles répartitrices de compétence.
B.23.3. La Cour examine donc d’abord le moyen qui est pris de la violation des règles répartitrices de compétences, puis les moyens qui sont pris de la violation de plusieurs droits fondamentaux.
En ce qui concerne les règles répartitrices de compétences
B.24.1. Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7926 est pris de la violation, par les articles 61 et 62 de la loi du 19 juin 2022, des articles 38, 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, et 143, § 1er, de la Constitution, de l’article 4, 1°, 3°, 5° et 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) et du principe de proportionnalité.
B.24.2. La partie requérante soutient que les dispositions attaquées relèvent de la compétence des communautés en matière de culture et de services des médias et non de la compétence de l’autorité fédérale en matière de propriété industrielle et intellectuelle, dont il est question à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, dès lors qu’elles constituent en réalité une mesure de soutien envers les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants (première branche).
À titre subsidiaire, elle affirme que les dispositions attaquées méconnaissent le principe de loyauté fédérale et le principe de proportionnalité, dès lors qu’elles portent atteinte au
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développement des productions culturelles locales et que la matière concernée aurait dû faire l’objet d’un accord de coopération (seconde branche).
B.25.1. L’article 38 de la Constitution dispose :
« Chaque communauté a les attributions qui lui sont reconnues par la Constitution ou par les lois prises en vertu de celle-ci ».
B.25.2. L’article 127, § 1er, de la Constitution dispose :
« Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret :
1° les matières culturelles;
[...]
Une loi adoptée à la majorité prévue à l’article 4, dernier alinéa, arrête les matières culturelles visées au 1° [...] ».
B.25.3. L’article 4, 1°, 3°, 5° et 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Les matières culturelles visées à l’article 127, § 1er, 1°, de la Constitution sont :
1° La défense et l’illustration de la langue;
[...]
3° Les beaux-arts;
[...]
5° Les bibliothèques, discothèques et services similaires;
6° les aspects de contenu et techniques des services de médias audiovisuels et sonores à l’exception de l’émission de communications du gouvernement fédéral;
[...] ».
B.25.4. L’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, tel qu’il a été modifié par la loi spéciale du 8 août 1988, dispose :
« [...]
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L’autorité fédérale est, en outre, seule compétente pour :
[...]
7° la propriété industrielle et intellectuelle;
[...] ».
B.26. Ainsi que le relèvent le Conseil des ministres et certaines parties intervenantes, la partie requérante n’apporte pas d’éléments concrets de nature à démontrer en quoi les dispositions attaquées relèveraient des compétences culturelles des communautés en matière de défense et d’illustration de la langue, d’une part, et de bibliothèques, discothèques et services similaires, d’autre part, visées par l’article 4, 1° et 5°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.27.1. Selon l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, tel qu’il a été modifié par la loi spéciale du 8 août 1988, l’autorité fédérale est seule compétente pour la propriété industrielle et intellectuelle.
B.27.2. Cette compétence vise notamment la matière des droits d’auteurs et des droits voisins, qui relèvent de la propriété intellectuelle, en ce compris les revenus que les écrivains et artistes peuvent légitimement espérer retirer de la diffusion de leurs œuvres (CE, avis n° 68.213/3 du 16 décembre 2020, p. 13; avis n° 35.027/VR du 11 mars 2003, pp. 4 et 12; avis n° 32.617/2 du 21 janvier 2002, pp. 2 et 5; avis n° 20.126/9 du 20 février 1991, p. 2).
B.28.1. De manière générale, les travaux préparatoires des dispositions attaquées, qui sont issues d’un amendement, précisent :
« Cet amendement offre une garantie aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores ou audiovisuelles d’obtenir une rémunération appropriée pour l’exploitation de leurs œuvres et prestations par les plateformes de streaming, comme par exemple Spotify, Deezer, Netflix ou Disney+, décrits dans la disposition légale comme ‘ certains prestataires de services de la société de l’information ’.
Ainsi, un parallèle peut être fait avec la rémunération due par les prestataires de services de partage de contenus en ligne, comme par exemple youtube, etc., régis par l’article 4/1 de ce projet de loi.
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L’intention pour ces deux prestataires de services est en effet de rétablir la balance entre d’une part les plateformes de partage de contenus en ligne et les plateformes de streaming et d’autre part les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/005, p. 5).
Au sujet, en particulier, du droit à la rémunération prévu par l’article 62 de la loi du 19 juin 2022, ces travaux préparatoires précisent :
« Cet article prévoit que, lorsque l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant d’une oeuvre sonore ou audiovisuelle a cédé le droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public, y compris la mise à disposition du public, par un prestataire de services de la société de l’information à un producteur, il conserve le droit à une rémunération.
Il convient de préciser que cela ne crée pas un nouveau droit exclusif, ni ne crée une nouvelle catégorie au droit existant de communication au public de l’article XI.165 CDE.
En outre, le droit à rémunération est limité à certaines catégories d’œuvres, à savoir les œuvres musicales et les œuvres audiovisuelles.
Ce nouveau droit à indemnisation sera donc dû par les plateformes qui proposent de la musique, comme Spotify et Deezer, et les plateformes qui proposent des séries et des films, comme Netflix et Disney+ » (ibid., p. 8).
B.28.2. Il s’ensuit que les dispositions attaquées ont vocation à régler les conséquences de la cession du droit de communication au public d’un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant d’une œuvre sonore ou audiovisuelle, lorsque cette œuvre fait l’objet d’une communication au public par un service de streaming, et ce, afin de protéger l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant.
B.28.3. Partant, les dispositions attaquées prévoient les modalités d’exercice d’un droit voisin et relèvent de la compétence de l’autorité fédérale en matière de propriété industrielle et intellectuelle, visée par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.29.1. Si la protection de la propriété intellectuelle présente des liens avec les beaux-arts, visés à l’article 4, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980, qui relèvent de la compétence des communautés, il n’en demeure pas moins que ces matières recouvrent, en principe, des objets distincts : alors que les droits d’auteur et les droits voisins appartiennent à l’auteur, à l’artiste-
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interprète ou exécutant ou au producteur ayant déjà créé une œuvre, la matière des beaux-arts, en ce qu’elle vise la promotion de la création d’œuvres, vise à accorder des subventions aux auteurs, artistes et producteurs afin de leur permettre de créer des œuvres (CE, avis n° 35.027/VR du 11 mars 2003, pp. 6 et 14).
B.29.2. Les dispositions attaquées ne peuvent pas être considérées comme des subventions relevant de la compétence des communautés en matière de beaux-arts.
B.29.3. En ce qui concerne le grief de la partie requérante selon lequel les dispositions attaquées porteraient atteinte à la compétence des communautés relative aux aspects de contenu et techniques des services de médias audiovisuels et sonores, visés par l’article 4, 6°, de la loi spéciale du 8 août 1980, il y a lieu de relever, d’une part, que les dispositions attaquées s’appliquent aux services de streaming visés par l’article XI.228/10 du Code de droit économique, qui ne recouvrent pas, en soi, la notion de « services de médias audiovisuels et sonores » précitée (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/005, p. 6) et, d’autre part, que ces dispositions n’ont pas vocation à porter sur des aspects de contenu ou techniques, mais bien à garantir une rémunération au profit des auteurs, artistes et producteurs d’œuvres audiovisuelles et sonores.
B.30. Le quatrième moyen, en sa première branche, dans l’affaire n° 7926 n’est pas fondé.
B.31.1. L’article 143, § 1er, de la Constitution dispose :
« Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés, les régions et la Commission communautaire commune agissent dans le respect de la loyauté fédérale, en vue d’éviter des conflits d’intérêts ».
Le respect de la loyauté fédérale suppose que, lorsqu’elles exercent leurs compétences, l’autorité fédérale et les entités fédérées ne perturbent pas l’équilibre de la construction fédérale dans son ensemble. La loyauté fédérale concerne plus que le simple exercice des compétences :
elle indique dans quel esprit il doit avoir lieu.
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Le principe de la loyauté fédérale oblige chaque législateur à veiller à ce que l’exercice de sa propre compétence ne rende pas impossible ou exagérément difficile l’exercice de leurs compétences par les autres législateurs.
B.31.2. En l’espèce, la prise en considération du principe de proportionnalité n’ajoute rien au principe de la loyauté fédérale.
B.32.1. Il n’apparaît pas en quoi les dispositions attaquées rendraient impossible ou exagérément difficile l’exercice de la compétence des communautés en matière culturelle, en particulier en ce qui concerne les beaux-arts et les services des médias, de manière telle qu’elles porteraient atteinte au développement des productions audiovisuelles locales.
B.32.2. En outre, la partie requérante ne démontre pas non plus que la matière de la propriété industrielle et intellectuelle, d’une part, et les matières culturelles précitées, d’autre part, seraient en l’espèce à ce point imbriquées que la conclusion d’un accord de coopération en vertu de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 s’avérerait indispensable.
B.33. Le quatrième moyen, en sa seconde branche, dans l’affaire n° 7926 n’est pas fondé.
En ce qui concerne les droits fondamentaux
B.34.1. Dans la majorité de leurs moyens relatifs à la violation des droits fondamentaux, les différentes parties requérantes dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927
formulent des demandes de questions préjudicielles à la Cour de justice.
B.34.2. Lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l’article 267, troisième alinéa, du TFUE.
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Ce renvoi n’est toutefois pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente, que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, ECLI:EU:C:1982:335, point 21; CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 33). À la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte), ces motifs doivent ressortir à suffisance de la motivation de l’arrêt par lequel la juridiction refuse de poser la question préjudicielle (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 51).
L’exception du défaut de pertinence a pour effet que la juridiction nationale n’est pas tenue de poser une question lorsque « la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige » (CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, Aquino, ECLI:EU:C:2017:209, point 43; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 34).
L’exception selon laquelle l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec évidence implique que la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des autres États membres et à la Cour de justice. Elle doit à cet égard tenir compte des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Elle doit également tenir compte des différences entre les versions linguistiques de la disposition concernée dont elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées. Enfin, elle doit également avoir égard à la terminologie propre à l’Union et aux notions autonomes dans le droit de l’Union, ainsi qu’au contexte de la disposition applicable à la lumière de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, points 40 à 46).
Pour le surplus, une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour « pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et
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d’effectivité » (CJCE, 14 décembre 1995, C-430/93 et C-431/93, Van Schijndel et Van Veen, ECLI:EU:C:1995:441, point 17; CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, précité, point 56; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 61).
Les articles XI.216/1 et XI.216/2 du Code de droit économique (articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022)
B.35.1. Comme il est dit en B.3.1, les articles XI.216/1 et XI.216/2 du Code de droit économique, insérés par les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022, créent un nouveau droit voisin au profit des éditeurs de presse, lorsque leur publication de presse fait l’objet d’une utilisation sur internet par les prestataires de services de la société de l’information.
B.35.2.1. L’article XI.216/1 du Code de droit économique définit la « publication de presse » comme une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, mais qui peut également comprendre d’autres œuvres ou prestations, et qui constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée sous un titre unique qui a pour but de fournir au public en général des informations liées à l’actualité ou d’autres sujets et qui est publiée sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services, étant entendu que les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires ne sont pas considérés comme des publications de presse.
Par ailleurs, l’article XI.216/1 du Code de droit économique précise que, dans le cadre du droit voisin précité, la notion de « service de la société de l’information » renvoie à un service au sens de l’article I.18, 1°, du Code de droit économique, à savoir « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire du service ».
B.35.2.2. Les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 mentionnent :
« Une définition de la notion de ‘ publications de presse ’ est ainsi introduite dans le paragraphe premier de l’article XI.216/1 afin de délimiter le champ d’application du nouveau droit voisin. Cette définition est presque une reprise littérale de l’article 2, paragraphe 6, de la directive. Les seules différences sont que le terme ‘ prestations ’ (terminologie belge) est utilisé
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à la place de ‘ autres objets ’ (terminologie européenne), et que dans le texte français, également selon la terminologie belge, les mots ‘ prestataire de service ’ sont utilisés à la place du ‘ fournisseur de service ’.
Conformément au considérant (56) de la directive : ‘ (...) il est nécessaire de définir la notion de publications de presse de manière que cette notion ne couvre que les publications journalistiques, publiées dans les médias quels qu’ils soient, y compris sur papier, dans le contexte d’une activité économique qui constitue une fourniture de services en vertu du droit de l’Union. Les publications de presse qui devraient être couvertes comprennent, par exemple, des journaux quotidiens, des magazines hebdomadaires ou mensuels généralistes ou spécialisés, y compris les magazines vendus sur abonnement, et des sites internet d’information. Les publications de presse contiennent principalement des œuvres littéraires, mais également, et de plus en plus, d’autres types d’œuvres et autres objets protégés, notamment des photos et des vidéos. (…) ’. Ce considérant (56) poursuit en précisant que sont par contre exclues les publications périodiques, publiées à des fins scientifiques ou universitaires, telles que les revues scientifiques, ainsi que les sites internet, tels que les blogs, qui fournissent des informations dans le cadre d’une activité qui n’est pas effectuée à l’initiative, sous la responsabilité et le contrôle éditorial, d’un éditeur de presse.
Le deuxième paragraphe de l’article XI.216/1 précise ce qui est visé par ‘ service de la société de l’information ’. Cette notion étant déjà prévue dans le CDE à l’article I.18, il est renvoyé à la définition existante afin qu’elle s’applique à la nouvelle section 6/1 introduite par l’article 37 du présent projet de loi. La notion de ‘ service de la société de l’information ’ étant issue de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information, il est renvoyé aux travaux parlementaires de cette dernière, qui contiennent toutes les précisions utiles concernant cette notion (Projet de loi sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information, Doc. Parl., 2002-2003, DOC 50-2100/001, 2002-2003, 13-16) » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, pp. 72-73).
B.35.3.1. L’article XI.216/2 du Code de droit économique prévoit que seul l’éditeur de presse établi dans un État membre de l’Union européenne bénéficie du droit de reproduire sa publication de presse ou d’en autoriser la reproduction pour son utilisation en ligne par un prestataire de services de la société de l’information ainsi que du droit de mettre sa publication de presse à la disposition du public pour son utilisation en ligne par un prestataire de services de la société de l’information, sans préjudice, toutefois, du droit de l’auteur, de l’artiste-
interprète ou exécutant, du producteur de phonogrammes ou de premières fixations de films et de l’organisme de radiodiffusion (article XI.216/2, § 1er, 1° et 2°). La protection offerte par le droit voisin ne s’applique toutefois pas aux actes d’hyperliens, aux utilisations de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse et aux utilisations d’œuvres ou de prestations dont la protection a expiré (article XI.216/2, § 4).
Par ailleurs, les auteurs d’œuvres intégrées dans une publication de presse ont droit à une part appropriée de la rémunération perçue par les éditeurs de presse. Cette part de rémunération
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est incessible et est déterminée conformément à une convention collective entre les éditeurs de presse et les auteurs. La gestion du droit à une part appropriée de la rémunération ne peut être exercée que par une société de gestion ou un organisme de gestion collective ayant une succursale en Belgique (article XI.216/2, § 6).
B.35.3.2. L’éditeur de presse et le prestataire de services de la société de l’information doivent négocier de bonne foi les exploitations ainsi que la rémunération qui est due à cet égard.
En l’absence d’accord, une des deux parties peut intenter la procédure de règlement des litiges devant l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (ci-après : l’IBPT), visée par l’article 4 de la loi du 17 janvier 2003 « concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges », afin de décider de la rémunération précitée, le cas échéant au moyen d’une décision administrative contraignante (article XI.216/2, § 2).
En outre, en l’absence d’accord sur la part appropriée à la rémunération qui est due aux auteurs et après que les parties ont tenté la médiation visée aux articles 1724 à 1737 du Code judiciaire, une commission présidée par un représentant du ministre compétent et composée de représentants des éditeurs de presse et de représentants des ayants droit peut être saisie afin de déterminer le montant dû (article XI.216/2, § 8).
B.35.3.3. Afin d’évaluer la valeur du droit voisin concerné, le prestataire de services de la société de l’information fournit, à la demande écrite de l’éditeur de presse, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur l’exploitation des publications de presse, en particulier le nombre de consultations des publications de presse et les revenus que le prestataire de services de la société de l’information tire de l’exploitation des publications de presse. Ces informations doivent être fournies dans un délai d’un mois à partir de la demande de l’éditeur de presse, sont traitées de manière strictement confidentielle et ne peuvent en aucun cas être utilisées à d’autres fins que l’évaluation du droit voisin et l’attribution d’une part appropriée de la rémunération (article XI.216/2, § 3).
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Par ailleurs, l’éditeur de presse fournit, à la demande écrite de la société de gestion ou de l’organisme de gestion collective précités, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur la rémunération que l’éditeur de presse perçoit du prestataire de services de la société de l’information. Ces informations sont traitées de manière strictement confidentielle, sont fournies dans un délai d’un mois et ne peuvent être utilisées à d’autres fins que l’évaluation de la part appropriée de la rémunération dont bénéficient les auteurs (article XI.216/2, § 7).
B.35.3.4. Au sujet du système qui précède, les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 précisent :
« Le premier paragraphe de l’article XI.216/2 vise à créer un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse pour l’utilisation de leurs publications de presse sur Internet par les prestataires de services de la société de l’information. Ce nouveau droit voisin offre une protection spécifique aux éditeurs de presse établis dans l’Union européenne pour la reproduction et la mise à disposition du public de leurs publications de presse, en ce qui concerne leur utilisation en ligne par ces prestataires de services [...].
Il convient de préciser que la notion de ‘ prestataire de services ’ a été utilisée dans la version française du présent projet de loi pour transposer la notion de ‘ fournisseur de services ’, prévue par la directive. Cette différence terminologique s’explique par la volonté d’assurer une cohérence au sein du CDE, qui utilise déjà cette première notion pour transposer la directive 2000/31/CE en droit belge. Pour la même raison, le terme de ‘ verlener ’ est utilisé dans la version néerlandaise du projet de loi, plutôt que celui d’‘ aanbieder ’ issu de la directive.
Il peut être déduit de l’utilisation du terme ‘ provider ’ dans les versions anglaises des deux directives 2000/31/CE et 2019/790/UE que les termes ‘ prestataire ’ et ‘ fournisseur ’ visent effectivement la même réalité.
L’article 15, § 2, alinéa 1er, de la directive prévoit en outre que ce nouveau droit voisin laisse intacts et n’affecte en aucune façon les droits conférés par le droit de l’Union aux auteurs et autres titulaires de droits voisins, à l’égard des œuvres et prestations intégrées dans une publication de presse. Il précise ensuite que le nouveau droit voisin est inopposable aux auteurs et autres titulaires de droits voisins et, en particulier, qu’il ne doit pas les priver de leur droit d’exploiter leurs œuvres et prestations indépendamment de la publication de presse dans laquelle elles sont intégrées.
Le CDE contient déjà un article XI.203, qui dispose que ‘ Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits de l’auteur. Aucune d’entre elles ne peut être interprétée comme une limite à l’exercice du droit d’auteur.
Les droits voisins reconnus au présent chapitre sont mobiliers, cessibles et transmissibles, en tout ou en partie, conformément aux règles du Code civil. Ils peuvent notamment faire l’objet d’une aliénation ou d’une licence simple ou exclusive ’.
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Bien que l’article XI.203, alinéa 1er, du CDE précise déjà que les droits voisins ne portent pas atteinte au droit de l’auteur, dans un souci de clarté, pour une meilleure lisibilité et pour veiller à l’exhaustivité de la disposition, il est proposé de que le texte de l’article XI.216/2
contienne une référence directe aux auteurs et (autres) titulaires de droits voisins, sur le modèle de ce qui est prévu pour les producteurs de phonogrammes à l’article XI.209 CDE.
L’article XI.216/2, § 1er, prévoit ainsi explicitement qu’aucune atteinte n’est portée aux droits de l’auteur, de l’artiste-interprète ou exécutant, du producteur de phonogrammes ou de premières fixations de films et de l’organisme de radiodiffusion.
En ce qui concerne le droit des auteurs et des autres titulaires de droits voisins d’exploiter leurs œuvres et prestations indépendamment de la publication de presse dans laquelle elles sont intégrées, on peut mentionner que ceci découle déjà de l’article XI.203 CDE : l’alinéa 1er interdit toute atteinte aux droits des auteurs et précise qu’aucune disposition du chapitre 3
– consacré aux droits voisins – ne peut être interprétée comme venant limiter les droits des auteurs, et l’alinéa 2 précise que les droits voisins peuvent faire l’objet d’une licence simple ou exclusive. Par conséquent, il est proposé de ne pas reprendre cette partie de la directive textuellement dans la disposition. C’est donc le droit commun de l’article XI.203 CDE qui s’applique. Ceci implique par ailleurs que lorsqu’une œuvre ou prestation est intégrée dans une publication de presse sur la base d’une licence non exclusive, le nouveau droit voisin ne peut être invoqué pour interdire l’utilisation par d’autres utilisateurs autorisés.
Le paragraphe 2 prévoit que les éditeurs de presse d’une part et les plateformes d’autre part doivent négocier de bonne foi. Comme mentionné ci-dessus, la directive prévoit un nouveau droit exclusif dans le chef des éditeurs de presse. Cela signifie donc qu’une plateforme doit obtenir l’autorisation du titulaire de droits (en l’occurrence l’éditeur de presse) si elle souhaite reproduire ou communiquer au public une publication de presse, sauf si une exception s’applique. Cela signifie également que la plateforme sera probablement redevable d’une rémunération à l’éditeur de presse.
En vertu de la liberté contractuelle, cela peut se faire via un accord de licence entre l’éditeur d’une part et la plateforme d’autre part. Si les parties ne parviennent pas à un accord, la publication de presse ne peut en principe pas être utilisée car elle est protégée par le droit exclusif. La loi précise seulement que les négociations doivent être menées de bonne foi. Cela signifie également que si l’une des deux parties propose de négocier, l’autre partie doit entamer la négociation de bonne foi.
Le paragraphe 2, alinéa 2, prévoit qu’à défaut d’accord entre les parties, la procédure de règlement des litiges visée à l’article 4 de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges peut être invoquée. Cette procédure se déroule sous l’égide de l’Institut belge des services postaux et des télécommunications.
L’Institut prend une décision contraignante sur la rémunération due pour l’exploitation des publications de presse. À cet égard, il peut également être indiqué que, conformément à l’article 4 de la loi précitée, il n’y a un litige au sens de cette disposition que si les parties n’aboutissent pas à une solution négociée dans un délai de quatre mois après la demande motivée d’ouvrir les négociations. Un recours contre la décision est formé devant la Cour des marchés, conformément à l’article 2 de la loi susmentionnée.
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La procédure à suivre est définie dans l’arrêté royal du 26 janvier 2018 fixant la procédure de règlement de litiges mentionnée à l’article 4 de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et des télécommunications belges.
Afin de faciliter les négociations entre les deux parties, le troisième paragraphe prévoit une obligation d’information de la part du prestataire de services de la société de l’information. Il est disposé que le prestataire de services de la société de l’information doit fournir, à la demande écrite de l’éditeur de presse toutes les informations actualisées, pertinentes et complètes concernant l’exploitation des publications de presse par la plateforme. Il va de soi que la plateforme n’est tenue de fournir que les informations directement liées aux publications de presse dont la partie négociante est détentrice. Plus précisément, la plateforme doit fournir des informations sur le nombre de consultations des publications de presse, tout comme le prestataire de services doit fournir des informations sur les revenus générés par l’exploitation des publications de presse. Ces deux exemples ne sont pas exhaustifs. La règle est que toute information utile, actualisée et pertinente doit être fournie, afin que l’éditeur de presse puisse estimer la valeur de ses publications de presse.
Le prestataire de services de la société de l’information est tenu de fournir les informations dans un délai d’un mois à compter du jour suivant la notification de la demande écrite de l’éditeur de presse. Un e-mail peut être suffisant à cet égard.
Le troisième alinéa du paragraphe 3 précise que les informations fournies ne peuvent être utilisées qu’aux fins de l’évaluation du nouveau droit exclusif pour les éditeurs de publications de presse d’une part, et de l’évaluation de la part appropriée pour les auteurs dont les œuvres sont utilisées dans la publication de presse d’autre part. Ces informations doivent rester strictement confidentielles. Il convient de rappeler que les éditeurs de presse doivent prendre les mesures appropriées pour assurer la confidentialité. Il peut s’agir par exemple de mesures organisationnelles internes (par exemple, seules certaines personnes ont accès aux informations) ou d’un accord de confidentialité conclu entre l’éditeur de presse d’une part, et le prestataire de services de la société de l’information d’autre part. Cette énumération n’est pas exhaustive.
Le quatrième paragraphe apporte certaines précisions quant à la portée du nouveau droit voisin introduit par le paragraphe 1er. Il est ainsi précisé que ce nouveau droit voisin ne s’applique pas aux actes d’hyperliens, aux utilisations de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse, ni aux utilisations d’œuvres ou de prestations dont la protection a expiré.
Concernant la notion de ‘ très courts extraits ’, il peut être rappelé que le nouveau droit des éditeurs de presse vise à protéger les investissements des éditeurs de presse. La question de savoir si cet extrait a en soi une valeur économique sera un élément important d’interprétation, lorsqu’il s’agit de déterminer si cet extrait constitue ou non un ‘ très court extrait ’. La directive apporte en outre certains éléments permettant de soutenir cette interprétation dans ses considérants : ‘ (55) La contribution organisationnelle et financière des éditeurs dans la production de publications de presse doit être reconnue et davantage encouragée pour assurer la pérennité du secteur de l’édition et, partant, promouvoir la disponibilité d’informations fiables. (...).
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(58) Les utilisations de publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information peuvent consister en l’utilisation de publications ou d’articles intégraux, mais aussi en l’utilisation de parties de publications de presse. Ces utilisations de parties de publications ont également gagné en importance économique. Dans le même temps, il se peut que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information ne fragilise pas les investissements effectués par les éditeurs de publications de presse dans la production de contenus. Il est dès lors approprié de prévoir que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse ne devrait pas entrer dans le champ des droits prévus dans la présente directive. Compte tenu de l’agrégation et de l’utilisation massives de publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information, il importe que l’exclusion des très courts extraits soit interprétée de manière à ne pas affecter l’efficacité des droits prévus dans la présente directive ’.
À la lumière de ce qui précède, on peut dire que, par exemple, un fragment d’un certain nombre de caractères (par exemple 200 caractères, qu’il s’agisse du titre ou du texte de la publication de presse), ou des œuvres d’art graphique et plastique qui entrent spécifiquement dans le cadre d’une publication de presse, comme des photos de presse ou des dessins animés, ne peuvent probablement pas, dans la plupart des cas, être considérés comme un ‘ très court extrait ’. Il convient cependant de souligner ici que cette notion est une notion européenne et que l’interprétation finale et le contenu de cette notion relèvent de la compétence de la Cour de Justice de l’Union européenne.
À cet égard, le Conseil d’État relève dans son avis que la sécurité juridique serait renforcée si l’on répondait dans le dispositif à la question de savoir si une photographie, qui accompagne une publication de presse, peut être considérée comme un ‘ très court fragment ’. En réponse à cela, il peut être indiqué que l’interprétation de la notion de ‘ très court fragment ’ dépend de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. Pour cette raison, il n’est pas approprié d’inclure une définition de la notion ‘ très court fragment ’ dans la transposition belge de la directive.
L’article 15, paragraphe 1er, alinéa 1er de la directive prévoit que sont également exclues du champ d’application du nouveau droit voisin les utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels. Ceci découle du libellé du droit voisin, qui vise explicitement les utilisations ‘ par un fournisseur de services de la société de l’information ’ (‘ prestataire ’ au sens de la législation belge), ainsi que du considérant (55) de la directive qui précise : ‘ (...) Il est donc nécessaire d’assurer au niveau de l’Union une protection juridique harmonisée des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne par des prestataires de services de la société de l’information, sans porter atteinte aux règles existantes du droit de l’Union en matière de droit d’auteur applicables aux utilisations privées ou non commerciales des publications de presse par des utilisateurs individuels, y compris lorsque ces utilisateurs partagent des publications de presse en ligne. (...) ’. Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas apparu nécessaire de préciser directement dans l’article XI.216/2 ce qui découle de la définition même du droit des éditeurs de presse, à savoir que ce droit ne s’applique pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels.
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Le considérant (57) de la directive précise en outre que les droits ainsi octroyés aux éditeurs de presse ne devraient pas ‘ (...) s’étendre aux simples faits rapportés dans les publications de presse. (...) ’.
Conformément à ce qui est prévu pour les autres titulaires de droits voisins dans les articles XI.205, § 2, XI.209, § 2 et XI.215, § 2 CDE, le paragraphe 5 introduit une présomption quant à l’identité de l’éditeur de presse. La personne qui apparaît comme tel sur la publication de presse, par exemple par la mention de son nom, d’un sigle ou d’un nom de domaine permettant de l’identifier, est ainsi présumée en être l’éditeur.
Le sixième paragraphe introduit, à l’alinéa premier et conformément à l’article 15, § 5, de la directive, une obligation de partage de la rémunération que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse en vertu de ce nouveau droit voisin, avec les auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse. Il peut être précisé à ce sujet que peuvent par exemple être considérés comme auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse les journalistes, les dessinateurs et les photographes de presse.
Le deuxième alinéa précise que les auteurs ne peuvent pas céder par contrat la part de la rémunération à laquelle ils ont droit dans le cadre du présent article.
Le troisième alinéa du sixième paragraphe prévoit que la part due par les éditeurs de presse aux auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse est déterminée par une convention collective conclue entre eux. Il va de soi que les parties doivent négocier de bonne foi à cet égard.
Le quatrième alinéa du sixième paragraphe prévoit que le droit à une part appropriée de la rémunération due aux auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse ne peut s’exercer que par le biais d’une gestion collective obligatoire, c’est-à-dire exclusivement via des sociétés de gestion et/ou des organismes de gestion collective ayant une succursale en Belgique.
Le Roi dispose en outre de la faculté de désigner une société de gestion afin d’accomplir cette mission selon les conditions qu’Il fixe. La société de gestion désignée doit en ce cas être représentative des sociétés de gestion et organismes de gestion collective gérant en Belgique le droit à rémunération prévu en faveur des auteurs précités. Cette société de gestion représentative pourra alors négocier l’accord collectif avec les éditeurs de presse visé au troisième alinéa du sixième paragraphe puis percevoir et répartir la rémunération convenue. Cette faculté laissée au Roi s’inscrit dans la volonté de permettre la mise en place d’un guichet unique auquel les éditeurs de presse pourront s’adresser concernant la part due aux auteurs d’œuvres intégrées dans leurs publications, facilitant ainsi le processus pour toutes les parties concernées.
Le paragraphe 7 prévoit une obligation d’information dans le chef des éditeurs de presse envers les sociétés de gestion collective ou organismes de gestion collective qui gèrent le droit à une part appropriée de la rémunération des auteurs dont les œuvres sont incluses dans une publication de presse. Les éditeurs de presse doivent fournir des informations actualisées, pertinentes et complètes sur la rémunération qu’ils reçoivent du prestataire de services de la
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société de l’information, car les auteurs ont droit à une part appropriée de cette rémunération.
De cette manière, les auteurs concernés, représentés par la société de gestion collective susmentionnée, peuvent obtenir des informations sur l’exploitation de leurs œuvres, notamment en ce qui concerne les modes d’exploitation, les revenus générés et la rémunération due. Ce n’est que de cette manière que les auteurs précités pourront évaluer si la partie de la rémunération à laquelle ils ont droit en vertu du premier alinéa du sixième paragraphe est appropriée.
Les informations doivent être fournies dans un délai d’un mois à compter du jour suivant la notification de la demande écrite de la société de gestion ou organisme de gestion collective.
Un e-mail peut être suffisant à cet égard. Ces informations doivent être traitées de manière confidentielle et ne peuvent être utilisées que pour l’évaluation de la part appropriée.
Si les parties ne parviennent pas à un accord sur la part appropriée, elles peuvent le cas échéant se tourner vers la médiation. Le(s) médiateur(s) peu(ven)t faciliter la négociation entre les parties pour encore parvenir à un accord. La médiation s’effectue conformément aux règles du droit commun (articles 1724 à 1737 du Code judiciaire). Idéalement, les deux parties à la négociation désignent de commun accord un ou plusieurs médiateur(s).
Le paragraphe 8 prévoit que lorsque les parties restent dans l’impasse, il peut être fait appel à une Commission. Cette Commission est présidée par un représentant du ministre et est composée de représentants des éditeurs de presse d’une part et de représentants des auteurs d’autre part. Cette Commission a avant tout un rôle de facilitation dans la conclusion d’un accord entre les parties. En l’absence d’un accord, la Commission peut prendre une décision finale et fixer la part appropriée de la rémunération des auteurs. Le Conseil d’État remarque dans son avis que le texte de la loi doit clarifier que cette Commission ne peut pas refuser de déterminer la part appropriée de la rémunération. Si la Commission pouvait refuser de se prononcer, il serait fait défaut au principe d’égalité et de non-discrimination. Le texte de la disposition légale a donc été modifié en conséquence.
Il convient à cet égard de préciser qu’avant que les parties puissent saisir cette Commission, elles doivent être en mesure de démontrer qu’elles ont au moins tenté une médiation. Le ou les médiateurs peuvent soutenir la négociation entre les parties en vue de parvenir à un accord.
Le Roi fixe les modalités d’application de cette disposition. Il peut, entre autres, fixer des délais et désigner les membres de la Commission. Il peut également déterminer les indemnités qui peuvent éventuellement être versées aux membres de la Commission » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, pp. 73 à 80).
B.36.1. Dans leur premier moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, les parties requérantes dans l’affaire n° 7922 soutiennent que l’article XI.216/2 du Code de droit économique, inséré par l’article 39
de la loi du 19 juin 2022, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise, d’une
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part, en introduisant une procédure contraignante de fixation des tarifs devant l’IBPT (première branche), et à la liberté contractuelle, d’autre part, en prévoyant une obligation étendue et unilatérale de partage de données aux prestataires de services de la société de l’information (seconde branche).
B.36.2. Dans leur deuxième moyen, pris de la violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 33, 40 et 144 de la Constitution, les mêmes parties requérantes allèguent que l’article XI.216/2 du Code de droit économique porte sur des droits subjectifs civils, de sorte qu’il n’est pas admissible que l’IBPT puisse prendre des décisions contraignantes en la matière (première branche). À titre subsidiaire, les parties requérantes soutiennent que les conditions afin de créer un organe spécialisé pour traiter en première instance des litiges relatifs aux droits subjectifs précités ne sont pas réunies en l’espèce (seconde branche).
B.36.3. Dans leur troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 et avec les articles 2 et 3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (ci-après : la directive 2001/29/CE), les mêmes parties requérantes affirment que les dispositions précitées de droit dérivé de l’Union européenne n’autorisent pas la procédure de fixation des tarifs devant l’IBPT (première branche), ni l’obligation de partage d’informations imposées aux prestataires de services de la société de l’information (seconde branche), prévues par l’article XI.216/2 du Code de droit économique.
B.37.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7925 prend un premier moyen, développé à titre principal, de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 10 et 56 du TFUE, avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique et avec l’article 15 de la directive (UE) 2019/790. Elle soutient en substance que les articles XI.216/1 et XI.216/2 du Code de droit économique, insérés par les articles 38 et 39 de la loi du 19 juin 2022, violent l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, en ce qu’ils introduisent un système de négociation obligatoire, par lequel l’IBPT peut adopter des décisions individuelles contraignantes sur le montant de la rémunération due pour l’utilisation en ligne des publications de presse, en ce
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qu’ils visent toutes les publications de presse, notamment celles qui ne concernent que de simples faits, en ce qu’ils s’appliquent aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, et, enfin, en ce qu’ils imposent aux prestataires de services de la société de l’information de fournir aux éditeurs de presse des informations pertinentes, actualisées et complètes sur le nombre de consultations et les revenus générés par l’exploitation de leurs publications de presse.
Par ailleurs, la partie requérante demande que quatre questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice, afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
B.37.2. À titre subsidiaire, la même partie requérante développe trois autres moyens.
B.37.3.1. Dans un deuxième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 10 et 56 du TFUE, avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, avec l’article 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 « relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur »
(ci-après : la directive 2000/31/CE) et avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, la partie requérante soutient que l’article XI.216/2 du Code de droit économique porte une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie, en ce qu’il engendre une obligation de fournir une rémunération indépendamment du fait que le téléversement ait été initié par les éditeurs eux-mêmes (première branche), en ce qu’il vise toutes les publications de presse, sans en distinguer le type ou le contenu (deuxième branche) et en ce qu’il impose indirectement une obligation de surveillance étendue aux prestataires de services de la société de l’information (troisième branche).
Par ailleurs, la partie requérante demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
B.37.3.2. Dans un troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 10 et 56 du TFUE, avec les articles 16, 20,
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21 et 52, paragraphe 1, de la Charte et avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, la partie requérante allègue que les obligations d’information prévues par l’article XI.216/2 du Code de droit économique constituent une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d’industrie, dès lors que les données confidentielles visées peuvent contenir des informations commerciales potentiellement très sensibles et que ces obligations d’information engendrent des investissements pécuniaires substantiels.
Par ailleurs, la partie requérante demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
B.37.3.3. Dans un quatrième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 37 de la Constitution, la partie requérante affirme que l’article XI.216/2 du Code de droit économique porte atteinte au principe de l’unité du pouvoir exécutif, en ce qu’il attribue à une autorité administrative indépendante le pouvoir d’adopter des décisions individuelles contraignantes déterminant la rémunération qui est due par les prestataires de services de la société de l’information aux éditeurs de presse.
B.38. Contrairement à ce que la partie requérante dans l’affaire n° 7925 soutient, l’article XI.216/2 du Code de droit économique n’a pas vocation à s’appliquer aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, ni aux simples faits rapportés dans les publications de presse, comme il ressort du libellé de l’article XI.216/1 et des travaux préparatoires cités en B.35.2.2 et en B.35.3.4. Sur ces points, le premier moyen dans l’affaire n° 7925 repose sur une prémisse erronée et il n’est pas nécessaire de poser les questions préjudicielles demandées par la partie requérante à cet égard.
B.39.1. Comme il ressort des travaux préparatoires cités en B.3.3.2 et en B.35.2.2, le droit voisin prévu par les dispositions attaquées au profit des éditeurs de presse et, par voie de conséquence, des auteurs de publications de presse vise à transposer, en droit belge, l’article 15
de la directive (UE) 2019/790.
150
B.39.2. À la date du prononcé du présent arrêt, la Cour de justice n’a pas encore été amenée à statuer sur l’interprétation de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790.
À cet égard, la partie requérante dans l’affaire n° 7925 relève que plusieurs questions préjudicielles en interprétation de cette disposition sont actuellement pendantes devant la Cour de justice et que ces questions comportent des différences par rapport à celles qu’elle a formulées.
B.39.3. Les points de vue des parties devant la Cour divergent quant à l’interprétation à donner à l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, que la Cour doit associer à son contrôle des dispositions attaquées.
B.39.4. Ces divergences portent sur plusieurs points.
B.39.5.1. Tout d’abord, elles concernent la question de savoir si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une législation nationale prévoyant une procédure de négociation balisée, supervisée par une autorité administrative dont les décisions sont susceptibles de recours devant une juridiction, pouvant aboutir à une obligation de rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse, indépendamment du fait que ces publications aient été mises en ligne par les éditeurs de presse eux-mêmes.
B.39.5.2. Ensuite, les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 16, 20 et 21 de la Charte, s’oppose à une législation nationale imposant au fournisseur de services de la société de l’information une obligation d’information unilatérale et non réciproque envers les éditeurs de presse, concernant notamment des informations confidentielles relatives à l’exploitation des publications de presse à fournir aux éditeurs de presse, et ce, même si les éditeurs de presse ont eux-mêmes mis en ligne les publications de presse et sans tenir compte des bénéfices générés par les éditeurs de presse ni du niveau de récupération de leur investissement par l’utilisation en ligne de leurs publications de presse sur les plateformes mises à disposition par le fournisseur précité, sans prévoir de garantie que le caractère confidentiel des informations sera conservé conformément aux conditions imposées par le fournisseur précité.
151
B.39.5.3. Enfin, les points de vue des parties divergent sur la question de savoir si l’article 15 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec les articles 16, 20 et 21 de la Charte et avec l’article 15 de la directive 2000/31/CE, s’oppose à une législation nationale qui impose des conditions dans lesquelles des accords avec chaque éditeur de presse pour l’utilisation en ligne de ses publications de presse doivent être conclus, y compris l’obligation de fournir une rémunération pour l’utilisation en ligne des publications de presse, indépendamment du fait que l’utilisation en ligne des publications concernées ait été effectuée par les éditeurs de presse eux-mêmes, qui couvrirait l’ensemble des publications de presse, sans faire de distinction selon que le contenu est protégé ou non par le droit d’auteur ou selon que les utilisateurs peuvent accéder aux publications en question dans leur intégralité ou seulement à des extraits de celles-ci, et qui aurait pour effet d’imposer une obligation de surveillance étroite des contenus publiés par les utilisateurs sur la plateforme.
B.40.1. L’article 16 de la Charte énonce :
« Liberté d’entreprise
La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales ».
B.40.2. L’article 20 de la Charte énonce :
« Égalité en droit
Toutes les personnes sont égales en droit ».
B.40.3. L’article 21 de la Charte énonce :
« Non-discrimination
1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite ».
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B.40.4. L’article 15 de la directive 2000/31/CE énonce :
« Absence d’obligation générale en matière de surveillance
1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement ».
B.41. Dès lors que le recours en annulation dans l’affaire n° 7925 soulève un doute concernant l’interprétation des articles 16, 20 et 21 de la Charte, de l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 et de l’article 15 de la directive 2000/31/CE, il convient de poser à la Cour de justice les trois premières questions préjudicielles formulées dans le dispositif.
L’article XI.228/4 du Code de droit économique (article 54 de la loi du 19 juin 2022)
B.42.1. Comme il est dit en B.4.1, l’article XI.228/4 du Code de droit économique, inséré par l’article 54 de la loi du 19 juin 2022, instaure un droit à la rémunération au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant dans l’hypothèse où le droit à la communication au public, en ce compris le droit de mise à disposition, a été cédé à un prestataire de services de partage de contenus en ligne, et ce, au titre de la communication au public par ce prestataire (article XI.228/4, § 1er). Ce droit à la rémunération est incessible et ne peut pas faire l’objet d’une renonciation (article XI.228/4, § 2). Par ailleurs, la gestion de ce droit ne peut être exercée, en ce qui concerne les auteurs, que par des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective représentant les auteurs et, en ce qui concerne les artistes-interprètes ou exécutants, que par des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective représentant des artistes-interprètes ou exécutants (article XI.228/4, § 3). L’ensemble de ce système est impératif (article XI.228/4, § 4), de sorte qu’il n’est pas possible d’y déroger contractuellement (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, p. 91).
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B.42.2. Les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 précisent :
« L’article 54 introduit un nouvel article XI.228/4. Le paragraphe 1er prévoit un droit à rémunération dans le cas où un auteur ou un artiste-interprète ou exécutant a cédé son droit de communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne. Il est important de préciser à cet égard que ce droit à rémunération ne concerne que la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne, y compris le droit de mise à disposition. L’article XI.228/3 du CDE prévoit d’ailleurs que le prestataire de services de partage de contenus en ligne accomplit un acte de communication au public, y compris la mise à disposition du public d’œuvres et/ ou de prestations. En outre, le droit à rémunération ne s’applique pas aux catégories de titulaires de droits autres que les auteurs et les artistes-
interprètes ou exécutants.
Le paragraphe 2 prévoit que le droit à rémunération est incessible et n’est pas susceptible de faire l’objet d’une renonciation.
[...]
Le paragraphe 4 prévoit que le droit à rémunération ne peut être exercé, selon le cas, que par les sociétés de gestion et/ou les sociétés de gestion collective représentant les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants. En d’autres termes, une gestion collective obligatoire est introduite. Celle-ci a pour but, d’une part, de faciliter la valorisation du droit à rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants et, d’autre part, de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique, à savoir les sociétés de gestion collective ou les organismes de gestion collective » (ibid., pp. 90-91).
B.42.3. Il ressort également des travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022 qu’un amendement tendant à la suppression de l’article XI.228/4 du Code de droit économique a été rejeté (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/003, p. 34). Cet amendement était justifié comme suit :
« Dans le cadre de la préparation du projet de loi à l’examen, [le] ministre de l’Économie [...] a demandé à deux reprises l’avis de la Commission européenne à propos de l’insertion d’un article 54 (droit à rémunération inaliénable pour les auteurs ou les artistes-interprètes ou exécutants par le biais d’une gestion collective obligatoire).
Il ressort de la première réponse adressée [le 6 octobre 2021] par [le] commissaire européen [au] ministre de l’Économie [...] que l’article 54 (article XI.228/4 en projet du CDE) est contraire à la directive DSM et qu’il est par conséquent incompatible avec l’article 17 de ladite directive :
‘ [...] les services de la Commission sont parvenus à la conclusion que l’article 17 de la directive DSM ne permet pas aux États membres d’introduire un droit à rémunération du type de celui qui est actuellement discuté en Belgique.
154
Ce droit introduirait une obligation spécifique imposée aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, qui n’est pas prévue par l’article 17 ’.
‘ Nous estimons que l’article 17 harmonise pleinement les relations entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits sur le contenu uploadé par les utilisateurs des services et qu’il ne permet donc pas aux États membres d’introduire des règles supplémentaires en matière de droit d’auteur dans le domaine harmonisé ’.
Dans sa deuxième réponse du 20 décembre 2021, le commissaire européen souligne et réitère sa position : ce droit à rémunération est incompatible avec l’article 17 de la directive DSM et ne peut pas non plus être justifié sur la base de l’article 18 de la directive DSM. Dans sa réponse, le commissaire européen renvoie à la résolution européenne adoptée, ainsi qu’à la législation allemande :
‘ Mes services ont expliqué en détail, dans notre lettre du 6 octobre 2021 (voy. pièces jointes), les raisons pour lesquelles nous pensons qu’un tel droit à rémunération, tel que décrit dans le projet que vous nous avez partagé, ne serait pas compatible avec la directive ’.
‘ Dans votre lettre, vous faites également référence à la résolution sur la situation des artistes et la reprise culturelle dans l’UE adoptée par le Parlement européen le 20 octobre 2021.
Cette résolution souligne l’importance d’assurer une mise en œuvre rapide de la directive DSM, et en particulier du principe de rémunération appropriée et proportionnelle des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants énoncé à son article 18. La Commission transmettra au Parlement sa réaction à cette résolution séparément et par les voies institutionnelles appropriées.
En ce qui concerne le droit d’auteur, je tiens à vous assurer que la Commission soutient pleinement l’objectif de renforcer la position des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants par une mise en œuvre rapide de la directive DSM. Il est toutefois essentiel que cette directive soit mise en œuvre correctement. En ce qui concerne l’article 18, les États membres sont libres d’utiliser différents mécanismes pour mettre en œuvre le principe de rémunération appropriée et proportionnelle. Toutefois, comme l’indique spécifiquement le considérant n° 73 de la directive, cette liberté est limitée par la nécessité pour les États membres d’agir en conformité avec le droit de l’Union. Comme expliqué dans notre lettre du 6 octobre 2021, et pour les raisons exposées dans tous nos échanges précédents, nous considérons que tel ne serait pas le cas si le droit à rémunération en discussion était introduit ’.
‘ Vous mentionnez également la loi récemment adoptée par l’Allemagne pour mettre en œuvre l’article 17 de la directive DSM, qui, selon vous, semblerait introduire un mécanisme de rémunération similaire à celui qui est envisagé en Belgique. À cet égard, je tiens à souligner que nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur la conformité de la loi de transposition allemande à ce stade, puisque nous n’avons pas encore achevé l’évaluation de conformité pertinente ’.
Une mauvaise transposition de la directive DSM exposerait l’État belge à des demandes de dédommagement de la part des plateformes (services de partage de contenu). Il est dès lors souhaitable de supprimer l’article 54 du projet de loi » (Les paragraphes entre demi-guillemets sont traduits librement depuis l’anglais) (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/002, pp. 4-5).
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B.42.4. Au sujet de ce qui précède, le rapport de première lecture indique :
« Le vice-premier ministre reconnaît que les services de la Commission européenne ont émis des doutes par rapport à la conformité à la directive et au choix volontariste posé par le gouvernement. Selon lui, ce choix met les artistes dans une position de force lors de la négociation, qu’aujourd’hui une négociation directe ne permet pas de garantir. La situation de terrain le reflète » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/003, p. 32).
B.43.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7922 prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article XI.228/4 du Code de droit économique, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 « prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (texte codifié) » (ci-après : la directive (UE) 2015/1535).
Elles soutiennent que l’article XI.228/4 du Code de droit économique constitue une « règle technique » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535, que, partant, il devait faire l’objet d’une notification à la Commission européenne avant son entrée en vigueur en vertu de l’article 5 de cette directive et que l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la même directive n’est pas applicable.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535.
B.43.2. Les mêmes parties requérantes prennent un cinquième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 et avec les articles 3 et 5 de la directive 2001/29/CE. Elles allèguent que le droit à la rémunération prévu par l’article XI.228/4 du Code de droit économique porte atteinte aux droits garantis par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, qui est d’harmonisation maximale, que l’article 18 de cette directive ne vise que les relations contractuelles et ne peut donc pas servir de fondement à la disposition attaquée et, à titre subsidiaire, que cette disposition n’est pas compatible avec les droits exclusifs des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants protégés par la directive 2001/29/CE (première branche).
En outre, les parties requérantes affirment que la disposition attaquée porte une atteinte
156
déraisonnable aux droits exclusifs précités, protégés par l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790 et par l’article 3 de la directive 2001/29/CE (seconde branche).
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec l’article 3 de la directive 2001/29/CE.
B.43.3. Dans leur sixième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790, les mêmes parties requérantes allèguent que l’article XI.228/4 du Code de droit économique modifie les conditions en vertu desquelles le prestataire de services de partage de contenus en ligne peut s’exonérer de sa responsabilité, alors que celles-ci sont limitativement énumérées par l’article 17, paragraphe 4, précité.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790.
B.43.4. Les mêmes parties requérantes prennent un septième moyen de la violation, par l’article XI.228/4 du Code de droit économique, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. Elles soutiennent, d’une part, que la marge de manœuvre dont bénéficient les États en application de cette dernière disposition doit en toute hypothèse respecter le principe de la liberté contractuelle et le droit de l’Union européenne applicable, notamment l’article 3 de la directive 2001/29/CE, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et que, d’autre part, l’adoption de l’article XI.228/4 du Code de droit économique n’est pas nécessaire, dès lors que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 est déjà transposé par les articles XI.167/1 et XI.205/1 du Code de droit économique, insérés par les articles 5 et 30 de la loi du 19 juin 2022.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
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B.43.5. Dans leur huitième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, les mêmes parties requérantes affirment que le droit inaliénable à la rémunération garanti par l’article XI.228/4 du Code de droit économique porte atteinte à l’essence de la liberté d’entreprendre et, à titre subsidiaire, que ce droit constitue à tout le moins une limitation disproportionnée de cette liberté.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 16 de la Charte, lu en combinaison ou non avec les articles 20 et 21 de cette Charte.
B.43.6. Enfin, les mêmes parties requérantes prennent un neuvième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 56 du TFUE et avec les articles 16, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte, en ce que le droit inaliénable à la rémunération garanti par l’article XI.228/4 du Code de droit économique complexifie les pratiques actuelles en matière d’octroi de licences et crée un régime spécifique à la Belgique qui diffère des régimes mis en place dans d’autres États membres, de sorte que cette disposition constitue une restriction injustifiée à la libre prestation des services.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 56 du TFUE.
B.44.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7927 prennent un premier moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, en ce que le droit à la rémunération garanti par l’article XI.228/4 du Code de droit économique modifie la portée des droits prévus par l’article 17 de la directive précitée, qui est d’harmonisation maximale, en prévoyant notamment une rémunération supplémentaire au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants ainsi qu’un mécanisme de gestion collective obligatoire.
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Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 17 de la directive (UE) 2019/790.
B.44.2. Dans leur deuxième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 du Traité sur l’Union européenne (ci-après :
le TUE), avec l’article 56 du TFUE, avec l’article 16 de la Charte, avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 ainsi qu’avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, les mêmes parties requérantes affirment que le droit à la rémunération garanti par l’article XI.228/4 du Code de droit économique porte une atteinte injustifiée à la libre prestation des services.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 56 du TFUE.
B.45.1. Contrairement à ce que les parties requérantes dans l’affaire n° 7922 soutiennent, l’article XI.228/4 du Code de droit économique ne concerne pas la responsabilité des prestataires de services de partage de contenus en ligne pour les actes non autorisés de communication au public, visée par l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790.
B.45.2. Il ressort du libellé de la disposition attaquée et des travaux préparatoires cités en B.42.2 que celle-ci a vocation à garantir, dans les conditions qu’elle établit, un droit à la rémunération au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants pour l’acte de communication au public en tant que tel, et ce, indépendamment de la question de la responsabilité éventuelle du prestataire précité pour un acte non autorisé de communication au public. À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790 est transposé par l’article XI.228/5, § 1er, du Code de droit économique, inséré par l’article 55 de la loi du 19 juin 2022, non attaqué (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/001, pp. 91-92).
B.45.3. Partant, le sixième moyen dans l’affaire n° 7922 repose sur une prémisse erronée et il n’est pas nécessaire de poser la question préjudicielle demandée par les parties requérantes,
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relative à l’interprétation que doit recevoir l’article 17, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/790.
B.46.1. Il ressort tant du libellé de l’article XI.228/4 du Code de droit économique que de ce qui est dit en B.4.2.3 et B.4.2.4 que, par cette disposition, le législateur entendait régler certaines conséquences d’un acte de communication au public au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2019/790, transposé par le chapitre 4/1 du titre 5 du livre XI
du Code de droit économique, en garantissant un mécanisme de rémunération au bénéfice des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants lorsque ceux-ci ont cédé le droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un prestataire de services de partage de contenus en ligne, sur la base de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.46.2. Partant, l’article XI.228/4 est susceptible de relever du champ d’application tant de l’article 17 que de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.46.3. À la date du prononcé du présent arrêt, la Cour de justice n’a pas encore été amenée à statuer sur l’interprétation des articles 17 et 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.46.4. Par ailleurs, il y a lieu de relever que, par ses courriers des 6 octobre 2021 et 20 décembre 2021, dont il est question dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022
cités en B.42.3, le commissaire européen au Marché intérieur a estimé que le système prévu par l’article XI.228/4 du Code de droit économique n’est pas compatible avec les articles 17 et 18
de la directive (UE) 2019/790.
B.46.5. Bien que les lettres de la Commission ne lient pas la Belgique, il y a toutefois lieu de prendre en considération, dans le cadre des affaires présentement examinées, les lettres précitées des 6 octobre 2021 et 20 décembre 2021, dès lors qu’elles sont expressément mentionnées dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022, de sorte que le législateur y a eu égard, et qu’elles portent directement sur le système prévu par l’article XI.228/4 du Code de droit économique.
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B.46.6. Les points de vue des parties devant la Cour divergent quant à l’interprétation à donner à plusieurs dispositions du droit de l’Union européenne, que la Cour doit associer à son contrôle de la disposition attaquée.
B.46.7. Ces divergences portent sur plusieurs points.
B.46.8.1. Tout d’abord, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition nationale instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, constitue une « règle technique », dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission conformément à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive (UE) 2015/1535, et, le cas échéant, si l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la même directive est applicable.
À cet égard, le Conseil des ministres ne conteste pas que la disposition attaquée n’a pas été notifiée au préalable à la Commission européenne.
B.46.8.2. Ensuite, les divergences concernent la question de savoir si l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec l’article 3 de la directive 2001/29/CE, s’oppose à une législation nationale introduisant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-
ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité.
B.46.8.3. Par ailleurs, les points de vue des parties divergent sur la question de savoir si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 s’oppose à une législation nationale introduisant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-
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interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits.
B.46.8.4. En outre, les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’article 56
du TFUE s’oppose à une législation nationale prévoyant, sans période transitoire, un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-
interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité.
B.46.8.5. Enfin, les divergences entre les parties portent sur la question de savoir si l’article 16 de la Charte, lu ou non en combinaison avec les articles 20 et 21 de cette Charte, s’oppose à une législation nationale prévoyant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-
ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits.
B.47.1. L’article 56 du TFUE énonce :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union ».
B.47.2. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535 énonce :
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« Au sens de la présente directive, on entend par :
[...]
f) ‘ règle technique ’, une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 7, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.
Constituent notamment des règles techniques de facto :
i) les dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un État membre qui renvoient soit à des spécifications techniques ou à d’autres exigences ou à des règles relatives aux services, soit à des codes professionnels ou de bonne pratique qui se réfèrent eux-mêmes à des spécifications techniques ou à d’autres exigences ou à des règles relatives aux services, dont le respect confère une présomption de conformité aux prescriptions fixées par lesdites dispositions législatives, réglementaires ou administratives;
ii) les accords volontaires auxquels l’autorité publique est partie contractante et qui visent, dans l’intérêt général, le respect de spécifications techniques ou d’autres exigences, ou de règles relatives aux services, à l’exclusion des cahiers de charges des marchés publics;
iii) les spécifications techniques ou d’autres exigences ou les règles relatives aux services liées à des mesures fiscales ou financières qui affectent la consommation de produits ou de services en encourageant le respect de ces spécifications techniques ou autres exigences ou règles relatives aux services; ne sont pas concernées les spécifications techniques ou autres exigences ou les règles relatives aux services liées aux régimes nationaux de sécurité sociale.
Sont concernées les règles techniques qui sont fixées par les autorités désignées par les États membres et qui figurent sur une liste établie et mise à jour, le cas échéant, par la Commission dans le cadre du comité visé à l’article 2.
La modification de cette liste s’effectue selon cette même procédure;
g) ‘ projet de règle technique ’, le texte d’une spécification technique, ou d’une autre exigence ou d’une règle relative aux services, y compris de dispositions administratives, qui est élaboré dans le but de l’établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique et qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d’y apporter des amendements substantiels ».
B.47.3. L’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive (UE) 2015/1535 énonce :
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« Sous réserve de l’article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet ».
B.47.4. L’article 7, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535 énonce :
« Les articles 5 et 6 ne s’appliquent pas aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ou aux accords volontaires par lesquels ces derniers :
a) se conforment aux actes contraignants de l’Union qui ont pour effet l’adoption de spécifications techniques ou de règles relatives aux services;
[...] ».
B.47.5. L’article 3 de la directive 2001/29/CE énonce :
« Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés
1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :
a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions;
b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes;
c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films;
d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.
3. Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article ».
164
B.48. Dès lors que, comme il ressort des positions des parties devant la Cour mais aussi des lettres précitées de la Commission européenne, les recours en annulation dans les affaires nos 7922 et 7927 soulèvent des doutes concernant l’interprétation de l’article 56 du TFUE, des articles 16, 20 et 21 de la Charte, des articles 17 et 18 de la directive (UE) 2019/790, des articles 1er, paragraphe 1, f), 5, paragraphe 1, premier alinéa, et 7, paragraphe 1, a), de la directive (UE) 2015/1535 et de l’article 3 de la directive 2001/29/CE, il convient de poser à la Cour de justice les quatrième à huitième questions préjudicielles formulées dans le dispositif.
Les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique (articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022)
B.49.1. Comme il est dit en B.5.1, les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique, qui forment le chapitre 4/2 du titre 5 du livre XI de ce Code, inséré par les articles 60 à 62 de la loi du 19 juin 2022, visent à garantir une rémunération appropriée au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant d’œuvres audiovisuelles ou sonores pour l’exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations par les plateformes de streaming.
B.49.2. En particulier, l’article XI.228/11 du Code de droit économique instaure un droit à la rémunération au profit de l’auteur et de l’artiste-interprète ou exécutant dans l’hypothèse où le droit à la communication au public, en ce compris le droit de mise à disposition, a été cédé à un prestataire de services de la société de l’information visé à l’article XI.228/10 du Code de droit économique, et ce, au titre de la communication au public par ce prestataire (article XI.228/11, § 1er). Ce droit à la rémunération est incessible et ne peut pas faire l’objet d’une renonciation (article XI.228/11, § 2). Par ailleurs, en l’absence de convention collective applicable, la gestion de ce droit ne peut être exercée, en ce qui concerne les auteurs, que par des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective représentant les auteurs et, en ce qui concerne les artistes-interprètes ou exécutants, que par des sociétés de gestion ou des organismes de gestion collective représentant des artistes-interprètes ou exécutants (article XI.228/11, § 3). L’ensemble de ce système est impératif (article XI.228/11, § 4).
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B.49.3. Aux termes de l’article XI.228/10 du Code de droit économique, la rémunération prévue par l’article XI.228/11, § 1er, du Code de droit économique incombe au prestataire de services de la société de l’information dont au moins un des objectifs principaux est d’offrir à des fins lucratives une quantité importante d’œuvres sonores ou audiovisuelles protégées par le droit d’auteur et les droits voisins, étant entendu que les utilisateurs de ces services doivent bénéficier d’un droit d’accès aux œuvres sonores ou audiovisuelles offertes depuis l’endroit et au moment qu’ils choisissent eux-mêmes, que ces utilisateurs ne peuvent acquérir une reproduction permanente de l’œuvre consultée et que le prestataire a la responsabilité éditoriale pour l’offre et l’organisation du service, y compris l’organisation, le classement et la promotion des œuvres concernées.
B.50.1. Les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique sont issus d’un amendement qui précise, de manière générale :
« Cet amendement offre une garantie aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants d’œuvres sonores ou audiovisuelles d’obtenir une rémunération appropriée pour l’exploitation de leurs œuvres et prestations par les plateformes de streaming, comme par exemple Spotify, Deezer, Netflix ou Disney+, décrits dans la disposition légale comme ‘ certains prestataires de services de la société de l’information ’.
Ainsi, un parallèle peut être fait avec la rémunération due par les prestataires de services de partage de contenus en ligne, comme par exemple youtube, etc., régis par l’article 4/1 de ce projet de loi.
L’intention pour ces deux prestataires de services est en effet de rétablir la balance entre d’une part les plateformes de partage de contenus en ligne et les plateformes de streaming et d’autre part les auteurs et artistes-interprètes ou exécutants.
Dans sa Résolution du 20 octobre 2021 sur la situation des artistes et la reprise culturelle dans l’UE, le Parlement européen encourage les États membres et la Commission à utiliser davantage le mécanisme de la gestion collective des droits dans la transposition de la Directive DSM ainsi que dans les initiatives à venir visant à assurer une rémunération équitable (par. 16). Elle y invite les États membres à transposer la Directive DSM afin de garantir une rémunération juste, appropriée et proportionnelle aux auteurs et aux artistes-interprètes (par. 13). Le Parlement soulignant l’importance d’une rémunération des auteurs et des artistes-
interprètes tant en ligne que hors ligne (par. 41) » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-
2608/005, p. 5).
B.50.2. Au sujet de l’article XI.228/10 du Code de droit économique, l’amendement précise :
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« Rappelons que le terme ‘ streaming ’ décrit une technique et non un phénomène juridique. De manière simplifiée, la technique du ‘ streaming ’ signifie que le contenu n’a pas besoin d’être préalablement téléchargé ou téléversé avant de pouvoir être consulté. Il s’agit d’un ‘ flux de données ’ continu d’un serveur vers un appareil, qui permet à l’utilisateur de consulter le contenu sans avoir à le télécharger complètement d’abord. Cependant, une connexion Internet est nécessaire.
Sur le plan juridique, il s’agit des services de la société de l’information, tels que visés à l’article I.16 du CDE, dont la finalité principale ou l’une des finalités principales est de fournir en ligne une quantité importante de contenus audiovisuels ou de contenus musicaux protégés par le droit d’auteur ou des droits voisins, et ce, dans un but lucratif. Si la fourniture de contenu via le streaming est accessoire à l’activité principale d’un certain acteur, le droit à rémunération ne s’applique pas.
Le terme ‘ service de la société de l’information ’ est défini comme suit dans le CDE : ‘ tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire du service ’. Toutefois, afin de définir le champ d’application de ce nouveau chapitre, un certain nombre de conditions spécifiques sont prévues.
En premier lieu, il est prévu qu’il s’agisse de services par lesquels l’utilisateur a accès au contenu proposé contre paiement en argent ou sans paiement. Bien que cet élément de ‘ paiement ’ soit déjà inclus dans la définition du ‘ service de la société de l’information ’, il est jugé nécessaire de répéter et d’encadrer davantage ce critère. Après tout, le paysage du streaming est très diversifié. Les plateformes de streaming sont ainsi financées, entre autres, par les revenus publicitaires, les frais d’abonnement et/ou l’utilisation des données (de préférence) de l’utilisateur. Il est important de préciser que si une compensation monétaire est versée par l’utilisateur, il s’agit d’une compensation récurrente. La soi-disant vidéo à la demande ou musique à la demande d’une œuvre n’est donc pas couverte. Cela peut être mensuel, mais aussi annuel. En contrepartie, l’utilisateur accède alors à tout ou partie du catalogue de la plateforme, sans que l’utilisateur ait à payer une redevance individuelle par consultation du contenu, comme c’est le cas pour la vidéo à la demande ou la musique à la demande d’une œuvre. En d’autres termes, l’utilisateur paie une ‘ redevance forfaitaire ’.
D’autre part, cet amendement couvre également le modèle basé en tout ou en partie sur la publicité. L’utilisateur ne paie aucune compensation monétaire, mais verra des publicités. Il est bien sûr possible qu’un service de streaming utilise une combinaison des deux modèles, avec une version ‘ gratuite ’ et une version ‘ payante ’. Ces plateformes utilisent également les données (de préférence) des utilisateurs, entre autres pour envoyer à l’utilisateur des publicités ciblées correspondant à son profil. Cela n’affecte pas l’applicabilité du droit à rémunération, car tous ces modèles sont couverts.
Deuxièmement, il faut que la plateforme ne permette pas aux utilisateurs de faire une reproduction permanente d’une œuvre. L’achat d’une œuvre numérique individuelle, comme lorsqu’on achetait avant un CD ou un DVD, ne relève donc pas de la description de la plateforme visée.
Du fait de ces deux critères, les services dits ‘ transactionnels ’ (par opposition aux services par abonnement et aux services par publicité) ne sont pas couverts par ce droit à rémunération.
Avec un tel ‘ service transactionnel ’, l’utilisateur paie par consultation d’une œuvre individuelle. Cela pourrait inclure le paiement d’une rémunération pour un film, par laquelle
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l’utilisateur acquiert le droit de visionner le film pendant une certaine période (par exemple, 48 heures), ou acquiert une copie numérique permanente. Cependant, le fait que les plateformes de streaming visées par ce chapitre offrent à leurs utilisateurs la possibilité de télécharger des contenus (pour permettre une consultation hors ligne) n’affecte pas la qualification. Après tout, cette ‘ option de téléchargement ’ est bien souvent une option supplémentaire qui est proposée aux utilisateurs, et non le but en soi de ces services de streaming.
Troisièmement, il est prévu que la plateforme doit permettre à l’utilisateur d’accéder et d’utiliser le service à tout moment à l’endroit et au moment de son choix (par exemple en Belgique). Il s’agit d’une distinction importante avec les fournisseurs de contenu dont l’endroit et le moment de consultation dépendent d’une décision unilatérale du fournisseur de contenu, comme la diffusion en direct. Cela signifie donc que les services qui proposent des contenus de manière linéaire, quelle que soit la technique utilisée, ne relèvent pas de ce droit à rémunération.
Quatrièmement, le fournisseur de services doit avoir la responsabilité éditoriale de la fourniture du service. Après tout, les services en ligne visés dans cet article doivent fournir eux-
mêmes le contenu, cela peut se faire au moyen des propres productions du fournisseur de services, mais aussi en achetant des productions ou en concluant des accords de licence. Les services qui permettent aux utilisateurs individuels de mettre des contenus directement sur la plateforme n’entrent donc pas dans le champ d’application de ce nouveau chapitre. Pour de tels services, il peut être renvoyé aux articles 51 à 59 et suivants du projet. En outre, il est nécessaire que le fournisseur de services organise, promeuve ou classe le contenu (cela peut être fait par des moyens automatisés). Après tout, les fournisseurs de services envisagés dans cet amendement recommanderont souvent certains contenus en fonction des préférences de leurs utilisateurs ou attireront l’attention de l’utilisateur sur ceux-ci via l’interface utilisateur. Cela peut se faire par l’intervention d’une personne ou par des algorithmes » (ibid., pp. 5 à 8).
B.50.3. En ce qui concerne l’article XI.228/11 du Code de droit économique, l’amendement précise :
« Cet article prévoit que, lorsque l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant d’une œuvre sonore ou audiovisuelle a cédé le droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public, y compris la mise à disposition du public, par un prestataire de services de la société de l’information à un producteur, il conserve le droit à une rémunération.
Il convient de préciser que cela ne crée pas un nouveau droit exclusif, ni ne crée une nouvelle catégorie au droit existant de communication au public de l’article XI.165 CDE.
En outre, le droit à rémunération est limité à certaines catégories d’œuvres, à savoir les œuvres musicales et les œuvres audiovisuelles.
Ce nouveau droit à indemnisation sera donc dû par les plateformes qui proposent de la musique, comme Spotify et Deezer, et les plateformes qui proposent des séries et des films, comme Netflix et Disney+.
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Ce droit à rémunération est incessible et n’est pas susceptible de faire l’objet d’une renonciation. Ces dispositions étant de droit impératif, il ne sera pas possible d’y déroger contractuellement et la rémunération sera en toutes hypothèses toujours due.
La gestion de ce droit à rémunération ne peut être exercée que par les sociétés de gestion.
Celle-ci a pour but, d’une part, de faciliter la valorisation du droit à rémunération des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants et, d’autre part, de faciliter le versement de la rémunération par la partie redevable en prévoyant un point de contact unique, à savoir les sociétés de gestion collective ou les organismes de gestion collective.
Si une convention collective est conclue, le mécanisme de la gestion collective obligatoire ne s’applique pas, car la convention, dans laquelle toutes les parties sont représentées conjointement et où un juste équilibre est recherché entre les droits et intérêts de chacune des parties, garantit aux auteurs et artistes-interprètes ou exécutants une rémunération appropriée »
(ibid., pp. 8-9).
B.50.4. Comme il est dit en B.5.2.4, en commission, le Vice-Premier ministre et ministre de l’Économie et du Travail a précisé que les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique visent à établir le même système en ce qui concerne le streaming que celui prévu par l’article XI.228/4 de ce Code (Doc. parl., Chambre 2021-2022, DOC 55-2608/006, p. 10).
En séance plénière, un amendement tendant à la suppression des articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique a été rejeté (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-
2608/009, p. 2). Celui-ci était justifié de la même manière que l’amendement, mentionné en B.42.3, qui visait à supprimer l’article XI.228/4 du Code de droit économique (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2608/008, p. 7).
B.51.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7924 prennent un premier moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 18 et 20
de la directive (UE) 2019/790 ainsi qu’avec les articles 16 et 52, paragraphe 1, de la Charte. Le développement du moyen vise en outre l’article 56 du TFUE ainsi que les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. Dans leur moyen, les parties requérantes soutiennent que le droit à la rémunération garanti par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique constitue une restriction injustifiée au principe de liberté contractuelle, excède le cadre prévu par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, porte atteinte au droit de mise à
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disposition du public garanti par l’article 3, paragraphe 2, a), de la directive 2001/29/CE et crée une discrimination entre les entrepreneurs proposant des services dans l’Union européenne.
Par ailleurs, les mêmes parties requérantes demandent que quatre questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doivent recevoir l’article 56 du TFUE, les articles 16 et 52, paragraphe 1, de la Charte, les articles 18 et 20 de la directive (UE) 2019/790 et les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE.
B.51.2. Dans leur second moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 56 du TFUE et avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, les mêmes parties requérantes affirment que le droit à la rémunération visé par l’article XI.228/11 du Code de droit économique porte une atteinte disproportionnée à la libre prestation des services, en ce que cette rémunération excède le cadre de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 et restreint la capacité des prestataires de services à conclure des contrats transfrontaliers. Elles constatent par ailleurs que le projet à l’origine de l’article XI.228/11 du Code de droit économique n’a pas fait l’objet d’une notification à la Commission européenne, comme l’exige pourtant la directive (UE) 2015/1535.
Par ailleurs, les mêmes parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice, afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535.
B.52.1. La partie requérante dans l’affaire n° 7926 prend un premier moyen de la violation, par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. À titre principal, elle soutient que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 ne règle que les relations contractuelles entre l’ayant droit et son cocontractant direct et n’autorise pas l’adoption du droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées (première branche). À titre subsidiaire, elle affirme que l’article 18 de la directive (UE) 2019/790 appelle une réglementation uniforme au sein de l’Union européenne (deuxième branche), que cette disposition s’oppose à une réglementation aboutissant à un double paiement ou à une rémunération supplémentaire pour l’auteur ou l’artiste-interprète ou exécutant (troisième branche), que le droit à la rémunération
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garanti par les dispositions attaquées constitue une restriction disproportionnée de la liberté contractuelle (quatrième branche) et que la possibilité d’une telle rémunération a été rejetée lors de l’adoption de la directive (UE) 2019/790 (cinquième branche).
B.52.2. La même partie requérante prend un deuxième moyen de la violation, par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la libre prestation des services. À titre principal, elle soutient que les dispositions attaquées restreignent la liberté de fournir des services de la société de l’information, garantie par l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE et par l’article 4, paragraphe 7, de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 « visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels »
(première branche). À titre subsidiaire, la partie requérante allègue que les dispositions attaquées entravent la libre prestation des services garantie par l’article 56 du TFUE et créent une discrimination fondée sur la nationalité (seconde branche).
B.52.3. Dans son troisième moyen, pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 17 de la Charte et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, la même partie requérante estime que le droit à la rémunération garanti par les articles XI.228/10 et XI.228/11
du Code de droit économique ne vise pas à compenser un préjudice, de sorte que ce système n’est pas compatible avec le droit de propriété.
B.52.4. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7926 est pris de la violation des articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’avec les articles 20 à 22 de la Charte, en ce que les articles XI.228/10
et XI.228/11 du Code de droit économique créent une identité de traitement injustifiée entre les plateformes internationales de streaming et les plateformes locales de streaming, alors que ces deux catégories se trouvent dans des situations essentiellement différentes au regard de leur chiffre d’affaires et de leur pouvoir de négociation.
B.53.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7927 prennent un troisième moyen de la violation, par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique, des articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
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Elles soutiennent que le droit à la rémunération prévu par les dispositions attaquées excède le cadre prévu par l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, en ce qu’il interfère avec la liberté contractuelle et qu’il porte atteinte au caractère exclusif du droit d’auteur.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.53.2. Dans leur quatrième moyen, les mêmes parties requérantes affirment que les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 du TUE, avec l’article 56 du TFUE, avec l’article 16 de la Charte, avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 et avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. Selon elles, le droit à la rémunération attaqué porte une atteinte injustifiée à la libre prestation des services, dès lors que les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique empêchent les services de streaming d’obtenir les droits nécessaires pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne par le biais d’accords de licence multi-territoriaux avec les labels.
Par ailleurs, les parties requérantes demandent qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice afin de déterminer l’interprétation que doit recevoir l’article 56 du TFUE.
B.54.1. Comme il est dit en B.5.2.4, l’objectif du législateur, par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique, était de prévoir, en ce qui concerne les prestataires de services de streaming, un système similaire à celui prévu par l’article XI.228/4 du Code de droit économique en ce qui concerne les prestataires de services de partage de contenus en ligne.
Partant, les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique sont susceptibles de relever du champ d’application de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790. En revanche, l’article 17 de la directive (UE) 2019/790, en ce qu’il vise expressément les « fournisseurs de service de partage de contenus en ligne », n’a pas vocation à s’appliquer aux services de
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streaming au sens de l’article XI.228/10 du Code de droit économique, comme le libellé de l’article 17 de la directive et les travaux préparatoires cités en B.50.2 le mettent en évidence.
B.54.2. Comme il est dit en B.46.3, la Cour de justice n’a pas encore été amenée, à la date du prononcé du présent arrêt, à statuer sur l’interprétation de l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.54.3. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, par ses courriers des 6 octobre 2021 et 20 décembre 2021, le commissaire européen au Marché intérieur a estimé que le système prévu par l’article XI.228/4 du Code de droit économique, que les dispositions attaquées ont vocation à appliquer aux plateformes de streaming, n’est pas compatible avec l’article 18 de la directive (UE) 2019/790.
B.54.4. En outre, les travaux préparatoires des articles XI.228/10 et XI.228/11 font expressément référence à la résolution 2020/2261, par laquelle le Parlement européen « invite les États membres à transposer la directive (UE) 2019/790 sur les droits d’auteur dans le marché unique numérique en mettant principalement l’accent sur la protection des œuvres culturelles et créatives et de leurs auteurs et, notamment, à garantir une rémunération juste, adéquate et proportionnelle aux auteurs et aux artistes-interprètes » (point 13) et « invite la Commission à promouvoir la gestion collective des droits dans la mise en œuvre des directives sur le droit d’auteur récemment adoptées ainsi que dans ses initiatives à venir visant à assurer une juste rémunération aux créateurs et à garantir un large accès du public aux œuvres culturelles et créatives » (point 16). Par ailleurs, dans la même résolution, le Parlement européen « souligne l’importance de la rémunération des auteurs et des artistes-interprètes en ligne et hors ligne, notamment par la promotion de la négociation collective » (point 41).
B.54.5. Bien que les lettres de la Commission et les résolutions du Parlement européen ne lient pas la Belgique, il y a toutefois lieu de prendre en considération, dans le cadre des affaires présentement examinées, les lettres précitées des 6 octobre 2021 et 20 décembre 2021 ainsi que la résolution 2020/2261, dès lors qu’elles sont expressément mentionnées dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juin 2022, de sorte que le législateur y a eu égard, et qu’elles portent
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en substance sur le système prévu par les articles XI.228/10 et XI.228/11 du Code de droit économique.
B.54.6. Les points de vue des parties devant la Cour divergent quant à l’interprétation à donner à plusieurs dispositions du droit de l’Union européenne, que la Cour doit associer à son contrôle de la disposition attaquée.
B.54.7. Ces divergences portent sur plusieurs points.
B.54.8.1. Tout d’abord, les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 doit être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming, constitue une « règle technique », à savoir une « règle relative aux services », au sens de cette disposition, dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, et, le cas échéant, si l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la même directive est applicable.
À cet égard, le Conseil des ministres ne conteste pas que les dispositions attaquées n’ont pas été notifiées au préalable à la Commission européenne.
B.54.8.2. Ensuite, les divergences portent sur la question de savoir si l’article 18 de la directive (UE) 2019/790, lu en combinaison avec l’article 20 de la directive (UE) 2019/790, s’oppose à une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité.
174
B.54.8.3. Par ailleurs, les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’article 56
du TFUE, l’article 16 de la Charte ou les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE s’opposent à une disposition de droit national telle que celle décrite en B.54.8.2.
B.55.1. L’article 20 de la directive (UE) 2019/790 énonce :
« Mécanisme d’adaptation des contrats
1. En l’absence d’accord collectif applicable prévoyant un mécanisme comparable à celui énoncé dans le présent article, les États membres veillent à ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants ou leurs représentants aient le droit de réclamer à la partie avec laquelle ils ont conclu un contrat d’exploitation des droits ou aux ayants droits de cette partie, une rémunération supplémentaire appropriée et juste lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation des œuvres ou des interprétations ou exécutions.
2. Le paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas aux contrats conclus par les entités définies à l’article 3, points a) et b), de la directive 2014/26/UE ou par d’autres entités qui sont déjà soumises aux règles nationales transposant ladite directive ».
B.55.2. L’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE énonce :
« Exceptions et limitations
[...]
3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :
a) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi;
b) lorsqu’il s’agit d’utilisations au bénéfice de personnes affectées d’un handicap qui sont directement liées au handicap en question et sont de nature non commerciale, dans la mesure requise par ledit handicap;
c) lorsqu’il s’agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d’articles publiés sur des thèmes d’actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d’oeuvres radiodiffusées ou d’autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n’est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée, ou lorsqu’il s’agit de l’utilisation
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d’œuvres ou d’autres objets protégés afin de rendre compte d’événements d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi et sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur;
d) lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;
e) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures;
f) lorsqu’il s’agit de l’utilisation de discours politiques ainsi que d’extraits de conférences publiques ou d’œuvres ou d’objets protégés similaires, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi et pour autant, à moins que cela ne s’avère impossible, que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée;
g) lorsqu’il s’agit d’une utilisation au cours de cérémonies religieuses ou de cérémonies officielles organisées par une autorité publique;
h) lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics;
i) lorsqu’il s’agit de l’inclusion fortuite d’une oeuvre ou d’un autre objet protégé dans un autre produit;
j) lorsqu’il s’agit d’une utilisation visant à annoncer des expositions publiques ou des ventes d’œuvres artistiques, dans la mesure nécessaire pour promouvoir l’événement en question, à l’exclusion de toute autre utilisation commerciale;
k) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche;
l) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de démonstration ou de réparation de matériel;
m) lorsqu’il s’agit d’une utilisation d’une œuvre artistique constituée par un immeuble ou un dessin ou un plan d’un immeuble aux fins de la reconstruction de cet immeuble;
n) lorsqu’il s’agit de l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des établissements visés au paragraphe 2, point c), d’oeuvres et autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions en matière d’achat ou de licence;
o) lorsqu’il s’agit d’une utilisation dans certains autres cas de moindre importance pour lesquels des exceptions ou limitations existent déjà dans la législation nationale, pour autant que cela ne concerne que des utilisations analogiques et n’affecte pas la libre circulation des marchandises et des services dans la Communauté, sans préjudice des autres exceptions et limitations prévues au présent article ».
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B.56. Dès lors que, comme il ressort des positions des parties devant la Cour mais aussi des lettres précitées de la Commission européenne et de la résolution 2020/2261, les recours en annulation dans les affaires nos 7924 et 7927 soulèvent des doutes concernant l’interprétation de l’article 56 du TFUE, de l’article 16 de la Charte, des articles 18 et 20 de la directive (UE) 2019/790, des articles 1er, paragraphe 1, f), 5, paragraphe 1, premier alinéa, et 7, paragraphe 1, a), de la directive (UE) 2015/1535 et des articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE, il convient de poser à la Cour de justice les neuvième à treizième questions préjudicielles formulées dans le dispositif.
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Par ces motifs,
la Cour
- rejette le recours dans l’affaire no 7926 en ce qu’il porte sur les griefs mentionnés en B.24.2.
- avant de statuer sur les autres griefs dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927, pose les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union européenne :
1. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE » doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale prévoyant une procédure de négociation balisée, supervisée par une autorité administrative dont les décisions sont susceptibles de recours devant une juridiction, pouvant aboutir à une obligation de rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse, indépendamment du fait que ces publications aient été mises en ligne par les éditeurs de presse eux-mêmes ?
2. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790, précitée, lu en combinaison avec les articles 16, 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale imposant au fournisseur de services de la société de l’information une obligation d’information unilatérale et non réciproque envers les éditeurs de presse, concernant notamment des informations confidentielles relatives à l’exploitation des publications de presse à fournir aux éditeurs de presse, et ce, même si les éditeurs de presse ont eux-mêmes mis en ligne les publications de presse, et sans tenir compte des bénéfices générés par les éditeurs de presse ni du niveau de récupération de leur investissement par l’utilisation en ligne de leurs publications de presse sur les plateformes mises à disposition par le fournisseur précité, sans prévoir de garantie que les informations confidentielles concernées seront conservées conformément aux conditions imposées par le fournisseur précité ?
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3. L’article 15 de la directive (UE) 2019/790, précitée, lu en combinaison avec les articles 16, 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000
« relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur », doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui impose des conditions dans lesquelles des accords avec chaque éditeur de presse pour l’utilisation en ligne de ses publications de presse doivent être conclus, y compris l’obligation de fournir une rémunération pour l’utilisation en ligne des publications de presse, indépendamment du fait que la mise en ligne des publications concernées ait été effectuée par les éditeurs de presse eux-mêmes, qui couvrirait l’ensemble des publications de presse, sans faire de distinction selon que le contenu est protégé ou non par le droit d’auteur ou selon que les utilisateurs peuvent accéder aux publications en question dans leur intégralité ou seulement à des extraits de celles-ci, et qui aurait pour effet d’imposer une obligation de surveillance étroite des contenus publiés par les utilisateurs sur la plateforme ?
4. L’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 « prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (texte codifié) » doit-il être interprété en ce sens qu’une disposition nationale instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, constitue une « règle technique », dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission conformément à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive (UE) 2015/1535 ? Le cas échéant, l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la même directive est-elle applicable ?
5. L’article 17 de la directive (UE) 2019/790, précitée, lu en combinaison avec l’article 3
de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information », doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale introduisant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs
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et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité ?
6. L’article 18 de la directive (UE) 2019/790, précitée, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale introduisant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits ?
7. L’article 56 du TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale prévoyant, sans période transitoire, un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité ?
8. L’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu ou non en combinaison avec les articles 20 et 21 de cette Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale prévoyant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible au profit des auteurs et des artistes-interprètes ou exécutants, dans le cas où ceux-
ci ont cédé leur droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public par un fournisseur de services de partage de contenus en ligne, et prévoyant que ce droit à rémunération ne peut être exercé que par un mécanisme de gestion collective obligatoire des droits ?
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9. L’article 1er, paragraphe 1, f), de la directive (UE) 2015/1535, précitée, doit-il être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle, qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming, constitue une « règle technique », à savoir une « règle relative aux services », au sens de cette disposition, dont le projet est soumis à une notification préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, et, le cas échéant, l’exception à l’obligation de notification prévue à l’article 7, paragraphe 1, a), de la même directive est-elle applicable ?
Dans le cadre de cette question, par « fournisseur de service de streaming », il y a lieu d’entendre un fournisseur de services de la société de l’information dont au moins un des objectifs principaux est d’offrir à des fins lucratives une quantité importante d’œuvres sonores ou audiovisuelles protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins, dont les utilisateurs disposent d’un droit d’accès aux œuvres précitées depuis l’endroit et au moment qu’ils choisissent eux-mêmes, étant entendu que ces utilisateurs ne peuvent acquérir une reproduction permanente de l’œuvre consultée et que le fournisseur a la responsabilité éditoriale pour l’offre et l’organisation du service, y compris l’organisation, le classement et la promotion des œuvres concernées.
10. L’article 18 de la directive (UE) 2019/790, précitée, lu en combinaison avec l’article 20 de cette directive, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où
ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming au sens précité, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence au fournisseur précité ?
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11. L’article 56 du TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où
ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming au sens précité, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence à ce fournisseur ?
12. L’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming au sens précité, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence à ce fournisseur ?
13. Les articles 3 et 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE, précitée, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition de droit national instaurant un droit à rémunération obligatoire, inaliénable et incessible pour les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants d’une œuvre sonore ou audiovisuelle qui ne peut être exercé que par le biais d’une gestion collective obligatoire des droits, dans le cas où ils ont cédé leur droit d’autoriser ou de refuser la communication au public de leurs œuvres ou d’autres objets protégés par un fournisseur de services de streaming au sens précité, en particulier lorsque le droit de mise à disposition du public est déjà octroyé en licence à ce fournisseur ?
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Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 septembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 98/2024
Date de la décision : 26/09/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Rejet du recours dans l'affaire no 7926 en ce qu'il porte sur les griefs mentionnés en B.24.2 - Questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l'Union européenne avant de statuer sur les autres griefs dans les affaires nos 7922, 7924, 7925, 7926 et 7927

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les recours en annulation partielle de la loi du 19 juin 2022 « transposant la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE », introduits par la société de droit américain « Google LLC » et la société de droit irlandais « Google Ireland Ltd. », par la SA « Spotify Belgium » et la société de droit suédois « Spotify AB », par la société de droit irlandais « Meta Platforms Ireland Ltd. », par la SRL « Streamz » et par la SA « Sony Music Entertainment Belgium » et autres. Droit économique - Droits d'auteur et droits voisins - Transposition d'une directive UE - Marché unique numérique - Règles répartitrices de compétences - Compétence des communautés - Nouveau droit voisin des éditeurs de presse lorsque leur publication de presse fait l'objet d'une utilisation sur internet par les prestataires de services de la société de l'information - Droit à la rémunération de l'auteur et de l'artiste-interprète ou exécutant dans l'hypothèse où le droit à la communication au public, en ce compris le droit de mise à disposition, a été cédé à un prestataire de services de partage de contenus en ligne - Rémunération appropriée de l'auteur et de l'artiste-interprète ou exécutant d'œuvres audiovisuelles ou sonores pour l'exploitation de leurs œuvres et de leurs prestations par les plateformes de streaming


Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-09-26;98.2024 ?

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