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06/02/2025 | BELGIQUE | N°17/2025

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 06 février 2025, 17/2025


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 17/2025
du 6 février 2025
Numéro du rôle : 8029
En cause : le recours en annulation de l’article 77, 2° à 4°, de la loi du 22 novembre 2022
« portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (diverses modifications de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803
précitée), introduit par la SRL « Notaire Nathalie Compère, Société notariale » et autres.r> La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 17/2025
du 6 février 2025
Numéro du rôle : 8029
En cause : le recours en annulation de l’article 77, 2° à 4°, de la loi du 22 novembre 2022
« portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (diverses modifications de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803
précitée), introduit par la SRL « Notaire Nathalie Compère, Société notariale » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 juin 2023 et parvenue au greffe le 20 juin 2023, un recours en annulation de l’article 77, 2° à 4°, de la loi du 22 novembre 2022 « portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (diverses modifications de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803 précitée), publiée au Moniteur belge du 22 décembre 2022, a été introduit par la SRL « Notaire Nathalie Compère, Société notariale », Marie Losseau, la SRL « Géraldine Collard, société notariale », Pierre Delmotte, la SRL « Boeykens Jan »
(actuellement « Notariaat Boeykens-Vreven, notarisvennootschap »), Catherine Poncelet, la SRL « Julie Zuliani, Notaire », la SRL « NotFlo, notaires associés », Michael Gemmel, la SRL « Shalini Fraikin, Société Notariale », la SRL « François Cécile, Société Notariale », Luc Possoz, la SRL « Danielle Cherpion Notaire-Notaris », Laurence Devleeschouwer, Philippe Degrooff, Véronique Fasol, la SRL « Frédéric Jentges & Delphine Cogneau, Notaires associés », la SRL « Notaire Roxane Notarpietro », la SRL « Valérie Masson, Notaire », Jean-François Cayphas, la SRL « Gaëtan Delvaux - Notaire », la SRL « Benoit Odin, Notaire », la SRL « Stéphanie Laudert & Bénédicte Van Maele, Notaires associés », la SRL « Estienne, Gernaij & Laine - Notaires associés », la SRL « Cathy Barranco, Notaire », la
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SRL « Daan Dierickx & Pierre Godts, Geassocieerde Notarissen », la SRL « François Mathonet, société notariale », la SRL « Notaire Gaëlle Taton », la SRL « Sophie Melon, Société Notariale », Françoise Fransolet, la SRL « Caroline Burette - Société notariale », la SRL « Pierre Dumont &
Hélène Bourguignon - Notaires associés », la SRL « Olivier de Laminne de Bex, Notaire », la SRL « Charlotte Labeye et Ophélie Lallemend, Société Notariale », la SRL « Françoise Wera, Candice Collard, Didier Timmermans, notaires associés », la SRL « Marjorie Albert, Société Notariale », la SRL « Didier Nellessen et Letizia Vaccari Notaires associés », la SRL « Notaire Xavier Ulrici, société notariale », la SRL « Véronique Smets, société notariale », la SRL « Amélie Guyot, Société Notariale », la SRL « Damien Le Clercq, Société Notariale », la SRL « Valentine Demblon & Sophie Coulier, notaires associés », la SRL « Brice Goddin, société notariale », Remi Caprasse, la SRL « Cathy Parmentier, Notaire », la SRL « Maximilien Charpentier, Société Notariale », la SRL « Notaires George & Dekeyser », la SRL « Declairfayt Antoine & Anne, Notaires Associés », la SRL « Delmotte Bastien, société notariale », la SRL « Stévigny Delphine, société notariale », la SRL « Patricia Van Bever et Marie-Hélène Clavareau - Notaires Associés », la SRL « Florence Demoustier - Société notariale », la SRL « MB Not, Société notariale », la SRL « Mélissa Chabot Notaire », la SRL « Nicolas Rousseaux, Notaire », Clarence Balieux, la SRL « Ingrid De Winter - Notaire », Oreste Coscia, la SRL « Notaire Patrick Linker », la SRL « Philippe et Pascaline Dupuis, Notaires associés », la SRL « François Delmarche, Notaire », la SRL « Christophe Hospel - Notaire », la SRL « Bernard Lemaigre, Notaire », Anne Maufroid, Denis Carpentier, la SRL « Etude Flameng, Société Notariale », la SRL « Muriel De Roose Notaire », la SRL « Gautier Hannecart Notaire », la SRL « Guy Carlier, Notaire », la SRL « Virginie Dubuisson - Notaire », la SRL « Olivier Minon Notaire », Emilie Blavier, la SRL « Roland Mouton, société notariale », la SRL « Notago, société notariale », la SRL « Notalaw : société notariale », la SRL « Xavier Bricout, Notaire », Jean-Pierre Derue, la SRL « Amélie Lecomte &
Alexandre Lecomte, notaires associés », la SRL « Jules Bastin, Société notariale », la SRL « Sylvain Bavier, notaire », la SRL « Aurélie Haine, Notaire », la SRL « Babusiaux &
Pirlot Notaires Associés », la SRL « Pol Decruyenaere - Notaire », la SRL « Nicolas Demolin, Notaire », Gérard Debouche, la SRL « Jean-Charles Dasseleer, Notaire », Jeanine Dirosa, la SRL « Mathieu Durant - Notaire », la SRL « Fabrice De Visch, Notaire », la SRL « Jean-Louis Lhôte & Roseline Mac Callum, Notaires associés », la SRL « Serge Fortez, Notaire », la SRL « Société Notariale Géry Lefebvre », Hélène Ronlez, la SRL « Benoit De Smet, notaire », la SPRL « Aurore Difrancesco, Notaire », Emmanuelle Robberechts et la SRL « Tanguy Loix Notaire », assistés et représentés par Me Guy Block, Me Kris Wauters et Me Thomas Mergny, avocats au barreau de Bruxelles.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Evrard de Lophem, Me Sébastien Depré et Me Juliette Van Vyve, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
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À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 20 novembre 2024, a fixé l’audience au 11 décembre 2024.
À l’audience publique du 11 décembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Guy Block, Me Kris Wauters et Me Thomas Mergny, pour les parties requérantes;
. Me Maxime Chomé, avocat au barreau de Bruxelles, et Me Juliette Van Vyve, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.1. Le premier moyen est pris de la violation, par l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803
« contenant organisation du notariat » (ci-après : la loi du 16 mars 1803), tel qu’il a été modifié par l’article 77, 2°
et 3°, de la loi du 22 novembre 2022 « portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (ci-après : la loi du 22 novembre 2022), des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec le principe de la continuité du service public et avec le principe de l’accès égal des usagers au service public, en ce que ces dispositions instaurent un système de remboursement pour certaines diminutions des tarifs et honoraires notariaux qui désavantage les notaires situés en zone rurale.
Ce moyen est subdivisé en deux branches.
A.2.1. Dans la première branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 117, §§ 3 et 4, précité, porte atteinte au principe d’égalité de traitement des usagers d’un service public et à l’obligation du notariat et des notaires d’assurer un accès égal à leurs missions de service public. Elles expliquent que l’arrêté royal du 22 novembre 2022 « modifiant l’annexe de l’arrêté royal du 16 décembre 1950 portant le tarif des honoraires des notaires » (ci-après : l’arrêté royal du 22 novembre 2022) a réduit les honoraires et frais que peut facturer un notaire pour les actes d’achat et de crédit d’une habitation familiale unique et que, pour compenser cette baisse, le législateur a prévu, pour les actes d’achat relatifs à une habitation familiale unique dont la valeur d’achat est située
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entre 60 000 euros et 325 000 euros, une intervention du fonds notarial, dont le montant diffère selon la valeur de l’achat au sein de cette tranche.
Les parties requérantes font valoir que l’intervention du fonds notarial prévue par le législateur ne compense pas entièrement la baisse d’honoraires et qu’aucune intervention n’est prévue pour les actes relatifs à un bien dont la valeur d’achat s’élève à moins de 60 000 euros. Les parties requérantes soulignent qu’en outre, les honoraires sur les crédits hypothécaires liés à ces acquisitions ont été diminués de 20 % sur les premières acquisitions, sans compensation. Elles exposent que les notaires situés dans des zones géographiques économiquement plus faibles ou dans des zones rurales subissent ces diminutions d’honoraires sur la grande majorité de leurs actes, alors que les notaires situés dans des zones économiquement plus fortes ne subissent pas ces diminutions d’honoraires car l’essentiel de leurs transactions immobilières ne sont pas concernées par ces diminutions. Elles en déduisent qu’en prévoyant une intervention dont le montant dépend de la valeur d’achat du bien, le législateur a choisi un critère de distinction qui n’est pas pertinent pour atteindre le but poursuivi, à savoir fournir une compensation aux notaires touchés par la baisse des honoraires.
A.2.2. Elles estiment que la disposition attaquée conduit les notaires situés dans des zones économiquement faibles ou rurales à ne pas ou plus pouvoir exercer leur mission de service public comme ils le faisaient avant la réforme, notamment parce qu’ils sont contraints de réduire leur personnel ou les plages horaires d’accès à leur étude, ce qui réduit leur disponibilité et leur qualité d’écoute pour les usagers. Elles allèguent également que certaines études, spécialement dans les zones rurales, ferment ou ne sont pas reprises, ou sont contraintes de s’associer, ce qui risque de conduire à un « désert notarial » dans les zones rurales, forçant les usagers à consentir davantage d’efforts pour encore obtenir les services d’un notaire, ce qui pourrait même être impossible pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers ou matériels d’effectuer les déplacements nécessaires. Les parties requérantes déduisent de tout ceci que la continuité du service public notarial est mise à mal et que l’égalité des citoyens face au service public du notariat est rompue. Les parties requérantes ajoutent que la continuité du service public est un principe général de droit de valeur constitutionnelle.
A.2.3. Les parties requérantes considèrent que la continuité du service public assuré par le notaire peut uniquement être garantie si les notaires sont suffisamment rémunérés pour les services qu’ils accomplissent et que leurs honoraires couvrent au moins les coûts exposés afin de rendre ces services.
Elles expliquent que les coûts auxquels les études notariales sont confrontées sont liés aux employés qui réalisent le travail administratif, aux juristes et candidats-notaires qui rédigent les actes, aux notaires eux-mêmes, qui assurent les rencontres avec les clients, et à la nécessité pour les notaires de se tenir informés des modifications législatives qui se produisent dans de nombreux domaines.
A.3. Le Conseil des ministres considère que la différence de traitement alléguée par les parties requérantes dans la première branche du premier moyen repose sur plusieurs prémisses non démontrées, voire erronées, à savoir celle selon laquelle l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 aurait pour effet une désertion des notaires des zones rurales et celle selon laquelle cette disposition serait défavorable aux citoyens habitant dans ces zones. Le Conseil des ministres relève que les parties requérantes n’apportent pas de données concrètes ou d’études de cas spécifiques pour étayer l’hypothèse d’une désertion des notaires des zones rurales et souligne qu’il est possible que la réduction des frais de notaires stimule davantage d’activités immobilières dans ces régions, ce qui pourrait compenser les effets négatifs allégués. Le Conseil des ministres considère également que les citoyens confrontés à des difficultés économiques qui habitent dans les zones rurales concernées seront les principaux bénéficiaires de la réduction des honoraires de notaire, la réforme permettant de faciliter leur accès à la propriété et d’alléger leur charge financière lors de transactions immobilières.
Le Conseil des ministres ajoute que le principe de continuité du service public notarial doit être évalué compte tenu de plusieurs aspects, en ce compris l’accès économique des citoyens au service public, et que, contrairement à d’autres services publics comme le service médical d’urgence, les services notariaux n’exigent pas une présence immédiate car les transactions immobilières nécessitent souvent une planification et une organisation préalables.
Il en déduit que les parties requérantes ne démontrent pas qu’une catégorie de citoyens serait traitée de façon défavorable par rapport à une autre.
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A.4. Dans la seconde branche du premier moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 117, §§ 3
et 4, de la loi du 16 mars 1803 est discriminatoire parce qu’il défavorise les notaires qui sont situés dans des zones économiquement plus faibles, en particulier s’ils ont une petite étude. Elles exposent que ceux-ci sont davantage touchés par la réforme, puisqu’ils vendent plus de maisons d’un montant inférieur à 60 000 euros et d’un montant compris entre 60 000 euros et 325 000 euros. Elles relèvent que les grandes études ont la possibilité, puisqu’elles traitent davantage de dossiers, de compenser les pertes par des profits réalisés sur des ventes de valeur plus importante et par des économies d’échelle.
Elles exposent que la rémunération du notaire doit couvrir tous ses besoins et ne peut être honorifique ou complémentaire et que ce principe n’est plus contestable, dès lors que l’exercice de toute autre activité lucrative est expressément interdit au notaire. Elles ajoutent que ce principe doit être respecté quelle que soit l’importance de l’étude dont le notaire est titulaire, dès lors que la dispersion géographique des études est établie dans l’intérêt général, afin que le service notarial soit assuré dans tout le pays, le législateur n’étant d’ailleurs pas revenu sur le domicile des notaires avec la loi du 22 novembre 2022, ce qui confirme l’objectif d’accessibilité et de proximité du service public notarial.
Les parties requérantes considèrent encore que la rémunération des notaires doit assurer leur indépendance et tenir compte de l’âge tardif auquel débute la profession, de la responsabilité financière qu’entraîne l’exercice de cette profession et de la nécessité pour le notaire d’assurer lui-même sa retraite. Elles ajoutent que la rémunération du notaire à l’acte doit tenir compte « du temps privilégié, du travail matériel privilégié, de l’acte et de la responsabilité du notaire ».
Elles soutiennent que les travaux préparatoires ne contiennent pas de justification de cette différence de traitement, de sorte que celle-ci est injustifiée.
Enfin, elles font valoir que, si l’objectif de la mesure, à savoir faciliter l’accès à la propriété, est social, il n’appartient pas aux notaires de la financer.
A.5. Le Conseil des ministres considère que le système de remboursement mis en place par l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 poursuit un objectif légitime, à savoir subventionner les études qui sont principalement touchées par la réduction de l’honoraire dû lors de l’achat d’une maison familiale unique dont le prix d’achat ne dépasse pas 325 000 euros. La réforme tarifaire plus large dans le cadre de laquelle s’inscrit l’article 117, §§ 3 et 4, précité, vise à renforcer le caractère social des tarifs notariaux.
Le Conseil des ministres affirme également que le critère du prix d’achat retenu par le législateur est objectif, d’une part, et pertinent, d’autre part, car il est un bon indicateur de la réalité économique de l’activité des notaires et permet de cibler les notaires touchés par la réduction d’honoraires. Le Conseil des ministres ajoute que c’est bien le critère du prix, et non le critère de la zone dans laquelle se situe l’étude notariale, qui est pertinent. En effet, outre qu’il existe des zones urbaines très précaires, la situation financière des notaires dépend des transactions qu’ils traitent, indépendamment de leur emplacement géographique, puisque la compétence territoriale des notaires n’est pas limitée aux biens situés dans leur région.
Selon le Conseil des ministres, le système de remboursement mis en place par l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 est proportionné à l’objectif poursuivi. Le nombre de ventes d’habitations uniques à un prix inférieur à 60 000 euros est extrêmement limité. Seules 357 ventes de tels biens ont eu lieu en 2023, ce qui représente seulement 0,3862 % des ventes d’habitations uniques. Vu ce nombre extrêmement faible, il faut relativiser l’impact de l’absence de compensation pour ces ventes. Ceci joue directement sur le rapport de proportionnalité entre la mesure prise par le législateur et le but visé. De plus, le manque à gagner concernant ces ventes est plafonné à 50 euros et une intervention du fonds notarial pour ces actes aurait pour conséquence que les ventes d’une valeur inférieure à 60 000 euros relevant du barème Jbis ne donneraient lieu à aucune perte, voire deviendraient plus rentables qu’auparavant, ce qui créerait des disparités entre les notaires.
Le Conseil des ministres fait encore valoir que, de manière générale, les effets de l’article 117, §§ 3 et 4, précité, sur la situation économique des notaires doivent être relativisés. L’article 117, §§ 3 et 4, précité, n’a d’impact que sur une partie de la rémunération du notaire et vise précisément à limiter l’impact de la baisse des
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honoraires concernés. De plus, la situation économique d’une étude notariale ne dépend pas seulement des honoraires, mais également de la conjoncture économique, de la situation géographique et de l’organisation de l’étude. En ce qui concerne la situation géographique, les études situées dans des zones rurales, bien qu’elles aient en moyenne un chiffre d’affaires inférieur aux études situées dans des zones urbaines, peuvent également bénéficier de frais moindres, les loyers et les frais de personnel étant moins élevés. Le Conseil des ministres relève que les témoignages de notaires figurant dans la requête visent tant le contexte économique que la réforme tarifaire.
Il souligne également que l’observatoire des prix a relevé des gains de productivité dans le chef des notaires.
En ce qui concerne l’allégation des parties requérantes selon laquelle l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 est contraire au système de solidarité en vertu duquel chaque notaire contribue au fonds notarial sur la base de sa capacité contributive, le Conseil des ministres renvoie à sa réponse au cinquième moyen.
A.6. À l’argument du Conseil des ministres selon lequel le nombre de ventes d’habitations uniques à un prix inférieur à 60 000 euros est extrêmement limité, les parties requérantes répondent que ce nombre s’élève en réalité à plusieurs centaines depuis la réforme et que le caractère discriminatoire d’une disposition ne dépend pas du nombre effectif d’occurrences de la discrimination. Elles ajoutent que le temps passé par un notaire pour établir un acte de vente immobilière est le même pour un immeuble de 60 000 euros ou de 600 000 euros, voire plus élevé pour les immeubles de faible prix car le type de population concerné nécessite plus d’assistance que les clients habitués aux transactions immobilières.
Les parties requérantes ajoutent que le Conseil des ministres ne peut remettre en cause la réalité des conséquences financières de la réforme, puisque ces conséquences financières étaient attendues et ont été discutées pendant les travaux préparatoires. Elles relèvent que le directeur de la fédération des notaires a également fait part des difficultés de certaines études dans la presse et qu’un rapport établi par un expert-comptable conclut que la réduction de la valeur d’un certain nombre d’études est d’environ 11 à 20 %.
A.7. Le Conseil des ministres considère que le rapport établi par un expert-comptable produit par les parties requérantes doit être utilisé avec prudence, dès lors qu’il ne contient pas de détails sur la méthodologie de recherche appliquée, ni sur les données utilisées. Une analyse crédible nécessite, selon le Conseil des ministres, une approche multifactorielle et doit être réalisée sur une période plus longue.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.8.1. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel), en ce que l’article 117, §§ 3, 4 et 5, de la loi du 16 mars 1803 diminue la valeur du patrimoine des notaires sans compensation suffisante, ce qui constitue une atteinte au droit au respect des biens des notaires concernés.
Les parties requérantes exposent que l’indemnité de cession d’une étude notariale constitue un droit patrimonial au même titre qu’une clientèle professionnelle et que les études d’avocats, considérées par la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 6 février 2003 en cause de Wendenburg et autres c. Allemagne (ECLI:CE:ECHR:2003:0206DEC007163001), comme des entités ayant une certaine valeur, auxquelles s’applique l’article 1er du Premier Protocole additionnel.
Les parties requérantes poursuivent en exposant qu’en vertu de l’article 55, § 3, de la loi du 16 mars 1803, cette indemnité est calculée sur la base du revenu de l’étude, de sorte que la diminution des honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022 a un impact direct sur cette indemnité de cession, sans que la compensation mise en place par la loi du 22 novembre 2022 permette de maintenir la valeur de l’étude. Elles produisent le rapport d’un expert-comptable spécialisé dans les études notariales concluant à une réduction de valeur de 11 à 20 % des études notariales.
Les parties requérantes exposent encore que cette baisse de valeur ne s’analyse pas en une perte de revenus futurs, dès lors que les études de notaires ont une valeur patrimoniale et sont donc considérées comme un bien au sens de l’article 1er du Premier Protocole additionnel.
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Elles ajoutent que toute ingérence dans un droit patrimonial doit servir une cause d’utilité publique et respecter un juste équilibre entre l’intérêt général de la communauté et les droits fondamentaux de l’individu, qui ne peut devoir supporter une charge spéciale et exorbitante. Elles font valoir qu’il n’existe aucune justification à l’absence de compensation pour les ventes d’un bien d’une valeur inférieure à 60 000 euros et que la compensation incomplète des autres pertes d’honoraires n’est pas justifiée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur d’aider les ménages à l’achat d’une première habitation unifamiliale, puisque d’autres frais liés à de tels achats ont été augmentés en parallèle.
Elles ajoutent qu’en France, quand les commissaires-priseurs se sont vu retirer leur monopole dans les ventes publiques mobilières, ce qui a entraîné une diminution de leur rémunération, ils ont reçu une indemnisation complète pour leur perte, correspondant à la dépréciation de la valeur pécuniaire de leur « droit de présentation », soit le prix de cession de leur étude. Elles soulignent que le retrait de ce monopole ne touchait qu’à une partie de l’activité de cette profession, ne représentant qu’une partie des revenus, comme c’est le cas de la réforme notariale en cause en l’espèce, et que, comme les commissaires-priseurs en France, les notaires exercent une profession libérale. Les parties requérantes précisent encore qu’elles ne demandent pas que les notaires soient exclus de tout risque économique pouvant survenir, mais bien que le législateur ne diminue pas la valeur de leur étude, indépendamment de tout risque économique.
A.8.2. Les parties requérantes indiquent par ailleurs s’étonner que la loi du 16 mars 1803, telle qu’elle est modifiée par la loi du 22 novembre 2022, contienne des dispositions tarifaires, alors que la loi du 31 août 1891
« portant tarification et recouvrement des honoraires des notaires » transfère la compétence tarifaire en matière notariale au pouvoir exécutif. En ce qui concerne la circonstance que c’est l’arrêté royal du 22 novembre 2022 qui prévoit la baisse des honoraires, les parties requérantes font valoir que le lien entre la loi du 22 novembre 2022 et l’arrêté royal de la même date est « si fort qu’il a été reconnu par le Conseil d’État forçant les deux normes à entrer en vigueur en même temps ». Les parties requérantes considèrent que la loi attaquée met en place un mode d’indemnisation du prélèvement que constitue la diminution des honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022 et que, comme cette indemnisation est limitée à un montant dérisoire, la responsabilité du législateur est engagée. Elles considèrent que c’est « la loi qui n’est pas à la mesure de l’arrêté ». Elles allèguent encore que la vigilance du législateur a été « surprise par la dissimulation totale du processus de ‘ négociation ’ intervenu entre [la Fédération royale du notariat belge] et le ministre qui ont tenu écartés les membres de la profession [...] de la réforme ».
A.8.3. Les parties requérantes reprochent, de plus, à cette réforme de s’appliquer rétroactivement. Elles expliquent en effet que la Chambre nationale des notaires a adopté le 27 octobre 2022 un règlement « relatif à la correction à la baisse applicable aux estimations d’études notariales, tenant compte de l’impact de la réforme du notariat 2022 », qui prévoit, pour l’estimation d’études notariales basées sur une période de référence qui comprend au moins une des années de revenus de la période 2017-2022, une correction à la baisse consistant dans le recalcul des revenus de la période de référence sur la base des nouveaux tarifs. Elles font valoir que ce règlement fait partie intégrante de la réforme, son entrée en vigueur ayant été conditionnée par l’adoption de la loi du 22 novembre 2022.
A.8.4. Enfin, les parties requérantes soutiennent que l’article 117, § 4, de la loi du 16 mars 1803, en ce qu’il prévoit que le calcul de la contribution annuelle des notaires au fonds notarial est basé sur le chiffre d’affaires moyen, et non plus sur le revenu net, des années précédant le calcul, défavorise les jeunes notaires et ceux qui sont passés récemment en société car le crédit professionnel qu’ils doivent rembourser n’est plus pris en compte.
A.9.1. Le Conseil des ministres souligne que c’est l’arrêté royal du 22 novembre 2022 qui prévoit une baisse des honoraires des notaires, ce qui implique une diminution de la valeur du protocole, et que c’est un règlement de la Chambre nationale des notaires qui applique fictivement les dispositions de la réforme aux cinq années précédant la demande de remise d’une étude, ce dont les parties requérantes se prévalent pour soutenir que les revenus des notaires ne seraient pas des « revenus futurs » échappant au champ d’application de l’article 1er du Premier Protocole additionnel. Les dispositions attaquées, elles, se limitent à organiser un système de subvention pour compenser la baisse des honoraires. Le Conseil des ministres considère que les arguments des parties requérantes, en ce qu’ils reposent sur la baisse des honoraires et sur l’application rétroactive de cette réforme, doivent être écartés par la Cour, puisque celle-ci n’est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité de normes réglementaires.
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A.9.2. Le Conseil des ministres considère que l’article 117, §§ 3, 4 et 5, de la loi du 16 mars 1803 peut uniquement donner lieu à un manque à gagner, ce qui ne relève pas du champ d’application de l’article 1er du Premier Protocole additionnel. Le Conseil des ministres expose que la protection de cette disposition s’applique lorsque des privilèges accordés par la loi donnent naissance à un espoir légitime d’acquérir certains biens. Le Conseil des ministres se réfère à cet égard à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme en cause de Wendenburg et autres c. Allemagne, précitée, dont se prévalent les parties requérantes. Il soutient que les notaires n’ont pas pu développer l’espoir légitime que toute réforme tarifaire soit entièrement compensée par le législateur.
Un tel raisonnement ne peut être tenu car il impliquerait que toute réforme fiscale ayant une influence sur les honoraires des notaires qui ne serait pas entièrement compensée par le législateur constituerait une ingérence dans leur droit au respect de leurs biens.
Le Conseil des ministres ajoute que la circonstance que les notaires exercent une activité de service public ne garantit pas que leur rémunération reste inchangée en toutes circonstances. Les services publics peuvent être sujets à des réformes pour mieux servir l’intérêt général, ce qui peut entraîner des ajustements tarifaires. La circonstance que la profession de notaire soit encadrée ne change rien au fait que les notaires exercent une profession libérale de manière indépendante et en supportant les risques liés à cette activité. Par ailleurs, le Conseil des ministres souligne que la rémunération des notaires n’est pas uniquement composée d’honoraires tarifés réglementés, ce qui offre une flexibilité financière pour faire face aux défis économiques.
Quant à l’exemple français de l’indemnisation des commissaires-priseurs, le Conseil des ministres considère qu’il s’agissait d’un cas de suppression de monopole, ce qui n’est pas comparable à la réforme attaquée en l’espèce, qui vise à réduire le tarif des honoraires des notaires en prévoyant une compensation qui neutralise partiellement cette réduction.
A.9.3. Subsidiairement, le Conseil des ministres soutient que, si l’article 117, §§ 3, 4 et 5, de la loi du 16 mars 1803 est considéré comme une ingérence dans le droit des parties requérantes au respect de leurs biens, cette ingérence poursuit un objectif d’utilité publique et est proportionnée à cet objectif, dès lors qu’une compensation est prévue pour les actes d’achat d’une maison familiale unique d’une valeur comprise entre 60 000 euros et 325 000 euros et que, pour les actes d’achat d’une maison familiale unique d’une valeur inférieure à 60 000 euros, dont le nombre est très faible, le manque à gagner est limité à 50 euros et une intervention du fonds notarial aurait pour conséquence que les ventes d’une valeur inférieure à 60 000 euros relevant de l’échelle Jbis ne donneraient lieu à aucune perte, voire deviendraient plus rentables qu’auparavant, ce qui créerait des disparités entre les notaires. Le Conseil des ministres ajoute que la réforme ne touche qu’à une partie de la rémunération des notaires, à savoir celle qui porte sur les actes d’achat relatifs à une habitation familiale unique dont le prix ne dépasse pas 325 000 euros, et que le montant de l’indemnité de reprise d’une étude notariale est influencé par divers facteurs tel le revenu de l’étude, qui dépend du fait que l’étude est située ou non dans une zone économiquement faible, mais également du degré d’organisation du notaire cédant. En ce qui concerne la nouvelle base de calcul de la contribution annuelle au fonds notarial, le Conseil des ministres renvoie à sa réponse au cinquième moyen.
A.10. À l’argument du Conseil des ministres relatif à la décision précitée Wendenburg et autres c. Allemagne, les parties requérantes répondent que ce précédent jurisprudentiel n’est pas pertinent en l’espèce car il y était question de la fin du monopole de plaidoirie de certains avocats devant les cours d’appel allemandes, celui-ci ayant été déclaré inconstitutionnel en raison de sa contrariété à la liberté d’expression. En l’espèce, soulignent les parties requérantes, la diminution des honoraires des notaires n’est pas fondée sur une inconstitutionnalité. De plus, elles soulignent que la Cour européenne des droits de l’homme a pris en considération les mesures de transition ayant permis aux avocats concernés de réorienter leurs activités professionnelles, alors qu’en l’espèce, les notaires n’ont pas la possibilité d’une réorientation car leurs honoraires et leur fonction sont réglementés par plusieurs arrêtés royaux.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.11. Le troisième moyen est pris de la violation, par l’article 117, §§ 6 et 7, de la loi du 16 mars 1803, de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec les articles 5, paragraphe 1, a), b), et c), et 89 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
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personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le RGPD).
Ce moyen est divisé en trois branches.
A.12. Dans une première branche, les parties requérantes font valoir que l’article 117, § 6, alinéa 3, 1°, de la loi du 16 mars 1803 prévoit, pour les actes d’achat de biens immobiliers, une collecte de données personnelles par le fonds notarial qui n’est pas adéquate, pertinente et limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités déclarées à l’article 117, § 6, alinéas 5 et 6, de la loi précitée, de sorte que cette disposition viole le droit à la vie privée des personnes concernées. Elles expliquent que les données collectées et traitées en vertu de cette disposition concernent tous les actes d’achat de biens immobiliers, alors que, premièrement, ces données ne sont ni adéquates, ni pertinentes, ni nécessaires pour calculer la contribution annuelle au fonds prévue par l’article 117, § 4, de la loi précitée, puisque cette contribution se calcule sur la base du chiffre d’affaires, celui-ci n’étant pas constitué uniquement des honoraires résultant des actes de vente de biens immobiliers. Deuxièmement, ces données ne sont ni adéquates, ni pertinentes, ni nécessaires pour calculer la contribution, prévue par l’article 117, § 5, de la loi précitée, pour chaque acte d’achat d’un bien immobilier dont la base de calcul de l’honoraire est supérieure à 374 999 euros, puisque cette contribution n’est pas due pour les autres actes et que les contrôles nécessaires du respect des conditions de cette contribution peuvent être effectués sur la base de la communication des seuls actes d’achat concernés. Troisièmement, ces données ne sont pas nécessaires pour calculer l’indemnité forfaitaire que le notaire peut réclamer au fonds en vertu de l’article 117, § 3, alinéa 3, de la loi précitée, puisque cette indemnité ne concerne que les actes d’achats immobiliers relatifs à une habitation familiale unique dont la base pour le calcul de l’honoraire se situe entre 60 000 et 325 000 euros et que les contrôles nécessaires du respect des conditions d’octroi de cette indemnité peuvent être effectués sur la base de la communication des seuls actes d’achat concernés. Quatrièmement et dernièrement, le fonds n’a pas besoin de toutes ces données pour déterminer s’il dispose ou non de moyens suffisants pour faire face aux créances à plus d’un an et, le cas échéant, introduire auprès du ministre de la Justice une demande d’augmentation ou de réduction temporaire du pourcentage de la contribution annuelle des notaires, puisque cette contribution est basée sur le chiffre d’affaires des notaires – celui-
ci n’étant pas constitué uniquement des honoraires résultant des actes de vente de biens immobiliers –, que les créances du fonds ne sont calculées que sur la base de certains actes d’achat de biens immobiliers et que, dans le passé, le fonds remplissait sa mission sans disposer de toutes ces informations.
Les parties requérantes exposent que l’Autorité de protection des données, dans son avis relatif au projet de loi ayant donné lieu aux dispositions attaquées, a considéré que la collecte de données prévue était trop large au vu de la finalité poursuivie, et ne pouvait concerner que les actes d’achat d’immeubles présentant les caractéristiques pertinentes, et non tous les actes d’achat d’immeuble, de sorte que le principe de minimisation des données n’était pas respecté. À la suite de précisions de la ministre, l’Autorité de protection des données a considéré que, si le législateur souhaitait attribuer au fonds la mission de vérifier que chaque acquéreur d’immeuble s’est bien vu accorder les réductions d’honoraires auxquelles il a droit, il devait prévoir cette attribution explicitement et prévoir également une collecte d’autres données nécessaires à l’exercice de cette mission. Le législateur n’a pas suivi cet avis.
A.13. Le Conseil des ministres considère que les données énumérées à l’article 117, § 6, alinéa 3, 1°, de la loi du 16 mars 1803, relatives à tous les actes d’achat de biens immobiliers, sont nécessaires pour que le fonds notarial puisse effectuer les missions qui lui sont attribuées. Il souligne que, pour se conformer à l’avis de l’Autorité de protection des données, le législateur a, par la loi du 22 novembre 2022, complété l’article 117, § 1er, de la loi du 16 mars 1803 par un alinéa octroyant au fonds notarial une mission de soutien des notaires dans le cadre de leurs missions sociales et sociétales, ce qui inclut la mission d’assurer le respect ou l’application correcte de la législation en vigueur concernant les interventions et les cotisations, comme en témoignent le renvoi de ce paragraphe 1er aux paragraphes 3 et 5 de la même disposition ainsi que les travaux préparatoires (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2868/001, p. 54).
Le Conseil des ministres se réfère à un avis de l’Autorité de protection des données mettant en avant un principe important en matière de protection des données à caractère personnel, à savoir celui selon lequel la réglementation relative aux traitements de ces données doit répondre à des exigences de prévisibilité et de précision; les personnes concernées doivent pouvoir clairement comprendre les traitements qui seront effectués sur leurs données et dans quelles circonstances ces traitements sont autorisés. Cependant, chaque traitement de
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données ne doit pas nécessairement être encadré par une norme spécifique qui régule explicitement tous les aspects de la protection des données. Dans le cas des traitements de données nécessaires à l’exécution d’une mission d’intérêt public, la prévisibilité peut être assurée si les missions de service public sont décrites et délimitées par le législateur de manière à ce que les finalités des traitements puissent être considérées comme déterminées et explicites. Selon le Conseil des ministres, le fait d’avoir une mission d’intérêt public clairement définie peut ainsi suffire pour établir une finalité de traitement des données, sans avoir besoin de spécifier chaque traitement de manière explicite dans la loi. Le Conseil des ministres en déduit que c’est en conformité avec ces principes que le législateur a estimé que la récolte des données prévue à l’article 117, § 6, alinéa 3, 1°, de la loi du 16 mars 1803
est nécessaire au vu de la mission générale que l’article 117, § 1er, alinéa 2, de la loi du 16 mars 1803 attribue au fonds notarial de soutenir les notaires dans l’application des règles relatives aux contributions au fonds et aux indemnités versées par celui-ci.
A.14. Les parties requérantes répondent que les finalités de la collecte de données prévue à l’article 117, § 6, alinéa 3, 1°, de la loi du 16 mars 1803 sont énumérées aux alinéas 5 et 6 de l’article 117, § 6, de cette loi et que le contrôle de l’adéquation et de la pertinence des données collectées ne peut se faire ni au regard d’une finalité de traitement qui n’est pas exprimée dans la loi elle-même, ni au regard de la finalité générale du fonds telle que prévue au paragraphe 1er de cette disposition parce que cette finalité est décrite de manière trop peu précise et que le respect du principe de minimisation des données implique, conformément à l’article 5, paragraphe 1, c), du RGPD, que l’adéquation, la pertinence et le caractère nécessaire des données soient appréciés au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. L’Autorité de protection des données avait seulement indiqué qu’une description claire et exhaustive des missions du fonds pourrait contribuer à la clarté des finalités; or, le législateur s’est borné à ajouter au paragraphe 1er de la disposition précitée une finalité générale.
En ce qui concerne l’avis de l’Autorité de protection des données cité par le Conseil des ministres, les parties requérantes affirment qu’il n’est pas relatif au principe de minimisation des données et que le Conseil des ministres en fait dès lors une lecture erronée.
A.15. Dans la deuxième branche du troisième moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 117, § 6, alinéa 3, 3°, de la loi du 16 mars 1803 prévoit, pour les actes de renonciation à succession, une collecte de données personnelles par le fonds notarial qui n’est pas adéquate, pertinente et limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités déclarées à l’article 117, § 6, alinéa 5, de la loi précitée, de sorte que cette disposition viole le droit à la protection de la vie privée des personnes concernées. Elles expliquent en effet que le fonds notarial est autorisé à récolter auprès des notaires et à traiter, pour les actes de renonciation à succession, les nom, prénoms et numéro d’identification du défunt et du ou des renonçant(s), alors que ces données ne sont pas nécessaires pour atteindre la finalité consistant à calculer le montant à rembourser par le fonds notarial au notaire pour tout acte contenant une ou plusieurs déclarations de renonciation à succession qu’il a reçu gratuitement.
Elles considèrent que les renonciations à succession sont des actes sensibles du point de vue de la protection de la vie privée car ils s’inscrivent dans un contexte familial, de surcroît souvent délicat ou pénible, en particulier lorsque le parent défunt laisse des dettes importantes ou que l’héritier entretenait des relations difficiles avec le défunt ou avec la famille. Les personnes qui renoncent à une succession ne souhaitent généralement pas divulguer le fait que le parent était endetté, qu’elles refusent d’assumer ces dettes ou que des différends, tensions ou secrets de famille existaient. Le choix d’un héritier de renoncer à une succession implique un conflit de valeur personnel et secret.
Les parties requérantes allèguent que la collecte et le traitement des nom, prénoms et numéro d’identification du défunt poursuivent une finalité autre que celle qui est prévue à l’article 117, § 6, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1803, à savoir permettre au fonds notarial de contrôler le nombre d’actes de renonciation que le notaire a reçus pour une même succession afin de vérifier s’il n’a pas reçu des actes inutiles et s’il a bien tenté de regrouper toutes les déclarations de succession dans un seul acte, comme le lui impose son code de déontologie. Comme l’a indiqué l’Autorité de protection des données, si telle était la finalité de cette collecte de données, le législateur aurait dû
mentionner cette mission parmi les missions confiées au fonds notarial. Il ne l’a pas fait. Au demeurant, ajoutent les parties requérantes, confier une telle mission au fonds notarial aurait dû faire l’objet de justifications. Un acte de renonciation implique en effet de lourdes formalités, de sorte que le coût d’un tel acte dépasse très largement le montant forfaitaire de 100 euros que le notaire peut récupérer auprès du fonds notarial. Enfin, selon les parties
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requérantes, le contrôle que peut effectuer la Chambre nationale des notaires du respect, par le notaire, de ses obligations comptables suffit en toute hypothèse à atteindre cette finalité.
A.16. Le Conseil des ministres considère que les données collectées par le fonds notarial en vertu de l’article 117, § 6, alinéa 3, 3°, de la loi du 16 mars 1803, en ce compris l’identification du défunt, sont nécessaires pour permettre au fonds de contrôler le nombre d’actes de renonciation qu’un notaire a reçus pour une même succession, le législateur ayant expressément attribué cette mission au fonds notarial par l’alinéa ajouté à l’article 117, § 1er, de la loi du 16 mars 1803, en vertu duquel le fonds soutient les notaires dans le cadre de leurs missions sociales et sociétales. Le Conseil des ministres ajoute que, si les notaires sont soumis à l’obligation de regrouper, quand c’est possible, toutes les déclarations de succession dans le cadre d’un seul acte, c’est parce que, vu la nature spécifique de leur rôle, leur monopole et la confiance que le public place en eux, certains d’entre eux pourraient être incités à augmenter leurs revenus globaux en multipliant le nombre d’actes traités. Le regroupement de plusieurs déclarations en un seul acte entraîne également des frais pour le notaire. De plus, le simple fait d’être contraint de communiquer les données prévues à l’article 117, § 6, alinéa 3, 3°, de la loi du 16 mars 1803 au fonds notarial a un effet dissuasif.
Le Conseil des ministres relève que c’est uniquement les nom, prénoms et numéro d’identification du défunt qui sont collectés, à l’exclusion de ceux du renonçant.
A.17. Les parties requérantes répondent que, comme en ce qui concerne la première branche, c’est au regard de finalités déterminées et explicites que la pertinence, l’adéquation et la nécessité des données collectées doivent être examinées, et non au regard d’une mission du responsable du traitement des données définie seulement de manière générale. Elles soulignent que les finalités des données collectées en vertu de l’article 117, § 6, alinéa 3, 3°, de la loi du 16 mars 1803 sont prévues à l’article 117, § 6, alinéa 5, de la même loi, ce qu’attestent les travaux préparatoires, puisque le législateur, en réponse à l’avis de l’Autorité de protection des données, a indiqué qu’il était préférable de ne pas énumérer, dans le paragraphe 1er de l’article 117, précité, les différentes missions du fonds notarial, dès lors que toutes ces missions sont décrites de manière claire et exhaustive « dans l’article 117
même » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2868/001, p. 52). Elles ajoutent que les missions du fonds décrites aux paragraphes 3 à 5 de cette disposition n’incluent clairement pas le contrôle du respect, par les notaires, de leur obligation de regrouper, dans la mesure du possible, les déclarations de renonciation à succession dans un seul acte.
A.18. Dans la troisième branche du troisième moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 117, § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 prévoit que le fonds notarial transmettra à la Fédération royale du notariat belge des données pour l’établissement de statistiques sur le marché immobilier, alors que certaines de ces données ne sont pas adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités déclarées à l’article 117, § 7, alinéa 4, de la loi précitée, et sans qu’aucune garantie soit prévue pour les droits et libertés des personnes concernées. Ces données sont le numéro NABAN des actes d’achat d’un bien immobilier ainsi que la base de calcul de l’honoraire ou le prix d’achat pour ces actes. Selon les parties requérantes, cette communication de données personnelles ne respecte pas le principe de minimisation des données car celles-ci ne sont pas nécessaires pour assurer la qualité des données immobilières utilisées par les notaires, cet objectif étant déjà assuré par la Banque des actes notariés. Elles ajoutent qu’un hypothétique travail en synergie des deux systèmes n’est pas de nature à remplir l’exigence de nécessité. De plus, le traitement du numéro NABAN de l’acte par la Fédération royale du notariat belge n’est pas non plus nécessaire pour établir des statistiques sur le marché immobilier belge afin d’informer le public et les notaires. L’Autorité de protection des données s’est prononcée en ce sens en recommandant que ne soient communiquées à la Fédération royale du notariat belge que les informations sur les prix d’achat et la base de calcul des honoraires sous forme arrondie et sans aucune autre donnée permettant d’identifier les parties, le numéro NABAN ne devant être communiqué que moyennant justification adéquate.
Enfin, malgré une remarque de l’Autorité de protection des données en ce sens, le législateur n’a prévu aucun mécanisme telle l’agrégation obligatoire des données permettant de garantir le respect des principes prévus à l’article 89 du RGPD, en particulier le principe de minimisation des données. À cet égard, la simple mention que les données seront détruites une fois l’objectif atteint ne garantit rien en ce qui concerne leur traitement en lui-
même.
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A.19. Le Conseil des ministres considère que les données énumérées à l’article 117, § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 sont nécessaires pour poursuivre la finalité prévue à l’alinéa 4 de cette disposition. Il considère que le numéro NABAN des actes d’achat d’un bien immobilier est une donnée nécessaire en vue de l’identification unique des actes et des transactions, ce qui est crucial pour assurer l’exactitude des statistiques. Le Conseil des ministres expose que, pour se conformer à l’avis de l’Autorité de protection des données, le législateur a, premièrement, précisé la finalité statistique poursuivie comme visant des statistiques sur le marché immobilier belge afin d’informer le public et les notaires, deuxièmement, ajouté une nouvelle finalité, à savoir assurer la qualité des données immobilières utilisées par les notaires et établir les statistiques précitées, et, troisièmement, supprimé de la liste des données à transmettre le numéro de répertoire des actes d’achat d’un bien immobilier. Le Conseil des ministres ajoute que le fait que l’article 117, § 7, de la loi du 16 mars 1803 prévoit que les données transmises seront détruites une fois l’objectif atteint constitue une garantie suffisante.
En ce qui concerne le rôle de la Banque des actes notariés et de la Fédération royale du notariat belge, le Conseil des ministres fait valoir que les missions liées à la collecte, à la gestion et à l’assurance de la qualité des données immobilières peuvent être complexes et comporter des facettes multiples. Le travail en synergie de plusieurs entités dans l’accomplissement de ces missions offre l’avantage de réunir des compétences et des ressources complémentaires essentielles à la garantie de données complètes et précises, sans que cela contrevienne au RGPD.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.20. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article « 3, § 3 », de la Constitution et avec les principes « de service public » et de l’égalité d’accès au service public, en ce que le législateur n’a pas prévu d’indexation des honoraires proportionnels des notaires.
Les parties requérantes exposent que, lors des travaux préparatoires de la loi du 22 novembre 2022, un amendement a été déposé, visant à prévoir l’indexation des honoraires des notaires, mais a été rejeté. Elles considèrent qu’en raison de cette absence d’indexation de leurs honoraires, les notaires sont discriminés par rapport à d’autres personnes chargées de missions de service public tels la SNCB et les huissiers, auxquels l’autorité fédérale a permis l’indexation de leurs tarifs respectifs. À l’argument selon lequel les honoraires des notaires dépendent des prix du marché de l’immobilier, qui sont à la hausse, elles répondent que ceci ne permet pas de compenser l’absence d’indexation, puisque les honoraires des notaires sont dégressifs et qu’il n’y a pas de corrélation entre l’inflation et les revenus des notaires, l’inflation n’étant qu’un des éléments qui influencent le prix de vente des biens immobiliers et les ventes immobilières étant susceptibles de stagner, voire de s’effondrer, en cas de forte inflation. Elles expliquent également que les notaires sont affectés par l’inflation, puisque leurs coûts énergétiques et salariaux (salaires des clercs et autres employés) augmentent en fonction de l’inflation.
Les parties requérantes expliquent que cette lacune législative met de nombreux notaires situés dans des zones rurales ou moins favorisées en difficulté financière et ce, d’autant que leurs tarifs n’ont pas été modifiés depuis 1984. Elles indiquent que les revenus de ces notaires par acte ont baissé de 5 % depuis 2005 et que, compte tenu de l’inflation, la perte de revenus est de 39 %. Elles considèrent que ceci compromet la continuité du service public notarial car les notaires sont contraints de licencier des employés et de réduire leurs prestations gratuites.
A.21. Le Conseil des ministres soutient que le quatrième moyen se fonde sur une représentation erronée de l’évolution des honoraires des notaires car il ne prend pas en considération plusieurs éléments.
Premièrement, les frais d’acte et les honoraires fixes des notaires sont bien indexés et les honoraires non réglementés sont fixés librement entre le notaire et son client.
Deuxièmement, ceux des honoraires des notaires qui ne sont pas indexés sont des honoraires proportionnels dégressifs, qui varient en fonction du montant ou de la valeur de la transaction ou du service fourni, mais diminuent progressivement à mesure que ce montant augmente. Il n’y a pas d’indexation directe de ces honoraires mais ils augmentent en parallèle à l’inflation grâce à l’augmentation des prix de l’immobilier. Une indexation de ces honoraires les ferait augmenter deux fois pour le même facteur et cette augmentation aurait un effet plus important
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sur les transactions de faible valeur car une petite augmentation en pourcentage représente, en termes absolus, une plus grande somme d’argent sur une transaction de faible valeur. Le caractère dégressif de ces honoraires a pour conséquence que l’augmentation de l’honoraire est principalement perçue sur les ventes de biens modestes, tandis que l’augmentation d’honoraires est plus limitée en ce qui concerne les ventes plus chères, ce qui signifie que, pour les notaires situés dans des régions économiquement plus faibles, une légère augmentation des prix de vente aura une influence réelle sur l’honoraire. Le Conseil des ministres souligne encore que, si une partie des honoraires des huissiers sont également proportionnels, ceux-ci sont soumis à des montants minimums et maximums qui sont régulièrement indexés, de la même manière que les montants minimums et maximums des honoraires proportionnels des notaires sont indexés. Enfin, le Conseil des ministres considère que les particularités dans la structure tarifaire des honoraires notariaux et la nature des services effectués par les notaires rendent leur situation incomparable à celle des huissiers et de la SNCB.
A.22. Les parties requérantes font valoir que les justifications avancées par le Conseil des ministres ne se trouvent nulle part dans les travaux préparatoires, qui font seulement mention du fait que l’augmentation des revenus des notaires découlerait de l’augmentation des chiffres de vente.
En ce qui concerne le cinquième moyen
A.23. Le cinquième moyen est pris de la violation, par l’article 117, §§ 4, 5 et 6, de la loi du 16 mars 1803, des articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties requérantes soutiennent que ces dispositions, en prévoyant que la contribution annuelle des notaires au fonds notarial est calculée sur la base du chiffre d’affaires des notaires, soit leur revenu brut et non leur revenu net, fait naître une identité de traitement injustifiée entre des notaires qui se trouvent dans des situations différentes selon qu’ils ont à supporter des investissements et des coûts importants – comme c’est particulièrement le cas des notaires qui ont récemment ouvert une étude ou créé une société – ou non. Elles font valoir que cette règle méconnaît le système de solidarité mis en place à l’origine, selon lequel les notaires participent en fonction de leur capacité contributive. Enfin, elles expliquent que le chiffre d’affaires ne reflète pas la réalité économique d’une entreprise. Cette réalité économique est constituée des montants des bénéfices réalisés par l’entreprise et c’est à l’aune de ceux-ci que se mesurent le succès de l’activité et sa capacité contributive.
A.24. Le Conseil des ministres souligne que tous les notaires sont soumis au même taux de contribution indépendamment de leurs dépenses et investissements professionnels, aucun traitement préférentiel n’étant accordé. Il considère que les notaires qui font des choix d’investissement différents ne sont pas dans des situations différentes. L’utilisation du critère des revenus bruts encourage les notaires à optimiser leur efficacité professionnelle et à réduire leurs coûts d’exploitation, sans décourager les investissements judicieux qui améliorent la rentabilité de l’étude notariale et peuvent par ailleurs améliorer la rapidité et la qualité des services notariaux.
Ce critère présente l’avantage de neutraliser les choix organisationnels et fiscaux des notaires. À l’inverse, un système basé sur le revenu net encourage les notaires à déduire autant de dépenses que possible pour réduire leur revenu imposable. Selon le Conseil des ministres, calculer la contribution sur la base du chiffre d’affaires évite donc d’avantager ou de désavantager les notaires en fonction de leurs choix d’investissement ou de leurs stratégies financières. À l’argument selon lequel les investissements ont nécessairement lieu les premières années de l’ouverture d’une étude, le Conseil des ministres répond que chaque notaire doit payer une fois dans sa carrière une indemnité de reprise, de sorte qu’à terme, l’impact est le même pour tous les notaires. Enfin, le Conseil des ministres fait valoir que le critère du chiffre d’affaires permet de mieux prendre en compte la capacité contributive de chaque notaire en considérant la réalité économique de son activité, indépendamment des choix d’investissements et des coûts d’exploitation.
A.25. Les parties requérantes considèrent que la thèse du Conseil des ministres est contradictoire en ce qu’elle prône l’optimisation et l’efficacité tout en décourageant les investissements, qui permettent justement une meilleure efficacité. Elles considèrent également que le Conseil des ministres ne tient pas compte du fait que l’activité professionnelle des notaires relève du service public, de sorte qu’ils ne peuvent être assimilés à des entreprises cherchant à maximiser leurs profits. Elles font également valoir que l’argument du Conseil des ministres selon lequel la charge liée à l’achat d’une étude doit être payée par chaque notaire au moins une fois dans sa carrière ne tient pas compte des notaires qui décident d’innover, de se moderniser ou de s’agrandir, ce qui implique des investissements importants.
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Quant au maintien des effets
A.26. Le Conseil des ministres demande à titre tout à fait subsidiaire qu’en cas d’annulation, les effets de la disposition attaquée soient maintenus conformément à l’article 8, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et qu’une période suffisante soit laissée au législateur pour lui permettre de mettre en place un nouveau cadre légal adapté. Le Conseil des ministres fait en effet valoir qu’une annulation rétroactive de cette disposition entraînerait d’énormes problèmes au sein du fonds notarial, chargé de calculer et de distribuer les compensations prévues par cette disposition, et une incertitude juridique et financière pour l’ensemble du secteur.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. Le recours en annulation est dirigé contre l’article 77, 2° à 4°, de la loi du 22 novembre 2022 « portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (ci-après : la loi du 22 novembre 2022). Cette disposition apporte des modifications à l’article 117 de la loi du 16 mars 1803 « contenant organisation du notariat », aussi dénommée loi du 25 ventôse an XI (ci-après : la loi du 16 mars 1803).
B.2. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires, ces dispositions s’inscrivent dans le cadre d’une « réforme globale du notariat », se composant de deux volets : d’une part, la réforme de l’annexe de l’arrêté royal du 16 décembre 1950 « portant le tarif des honoraires des notaires » (ci-après : l’arrêté royal du 16 décembre 1950) et, d’autre part, la réforme de la loi du 16 mars 1803, qui porte notamment sur la numérisation et le droit disciplinaire notarial (Doc.
parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2868/003, pp. 3-5).
B.3. La réforme de l’arrêté royal du 16 décembre 1950 a été réalisée par l’arrêté royal du 22 novembre 2022 « modifiant l’annexe de l’arrêté royal du 16 décembre 1950 portant le tarif des honoraires des notaires » (ci-après : l’arrêté royal du 22 novembre 2022). Comme l’indique le rapport au Roi précédant cet arrêté royal, l’un des objectifs poursuivis par ce volet de la réforme est de « renforcer le caractère social des tarifs et [...] l’égalité à l’égard de l’accès au notaire ». Le rapport au Roi expose la logique dans laquelle s’inscrit cet objectif :
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« Dans sa qualité de fonctionnaire public, le notaire est chargé par l’État d’une double mission de service public : d’une part une mission de préparation et conservation de conventions auxquelles on doit ou veut donner l’authenticité des actes de l’autorité publique et d’autre part une mission d’information et de conseil, lesquelles visent ensemble plus généralement un service public de prévention de litiges. En tant que fonctionnaire public, le notaire doit garantir la continuité de ce service public lequel doit être accessible à chacun. Pour garantir cet accès égal du citoyen au notaire, des tarifs légaux sont indispensables. Ces tarifs reposent de longue date sur une construction sociale délicate qui tend à assurer que l’accès de tout un chacun au notaire reste payable, en imposant un tarif bas pour les actes les plus courants (notamment de nature familiale), qui sont compensés par des tarifs plus élevés pour certains autres actes (par exemple les augmentations de capital des sociétés, mais aussi les actes immobiliers). Ainsi il sera garanti que chacun puisse obtenir une même qualité de service au même prix, indépendamment de sa situation patrimoniale. La préservation de ce mécanisme de solidarité est dès lors pris[e] en compte dans les modifications proposées à ce tarif.
Il faut reconnaître à cet égard que les prix des habitations continuent d’augmenter, ce qui, eu égard au caractère proportionnel, notamment des honoraires (en raison de la responsabilité accrue), mais aussi des droits d’enregistrement et la T.V.A., implique aussi une augmentation proportionnelle des frais liés à l’acquisition d’une habitation propre unique, aussi pour les achats de petite et moyenne taille. C’est pourquoi les honoraires y afférent sont revus afin d’arriver à une diminution pour ces achats de petite et moyenne taille (jusqu’à 750 000 euros), qui doit être le plus grand pour les [...] achats jusque 300 000 euros. Il convient aussi d’attirer l’attention sur le fait que, contrairement aux autres frais et droits précités, le tarif proportionnel des honoraires présente un caractère dégressif, ce qui fait qu’il monte moins vite avec la croissance des prix. Ce principe est maintenu dans cette réforme ».
Dans ce contexte, ainsi que l’expose le rapport au Roi, « l’un des axes importants de cette réforme est de rendre l’acquisition d’une habitation propre unique moins coûteuse ». Une révision des honoraires pour l’achat et le financement d’un logement propre unique est ainsi prévue, par l’introduction de barèmes « bis » qui entraînent une diminution pour les achats d’une valeur jusqu’à 750 000 euros. En ce qui concerne plus précisément les honoraires de la vente de tels biens, ils sont dédoublés en deux barèmes :
« Une distinction est faite entre les acquisitions d’une résidence unique (nouveaux barèmes Jbis et Kbis) et les autres acquisitions (nouvelle version des barèmes classiques J et K). [...]
Les tarifs réduits Jbis et Kbis s’appliquent à l’acquisition en pleine propriété, par une ou plusieurs personnes physiques, d’un immeuble destiné exclusivement à l’habitation ou d’un bien immobilier en cours de construction ou à construire destiné exclusivement à l’habitation et qu’elles occuperont ensemble comme leur propre et unique habitation [...] ».
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Un dédoublement similaire du barème pour le financement de l’achat d’un bien immobilier est prévu.
B.4.1. Les dispositions attaquées, qui s’inscrivent dans le second volet de la réforme globale du notariat, apportent plusieurs modifications à l’article 117 de la loi du 16 mars 1803.
Ces modifications ont pour objectif d’adapter le mécanisme de solidarité du fonds notarial à la suite de la révision des honoraires des notaires opérée par l’arrêté royal du 22 novembre 2022.
Ainsi, comme l’indiquent les travaux préparatoires :
« Dans le cadre de la réforme de l’arrêté royal du 16 décembre 1950 portant le tarif des honoraires des notaires, le mécanisme de solidarité du fonds notarial est étendu en ce qui concerne la réduction de l’honoraire notarial pour l’achat d’une maison familiale unique jusqu’à 300 000 euros.
L’impact de cette réduction sera beaucoup plus lourd pour [les] études notariales qui passent proportionnellement plus de tels actes, en particulier dans les zones où les prix de l’immobilier sont les plus bas » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2868/001, p. 51).
Les travaux préparatoires exposent encore :
« Le mécanisme de solidarité du fonds notarial est étendu et la contribution annuelle de chaque notaire ou société notariale adapté[e].
Le fonds notarial intervient dans le cadre de mesures sociales, telles que la renonciation à succession gratuite, la réduction de l’honoraire pour les achats sociaux et maintenant également la réduction lors de l’achat d’une maison familiale unique.
Le fonctionnement du fonds notarial est basé sur une solidarité interne entre les études notariales, assure le maillage territorial et la présence des études notariales dans tout le pays et garantit la poursuite d’un travail de qualité également dans toutes les zones » (ibid., pp. 7-8).
Le législateur a ainsi entendu remédier au « risque que les réformes exercent une pression sur les bureaux situés dans les zones économiquement plus faibles » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2868/003, p. 5).
B.4.2. Sur les nouveaux paragraphes 3 et 4 de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803, remplacés par l’article 77, 2° et 3°, de la loi du 22 novembre 2022, les travaux préparatoires exposent encore :
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« Le paragraphe 3 est complété par un nouvel alinéa décrivant la nouvelle subvention par le fonds. Il s’agit d’un subventionnement de ces études qui sont principalement impactées par la réduction de l’honoraire lors de l’achat d’une maison familiale unique dont le prix d’achat est égal à ou inférieur à 325 000 euros. Compte tenu de la proportionnalité du barème notarial, une subvention est prévue qui est différente selon la tranche dans laquelle le prix est situé, et qui compense en partie la perte de la réduction de l’honoraire entre le barème supprimé et les nouveaux barèmes réduits Jbis et Kbis de l’article 17, [points] 81 et 82 de l’arrêté royal précité.
Cela concerne à la fois les actes de vente de gré à gré et de vente publique.
Le paragraphe 4 modifie la base et la méthode de calcul ainsi que [le] montant de la contribution annuelle actuelle de tous les notaires au fonds notarial.
La base de calcul est le chiffre d’affaires moyen de l’étude notariale en question, de sorte que les apports de chaque étude peuvent être calculés de manière proportionnée tant pour un notaire qui exerce son activité en personne physique que pour une société notariale professionnelle. L’autorisation au Roi de déterminer le mode de calcul pour que les sociétés notariales livrent une contribution équivalente n’est plus nécessaire et est donc supprimée.
La contribution est portée à 0,25 % du chiffre d’affaires au lieu des 0,5 % actuels du revenu net imposable (tel qu’introduit par l’arrêté ministériel du 19 juin 2017 portant une réduction de pourcentage de la contribution des notaires au fonds notarial, en application de l’article 117, § 4, alinéa 3), afin de permettre au fonds de remplir ses engagements.
La base de calcul concerne le chiffre d’affaires moyen de l’étude (ou des études dans le cas d’une association entre notaires-titulaires) de sorte qu’une continuité de la contribution est garantie, aussi en cas de changement de forme juridique ou de société » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2868/001, p. 52).
B.5.1. L’article 117, §§ 1er et 2, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par l’article 77, 1°, de la loi du 22 novembre 2022, qui n’est pas attaqué dans le cadre du recours présentement examiné, dispose :
« § 1er. Un fonds, dénommé ci-après ‘ fonds notarial ’, est créé auprès de la Chambre nationale des notaires sous la forme d’une personne morale distincte. Le Roi organise le contrôle de ce fonds et peut nommer à cette fin un ou plusieurs commissaires du gouvernement.
Le fonds notarial est un fonds de solidarité au sein du notariat qui soutient les notaires dans le cadre de leurs missions sociales et sociétales, de la façon déterminée aux paragraphes 3 à 5.
§ 2. Lors de la conclusion d’un acte d’achat relatif à une seule habitation familiale pour laquelle une prime en matière de droits d’enregistrement s’applique, une diminution de
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250 EUR sur les honoraires du notaire est accordée aux personnes qui, pour réaliser cette acquisition, recourent au financement pour au moins 50 % de la valeur, par un crédit hypothécaire ou une ouverture de crédit pour lesquels ils peuvent bénéficier d’une réduction de moitié des honoraires du notaire pour la passation de cet acte en vertu d’une disposition légale ».
B.5.2. L’article 117, § 3, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par l’article 77, 2°, de la loi du 22 novembre 2022, attaqué, et avant ses modifications ultérieures, dispose :
« Le notaire qui doit accorder la réduction de ses honoraires prévue au § 2 récupère ce montant auprès du fonds notarial.
Le notaire peut récupérer auprès du Fonds notarial un montant de 100 euros, TVA incluse, pour tout acte contenant une ou plusieurs déclarations de renonciation à succession conformément à l’article 4.44, alinéa 1er, du Code civil, qu’il a reçu gratuitement en application de l’alinéa 3 du même article pour autant que l’acte ne contienne pas d’autres actes juridiques, déclarations ou constatations donnant lieu à honoraire ou salaire. Le Fonds notarial peut également, moyennant approbation par le ministre de la Justice, consacrer les moyens dont il dispose à d’autres fins sociales utiles ou à des projets issus du monde notarial.
Le notaire reçoit du fonds notarial un remboursement pour chaque acte d’achat relatif à une habitation familiale unique, dont la base pour le calcul de l’honoraire se situe entre 60 000 et 325 000 euros et pour lequel le barème Jbis ou Kbis tel que fixé par l’article 17, points 81 et 82, de l’annexe à l’arrêté royal du 16 décembre 1950 portant le tarif des honoraires des notaires s’applique.
Ce montant est déterminé comme suit :
à partir de 60 000 euros à 75 000 euros inclus : 75 euros;
à partir de 75 000 euros à 100 000 euros inclus : 100 euros inclus;
à partir de 100 000 euros à 125 000 euros inclus : 125 euros;
à partir de 125 000 euros à 150 000 euros inclus : 150 euros;
à partir de 150 000 euros à 200 000 euros inclus : 175 euros;
à partir de 200 000 euros à 275 000 euros inclus : 200 euros;
à partir de 275 000 euros à 300 000 euros inclus : 150 euros;
à partir de 300 000 euros à 325 000 euros inclus : 75 euros ».
B.5.3. L’article 117, § 4, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par l’article 77, 3°, de la loi du 22 novembre 2022, attaqué, dispose :
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« Le fonds notarial est alimenté par une contribution annuelle de tous les notaires titulaires qui exercent leur activité notariale en personne physique et de chaque société professionnelle notariale de 0,25 % du chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices de l’étude ou des études dans le cas d’une association entre notaires titulaires, le cas échéant réduit prorata temporis à la période d’une année civile, si les exercices concernés sont plus longs ou plus courts qu’une année civile.
En cas de création d’une place, conformément à l’article 32, alinéa 3, la contribution est calculée sur les exercices disponibles de l’étude, tant que ceux-ci sont inférieurs à trois.
En cas de retrait d’un notaire titulaire d’une association ou de fin d’une association, la contribution est calculée sur une part égale de chaque notaire titulaire dans le chiffre d’affaires de l’association, complétée, le cas échéant, par le chiffre d’affaires des études, si l’association existe depuis moins de trois ans.
Le chiffre d’affaires est composé des produits figurant sous les postes 70 à 75 de la classe 7
du plan comptable minimum normalisé pour les notaires, dont le modèle est joint en annexe au règlement de la Chambre nationale des notaires pour l’organisation de la comptabilité notariale du 9 octobre 2001.
Si la Chambre nationale des notaires constate que le fonds notarial ne dispose pas de moyens pour pouvoir faire face aux créances durant plus d’une année, la Chambre nationale des notaires peut demander au ministre de la Justice d’augmenter temporairement le pourcentage de la contribution visé à l’alinéa 1er, à un maximum de 0,75 %.
Si elle constate que le fonds notarial dispose de moyens lui permettant de faire face aux créances pendant plus d’une année, la Chambre nationale des notaires peut demander au ministre de la Justice de réduire temporairement le pourcentage de la contribution. Le ministre de la Justice veille à ce qu’il soit mis fin à la réduction en temps utile pour éviter que le fonds notarial présente un solde négatif ».
B.6. Les dispositions attaquées ont également pour objectif de mettre en œuvre des obligations contenues dans le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » en donnant un aperçu détaillé des données traitées par le fonds notarial, données que le législateur a estimé nécessaires pour permettre au fonds notarial d’effectuer les missions pour lesquelles il a été désigné (Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2868/001, p. 54).
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B.7.1. Les dispositions attaquées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023, conformément à l’article 124 de la loi du 22 novembre 2022.
B.7.2. L’article 48 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis » (ci-après : la loi du 28 mars 2024) a apporté plusieurs modifications à l’article 117 de la loi du 16 mars 1803. Ces modifications sont entrées en vigueur le 8 avril 2024. Le présent recours porte sur l’article 117 de la loi du 16 mars 1803 dans sa version antérieure à ces modifications, qui a été applicable aux parties requérantes entre le 1er janvier 2023 et le 7 avril 2024.
Quant à l’étendue et à la recevabilité du recours
B.8.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
Par ailleurs, la Cour doit déterminer l’étendue du recours en annulation à partir du contenu de la requête et en particulier sur la base de l’exposé des moyens.
En ce qui concerne l’article 117, §§ 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803
B.8.2. Les premier et deuxième moyens des parties requérantes sont dirigés contre les paragraphes 3 et 4 de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803, tels qu’ils ont été modifiés par la loi du 22 novembre 2022. La Cour limite son examen des premier et deuxième moyens à l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par la loi du 22 novembre 2022.
Le cinquième moyen des parties requérantes est dirigé notamment contre le paragraphe 4
précité.
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En ce qui concerne l’article 117, § 5, de la loi du 16 mars 1803
B.8.3. Les deuxième et cinquième moyens sont dirigés notamment contre le paragraphe 5
de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été inséré par la loi du 22 novembre 2022.
Les griefs ne concernent toutefois pas le paragraphe 5 de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803.
Il s’ensuit que le recours est irrecevable en ce qu’il vise l’article 117, § 5, de la loi du 16 mars 1803.
En ce qui concerne l’article 117, §§ 6 et 7, de la loi du 16 mars 1803
B.8.4. Le troisième moyen est dirigé contre les paragraphes 6 et 7 de l’article 117 de la loi du 16 mars 1803, tels qu’ils ont été insérés par la loi du 22 novembre 2022. Les griefs formulés dans le troisième moyen portent cependant uniquement sur l’article 117, § 6, alinéa 3, et § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803. Le cinquième moyen est dirigé notamment contre le paragraphe 6 précité. Les griefs formulés dans le cinquième moyen ne concernent toutefois pas le paragraphe 6. La Cour limite son examen à l’article 117, § 6, alinéa 3, et § 7, alinéa 3.
B.8.5. L’article 117, § 6, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 prévoit que le fonds notarial récolte auprès des notaires et traite diverses données relatives aux actes d’achat d’un bien immobilier et aux actes de renonciation à succession passés par les notaires, parmi lesquelles figurent le numéro NABAN de l’acte, c’est-à-dire son numéro d’identification, et les nom, prénoms et numéro d’identification du défunt. L’article 117, § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 prévoit que le fonds notarial transmet à la Fédération royale du notariat belge diverses données relatives aux actes d’achat d’un bien immobilier passés par les notaires, parmi lesquelles figurent le numéro NABAN de l’acte et le prix d’achat du bien concerné.
Les parties requérantes sont des notaires personnes physiques ou personnes morales, des notaires honoraires ou, en ce qui concerne l’une d’entre elles, un employé de notaire. C’est en ces qualités respectives qu’elles forment leur recours et c’est de ces qualités respectives qu’elles
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se prévalent pour faire valoir leur intérêt au recours. Elles n’exposent pas en quoi l’article 117, § 6, alinéa 3, et § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 aurait une incidence directe sur leur situation. En faisant valoir que cette disposition porte atteinte au droit à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel des usagers de services notariaux, elles n’exposent pas en quoi elles ont un intérêt personnel et direct à son annulation.
Les parties requérantes ne démontrant pas que l’article 117, § 6, alinéa 3, et § 7, alinéa 3, de la loi du 16 mars 1803 pourrait avoir une incidence directe et défavorable sur leur situation, elles ne justifient pas d’un intérêt à l’annulation de cette disposition.
B.8.6. Le recours en annulation est irrecevable en ce qu’il porte sur l’article 117, §§ 6 et 7, de la loi du 16 mars 1803.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.9.1. Dans le premier moyen, les parties requérantes allèguent que l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe de l’égalité des usagers du service public.
B.9.2. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » reconnus dans la Convention (CEDH, grande chambre, 19 février 2013, X et autres c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:2013:0219JUD001901007, § 94).
Les parties requérantes ne mentionnent pas d’autres dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, lues en combinaison avec son article 14.
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En l’espèce, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 26
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’ajoutent rien au principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.
En conséquence, la Cour n’examine pas le moyen en ce qu’il porte sur la violation de ces dispositions conventionnelles.
B.9.3. Le moyen contient deux branches.
B.10.1. Dans la seconde branche, que la Cour examine en premier lieu, les parties requérantes soutiennent que le système instauré par l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803, pour compenser les diminutions des honoraires notariaux prévues par l’arrêté royal du 22 novembre 2022, fait naître une discrimination entre les notaires situés dans des zones économiquement faibles ou rurales, en particulier s’ils ont une petite étude, et les autres notaires.
B.10.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.10.3. Le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière socio-
économique. Lorsque, dans le cadre d’une réforme globale du notariat, il met en place un mécanisme de solidarité entre notaires destiné à compenser en partie une réduction d’honoraires
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prévue par arrêté royal à des fins sociales, il relève de son pouvoir d’appréciation de déterminer les montants et les conditions des remboursements relevant de ce mécanisme de solidarité. La Cour ne peut censurer les choix politiques opérés et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.10.4. L’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 prévoit un régime de remboursement pour les actes d’achat relatifs à une habitation familiale unique, dont la base pour le calcul de l’honoraire se situe entre 60 000 et 325 000 euros. La délimitation du champ d’application de ce régime repose sur un critère objectif. Le choix de prévoir que le montant de ce remboursement est fixé selon la tranche dans laquelle le prix est situé repose également sur un critère objectif.
B.10.5. Le champ d’application de ce régime est également pertinent au regard du but poursuivi. Le but de l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 étant de compenser en partie la réduction d’honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022
pour les actes d’achat d’une habitation familiale unique dont le prix d’achat est égal à ou inférieur à 325 000 euros, il est pertinent que les remboursements soient prévus pour ces actes.
Eu égard au but de la réforme globale de renforcer le caractère social des tarifs notariaux, il est également pertinent de prévoir que la réduction d’honoraires concerne les actes d’achat d’une habitation unique d’un prix modeste. Le montant des remboursements est fixé selon la tranche dans laquelle le prix d’achat est situé, ce qui est pertinent compte tenu de la proportionnalité du barème notarial.
B.10.6. Le but poursuivi par le législateur de compenser en partie la réduction d’honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022 et le but de la réforme globale de renforcer le caractère social des tarifs notariaux sont légitimes.
B.10.7. La Cour doit encore examiner si l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 ne produit pas des effets disproportionnés.
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Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.3, les remboursements mis en place par l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 compensent partiellement la réduction d’honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022, dans le cadre d’un mécanisme de solidarité entre notaires. Ces remboursements concernent les actes d’achat d’un bien dont le prix est compris entre 60 000 et 325 000 euros. Les parties requérantes critiquent le caractère partiel des remboursements prévus et les jugent insuffisants, mais ne prétendent pas que leurs montants sont dérisoires.
Eu égard au large pouvoir d’appréciation dont il dispose en matière socio-économique, le législateur ne peut se voir reprocher d’avoir fait le choix d’une compensation partielle, dès lors qu’elle n’est pas manifestement insuffisante. Il en va d’autant plus ainsi que, comme le relève le Conseil des ministres, les honoraires perçus pour les actes concernés par ces remboursements ne constituent qu’une partie des sources de revenus des notaires, de sorte que le manque à gagner qui existerait en ce qui concerne ces actes peut être compensé par les bénéfices réalisés sur les autres activités notariales. À cet égard, il ressort de l’analyse de l’Observatoire des prix sur « le fonctionnement du marché du secteur notarial en Belgique », publiée le 21 avril 2021
et invoquée par le Conseil des ministres, que « le risque entrepreneurial du notariat semble généralement plus faible que pour d’autres professions intellectuelles opérant dans des marchés moins réglementés » et que la rentabilité du notariat est « supérieure à celle d’un certain nombre d’autres professions intellectuelles à orientation économique ». Selon cette analyse de l’Observatoire des prix, la rentabilité des études notariales situées à Bruxelles (18,3 %) semble plus élevée que celle des études situées en Wallonie (16,4 %) ou en Flandre (15,5 %). Cette différence n’est pas considérable. L’Observatoire des prix relève également qu’« aucune différence majeure de marge d’entreprise n’apparaît entre les études gérées par un seul notaire ou par des études gérées par un notaire titulaire et des notaires associés » (SPF Économie, Observatoire des prix, Analyse des prix - Le fonctionnement du marché du secteur notarial en Belgique, Institut des comptes nationaux, 2021, version internet, consultée le 16 août 2024, p. 45).
En ce que l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 limite les montants des remboursements qu’il prévoit, il ne produit dès lors pas d’effets disproportionnés pour les notaires situés dans des zones économiquement faibles ou rurales, en particulier s’ils ont une petite étude.
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B.10.8. L’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 ne prévoit en revanche aucun remboursement pour les actes d’achat d’une habitation dont le prix s’élève à moins de 60 000 euros.
Le Conseil des ministres fait valoir que, pour ces actes, le manque à gagner est limité et que, dans certains cas, un remboursement entraînerait même une surcompensation. L’objectif d’éviter une compensation excessive ne justifie cependant pas de n’en prévoir aucune.
Le Conseil des ministres relève également que ces achats ne représentent qu’un faible pourcentage des achats concernés par la disposition. Il ne conteste cependant ni l’existence d’un certain nombre de tels achats, ni l’affirmation des parties requérantes selon laquelle ces achats concernent davantage les notaires situés dans des zones géographiques rurales. Pour les notaires qui, en raison de leur situation géographique, de la taille de leur étude ou de leur clientèle, voient les actes d’achat d’une habitation dont le prix s’élève à moins de 60 000 euros constituer une part plus importante de leur activité que les autres notaires, l’absence complète de compensation de la réduction d’honoraires, même si le manque à gagner est limité, s’ajoute au caractère déjà très limité de leurs honoraires pour ces actes. Ni les travaux préparatoires, ni les mémoires du Conseil des ministres ne font apparaître de justification pour ceci. Au contraire, au cours des travaux préparatoires, certains députés se sont inquiétés de l’absence de remboursement pour les habitations d’un prix de moins de 60 000 euros et le ministre s’est engagé à évaluer ce système et, le cas échéant, à intervenir à l’avenir (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2868/007, pp. 8-9). Une telle intervention a eu lieu par la suite, puisque, par l’article 48 de la loi du 28 mars 2024, mentionnée en B.7.2, le législateur a prévu, sans effet rétroactif, un remboursement de 50 euros pour les actes d’achat d’une habitation d’un prix de moins de 60 000 euros.
L’absence de compensation dans l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il était en vigueur avant cette modification, n’est pas justifiée par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur de compenser les réductions d’honoraires.
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B.10.9. L’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par l’article 77, 2°, de la loi du 22 novembre 2022 et avant sa modification par la loi du 28 mars 2024, en ce qu’il ne prévoit aucun remboursement pour les actes d’achat d’une habitation familiale unique dont le prix est de moins de 60 000 euros, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Pour le surplus, le moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
B.11.1. Dans la première branche du premier moyen, les parties requérantes font valoir que le système de solidarité mis en place par l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 est discriminatoire en ce qu’il porte atteinte au principe de l’égalité des usagers du service public et à l’obligation des notaires d’assurer un accès égal à leurs missions de service public.
B.11.2. Le principe de l’égalité des usagers du service public constitue une application particulière du principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.11.3. La différence de traitement entre les usagers de services notariaux dans des zones rurales ou économiquement faibles et les usagers de services notariaux dans d’autres zones invoquée par les parties requérantes, pour autant qu’elle soit avérée, résulte d’une mesure reposant, comme il est dit en B.10.4 et B.10.5, sur des critères pertinents et objectifs.
B.11.4. Cette différence de traitement n’entraîne pas des effets disproportionnés pour les usagers de services notariaux dans des zones rurales ou économiquement faibles. Les parties requérantes font valoir que les dispositions attaquées conduisent les notaires situés dans des zones économiquement faibles à réduire leur personnel ou les plages horaires d’accès à leur étude, ce qui réduit leur disponibilité et leur qualité d’écoute pour les usagers. Elles allèguent également que certaines études ferment ou ne sont pas reprises. Un nombre limité de fermetures d’études et des restrictions aux horaires d’accès à certaines études ne suffiraient cependant pas pour rendre exagérément difficile l’accès à une étude notariale. Le législateur a donc raisonnablement pu considérer que le risque d’une légère augmentation des difficultés de
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déplacement de certains usagers est raisonnable eu égard au but de la réforme globale de renforcer le caractère social des tarifs notariaux. Il en va d’autant plus ainsi que le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière socio-économique, comme il est dit en B.10.3.
B.11.5. Le premier moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.12.1. Dans le deuxième moyen, les parties requérantes soutiennent que l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel), car il diminue la valeur de l’indemnité de cession des études notariales.
B.12.2. Les parties requérantes reprochent, de plus, à cette réforme de s’appliquer rétroactivement.
B.12.3. Enfin, les parties requérantes soutiennent que l’article 117, § 4, de la loi du 16 mars 1803, en ce qu’il prévoit que le calcul de la contribution annuelle des notaires au fonds notarial est basé sur le chiffre d’affaires moyen, et non plus sur le revenu net, des années précédant le calcul, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution car il défavorise les jeunes notaires et ceux qui sont passés récemment en société, puisque le crédit professionnel qu’ils doivent rembourser n’est plus pris en compte.
Ce grief se confond avec celui qui fait l’objet du cinquième moyen et est examiné ci-
dessous. En conséquence, la Cour limite son examen du deuxième moyen à l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803.
B.13. L’article 55 de la loi du 16 mars 1803, relatif à la transmission des études notariales, dispose :
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« § 1er. a) Doivent être remis au notaire nommé en remplacement dans le délai prévu à l’article 54, alinéa premier, moyennant indemnité, tous actifs mobiliers matériels et immatériels liés à l’organisation de l’étude ainsi que les honoraires dus pour les expéditions et les honoraires d’exécution. [...]
[...]
§ 3. a) Le montant de l’indemnité prévue au § 1er, a), est égal à deux fois et demie le revenu moyen, indexé et éventuellement corrigé, des cinq dernières années de l’étude.
b) En cas d’association, le montant de l’indemnité est égal à deux fois et demie la quote-
part du notaire associé dans le revenu de l’étude visé sous a), telle que cette quote-part est fixée par le contrat de société.
c) Le Roi établit les règles de calcul et d’indexation du revenu moyen de l’étude visé sous a) et b), ainsi que les critères de correction éventuelle à la baisse pour des raisons économiques ou d’équité, entre autres lorsque la remise intervient sous forme de cession de parts, comme prévu au § 1er, b). Le montant de l’indemnité de reprise est déterminé dans un rapport établi par un réviseur d’entreprise ou par un expert-comptable externe, désigné par la Chambre nationale des notaires. Ce réviseur ou expert-comptable ne peut avoir exercé précédemment aucun mandat dans l’étude concernée des notaires. Le réviseur ou l’expert-comptable désigné décrit tous les éléments de l’étude notariale à reprendre.
d) Le ministre de la Justice fixe les modalités de la communication aux candidats-notaires du montant de l’indemnité visée sous a). Cette communication a lieu en tous cas, vingt et un jours au moins avant l’expiration du délai prévu à l’article 43, § 1er ».
B.14.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
B.14.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
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B.14.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre l’expropriation ou contre la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (second alinéa).
Cet article ne porte pas atteinte au droit que possèdent les États d’édicter les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.
L’ingérence dans le droit au respect des biens n’est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la protection de ce droit. Les États membres disposent en la matière d’une grande marge d’appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2013:0702JUD004183811, § 38).
B.14.4. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition attaquée.
B.15.1. La notion de « biens » au sens de l’article 1er du Premier Protocole additionnel a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens » aux fins de l’article précité (CEDH, 23 février 1995, Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:1995:0223JUD001537589, § 53; grande chambre, 25 mars 1999, Iatridis c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:1999:0325JUD003110796, § 54).
La clientèle professionnelle, constituée grâce au travail, revêt le caractère d’un droit privé, et s’analyse en une valeur patrimoniale (CEDH, 30 novembre 1987, H. c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:1987:1130JUD000895080, § 47, b); 16 octobre 2018, Könyv-Tár Kft e.a.
c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2018:1016JUD002162313, § 31). Le goodwill constitue un élément d’évaluation d’un cabinet professionnel (CEDH, 13 mars 2012, Malik c. Royaume-Uni,
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ECLI:CE:ECHR:2012:0313JUD002378008, § 93; 16 octobre 2018, Könyv-Tár Kft e.a.
c. Hongrie, précité, § 31).
Cependant, hormis dans certaines circonstances où l’espérance légitime d’obtenir un bien peut être protégée, les revenus futurs eux-mêmes ne constituent des « biens » qu’une fois qu’ils ont été engrangés ou qu’il existe à leur égard une créance sanctionnable en justice (CEDH, 6 octobre 2022, Juszczyszyn c. Pologne, ECLI:CE:ECHR:2022:1006JUD003559920, § 344).
B.15.2. Les parties requérantes reprochent à l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 de ne pas suffisamment compenser la baisse d’honoraires prévue par l’arrêté royal du 22 novembre 2022 et, de ce fait, de réduire les revenus des études concernées, ce qui a pour effet de diminuer la valeur de l’indemnité de cession des études notariales. Ce grief, qui se fonde sur la diminution de valeur de l’étude estimée par référence aux revenus futurs, est en réalité une demande d’assimiler la perte de revenus futurs à celle d’un bien. Les notaires n’ont pas pu former d’espérance légitime que leurs honoraires ne seraient jamais revus à la baisse. Le grief des parties requérantes échappe par conséquent au champ d’application de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel.
B.16. Le caractère rétroactif allégué de la réforme faisant l’objet du second grief des parties requérantes trouve sa source dans le règlement « relatif à la correction à la baisse applicable aux estimations d’études notariales, tenant compte de l’impact de la réforme du notariat 2022 », que la Chambre nationale des notaires a adopté le 27 octobre 2022, et non dans la disposition attaquée.
La Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité d’un règlement de la Chambre nationale des notaires, même si celui-ci a été adopté dans le cadre d’une réforme dont le volet législatif est attaqué devant la Cour.
B.17. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le quatrième moyen
B.18. Dans le quatrième moyen, les parties requérantes allèguent que l’absence d’indexation des honoraires proportionnels des notaires est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article « 3, § 3 », de la Constitution et avec les principes « de service public » et de l’égalité des usagers du service public, car les notaires sont ainsi discriminés par rapport à d’autres personnes chargées de missions de service public tels la SNCB et les huissiers, dont les tarifs sont indexés.
B.19. L’article 3 de la Constitution ne comporte pas de troisième paragraphe et le moyen ne fait apparaître ni en quoi la législation attaquée serait contraire à l’article 3 de la Constitution, qui est relatif aux trois régions que comprend la Belgique, ni quelle autre disposition de la Constitution serait visée.
B.20.1. La tarification des honoraires des notaires trouve son fondement légal dans l’article 1er de la loi du 31 août 1891 « portant tarification et recouvrement des honoraires des notaires », en vertu duquel « le gouvernement est autorisé à tarifer les honoraires, vacations, droits de rôle ou de copie, frais de voyage, de séjour ou de nourriture dus aux notaires pour les actes instrumentaires ou autres de leur ministère ».
C’est l’arrêté royal du 16 décembre 1950, précité, qui, en son annexe, détermine ce tarif, qui ne s’applique qu’aux actes relevant de la fonction notariale au sens strict et aux activités qui en sont l’accessoire (article 1er). Les honoraires sont fixés à l’article 17 par type d’acte établi.
Diverses formules de tarification sont prévues. Les tarifs peuvent ainsi être fixes, compris entre un minimum et un maximum, ou proportionnels, auquel cas ils sont déterminés sur la base de la valeur exprimée dans l’acte concerné. Les honoraires proportionnels sont dégressifs par tranche et calculés, suivant la nature de l’acte, par référence aux barèmes prévus à l’article 6.
B.20.2. En vertu de l’article 19, § 1er, de l’annexe à l’arrêté royal du 16 décembre 1950, « les honoraires fixes visés par l’article 3 et les montants forfaitaires fixés à l’article 2,
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paragraphe 2, sont adaptés de plein droit tous les deux ans au 1er janvier à l’indice des prix à la consommation ». Il en résulte que les honoraires fixes et les frais forfaitaires des notaires sont indexés.
Aucune indexation automatique n’est en revanche prévue pour les honoraires proportionnels.
B.21. Vu la délégation au Roi opérée par l’article 1er de la loi du 31 août 1891 précitée, c’est dans l’arrêté royal du 16 décembre 1950 que se trouve la source de la lacune critiquée par les parties requérantes.
B.22. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement au regard des dispositions de la Constitution qu’elle est habilitée à faire respecter que si cette différence de traitement est imputable à une norme législative. Ni l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer sur la question de savoir si un arrêté royal ou l’annexe d’un arrêté royal est compatible ou non avec ces dispositions de la Constitution.
Ainsi qu’il ressort de ce qui est dit en B.21, la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est invitée à se prononcer ne doit, en l’espèce, pas être imputée à une norme législative, mais à l’annexe d’un arrêté royal.
Enfin, il y a lieu de relever que, lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le délégué a excédé ou non les termes de l’habilitation qui lui a été conférée.
B.23. Le quatrième moyen ne relevant pas de la compétence de la Cour, il est irrecevable.
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En ce qui concerne le cinquième moyen
B.24. Dans le cinquième moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 117, § 4, de la loi du 16 mars 1803, en ce qu’il prévoit que la contribution annuelle des notaires au fonds notarial est calculée sur la base du chiffre d’affaires des notaires, soit leur revenu brut et non leur revenu net, fait naître une identité de traitement injustifiée entre des notaires qui se trouvent dans des situations différentes selon qu’ils ont à supporter des investissements et des coûts importants, comme c’est particulièrement le cas des notaires qui ont récemment ouvert une étude ou créé une société, ou non.
B.25.1. Comme il est dit en B.10.3, le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu en matière socio-économique. Lorsque, dans le cadre d’une réforme globale du notariat, il met en place un mécanisme de solidarité entre notaires destiné à compenser en partie des réductions d’honoraires prévues par un arrêté royal à des fins sociales, il relève de son pouvoir d’appréciation de déterminer le mode de calcul des contributions alimentant ce mécanisme de solidarité. La Cour ne peut censurer les choix politiques opérés et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.25.2. Le choix du législateur de prévoir pour tous les notaires que c’est le chiffre d’affaires, plutôt que le revenu net, qui sert de base au calcul de la contribution annuelle au fonds notarial repose sur un critère objectif. Le critère, qui est le même pour tous les notaires, est également pertinent, puisque, comme le relève le Conseil des ministres, il présente l’avantage de neutraliser les choix organisationnels et fiscaux des notaires, contrairement au critère du revenu net.
En outre, le législateur a tenu compte de la situation particulière des notaires qui ont récemment ouvert une étude, puisqu’il a prévu, à l’article 117, § 8, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1803, que « le notaire nouvellement nommé qui exerce son activité en personne physique ou au sein d’une société professionnelle notariale unipersonnelle » ne paie pas de contribution annuelle pour la première année de sa nomination et, pour la deuxième année, paie la moitié de cette contribution.
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Le choix du législateur est par conséquent raisonnablement justifié.
B.26. Le cinquième moyen n’est pas fondé.
Quant au maintien des effets
B.27. Compte tenu du faible nombre d’actes d’achat d’une habitation familiale unique dont le prix est de moins de 60 000 euros, de la période de temps limitée pendant laquelle l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803, tel qu’il a été modifié par l’article 77, 2°, de la loi du 22 novembre 2022, a été en vigueur avant que la loi du 28 mars 2024 le modifie pour prévoir un remboursement pour ces actes, et du faible montant du remboursement dû pour la première tranche prévue par cette disposition, il n’y a pas lieu d’accéder à la demande du Conseil des ministres de maintenir les effets des dispositions à annuler.
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Par ces motifs,
la Cour
1. annule l’article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 « contenant organisation du notariat », tel qu’il était applicable à la suite de sa modification par l’article 77, 2°, de la loi du 22 novembre 2022 « portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » et avant l’entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », en ce qu’il ne prévoit aucun remboursement pour les actes d’achat d’une habitation familiale unique dont le prix est de moins de 60 000 euros;
2. rejette le recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 6 février 2025.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 17/2025
Date de la décision : 06/02/2025
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Annulation (article 117, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 16 mars 1803 « contenant organisation du notariat », tel qu'il était applicable à la suite de sa modification par l'article 77, 2°, de la loi du 22 novembre 2022 et avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », en ce qu'il ne prévoit aucun remboursement pour les actes d'achat d'une habitation familiale unique dont le prix est de moins de 60 000 euros) 2. Rejet du recours pour le surplus

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation de l'article 77, 2° à 4°, de la loi du 22 novembre 2022 « portant modification de la loi du 16 mars 1803 contenant organisation du notariat, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le code judiciaire et des dispositions diverses » (diverses modifications de l'article 117 de la loi du 16 mars 1803 précitée), introduit par la SRL « Notaire Nathalie Compère, Société notariale » et autres. Notariat - Notaires situés dans des zones économiquement faibles ou rurales - Réduction d'honoraires - Actes d'achat relatifs à une habitation familiale unique - Prix modeste - Régime de remboursement - Système de solidarité - Valeur de l'indemnité de cession des études notariales - Absence d'indexation des honoraires proportionnels - Contribution annuelle des notaires au fonds notarial


Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2025-02-06;17.2025 ?

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