V. G.,
Me Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. D. A.,
2. V. C.,
3. H. P.,
4. G. L.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 2 février 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat général Guido Bresseleers a conclu.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution;
- article 2272, spécialement alinéa 1er, du Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 48, § 4, de la loi du 5 juillet 1963.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué reçoit l'appel mais le déclare non fondé après avoir constaté que l'objet du litige concernait le recouvrement des comptes et salaires des défendeurs «du chef de l'exécution de commissions confiées par la requérante en sa qualité d'avocat de plusieurs de ses clients» et ce aux motifs:
«(.) que la demanderesse soutient que le court délai de prescription d'un an, prévu par l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil s'applique à la présente demande;
(.) que, toutefois, comme l'a déjà décidé le premier juge, ce court délai de prescription ne s'applique qu'à la demande dirigée par l'huissier de justice contre le client;
qu'en l'espèce, les défendeurs ont/avaient la possibilité d'introduire contre les clients de la demanderesse une action directe fondée sur un contrat;
que le Code civil ne prévoit pas de délai de prescription particulier pour une action dirigée contre un avocat;
que le délai de droit commun (auparavant 30 ans, actuellement 10 ans) doit s'appliquer à toutes les actions qui ne sont pas soumises à un délai de prescription différent par des dispositions légales particulières; qu'en effet, les dispositions légales qui instaurent un court délai de prescription doivent être interprétées de manière limitative;
(.) que l'avocat s'engage vis-à-vis de son client à conclure pour lui un mandat; que les rapports avocat-huissier de justice ne sont toutefois pas de nature contractuelle;
que, le cas échéant, un lien contractuel direct naît entre le client et l'huissier de justice;
que, toutefois, les défendeurs disposent d'une action contre la demanderesse fondée sur la coutume et les normes déontologiques des avocats en vertu desquelles ceux-ci sont tenus de satisfaire aux états des comptes et salaires restant dus des huissiers de justice (.);
qu'en effet, un avocat qui ne s'est pas fait remettre de provision pour les frais d'intervention d'un huissier de justice, est tenu d'avertir ce dernier et de l'informer du fait qu'il doit récupérer les frais et salaires directement auprès du client;
qu'en omettant de le faire, l'avocat commet une faute d'autant plus que , comme en l'espèce, il ne conteste pas immédiatement l'état des salaires de l'huissier de justice qui lui est adressé et qu'il ne réagit pas davantage aux mises en demeure répétées aux fins de paiement, mais qu'il continue au contraire à lui confier des commissions au nom des clients;
que l'action des défendeurs peut être fondée sur cette faute».
Griefs
1. Première branche
L'article 2272, alinéa 1er, du Code civil dispose que «l'action des huissiers de justice, pour le salaire des actes qu'ils signifient, et des commissions qu'ils exécutent, se prescrit par un an».
La ratio legis de cet article est fondée sur une présomption de paiement des sommes réclamées.
Le texte de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil ne fait pas de distinction quant à la personne du débiteur à laquelle s'adresse l'huissier de justice.
Le principe du délai de prescription d'un an vaut dès que l'huissier de justice introduit «une action (.) pour le salaire des actes qu'il signifie et des commissions qu'il exécute» quelle que soit la personne contre laquelle on poursuit le recouvrement.
La disposition légale violée doit, dès lors, être interprétée en ce sens que quiconque est cité par un huissier de justice en paiement des salaires des actes qu'il signifie et des commissions qu'il exécute, a la possibilité d'invoquer la prescription.
La cour d'appel conserve la possibilité d'invoquer la prescription sur la base de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil uniquement pour celui pour le compte duquel l'huissier de justice a posé un acte, à savoir les clients des avocats mais pas les avocats eux-mêmes, nonobstant le fait que la cour d'appel constate que la demanderesse invoquait avoir payé les sommes réclamées.
Il s'ensuit qu'en considérant que le court délai de prescription de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil ne s'applique qu'à l'action de l'huissier de justice contre le client, l'arrêt limite le champ d'application de cette disposition et, dès lors, viole cette disposition (violation de l'article 2272, spécialement alinéa 1er, du Code civil).
2. Deuxième branche
Même si on lit l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil dans le sens qu'il serait réservé aux «clients» de l'huissier de justice, cela n'exclut pas l'application de cette disposition en l'espèce.
Un avocat relève tant de la notion de «commettant» que de la notion de «client». C'est, en effet, l'avocat qui confie effectivement la commission, au sens des instructions, à l'huissier de justice.
C'est, en outre, l'avocat qui est généralement le client de l'huissier de justice au sens littéral du terme dès lors que ce n'est pas le client de l'avocat qui choisit l'huissier de justice mais l'avocat lui-même.
L'article 2272, alinéa 1er, du Code civil ne fait état que «du salaire des actes» et «des commissions» sans limitation quant aux personnes pour lesquelles l'huissier de justice agit.
Il s'ensuit que, dans la mesure où il exclut l'applicabilité de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil, par le motif que l'avocat ne confie pas «de commissions» à l'huissier de justice au sens de cette disposition, l'arrêt viole aussi, par ces motifs, l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil.
3. Troisième branche
Comme il a été dit précédemment, l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil ne contient aucune limitation tant que l'objet du recouvrement concerne les frais et les salaires dus pour des actes et des commissions signifiés par un huissier de justice.
Comme l'a constaté expressément l'arrêt, l'objet de l'action concerne en l'espèce le recouvrement de tels frais et salaires.
Une telle action relève du champ d'application de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil.
Ni la nature, ni le fondement des rapports juridiques sous-jacents, ni la qualité du débiteur concerné ne dérogent à l'application de l'article 2272 du Code civil.
L'arrêt considère toutefois que «les défendeurs disposent cependant d'une action contre la demanderesse fondée sur la coutume et les normes déontologiques des avocats, en vertu desquelles ceux-ci sont tenus de satisfaire aux états des comptes et salaires restant dus des huissiers de justice» et que «un avocat qui ne s'est pas fait remettre de provision pour les frais d'intervention d'un huissier de justice, est tenu d'avertir ce dernier et de l'informer du fait qu'il doit réclamer son état de comptes et de salaires directement auprès du client» et «qu'en omettant de le faire, l'avocat commet une faute».
L'arrêt exclut, dès lors, l'application de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil en se fondant sur les rapports juridiques existant entre les parties, alors que cette disposition ne retient que l'objet de la demande comme critère pertinent pour déterminer le délai de courte prescription.
Il s'ensuit qu'en décidant que la demande du demandeur n'est pas prescrite, l'arrêt viole l'article 2272 du Code civil.
4. Quatrième branche
L'arrêt décide, d'une part, «qu'un avocat qui ne s'est pas fait remettre de provision pour les frais d'intervention d'un huissier de justice, est tenu d'avertir ce dernier et de l'informer du fait qu'il doit réclamer cet état de comptes et salaires directement auprès du client» et admet, dès lors, en vertu de la règle déontologique précitée, que l'avocat doit néanmoins être considéré comme commettant et, dès lors, comme client.
Cette considération est contraire à l'interprétation développée ci-dessus donnée par l'arrêt à l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil, à savoir que l'avocat ne peut être considéré comme un client tant qu'il n'a pas informé l'huissier de justice du fait qu'il doit réclamer son état de comptes et de salaires directement auprès de son client.
Qu'il s'ensuit qu'en décidant, d'une part, que le recouvrement de l'état des comptes et des salaires des défendeurs n'est pas prescrit en vertu de l'article 2272 du Code civil mais en décidant, d'autre part, que la demanderesse est tenue de payer les salaires et les frais des défendeurs, l'arrêt est contradictoire et, dès lors, viole l'article 149 de la Constitution.
IV. La décision de la Cour
1. Quant à la première branche:
Attendu qu'en vertu de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil, l'action des huissiers de justice pour le salaire des actes qu'ils signifient et des commissions qu'ils exécutent, se prescrit par un an;
Que ce délai de prescription ne s'applique pas lorsque l'huissier de justice réclame un état des comptes et salaires restant dus à un avocat qui lui demande au nom de son client d'accomplir des actes de sa fonction;
Que cet avocat ne peut invoquer la présomption de paiement;
Attendu qu'en décidant que l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil, ne concerne que l'action de l'huissier de justice contre son client, les juges d'appel ne violent pas cette disposition légale;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
2. Quant à la deuxième branche:
Attendu que l'arrêt n'exclut pas l'application de l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil par le motif que l'avocat ne confie pas de commission à l'huissier de justice;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;
3. Quant à la troisième branche:
Attendu qu'ainsi qu'il ressort de la réponse au moyen, en sa première branche, l'article 2272, alinéa 1er, du Code civil ne concerne que l'action de l'huissier de justice contre son client;
Attendu que les juges d'appel décident en ce sens;
Qu'ils considèrent aussi à cet égard que si un avocat agit, «il naît un lien contractuel direct entre le client et l'huissier de justice» de sorte que ce dernier a la possibilité «d'intenter contre le client une action directe fondée sur un contrat» et, en outre, que l'huissier de justice dispose cependant d'une action contre l'avocat, fût-ce «sur la base de la coutume et des normes déontologiques des avocats, en vertu desquelles ceux-ci sont tenus de satisfaire aux états des comptes et des salaires restant dus des huissiers de justice»;
Qu'ils appliquent ainsi correctement la disposition citée;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
4. Quand à la quatrième branche:
Attendu que, contrairement à ce que le moyen, en cette branche, soutient, les juges d'appel n'admettent nullement «qu'en vertu de la règle déontologique précitée, l'avocat doit néanmoins être considéré comme commettant et, dès lors, comme client»;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Greta Bourgeois, Eric Dirix, Eric Stassijns et Albert Fettweis, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guido Bresseleers, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.