Cour constitutionnelle
Arrêt n° 119/2024
du 7 novembre 2024
Numéro du rôle : 8288
En cause : la demande de suspension du décret de la Région flamande du 19 avril 2024
« relatif à l’opérationnalisation d’un Régulateur flamand des services d’utilité publique », introduite par le service autonome doté de la personnalité juridique « Vlaamse Regulator voor de Elektriciteits- en Gasmarkt » et Pieterjan Renier.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 juillet 2024 et parvenue au greffe le 23 juillet 2024, une demande de suspension du décret de la Région flamande du 19 avril 2024 « relatif à l’opérationnalisation d’un Régulateur flamand des services d’utilité publique » (publié au Moniteur belge du 12 juin 2024) a été introduite par le service autonome doté de la personnalité juridique « Vlaamse Regulator voor de Elektriciteits- en Gasmarkt » et Pieterjan Renier, assistés et représentés par Me Bart Martel, Me Kristof Caluwaert et Me Simon Vanhove, avocats au barreau de Bruxelles.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l’annulation du même décret.
Par ordonnance du 8 août 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia, a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 18 septembre 2024, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 11 septembre 2024 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une
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copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « greffe@const-court.be ».
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Frederik Vandendriessche, Me Nathanaëlle Kiekens, Me Pieterjan Claeys, Me Cilia Mathieu et Me Elise Descheemaeker, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.
À l’audience publique du 18 septembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Bart Martel, Me Kristof Caluwaert et Me Simon Vanhove, pour les parties requérantes;
. Me Frederik Vandendriessche, Me Pieterjan Claeys et Me Elise Descheemaeker, également loco Me Nathanaëlle Kiekens et Me Cilia Mathieu, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’objet de la demande de suspension et à l’intérêt des parties requérantes
A.1.1. Les parties requérantes, à savoir le « Vlaamse Regulator voor de Elektriciteits- en Gasmarkt »
(Régulateur flamand du marché de l’électricité et du gaz) (ci-après : le VREG) et le directeur général du VREG, demandent en ordre principal l’annulation et la suspension de l’intégralité du décret de la Région flamande du 19 avril 2024 « relatif à l’opérationnalisation d’un Régulateur flamand des services d’utilité publique » (ci-après :
le décret du 19 avril 2024). Elles font valoir que les dispositions de ce décret contre lesquelles elles invoquent des moyens sont indissociablement liées aux autres dispositions du même décret, étant donné que ce dernier réforme fondamentalement le VREG. Elles relèvent que le VREG jouit d’une indépendance garantie par le droit de l’Union européenne et que le législateur décrétal, par le décret attaqué, transforme le VREG en Régulateur flamand des services d’utilité publique, lequel est compétent non seulement pour les tâches en matière d’électricité et de gaz régulées au niveau européen (les tâches régulées), mais également pour d’autres tâches en rapport avec l’infrastructure liée au réseau, comme les tâches relatives au secteur de l’eau (les tâches non régulées). Une annulation et une suspension partielles du décret attaqué auraient pour effet, selon elles, de créer une réglementation totalement nouvelle qui ne refléterait plus exactement les choix politiques opérés par le législateur décrétal et qui ne leur donnerait pas non plus entière satisfaction.
A.1.2. En ordre subsidiaire, les parties requérantes demandent l’annulation et la suspension des dispositions du décret du 19 avril 2024 suivantes : 1) l’article 4, § 2, alinéa 2, et § 5, pris isolément et lu en combinaison avec l’article 11, alinéa 2; 2) l’article 4, § 4, alinéa 3, en ce qui concerne les mots « sur l’électricité et le gaz naturel »;
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3) l’article 195, en ce qu’il autorise le Gouvernement flamand à fixer l’entrée en vigueur du décret du 19 avril 2024 en prévoyant un délai manifestement déraisonnable.
A.2. Les parties requérantes estiment qu’elles justifient d’un intérêt au recours et à la demande de suspension.
La première partie requérante considère que son intérêt découle du fait qu’elle est l’autorité de régulation du marché de l’électricité et du gaz en Région flamande, qu’elle est le destinataire des normes contenues dans le décret attaqué et que ce décret menace son indépendance et son fonctionnement. La seconde partie requérante estime que son intérêt découle du fait qu’elle est le directeur général du VREG, que le décret attaqué remplace le directeur général par un collège des directeurs et que le directeur général peut être tenu pour solidairement responsable de la prise de décisions ou de l’accomplissement d’actes qui seraient contraires au décret attaqué ou à ses arrêtés d’exécution. La seconde partie requérante estime que son intérêt découle en outre du fait qu’elle est un client final d’électricité et de gaz établi en Région flamande. Elle estime avoir, à ce titre, intérêt à un bon fonctionnement du marché de l’électricité et du gaz, ce qui implique notamment, selon elle, que l’autorité de régulation du marché de l’électricité et du gaz puisse agir en toute indépendance. Elle considère que le décret du 19 avril 2024 porte atteinte à l’indépendance de cette autorité.
Quant au moyen
A.3. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 57, paragraphes 4 et 5, de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944), avec l’article 39, paragraphes 4 et 5, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 « concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE » (ci-après : la directive 2009/73/CE), avec l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) et avec le principe de la sécurité juridique.
A.4. Les parties requérantes exposent qu’il découle des dispositions des directives (UE) 2019/944 et 2009/73/CE mentionnées au moyen que l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz doit être indépendante, non seulement à l’égard des acteurs du marché, mais également à l’égard des autorités publiques.
Elles déduisent de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que les États membres disposent certes d’une liberté politique pour organiser et structurer l’autorité de régulation, mais qu’ils doivent, à cet égard, respecter les principes d’indépendance et d’autonomie qui découlent des directives. Elles déduisent également de la jurisprudence de la Cour de justice qu’une réforme de l’autorité de régulation qui implique que cette autorité devienne compétente pour plusieurs secteurs n’est en principe pas interdite, à condition toutefois qu’une telle réforme n’affecte pas son indépendance et son autonomie. Elles déduisent enfin de cette jurisprudence qu’une interdiction faite aux autorités publiques de donner des instructions à l’autorité de régulation constitue une condition indispensable à l’indépendance de cette autorité, mais qu’une telle interdiction ne suffit pas en soi pour garantir cette indépendance : le simple risque que des autorités publiques puissent influencer sur le plan politique les décisions de l’autorité de régulation suffit à menacer l’indépendance de cette autorité dans l’accomplissement de ses tâches. L’autorité de régulation doit donc, selon elles, être au-dessus de tout soupçon de partialité.
A.5.1. Dans une première branche du moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 4, §§ 2, 4 et 5, du décret du 19 avril 2024 viole les normes de référence mentionnées au moyen, en ce que l’autorité de régulation transformée doit accepter les instructions du Gouvernement flamand pour les tâches dites non régulées, de sorte qu’il existe un risque d’obéissance anticipée, de partialité et de dépendance pour les tâches régulées, risque qui compromet l’indépendance de l’autorité de régulation. Elles estiment que l’interdiction d’interférence contenue dans l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 ne saurait prévenir l’atteinte à l’indépendance. Elles citent plusieurs exemples dont il ressort, selon elles, que le pouvoir d’instruction du Gouvernement flamand en ce qui concerne les tâches non régulées compromet l’indépendance de l’autorité de régulation pour ce qui est des tâches régulées.
A.5.2. Selon les parties requérantes, le législateur décrétal ne peut, pour justifier l’atteinte précitée à l’indépendance de l’autorité de régulation, invoquer l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980, étant donné que
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cette disposition ne saurait porter atteinte à la primauté du droit de l’Union européenne et qu’il convient ainsi de conférer à cette disposition une portée conforme aux obligations qui découlent du droit de l’Union européenne.
A.5.3. En ce qui concerne l’interdiction d’interférence contenue dans l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024, les parties requérantes estiment non seulement qu’elle n’est pas de nature à préserver l’indépendance de l’autorité de régulation, mais également que sa portée n’est pas adaptée aux tâches que l’autorité de régulation doit exercer conformément au droit de l’Union européenne. Elles considèrent que le législateur décrétal n’a établi l’interdiction d’interférence que pour certaines tâches régulées, mais pas pour toutes. Selon elles, il découle en effet de la lecture combinée des différents paragraphes de l’article 4 du décret du 19 avril 2024 que seules les tâches de surveillance mentionnées à l’article 6 de ce décret sont considérées comme des tâches régulées auxquelles s’applique l’interdiction d’interférence. Pour les tâches mentionnées aux articles 7, 8, 9 et 10 du décret du 19 avril 2024, cette interdiction ne s’applique donc pas, tandis que le droit de l’Union européenne exige l’indépendance de l’autorité de régulation pour ces tâches aussi. Selon elles, une interprétation conforme à la directive de l’article 4 du décret du 19 avril 2024 est donc impossible, puisque l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 exige que les éléments essentiels du régime relatif à la surveillance soient réglés dans le décret. Elles déduisent de tout ce qui précède que l’article 4 du décret du 19 avril 2024 est contraire aux normes de référence invoquées au moyen, à tout le moins en ce que le paragraphe 5 fait uniquement référence à l’article 6 de ce décret pour désigner les tâches auxquelles s’applique l’indépendance garantie par le droit de l’Union.
A.5.4. En ce que le décret du 19 avril 2024 installe un conseil d’experts au sein de l’autorité de régulation, ce décret viole également les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les dispositions, invoquées au moyen, de la directive (UE) 2019/944 et de la directive 2009/73/CE, étant donné que l’autorité de régulation, du fait de l’installation de ce conseil, ne peut plus fonctionner de manière indépendante et autonome.
A.6.1. Dans une deuxième branche du moyen, les parties requérantes font valoir que l’interdiction d’interférence contenue dans l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 est contraire aux normes de référence invoquées au moyen, en ce qu’elle fait naître une insécurité juridique, en ce qu’il est impossible de la mettre en œuvre en pratique et en ce qu’elle est discriminatoire, de sorte qu’il est porté atteinte à l’indépendance de l’autorité de régulation.
A.6.2. Elles déduisent du texte de l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 que l’interdiction d’interférence a une portée absolue et qu’elle concerne ainsi toute interférence entre les tâches régulées et les tâches non régulées.
Tout échange d’informations au niveau des organes de direction relève selon elles du champ d’application de cette interdiction. Elles estiment que l’interdiction d’interférence est ainsi incompatible avec le processus décisionnel collégial applicable au sein des organes de direction, de sorte que ceux-ci ne sont pas en mesure de respecter toutes les dispositions du décret du 19 avril 2024, ce qui entraîne selon elles une insécurité juridique.
A.6.3. L’interdiction d’interférence est, selon elles, impossible à réaliser dans la pratique, notamment parce que l’autorité de régulation réformée a également pour mission de veiller à faciliter la gestion relative à d’autres réseaux d’énergie pour le gaz ou la chaleur et que cette mission exige un échange d’informations et d’expertise.
L’échange d’informations et le fait que les membres du personnel, les directeurs et les administrateurs ont connaissance de certaines données pourraient, selon elles, être interprétés comme une interférence interdite par l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024. Dès lors qu’elle empêche les organes de l’autorité de régulation de prendre des décisions valables qui soient conformes au droit de l’Union européenne, cette disposition, lue en combinaison avec les articles 15, 20 et 21 du décret du 19 avril 2024, viole selon elles les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les dispositions, invoquées au moyen, de la directive (UE) 2019/944 et de la directive 2009/73/CE.
A.6.4. Les parties requérantes estiment également qu’il est impossible, sur les plans juridique et pratique, de mettre en œuvre l’article 4, § 5, précité, étant donné que le législateur décrétal ne précise pas comment il convient d’organiser l’interdiction d’interférence au sein du Régulateur flamand des services d’utilité publique. Elles relèvent que le législateur décrétal a laissé au régulateur lui-même l’entière responsabilité d’élaborer cette interdiction, alors qu’il appartient au législateur décrétal de concilier l’exigence d’indépendance imposée par le droit de l’Union avec l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980.
A.6.5. Selon les parties requérantes, dans la mesure où l’interdiction d’interférence ne peut être mise en œuvre dans la pratique, celle-ci est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le
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principe de la sécurité juridique. Elles considèrent que les première et deuxième parties requérantes ne sont pas en mesure de prévoir les conséquences juridiques précises de cette interdiction ni d’adapter leur comportement en fonction.
A.6.6. Selon les parties requérantes, l’interdiction d’interférence est également discriminatoire car elle s’applique uniquement aux tâches de surveillance visées à l’article 6 du décret du 19 avril 2024, et non à d’autres tâches régulées. Selon elles, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée.
A.7.1. Dans une troisième branche du moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 195 du décret du 19 avril 2024 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les dispositions, invoquées au moyen, de la directive (UE) 2019/944 et de la directive 2009/73/CE, avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la confiance légitime et avec le principe du caractère exécutoire, en ce que cette disposition habilite le Gouvernement flamand à régler l’entrée en vigueur du décret attaqué, sans toutefois prévoir un délai raisonnable pour mener à bien la réforme du VREG visée dans ce décret et sans subordonner l’entrée en vigueur de ce décret à la condition que les moyens financiers et les effectifs nécessaires aient été alloués.
A.7.2. Les parties requérantes relèvent que le Gouvernement flamand, par un arrêté du 21 juin 2024, a fixé la date d’entrée en vigueur du décret du 19 avril 2024 au 1er janvier 2025. Elles considèrent que la date du 1er janvier 2025 peut être imputée non seulement au Gouvernement flamand, mais également au législateur décrétal lui-même. C’est ce qu’elles déduisent de la chronologie de l’élaboration du décret attaqué et de l’arrêté, précité, du Gouvernement flamand, ainsi que des travaux préparatoires de ce décret. Elles estiment qu’elles sont obligées de réaliser la réforme du VREG dans un délai qui est déraisonnablement court, dès lors qu’elles ne disposent que de six mois pour revoir fondamentalement le fonctionnement interne et pour mettre en œuvre intégralement un nouveau fonctionnement, alors que les tâches ordinaires aussi doivent être accomplies. Elles relèvent que la réforme visée dans le décret attaqué n’est pas assortie des moyens financiers et des effectifs nécessaires. Elles font valoir que le recrutement de membres du personnel, de directeurs et d’un conseil d’experts peut prendre facilement six mois, sachant que ces nouveaux membres du personnel, directeurs et experts doivent non seulement être désignés, mais aussi se familiariser avec leur fonction. Les modalités et le moment du transfert du personnel de la « Vlaamse Milieumaatschappij » vers le Régulateur flamand des services d’utilité publique ne sont pas du tout clairs, selon elles. Elles ajoutent également qu’il conviendra de conclure un accord de coopération avec la « Vlaamse Milieumaatschappij ». Elles estiment qu’elles ne disposent pas de suffisamment de temps pour le faire et que l’indépendance et le fonctionnement de la première partie requérante sont ainsi compromis.
A.7.3. Selon les parties requérantes, le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est porté atteinte aux attentes légitimes d’une catégorie déterminée de justiciables, sans qu’existe un motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier l’absence d’un régime transitoire. Elles relèvent que le principe de la confiance légitime et le principe du caractère exécutoire exigent en outre que toute règle juridique soit assortie des mesures et moyens nécessaires pour permettre le respect et la mise en œuvre par les justiciables, l’administration et le juge. Elles font valoir que les États membres de l’Union européenne doivent en outre, en vertu des directives mentionnées au moyen, veiller à ce que l’autorité de régulation dispose de tous les moyens personnels et financiers nécessaires pour pouvoir accomplir efficacement ses missions et exercer ses compétences. Elles estiment que la première partie requérante pouvait ainsi nourrir l’attente légitime que la réforme mise en place par le décret attaqué s’accompagne des mesures et moyens nécessaires permettant sa mise en œuvre. Elles font valoir dans ce cadre que, lors de l’allocation de la dotation pour l’année 2024, il n’a pas été tenu compte de la réforme visée par le décret attaqué.
A.8.1. En ce qui concerne le moyen, en sa première branche, le Gouvernement flamand souligne que le VREG est aujourd’hui déjà une autorité de régulation multisectorielle, qui exerce, d’une part, des tâches régulées en matière d’électricité et de gaz naturel et, d’autre part, des tâches non régulées, cette seconde catégorie étant la seule à pouvoir faire l’objet d’une surveillance de la part des autorités publiques. Il renvoie à cet égard à l’article 3.1.1, § 4, alinéa 2, et à l’article 4/1.2.1, § 3, du décret du 8 mai 2009 « portant les dispositions générales en matière de la politique de l’énergie ».
A.8.2. Le Gouvernement flamand estime que l’organisation d’une autorité de régulation multisectorielle exerçant tant des tâches régulées que des tâches non régulées est conforme au droit de l’Union et renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il considère que ni la jurisprudence ni la doctrine ne défendent la thèse selon laquelle l’organisation d’une autorité de régulation multisectorielle soumise à la surveillance partielle des autorités publiques serait inadmissible au regard de l’exigence d’indépendance. Selon lui, la jurisprudence citée par les parties requérantes quant au risque d’influence politique et d’obéissance anticipée
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n’est pas pertinente en l’espèce, dès lors que, dans les affaires qui ont donné lieu à cette jurisprudence, il était question d’un simple risque d’influence politique par le biais de pressions sur le mandat des dirigeants de l’autorité de régulation, ce qui ne s’applique pas à l’affaire présentement examinée. Par ailleurs, en ce que le Régulateur flamand des services d’utilité publique serait confronté à une influence indirecte émanant du monde politique, le Gouvernement flamand estime que c’est à ladite autorité de régulation elle-même qu’il incomberait de soulever la violation de son indépendance.
A.8.3. Le Gouvernement flamand conteste la thèse des parties requérantes selon laquelle l’indépendance du Régulateur flamand des services d’utilité publique ne vaudrait que pour les tâches de surveillance visées à l’article 6 du décret du 19 avril 2024. Il considère que le fait que l’article 4, § 5, du décret précité ne renvoie, dans le cadre de l’interdiction d’interférence, qu’à l’article 6 de ce décret ne permet pas de déduire que l’exigence d’indépendance contenue dans l’article 4, § 4, ne s’appliquerait qu’aux tâches de surveillance. Il souligne à cet égard que l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 a été adopté à la suite d’une observation de la section de législation du Conseil d’État, dans laquelle cette dernière avait uniquement évoqué les tâches de surveillance. Le Gouvernement flamand est en outre d’avis que l’explicitation, dans le décret, d’une interdiction d’interférence n’était en fait pas nécessaire de jure, étant donné que les articles 4, § 4, 15, 17, 26 et 31 du décret du 19 avril 2024
suffisent en soi pour que l’indépendance de l’autorité de régulation soit garantie sur le plan décrétal. Il souligne que l’ancienne réglementation ne prévoyait pas non plus d’interdiction d’interférence. Le Gouvernement flamand estime, qui plus est, que la portée de l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 est plus limitée que ce que les parties requérantes laissent entendre : cette disposition ne fait qu’obliger le Régulateur flamand des services d’utilité publique à prendre des mesures aux fins de préserver l’indépendance technique, la confidentialité des données et le maintien des effectifs nécessaires. Selon le Gouvernement flamand, de telles exigences en matière d’indépendance technique, de confidentialité des données et de maintien des effectifs sont des modalités logiques pour garantir le fonctionnement indépendant et impartial du Régulateur flamand des services d’utilité publique et sont de surcroît déjà appliquées aujourd’hui par le VREG.
A.8.4. Néanmoins, si, par impossible, la Cour devait estimer que l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024
n’est pas conforme à l’exigence d’indépendance, le Gouvernement flamand demande à la Cour de ne suspendre et de n’annuler que le segment de phrase « , visé à l’article 6, ».
A.9.1. En ce qui concerne le moyen, en sa deuxième branche, le Gouvernement flamand considère que les parties requérantes interprètent erronément la règle de l’interférence contenue dans l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024. Il fait valoir que cet article ne prescrit pas une séparation absolue en matière de confidentialité des données, mais vise seulement à restreindre l’accès aux données confidentielles, sur la base du principe du « besoin de savoir ». Il estime que cet article ne peut aboutir qu’à une forme de séparation opérationnelle, mais certainement pas à une séparation administrative. Quant à la violation alléguée de l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980, le Gouvernement flamand est d’avis que la disposition attaquée respecte le principe de légalité contenu dans cet article et que ce dernier ne va pas jusqu’à imposer au législateur décrétal de définir dans les moindres détails au niveau opérationnel toutes les mesures relatives au fonctionnement de l’autorité concernée.
A.9.2. En ce que les parties requérantes allèguent que l’instauration d’un conseil d’experts viole l’exigence d’indépendance, le Gouvernement flamand souligne que ce conseil est un organe du Régulateur flamand des services d’utilité publique lui-même et que les membres de ce conseil doivent se conformer aux mêmes exigences d’indépendance que celles qui sont applicables aux directeurs et aux membres du personnel du Régulateur.
A.9.3. Si la Cour devait néanmoins considérer, par impossible, que l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024
n’est pas conforme à l’exigence d’indépendance et au principe de la sécurité juridique, le Gouvernement flamand demande à la Cour de ne suspendre et de n’annuler que cet article.
A.10.1. En ce qui concerne le moyen, en sa troisième branche, le Gouvernement flamand estime qu’il n’est pas dirigé contre l’article 195 du décret du 19 avril 2024, mais contre l’arrêté du Gouvernement flamand du 21 juin 2024, qui fixe au 1er janvier 2025 la date d’entrée en vigueur du décret attaqué. Il estime que le moyen, en sa troisième branche, est irrecevable pour ce motif.
A.10.2. À titre subsidiaire, le Gouvernement flamand fait valoir que le délai pour opérer la transformation du VREG en Régulateur flamand des services d’utilité publique n’est pas déraisonnablement court et que le VREG
dispose bien de moyens suffisants pour réaliser cette transformation. Il renvoie dans ce cadre à son argumentation relative au préjudice grave difficilement réparable.
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Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable
A.11.1. Les parties requérantes considèrent que le décret du 19 avril 2024 leur cause un préjudice grave difficilement réparable, étant donné que ce décret compromettra l’indépendance, garantie par le droit de l’Union, de l’autorité de régulation dès l’entrée en vigueur de ce décret au 1er janvier 2025. Elles exposent que la première partie requérante devra, dès cette date, prendre des décisions dont il ne pourra plus être garanti qu’elles auront été prises dans le respect de l’indépendance imposée par le droit de l’Union. Vu que ces décisions pourront faire l’objet de contestations juridiques, ce décret entraînera également, selon elles, une insécurité juridique grave. De surcroît, la responsabilité des membres des organes de direction risque également d’être compromise. Dans ces circonstances, il ne peut, selon elles, être garanti que la première partie requérante pourra accomplir correctement ses missions d’autorité de régulation.
A.11.2. Les parties requérantes estiment que les règles élaborées dans le décret du 19 avril 2024 relatives à la surveillance de la part des autorités publiques et à l’interdiction d’interférence instaurée par le décret sont insuffisantes pour empêcher les ingérences des pouvoirs publics et les interférences entre les tâches régulées et les tâches non régulées. L’insécurité juridique qui en résulte n’est pas hypothétique, selon elles.
A.11.3. Étant donné que l’interdiction d’interférence réglée à l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 a une portée absolue, un échange d’informations au niveau des organes de direction, dans lesquels les délibérations et les décisions portent sur des tâches régulées comme sur des tâches non régulées, relève également, selon les parties requérantes, du champ d’application de cette interdiction. Elles estiment que l’interdiction d’interférence est incompatible avec le processus décisionnel collégial en vigueur dans les organes de direction, ce qui implique une délibération informée entre tous les membres de l’organe de direction et un processus décisionnel pour tous ceux-ci. Selon elles, il n’est donc pas possible d’éviter l’échange d’informations au niveau des organes de direction.
Eu égard, d’une part, à la compétence de principe du Gouvernement flamand en matière de surveillance et d’instruction et, d’autre part, au caractère impraticable de l’interdiction d’interférence, il existe selon elles un risque réel de paralysie du fonctionnement de la première partie requérante et de ses organes de direction.
Même si l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 était interprété en ce sens que l’interdiction d’interférence ne s’applique pas aux organes de direction, cette disposition entraînerait, selon les parties requérantes, une insécurité juridique et des risques juridiques pour ce qui est du fonctionnement de la première partie requérante et de la responsabilité des membres de ses organes de direction, étant donné que cette interprétation compromettrait l’indépendance de l’autorité de régulation.
A.11.4. Les parties requérantes estiment que la seconde partie requérante subit un préjudice grave difficilement réparable supplémentaire causé par le décret du 19 avril 2024. Elles pointent l’article 191, alinéa 3, de ce décret, qui a pour effet que l’actuel directeur général du VREG pourra, durant une période transitoire déterminée, agir unilatéralement en tant que collège, auquel cas il sera matériellement impossible de respecter l’interdiction d’interférence, si bien que ses décisions entraîneront l’insécurité juridique précitée. Elles estiment ensuite que la seconde partie requérante subit également un préjudice grave difficilement réparable en sa qualité de client final d’électricité et de gaz naturel, étant donné qu’elle ne bénéficie plus, en cette qualité, du droit dérivé du droit de l’Union à un contrôle efficace du marché, impliquant qu’une entité indépendante puisse prendre des décisions de manière impartiale et non discriminatoire.
A.12.1. Les parties requérantes estiment qu’elles subissent également un préjudice grave difficilement réparable en ce qu’elles seront tenues de fournir les efforts financiers et organisationnels qui seront nécessaires pour transformer le VREG en un Régulateur flamand des services d’utilité publique, et ce, avant le 1er janvier 2025. Selon elles, ces efforts sont consentis au détriment d’autres tâches que le VREG doit accomplir, en tant qu’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz. Elles font valoir à cet égard que la demande de suspension tend à éviter que de tels efforts financiers et personnels soient fournis avant le 1er janvier 2025, alors que, plus tard, en cas d’annulation du décret attaqué, il pourrait s’avérer que ces efforts n’auraient pas dû être accomplis. Elles estiment que l’exécution du décret attaqué doit être suspendue avant que la réforme précitée soit opérée, car il ne sera plus aisé de faire marche arrière une fois que cette réforme aura été opérée.
A.12.2. Les parties requérantes relèvent que les coûts liés à la réforme précitée ne sont pas inscrits au budget du VREG pour l’année 2024 et que, même si les moyens nécessaires étaient mis à disposition, le temps restant jusqu’au 1er janvier 2025 est beaucoup trop limité pour procéder à une réforme aussi fondamentale, dès lors que
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cette réforme suppose que l’organisation interne soit adaptée, que le personnel soit préparé et que de nouveaux directeurs et du nouveau personnel soient recrutés.
Elles exposent qu’il résulte des calculs du flux de trésorerie de la première partie requérante qu’elle dépensera ses derniers moyens de trésorerie en décembre 2024 et que la réserve de trésorerie constituée par cette partie lui permettra sans doute de rester opérationnelle jusque fin 2024 encore. Dans l’hypothèse où la dotation 2025 serait la même que celle qui a été allouée pour 2024, la situation de trésorerie deviendra, selon les parties requérantes, rapidement négative, et ce, avant même qu’on puisse raisonnablement escompter un prononcé sur le recours en annulation : en février 2025, il s’agira déjà d’un déficit d’1,5 million d’euros et, pour juin 2025, ce déficit s’élèvera à presque 3 millions d’euros. Il s’ensuivrait, selon elles, que la première partie requérante se trouverait dans une situation telle qu’elle devrait cesser ses paiements, dont le paiement de son personnel.
A.12.3. Les parties requérantes font valoir que le VREG dispose exclusivement de moyens qui lui sont alloués par le Parlement flamand, sous la forme d’une dotation, et qu’il ne reçoit aucun financement supplémentaire. Elles estiment que, du fait du décret attaqué et des efforts à fournir pour pouvoir mettre en œuvre ce décret, le VREG dispose, pour 2024, de moins de moyens qu’initialement prévu pour pouvoir exercer ses compétences normales en toute indépendance, étant donné qu’il doit affecter une partie de ces moyens à sa transformation en Régulateur flamand des services d’utilité publique. Elles relèvent que la majeure partie des dépenses du VREG consiste en des frais de personnel et qu’il est impossible de réaliser des économies à ce niveau sans compromettre le fonctionnement de l’autorité de régulation. Elles estiment que la situation financière précaire du VREG implique une perte d’indépendance et d’autonomie et qu’est de ce fait causé un préjudice grave, tant pour le VREG que pour le marché de l’énergie, dès lors que le contrôle de ce marché ne sera plus effectué conformément aux exigences du droit de l’Union.
A.13. Enfin, les parties requérantes estiment que les conditions qui sont valables pour suspendre une disposition législative doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne peuvent empêcher que le VREG dispose de voies de recours efficaces pour garantir que le droit de l’Union européenne prime et sortisse pleinement ses effets.
Elles se réfèrent dans ce cadre à la jurisprudence de la Cour de justice, dont elles déduisent qu’une disposition nationale qui aurait pour effet que le juge compétent ne serait plus en mesure de faire le nécessaire pour écarter l’application des dispositions législatives nationales qui font éventuellement obstacle au plein effet du droit de l’Union européenne est incompatible avec le droit de l’Union européenne, et que le juge national compétent doit pouvoir prendre des mesures provisoires. Les critères utilisés en droit national pour accorder des mesures provisoires de suspension ne peuvent, selon elles, rendre impossible ou extrêmement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union européenne. Elles considèrent que, même lorsqu’il n’est pas satisfait aux conditions de suspension contenues dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour doit malgré tout suspendre le décret attaqué lorsqu’elle estime que cette suspension est nécessaire pour préserver la primauté et le plein effet du droit de l’Union européenne, dans l’attente d’une décision définitive.
A.14.1. Le Gouvernement flamand est d’avis que les parties requérantes ne démontrent pas que l’interdiction d’interférence compromet l’indépendance de l’autorité de régulation, et il estime, par ailleurs, qu’elles interprètent erronément cette interdiction, dès lors que celle-ci, contrairement à ce que les parties requérantes prétendent, porte sur une séparation opérationnelle, et non donc sur une séparation administrative. Le Gouvernement flamand souligne que le VREG agit aujourd’hui déjà comme un régulateur multisectoriel, dont seules les tâches non régulées peuvent faire l’objet d’une surveillance. Il estime que l’interdiction, contenue dans les dispositions attaquées, de recevoir des instructions relatives aux tâches régulées vaut non seulement pour les instructions directes, mais également pour les instructions indirectes. Il relève en outre qu’une interdiction d’interférence analogue s’applique aux tâches de surveillance écologiques et économiques de la « Vlaamse Milieumaatschappij »
et que cette interdiction n’a jamais empêché cette dernière d’exercer légalement ses compétences.
A.14.2. Le Gouvernement flamand estime par ailleurs que la transformation du VREG en Régulateur flamand des services d’utilité publique est beaucoup plus limitée que ce que les parties requérantes laissent entendre, et que ces dernières disposent des moyens et du temps nécessaires pour réaliser cette transformation. Il fait valoir à cet égard que ladite transformation n’affecte pas la personnalité juridique ni les tâches existantes du VREG. Il estime en outre que les compétences qui sont transférées sont clairement délimitées et de nature plutôt limitée. Il souligne à titre d’exemple que l’infrastructure de transport et de stockage du dioxyde de carbone n’existe pas encore aujourd’hui, de sorte que les tâches concernées qui sont transférées sont pour l’heure de nature très limitée, et que les tâches transférées concernant l’eau ne portent que sur les aspects économiques y afférents, et non donc sur les aspects écologiques. Par ailleurs, le décret attaqué prévoit une disposition transitoire en la matière,
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plus précisément à l’article 193, qui dispose que le Gouvernement flamand peut prendre les mesures nécessaires pour transférer certains membres du personnel de la « Vlaamse Milieumaatschappij » vers le Régulateur flamand des services d’utilité publique. Le Gouvernement flamand en déduit que le VREG n’a pas besoin de consacrer des moyens ou du temps pour recruter du personnel et que le personnel concerné ne doit pas être formé.
A.14.3. Le Gouvernement flamand considère également que les préparatifs que le VREG doit entreprendre dans le cadre de la modification de la structure administrative sont relativement limités. En ce qui concerne la désignation des nouveaux directeurs, il souligne que celle-ci ne doit pas forcément se faire pour le 1er janvier 2025, dès lors que l’article 191 du décret du 19 avril 2024 contient un régime transitoire en la matière. Quant au conseil d’administration, il souligne que les membres actuels conservent leur mandat pour la durée restante de celui-ci et que la désignation de membres supplémentaires, le cas échéant, relève de la prérogative du Parlement flamand. Enfin, le Gouvernement flamand fait valoir que les membres du conseil d’experts sont eux aussi nommés par le Parlement flamand, mais sur proposition du conseil d’administration.
A.14.4. Selon le Gouvernement flamand, le VREG dispose de suffisamment de moyens financiers pour mener à bien la transformation visée par le décret attaqué. Il souligne que le VREG devra dresser de nouveaux plans budgétaires à l’automne 2024, de sorte que le Parlement flamand pourra octroyer les moyens utiles pour l’année budgétaire 2025. Le Gouvernement flamand déduit d’un avis rendu par le VREG lui-même que cette autorité de régulation a indiqué par le passé qu’elle n’aurait besoin de moyens supplémentaires qu’à partir de 2025.
Le Gouvernement flamand renvoie aux auditions qui se sont tenues au sein du Parlement flamand au sujet de la dotation octroyée au VREG pour l’année budgétaire 2024, durant lesquelles plusieurs remarques ont été formulées au sujet des plans budgétaires du VREG. La dotation pour l’année 2024 a néanmoins déjà été rehaussée de 7,28 millions à 8,75 millions d’euros. Le Gouvernement flamand estime que cette dotation suffit pour préparer la transformation visée dans le décret attaqué et il considère, en outre, que les parties requérantes ne démontrent pas le contraire. Quant à la dotation pour l’année 2025, il fait valoir que les parties requérantes considèrent à tort que le montant de celle-ci sera le même que celui de la dotation pour 2024. Même s’il fallait admettre que le VREG
dispose de moyens insuffisants pour réaliser, d’ici le 1er janvier 2025, la transformation visée dans le décret attaqué, il ne serait toujours pas question, selon le Gouvernement flamand, d’un préjudice grave résultant dudit décret. Il estime qu’un tel préjudice ne pourrait résulter que d’un décret budgétaire. Enfin, le Gouvernement flamand souligne encore que le VREG dispose en tout cas de la possibilité de demander des moyens supplémentaires au Parlement flamand.
A.15. Si la Cour devait considérer que les préjudices invoqués par les parties requérantes sont effectivement sérieux, le Gouvernement flamand estime que ceux-ci ne sont pas difficilement réparables. En ce qui concerne le risque allégué de mise en péril de l’indépendance de l’autorité de régulation, il considère qu’il peut être totalement remédié au préjudice par l’annulation, avec effet rétroactif, du décret attaqué. Pour ce qui est de l’illégalité alléguée des décisions des organes de direction, il estime qu’il peut également être totalement remédié au préjudice par l’annulation du décret attaqué, dès lors que les organes de direction compétents pourront alors revenir sur les décisions concernées et en prendre de nouvelles.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. Les parties requérantes, à savoir le « Vlaamse Regulator voor de Electriciteits- en Gasmarkt » (Régulateur flamand du marché de l’électricité et du gaz) (ci-après : le VREG) et le directeur général du VREG, demandent en ordre principal l’annulation et la suspension de l’intégralité du décret de la Région flamande du 19 avril 2024 « relatif à l’opérationnalisation d’un Régulateur flamand des services d’utilité publique » (ci-après : le décret du 19 avril 2024).
En ordre subsidiaire, elles demandent l’annulation et la suspension des dispositions suivantes
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de ce décret : 1) l’article 4, § 2, alinéa 2, et § 5, pris isolément et lu en combinaison avec l’article 11, alinéa 2; 2) l’article 4, § 4, alinéa 3, en ce qui concerne les mots « sur l’électricité et le gaz naturel »; 3) l’article 195.
B.2.1. Par le décret du 19 avril 2024, le législateur décrétal, ayant constaté que « la compétence régulatoire pour l’infrastructure et les matières liées au réseau [était] [alors] répartie entre plusieurs entités », a voulu créer une autorité de régulation unique centralisée, en l’occurrence le Régulateur flamand des services d’utilité publique (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/1, p. 2).
Les secteurs pour lesquels le Régulateur flamand des services d’utilité publique est compétent sont définis à l’article 5 du décret du 19 avril 2024, qui dispose :
« Le Régulateur flamand des services d’utilité publique a pour mission la régulation et la surveillance, en Région flamande :
1° de la gestion des réseaux d’électricité et de gaz naturel et du réseau de transport local d’électricité, et du fonctionnement du marché de l’électricité et du gaz;
2° de la production et de la fourniture d’énergie thermique et de la gestion des réseaux de chaleur ou de froid;
3° de la production et de la fourniture d’eaux destinées à la consommation humaine, tant via des réseaux publics que privés de canalisations;
4° du respect de l’obligation d’assainissement;
5° de la promotion de la transparence et de l’efficacité du marché du transport de dioxyde de carbone par canalisations en Région flamande ».
B.2.2. En créant une autorité de régulation centralisée, le législateur décrétal tendait, pour l’essentiel, à réaliser un gain d’efficacité :
« Les régulateurs multisectoriels peuvent mieux optimiser les ressources limitées, telles que le personnel, les finances et les connaissances ou l’expertise techniques. Le regroupement au sein d’une seule et même organisation de personnes qui effectuent des tâches comparables ou complémentaires augmente l’efficacité. Parmi les activités complémentaires, on peut citer l’exemple des tâches liées à la régulation des prix. Il s’agit de regrouper l’expertise afin d’examiner les plans tarifaires, la structure des coûts, la comptabilité, les prestations et l’efficacité des intercommunales. L’on veille ainsi également à prévenir le subventionnement croisé. Ensuite, il s’agit de centraliser les connaissances quant à l’imputation des frais aux
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groupes-cibles, aux structures tarifaires, aux corrections sociales, etc. » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/1, p. 7).
B.3.1. Pour parvenir à créer une autorité de régulation centralisée, le législateur décrétal a choisi de « transformer le VREG existant en un Régulateur flamand des services d’utilité publique » :
« Dans la pratique, l’opérationnalisation du Régulateur flamand des services d’utilité publique se fera par la conversion du VREG existant en un Régulateur flamand des services d’utilité publique et cette personne morale existante continuera d’exister, avec un changement de dénomination, de manière à mieux faire correspondre la dénomination au contenu.
Au niveau réglementaire, il s’indique d’ancrer la transformation du VREG et l’intégration des autres personnes, services et régulateurs, ainsi que le fonctionnement futur du Régulateur flamand des services d’utilité publique dans un décret-cadre contenant des dispositions relatives au conseil d’administration, aux mandats, à la compétence générale, aux missions, etc., mais permettant de continuer à mentionner spécifiquement la compétence propre de ce régulateur par secteur dans ces réglementations sectorielles.
[…] Dans la mesure où il s’agit d’une transformation et d’un changement de dénomination d’une personne morale existante, cette personne morale existante continue toutefois d’exister telle quelle, certes avec changement de dénomination et plusieurs modifications en matière de gouvernance. Dès lors, rien ne change pour les actuels membres du personnel du VREG au niveau de l’ancienneté, du statut, de la pension et de la rémunération, etc. » (ibid., p. 10).
Selon l’article 4, § 1er, alinéa 1er, du décret du 19 avril 2024, le « VREG devient un service autonome avec personnalité juridique portant le nom de Régulateur flamand des services d’utilité publique ».
B.3.2. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.3.1, la transformation du VREG en un Régulateur flamand des services d’utilité publique nécessite « plusieurs adaptations en matière de gouvernance ».
En vertu de l’article 3.1.4/4 du décret de la Région flamande du 8 mai 2009 « portant les dispositions générales en matière de la politique de l’énergie » (ci-après : le décret du 8 mai 2009), jusqu’à l’entrée en vigueur du décret attaqué, le VREG compte deux organes, un conseil d’administration et un directeur général. Le conseil d’administration est composé de sept membres au maximum, qui sont désignés par le Parlement flamand pour un délai de cinq ans renouvelable une seule fois (article 3.1.5). Le directeur général est nommé par le conseil d’administration pour un délai de six ans renouvelable une seule fois (article 3.1.9).
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En vertu de l’article 14 du décret du 19 avril 2024, le Régulateur flamand des services d’utilité publique est composé de trois organes : un conseil d’administration, un collège des directeurs et un conseil d’experts.
Le conseil d’administration est composé de sept membres au maximum, qui sont désignés par le Parlement flamand pour un délai de cinq ans renouvelable une seule fois (article 15 du décret du 19 avril 2024). Les administrateurs sont responsables de l’accomplissement de la tâche qui leur est assignée et sont garants des fautes de leur administration. Ils sont solidairement responsables à l’égard du Régulateur flamand des services d’utilité publique ou à l’égard des tiers pour tout dommage résultant de la violation du décret du 19 avril 2024 et de ses arrêtés d’exécution (article 19).
Le collège des directeurs est composé de trois membres au minimum et de quatre membres au maximum, qui sont nommés par le conseil d’administration pour un délai de six ans renouvelable une seule fois (article 21, alinéas 2 et 4, du décret du 19 avril 2024). Le collège des directeurs intervient comme collège et délibère collégialement, selon la procédure du consensus. Lorsque les directeurs ne parviennent pas à un consensus au sein du collège, le dossier en question est soumis pour décision au conseil d’administration (article 21, alinéa 1er).
Le conseil d’experts, qui fait office d’instance consultative pour les membres du conseil d’administration, est composé de cinq membres au maximum, qui sont nommés par le Parlement flamand sur proposition du conseil d’administration du Régulateur flamand des services d’utilité publique pour une période renouvelable de six ans (article 31 du décret du 19 avril 2024). Les avis du conseil d’experts ne sont pas contraignants (article 33).
B.4.1. Étant donné que les tâches exercées par le VREG sont en majeure partie régies notamment par le droit de l’Union européenne, les tâches accomplies par le Régulateur flamand des services d’utilité publique sont également partiellement régies par ce droit.
En ce qui concerne les tâches accomplies par le Régulateur flamand des services d’utilité publique, il convient d’établir une distinction entre les tâches régies notamment par le droit de l’Union (ci-après : les tâches régulées) et les tâches qui ne sont pas régies par ce droit (ci-après :
les tâches non régulées). Les travaux préparatoires mentionnent :
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« [Monsieur […]] dit que le régulateur flamand, qui débuterait ses activités le 1er janvier 2025, est un régulateur hybride et qu’il a à la fois des tâches régulatoires et des tâches non régulatoires. Par tâches de régulation, il faut entendre l’électricité et le gaz, qui constituent une compétence exclusive, comme l’exige l’Europe. Les tâches non régulatoires portent sur l’eau, les égouts, la chaleur, les certificats verts, les certificats de cogénération, les statistiques sociales, etc. Cela signifie que le fonctionnement actuel du régulateur est également hybride, car la chaleur, les certificats de cogénération, les certificats verts et les statistiques sociales ont déjà été attribués. Il s’agit de compétences non exclusives. Il appartient au régulateur lui-même de régler le cloisonnement entre les différents départements, via son conseil d’administration, son comité de direction et son règlement d’ordre intérieur » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/13, p. 4).
B.4.2. Le droit de l’Union européenne contient des règles relatives aux tâches et au fonctionnement de l’autorité de régulation agissant dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel.
En ce qui concerne l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité, l’article 57, paragraphes 4 et 5, de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944) dispose :
« 4. Les États membres garantissent l’indépendance de l’autorité de régulation et veillent à ce qu’elle exerce ses compétences de manière impartiale et transparente. À cet effet, les États membres veillent à ce que, dans l’exécution des tâches de régulation qui lui sont conférées par la présente directive et la législation connexe, l’autorité de régulation :
a) soit juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante d’autres entités publiques ou privées;
b) veille à ce que son personnel et les personnes chargées de sa gestion :
i) agissent indépendamment de tout intérêt commercial; et
ii) ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions directes d’aucun gouvernement ou autre entité publique ou privée dans l’exécution des tâches de régulation. Cette exigence est sans préjudice d’une étroite concertation, le cas échéant, avec les autres autorités nationales concernées ou d’orientations générales édictées par le gouvernement qui ne concernent pas les missions et compétences de régulation prévues à l’article 59.
5. Afin de protéger l’indépendance de l’autorité de régulation, les États membres veillent notamment à ce que :
a) l’autorité de régulation puisse prendre des décisions de manière autonome, indépendamment de tout organe politique;
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b) l’autorité de régulation dispose de toutes les ressources humaines et financières nécessaires pour s’acquitter de ses tâches et exercer ses pouvoirs de manière effective et efficace;
c) l’autorité de régulation bénéficie de crédits budgétaires annuels séparés et d’une autonomie dans l’exécution du budget alloué;
d) les membres du conseil de l’autorité de régulation ou, en l’absence d’un conseil, les cadres supérieurs de l’autorité de régulation soient nommés pour un mandat d’une durée déterminée maximale comprise entre cinq et sept ans, renouvelable une fois;
e) les membres du conseil de l’autorité de régulation ou, en l’absence d’un conseil, les cadres supérieurs de l’autorité de régulation soient nommés sur la base de critères objectifs, transparents et publiés, dans le cadre d’une procédure indépendante et impartiale, qui garantit que les candidats possèdent les compétences et l’expérience nécessaires pour la position pertinente au sein de l’autorité de régulation;
f) des dispositions en matière de conflits d’intérêts aient été mises en place et les obligations en matière de confidentialité s’étendent au-delà de la fin du mandat des membres du conseil de l’autorité de régulation ou, en l’absence d’un conseil, la fin du mandat des cadres supérieurs de l’autorité de régulation;
g) les membres du conseil de l’autorité de régulation ou, en l’absence de conseil, les cadres supérieurs de l’autorité de régulation ne puissent être démis de leurs fonctions que sur la base de critères transparents en place.
En ce qui concerne le premier alinéa, point d), les États membres assurent un système approprié de rotation pour le conseil ou les cadres supérieurs. Les membres du conseil ou, en l’absence d’un conseil, les cadres supérieurs ne peuvent être démis de leurs fonctions au cours de leur mandat que s’ils ne satisfont plus aux conditions fixées par le présent article ou ont commis une faute selon le droit national ».
En ce qui concerne l’autorité de régulation pour le marché du gaz, l’article 39, paragraphes 4 et 5, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 « concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE » (ci-après : la directive 2009/73/CE) prévoit des dispositions analogues.
B.4.3. Il découle des dispositions précitées de la directive (UE) 2019/944 et de la directive 2009/73/CE que l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz doit jouir d’une indépendance fonctionnelle lui permettant d’exercer sa compétence de manière impartiale et transparente. Cette indépendance vaut non seulement à l’égard des acteurs du marché, mais également à l’égard des autorités publiques. Lorsqu’elle accomplit des tâches de
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régulation, l’autorité de régulation ne peut ni solliciter ni recevoir des instructions de la part de gouvernements ou d’autres entités publiques ou privées. Une éventuelle collaboration étroite avec d’autres autorités nationales compétentes ou l’application de directives générales de l’autorité qui sont sans rapport avec les tâches de régulation restent toutefois possibles. Cette indépendance ne fait cependant pas obstacle à un contrôle juridictionnel ou parlementaire de l’autorité de régulation, conformément au droit constitutionnel des États membres.
B.4.4. , En ce qui concerne le contrôle exercé sur le Régulateur flamand des services d’utilité publique, le législateur décrétal a établi une distinction entre les tâches régulées et les tâches non régulées, pour satisfaire aux exigences précitées du droit de l’Union européenne et pour pouvoir satisfaire en même temps aux exigences qui découlent de l’article 9 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, aux termes duquel il doit notamment régler le contrôle exercé sur les services et les établissements lorsqu’il les crée, . Les travaux préparatoires mentionnent :
« Le but consiste à prévoir deux types d’activités pour le Régulateur flamand des services d’utilité publique :
– les activités relatives au marché de l’électricité et du gaz, que le régulateur peut exercer en toute autonomie, conformément à la directive européenne sur l’électricité et le gaz. […];
– les activités relatives aux réseaux du froid et du chaud et à l’eau, que le régulateur exerce sous le contrôle du législateur décrétal et du Gouvernement flamand (le régulateur élabore par exemple le règlement technique, mais le Gouvernement flamand doit l’approuver; si le Gouvernement ne l’approuve pas, il peut donner des instructions quant aux adaptations nécessaires pour qu’il puisse être approuvé). [...] Selon la jurisprudence constante du Conseil d’État, l’octroi d’un pouvoir réglementaire à des établissements ou à des organes publics indépendants est difficilement compatible avec les principes généraux du droit public, parce qu’il porte atteinte au principe de l’unité du pouvoir réglementaire, qu’un contrôle parlementaire direct de la mise en œuvre de cette compétence fait défaut et que les règlements édictés par les établissements ou organes sont dépourvus des garanties accompagnant la réglementation classique, telles celles relatives à la publication et au contrôle préventif de la section de législation du Conseil d’État » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/1, p. 16).
B.4.5. La distinction précitée est réglée à l’article 4, §§ 2 et 4, du décret du 19 avril 2024, qui dispose :
« § 2. Le Régulateur flamand des services d’utilité publique est placé sous la surveillance du Parlement flamand.
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Hormis les tâches et compétences, visées au paragraphe 4, alinéa 1er, le Gouvernement flamand peut fixer des missions et des tâches en ce qui concerne le Régulateur flamand des services d’utilité publique sur la base de délégations reprises dans la réglementation sectorielle.
Le Gouvernement flamand a le droit de se renseigner et donner des instructions sur le suivi et l’exécution de ces tâches au conseil d’administration et au collège des directeurs quant à ces missions et tâches, autres que celles visées au paragraphe 4, alinéa 1er.
[...]
§ 4. Le Régulateur flamand des services d’utilité publique fonctionne pour la Région flamande et pour les compétences régionales en matière d’électricité et de gaz naturel comme l’instance de régulation mentionnée à l’article 57, deuxième paragraphe, de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la Directive 2012/27/UE
et à l’article 39, deuxième paragraphe, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la Directive 2003/55/CE.
La VREG est désignée en tant que régulateur du marché du transport de dioxyde de carbone par canalisations tel que visé au décret du 29 mars 2024 relatif au transport de dioxyde de carbone par canalisations en Région flamande.
Lors de l’exécution de ses tâches et compétences en tant que régulateur, ni le Régulateur flamand des services d’utilité publique, ni ses administrateurs, ni ses membres du personnel ne demandent ou ne reçoivent des instructions sur l’électricité et le gaz naturel de la part du Gouvernement flamand, du Parlement flamand ou d’une autre entité publique.
Lors de l’exécution de ses tâches et compétences en tant que régulateur, ni le Régulateur flamand des services d’utilité publique, ni ses administrateurs, ni ses membres du personnel ne demandent ou ne reçoivent des instructions de la part d’une autre entité particulière.
Lors de l’exécution de ses tâches et compétences en tant qu’organe consultatif, ni le Régulateur flamand des services d’utilité publique, ni ses administrateurs, ni ses membres du personnel ne demandent ou ne reçoivent des instructions sur quels doivent être la conclusion et le contenu concrets de l’avis.
Le Régulateur flamand des services d’utilité publique effectue ses tâches et compétences de manière impartiale et transparente ».
B.4.6. En ce qui concerne la disposition contenue dans l’article 4, § 2, alinéa 1er, du décret du 19 avril 2024, aux termes de laquelle le Régulateur flamand des services d’utilité publique est placé sous la surveillance du Parlement flamand, il a été souligné, au cours des travaux préparatoires, que le décret du 8 mai 2009 contient une disposition analogue pour le VREG :
« C’est toutefois aussi le cas aujourd’hui en ce qui concerne le VREG dans le décret du 8 mai 2009 sur l’énergie. Dans la pratique, ce contrôle parlementaire découle du droit des députés de poser des questions, d’organiser des auditions, de désigner le conseil
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d’administration et d’approuver ou de rejeter, après une audition, le budget et le plan d’entreprise » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/13, p. 25).
B.4.7. Outre la distinction précitée établie en ce qui concerne le contrôle exercé sur le Régulateur flamand des services d’utilité publique entre les tâches régulées et les tâches non régulées, le législateur décrétal a également prévu une disposition visant à prévenir, en interne, les interférences entre les tâches régulées et les tâches non régulées.
L’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 dispose :
« Sans préjudice de l’application du paragraphe 4, le Régulateur flamand des services d’utilité publique organise sa structure et son fonctionnement internes de telle manière qu’aucune interférence n’est possible entre les tâches exécutées par le régulateur dans le domaine du marché de l’électricité et du gaz, visé à l’article 6, et les autres tâches. Le régulateur prend à cet égard au moins toutes les mesures nécessaires qui ont trait, en ce qui concerne ses compétences relatives au marché de l’électricité et du gaz, à la préservation :
1° d’une indépendance technique;
2° de données confidentielles de sorte que les personnes n’ayant pas besoin d’y avoir accès, n’y aient pas accès;
3° des effectifs nécessaires ».
En ce qui concerne cette disposition, les travaux préparatoires mentionnent :
« Il convient d’observer que l’approche globale de cette proposition de décret a été explicitement validée sur le plan juridique par le Conseil d’État. Le Conseil d’État admet en effet incontestablement la ‘ doctrine des deux pistes ’ évoquée par les auteurs au sujet du régulateur et largement argumentée dans l’exposé des motifs (la prémisse étant l’existence de deux tâches ‘ distinctes ’ : d’une part, les tâches pour lesquelles le régulateur dispose d’une indépendance sur la base des exigences de droit européen et, d’autre part, les autres tâches auxquelles de telles exigences européennes ne s’appliquent pas et auxquelles un contrôle plus strict est applicable) et dit expressément qu’’il ne semble pas s’agir dans la même mesure d’une imbrication d’activités qui auraient pour effet que le Régulateur flamand des services d’utilité publique ne puisse être chargé de la régulation des secteurs et du contrôle des secteurs comme l’énergie thermique, les réseaux du chaud et du froid, l’eau, et, à terme, le dioxyde de carbone et l’hydrogène. ’ Le Conseil d’État estime toutefois qu’eu égard au principe de légalité contenu dans l’article 9 de la loi spéciale de réformes institutionnelles, il ne peut être confié au Régulateur flamand des services d’utilité publique lui-même le soin d’édicter un règlement relatif à la scission organisationnelle des tâches. Le Conseil d’État dit que le législateur décrétal doit prévoir des règles ayant pour effet que les instructions relatives aux autres secteurs n’interfèrent pas avec les tâches de contrôle exercées par le Régulateur flamand des services d’utilité publique concernant l’électricité et le gaz naturel.
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L’article 3 contiendra dès lors un passage supplémentaire contraignant le régulateur à s’organiser, au niveau de la structure et en interne, de manière à empêcher toute interférence entre les tâches exercées par le régulateur sur le marché de l’électricité et du gaz et les autres tâches. À cet égard, le régulateur prendra au moins toutes les mesures nécessaires, portant, en ce qui concerne ses compétences relatives au marché de l’électricité et du gaz, sur :
1° une indépendance technique;
2° la protection des données confidentielles, de sorte que celui qui n’a pas besoin d’un accès à celles-ci n’y aura pas accès;
3° les effectifs nécessaires en matière de personnel. Cela signifie qu’il faudra toujours qu’il y ait suffisamment de personnel pour les tâches de régulation et que ce personnel ne pourra pas être réorienté sans plus se voir assigner d’autres tâches.
En exécution de l’avis du Conseil d’État relatif à l’article 9 de la loi spéciale de réformes institutionnelles, il sera aussi encore précisé (voy. infra) que, pour ces autres tâches, auxquelles de telles exigences européennes ne sont pas applicables et auxquelles un contrôle plus strict est applicable, d’éventuelles instructions doivent toujours être adressées au conseil d’administration ou au collège des directeurs. Ces organes peuvent ainsi décider eux-mêmes, compte tenu de ce qui précède, quels membres du personnel sont chargés de tâches » (ibid., pp. 23-24).
B.5.1. Les tâches du Régulateur flamand des services d’utilité publique sont définies aux articles 6 à 10 du décret du 19 avril 2024. Ces dispositions font une distinction entre 1) les tâches de surveillance (article 6); 2) les tâches de régulation (article 7); 3) les tâches relatives à la médiation et au règlement de litiges (article 8); 4) les tâches d’information (article 9); 5) les missions consultatives (article 10). Pour définir ces tâches, ces dispositions font chaque fois une distinction selon les secteurs pour lesquels le Régulateur flamand des services d’utilité publique est compétent (électricité et gaz naturel, énergie thermique, dioxyde de carbone et eau).
B.5.2. Par ailleurs, en ce qui concerne les tâches du Régulateur flamand des services d’utilité publique, l’article 11 du décret du 19 avril 2024 dispose :
« Le Parlement flamand peut préciser les missions, visées à cette section, et peut charger le Régulateur flamand des services d’utilité publique de missions particulières qui ont trait à sa mission et à ses tâches.
Le Régulateur flamand des services d’utilité publique exécute toutes les autres tâches qui lui sont confiées par des décrets, arrêtés, règlements et décisions du Gouvernement flamand sur :
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1° l’organisation de la fourniture des eaux destinées à l’utilisation humaine et à l’assainissement de l’eau;
2° le transport de dioxyde de carbone par canalisations en Région flamande ».
B.6.1. En vertu de l’article 195 du décret du 19 avril 2024, le Gouvernement flamand fixe la date d’entrée en vigueur pour chaque disposition de ce décret.
En vertu des articles 140 et 142 de l’arrêté du Gouvernement flamand du 21 juin 2024
« portant modification de divers arrêtés relatifs à l’opérationnalisation du Régulateur flamand des services d’utilité publique », le décret du 19 avril 2024 entre en vigueur le 1er janvier 2025.
B.6.2. Dans le cadre de l’entrée en vigueur du décret du 19 avril 2024, l’article 191 de ce décret dispose :
« Le Régulateur flamand des services d’utilité publique est opérationnalisé, avec le maintien de la continuité de la personnalité juridique et avec le maintien de plein droit des droits et obligations existants du Régulateur flamand des marchés du gaz et de l’électricité (VREG), par une transformation et un changement de nom de ce dernier.
À partir de l’entrée en vigueur du présent décret et jusqu’à ce que la période de son mandat en cours prenne fin, le directeur général du Régulateur flamand des marchés du gaz et de l’électricité remplit l’une des fonctions de directeurs, telles que visées à l’article 23.
Le conseil d’administration procède au plus tard six mois après l’entrée en vigueur du présent décret à la désignation des autres membres du collège des directeurs, visé à l’article 21.
Le directeur, visé à l’alinéa 2, peut cependant intervenir unilatéralement en tant que collège jusqu’à ce que l’une des conditions suivantes soit remplie :
1° au moins un autre membre du collège des directeurs a été désigné;
2° le délai de six mois après l’entrée en vigueur du présent décret a expiré ».
Les travaux préparatoires mentionnent concernant cette disposition :
« Ces dispositions transitoires précisent une fois de plus que le Régulateur flamand des services d’utilité publique est opérationnalisé tout en assurant la continuité de la personnalité juridique et en conservant de plein droit les droits et obligations existants du VREG, en transformant le VREG et en changeant sa dénomination. Cela implique par conséquent que la personne morale existante portant le numéro d’entreprise 0886.689.767 continue d’exister.
Selon la directive (UE) 2019/944 et la directive 2009/73/CE (et la note interprétative de la Commission européenne y afférente), pour les ‘ cadres supérieurs ’, la protection contre le
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licenciement est la même que pour les administrateurs. En l’espèce, au sein du VREG, seul l’actuel directeur général satisfait à ces conditions, étant donné que cela implique également que cette fonction doit notamment satisfaire à une fonction à mandat qui est limitée dans le temps. Il en résulte qu’il ne peut être mis fin au mandat du directeur général avant la fin du délai (sauf pour des raisons d’indépendance ou en raison d’une condamnation pénale). Pour cette raison, il est prévu que le directeur général devient de jure, pour la durée restante de son mandat actuel, un des directeurs du collège des directeurs (en conservant évidemment sa rémunération, etc.). Une modification structurelle du régulateur ne peut, d’une part, servir à licencier anticipativement des administrateurs ou cadres supérieurs, mais la protection de ces administrateurs et de ces cadres supérieurs ne peut, d’autre part, être érigée en un absolutisme tel que toute réforme de l’autorité deviendrait complètement impossible. En désignant par décret le directeur général, pour le restant de son mandat actuel, comme l’un des nouveaux cadres supérieurs, il est satisfait à ces deux principes.
Pour la création du collège des directeurs, il est aussi prévu une mesure transitoire afin d’assurer la continuité. Au plus tard dans les six mois de l’entrée en vigueur de cette proposition de décret, le conseil d’administration procédera à la désignation des membres du collège des directeurs, mentionnée à l’article 15. Le directeur général précité, qui est déjà désigné par voie décrétale comme membre du collège (voy. supra), peut toutefois, en tant que membre du collège des directeurs, dans l’intervalle, agir temporairement de manière unilatérale comme collège jusqu’à ce qu’une des conditions suivantes soit remplie :
1° au moins un autre membre du collège des directeurs a été désigné. Il suffit qu’au moins un directeur supplémentaire soit entré en fonction et il n’est pas nécessaire que le nombre minimum de directeurs requis par le décret, à savoir trois, soit déjà atteint;
2° le délai de six mois après l’entrée en vigueur de cette proposition de décret est expiré.
Cette disposition garantit la continuité nécessaire, mais implique également un délai précis dans lequel le conseil d’administration doit assurer l’opérationnalisation du collège des directeurs. Si ce collège n’est pas opérationnalisé dans le délai de six mois prévu par le décret, ce directeur ne peut toutefois plus valablement prendre seul les décisions pour lesquelles l’ensemble du collège est collégialement compétent. Cela implique alors que toutes les décisions qui relèveraient de la compétence du collège doivent, à partir de ce moment et jusqu’à ce que le collège soit constitué, être prises par le conseil d’administration » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1797/1, pp. 32-33).
Quant à la demande de suspension
B.7.1. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
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- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
B.7.2. Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable, la suspension par la Cour d’une disposition législative doit permettre d’éviter que l’application immédiate de la norme attaquée entraîne pour les parties requérantes un préjudice grave qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de cette norme.
Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l’article 20, 1°, de cette loi, les personnes qui forment une demande de suspension doivent exposer, dans leur requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elles demandent l’annulation risque de leur causer un préjudice grave difficilement réparable.
Ces personnes doivent notamment faire la démonstration de l’existence du risque de préjudice, de sa gravité, de son caractère difficilement réparable et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.8. Les parties requérantes allèguent que le décret attaqué leur cause un préjudice grave difficilement réparable, notamment parce que le décret a pour effet 1) que l’indépendance du VREG garantie par le droit européen sera compromise dès l’entrée en vigueur de ce décret au 1er janvier 2025; 2) que les décisions que l’autorité de régulation doit prendre à partir de cette date feront l’objet de contestations juridiques qui entraîneront une insécurité juridique; 3) que ces décisions compromettront la responsabilité des membres des organes de direction. Les contestations juridiques, l’insécurité juridique et le fait de compromettre la responsabilité des membres des organes de direction résultent, selon elles, d’une part, de l’absence de garanties suffisantes dans le décret attaqué quant à l’indépendance, garantie par le droit de l’Union, de l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz et, d’autre part, de
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l’incompatibilité de l’interdiction d’interférence, visée à l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024, avec le processus décisionnel collégial applicable dans les organes de direction et avec la disposition transitoire contenue dans l’article 191, alinéa 3, de ce décret.
B.9.1. Comme il est dit en B.4.1 à B.4.5, le décret du 19 avril 2024 fait, pour ce qui est des tâches accomplies par le Régulateur flamand des services d’utilité publique, une distinction entre les tâches régulées et les tâches non régulées.
Les tâches régulées portent sur les secteurs de l’électricité et du gaz naturel et sont notamment régies par le droit de l’Union européenne, plus précisément par les directives (UE) 2019/944 et 2009/73/CE. Selon les dispositions de ces directives mentionnées en B.4.2, l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz doit être indépendante, sur le plan fonctionnel, des autres entités publiques ou privées, mais peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel ou parlementaire.
Les tâches non régulées du Régulateur flamand des services d’utilité publique portent sur des secteurs pour lesquels le droit de l’Union européenne n’exige pas une autorité de régulation indépendante.
B.9.2. En vertu de l’article 4, § 1er, du décret du 19 avril 2024, le Régulateur flamand des services d’utilité publique est un service autonome doté de la personnalité juridique. Ce service est donc juridiquement distinct des pouvoirs législatif et exécutif de la Région flamande.
B.9.3. Comme il est dit en B.4.4, il convient, en ce qui concerne le contrôle exercé sur le Régulateur flamand des services d’utilité publique, d’opérer une distinction selon les tâches exercées par cette autorité.
En vertu de l’article 4, § 2, alinéa 2, du décret du 19 avril 2024, le Gouvernement flamand peut, « hormis les tâches et compétences, visées au paragraphe 4, alinéa 1er », sur la base de délégations contenues dans la réglementation sectorielle, fixer des missions et des tâches en ce qui concerne le Régulateur flamand des services d’utilité publique, et le Gouvernement a le droit, en ce qui concerne ces missions et tâches, « autres que celles visées au paragraphe 4, alinéa 1er », de se renseigner auprès du conseil d’administration et du collège des directeurs au sujet du suivi et de l’accomplissement de ces tâches et de leur donner des instructions à ce sujet.
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La compétence conférée au Gouvernement flamand par cette disposition n’est donc pas applicable aux tâches et compétences mentionnées à l’article 4, § 4, alinéa 1er, du décret du 19 avril 2024.
L’article 4, § 4, alinéa 1er, du décret du 19 avril 2024 dispose que le Régulateur flamand des services d’utilité publique « fonctionne pour la Région flamande et pour les compétences régionales en matière d’électricité et de gaz naturel comme l’instance de régulation mentionnée à l’article 57, deuxième paragraphe, de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) et à l’article 39, deuxième paragraphe, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009
concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE ».
Il découle ainsi de l’article 4, § 2, alinéa 2, lu en combinaison avec l’article 4, § 4, alinéa 1er, du décret du 19 avril 2024, que, lorsque le Régulateur flamand des services d’utilité publique agit en tant qu’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz au sens des directives précitées, le Gouvernement flamand ne peut pas fixer des missions et tâches concernant le régulateur ni se renseigner auprès du conseil d’administration et du collège des directeurs ou leur donner des instructions.
B.9.4. Par ailleurs, l’article 4, § 4, alinéas 3 et 4, du décret du 19 avril 2024 dispose que le Régulateur flamand des services d’utilité publique et ses administrateurs et membres du personnel, dans l’exercice de leurs tâches et compétences en tant que régulateur, ne peuvent pas solliciter ou recevoir des instructions concernant l’électricité et le gaz naturel de la part du Gouvernement flamand, du Parlement flamand et d’une autre entité publique ou privée.
B.9.5. Il résulte de ce qui précède que le Régulateur flamand des services d’utilité publique jouit d’une indépendance garantie par voie décrétale lorsqu’il agit en tant qu’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz au sens des directives (UE) 2019/944 et 2009/73/CE.
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B.10. Les parties requérantes font cependant valoir que l’indépendance de l’autorité de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz est indirectement compromise, dès lors que le Régulateur flamand des services d’utilité publique doit accepter des instructions du Gouvernement flamand pour les tâches non régulées. Elles estiment que cela fait naître, entre l’entrée en vigueur du décret attaqué le 1er janvier 2025 et le moment où la Cour statuera sur le recours en annulation de ce décret, un préjudice difficilement réparable.
B.11.1. Compte tenu notamment de ce que la période entre l’entrée en vigueur du décret attaqué le 1er janvier 2025 et le moment où la Cour pourra statuer sur le recours en annulation ne s’étalera en principe que sur quelques mois, l’influence indirecte du Gouvernement flamand, invoquée par les parties requérantes, est trop hypothétique pour pouvoir être qualifiée de préjudice grave difficilement réparable au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.11.2. Il en va de même pour l’atteinte, alléguée par la seconde partie requérante, en sa qualité de client final d’électricité et de gaz naturel, portée à son droit dérivé du droit de l’Union européenne à un contrôle effectif du marché de l’électricité et du gaz. Par ailleurs, ce préjudice n’est pas personnel et ne peut donc, pour cette raison, être qualifié de préjudice grave difficilement réparable au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.11.3. Par ailleurs, les organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique ont, en vertu du décret, l’obligation de refuser les instructions du Gouvernement flamand relatives à l’électricité et au gaz naturel, que ces instructions soient données de manière directe ou indirecte.
À supposer que le Gouvernement flamand tente d’influencer le Régulateur flamand des services d’utilité publique dans l’exercice de ses tâches de régulation pour le marché de l’électricité et du gaz au cours de la période visée, il appartiendrait aux organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique de ne pas donner suite à cette tentative, en application des dispositions de l’article 4 du décret du 19 avril 2024.
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B.11.4. Vu que le Régulateur flamand des services d’utilité publique est rendu opérationnel et qu’il conserve la personnalité juridique et de plein droit les droits et obligations existants du VREG, par une conversion et un changement de dénomination du VREG, les parties requérantes disposent elles-mêmes de la possibilité, garantie par voie décrétale, de s’opposer aux instructions données par le Gouvernement flamand ou aux tentatives d’influence de la part de celui-ci. Les parties requérantes ont ainsi elles-mêmes la main sur la naissance ou non du préjudice qu’elles invoquent.
B.11.5. Il découle de ce qui précède que les préjudices invoqués par les parties requérantes en ce qui concerne l’atteinte à l’indépendance de l’autorité de régulation et l’insécurité juridique qui en découle, ainsi que l’atteinte à la responsabilité des membres des organes de direction ne peuvent être qualifiés de préjudices graves difficilement réparables au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.12. Quant à l’interdiction d’interférence entre les tâches régulées et les tâches non régulées, réglée à l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024, les parties requérantes font valoir que cette dernière est incompatible avec le processus décisionnel collégial applicable au sein des organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique, de sorte que ce régulateur se trouverait, à partir du 1er janvier 2025, dans l’impossibilité de prendre des décisions valables. Cela entraînerait une insécurité juridique et compromettrait la responsabilité des membres des organes de direction.
B.13.1. En vertu de l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024, le Régulateur flamand des services d’utilité publique est, en ce qui concerne sa structure et son fonctionnement, organisé de manière telle au niveau interne qu’une interférence entre les tâches que le régulateur accomplit en rapport avec le marché de l’électricité et du gaz, mentionnées à l’article 6, et les autres tâches n’est pas possible. Selon cette disposition, le régulateur doit prendre au moins toutes les mesures nécessaires qui ont trait, en ce qui concerne ses compétences relatives au marché de l’électricité et du gaz, à la préservation 1) d’une indépendance technique; 2) de données confidentielles, de sorte que les personnes n’ayant pas besoin d’y avoir accès n’y aient pas accès; 3) des effectifs nécessaires.
B.13.2. Contrairement à ce que font valoir les parties requérantes, l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 ne peut raisonnablement être interprété en ce sens que l’interdiction
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d’interférence visée dans cette disposition s’applique aux organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique. En effet, tant les travaux préparatoires du décret du 19 avril 2024 que les autres dispositions de ce décret font apparaître que cette disposition porte uniquement sur l’organisation interne du personnel du Régulateur flamand des services d’utilité publique.
Dans les travaux préparatoires cités en B.4.7, il est dit expressément que, pour les « tâches pour lesquelles de telles exigences européennes [en matière d’indépendance] ne sont pas applicables et un contrôle plus strict est applicable, d’éventuelles instructions doivent toujours être adressées au conseil d’administration ou au collège des directeurs », de sorte que, « ces organes peuvent ainsi décider eux-mêmes, compte tenu de [l’interdiction d’interférence visée à l’article 4, § 5], quels membres du personnel sont chargés de tâches ».
Comme le soutiennent les parties requérantes elles-mêmes, l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024, interprété en ce sens que l’interdiction d’interférence visée dans cette disposition s’applique également aux organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique, serait du reste difficilement compatible avec plusieurs autres dispositions du décret du 19 avril 2024, notamment l’article 21, alinéa 1er, en vertu duquel le collège des directeurs intervient en tant que collège et délibère collégialement, et avec l’article 191, alinéa 3, aux termes duquel l’actuel directeur général du VREG agit en tant que collège au cours de la période transitoire visée dans cette disposition. Lorsqu’une disposition décrétale peut être interprétée de plusieurs manières, il ne peut en principe être présumé que le législateur décrétal a voulu donner à cette disposition une portée incompatible avec plusieurs autres dispositions de ce même décret.
B.13.3. Étant donné que l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 ne peut être interprété en ce sens que l’interdiction d’interférence visée dans cette disposition s’applique aux organes de direction du Régulateur flamand des services d’utilité publique, les préjudices que les parties requérantes déduisent de cette disposition ne peuvent être considérés comme des préjudices graves difficilement réparables au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.13.4. Contrairement à ce que font valoir les parties requérantes, l’interprétation précitée de l’article 4, § 5, du décret du 19 avril 2024 n’entraîne par ailleurs pas, eu égard à ce qui a été dit en B.11.1 à B.11.4, un préjudice grave difficilement réparable pour les parties requérantes.
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B.14. Les parties requérantes font valoir également que le décret attaqué leur cause un préjudice grave difficilement réparable parce qu’elles seront tenues de fournir des efforts financiers et organisationnels avant le 1er janvier 2025, en vue de la transformation, à partir du 1er janvier 2025, du VREG en un Régulateur flamand des services d’utilité publique. Elles font valoir que les efforts organisationnels qu’elles devront fournir compromettent l’exercice des actuelles tâches du VREG et que les efforts financiers qu’elles devront fournir menacent l’indépendance du VREG. Elles soutiennent également qu’elles n’ont pas assez de temps pour transformer le VREG en un Régulateur flamand des services d’utilité publique pour le 1er janvier 2025.
B.15.1. Ainsi que la Cour l’a jugé par ses arrêts nos 113/2021 du 22 juillet 2021
(ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.113) et 167/2022 du 15 décembre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.167), la simple circonstance que des personnes physiques ou des personnes morales doivent prendre des mesures organisationnelles et les mettre en œuvre pour pouvoir se conformer à de nouvelles normes décrétales ne constitue pas en soi un préjudice grave. Les parties requérantes ne démontrent par ailleurs pas que les mesures préparatoires qui doivent être prises sont telles que, d’une part, elles rendent impossible l’exercice des tâches actuelles du VREG et que, d’autre part, ces tâches sont impossibles à réaliser pour le 1er janvier 2025. En ce qui concerne ce dernier point, il convient par ailleurs de constater que les mesures préparatoires évoquées par les parties requérantes dans leur requête ne doivent pas nécessairement toutes être réalisées pour le 1er janvier 2025. En vertu de l’article 191, alinéa 3, du décret du 19 avril 2024, le conseil d’administration procède au plus tard six mois après l’entrée en vigueur de ce décret à la désignation des autres membres du collège des directeurs, de sorte que les membres de ce collège, contrairement à ce que semblent affirmer les parties requérantes, ne doivent pas nécessairement être désignés au 1er janvier 2025. Par ailleurs, les parties requérantes ne démontrent pas que le préjudice inféré de ces mesures préparatoires devrait, en cas d’annulation ultérieure des dispositions attaquées, être qualifié de grave au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.15.2. En ce qui concerne les efforts financiers invoqués par les parties requérantes, il convient de constater que ces parties indiquent elles-mêmes, dans leur requête, que les moyens financiers disponibles du VREG lui permettent de rester opérationnel jusqu’à la fin de l’année
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budgétaire 2024. La circonstance que, comme l’affirment les parties requérantes, cela n’est possible qu’à condition d’utiliser la réserve de trésorerie constituée par le VREG ne porte pas atteinte au fait que le préjudice invoqué pour l’année budgétaire 2024 ne peut être considéré comme grave au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.15.3. Au moment de l’introduction de la requête, la dotation pour l’année 2025 n’était pas encore fixée par le Parlement flamand. Les arguments que les parties requérantes développent au sujet de la situation financière du Régulateur flamand des services d’utilité publique pour l’année budgétaire 2025 sont par conséquent prématurés et, en l’absence de chiffres concrets, hypothétiques. Le préjudice inféré de cette situation financière ne peut, pour cette raison, être considéré comme un préjudice grave difficilement réparable au sens de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.16. Il résulte de ce qui précède que le risque de préjudice grave difficilement réparable n’est pas démontré.
B.17. Les parties requérantes ajoutent que le droit de l’Union européenne exige qu’elles aient accès à un juge qui puisse préserver efficacement leurs droits inférés de ce droit. Elles considèrent en substance que l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle au plein effet et à la protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union européenne et que l’application des conditions de suspension prévues par cette disposition doit, le cas échéant, être écartée pour violation du droit de l’Union européenne.
B.18.1. En ce qui concerne la protection juridictionnelle effective des droits conférés par l’ordre juridique européen en général, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé (CJCE, grande chambre, 13 mars 2007, C-432/05, Unibet, ECLI:EU:C:2007:163, points 37 à 43) :
« 37. D’emblée, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec.
p. 1651, points 18 et 19; du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 14; du 27 novembre 2001, Commission/Autriche, C-424/99, Rec. p. I-9285, point 45; du 25 juillet
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2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C-50/00 P, Rec. p. I-6677, point 39, et du 19 juin 2003, Eribrand, C-467/01, Rec. p. I-6471, point 61) et qui a également été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1).
38. Il incombe à cet égard aux juridictions des États membres, par application du principe de coopération énoncé à l’article 10 CE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, point 5, et Comet, 45/76, Rec. p. 2043, point 12; du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. p. 629, points 21 et 22; du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213/89, Rec. p. I-2433, point 19, ainsi que du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec.
p. I-4599, point 12).
39. Il y a également lieu de rappeler que, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir, notamment, arrêts précités Rewe, point 5; Comet, point 13; Peterbroeck, point 12; du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C-453/99, Rec. p. I-6297, point 29, ainsi que du 11 septembre 2003, Safalero, C-13/01, Rec. p. I-8679, point 49).
40. En effet, si le traité CE a institué un certain nombre d’actions directes qui peuvent être exercées, le cas échéant, par des personnes privées devant le juge communautaire, il n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national (arrêt du 7 juillet 1981, Rewe, 158/80, Rec. p. 1805, point 44).
41. Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, précité, point 5, et arrêts précités Comet, point 16, ainsi que Factortame e.a., points 19 à 23).
42. Ainsi, s’il appartient, en principe, au droit national de déterminer la qualité et l’intérêt d’un justiciable pour agir en justice, le droit communautaire exige néanmoins que la législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1991, Verholen e.a., C-87/90 à C-89/90, Rec. p. I-3757, point 24, et Safalero, précité, point 50). Il incombe en effet aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect de ce droit (arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 41).
43. À cet égard, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, précité, point 5, et arrêts précités Comet,
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points 13 à 16; Peterbroeck, point 12; Courage et Crehan, point 29; Eribrand, point 62, ainsi que Safalero, point 49).
B.18.2. Il ressort de cette jurisprudence de la Cour de justice qu’à défaut d’une harmonisation au niveau européen, les recours juridictionnels organisés au sein d’un État membre en vue de garantir le respect du droit de l’Union européenne sont régis, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, par les règles procédurales nationales.
Selon la Cour de justice, le principe de l’autonomie procédurale est encadré par deux autres principes, à savoir, d’une part, le principe d’équivalence et, d’autre part, le principe d’effectivité. Le principe d’équivalence exige que les règles procédurales nationales applicables lorsqu’est en cause le droit européen ne soient pas moins favorables que celles qui sont applicables aux recours similaires de nature interne. Le principe d’effectivité s’oppose à ce que les règles procédurales nationales applicables rendent pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique européen.
B.18.3. Le principe de l’autonomie procédurale, encadré par les principes d’équivalence et d’effectivité, s’applique notamment lorsqu’un juge national est saisi d’une demande de suspension d’une norme nationale dont il est allégué qu’elle violerait le droit européen.
Par l’arrêt du 13 mars 2007 cité en B.18.1, la Cour de justice s’est également prononcée sur une question préjudicielle par laquelle « la juridiction de renvoi demand[ait], en substance, si, eu égard au principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire et en cas de doute sur la conformité de dispositions nationales avec ce dernier, l’octroi de mesures provisoires pour suspendre l’application desdites dispositions jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de celles-ci avec le droit communautaire est régi par les critères fixés par le droit national applicable devant la juridiction compétente ou par des critères communautaires » (CJCE, grande chambre, 13 mars 2007, précité, point 78).
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La Cour de justice a jugé, dans le cadre de cette question préjudicielle :
« 79. À cet égard, il résulte, certes, d’une jurisprudence constante que le sursis à l’exécution d’une disposition nationale fondée sur une réglementation communautaire dans un litige pendant devant une juridiction nationale, tout en relevant des règles de procédure nationales, est soumis dans tous les États membres à des conditions d’octroi uniformes et analogues à celles du référé devant le juge communautaire (arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, points 26 et 27; du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft, C-465/93, Rec. p. I-
3761, point 39, et du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I-10423, point 104). Toutefois, l’affaire au principal est différente de celles ayant donné lieu à ces arrêts, en ce que la demande de mesures provisoires d’Unibet vise à suspendre non pas les effets d’une disposition nationale prise en application d’une réglementation communautaire dont la légalité serait contestée, mais les effets d’une législation nationale dont la conformité avec le droit communautaire est contestée.
80. Partant, en l’absence d’une réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les conditions d’octroi de mesures provisoires destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire.
81. Par conséquent, l’octroi de mesures provisoires pour suspendre l’application de dispositions nationales jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de celles-ci avec le droit communautaire est régi par les critères fixés par le droit national applicable devant cette juridiction.
82. Cependant, ces critères ne sauraient être moins favorables que ceux concernant des demandes similaires de nature interne (principe de l’équivalence) ni rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité).
83. Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question que le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire doit être interprété en ce sens que, en cas de doute sur la conformité de dispositions nationales avec le droit communautaire, l’octroi éventuel de mesures provisoires pour suspendre l’application desdites dispositions jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de celles-ci avec le droit communautaire est régi par les critères fixés par le droit national applicable devant ladite juridiction, pour autant que ces critères ne sont pas moins favorables que ceux concernant des demandes similaires de nature interne et ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile la protection juridictionnelle provisoire de tels droits » (CJCE, grande chambre, 13 mars 2007, précité, points 79 à 83).
B.18.4. Il en ressort que la Cour de justice, en ce qui concerne les conditions auxquelles une suspension de l’application d’une disposition nationale peut être obtenue, établit une distinction entre, d’une part, les dispositions nationales prises en application du droit de l’Union
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européenne dont la légalité est contestée et, d’autre part, les dispositions nationales dont est contestée la conformité au droit de l’Union.
Alors que, pour la suspension d’une disposition nationale fondée sur le droit de l’Union européenne dont la légalité est contestée, des conditions uniformes et « analogues à celles du référé devant le juge communautaire » sont applicables, pour la suspension de dispositions nationales dont la conformité avec le droit de l’Union européenne est contestée, « les critères fixés par le droit national applicable devant cette juridiction » trouvent à s’appliquer. Ces derniers critères ne peuvent toutefois être moins favorables que ceux qui sont applicables aux recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ils ne peuvent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par le droit de l’Union européenne (principe d’effectivité).
B.18.5. Étant donné qu’en l’espèce c’est la conformité des dispositions attaquées au droit de l’Union européenne qui est en cause et non la légalité du droit de l’Union européenne lui-
même, les critères établis dans l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 s’appliquent.
B.18.6. La condition relative au risque d’un préjudice grave difficilement réparable mentionnée à l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 s’applique tant lorsqu’est invoquée une violation du droit de l’Union européenne que lorsqu’une telle violation n’est pas invoquée.
Le principe d’équivalence est donc respecté.
B.18.7.1. En ce qui concerne le principe d’effectivité en général, la Cour de justice a jugé :
« Pour ce qui concerne le principe d’effectivité, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les cas dans lesquels se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique communautaire doivent, de même, être analysés en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, du déroulement et des particularités de celle-ci devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 21 février 2008, Tele2
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Telecommunication, C-426/05, EU:C:2008:103, point 55, et jurisprudence citée, ainsi que du 29 octobre 2009, Pontin, C-63/08, EU:C:2009:666, point 47) » (CJUE, 7 mars 2018, C-494/16, Santoro, ECLI:EU:C:2018:166, point 43).
B.18.7.2. Il en ressort que, pour apprécier le principe d’effectivité, il convient de prendre en compte notamment la place de la disposition procédurale en question dans l’ensemble de la procédure, ainsi que le déroulement et les spécificités de celle-ci.
Il convient de constater sur ce point qu’une demande de suspension d’une disposition législative introduite à la Cour revêt un caractère accessoire par rapport au recours en annulation introduit contre cette disposition et que la condition relative au risque d’un préjudice grave difficilement réparable s’applique exclusivement dans le cadre de la demande de suspension introduite devant la Cour. Cette demande tend précisément à éviter que l’application immédiate de la norme attaquée cause aux parties requérantes un préjudice grave qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation.
En ce que les parties requérantes démontrent, dans le cadre d’une demande de suspension d’une disposition législative, l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable, elles disposent d’une voie de recours effective pour sauvegarder provisoirement, dans l’attente d’une décision de la Cour concernant le recours en annulation, leurs droits découlant du droit de l’Union européenne. De la circonstance qu’une disposition législative ne peut être suspendue par la Cour lorsque l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable n’est pas démontrée, il ne peut être déduit que l’exercice des droits conférés aux particuliers ou aux personnes morales par le droit de l’Union européenne est rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile. En effet, les droits que les parties requérantes puisent dans le droit de l’Union européenne, dans les cas où il n’existe pas de risque de préjudice grave difficilement réparable, sont pleinement garantis dans le cadre du recours en annulation de la norme en question introduit par ces parties.
Il ressort en outre de l’arrêt de la Cour de justice cité en B.18.7.1 que, pour apprécier le principe d’effectivité, il convient de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure. En l’espèce, il convient
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de tenir compte du fait que le droit au contradictoire dans le cadre d’une demande de suspension d’une norme législative, précisément en raison du caractère urgent d’une telle demande, est garanti dans une mesure moindre que dans le cadre d’un recours en annulation. Eu égard notamment au fait que la Cour doit examiner des normes qui ont été adoptées par des assemblées législatives élues démocratiquement, une telle restriction du droit au contradictoire, outre les cas visés aux articles 71 et 72 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, ne peut être considérée comme raisonnablement justifiée que dans les cas où l’affaire présente un caractère urgent, plus précisément lorsque l’application immédiate de la norme attaquée ferait naître, pour les parties requérantes, un préjudice grave qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait l’être difficilement en cas d’annulation.
B.18.7.3. Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice relative aux conditions uniformes applicables en vue de la suspension d’une disposition nationale fondée sur le droit de l’Union européenne dont la validité est contestée que, dans ce cadre, s’applique une condition analogue à celle de l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable, contenue dans l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 :
« 28. A cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que des mesures de sursis à l’exécution d’un acte attaqué ne peuvent être prises que si elles sont urgentes, autrement dit s’il est nécessaire qu’elles soient édictées et portent leurs effets dès avant la décision sur le fond, pour éviter que la partie qui les sollicite subisse un préjudice grave et irréparable.
29. Pour ce qui est de l’urgence, il convient de préciser que le préjudice invoqué par le requérant doit être susceptible de se concrétiser avant même que la Cour ait pu statuer sur la validité de l’acte communautaire attaqué. Quant à la nature du préjudice, ainsi que la Cour l’a plusieurs fois jugé, un préjudice purement pécuniaire ne saurait, en principe, être regardé comme irréparable. Toutefois, il appartient à la juridiction des référés d’examiner les circonstances propres à chaque espèce. A cet égard, elle doit apprécier les éléments permettant d’établir si l’exécution immédiate de l’acte faisant l’objet de la demande de sursis serait de nature à entraîner pour le requérant des dommages irréversibles qui ne pourraient être réparés si l’acte communautaire devait être déclaré invalide » (CJCE, 21 février 1991, C-143/88 et C-92/89, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG, ECLI:EU:C:1991:65, points 28 et 29).
B.18.7.4. Il résulte de ce qui précède que la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable, contenue dans l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, est conforme au principe d’effectivité.
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B.18.7.5. En ce que l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 exige, pour la suspension d’une disposition législative, qu’il soit démontré que l’exécution immédiate de cette disposition risque de causer un préjudice grave difficilement réparable, cet article ne fait donc pas obstacle à la protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union européenne. Il n’y a donc pas lieu d’écarter l’application de cet article.
B.19. L’une des conditions de fond pour conclure à la suspension n’étant pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 7 novembre 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen