KUSTSTADBOUWBEDRIJF, société anonyme,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. VERENIGING VAN DE MEDE-EIGENAARS VAN DE RESIDENTIE WESTHINDER SECTIE I,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
2. IMSTAD, société anonyme,
3. VERENIGING VAN DE MEDE-EIGENAARS VAN DE RESIDENTIE ALEXANDRA.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 28 octobre 1999 par le tribunal de première instance de Furnes.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Ernest Waûters a fait rapport.
L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.
III. Les faits
La requête énonce les éléments de fait et les antécédents procéduraux suivants:
1. La demanderesse, la société anonyme Kuststadbouwbedrijf, a construit à La Panne, sur un terrain appartenant à la deuxième défenderesse, la société anonyme Imstad, un groupe de trois immeubles à appartements dans la résidence Westhinder et comprenant les immeubles Westhinder section I, Noordhinder et Zuidhinder.
L'acte de base de la résidence Westhinder, étant le groupe d'immeubles, a été passé le 16 décembre 1986 par le notaire Verhue, dont l'étude est sise à Oostduinkerke.
A cette date, ce notaire a aussi passé l'acte de base de la résidence Westhinder section I.
2. L'assemblée générale de la résidence Westhinder section I s'est réunie une première fois le 12 mars 1989.
3. La demanderesse a ensuite construit l'immeuble à appartements voisin appelé résidence Alexandra.
L'acte de base de la résidence Alexandra a été passé le 29 septembre 1989 par le notaire Van Damme, dont l'étude est située à La Panne.
4. Par un acte notarié passé le 22 décembre 1989 par le notaire van Damme, la deuxième défenderesse et la demanderesse, agissant en leur nom propre et «en tant que mandataires des copropriétaires de la résidence Westhinder section I pour lesquels elles se sont porté fort», ont établi une servitude de passage à titre perpétuel à charge de la résidence Westhinder section I et au profit de la résidence Alexandra et de l'immeuble phase III du complexe Westhinder (appelé plus tard résidence Zuidhinder).
Le but était que les propriétaires de la résidence Alexandra et de la résidence Zuidhinder et leurs préposés puissent avoir accès avec leurs voitures, vélos, motos et autres aux parkings, garages et caves de leurs immeubles via le parking de la résidence Westhinder section I.
5. Au cours de la construction de la résidence Alexandra, une ouverture a été pratiquée dans le mur de la cave de la résidence Westhinder section I, créant ainsi un passage entre les deux parkings.
6. La situation de fait des parkings peut être décrite de la manière suivante:
- il existe une entrée, une sortie et une porte communes tant pour les propriétaires et les usagers d'un parking situé sous l'immeuble Westhinder section I que pour les propriétaires et usagers d'un parking situé sous l'immeuble Zuidhinder;
- les propriétaires et les usagers d'un parking situé sous la résidence Alexandra entrent et sortent par les passages existant dans le parking situé sous l'immeuble Westhinder section I et par ces mêmes entrée, sortie et porte communes.
7. Au cours de la seconde assemblée générale des propriétaires de la résidence Westhinder section I, qui s'est tenue le 11 mars 1990, la majorité des personnes présentes a décidé de saisir le juge des référés du problème du passage souterrain existant entre le parking Alexandra et celui du Westhinder section I.
Il ne ressort pas du dossier qu'il y ait jamais eu de procédure en référé.
8. Par acte notarié passé le 31 octobre 1990 par le notaire Van Damme, la demanderesse a modifié l'acte de base de la résidence Alexandra . Trois emplacements de voitures situés dans le parking Alexandra ont été transformés en une remise à vélos commune aux propriétaires de la résidence Westhinder.
9. Entre-temps, des négociations ont eu lieu entre la demanderesse et les propriétaires de la résidence Westhinder section I.
10. En février 1992, l'administrateur délégué de la demanderesse a appelé en conciliation le président et les deux assesseurs de l'assemblée générale des copropriétaires de la résidence Westhinder section I devant le juge de paix de Furnes. Il souhaitait faire apprécier par le juge de paix la validité de la servitude de passage établie par l'acte du 22 décembre 1989. En ordre subsidiaire, il a demandé un droit de passage au profit des copropriétaires de la résidence Alexandra.
Cette tentative de conciliation a échoué.
11. Le 25 septembre 1992, la demanderesse a été citée devant le juge de paix du canton de Furnes à la requête du syndic de la résidence Westhinder section I.
Il ne ressort pas du dossier qu'un jugement ait jamais été rendu en cette cause.
12. Le 13 décembre 1993, le syndic de la résidence Westhinder section I a, à nouveau, cité la demanderesse devant le juge de paix du canton de Furnes. Il a demandé la fermeture du passage sous peine d'astreinte et de dommages-intérêts. Par un jugement rendu contradictoirement le 12 janvier 1995, le juge de paix a déclaré la demande principale inadmissible. Il a considéré que le syndic avait outrepassé ses compétences dès lors que le mandat donné par l'assemblée générale concernait une procédure contre les copropriétaires de la résidence Alexandra mais non une procédure contre la demanderesse.
Ce jugement n'a pas fait l'objet d'un appel.
13.a. Le 12 octobre 1995, la première défenderesse, «Vereniging van de mede-eigenaars van de residentie Westhinder section I», a cité la demanderesse, société anonyme Kuststadbouwbedrijf, la deuxième défenderesse, société anonyme Imstad, et la troisième défenderesse, «Vereniging van mede-eigenaars van de Residentie Alexandra», devant le juge de paix du canton de Furnes en demandant
- qu'il soit dit pour droit à l'égard des trois défenderesses que la convention faisant l'objet de l'acte notarié du 22 décembre 1989, établissant une servitude de passage à charge de sa propriété au profit de la propriété de la résidence Alexandra, est nulle en raison du vice du consentement des propriétaires de la résidence Westhinder section I;
- qu'il soit ordonné à la demanderesse et à la deuxième défenderesse de fermer de manière durable le passage entre les parkings souterrains de la résidence Alexandra et la résidence Westhinder dans les dix jours suivant le jugement, sous peine d'une astreinte de 50.000 francs par jour de retard;
- qu'il soit ordonné à la résidence Alexandra de faire exécuter les travaux et qu'il lui soit interdit de faire tout acte empêchant ces travaux, sous peine d'une astreinte de 10.000 francs par infraction;
- que les trois défenderesses soient condamnées au paiement d'une indemnité pour l'usage, les troubles, etc., de 50.000 francs par mois à partir du 1er janvier 1990, majorée des intérêts judiciaires.
13.b. Dans ses conclusions déposées au greffe le 11 juin 1996, la troisième défenderesse a introduit en ordre subsidiaire, au cas où la demande principale serait déclarée fondée, une demande reconventionnelle en garantie contre la demanderesse et la deuxième défenderesse et a demandé leur condamnation à une indemnité de un franc à titre provisionnel.
13.c. Dans ses conclusions déposées au greffe le 21 juin 1996, la demanderesse a introduit une demande reconventionnelle tendant à faire condamner la première défenderesse au paiement d'une indemnité de 38.000.000 francs majorée des intérêts judiciaires.
13.d. Dans un jugement du 4 septembre 1997, le juge de paix a déclaré la demande principale inadmissible. Il a considéré qu'à défaut de personnalité juridique, la première défenderesse ne disposait pas de la qualité requise.
Il a décidé en outre que la demande principale impliquait une actio negatoria qui n'appartient pas à la première défenderesse dès lors qu'elle n'est pas propriétaire du fonds servant.
Il a déclaré que l'inadmissibilité de la demande principale entraînait l'inadmissibilité de la demande reconventionnelle.
Et il a considéré que la demande reconventionnelle en garantie ne devait pas être tranchée dès lors qu'elle était formulée en ordre subsidiaire au cas où la demande principale serait déclarée fondée.
13.e. La première défenderesse a formé appel par une requête déposée au greffe le 18 décembre 1997.
Elle a demandé que le jugement du juge de paix soit réformé et que sa demande principale soit accueillie.
13.f. Dans ses conclusions déposées au greffe le 14 mai 1998, la troisième défenderesse a formé un appel incident en ordre subsidiaire, au cas où l'appel principal serait déclaré fondé.
Elle a demandé la condamnation de la demanderesse et de la deuxième défenderesse à garantie et à une indemnité de un franc à titre provisionnel.
13.g. Dans ses conclusions déposées au greffe le 28 septembre 1998, la demanderesse a réclamé à la première défenderesse, par voie d'appel incident, une indemnité de 38.000.000 francs, majorée des intérêts.
14.a. Dans ses conclusions déposées au greffe le 30 novembre 1998, la première défenderesse a étendu sa demande à l'égard de la demanderesse; elle a réclamé en autre une indemnité de 500.000 francs, majorée des intérêts, du chef de demande téméraire et vexatoire.
(.)
V. La décision de la Cour
1. Sur le premier moyen:
Attendu que, sous le livre II, titre II, chapitre III, le Code civil comprend une «Section II. De la copropriété forcée des immeubles ou groupes d'immeubles bâtis»;
Que l'article 577-3, alinéa 1er, de ce code dispose que les principes relatifs à la copropriété forcée énoncés à l'article 577-2, § 9, et les règles de ladite section, sont applicables à tout immeuble ou groupe d'immeubles bâtis dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes par lots comprenant chacun une partie privative bâtie et une quote-part dans des éléments immobiliers communs;
Attendu que le moyen soutient que cette disposition légale doit être ainsi interprétée que, contrairement à ce que décide le jugement attaqué, dans le cas d'un groupe d'immeubles, les dispositions de la section précitée s'appliquent au seul groupe d'immeubles et non à chaque immeuble du groupe séparément;
Que, sur cette base, il fait valoir que la défenderesse sub 1 n'a pas la personnalité juridique requise pour agir en justice;
Attendu que l'article 577-5, § 1er, alinéa 1er, du Code civil prévoit les conditions auxquelles l'association des copropriétaires acquiert la personnalité juridique; que le deuxième alinéa de cet article dispose qu'elle porte la dénomination: «association des copropriétaires», suivie des indications relatives à la situation de l'immeuble ou du groupe d'immeubles bâtis;
Que, dans le premier alinéa de ce paragraphe, qui règle aussi le cas d'un groupe d'immeubles, il est question de l'association au singulier; que, dans le deuxième alinéa de ce paragraphe, il est question de la situation d'un groupe d'immeubles bâtis et non de chaque immeuble séparément;
Que le dernier alinéa de ce paragraphe dispose que, s'il s'agit d'un groupe d'immeubles, l'acte de base détermine quel immeuble constitue le siège de l'association;
Que le texte de ce paragraphe indique déjà qu'en cas de groupe d'immeubles, l'article 577-3 du Code civil doit être ainsi interprété que les dispositions du livre II, titre II, chapitre III, «Section II. De la copropriété forcée des immeubles ou groupes d'immeubles bâtis», s'appliquent au groupe d'immeubles bâtis et non à chaque immeuble du groupe séparément;
Attendu qu'en accordant la personnalité juridique à l'association des copropriétaires, le législateur a eu pour objectif, sur le plan juridique, de simplifier non seulement les rapports entre les copropriétaires mais aussi ceux des tiers avec les copropriétaires;
Qu'il serait contraire à cet objectif que des tiers qui introduisent une instance contre les copropriétaires d'un groupe d'immeubles bâtis dussent d'abord examiner si l'action concerne les intérêts d'un immeuble déterminé du groupe, de quelques immeubles de ce groupe ou du groupe seul;
Que l'objectif poursuivi par le législateur n'est pas que les copropriétaires d'un immeuble appartenant à un groupe d'immeubles bâtis puissent former une association distincte de l'association des copropriétaires des immeubles de ce groupe et pouvant donc acquérir une personnalité juridique distincte pour agir en justice;
Attendu qu'il ressort de ce qui précède que les dispositions de l'article 577-5, § 1er, alinéa 1er, qui confère la personnalité juridique à une association de copropriétaires d'une copropriété forcée, et de l'article 577-9, § 1er, qui dispose que l'association des copropriétaires a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, s'appliquent à l'association des copropriétaires d'un groupe d'immeubles bâtis et non à l'association des copropriétaires d'un immeuble d'un groupe;
Attendu que le jugement attaqué constate que la défenderesse sub 1 est une association de copropriétaires d'un immeuble qui fait partie d'un groupe d'immeubles bâtis et considère qu'elle peut agir en justice en demandant;
Que le jugement attaqué viole ainsi l'article 577-3, alinéa 1er, du Code civil;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
2. Sur les autres griefs:
Attendu que les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu'il déclare l'appel recevable;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Bruges, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Londers, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du trois juin deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christian Storck et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,