ASFALT- WEGENIS- EN BOUWWERKEN,
Me Adolphe Houtekier, avocat à la Cour de cassation,
contre
C. J.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 4 avril 2001 par le tribunal de première instance de Ypres, statuant en degré d'appel.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Greta Bourgeois a fait rapport.
L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 1382 et 1383 du Code civil;
- articles 616, 617 et 620 du Code judiciaire (article 617 modifié par les lois des 29 novembre 1979 et 11 juillet 1994, article 620 modifié par la loi du 10 février 1999);
- principe général du droit relatif à l'abus de droit.
Décisions attaquées
Le jugement attaqué déclare irrecevable l'appel de la demanderesse par les motifs suivants: J.C. soulève l'irrecevabilité de l'appel, la s.a. Aswebo ayant voulu éviter d'appliquer les règles du Code judiciaire relatives au ressort. J.C. prétend plus spécialement qu'en introduisant devant le premier juge une demande reconventionnelle pour procès téméraire et vexatoire qui ne peut être justifiée pour le surplus, la s.a. Aswebo prive la législation en matière de jurisprudence en premier et dernier ressort, de toute efficacité. J.C. se réfère à ce propos à une arrêt rendu par la cour d'appel de Gand le 2 mars 1996. .Lorsque la demande reconventionnelle et la demande en intervention, tendant à la prononciation d'une condamnation, dérivent soit d'un contrat ou d'un fait qui sert de fondement à l'action originaire, ou lorsque la demande reconventionnelle dérive soit du caractère téméraire et vexatoire de cette demande, le ressort se détermine en cumulant le montant de la demande principale et le montant de la demande reconventionnelle et de la demande en intervention (article 620 du Code judiciaire, remplacé par la loi du 10 février 1999 - la même solution découle de la disposition légale qui était applicable auparavant: «Lorsque la demande reconventionnelle dérive soit du contrat ou du fait qui sert de fondement à l'action originaire, soit du caractère vexatoire ou téméraire de cette demande, le ressort se détermine en cumulant le montant de la demande principale et le montant de la demande reconventionnelle»). Il faut certes examiner si la demande reconventionnelle originaire pour procès téméraire et vexatoire n'a été introduite que dans le but d'éviter l'application des règles du ressort et, dans l'affirmative, si cela constitue un abus de droit dans le chef de la s.a Aswebo. Les dispositions du Code judiciaire dans lesquelles les parties au procès puisent certains droits peuvent, en effet, être utilisées de telle manière qu'il soit question d'abus de droit. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation devenue entre-temps classique, il est question d'abus de droit: 1) lorsque le titulaire utilise son droit dans le dessein de nuire à autrui ou en l'absence d'un intérêt légitime; 2) lorsque le titulaire qui dispose de différentes manières pour exercer un droit qui lui procure la même utilité, choisit la manière qui cause le plus de dommage à la partie adverse; 3) lorsque dans l'exercice d'une compétence il existe une disproportion manifeste entre l'intérêt défendu et l'intérêt lésé; 4) lorsque l'on utilise un droit de manière à tromper la confiance légitime. Il ressort de l'examen du dossier de la procédure en première instance que la demande reconventionnelle originaire a été motivée de la manière suivante: «1. Les agissements de J.C. sont téméraires et vexatoires: il n'apporte aucune preuve mais introduit simplement une autre procédure et prétend que si K. a reçu une indemnité, il doit aussi recevoir une indemnité. Cette manière d'agir est téméraire et vexatoire. 2. C. entraîne avec lui d'autres habitants du quartier qui commencent à formuler des demandes à propos de n'importe quoi. Aswebo risque d'être interpellée par chaque habitant dès qu'un dommage se produira quelque part et que les habitants estimeront que Aswebo en est responsable. Aswebo a déjà indiqué que même en cas de bris de vitres, elle devrait indemniser le dommage et lorsque le couteau d'une tondeuse est endommagé, Aswebo devrait payer une indemnité parce que le dommage aurait été causé par une petite pierre; et ainsi de suite.3. Dès lors que c'est un groupe qui agit, il y a lieu de prononcer une indemnité adéquate pour éviter que le petit jeu continue. C'est la raison pour laquelle C. doit être condamné du chef de procès téméraire et vexatoire à payer une indemnité de 60.000 francs belges. Dès que cette indemnité sera prononcée, les autres n'auront plus envie d'introduire une procédure». Il est clair que par sa demande reconventionnelle, la s.a. Aswebo poursuit un tout autre intérêt que l'indemnisation du dommage qui résulterait simplement de la procédure qui a été introduite contre elle par J.C. La s.a. Aswebo souhaite plus spécialement ôter toute envie d'encore procéder à un groupe d'autres personnes. La s.a. Aswebo tente ainsi d'obtenir en réalité de J.C. une «indemnité punitive» de 60.000 francs belges qui servira «d'exemple» et donc plutôt de sanction que d'indemnité. En outre, le montant réclamé est manifestement supérieur à ce que l'on pourrait raisonnablement attendre d'une partie au procès normalement prudente placée dans les mêmes circonstances que la s.a. Aswebo. L'attitude au procès de la s.a. Aswebo témoigne, compte tenu des circonstances propres au présent litige, de l'intention d'éviter un procès en première instance et, dès lors, du défaut manifeste d'intérêt légitime. . La fin de non-recevoir opposée à l'appel introduit par la s.a. Aswebo est fondée.
Griefs
La sanction de l'abus de droit n'est pas la privation de ce droit, mais l'imposition de son exercice normal et la réparation du dommage qui a été causé par l'abus. Le jugement attaqué considère qu'il y a lieu d'examiner si la demande reconventionnelle originaire de la demanderesse pour procès téméraire et vexatoire a été intenté uniquement dans le but d'éviter l'application des règles du ressort et, dans l'affirmative, si cela constitue un abus de droit dans le chef de la demanderesse, qu'il est question d'abus de droit lorsque le titulaire exerce son droit dans le but de nuire à autrui ou sans intérêt légitime. Le jugement attaqué décide que l'attitude de la demanderesse au procès témoigne de l'intention d'éviter un jugement en premier et dernier ressort et, dès lors, de l'absence manifeste d'intérêt légitime. Le jugement attaqué décide ainsi que l'attitude au procès de la demanderesse témoigne d'un abus de droit et, sur cette base, le jugement attaqué a déclaré, à tort, l'appel de la demanderesse irrecevable. L'abus de droit n'est en effet pas sanctionné par la privation du droit d'interjeter appel ou par l'irrecevabilité de l'appel (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil et du principe général relatif à l'abus de droit). En outre, lorsque la demande reconventionnelle dérive du caractère téméraire et vexatoire de l'action originaire, le ressort se détermine en cumulant le montant de la demande principale et le montant de la demande reconventionnelle. Le défendeur a réclamé la somme de 8.477 francs belges devant le premier juge. Par sa demande reconventionnelle, la demanderesse a réclamé au défendeur la somme de 600.000 francs belges pour procès téméraire et vexatoire de sorte que la valeur du litige excède 50.000 francs belges et que le jugement dont appel a, dès lors, été rendu en premier ressort.
Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée à l'appel et déduite par le défendeur du fait que l'application des règles du ressort a voulu être évitée est, à tort, déclarée fondée (violation des articles 616, 617 et 620 du Code judiciaire).
IV. La décision de la Cour
Attendu que, conformément à l'article 620 du Code judiciaire, lorsque la demande reconventionnelle et la demande en intervention, tendant à la prononciation d'une condamnation, dérivent soit du contrat ou du fait qui sert de fondement à l'action originaire, ou lorsque la demande reconventionnelle dérive soit du caractère téméraire ou vexatoire de cette demande, le ressort se détermine en cumulant le montant de la demande principale et le montant de la demande reconventionnelle et de la demande en intervention;
Que le cumul du montant de la demande principale et du montant de la demande reconventionnelle du chef de demande téméraire et vexatoire entraîne en règle un examen de la cause quant au fond en degré d'appel; que cela n'empêche toutefois pas que le juge d'appel appelé à statuer à la suite de ce cumul sur l'appel de la partie qui a introduit la demande reconventionnelle, peut apprécier si la demande reconventionnelle était exclusivement inspirée de la volonté d'éviter l'application des règles du ressort et peut ainsi déclarer l'appel irrecevable sur la base de l'intérêt illicite ainsi poursuivi ;
Attendu que le jugement considère que par sa demande reconventionnelle la demanderesse poursuit un intérêt tout à fait différent que l'indemnisation du dommage qui résulterait de la procédure introduite contre elle par le défendeur et que l'attitude au procès de la demanderesse témoigne manifestement de l'intention d'éviter un jugement en premier et dernier ressort et, dès lors, de l'absence d'un intérêt légitime;
Que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel de la demanderesse, le jugement ne viole pas les dispositions légales citées par le moyen;
Que le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Greta Bourgeois, Ghislain Londers, Eric Dirix et Albert Fettweis, et prononcé en audience publique du huit janvier deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guido Bresseleers, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.