K. M. A. et cons.,
inculpés, demandeurs en cassation.
I. La décision attaquée
Les pourvois de M. A. K. et de K. S. sont dirigés contre un arrêt rendu le 18 novembre 2003 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Les pourvois de A. K. sont dirigés contre des arrêts rendus les 18 novembre et 9 décembre 2003 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Raymond Loop a conclu.
III. Les moyens de cassation
Les demandeurs M. A. K. et K. S. présentent un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur A. K. présente, dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, un moyen contre l'arrêt du 18 novembre 2003 et deux moyens contre celui du 9 décembre 2003.
IV. La décision de la Cour
A. Sur le pourvoi dirigé par A. K. contre l'arrêt du 18 novembre 2003:
Attendu que le demandeur s'est pourvu contre cet arrêt le 19 décembre 2003;
Attendu que le délai de quinze jours francs prévu à l'article 373 du Code d'instruction criminelle court à compter du lendemain du jour où l'arrêt a été prononcé;
Que, hors le cas prévu à l'article 40, alinéa 4, de la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire, le cas de force majeure et le cas du condamné qui, dans les quinze jours de la prononciation de l'arrêt de condamnation, se pourvoit contre l'arrêt de renvoi, le pourvoi formé après l'expiration du délai précité est irrecevable;
B. Sur les pourvois dirigés par M. A. K. et K. S. contre l'arrêt du 18 novembre 2003:
Sur le moyen unique, invoqué en termes similaires par chacun des deux demandeurs:
Attendu que le principe général du droit relatif à l'impartialité du juge constitue une règle fondamentale de l'organisation judiciaire; que les justiciables y trouvent la garantie que le juge appliquera la loi de manière égale;
Attendu que la condition essentielle de l'impartialité du juge d'instruction est son indépendance totale à l'égard des parties, en manière telle qu'il ne puisse s'exposer au soupçon de partialité dans l'instruction des faits, que ce soit à charge ou à décharge;
Que le juge d'instruction ne cesse à aucun moment d'être un juge ne pouvant susciter dans l'esprit des parties ou dans l'opinion générale une apparence de partialité; qu'aucune circonstance ne le dispense de ce devoir;
Attendu qu'il ressort des conclusions, déposées devant la chambre du conseil par M. A. K. et devant la chambre des mises en accusation par les demandeurs, que le juge d'instruction saisi de la cause a été entendu comme témoin le 14 mars 1997par la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique ;
Que, selon ces conclusions, le magistrat instructeur a exposé les caractéristiques de la criminalité organisée en «se basant sur une affaire de fraude en matière de produits pétroliers, à l'instruction au parquet de Bruxelles», et a conclu sa déposition comme suit:
«Si j'en reviens à la définition empirique allemande, acceptée par les procureurs généraux - la définition en cinq caractéristiques générales avec les trois éléments accessoires - et que je mets en parallèle l'exemple que je viens de vous donner, j'aboutis au constat suivant: pour ce qui est des caractéristiques générales, d'abord, les délits qui, en soi ou dans leur totalité, ont un impact considérable, l'ampleur de la fraude et les mécanismes mis en place sont suffisamment importants pour comprendre que cela répond au premier point de la définition: plus de cent pompes blanches, problématique du droit social, problématique du blanchiment, indices de l'argent provenant de la drogue et réinvestissement au Pakistan après passage en Belgique, fraudes à la TVA et aux accises.
Ensuite, l'appât du gain ou du pouvoir. Dans l'exemple cité, on arrive, pour le circuit de TVA, sans parler des accises, à un redressement fiscal qui va dépasser le milliard. La deuxième caractéristique générale - l'appât du gain ou du pouvoir - est donc ici démontrée.
Troisième élément: pendant une durée assez longue ou indéterminée. Dans l'exemple cité, la fraude et les mécanismes mis en place ont duré plus de quatre ans.
Quatrième caractéristique: collaboration de plus de deux personnes impliquées. Ici, vous aviez un noyau dur d'une dizaine d'individus mais quelque deux cents personnes sont impliquées à divers niveaux, notamment tous les pompistes et les personnes qui travaillent dans les pompes blanches.
Vous avez alors - cinquième caractéristique générale - la répartition des tâches. Pour combiner tout ça, il fallait manifestement une certaine organisation. Je crois que c'est incontestable.
J'en viens aux caractéristiques particulières. D'abord l'usage de structures commerciales. Dans l'exemple cité, on trouve différentes sociétés belges, des sociétés-écrans luxembourgeoises et allemandes, ainsi que des sociétés pakistanaises. Les structures commerciales ont donc bien été employées.
Deuxième élément particulier: l'emploi de la violence ou autres moyens d'intimidation. Dans l'exemple cité, la main-d'ouvre vivant clandestinement en Belgique grâce à des mariages blancs ou travaillant de façon non officielle, était timorée et ne répondait pas honnêtement à nos questions parce que soumise à des menaces de la part des dirigeants des sociétés précitées. Ce deuxième élément était donc également rencontré.
Le troisième élément, à savoir l'influence sur la politique, les médias, l'administration publique, la justice ou la vie économique, est aussi d'application puisque, en l'occurrence, des fonctionnaires peu scrupuleux des douanes sont intervenus pour aider ces truands à émettre des faux documents douaniers, portant des faux cachets douaniers, destinés à permettre l'importation illicite des produits pétroliers en Belgique»;
Attendu que, dans l'ordonnance de renvoi du 8 mai 2003, la chambre du conseil a précisé que «le rapport officiel de la commission parlementaire, produit aux débats, permet de penser que le magistrat instructeur a bien eu la présente affaire à l'esprit lorsqu'il a émis les considérations qui lui sont reprochées»; que l'arrêt attaqué ne contredit pas cette énonciation;
Attendu que, dès lors, même si les juges d'appel n'ont pas relevé dans le chef du juge d'instruction, d'autres manquements au devoir d'impartialité, ils n'ont pu, sans méconnaître le principe général du droit relatif à l'impartialité du juge, considérer que les propos tenus par le magistrat instructeur et reproduits ci-dessus «ne permettent pas de douter légitimement de son aptitude à instruire de manière impartiale»;
Que, partant, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision de tenir pour réguliers les actes d'instruction posés par ce magistrat après le 14 mars 1997ainsi que son rapport devant la chambre du conseil;
Qu'à cet égard, le moyen invoqué par chacun des deux demandeurs est fondé;
C. Sur le pourvoi de A. K. dirigé contre l'arrêt du 9 décembre 2003:
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision relative à l'existence de charges suffisantes:
Attendu que pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 416 du Code d'instruction criminelle et ne statue ni sur une contestation de compétence ni en application des articles 135 et 235bis du même Code;
Que le pourvoi est irrecevable;
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue en application de l'article 135, § 2, du Code d'instruction criminelle:
Sur le premier moyen:
Attendu qu'aux termes de l'article 211bis du Code d'instruction criminelle, l'unanimité des membres de la chambre des mises en accusation est requise en cas de réformation d'une ordonnance de non-lieu; que tel n'est pas le cas lorsque cette juridiction, saisie de l'appel du ministère public, se borne à étendre la période infractionnelle retenue par la chambre du conseil pour des infractions ayant justifié le renvoi de l'inculpé par celle-ci;
Que le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit;
Sur le second moyen:
Quant aux deux branches réunies:
Attendu que le demandeur reproche aux juges d'appel de n'avoir pas répondu à ses conclusions invoquant la prescription de l'action publiqueet d'avoir violé les articles 21 et 22 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ainsi que les articles 193, 196 et 197 du Code pénal;
Attendu que l'article 149 de la Constitution ne s'applique pas aux juridictions d'instruction qui statuent sur le règlement de la procédure;
Attendu que de la seule circonstance qu'une décision d'une juridiction d'instruction ne serait pas régulièrement motivée, il ne se déduit pas une violation de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Que, dans cette mesure, le moyen manque en droit;
Attendu que l'arrêt énonce «que,à les supposer établis, les faux visés à l'inculpation A, en ce inclus A 3, A 7 et A 10, auraient été établis 'dans l'intention de commettre les faits visés aux inculpations C, F et G'; qu'il s'ensuit que, même si [le demandeur] n'est pas poursuivi du chef des inculpations C, F et G, l'usage des faux visés aux inculpations A 3, A 7 et A 10 pourrait s'être perpétué, sinon jusqu'au 29 septembre 1998 (inculpation F 3), à tout le moins jusqu'au 31 décembre 1996 (inculpation C)»;
Qu'ainsi les juges d'appel ont répondu, en les écartant, aux conclusions du demandeur et ont régulièrement motivé leur décision; qu'ils n'étaient pas tenus, en outre, de répondre aux critiques formulées par le demandeur et relatives à la durée de l'effet utile des pièces arguées de faux, celles-ci étant devenues sans pertinence en raison de leur décision;
Attendu qu'en indiquant, dans leur appréciation de la prescription de l'action publique, que les pièces arguées de faux auraient été établies dans l'intention de commettre des faits pour lesquels la période infractionnelle retenue se termine respectivement les 31 décembre 1996 (prévention C), 29 septembre 1998 (prévention F) et 7 juin 1996 (prévention G), ils ont légalement justifié la prolongation de l'effet supposé utile desdites pièces jusqu'aux dates qu'ils ont retenues;
Qu'à cet égard, le moyen ne peut être accueilli;
Et attendu que les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et que les décisions sont conformes à la loi;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué du 18 novembre 2003 en tant qu'il statue à l'égard de M. A. K. et K. S.;
Rejette les pourvois d'A. K.;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Condamne le demandeur A. K. aux frais de ses pourvois et laisse à charge de l'Etat les frais des pourvois des deux autres demandeurs;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, autrement composée.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de quatre cent trente-quatre euros quarante-six centimes dont I) sur le pourvoi de M. A. K.: cent soixante et un euros vingt centimes à charge de l'Etat; II) sur le pourvoi de K. S.: cent soixante et un euros vingt centimes à charge de l'Etat et III) sur le pourvoi d'A. K.: cent douze euros six centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Francis Fischer, président de section, Jean de Codt, Frédéric Close, Paul Mathieu et Philippe Gosseries, conseillers, et prononcé en audience publique du sept avril deux mille quatre par Francis Fischer, président de section, en présence de Raymond Loop, avocat général, avec l'assistance de Véronique Kosynsky, greffier délégué.