I.
N° C.03.0346.N
ETAT BELGE, (mobilité et transports),
Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,
contre
C.T., et autres
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
et BRUSSELS INTERNATIONAL AIRPORT COMPANY (BIAC), société anonyme,
BELGOCONTROL, société anonyme,
parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
II.
N° C.03.0449.N
BELGOCONTROL, société anonyme,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
C.T., et autres
Et ETAT BELGE, (mobilité et transports),
BRUSSELS INTERNATIONAL AIRPORT COMPANY (BIAC), société anonyme,
parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
III.
N° C.03.0449.N
BRUSSELS INTERNATIONAL AIRPORT COMPANY (BIAC),
Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation,
contre
C. T., et autres
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
et ETAT BELGE, (mobilité et transports),
BELGOCONTROL, société anonyme,
parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
I. La décision attaquée
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 10 juin 2003 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.
III. Les faits
Selon les pourvois, les faits peuvent être résumés de la manière suivante:
Le litige qui a été tranché par la cour d'appel de Bruxelles concerne les nuisances subies par la population en raison du décollage et de l'atterrissage des avions à l'aéroport de Zaventem.
Le gouvernement a apporté un certain nombre de modifications dans les procédures de décollage pendant la nuit et pendant la journée.
Un certain nombre d'habitants de la périphérie Nord de Bruxelles parmi lesquels les défendeurs, ont cité par exploit d'huissier du 29 octobre 2002,1'Etat belge, la BIAC et Belgocontrol devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, afin de l'entendre interdire que la concentration future prévue soit réalisée et ce, jusqu'à la décision du juge sur le fond et afin qu'il ordonne la réduction de la concentration déjà réalisée à une répartition équilibrée des vols au-dessus de toutes les communes situées autour de l'aéroport de sorte que le nombre de vols de jour et de nuit actuels soit réduit à maximum 10 pct du nombre total de vols par zone et ce, jusqu' à ce que la décision soit rendue sur le fond.
En ordre subsidiaire, il a été demandé que la concentration déjà réalisée soit réduite à une dispersion des vols.
Certaines parties sont intervenues dans la cause par des requêtes en intervention volontaire des 4 novembre 2002 et 23 décembre 2002 (défendeurs actuels sub 17 à 47 inclus). Dans une ordonnance du 14 janvier 2003, le président du tribunal de première instance a considéré que la demande principale et les demandes en intervention volontaire étaient recevables mais non fondées.
Les défendeurs ont formé appel contre cette ordonnance par la requête du 31 janvier 2003.
Dans son arrêt du 10 juin 2003, la huitième chambre de la cour d'appel de Bruxelles a réformé la première ordonnance et a déclaré la demande originaire fondée dans certaines limites.
IV. Les moyens
A. Sur le pourvoi C.03.0346.N
(.)
B. Sur le pourvoi C.03.0448.N
(.)
C. Sur le pourvoi C.03.0449.N
2. Deuxième moyen
Dispositions légales violées
- les articles 10, 11, 33, alinéa 2, 37, 40, 144, 145, 159 de la Constitution coordonnée et le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs, et donc la Constitution prise dans son ensemble ;
- les articles 584, 1039, 1042 et 1080 du Code judiciaire.
Décision attaquée
L'arrêt rendu par la huitième chambre de la cour d'appel de Bruxelles le 10 juin 2003 déclare fondée la demande originaire, interdit à la demanderesse d'autoriser ou de tolérer au-dessus ou dans l'environnement sonore de la région géographique définie comme étant «la Périphérie Nord», des décollages diurnes ou nocturnes d'avions causant une nuisance sonore exprimée en termes SEL dB(A) et en Laecq par période concernée, qui excède ce qui peut être atteint en moyenne lorsque toutes les pistes disponibles de l'aéroport sont utilisées de manière relativement égale et que tous les itinéraires de vol possibles au-dessus de n'importe quelle zone du territoire, sont utilisés selon des tracés de dispersion échelonnés, et dit que les pics de surcharge sonore ne peuvent excéder les normes de l'OMS notamment sur la base des motifs suivants:
« A première vue, il faut donc admettre que `la politique de l'aéroport' a pour conséquence que les défendeurs sont bien soumis à une surcharge sonore nuisible causée par le décollage des avions.
37. Cet élément est d'ailleurs confirmé par le fait qu'une partie des mesures de gestion consiste à isoler des habitations dans des zones sonores à déterminer afin que la norme de bruit qui doit être précisée (par ex. 45 dB dans une chambre à coucher) ne soit pas dépassée.
Le fait que les cartes sur lesquelles figurent les 'zones sonores nocturnes Laeq' de Biac localisent tous les défendeurs, à quelques-uns près, même ceux situés en-dehors du cercle des nuisances les plus basses, et que la plupart d'entre eux ne sont pas concernés par le 'projet d'isolation sonore', ne déroge pas auxdites constatations.
Les zones sonores simulées dans un laboratoire ne semblent pas être confirmées dans la réalité.
38. A propos des phénomènes sonores décrits, les défendeurs désignent l'Etat belge comme ayant décidé fautivement de la concentration des décollages nocturnes, et la demanderesse et les parties appelées en déclaration d'arrêt commun, d'avoir appliquer `la concentration' pour les décollages diurnes, fût-ce sans décision formelle en la matière.
Il peut être admis comme point de départ que le gouvernement fédéral définit de manière autonome -fût-ce de manière limitée par les compétences des états fédérés - les choix à faire dans le cadre de la politique de gestion et de lutte contre les surcharges sonores à l'aéroport de Bruxelles National.
Son pouvoir de décision discrétionnaire dans ce domaine ne le libère toutefois pas de l'obligation de respecter dans ses choix et dans la réalisation de ceux-ci les limites fixées par le respect des droits fondamentaux de tous les citoyens.
39. Dans le cas présent, la politique pour laquelle il a été opté consiste à faire supporter la surcharge sonore inévitable par le plus petit nombre d'habitants dans une région déterminée qui a été choisie pour être survolé de manière concentrée.
Le nombre restreint d'habitants visé requiert, en outre, que la surcharge qui leur est causée ne peut être augmentée par rapport à la situation de survol concentré.
40. Les faits font apparaître que l'infrastructure qui est gérée par BIAC est telle que différentes pistes d'atterrissage et de décollage sont disponibles, qui ne sont certes pas utilisables par n'importe quel avion dans n'importe quelle circonstance météo et de manière équivalente, mais dont on peut dire de manière globale que l'une n'est pas moins utilisée que l'autre dans le cadre de la navigation aérienne qui doit être gérée.
L'utilisation prédominante d'une piste entraîne immédiatement des conséquences en ce qui concerne le survol des zones mitoyennes à l'aéroport, même si elles peuvent être maîtrisées dans une certaine mesure par l'optimalisation du tracé des itinéraires de vol spécifiques (SID's) qui doivent être suivis lors du décollage.
Il ne semble pas exister de motif objectif pour décider qu'une des pistes disponibles doit être utilisée concrètement, et ni la demanderesse ni les parties appelées en déclaration d'arrêt commun n'allèguent pas que dans le cadre d'une gestion convenable de la navigation aérienne il y a lieu d'admettre que pour des raisons aéronautiques et techniques les avions qui décollent - de jour comme de nuit - sont dirigés par préférence au-dessus de la zone habitée par les défendeurs.
46. Du point de vue du traitement non-discriminatoire de tous les citoyens qui peuvent être exposés à la surcharge sonore incriminée, la conclusion concernant la violation apparente du droit subjectif n'est pas différente.
En effet, le choix de la politique consistant à exposer le moins possible d'habitants à toute forme de surcharge sonore en faisant passer le plus de nuisances sonores inévitables possible au-dessus du moins de têtes possible, viole le principe d'égalité s'il n'existe aucune justification raisonnable pour ce faire.
47. A la lumière de la protection des droits fondamentaux subjectifs à la santé, à la vie familiale et à l'habitat, qui doivent être protégés de la même manière dans le chef de tous, il est sans pertinence de poser la question de savoir si les nuisances sonores sont supportées par de nombreuses personnes ou par peu de personnes.
Un traitement non discriminatoire dans ce domaine implique que, compte tenu des soucis politiques raisonnables, l'intensité des nuisances considérées comme étant dommageables est dispersée entre tous ceux qui habitent des régions dans l'espace aérien desquelles les itinéraires aériens peuvent être suivis sans danger, d'une manière où il sera le moins possible porté atteinte aux droits fondamentaux subjectifs.
Le degré de concentration de la population dans une certaine région ne semble donc pas pouvoir constituer un point de référence, mais bien le degré d'exposition qui peut être imposé.
Les défendeurs mentionnent dès lors à juste titre l'alternative de la 'dispersion' qui, à première vue, ne semble pouvoir impliquer aucune des violations invoquées.
48. La conclusion générale est ainsi que la violation invoquée des droits subjectifs en question semble, à première vue, être fondée.
Reste la question de savoir si ce qui a été demandé, fût-ce le moins, peut être accordé.
49. Les défendeurs ont formulé partiellement leur demande de manière générale dès lors qu'ils demandent une limitation de la concentration à un niveau de décollages de jour et de nuit pour lequel aucune concentration n'est appliquée, ce qui signifie que seuls 10 pct de ces décollages pourraient être maintenus.
Concrètement, la limitation nécessaire implique selon eux que maximum 20 décollages par jour et 3 décollages par nuit survolent leur zone d'habitation. Il faut admettre qu'ils donnent aux notions de 'jour' et de 'nuit' la signification des horaires actuellement en vigueur et que la nuit s'étend de 23 heures à 6 heures.
50. Il ne ressort pas des pièces produites que la réduction ainsi formulée peut correspondre à l'exposition à la surcharge sonore qu'ils subissaient auparavant.
Au contraire, une telle limitation semble être bien plus importante que le régime existant auparavant. En octobre 2002, 375 décollages de jour et 25 décollages de nuit ont été enregistrés au-dessus des lieux d'habitation de certains défendeurs.
Il n'a pas été soutenu que depuis la concentration, le nombre des vols a été multiplié par dix.
La formule des défendeurs ne semble d'ailleurs pas tout à fait correspondre à l'élément selon lequel le nombre de décollages n'offre pas un rapport proportionnel évident avec la mesure de la surcharge sonore.
51. Les conclusions des défendeurs font apparaître essentiellement, et le dispositif le confirme, qu'ils réclament l'égalité de traitement.
En remplissant concrètement les chiffres par lesquels seuls 10 pct des décollages de jour et de nuit survoleraient leur zone d'habitation, ils appliquent ce qui, selon eux, implique la dispersion de principe.
La violation des droits subjectifs qui a été admise ne concerne toutefois pas en premier lieu le nombre de vols mais bien la mesure de l'exposition à la surcharge sonore. Le nombre de vols est pertinent à cet égard dans la mesure où le nombre 'd'événements sonores' excessivement nuisibles y est proportionnel.
Compte tenu de cet élément, une réparation provisoire adéquate doit être traduite selon un principe général de protection contre l'exposition discriminatoire à la surcharge sonore liée à une diminution des chances de survenance de cas de surcharge sonore excessive.
52. Il peut se déduire des pièces produites et spécialement du rapport Aminal qui a été rédigé en décembre 1992, que l'exposition individuelle à la surcharge sonore peut être exprimée de manière pertinente selon deux paramètres.
La surcharge sonore peut être contrôlée, d'une part, en termes d'exposition à l'approche énergétique (SEL dB) et, d `autre part, en termes de niveaux de pression sonores (Laeq max - pics sonores) et de niveaux de pression sonores moyens par période (Laeq nuit ou jour).
La cour considère ainsi provisoirement comme norme de protection qui ne peut être dépassée qu'aucun des défendeurs ne peut être exposé tant pendant la journée que pendant la nuit aux nuisances sonores exprimées tant en termes de SEL dB(A) qu'en termes de Laeq par période concernée, qui dépasse ce qui peut être atteint comme niveau moyen lors de l'utilisation de toutes les pistes disponibles et en cas d'utilisation optimale de tous les itinéraires de vol au-dessus de n'importe quelle zone du territoire belge.
L'utilisation optimale implique notamment aussi que les trajets de dispersion maximale soient offerts et que l'avion puisse atteindre une altitude maximum sur une distance très courte.
Les pics de surcharge ne peuvent dépasser les normes OMS.
L'intensité de la navigation aérienne ou même son augmentation ne semble pas entachées.
53. Belgocontrol fait savoir dans ses conclusions qu'en cas de modification des itinéraires de vol la procédure fixée par Airac doit être respectée et les prescriptions de sécurité requièrent que la modification effective neprend cours qu'après un intervalle de 28 jours.
Cet élément tend, dès lors, à instaurer une période d'attente suffisamment longue. Il peut d'ailleurs être admis que Belgocontrol doit disposer du temps suffisant pour prendre en considération les itinéraires de vol utilisables.
Les constatations faites par les radars démontrent en effet clairement que les procédures de vol concrètes ont un grand impact sur la dispersion réelle de la surcharge sonore » (p. 25 à 27 inclus et 31 à 35 inclus).
Griefs
Il ressort des considérations de l'arrêt attaqué que les pouvoirs publics disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour déterminer la politique à suivre en cas de lutte contre la surcharge sonore causée par les avions qui décollent de «Bruxelles National» (n° 38, 39 et 46).
Un des critères qui peut être raisonnablement utilisé par les pouvoirs publics est le critère de concentration de la population dans les régions qui peuvent être survolées par les avions.
La cour d'appel considère dans l'arrêt attaqué que le traitement inégal auquel sont soumis les défendeurs, qui est une conséquence du choix politique de soumettre les habitants de la «Périphérie Nord» à une surcharge sonore plus importante
que les autres habitants des environs de l'aéroport de Bruxelles National, n'est pas raisonnablement justifié, dès lors qu'à la lumière de la protection des droits fondamentaux subjectifs à la santé, à la vie familiale et à l'habitat il est sans pertinence de savoir si les nuisances sonores sont supportées par de nombreuses personnes ou par peu de personnes.
La cour considère en outre qu'un traitement non-discriminatoire requiert que l'intensité de la nuisance soit dispersée, autant que faire se peut, au-dessus de toutes les régions dans l'espace aérien desquelles les itinéraires de vol peuvent être suivis sans danger.
Les juges d'appel ont considéré, dès lors, que la concentration de la population ne peut être un critère pertinent, fût-ce de manière limitée, lorsque les pouvoirs publics déterminent leur politique à l'égard de la limitation de la surcharge sonore qui est causée par les décollages d'avions, mais qu'au contraire une violation du principe d'égalité ne peut être évitée que par une dispersion maximale ce qui implique, en l'espèce, que toutes les pistes d'envol disponibles à l'aéroport de Bruxelles National doivent être utilisées de la même manière avec une «dispersion» maximale des itinéraires de vol immédiatement après le décollage.
Qu'en excluant le critère de la concentration de la population en tant que critère pertinent pouvant être utilisé par les pouvoirs publics lorsqu'ils déterminent leur politique en matière de lutte contre la surcharge sonore causée par les avions et en déterminant en outre d'une manière précise et techniquement détaillée dans le dispositif de quelle manière unique les pouvoirs publics peuvent éviter la violation des droits subjectifs des défendeurs, les juges d'appel se sont substitués au pouvoir exécutif et ont ainsi violé le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs (violation de toutes les dispositions citées au début du moyen).
3.Troisième moyen
(.)
IV. La décision de la Cour
A. Jonction
Attendu que les pourvois en cassation n° C.03.0346N, C.03.0448.N et C.03.0449.N sont dirigés contre le même arrêt et que, dès lors, il y a lieu de les joindre.
B. Pourvoi en cassation C.03.0449.N
1. Quant au deuxième moyen
Attendu que l'administration qui prend une décision en vertu de son pouvoir discrétionnaire, dispose d'une liberté d'appréciation qui lui permet de décider elle-même de la manière dont elle exerce son pouvoir et de choisir la solution la plus convenable dans les limites fixées par la loi ;
Que le pouvoir judiciaire est compétent tant pour prévenir que pour indemniser une atteinte irrégulière portée à un droit subjectif par l'administration dans l'exercice de sa compétence non liée mais qu'à ce propos il ne peut priver l'administration de sa liberté d'action et ni se substituer à celle-ci; que le juge des référés ne peut pas davantage le faire ;
Qu'en appréciant de manière provisoire et marginale le soin avec lequel l'administration doit agir, le juge des référés peut imposer ou interdire certains actes mais il ne peut le faire que lorsqu'il conclut raisonnablement que l'administration n'a pas agi dans le cadre des limites dans lesquelles elle doit intervenir ;
Que lors de l'appréciation provisoire de la légalité de l'intervention des pouvoirs publics, le juge des référés ne peut exclure un critère qui sert de fondement à cette décision des pouvoirs publics, sans décider que, prime facie, ce critère n'a pas été utilisé légalement ; qu'il ne peut pas davantage substituer, selon son propre point de vue, d'autres critères qui entraînent une autre décision;
Attendu que les juges d'appel ont constaté que le choix politique litigieux fait par l'administration tend «à faire supporter le plus possible la surcharge sonore inévitable par un nombre réduit d'habitants dans une certaine région qui est choisie pour un survol concentré»;
Qu'il n'ont pas exclu qu'il peut être légal de limiter la surcharge sonore au plus petit nombre d'habitants possible ; qu'ils ont toutefois constaté qu'il est sans pertinence de poser la question de savoir si les nuisances sonores sont supportées par de nombreuses personnes ou par peu de personnes; qu'ils ont rejeté le degré de concentration de la population comme point de référence; qu'ils y substituent le critère «du degré d'exposition qui est imposé» et qu'ils imposent des trajets de dispersion maximale pour ce qu'ils considèrent être une utilisation optimale des itinéraires de vol;
Que les juges d'appel ont violé ainsi le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs;
Que le moyen est fondé;
2. Autres griefs
Attendu que, pour le surplus, les griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue;
B. Pourvoi en cassation C.03.0346.N
Attendu que vu la décision prise dans la cause C.03.0449.N, le pourvoi est sans intérêt;
Attendu que les frais de la signification du pourvoi à un domicile autre que celui élu et accepté par les parties sont à charge du demandeur ;
C. Pourvoi en cassation C.03.0448.N
Attendu que vu la décision prise dans la cause C.03.0449.N le pourvoi est sans intérêt;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Joint les pourvois dans les causes C.03.0346.N, C.03.0448.N et C.03.0449.N;
Casse l'arrêt attaqué sauf en tant qu'il décide que les appels sont recevables;
Condamne l'Etat belge aux frais supplémentaires de la signification du pourvoi des défendeurs respectifs;
Réserve le surplus des dépens pour qu'il soit statué sur celui-ci par le juge du fond;
Déclare l'arrêt commun à l'égard des parties appelées en déclaration d'arrêt commun;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Greta Bourgeois, Ghislain Londers et Eric Dirix, et prononcé en audience publique du quatre mars deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Conclusions du ministère public (traduction) :
1. Les trois pourvois sont dirigés contre le même arrêt rendu le 10 juin 2003 par la cour d'appel de Bruxelles, statuant en référé. Il y a dès lors lieu de joindre les causes.
L'arrêt a réformé l'ordonnance dont appel et a accueilli la demande des défendeurs en tant que : il "interdit aux (demandeurs en cassation) d'admettre ou d'autoriser l'organisation, au-dessus ou dans la zone sonore du territoire géographique dit "zone d'approche par la voie Nord", de vols aériens de jour et de nuit qui causent une pollution sonore exprimée en termes de SEL dB(A) et Laeq par période de référence excédant la moyenne susceptible d'être atteinte en cas d'utilisation quasi simultanée de toutes les pistes disponibles de l'aéroport et de toutes les routes de vol au tracé rayonnant au-dessus de toutes les zones du territoire".
Il "dit (également) que les pointes de pollution sonore ne peuvent excéder les normes de la WHO" et (ensuite) que la condamnation ne sortira plus ses effets si les défendeurs en cassation ne saisissent pas le juge du fond dans les trois mois suivant la date de l'arrêt".
2. Le premier moyen invoqué à l'appui du pourvoi de chacun des trois demandeurs (soit, en ordre chronologique et, en conséquence, suivant les numéros du rôle général : l'Etat belge, l'entreprise publique autonome Belgocontrol et la S.A. BIAC) conteste à chaque fois la décision rendue sur "la juridiction et la compétence" (rubriques 10 à 17 inclus de l'arrêt) et, en conséquence, pose en ordre principal la question de savoir si la cour d'appel, statuant en référé, avait juridiction et compétence pour statuer.
Le deuxième moyen (la deuxième branche du premier moyen dans le pourvoi de Belgocontrol) soumet à la Cour la question de savoir si le juge des référés (par hypothèse compétent) n'a pas excédé son pouvoir de juridiction et si, violant le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, il ne s'est pas substitué aux autorités administratives à pouvoir (discrétionnaire ou non), à savoir les demandeurs en cassation.
Les autres moyens invoquent, outre le défaut de motivation, la violation de la foi due aux actes et la méconnaissance du principe dispositif, la violation des dispositions légales relatives aux diverses compétences des demandeurs pour le trafic aérien et l'organisation de l'aéroport.
3. Les premiers moyens portent dès lors sur l'importante problématique des limites entre le pouvoir des autorités administratives et celui de la juridiction appelée à contrôler leurs actes d'administration et, le cas échéant, à interdire (à titre provisoire) la poursuite de la politique choisie. Dès lors qu'il intéresse le fonctionnement de l'aéroport national, le problème soulevé en l'espèce relève de l'intérêt de la nation. Il ne me semble toutefois pas que les pourvois critiquent les normes fixées principalement par la Cour de sorte qu'il n'y a pas à envisager une éventuelle modification de la jurisprudence. Il est vrai que certains griefs soutiennent que le pouvoir de contrôle du juge se limite aux actes d'administration accomplis en vertu de compétences restreintes. Mais ceci implique la détermination du droit subjectif en tant que critère de compétence et se fonde sur une lecture incomplète de la jurisprudence de la Cour.
Il apparaîtra ci-après que l'arrêt ne peut être attaqué quant à ce critère et que la jurisprudence doit être nuancée en faveur d'une extension du droit de contrôle.
Toutefois, les questions se posent de savoir si l'arrêt a excédé ces normes. Première question : le pouvoir de juridiction et la compétence.
4. L'article 8 du Code judiciaire dispose que la compétence est le pouvoir du juge de connaître d'une demande portée devant lui.
En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
Le droit subjectif est déterminé par l'objet direct et réel de la demande. Suivant la jurisprudence constante de la Cour, les tribunaux connaissent des demandes faites par une partie, fondées sur une obligation juridique précise qu'une règle de droit objectif met directement à charge d'un tiers et à l'exécution de laquelle le demandeur a un intérêt propre (1). Il est incontestable que ce principe est également applicable aux obligations de l'administration découlant de compétences restreintes. La Cour a cependant admis que le pouvoir judiciaire est compétent tant pour prévenir que pour réparer toute atteinte jugée illicite portée à un droit subjectif par une autorité administrative dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (2).
A la lumière de cette jurisprudence, la compétence du juge des référés ne semble pouvoir être contestée en l'espèce sur la base des griefs développés aux premiers moyens. Les motifs reproduits aux points 10 à 17 inclus de l'arrêt sont conformes à la jurisprudence. Les exceptions fondées par les demandeurs sur le défaut de juridiction et de compétence y sont rejetées par le motif que les décisions administratives sont de nature à porter atteinte aux droits subjectifs des défendeurs à un traitement égal, au respect de leur propriété, de leur santé et de leur vie privée et que, dès lors, les tribunaux ordinaires peuvent mettre fin à cette violation.
Seconde question : quelles sont les limites du droit de contrôle du juge compétent ?
5. C'est à bon droit qu'il a été précisé lors de l'élaboration de la jurisprudence que si, dans l'exercice de sa souveraineté, l'administration ne peut violer aucun droit subjectif, elle a toutefois le droit d'en apprécier elle-même les modalités et qu'à cet égard, le juge ne peut lui donner aucun ordre (3). Le pouvoir judiciaire ne peut priver l'administration de sa liberté d'appréciation et, ainsi, se substituer à celle-ci.
Le juge des référés ne le peut davantage (4). Cette liberté d'appréciation offre à l'administration la possibilité de choisir la solution qui lui semble la plus appropriée dans les limites de la loi. Lors du contrôle de la décision administrative, le juge ne peut substituer un critère à celui qui a déterminé ou a contribué à déterminer le choix politique de l'administration.
Or, c'est précisément ce que, à bon droit me semble-t-il, le deuxième moyen invoqué à l'appui tant du pourvoi de l'entreprise publique s.a. Biac, que de celui de l'Etat belge ainsi que la deuxième branche du premier moyen invoqué dans le pourvoi de l'entreprise publique Belgocontrol reprochent aux juges d'appel.
Le premier moyen cité relève plus spécialement qu'il n'appartenait pas aux juges de préciser comment les autorités pouvaient réduire la pollution sonore (qui portait atteinte aux droits subjectifs des défendeurs).
Les juges d'appel se sont fondés sur la considération que le gouvernement fédéral fixe ses choix en matière de politique de gestion et de lutte contre la pollution sonore concernant l'aéroport de Bruxelles-National d'une manière autonome et qu'en conséquence, il bénéficie à cet égard d'un pouvoir de décision discrétionnaire qui ne l'exempte toutefois pas de l'obligation de respecter dans ses choix et dans la réalisation de ces choix les limites imposées par le respect des droits fondamentaux des citoyens (point 38). Ils ont ensuite constaté que les décisions administratives litigieuses consistent à exposer le voisinage à une pollution sonore des plus réduites (point 39). Il est également reproché aux demandeurs d'avoir manqué de discernement dans leur choix politique (points 40 à 45 inclus) et de violer le principe d'égalité sans justification raisonnable (point 46). Ils ont finalement considéré (point 47) que la question primordiale ne semble pas être de savoir si beaucoup ou peu de personnes sont tenues de supporter la pollution sonore, ils en ont déduit que le degré de concentration de la population dans une région déterminée ne semble pas pouvoir servir de référence et y ont substitué le critère politique du "degré d'exposition à imposer" pour arriver à la conclusion qu'à cet égard, les défendeurs proposent à juste titre la solution de l'étalement.
L'Etat belge a judicieusement relevé dans une des ses conclusions d'appel (5) : "Il est vrai que votre siège n'est pas formellement appelé à prendre une décision à substituer à la mesure administrative des (demandeurs). Cependant, de facto, l'injonction requise aura cet effet dès lors qu'elle précisera la nature et la teneur des mesures imposées aux (demandeurs). En ce sens également, l'injonction requise excède le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux".
À mon sens, les juges d'appel se sont substitués aux autorités non seulement en déterminant la politique à suivre, à savoir le plan de l'étalement au lieu de la concentration de la nuisance, ce qui implique un étalement de la navigation aérienne, mais surtout en décidant aux fins
de justifier l'interdiction imposée aux demandeurs dans le dispositif de l'arrêt, comment utiliser "tout" le potentiel de l'aéroport et du territoire avoisinant en vue de réaliser le critère prévu aux motifs de l'arrêt - la réduction du degré d'exposition à la nuisance et non le degré de concentration de la population - et, en statuant comme ils l'ont fait, ils ont violé le principe général du droit de la séparation des pouvoirs et, en conséquence, ne justifient pas légalement leur décision.
Ainsi, le deuxième moyen de la cause RG C.03.0449.N me semble fondé et devoir entraîner la cassation totale (à l'exception de la décision de l'arrêt concernant la recevabilité des appels), dénuant en conséquence les autres moyens et pourvois de tout intérêt.
___________________________
(1) Voir les conclusions de Monsieur le procureur général Velu, alors avocat général, publiées dans A.C. avant cass., 10 avril 1987, ch. réun., RG 5590 et 5619, nos 477 ; cass., 10 mars 1994, RG 9669, n° 114 ; 25 avril 1996, RG C.94.0013.N, n° 137 et les conclusions du ministère public publiées avant cet arrêt dans A.C. ; 31 mai 1999, A.R. S.98.0100.N, n° 319 ; 22 décembre 2000, RG C.99.0164.N, n° 720 et 13 décembre 2001, RG C.99.0383.N, www.cass.be.
(2) Cass., 19 avril 1991, RG 7140, n° 436 et 14 janvier 1994, RG C.93.0255.N, n° 20, et les conclusions de Monsieur l'avocat général D'Hoore, publiées avant ces arrêts dans A.C.
(3) Conclusions de Monsieur le procureur général Krings, publiées dans A.C. avant cass., 23 mars 1984, RG 3800, n° 423 et la référence (dans la note 44) à F. De Visscher e.a. ainsi que les conclusions de Monsieur l'avocat général D'Hoore, publiées dans A.C. avant cass., 19 avril 1991 suivant lesquelles : "Le juge d'appel (...) aurait dû (....) autoriser la demanderesse à décider elle-même comment pallier à la situation critiquée".
(4) Cass., 19 avril 1991, l.c.
(5) Conclusions déposées le 14 avril 2003, p. 44, n° 84.