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03/10/2024 | BELGIQUE | N°105/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 03 octobre 2024, 105/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 105/2024
du 3 octobre 2024
Numéros du rôle : 8022 et 8025
En cause : les recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale », introduits par la commune de Forest et par la ville de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Be

thune, Emmanuelle Bribosia et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 105/2024
du 3 octobre 2024
Numéros du rôle : 8022 et 8025
En cause : les recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale », introduits par la commune de Forest et par la ville de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 13 et 14 juin 2023
et parvenues au greffe les 15 et 16 juin 2023, des recours en annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale » (publiée au Moniteur belge du 14 décembre 2022) ont été introduits par la commune de Forest, assistée et représentée par Me Manuela Von Kuegelgen, Me Laura Grauer et Me Doriane Servais, avocates au barreau de Bruxelles, et par la ville de Bruxelles, assistée et représentée par Me Manuela Von Kuegelgen, Me Laura Grauer et Me Doriane Servais.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8022 et 8025 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Bart Martel et Me Kristof Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes, assistées et représentées par Me Manuela Von Kuegelgen, Me Laura Grauer, Me Luc Leboeuf, Me Guillaume Delfosse et Me Marie Servais, avocats au barreau de
ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.105
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Bruxelles, ont introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 26 juin 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Thierry Giet et Sabine de Bethune, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A–
A.1.1. La ville de Bruxelles et la commune de Forest estiment justifier d’un intérêt à demander l’annulation de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 1er décembre 2022), qui vise à créer un climat propice à l’activité économique de la Région de Bruxelles-Capitale en permettant aux communes de conclure avec cette Région un contrat visant à renoncer à tout établissement de nouvelles taxes communales ou à toute augmentation du montant d’une taxe communale existante, moyennant la perception d’une subvention régionale.
Selon les parties requérantes, l’ordonnance du 1er décembre 2022 leur cause une perte financière par rapport au montant qu’elles percevaient antérieurement sur la base de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 juillet 2007 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-
Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 19 juillet 2007), que l’ordonnance attaquée a vocation à remplacer. Cette perte financière s’élève à 3 360 520,87 euros en ce qui concerne la ville de Bruxelles et à 974 366,43 euros en ce qui concerne la commune de Forest. Les parties requérantes estiment que l’éventuelle annulation de l’ordonnance du 1er décembre 2022 leur permettrait de recouvrer une chance de bénéficier d’un financement plus favorable, de sorte que leur intérêt est établi.
A.1.2. Selon les parties requérantes, les recours portent effectivement sur l’ordonnance du 1er décembre 2022 dans son intégralité, en ce que les griefs soulevés concernent l’ensemble du mécanisme prévu par celle-ci, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se limiter à l’annulation des articles au sujet desquels des critiques sont explicitement formulées. En réalité, les dispositions de l’ordonnance du 1er décembre 2022 sont indissociablement liées. En ce qui concerne la prétendue absence de clarté des moyens, les parties requérantes constatent que la partie intervenante parvient à réfuter les arguments invoqués, de sorte qu’elle ne peut se prévaloir d’une violation de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989).
A.2.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation des articles 10, 11, 41, 162, alinéa 2, 2°, et 170, §§ 3 et 4, de la Constitution, de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) et de l’article 7, § 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989). Selon les parties
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requérantes, ce moyen est recevable, dès lors que la violation des articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution est invoquée en combinaison avec des dispositions qui relèvent du contrôle de la Cour.
À titre liminaire, les parties requérantes soutiennent qu’en réalité, contrairement à ce que la partie intervenante indique, le mécanisme attaqué ne repose pas sur un acte de nature contractuelle. La marge de négociation des termes de la convention n’existe en effet pas pour les communes, qui n’ont d’autre choix que de signer le contrat tel qu’il est proposé par la Région de Bruxelles-Capitale, notamment pour des raisons économiques. En réalité, leur consentement est vicié pour cause d’abus de circonstances au sens de l’article 5.37
du Code civil, puisque, dans les faits, elles ne peuvent se passer des subsides prévus par l’ordonnance attaquée pour assurer la réalisation de leurs missions d’intérêt général. Par ailleurs, si le mécanisme prévu par l’ordonnance du 19 juillet 2007 visait effectivement à compenser la limitation du pouvoir fiscal des communes, le mécanisme établi par l’ordonnance attaquée engendre, en ce qui concerne les parties requérantes, des subventions aux montants moindres, de sorte que l’objectif compensatoire précité n’est plus atteint.
A.2.2. Dans une première branche, les parties requérantes affirment que l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 viole les articles 41, 162, alinéa 2, 2°, et 170, §§ 3 et 4, de la Constitution, en ce qu’en vertu de ces dispositions, il appartient à l’autorité fédérale de limiter l’autonomie communale en matière fiscale. La Région de Bruxelles-Capitale ne peut procéder à une telle limitation que dans les conditions prévues à l’article 10
de la loi spéciale du 8 août 1980, qui ne sont pas remplies en l’espèce. Les parties requérantes précisent à cet égard que l’ordonnance attaquée n’est pas nécessaire à l’exercice des compétences de la Région de Bruxelles-Capitale et qu’elle crée une nouvelle forme de tutelle sur les communes. En outre, la matière ne se prête pas à un règlement différencié et l’incidence de l’empiètement du législateur ordonnanciel n’est pas marginale, dès lors que les communes se voient en principe interdire l’instauration d’une nouvelle taxe ou l’augmentation d’une taxe existante, lorsque la taxe concernée a un impact sur le développement économique régional. En toute hypothèse, l’article 170, § 4, de la Constitution exige que la nécessité des limitations apportées à l’autonomie fiscale des communes soit impérativement démontrée, ce qui ne ressort ni du libellé de l’ordonnance attaquée, ni des travaux préparatoires de celle-ci. Pour le surplus, contrairement à ce que la partie intervenante soutient, la limitation du pouvoir fiscal des communes ne relève pas de la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale visée à l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 10°, de la loi spéciale du 8 août 1980, rendu applicable à cette Région par l’effet de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, ainsi que la section de législation du Conseil d’État l’a mis en évidence.
A.2.3. Dans une seconde branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 instaure, dans les faits, une tutelle d’approbation sur les communes de la Région de Bruxelles-
Capitale. Ce mécanisme tutélaire viole les articles 41 et 162 de la Constitution, en ce qu’il n’est pas consacré par une disposition législative mais par un contrat, en ce qu’il confère à l’autorité de tutelle un pouvoir d’appréciation en opportunité, d’autant que la plupart des taxes communales ont un impact sur le développement économique, et en ce qu’il renverse la charge de la preuve au détriment de l’autorité contrôlée, à laquelle il incombe désormais de démontrer la nécessité de son action. Les parties requérantes rappellent que la matière réglée par l’ordonnance du 1er décembre 2022 ne relève pas des compétences matérielles de la Région de Bruxelles-Capitale, de sorte qu’il ne peut être porté atteinte au pouvoir fiscal des communes et qu’en toute hypothèse, le législateur ordonnanciel ne démontre pas que l’atteinte à cette autonomie serait proportionnée. En réalité, la Région de Bruxelles-Capitale ne peut invoquer le caractère indéterminé de la notion d’intérêt local pour faire entrer dans sa propre sphère de compétence ce qui relève des attributions des pouvoirs locaux. En toute hypothèse, le recours à la figure juridique du contrat ne permet pas de justifier une atteinte au principe de l’autonomie locale ni d’échapper à tout contrôle sur cette question.
A.3.1. À titre subsidiaire, les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation du principe général de bonne administration, en particulier du principe de la sécurité juridique, et des articles 10 et 11 de la Constitution. Elles soutiennent que le moyen est recevable, puisque le principe général précité est invoqué en combinaison avec les règles dont la Cour garantit le respect.
A.3.2. Selon les parties requérantes, l’article 11, alinéa 2, de l’ordonnance du 1er décembre 2022 a pour effet de diminuer drastiquement le montant des subsides qu’elles percevaient en application de l’ordonnance du
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19 juillet 2007, sans qu’elles aient pu anticiper une diminution d’une si grande ampleur. Elles mettent également en évidence que l’article 11 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 les empêche de déterminer concrètement le montant des subsides qui lui seront ensuite octroyés par la Région de Bruxelles-Capitale, ce qui les place dans une insécurité juridique en ce qui concerne la confection de leur budget. Les parties requérantes soulignent par ailleurs que, dans son avis sur l’avant-projet qui est à l’origine de l’ordonnance du 19 juillet 2007, la section de législation du Conseil d’État avait déjà mis en évidence que le système de subventions était trop flou quant aux montants octroyés aux communes. Selon elles, le législateur ordonnanciel n’a pas remédié à cette imprécision à l’occasion de l’ordonnance du 1er décembre 2022. Or, le budget communal est, pour les communes, un outil de gestion financière essentiel, qui définit le cadre dans lequel les deniers publics sont utilisés.
A.3.3. Les parties requérantes soutiennent que le législateur ordonnanciel ne peut pas porter une atteinte dépourvue de justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les communes d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes. Selon elles, en adoptant l’ordonnance attaquée, le législateur ordonnanciel a violé le principe général du droit de la bonne administration, en particulier le principe de la sécurité juridique. Par ailleurs, elles précisent qu’elles n’ont été informées du montant du subside octroyé pour 2023
qu’après l’adoption de leurs budgets respectifs pour cette année. Selon les parties requérantes, le principe de la sécurité juridique exige l’adoption de critères clairs et prévisibles qui étaient envisageables pour le législateur ordonnanciel. En l’espèce, les critères retenus ont des conséquences imprévisibles et fondamentalement différentes selon les communes. En toute hypothèse, la circonstance que les communes peuvent consentir volontairement au mécanisme attaqué n’affecte pas l’exigence de prévisibilité à laquelle celui-ci est soumis.
A.4.1. À titre subsidiaire, les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation des articles 10
et 11 de la Constitution et du principe général de légalité. Tout d’abord, elles soutiennent que le principe d’égalité et de non-discrimination s’applique à l’égard des communes et que les communes sises sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale se trouvent dans des situations comparables. Elles soutiennent que les critères d’octroi de subventions retenus par le législateur ordonnanciel en compensation de la limitation du pouvoir de taxation des communes ne sont pas pertinents au regard de l’objectif poursuivi, à savoir la création d’un climat propice à l’activité économique de la Région par l’allègement de la fiscalité communale qui pèse sur les entreprises.
A.4.2. En ce qui concerne, tout d’abord, la première tranche du subside, déterminée à l’article 11, alinéa 2, point 1, de l’ordonnance du 1er décembre 2022, les parties requérantes relèvent que la notion d’unité locale d’établissement, utilisée pour déterminer le montant de la subvention, n’est pas définie. Par ailleurs, la clé de répartition retenue n’offre pas des garanties suffisantes et elle ne permet pas de calculer dans quelle proportion la commune concernée peut bénéficier du subside. Les parties requérantes mettent également en évidence le fait que les critères retenus ne reflètent pas la contribution réelle de la commune au développement économique, dès lors que le montant de la subvention perçue n’est pas proportionné aux investissements des communes. En ce qui concerne la deuxième tranche du subside, déterminée à l’article 11, alinéa 2, point 2, de l’ordonnance du 1er décembre 2022, les parties requérantes affirment que le système est imprécis, en ce qu’il repose sur la « compensation accordée en 2022 », sans aucune référence à une base légale. En outre, le critère retenu instaure un lien entre la subvention perçue et le précompte immobilier sur le matériel et l’outillage, sans que la pertinence de ce lien ressorte du libellé de l’ordonnance attaquée ni des travaux préparatoires.
A.4.3. Enfin, en ce qui concerne la troisième tranche du subside, déterminée à l’article 11, alinéa 2, point 3, de l’ordonnance du 1er décembre 2022, les parties requérantes relèvent que le législateur ordonnanciel a fait naître une différence de traitement entre les communes sur la base de critères de rendement moyen par habitant des deux taxes additionnelles au précompte immobilier et à l’impôt sur les personnes physiques. En application de ce système, certaines communes, comme celle de Forest, perçoivent des subsides significativement moindres que ceux qu’elles percevaient naguère sur la base de l’ordonnance du 19 juillet 2007, et d’autres, comme la ville de Bruxelles, sont même privées de cette troisième tranche du subside. Selon les parties requérantes, les critères sous-
jacents à l’octroi de cette tranche, à savoir le revenu cadastral et les revenus professionnels des habitants de la commune, ne sont aucunement pertinents pour garantir le développement économique régional et l’allègement de la fiscalité communale qui pèse sur les entreprises, dès lors que ces critères renvoient à la situation des personnes physiques. En toute hypothèse, ni le libellé de l’ordonnance du 1er décembre 2022 ni les travaux préparatoires ne démontrent la pertinence de ces critères. Les parties requérantes font par ailleurs état d’un courrier envoyé au
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président de la Conférence des bourgmestres de la Région de Bruxelles-Capitale selon lequel l’objectif poursuivi par cette tranche de la subvention serait de créer une solidarité entre les communes, ce qui n’est aucunement de nature à justifier la mesure par rapport à l’objectif de développement économique poursuivi. En toute hypothèse, la clé de répartition prévue en ce qui concerne cette tranche ne permet pas de déterminer dans quelle proportion les communes concernées peuvent bénéficier des subsides.
A.5. Le Gouvernement flamand, qui est la partie intervenante, soutient que les parties requérantes ne formulent des griefs qu’à l’encontre des articles 2, 6° et 7°, 6 et 11 de l’ordonnance du 1er décembre 2022. Partant, les recours sont irrecevables en ce qui concerne les autres dispositions de l’ordonnance attaquée. En ce qui concerne, en particulier, l’article 2, 6° et 7°, de l’ordonnance du 1er décembre 2022, qui définit les notions de « taxe » et de « nouvelle taxe » dans le cadre de cette ordonnance, la partie intervenante n’aperçoit pas en quoi cette disposition cause grief aux parties requérantes, qui ne développent pas de critique particulière contre celle-
ci. Il en découle que les recours sont également irrecevables en ce qu’ils concernent l’article 2, 6° et 7°, de l’ordonnance attaquée. Contrairement à ce que les parties requérantes affirment, les dispositions de cette ordonnance ne sont nullement inséparables, de sorte qu’il n’y a pas lieu de considérer qu’elles sont indissociablement liées dans le cadre de l’examen de constitutionnalité. En outre, la circonstance que la partie intervenante est parvenue à répondre aux griefs soulevés par les parties requérantes n’est pas de nature à permettre de conclure à la recevabilité des différents moyens sur la base de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, puisqu’une telle interprétation induirait que la clarté d’un moyen dépend de l’attitude de la partie qui y répond et non de celle qui l’a formulé.
A.6.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, la partie intervenante soutient que celui-
ci est en partie irrecevable en ce que les parties requérantes invoquent la violation directe des articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution, lesquels ne relèvent pas de la compétence de la Cour. La circonstance que les parties requérantes précisent, dans leur mémoire en réponse, que ces articles doivent être lus en combinaison avec les autres dispositions citées au moyen n’est pas de nature à modifier ce constat, dès lors que les requêtes invoquent bien une violation directe des articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution. Pour le surplus, la partie intervenante affirme que le moyen est irrecevable en ce qu’il ne précise pas en quoi les autres dispositions de référence citées au moyen sont violées en l’espèce, contrairement à ce que l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 impose.
A.6.2. À titre subsidiaire, la partie intervenante considère que la première branche du premier moyen repose sur la prémisse erronée selon laquelle l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 restreint l’autonomie fiscale des communes et constitue un mécanisme de tutelle. En effet, le mécanisme attaqué repose sur le consentement des communes à s’abstenir, en principe, de prendre certaines mesures en matière fiscale. Autrement dit, l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 prévoit la conclusion d’un accord entre la commune et la Région, sur une base volontaire, étant entendu que chaque commune est libre de s’engager ou non. En toute hypothèse, la commune qui souhaite conclure un contrat avec la Région au sens de l’article 6 de l’ordonnance attaquée ne subit pas de désavantage financier, puisqu’elle bénéficie d’une compensation financière par le mécanisme de financement. La partie intervenante ajoute que, si la commune ne respecte pas son engagement, celui-ci devient caduc. Partant, le principe d’autonomie communale n’est aucunement violé. La partie intervenante met également en évidence le fait que la Région de Bruxelles-Capitale est compétente pour adopter l’ordonnance attaquée, sur la base de l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 10°, de la loi spéciale du 8 août 1980, applicable à cette Région en vertu de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. La circonstance que les travaux préparatoires de cette ordonnance ne mentionnent pas explicitement cette compétence n’est pas de nature à modifier ce constat.
A.6.3. Contrairement à ce que les parties requérantes indiquent, le mécanisme prévu par l’ordonnance du 1er décembre 2022 est bien de nature contractuelle, dès lors que les communes disposent d’une marge de négociation dans le cadre de la conclusion de la convention et que celles-ci conservent en toute hypothèse la possibilité de ne pas s’engager vis-à-vis de la Région de Bruxelles-Capitale. Par ailleurs, les parties requérantes ne démontrent aucunement en quoi les communes seraient économiquement contraintes de consentir au mécanisme attaqué. La partie intervenante relève que la jurisprudence de la Cour de cassation interdit certes aux communes de s’engager à ne pas exercer leur pouvoir fiscal dans certaines situations, mais que cette hypothèse ne vise que les engagements pris à l’égard des personnes privées et non ceux conclus avec des autorités publiques.
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A.7.1. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, la partie intervenante soutient qu’elle est irrecevable en ce qu’elle est prise de la violation des articles 41 et 162 de la Constitution, lesquels ne relèvent pas de la compétence de la Cour.
A.7.2. Pour le surplus, la partie intervenante souligne le fait que l’article 6 de l’ordonnance attaquée ne crée pas de mécanisme de tutelle mais prévoit uniquement un mécanisme contractuel entre la Région et la commune qui le souhaite. Par ailleurs, elle n’aperçoit pas en quoi la Région de Bruxelles-Capitale disposerait d’un pouvoir d’appréciation en opportunité. Elle rappelle que l’ordonnance attaquée ne viole pas le principe de l’autonomie locale, puisque les communes sont libres d’adhérer ou non à une convention et que la Région de Bruxelles-Capitale est compétente pour subordonner l’octroi de certaines subventions au respect de certaines conditions prévues contractuellement. En toute hypothèse, si une commune considère que le mécanisme contractuel prévu par l’ordonnance du 1er décembre 2022 produit à son égard des effets disproportionnés, elle peut ne pas s’engager vis-à-vis de la Région en n’introduisant pas de dossier de candidature pour bénéficier de la subvention.
A.8.1. En ce qui concerne le deuxième moyen, la partie intervenante soutient que la Cour n’est pas compétente pour contrôler le respect du principe général de bonne administration, et en particulier le principe de la sécurité juridique. La circonstance que les parties requérantes précisent, dans leur mémoire en réponse, que ce principe général est invoqué en combinaison avec les autres dispositions citées au moyen n’est pas de nature à modifier ce constat.
A.8.2. En ce qui concerne les articles 10 et 11 de la Constitution, la partie intervenante relève que les parties requérantes n’expliquent pas en quoi ces dispositions sont violées en l’espèce, de sorte que le moyen est irrecevable sur la base de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. À titre subsidiaire, la partie intervenante affirme que le principe de la sécurité juridique n’empêche pas le législateur ordonnanciel d’adapter un mécanisme de subvention, dès lors que ce législateur dispose d’une large marge d’appréciation en matière de financement des communes.
-B–
Quant à l’ordonnance attaquée et à sa portée
B.1. Les recours en annulation portent sur l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 1er décembre 2022 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 1er décembre 2022).
Cette ordonnance vise à remplacer le système prévu par l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 juillet 2007 « visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale » (ci-après : l’ordonnance du 19 juillet 2007), laquelle est dès lors abrogée (article 14 de l’ordonnance du 1er décembre 2022).
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Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 précisent, à cet égard :
« Le Parlement a adopté l’ordonnance du 19 juillet 2007 visant à associer les communes dans le développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale.
Cette ordonnance vise à créer, par la voie de conclusion de contrats triennaux entre la Région et les communes, un climat fiscal propice au développement de l’activité économique de la Région via l’octroi d’une subvention destinée à compenser tant la suppression d’une série de taxes déterminées par le Gouvernement que le faible rendement de la fiscalité locale.
Dans ces contrats, les communes s’engagent à supprimer certaines taxes, à soumettre à un comité de suivi la création de toute nouvelle taxe ou l’augmentation de toute taxe existante qui pourrait avoir un impact sur le développement économique local et à participer au groupe de travail chargé d’harmoniser la fiscalité locale. En contrepartie, la Région octroie une subvention qui se décompose en trois tranches :
- compensation pour la suppression de la taxe sur les ordinateurs et la force motrice;
- compensation pour le faible rendement de la fiscalité locale;
- compensation de la suppression des centimes additionnels sur le précompte immobilier relatif au matériel et outillage.
En outre, depuis 2017, une disposition particulière prévoit que la Région garantit aux communes un montant minimal de perception sur la taxe régionale sur les hébergements touristiques (introduite en 2017) en remplacement des taxes communales.
L’exécution de cette ordonnance a fait l’objet de plusieurs appels à candidatures successifs auprès des communes qui ont toutes adhéré au contrat que leur proposait la Région (à l’exception de Woluwe-Saint-Lambert, du moins en ce qui concerne le premier contrat).
Les contrats en vigueur actuellement ont été conclus en décembre 2016 pour la période 2017-2019. Ces contrats arrivant pour la plupart à leur terme fin décembre 2019, le Gouvernement a approuvé à trois reprises leur prolongation (pour les années 2020, 2021 et 2022) et a décidé de ne pas lancer un nouvel appel à candidatures pour un prochain triennat afin de mener à bien une révision de l’ordonnance de 2007 et des mécanismes prévus en termes d’accompagnement des communes.
Le projet d’ordonnance vise à simplifier certaines dispositions de l’ordonnance de 2007, inhérentes essentiellement aux mécanismes prévus en termes d’accompagnement des communes, tout en s’inscrivant dans une certaine continuité quant à la finalité de créer un climat fiscal propice au développement de l’activité économique de la Région » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-588/1, pp. 1-2).
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B.2.1. L’article 3 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 précise que l’objectif poursuivi par le législateur ordonnanciel est de « créer un climat propice à l’activité économique de la Région via la conclusion de conventions dans lesquelles le Gouvernement confie aux communes des missions prioritaires en vue de favoriser l’économie de la Région, notamment en encadrant toute nouvelle taxe et toute augmentation d’une taxe existante en fonction de leur impact sur l’économie locale », étant entendu que « l’octroi d’une subvention à la commune est soumis au respect des engagements pris dans le cadre de la convention signée par les représentants de la commune et de la Région ».
B.2.2. La procédure d’élaboration de la convention passée entre la commune et la Région, désignée sous le terme « contrat » (article 2, 4°, de l’ordonnance du 1er décembre 2022), est déterminée par les articles 4 et 5 de l’ordonnance du 1er décembre 2022.
L’article 4 de cette ordonnance dispose :
« Le Gouvernement adresse un appel à candidatures aux communes reprenant les objectifs qu’il entend mettre en œuvre et les mesures d’harmonisation fiscale proposées.
À peine de déchéance dans les deux mois qui suivent l’appel à candidatures, la commune souhaitant conclure le contrat visé à l’article 2, 4°, adresse à l’administration un dossier de candidature comprenant au moins les éléments suivants :
1° le nom de la commune et les personnes de contact;
2° un relevé des règlements-taxes en vigueur au sein de la commune ayant un impact sur le développement économique local dans lequel figureront l’assiette, la base imposable, le taux d’imposition et les redevables concernés;
3° un exposé des initiatives menées par la commune afin de promouvoir l’activité économique sur son territoire.
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Afin d’accompagner sa politique de transition économique régionale, le Gouvernement peut déterminer des modalités complémentaires relatives au dossier de candidature. Il peut également fixer le modèle à utiliser ».
L’article 5 de l’ordonnance précitée dispose :
« L’administration accuse réception des dossiers de candidature. A dater de la réception de ces dossiers, elle dispose d’un délai de 20 jours ouvrables pour demander, s’il échet, des renseignements destinés à les compléter.
La commune postulante dispose d’un délai de 15 jours ouvrables pour donner suite à toute demande éventuelle de renseignements complémentaires.
À la réception de chaque dossier de candidature complet, le Gouvernement l’approuve ou le rejette ».
Au sujet de cette procédure, les travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 précisent :
« Le Gouvernement adresse un appel à candidatures aux communes reprenant les objectifs qu’il entend mettre en œuvre et les mesures d’harmonisation fiscales proposées. Ces objectifs dépendront des priorités du Gouvernement, laissant la place à des éléments et événements imprévus tels que par exemple la crise sanitaire.
Ces articles définissent, dans leur principe, les modalités d’introduction des candidatures par les communes désireuses d’obtenir l’octroi de la subvention pour le développement économique ainsi que le contenu du dossier soumis à l’appui de la candidature. Après avoir été introduits devant lui, le Gouvernement examine les dossiers de candidature, puis les approuve ou les refuse.
Il s’agit d’examiner, de manière précise et concrète, les initiatives que les communes se proposent de mener afin de contribuer au développement économique de la Région » (Doc.
parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-588/1, p. 5).
B.2.3. Le contenu du contrat passé entre la Région et la commune concernée est fixé à l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022, qui dispose :
« En cas de décision d’approbation du Gouvernement, un contrat est conclu entre la Région et la commune concernée.
Le contrat comprend à tout le moins les éléments suivants :
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1° l’engagement de la commune à renoncer à toute nouvelle taxe ou à toute augmentation d’une taxe existante ayant un impact sur le développement économique local et régional, sauf à la commune de démontrer que la situation financière le justifie et l’absence d’impact significatif de cette taxe sur le développement économique local, sur la base d’une demande étayée introduite auprès du Gouvernement;
2° l’engagement du Gouvernement de verser le montant de la subvention octroyée pendant la durée du contrat;
3° les sanctions prévues en cas de non-respect du contrat.
Le Gouvernement peut déterminer des modalités complémentaires relatives au contrat. Il peut également fixer le modèle à utiliser.
Le contrat est conclu pour une durée de trois ans. Il peut être prorogé une fois sous les mêmes conditions pour une durée de deux ans.
En cas d’adaptation du contrat, notamment des tranches définies à l’article 11 durant la période de validité du contrat, un avenant à celui-ci peut être conclu sous les mêmes conditions ».
Les travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 précisent, à cet égard :
« Cet article précise le contenu du contrat visant à promouvoir le développement économique régional conclu avec les communes.
Une disposition contractuelle est prévue, obligeant la commune à introduire une demande d’accord auprès du Gouvernement pour la création de toute nouvelle taxe et l’augmentation de toute taxe existante qui pourrait avoir un impact sur le développement économique local. Les comités de suivi et le groupe de travail ‘ harmonisation ’ prévus par l’ordonnance du 19 juillet 2007 sont supprimés.
Le contrat intègre l’engagement du Gouvernement de verser le montant de la subvention octroyée pendant la durée du contrat.
Le contrat est conclu pour une durée de trois ans. Une disposition permet de le proroger une fois, seulement par écrit et sous les mêmes conditions, pour une durée de deux ans, à la demande expresse de la commune concernée (ce qui n’est pas permis dans l’ordonnance du 19 juillet 2007).
En cas d’adaptation du contrat, un avenant à celui-ci peut être conclu sous les mêmes conditions » (ibid., p. 6).
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B.2.4. Le calcul et la liquidation de la subvention perçue par la commune à la suite de la conclusion du contrat sont déterminés selon les modalités prévues aux articles 11 et 12 de l’ordonnance du 1er décembre 2022.
L’article 11 de cette ordonnance dispose :
« Le Gouvernement répartit l’enveloppe des engagements budgétaires affectés aux communes dans le cadre du développement économique régional selon une clé de répartition définie sur la base de la répartition du nombre d’unités locales d’établissements du secteur privé et du nombre total d’emplois intérieurs tous statuts confondus de chaque commune au regard du nombre total d’emplois de l’ensemble des communes selon la formule suivante :
((Nombre d’unités locales d’établissement du secteur privé de la commune x/Nombre total d’unités locales d’établissement du secteur privé)+(Nombre d’emplois intérieurs de la commune x/Nombre total d’emplois intérieurs))/2.
Pour l’exercice budgétaire 2023, le crédit est fixé à 40.904.432 euros, dont :
1. 15.000.000 euros sont répartis selon les règles visées à l’alinéa 1er;
2. 10.087.400 euros sont répartis entre les communes sur la base de la compensation accordée en 2022 pour la suppression du précompte immobilier relatif au matériel et outillage;
3. 15.817.033 euros sont répartis entre les communes dont la somme des rendements moyens par habitant des deux taxes additionnelles (IPP et PRI), ramenés au taux moyen régional, est inférieure à la moyenne des rendements moyens par habitant pour l’ensemble des communes.
Le Gouvernement peut, si nécessaire, ajouter des tranches suivant le contexte fiscal de la Région.
L’enveloppe est indexée annuellement sur la base du montant de l’exercice précédent et est répartie entre les communes selon la même clé de répartition. Le crédit budgétaire est indexé chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation calculé de juillet de l’année N – 2 à juillet de l’année N – 1 ».
L’article 12 de l’ordonnance précitée dispose :
« Le Gouvernement liquide la subvention à la signature du contrat et par la suite au plus tard le 31 décembre de chaque année ».
Au sujet du calcul et de la liquidation de la subvention précités, les travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 précisent :
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« La répartition de l’enveloppe budgétaire s’effectue sur la base des indicateurs suivants liés à l’activité économique sur le territoire communal :
- le nombre d’unités locales d’établissements du secteur privé;
- le nombre d’emplois intérieurs tout statut confondu.
La clé de répartition est une moyenne d’une part de la proportion des unités locales d’établissements du secteur privé par commune au regard du total des 19 communes, et d’autre part de la proportion des emplois intérieurs par commune au regard du total des 19 communes (données les plus récentes disponibles).
La formule suivante est dès lors utilisée afin d’établir une clé de répartition unique :
((Nombre d’unités locales d’établissement du secteur privé de la commune x/Nombre total d’unités locales d’établissement du secteur privé)+(Nombre d’emplois intérieurs de la commune x/Nombre total d’emplois intérieurs))/2.
Pour l’exercice budgétaire 2023, le crédit est fixé à 15.000.000 euros.
Malgré la remarque du Conseil d’État, il a été décidé de maintenir la possibilité pour le Gouvernement d’ajouter, si nécessaire, des tranches suivant le contexte fiscal de la Région.
Le montant est indexé annuellement sur la base du montant de l’exercice précédent et est réparti entre les communes selon la même clé de répartition. Le crédit budgétaire est indexé chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation, calculé de juillet de l’année N – 2 à juillet de l’année N – 1.
À la suite des remarques du Conseil d’État, le montant actuel du crédit alloué est scindé en deux parties; l’une de 15 000 000 euros est maintenue dans le dispositif et est répartie selon les règles exposées supra, l’autre de 25 904 432 euros est destinée à être réallouée à la dotation générale aux communes et est répartie.
- pour 10.087.400 euros sur la base de la compensation accordée en 2022 pour la suppression du précompte immobilier relatif au matériel et outillage;
- pour 15.817.033 euros sur la base du rendement moyen aux deux taxes additionnelles (IPP et PRI) ramené au taux moyen régional.
Les règles de répartition de ces 25 904 432 euros sont cependant appelées à disparaître au jour où une future ordonnance modifiera l’ordonnance DGC (cf. article 13) » (ibid., pp. 7- 8).
B.2.5. Chaque commune contractante est par ailleurs tenue d’adresser à l’administration un rapport joint au dossier de candidature pour le triennat suivant, étant entendu que ce rapport comprend au moins le nom de la commune et les personnes de contact, un descriptif des initiatives de la commune mises en œuvre afin de créer un climat fiscal favorable sur son
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territoire durant la période couverte contractuellement, une évaluation des objectifs fixés dans le contrat et, enfin, la liste des règlements-taxes communaux en vigueur durant la période précitée qui ont un impact sur le développement économique local. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale peut, par ailleurs, fixer des règles complémentaires relatives à la forme et au contenu du rapport communal triennal (article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 2022).
À l’expiration de chaque triennat, l’administration établit un rapport de synthèse quant à la mise en œuvre des objectifs de l’ordonnance du 1er décembre 2022 par les communes contractantes. En cours de triennat, un rapport de synthèse intermédiaire est établi annuellement (article 8 de l’ordonnance précitée). Ces rapports sont transmis à un comité de suivi composé du ministre régional chargé des Pouvoirs locaux, du ministre régional chargé de l’Économie, du ministre régional chargé des Finances et du ministre-président, ou de leurs délégués respectifs (article 10 de l’ordonnance précitée). Il incombe à ce comité de faire un rapport triennal au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale quant à la mise en œuvre des objectifs poursuivis par le législateur ordonnanciel (article 9 de l’ordonnance précitée).
Quant à l’intérêt
B.3.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s’ensuit que l’action populaire n’est pas admissible.
Pour que la partie requérante justifie de l’intérêt requis, il n’est pas nécessaire qu’une éventuelle annulation lui procure un avantage direct. La circonstance qu’elle obtienne une nouvelle chance de voir sa situation réglée plus favorablement à la suite de l’annulation de l’ordonnance attaquée suffit à justifier son intérêt à attaquer celle-ci.
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B.3.2. À l’appui de leur intérêt, les parties requérantes font valoir que l’ordonnance attaquée entraîne une diminution du montant des subventions qu’elles sont susceptibles de percevoir par rapport à celui dont elles bénéficiaient sur la base de l’ordonnance du 19 juillet 2007, que l’ordonnance attaquée a précisément vocation à remplacer.
B.3.3. La ville de Bruxelles et la commune de Forest sont, dans leurs situations, incontestablement affectées par une ordonnance qui fixe certaines modalités de subventionnement auquel elles peuvent prétendre et qu’elles percevaient effectivement sur la base du régime antérieur, remplacé par l’ordonnance attaquée. La circonstance que, par l’effet d’une annulation, ces parties requérantes recouvreraient une chance de se voir appliquer d’autres critères en matière de subventions des communes suffit à justifier leur intérêt.
Quant à l’étendue des recours en annulation
B.4.1. Le Gouvernement flamand, qui est partie intervenante, soutient que l’étendue des recours est limitée aux articles 2, 6° et 7°, 6 et 11 de l’ordonnance du 1er décembre 2022, dès lors que les parties requérantes ne formulent pas de griefs à l’encontre des autres dispositions.
B.4.2. La Cour doit déterminer l’étendue des recours en annulation sur la base du contenu des requêtes.
La Cour peut uniquement annuler des dispositions législatives explicitement attaquées contre lesquelles des moyens sont invoqués et, le cas échéant, des dispositions qui ne sont pas attaquées mais qui sont indissociablement liées aux dispositions qui doivent être annulées.
B.4.3. Il ressort des requêtes que les parties requérantes critiquent en substance le mécanisme contractuel prévu par l’ordonnance du 1er décembre 2022, qui subordonne l’octroi de certaines subventions aux communes à l’engagement de celles-ci à limiter leur pouvoir fiscal. Dans leur premier moyen, elles allèguent que ce mécanisme violerait le principe de l’autonomie communale et qu’il créerait un mécanisme de tutelle d’approbation. Dans leurs
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deuxième et troisième moyens, développés à titre subsidiaire, elles critiquent les modalités de calcul de la subvention, qui seraient contraires au principe d’égalité et de non-discrimination, au principe de la sécurité juridique et au principe de légalité.
B.4.4. Les griefs soulevés à titre principal par les parties requérantes doivent être considérés comme portant sur l’ordonnance du 1er décembre 2022 dans son ensemble, dès lors qu’au regard de ceux-ci, les dispositions de cette ordonnance sont indissociablement liées, ainsi qu’il ressort de ce qui est dit en B.2.1 à B.2.4.
En revanche, les griefs relatifs aux modalités de calcul de la subvention, développés à titre subsidiaire, ne sauraient être imputés qu’au seul article 11 de l’ordonnance du 1er décembre 2022, et celui-ci n’apparaît pas, au regard des critiques formulées par les parties requérantes, comme étant indissociablement lié à d’autres dispositions de cette ordonnance.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.5.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation des articles 10, 11, 41, 162, alinéa 2, 2°, et 170, §§ 3 et 4, de la Constitution, de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) et de l’article 7, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989).
B.5.2. Dans une première branche, les parties requérantes allèguent que l’ordonnance du 1er décembre 2022 viole le principe d’autonomie communale en matière fiscale, dès lors que cette autonomie ne peut être limitée que par l’autorité fédérale, en vertu des articles 41, 162, alinéa 2, 2°, et 170, §§ 3 et 4, de la Constitution, sauf dans l’hypothèse où les conditions de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 sont réunies et pour autant que la nécessité d’une telle limitation soit démontrée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
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B.6.1. Le Gouvernement flamand soutient que la première branche du premier moyen est irrecevable en ce que les articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution ne relèvent pas de la compétence de la Cour et en ce que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi les autres dispositions de référence citées au moyen sont violées.
B.6.2. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 précitée, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
Dans la mesure où les parties requérantes soulèvent la violation des articles 10, 11, 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution, le moyen revient à demander à la Cour si l’ordonnance du 1er décembre 2022 est compatible avec les articles 10 et 11, combinés avec les articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution, qui garantissent l’autonomie des communes et des provinces.
B.6.3. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989
précitée, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
Les parties requérantes exposent clairement dans leur requête en quoi l’ordonnance du 1er décembre 2022 porterait atteinte au principe de l’autonomie communale, tel qu’il est garanti par les articles 41, 162, alinéa 2, 2°, et 170, §§ 3 et 4, de la Constitution, et en quoi les conditions de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 ne seraient pas remplies en l’espèce. Par ailleurs, il ressort des mémoires introduits par la partie intervenante qu’elle a pu répondre adéquatement aux divers griefs formulés par les parties requérantes.
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B.7. L’article 7, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 dispose que « l’ordonnance peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions législatives en vigueur ». Dans la mesure où elle ne fait que préciser la force juridique des ordonnances, sans comprendre, en tant que telle, une règle répartitrice de compétences matérielle, cette disposition n’ajoute rien aux autres normes de contrôle mentionnées par les parties requérantes.
B.8.1. En vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980, les régions sont compétentes en matière de politique économique. Sur la base de l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 10°, de la loi spéciale précitée, les régions sont compétentes pour le financement des missions à remplir par les communes, les agglomérations et fédérations de communes, les collectivités supracommunales, les provinces et par d’autres personnes morales de droit public dans les matières qui relèvent de la compétence des régions, sauf lorsque ces missions se rapportent à une matière qui est de la compétence de l’autorité fédérale ou des communautés. Ces dispositions s’appliquent à la Région de Bruxelles-Capitale, en vertu de l’article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.
B.8.2. L’introduction d’un mécanisme qui, aux fins de soutenir le développement de l’activité économique de la Région, habilite la Région de Bruxelles-Capitale à conclure avec des communes des contrats prévoyant l’octroi d’une subvention destinée à compenser tant la suppression d’une série de taxes déterminées par le Gouvernement que le faible rendement de la fiscalité locale, relève des compétences déterminées à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 1er, 1°, et à l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 10°, de la loi spéciale du 8 août 1980. En ce qui concerne spécifiquement la compétence énoncée à l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 10°, il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 que, en réponse à une observation de la section de législation du Conseil d’État, le mécanisme a été adapté afin de s’inscrire totalement dans le cadre d’un financement particulier (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-588/1, p. 2).
B.9.1. L’article 170, § 4, de la Constitution dispose :
« Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie par l’agglomération, par la fédération de communes et par la commune que par une décision de leur conseil.
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La loi détermine, relativement aux impositions visées à l’alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».
B.9.2. L’on peut déduire des travaux préparatoires de l’article 170 de la Constitution que le Constituant entendait, en adoptant la règle contenue dans l’alinéa 2 de l’article 170, § 4, prévoir une « sorte de mécanisme de défense » de l’État « à l’égard des autres niveaux de pouvoir, de manière à se réserver une matière fiscale propre » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 10-8/4°, p. 4).
Cette règle a également été décrite par le Premier ministre comme un « mécanisme régulateur » :
« La loi doit être ce mécanisme régulateur et doit pouvoir déterminer quelle matière imposable est réservée à l’Etat. Si on ne le faisait pas, ce serait le chaos et cet imbroglio n’aurait plus aucun rapport avec un Etat fédéral bien organisé ou avec un Etat bien organisé tout court »
(Ann., Chambre, 22 juillet 1980, p. 2707. Voy. également : ibid., p. 2708; Ann., Sénat, 28 juillet 1980, pp. 2650-2651).
« Je tiens à souligner [...] que, dans ce nouveau système de répartition des compétences fiscales entre l’Etat, les communautés et les régions et institutions du même niveau, les provinces et les communes, c’est l’Etat qui a le dernier mot. C’est ce que j’appelle le mécanisme régulateur » (Ann., Sénat, 28 juillet 1980, p. 2661).
Aux termes de la Constitution, l’exercice de la compétence du législateur fédéral visée à l’article 170, § 4, est toutefois lié à la condition que la « nécessité » en soit démontrée.
La loi adoptée sur cette base constitutionnelle doit recevoir une interprétation stricte, dès lors qu’elle limite l’autonomie fiscale des communes.
B.9.3. Il découle de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution que celui-ci réserve au législateur fédéral, en ce qui concerne les impôts communaux, les exceptions dont la nécessité est démontrée, de sorte que les régions ne peuvent adopter une réglementation qui aurait pour effet de restreindre le pouvoir des communes d’instaurer une taxe que si les conditions d’application de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, rendu applicable à la Région de Bruxelles-Capitale par l’effet de l’article 4, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, sont réunies.
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Il est requis, à cette fin, que la réglementation adoptée soit nécessaire à l’exercice des compétences de la région, que la matière se prête à un régime différencié et que l’incidence des dispositions attaquées sur cette matière ne soit que marginale.
B.10.1. Il découle de ce qui précède qu’une règle régionale imposant la suppression de taxes communales et obligeant la commune à introduire une demande d’accord auprès du Gouvernement pour la création de toute nouvelle taxe et l’augmentation de toute taxe existante qui pourrait avoir un impact sur le développement économique local n’est conforme à l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution que si sont remplies les conditions d’application de la technique des pouvoirs implicites, mentionnées à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.10.2. Ainsi que la partie intervenante l’observe à juste titre, le régime attaqué n’a pas une telle portée. L’ordonnance du 1er décembre 2022 n’oblige pas les communes à conclure les contrats précités. Elles demeurent libres de ne pas faire usage du régime attaqué, auquel cas elles conservent toute latitude de maintenir des impôts et d’en introduire de nouveaux ainsi que d’en acquérir les recettes. La circonstance, mentionnée en B.8.2, que le mécanisme s’inscrit dans le financement particulier des communes implique en outre que le régime attaqué n’affecte pas l’octroi des subventions qui relèvent du financement général.
Étant donné que la conclusion du contrat visé et la limitation de l’autonomie fiscale des communes qui en découle sont laissées à l’appréciation des communes, l’ordonnance du 1er décembre 2022 ne constitue pas une exception à l’autonomie fiscale des communes au sens de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, et elle ne viole donc pas cette disposition constitutionnelle.
B.11. Dans le premier moyen, en sa première branche, les parties requérantes invoquent également la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 41 et 162 de la Constitution.
B.12.1. Les articles 41, alinéa 1er, première phrase, et 162, alinéa 2, 1° et 2°, de la Constitution garantissent la compétence des communes pour tout ce qui relève de l’intérêt
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communal, de même que l’élection directe des conseillers communaux. Ils consacrent le principe de l’autonomie locale, qui suppose que les autorités locales puissent se saisir de tout objet qu’elles estiment relever de leur intérêt et le réglementer comme elles le jugent opportun.
B.12.2. Le principe de l’autonomie locale garanti par les dispositions constitutionnelles précitées ne porte cependant pas atteinte à l’obligation, pour les communes, lorsqu’elles agissent au titre de l’intérêt communal, de respecter la hiérarchie des normes. Il en découle que, lorsque l’autorité fédérale, une communauté ou une région réglemente une matière qui relève de sa compétence, les communes sont soumises à cette réglementation lors de l’exercice de leur compétence en cette même matière. Une limitation du principe de l’autonomie locale qui découle d’une réglementation de l’autorité fédérale, d’une communauté ou d’une région ne serait incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 41, alinéa 1er, et 162, alinéa 2, 1° et 2°, de celle-ci, que si elle était manifestement disproportionnée. Tel serait le cas, par exemple, si elle aboutissait à priver les communes de toutes leurs compétences ou de l’essentiel de celles-ci, ou si la limitation de la compétence ne pouvait être justifiée par le fait que celle-ci serait mieux gérée à un autre niveau de pouvoir.
B.13. Pour les motifs cités en B.10.2, l’ordonnance du 1er décembre 2022 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 41, alinéa 1er, première phrase, et 162, alinéa 2, 1° en 2°, de la Constitution.
B.14. Les parties requérantes allèguent, dans le premier moyen, en sa seconde branche, que l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 viole le principe de l’autonomie locale garanti par les articles 41 et 162 de la Constitution, en ce que cet article instaure, dans les faits, une tutelle d’approbation sur les communes de la Région de Bruxelles-Capitale.
B.15. Pour les motifs cités en B.10.2, le grief formulé par les parties requérantes n’est pas fondé.
B.16. Le premier moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le deuxième moyen
B.17. À titre subsidiaire, les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’ordonnance du 1er décembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique.
B.18.1 La partie intervenante conteste la recevabilité du moyen au motif que les parties requérantes n’indiqueraient pas en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés.
B.18.2. Lorsque des parties invoquent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec des normes comprenant une garantie fondamentale, telle que le principe de la sécurité juridique, cette violation consiste en ce qu’une différence de traitement naît de ce qu’une catégorie de personnes est privée de cette garantie, alors que cette garantie s’applique sans restriction à toute autre personne.
B.18.3. L’exception est rejetée.
B.19. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.20.1 À peine de rendre impossible toute modification de la loi, il ne peut être soutenu qu’une disposition nouvelle violerait le principe d’égalité et de non-discrimination par cela seul qu’elle modifie les conditions d’application de la législation ancienne. Le propre d’une nouvelle législation est d’établir une distinction entre les personnes qui relevaient du champ
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d’application de la règle antérieure et les personnes qui relèvent du champ d’application de la nouvelle règle.
B.20.2. Il appartient en principe au législateur, lorsqu’il décide d’introduire une nouvelle réglementation, d’estimer s’il est nécessaire ou opportun d’assortir celle-ci de dispositions transitoires. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’est violé que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte, sans justification objective et raisonnable, à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.20.3. Le législateur ordonnanciel dispose en outre d’un pouvoir d’appréciation étendu en ce qui concerne le financement et les subventions des communes. La Cour ne pourrait censurer le choix politique du législateur ordonnanciel que s’il en résultait une différence de traitement déraisonnable.
B.21.1. La simple circonstance que les communes auraient reçu sous l’empire de l’ordonnance du 19 juillet 2007 plus de subventions qu’elles en reçoivent en vertu de l’ordonnance du 1er décembre 2022 est une conséquence inhérente au choix du législateur ordonnanciel de modifier les conditions du régime de subvention. Le principe de la sécurité juridique, en soi, ne peut être invoqué pour exiger le maintien des conditions d’un système de subvention.
B.21.2. Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 cités en B.1 que les contrats triennaux prévus par l’ordonnance du 19 juillet 2007 ont été conclus pour la dernière fois en décembre 2016 pour la période 2017-2019, que le Gouvernement en a approuvé à trois reprises la prolongation (pour 2020, 2021 et 2022), étant donné que ces contrats arrivaient pour la plupart à leur terme fin décembre 2019, et qu’il a décidé de ne pas lancer un nouvel appel à candidatures pour un prochain triennat afin de mener à bien une révision de l’ordonnance de 2007 et des mécanismes prévus en termes d’accompagnement des communes.
Les parties requérantes n’ont donc pas pu nourrir l’attente légitime qu’elles recevraient encore pour une durée déterminée les montants qu’elles percevaient sous l’empire de la législation ancienne. En outre, les parties requérantes ne démontrent pas que la répartition des moyens
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financiers qui découle de l’ordonnance du 1er décembre 2022 produit des effets financiers disproportionnés.
B.22.1. Les parties requérantes soutiennent que l’ordonnance du 1er décembre 2022 n’est pas claire en ce qui concerne les montants des subventions qu’elles peuvent obtenir.
B.22.2. Comme il est dit en B.2.4, l’article 11, alinéa 1er, de l’ordonnance du 1er décembre 2022 prévoit une clé de répartition que la Région de Bruxelles-Capitale doit appliquer pour l’octroi des subventions. Le deuxième alinéa de cette disposition prévoit en outre des montants concrets pour le crédit destiné à l’octroi des subventions pour 2023, à savoir, d’une part, un montant de 15 000 000 €, réparti selon la clé de répartition mentionnée au premier alinéa, et, d’autre part, un montant de 10 087 400 euros et un montant de 15 817 033 euros, répartis selon une clé spécifique. Enfin, l’article 11, alinéa 3, de l’ordonnance du 1er décembre 2022 habilite le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale à ajouter, si nécessaire, des tranches en fonction du contexte fiscal de la Région. Les deuxième et troisième alinéas sont des mesures transitoires, dans l’attente d’une réforme plus large du financement général des communes et des CPAS de la Région de Bruxelles-Capitale (article 13
de l’ordonnance du 1er décembre 2022).
B.22.3. Compte tenu de ce qui précède, du large pouvoir d’appréciation du législateur ordonnanciel et de ce que l’octroi de subventions est toujours fonction du budget disponible qui peut varier d’année en année, l’ordonnance du 1er décembre 2022 énonce des critères suffisamment clairs quant aux montants des subventions que la Région de Bruxelles-Capitale peut attribuer aux communes qui souhaitent faire usage de cette réglementation.
Pour le reste, lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, dans l’octroi des subventions, a excédé ou non les limites de l’habilitation qui a été conférée.
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B.23. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.24. À titre subsidiaire également, les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et du principe général de légalité.
B.25. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi l’article 11 de l’ordonnance du 1er décembre 2022 contrevient au principe général de légalité, de sorte que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de ce principe. La Cour examine dès lors uniquement la compatibilité de la disposition attaquée avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.26.1. Comme il est dit en B.1, l’ordonnance du 1er décembre 2022 vise à créer un climat fiscal propice au développement de l’activité économique de la Région en permettant aux communes de conclure avec la Région de Bruxelles-Capitale un contrat dans lequel elles s’engagent à supprimer certaines taxes et à introduire, en échange d’une subvention, une demande d’accord auprès du Gouvernement pour la création de toute nouvelle taxe et l’augmentation de toute taxe existante qui pourrait avoir un impact sur le développement économique local.
Il ressort des travaux préparatoires de l’ordonnance du 1er décembre 2022 qu’il existe une grande diversité dans le domaine des types de règlements-taxes et des taux d’imposition, ce qui fait craindre un départ d’entreprises hors de Bruxelles (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2022-2023, A-588/2, pp. 5 et 7). Cette appréhension avait d’ailleurs déjà présidé à l’adoption de l’ordonnance du 19 juillet 2007, dans le cadre de laquelle cette diversité était expliquée par le fait que les impôts dans la Région bruxelloise sont dans une large mesure une compétence communale et que beaucoup de communes bruxelloises accueillent une population largement fragilisée, qui ne présente qu’une maigre capacité contributive, de sorte que les communes sont souvent contraintes de percevoir des recettes supplémentaires à charge
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des autres agents économiques, tels que les entreprises (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2006-2007, A-383/1, pp. 1-2; ibid., A-383/2, p. 4).
B.26.2. Le législateur ordonnanciel a pu raisonnablement estimer que les règlements-taxes divergents adoptés en l’espèce par les communes présentent des inconvénients tels que ceux qui ont été décrits précédemment et qu’un mécanisme tel qu’il a été introduit par l’ordonnance du 1er décembre 2022 serait de nature à y remédier.
B.27.1. Les critères qui sont énoncés à l’article 11, alinéa 1er, de l’ordonnance du 1er décembre 2022 pour déterminer le montant de la subvention, à savoir le nombre d’unités locales d’établissements et le nombre d’emplois intérieurs dans la commune, sont objectifs et raisonnables à la lumière du but rappelé en B.26.1, étant donné qu’ils sont tous deux en lien avec l’activité économique du territoire communal. La circonstance que cette ordonnance ne définit pas la notion d’« unité locale d’établissement » n’amène pas à une autre conclusion. La notion d’« unité d’établissement » est suffisamment claire, et elle est aussi employée dans d’autres législations, par exemple dans le Code de droit économique, qui la définit comme un « lieu d’activité, géographiquement identifiable par une adresse en Belgique, où s’exerce au moins une activité de l’entité enregistrée ou à partir duquel elle est exercée » (article I.2, 16°).
B.27.2. Les montants de 10 087 400 euros et 15 817 033 euros, qui sont repris à l’article 11, alinéa 2, de l’ordonnance du 1er décembre 2022 en tant que mesures transitoires, reposent eux aussi sur une justification objective et raisonnable. Ainsi, il ressort des travaux préparatoires cités en B.1 que « la compensation accordée en 2022 pour la suppression du précompte immobilier relatif au matériel et outillage », qui sert de critère pour la répartition du montant de 10 087 400 euros, vise la subvention que l’ordonnance du 19 juillet 2007 destinait à compenser la suppression des centimes additionnels sur le précompte immobilier relatif au matériel et à l’outillage (article 11, 2°, de l’ordonnance du 19 juillet 2007). Le montant de 15 817 033 euros sert un but de solidarité et est destiné aux communes qui perçoivent sur les centimes additionnels à l’impôt sur les personnes physiques et sur le précompte immobilier moins de recettes que la moyenne pour les 19 communes. Ce critère aussi s’inspire d’une compensation que prévoyait l’ordonnance du 19 juillet 2007, à savoir la compensation du faible rendement des impôts des communes (article 12, 2°, de l’ordonnance du 19 juillet 2007).
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B.28. La circonstance que les critères cités plus haut ne reflètent pas la réelle contribution de la commune au développement économique de la Région de Bruxelles-Capitale ne prive pas l’ordonnance du 1er décembre 2022 de sa justification raisonnable. Le législateur ordonnanciel peut faire usage de catégories dans le cadre d’un régime de subventions pour appréhender avec un certain degré d’approximation la diversité des besoins financiers des administrations locales.
De plus, le régime attaqué repose, comme il est dit en B.10.2, sur une participation volontaire des communes. Si une commune estime que les subventions que prévoit l’ordonnance du 1er décembre 2022 ne lui permettent pas ou pas suffisamment de récupérer ses investissements, elle demeure libre de ne pas conclure un contrat avec la Région de Bruxelles-Capitale, auquel cas elle conserve toute latitude de maintenir des impôts et d’en introduire de nouveaux ainsi que d’en acquérir les recettes.
B.29. Le troisième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 octobre 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105/2024
Date de la décision : 03/10/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-10-03;105.2024 ?

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