B.C., demandeur en revision, représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, chez qui il est fait élection de domicile,
contre
S.F. et R. J.,
ayant pour conseils Maîtres Jean-Philippe Mayence et Christian Mathieu, avocats au barreau de Charleroi,
A. N. M. J., et B. A.A.,
ayant fait élection de domicile chez Maître Bernard Popyn, avocat au barreau de Mons, dont le cabinet est établi à Mons, Croix-Place, 7,
ayant également pour conseil Maître Olivier Lesuisse, avocat au barreau de Mons,
parties civiles.
LA COUR,
Ouï le conseiller Frédéric Close en son rapport et sur les conclusions de l'avocat général Jean Spreutels;
Vu la requête signée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, et déposée au greffe le 4 décembre 2003, par laquelle C.B.demande la revision de l'arrêt rendu le 18 novembre 1994 par la cour d'assises de la province de Hainaut, passé en force de chose jugée et le condamnant à la peine de mort du chef de deux assassinats, de séquestration avec menace de mort et de corruption;
Vu les avis favorables et motivés de Maîtres Georges de Kerchove d'Exaerde, Denis Bosquet et Roland Menschaert, avocats au barreau de Bruxelles, ayant chacun dix années d'inscription au tableau de l'Ordre;
Vu la sommation à fin d'intervention signifiée les 24 et 25 novembre 2003 aux parties civiles;
Vu les requêtes en intervention déposées au greffe de la Cour les 20 janvier et 25 février 2004 respectivement au nom de F.S. et J.R., d'une part, et de M.J. A. N. et A. B. A., d'autre part;
Vu les conclusions du ministère public reçues au greffe le 24 février 2004;
Attendu que la revision constitue un recours exceptionnellement ouvert contre les décisions de condamnation ou d'internement passées en force de chose jugée, qui pourraient constituer des erreurs judiciaires en raison de certaines circonstances limitativement déterminées par le Code d'instruction criminelle;
Attendu qu'en vertu de l'article 443, alinéa 1er, 2°, et alinéa 5, de ce code, la revision des condamnations criminelles passées en force de chose jugée pourra notamment être demandée lorsqu'un témoin, entendu à l'audience lors du procès jugé contradictoirement par la cour d'assises, a subi ultérieurement, pour faux témoignage contre le condamné, une condamnation passée en force de chose jugée; qu'en pareil cas, la demande en revision doit être introduite avant l'expiration d'un délai de cinq ans depuis la condamnation définitive du faux témoin;
Attendu que cette cause de revision procède de la crainte que, le témoignage étant faux, la condamnation soit suspecte;
Attendu que, si la condamnation pour faux témoignage peut, dès lors, concerner une déposition faite dans un autre procès, ce n'est que dans la mesure où le témoin ayant déposé faussement dans cette autre cause s'expose au soupçon de l'avoir fait également au cours du procès visé par la demande en revision;
Attendu que ni le texte de la loi ni les travaux préparatoires de celle-ci ne révèlent l'intention du législateur de donner un effet rétroactif à cette présomption d'erreur; qu'en effet, la raison du faux témoignage peut ne survenir qu'après la condamnation à reviser;
Que le faux témoignage donnant ouverture à revision est nécessairement celui qui, ayant été reçu avant que la condamnation à reviser ait été prononcée, est apte à jeter une suspicion soit sur la décision elle-même, soit sur la sincérité des dépositions qui l'ont précédée;
Attendu qu'à l'appui de la demande tendant à la revision de l'arrêt rendu le 18 novembre 1994 par la cour d'assises de la province de Hainaut, le demandeur invoque un faux témoignage recueilli contre lui les 7, 8 et 15 mars 1996;
Que ce cas n'entre pas dans les prévisions de l'article 443, alinéa 1er, 2°, précité;
Qu'à cet égard, la demande est irrecevable;
Attendu qu'à titre subsidiaire, le demandeur invoque la circonstance que, dans un procès-verbal du 6 juillet 1998, il a appris l'existence de plusieurs procès-verbaux, établis en 1990, qui n'avaient pas été joints en copie au dossier soumis à la cour d'assises qui allait le condamner le 18 novembre 1994 et dont il résulte «que plusieurs employés de banque avaient vu Monsieur B.après la date officielle de sa disparition, étant le 23 mars 1988, date retenue par l'arrêt de la cour d'assises comme étant celle du décès de Monsieur B., décès imputé au requérant»;
Qu'en tant qu'elle est fondée sur les articles 443, 3°, et 445, alinéa 5, du Code d'instruction criminelle, la demande en revision est recevable concernant la seule condamnation du chef de l'assassinat de J.-C. B., dès lors que la preuve de l'innocence du demandeur pourrait résulter de la circonstance invoquée que le requérant n'a pas été à même d'établir lors du procès;
Et attendu que la requête en intervention des parties civiles M.J. A. N. et A. B. A. a été formulée en-dehors du délai de deux mois prévu à l'article 443, alinéa 5, du Code d'instruction criminelle;
PAR CES MOTIFS,
Vu les articles 443, 444 et 445 du Code d'instruction criminelle;
Reçoit la demande en revision en tant seulement qu'elle est dirigée contre la condamnation prononcée du chef de l'assassinat de J.-C.B. et la déclare irrecevable pour le surplus;
Déclare le présent arrêt commun aux parties civiles M. J. A. N.et A. B.A.;
Ordonne que la demande ainsi limitée sera instruite par la cour d'appel de Bruxelles aux fins de vérifier si les faits articulés à l'appui de cette demande paraissent suffisamment concluants pour qu'il y ait lieu de procéder à la revision;
Réserve les frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Francis Fischer, président de section, Jean de Codt, Frédéric Close, Paul Mathieu et Philippe Gosseries, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept mars deux mille quatre par Francis Fischer, président de section, en présence de Jean Spreutels, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier adjoint principal.
Conclusions du Ministère public
1. La requête en revision me paraît fondée en tant qu'elle s'appuie, à titre principal, sur l'article 443, 2°, du Code d'instruction criminelle. Selon cette disposition, la revision pourra être demandée «si un témoin entendu à l'audience, dans le cas d'un procès jugé contradictoirement par une cour d'assises ou entendu, soit à l'audience, soit au cours de l'instruction préparatoire, dans le cas d'un procès jugé par une autre juridiction ou par une cour d'assises statuant par contumace, a subi ultérieurement, pour faux témoignage contre le condamné, une condamnation passée en force de chose jugée».
S'il n'est pas contesté que la condamnation pour faux témoignage peut, comme en l'espèce, concerner une déposition faite dans un autre procès[1], la question peut se poser de savoir si la loi exige que la juridiction qui a rendu la décision dont la revision est demandée, en l'espèce la cour d'assises, doit avoir fondé cette décision sur la déposition de ce témoin.
2. La doctrine est partagée. Certains auteurs se bornent à signaler une divergence dans la jurisprudence de votre Cour entre un arrêt du 15 juin 1953 et les autres[2]. D'autres sont d'avis que la jurisprudence «semble» n'admettre la révision que lorsque la décision dont on demande l'annulation, a fondé sa conviction sur le témoignage querellé[3].
L. Dupont et R. Verstraeten[4] estiment qu'il est plus dans «l'esprit» de l'art. 443 de n'autoriser la revision que lorsqu'il apparaît que la condamnation se fonde sur le faux témoignage. Mais, comme on le verra ci-dessous, cette interprétation n'est-elle pas contraire aux travaux préparatoires de la loi du 18 juin 1894, qui a introduit ces dispositions dans le Code d'instruction criminelle?
En revanche, on a aussi considéré que la condamnation doit être obligatoirement annulée lorsque l'un des témoins a été définitivement condamné pour faux témoignage envers l'accusé ou le prévenu[5]. Cette position a été développée par A. Saint-Rémy[6]: «dans le premier cas de revision (décisions inconciliables), lorsque toutes les conditions légales sont vérifiées, apparaît une certitude d'erreur judiciaire. Dans l'hypothèse du faux témoignage, cette certitude n'existe pas nécessairement: seule pourra généralement être envisagée une possibilité, une présomption d'erreur. En effet, la fausse déposition n'a pas nécessairement eu une influence décisive sur la décision du juge; les débats peuvent, en dehors de cette fausse déposition, avoir donné au juge d'autres éléments établissant indiscutablement la culpabilité du prévenu. Toutefois, le texte de l'article 445, alinéa 2, combiné avec l'article 443, 2°, est formel. Du moment que le demandeur en revision justifie devant la Cour de cassation de l'existence d'une condamnation pour faux témoignage, réunissant les conditions légales (.), la Cour de cassation doit annuler la condamnation principale et saisir de l'affaire une cour de renvoi en vue de nouveau débats. Il est donc évident que, les conditions légales prescrites par l'article 443, 2°, étant vérifiées, la demande en revision est recevable ipso facto. (.) Il est encore d'autant plus certain que la revision doit être admise, malgré l'absence de toute certitude d'erreur judiciaire que (.) le faux témoignage peut s'être produit dans un autre procès que celui ayant abouti à la condamnation dont la revision est demandée. Dans ce cas, il n'est, a fortiori, pas possible d'affirmer qu'il y aura certitude d'erreur; et pourtant le législateur l'a considéré comme un motif suffisant de revision.»
R. Declercq[7] constate avec pertinence: «men mag nochtans het belang van deze discussie niet overschatten. Vanzelfsprekend moet het later vals bevonden getuigenis een rol hebben gespeeld bij het tot stand komen van de beslissing waarvan herziening wordt aangevraagd. Maar bij het vormen van zijn innerlijke overtuiging steunt de rechter uiteraard op het ganse onderzoek ter zitting en op het ganse vooronderzoek. Voor herziening kan het niet vereist zijn dat de rechter uitdrukkelijk zou gerefereerd hebben aan een bepaald getuigenis dat achteraf vals blijkt. Een getuigenverklaring die de rechter om de ene of de andere reden uit het vormen van zijn overtuiging geweerd heeft kan niet dienen voor herziening, al wordt de getuige later veroordeeld." Pour cet auteur, donc, il n'est pas nécessaire que le juge se soit explicitement fondé sur le témoignage litigieux mais, lorsqu'il l'écarte expressément, la revision n'est pas possible.
3. J'ajoute à tout ceci qu'il est pratiquement impossible de déterminer si le jury s'est fondé sur un témoignage pour former son verdict, en l'absence de motivation de celui-ci, même dans l'hypothèse où il a été tenu note, en application de l'article 318 du C.I.cr., de variations existant entre la déposition d'un témoin devant la cour d'assises et ses précédentes déclarations. Or, l'article 443, 2°, vise expressément le cas d'un témoin entendu à l'audience dans le cas d'un procès jugé contradictoirement par une cour d'assises[8]. On ne voit pas pourquoi le législateur aurait pris soin de viser cette hypothèse si elle ne devait jamais pouvoir fonder une demande en revision.
4. Les travaux préparatoires de la loi du 18 juin 1894 me paraissent éclairants[9]. On y lit, en effet, qu'«un témoin, entendu dans le procès dirigé contre l'accusé ou le prévenu, est condamné ultérieurement, à son tour, du chef de faux témoignage contre le condamné. S'il est justifié du fait devant la Cour de cassation, annulation et renvoi devant le juge du fond»[10].
Et surtout: «l'honorable M. De Sadeleer me demande si le deuxième cas de revision du projet du gouvernement suppose que le faux témoignage s'est produit dans le procès dont la revision est demandée: ma réponse est négative. Il se peut que la condamnation encourue par le témoin porte sur une déposition faite dans un autre procès, pourvu, bien entendu, que cette condamnation soit postérieure, en date, au procès dont la revision est demandée. Cité à charge ou à décharge, l'un des témoins, entendu dans un procès qui s'est terminé par la condamnation de l'accusé, a été, plus tard, convaincu de faux témoignage dans un autre procès, où il a déposé contre le même accusé. N'est-il pas évident que la condamnation qui est venue frapper ce témoin fait planer une sérieuse présomption d'erreur sur la condamnation dont la revision est demandée? Elle sera suspecte[11]. Il est donc juste de n'exiger qu'une chose: que la condamnation prononcée contre ce témoin soit postérieure, en date, à la condamnation dont la revision est demandée»[12].
Enfin, même s'il est question plus particulièrement du cas visé par l'article 443, 3°[13], il ressort des travaux préparatoires que «la mission de la Cour de cassation doit se borner à vérifier si le demandeur en revision allègue une cause légale de revision et s'il n'existe pas de fin de non-recevoir. (.) L'abus des demandes en revision sera écarté par la limitation stricte et rigoureuse des cas où la revision peut être demandée, comme aussi par l'existence des fins de non-recevoir que le projet consacre. (.) Il serait contraire au texte et à l'esprit de la Constitution de lui accorder, en cette matière, un pouvoir d'appréciation des faits qui échappent à sa compétence»[14]. Par ailleurs, on insiste sur l'exigence que la demande en revision n'est pas recevable «s'il s'est écoulé plus de cinq ans depuis la condamnation définitive du faux témoin»[15]: «s'il laisse s'écouler cinq ans depuis la condamnation du faux témoin, s'il garde le silence pendant cinq ans après cette condamnation qu'il connaît parfaitement, il est évident qu'il a reconnu implicitement qu'il ne pouvait se prévaloir de la circonstance dont il s'agit[16]».
5.Qu'en est-il de la jurisprudence de votre Cour? L'exigence que le juge doit avoir fondé sa conviction sur la déposition du témoin ne ressort pas, à mon sens, des arrêts de la Cour, mais bien de certains résumés publiés dans le Bulletin et la Pasicrisie. Le plus souvent, la Cour se borne à constater, soit, en adoptant les motifs du réquisitoire du procureur général, que la décision paraît être fondée sur la déclaration du témoin[17], soit que le requérant allègue que la décision est fondée sur le témoignage[18].
Certes, certains arrêts, adoptant les motifs du réquisitoire, constatent parfois expressément que la décision est fondée sur le témoignage[19]. Lorsqu'une telle certitude existe, mieux vaut sans doute en faire état. Mais cela n'en fait pas une exigence légale.
Enfin, deux arrêts se bornent à constater que le témoin a été entendu dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à la décision dont la décision est demandée[20].
A ma connaissance, votre Cour n'a jamais rejeté une demande en revision au motif que la décision n'était pas fondée sur le témoignage litigieux.
6. En résumé,
il me paraît résulter du texte de la loi, des travaux préparatoires (surtout de la déclaration du ministre Jules Lejeune), de la mention expresse du témoignage devant la cour d'assises dans l'article 443, 2°, et du fait que l'on doit aussi tenir compte d'un faux témoignage commis dans le cadre d'une autre affaire, que la Cour de cassation ne doit pas constater formellement que la décision dont la revision est demandée est fondée sur le témoignage déclaré faux. Il suffit, me semble-t-il, que le requérant allègue cette circonstance.
7. Aux termes de l'article 443, 2°, du Code d'instruction criminelle, le faux témoignage doit avoir été fait contre le demandeur en revision. En effet, selon les articles 215 et suivants du Code pénal, le faux témoignage peut être commis, soit contre l'accusé ou le prévenu, soit en sa faveur. En matière criminelle, le faux témoignage contre l'accusé est puni plus sévèrement, dans l'hypothèse visée à l'article 216 du Code pénal.
«Le juge du fond apprécie souverainement la réalisation de cet élément de l'infraction[21] (.). Il suffit d'un préjudice possible, d'une influence possible sur l'appréciation par le juge, soit de la culpabilité, soit de la peine à appliquer (.), qu'il ait pu résulter du témoignage une impression favorable ou défavorable au prévenu»[22]. Le témoignage peut d'ailleurs porter non seulement sur les faits et circonstances de la prévention mais encore sur la conduite et la moralité du prévenu[23]. En outre, l'intention frauduleuse ou le dessein de nuire est un élément constitutif de l'infraction de faux témoignage[24].
8. Dans la présente cause, le témoin, qui avait déposé devant la cour d'assises, a été condamné, postérieurement à l'arrêt de la cour d'assises dont le demandeur postule la revision, du chef de «s'être rendu(e) coupable d'un faux témoignage en matière correctionnelle contre le prévenu C.B.», condamnation passée en force de chose jugée. Le demandeur allègue que sa condamnation par la cour d'assises dans son ensemble, «a été prononcée notamment mais essentiellement sur la base des déclarations» de ce témoin.
Conclusion: il y a donc lieu d'annuler l'arrêt rendu le 18 novembre 1994 par la cour d'assises de la province du Hainaut, en ce qu'il condamne le demandeur à la peine de mort, aux frais de l'action publique ainsi que l'arrêt rendu le même jour par cette juridiction en ce qu'il statue sur les actions civiles exercées contre lui[25] et de renvoyer la cause ainsi limitée à une autre cour d'assises, où le témoin condamné ne pourra pas être entendu dans les nouveaux débats.
Bruxelles, le 24 février 2004.
L'avocat général,
J. Spreutels.