I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2002 par la cour d'appel de Liège.
II. La procédure devant la Cour
Par ordonnance du 6 juillet 2004, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Philippe Echement a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 212, 213 et 231 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté les faits suivants : " (La demanderesse) fonde sa nouvelle demande en divorce sur un incident qui s'est produit dans la soirée du 29 juillet 1997 et qui a fait l'objet d'un dossier répressif classé sans suite par les services du procureur du Roi de Dinant. Comme le relate le premier juge, ce dossier révèle qu'au cours de cette soirée, une altercation a éclaté au domicile (du défendeur) entre celui-ci et son fils S., lequel a téléphoné à (la demanderesse) pour qu'elle vienne le chercher. A l'arrivée de celle-ci sur les lieux, S., excédé, a donné un 'coup de boule' à son père, lequel a prétendu aux policiers dépêchés sur place que c'était son épouse qui l'avait frappé. Le dossier répressif met en lumière le comportement particulièrement déplaisant (du défendeur) à l'égard de tous les intervenants au cours de cet incident, donnant de lui la plus piètre image que puisse donner un mandataire public. Les verbalisants relèvent que (le défendeur) est 'visiblement en état d'ébriété et qu'il ne semble pas être en possession de tous ses moyens' " (motifs de l'arrêt attaqué). " Lors de l'arrivée de la demanderesse sur les lieux, Stéphane W., énervé, a donné un 'coup de boule' à son père, lequel, à des fins patentes, a tenté de reporter sur (la demanderesse) la responsabilité des conséquences de l'acte. Le dossier répressif révèle, dans le chef (du défendeur), un comportement inadéquat, et particulièrement critiquable, dans la mesure où, à l'évidence, il a fait pression sur des autorités judiciaires et des témoins pour orienter les constatations qui s'imposaient, faisant état de mandats publics qui lui étaient - ou avaient été - confiés " (exposé des faits au premier juge implicitement adopté par l'arrêt attaqué), l'arrêt attaqué déboute la demanderesse de l'action principale en divorce qu'elle a formée contre le défendeur sur pied de l'article 231 du Code civil.
L'arrêt attaqué fonde sa décision sur les motifs suivants :
" L'injure grave au sens de l'article 231 du Code civil suppose que l'époux ait posé librement un acte dont il devait savoir que les conséquences sont offensantes pour son conjoint. Or (...) il ne peut être soutenu que ces conditions étaient réunies en l'espèce, les faits étant commis par un homme se trouvant dans l'état décrit par les policiers et s'étant produits de façon ponctuelle, à l'occasion du départ brutal du seul fils qui avait accepté de vivre avec son père, dans un climat de tension résultant d'une séparation mal vécue, tension exacerbée de surcroît par la présence sur place de (la demanderesse). Si le dossier répressif établit que de nombreuses personnes ont dû se sentir humiliées ce soir-là par le comportement inqualifiable (du défendeur) à leur égard, il y a lieu de douter sérieusement de ce que cette scène aurait été constitutive d'offense dans le chef de (la demanderesse) alors qu'au moment des faits, celle-ci était séparée (du défendeur) depuis de nombreux mois. Ainsi que l'a décidé à bon droit le premier juge, 'un comportement injuste, voire agressif, largement postérieur à la séparation des époux, ne peut, en soi, constituer une injure grave qui aurait été à l'origine du divorce entre parties', et ce d'autant plus qu'il s'agit en l'espèce d'un fait ponctuel, intervenu dans le contexte décrit ci-avant ".
Griefs
1. Première branche
En vertu de l'article 213 du Code civil, les époux se doivent mutuellement assistance, le devoir d'assistance comprenant le devoir de respect mutuel. Ce devoir persiste jusqu'à la dissolution du mariage même si les époux ont cessé de cohabiter (Code civil, article 212). Les manquements au devoir d'assistance mutuelle entre époux commis après la fin de la cohabitation des époux peuvent trouver une sanction dans le divorce prononcé aux torts de l'époux coupable pour excès, sévices ou injures graves (Code civil, article 231), ces dernières comprenant toute violation grave des devoirs réciproques imposés aux époux par le mariage.
En l'espèce, l'arrêt attaqué a constaté qu'après la séparation des parties, le défendeur a, le 29 juillet 1997, au cours d'une altercation avec son fils, reçu un coup de tête de ce dernier et qu'il a tenté de faire croire aux policiers que c'était la demanderesse, venue sur les lieux pour chercher son fils, qui l'avait frappé, faisant état de mandats publics à lui conférés pour faire pression sur les autorités judiciaires et les témoins pour orienter les constatations. L'arrêt a considéré que le comportement du défendeur était " inqualifiable ", " injuste, voire agressif " et humiliant pour de nombreuses personnes. Il ressort de ces considérations que le défendeur, en proférant devant la police et devant témoins de fausses accusations pénales à l'encontre de la demanderesse, constitutives d'imputations calomnieuses, a nécessairement manqué aux devoirs réciproques entre époux, spécialement au devoir d'assistance.
L'arrêt attaqué déboute néanmoins la demanderesse de son action en divorce pour le motif que " cette scène " ne constituait pas " une offense dans le chef de (la demanderesse) dès lors qu'au moment des faits, elle était séparée du (défendeur) depuis de nombreux mois ". Il méconnaît ainsi que le devoir d'assistance persiste jusqu'à la dissolution du mariage et n'est dès lors pas légalement justifié (violation des articles 212, 213 et 231 du Code civil).
2. Deuxième branche
Les injures graves qui donnent ouverture au divorce sur pied de l'article 231 du Code civil sont des actes accomplis volontairement, dont l'époux coupable devait savoir que les conséquences seraient injurieuses pour l'autre époux, sans qu'il soit requis que ces actes aient été accomplis dans l'intention de l'offenser.
L'injure grave n'est pas imputable à son auteur, si ce dernier a agi sous la contrainte d'une force à laquelle il n'a pu résister ou si son état mental lui a enlevé tout libre arbitre ou tout discernement.
Ni l'abus d'alcool ni un état de tension ne constituent une cause de justification.
En l'espèce, l'arrêt attaqué a constaté qu'après la séparation des parties, le défendeur a, le 29 juillet 1997, au cours d'une altercation avec son fils, reçu un coup de tête de ce dernier et qu'il a tenté de faire croire aux policiers que c'était la demanderesse, venue sur les lieux pour chercher son fils, qui l'avait frappé. L'arrêt a estimé que le comportement du défendeur était " inqualifiable ", " injuste, voire agressif " et humiliant pour de nombreuses personnes. L'arrêt attaqué décide que ces faits ne constituent pas une injure grave à l'encontre de la demanderesse pour le motif que les conditions de l'injure grave, à savoir " que l'époux ait posé librement un acte dont il devait savoir que les conséquences sont offensantes pour son conjoint " ne sont pas réunies, en raison du fait que le défendeur était " visiblement en état d'ébriété ", " ne semblait pas être en possession de tous ses moyens " et a agi " dans un climat de tension résultant d'une séparation mal vécue, (...) exacerbée de surcroît par la présence sur place de (la demanderesse) ".
Il ne ressort pas de ces motifs que le défendeur ait agi sous l'emprise d'une contrainte à laquelle il ne pouvait résister ou que l'état de ses facultés mentales le rendait irresponsable, en le privant de son libre arbitre : ni le fait que le défendeur n'était pas en possession de tous ses moyens en raison de son état d'ébriété, ni le climat de tension décrit par l'arrêt ne peuvent constituer une cause de justification de nature à enlever le caractère fautif de l'attitude du défendeur, pas plus que la considération que la présence de la demanderesse a accrû le climat de tension, dès lors que l'arrêt ne constate aucune faute commise par celle-ci qui serait à l'origine des agissements du défendeur.
Dès lors, l'arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision selon laquelle il n'y a pas d'injure grave à l'égard de la demanderesse (violation de l'article 231 du Code civil).
3. Troisième branche
Dans ses conclusions principales prises devant la cour d'appel, la demanderesse critiquait la motivation du premier juge selon laquelle l'attitude du défendeur au cours de la soirée du 29 juillet 1997 ne constituait pas une injure grave parce qu'il ne s'agissait que d'un fait " ponctuel ", aux motifs suivants : " nonobstant les déclarations sans équivoque de Stéphane et les déclarations des médecins, (le défendeur) a tenté de faire croire que c'était la (demanderesse) qui lui avait porté des coups et l'avait blessé ; (...) dans leur procès-verbal n° 101433/97, suite n° 3, les verbalisants actent : (...) '(le défendeur) proclamait que l'auteur des coups était sa femme'. (Le défendeur) a alors échafaudé une thèse parfaitement mensongère (...) en tentant de faire croire qu'il avait été la victime d'une tentative de meurtre de la part de (la demanderesse) (voir sa déclaration en annexe C au procès-verbal n° 101433/97), (le défendeur) prétendant : 'j'estime qu'il s'agit là, pour ma part, d'une nouvelle agression visant à m'éliminer physiquement' " ; " réentendu le 5 août, soit huit jours après les faits, par la police d'Yvoir (voir annexe n ° 01 au procès-verbal n° 101433/97 du 5 août 1997), (le défendeur) persiste et signe en prétendant qu'il était impossible physiquement à son fils de l'agresser ; (...) par ailleurs, en octobre 1999, il dit vouloir utiliser le dossier pour asseoir sa demande en divorce ; dans le cadre de la première procédure en divorce diligentée par la (demanderesse), (le défendeur) prétendit devant la cour (d'appel), pour justifier son inertie quant à son action reconventionnelle en divorce, qu'il attendait un dossier répressif ouvert suite à une plainte déposée par lui en 1997, plainte dirigée contre son épouse et son fils du chef de coups (voir p. 5 de l'arrêt du 13 octobre 1999) ; en effet, dans ses conclusions d'appel, il a alors prétendu que sa demande reconventionnelle ne se fondait plus seulement sur quatre faits cotés à preuve (...) mais, en outre, sur une plainte avec constitution de partie civile qu'il prétendait avoir été contraint de déposer du chef de coups et blessures qui lui auraient été infligés par la (demanderesse) ; (le défendeur) fait expressément référence au dossier répressif sur la base duquel la (demanderesse) fonde son actuelle demande en divorce (voir numéro de dossier repris en termes de conclusions), lequel dossier révèle bien autre chose ... " ; " en outre, il y a lieu de relever que l'attitude (du défendeur) était tout aussi injurieuse le jour des faits, soit le 29 juillet 1997, que plus tard, puisque lorsqu'il est réentendu par les verbalisants le 5 août, il répéta encore que son épouse, la (demanderesse), l'avait agressé ; avec lucidité et persévérance, il invoquait encore les faits, selon sa version, pour justifier prétendument devant la cour (d'appel) d'une demande reconventionnelle en divorce de laquelle il s'est finalement désisté ; il n'est pas inutile de rappeler également que cette scène mémorable avait étEACUTE
; précédée d'autres scènes, dont l'une en juillet 1995 ; dans son arrêt du 13 octobre 1999, sur le sujet, la cour (d'appel) avait estimé que ces faits devaient être replacés dans le contexte de tension que vivait le couple à cette époque ; la (demanderesse) ne se fonde pas sur les faits de 1995 pour asseoir sa demande en divorce, mais entend seulement éclairer la cour (d'appel) sur le comportement (du défendeur), lequel ne peut indéfiniment justifier l'injustifiable en invoquant un climat de tension entre les parties ".
L'arrêt attaqué constate que le défendeur a faussement prétendu aux policiers que c'était la demanderesse qui était l'auteur du coup qu'il avait reçu mais considère qu'il ne s'agit pas d'une injure grave, parce que ce fait était " ponctuel " et était " intervenu dans le contexte décrit ci-avant ", de tension résultant d'une séparation mal vécue. L'arrêt attaqué laisse ainsi sans réponse les moyens précités des conclusions de la demanderesse. L'arrêt attaqué n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
4. Quatrième branche
Dans ses conclusions principales d'appel, la demanderesse faisait valoir que le dossier répressif classé sans suite concernant les faits du 29 juillet 1997 contenait la preuve des injures graves dont le défendeur s'était rendu coupable à son égard, aux motifs suivants : " les faits litigieux se sont déroulés comme suit : une dispute éclate entre (le défendeur) et son fils ; en présence du fils des parties, S. (...), (le défendeur) a proféré à l'égard de la (demanderesse) des injures particulièrement odieuses, la traitant de 'putain' et de 'traînée' (annexe 1 au procès-verbal n° 10 141331/97 de la brigade de gendarmerie d'Yvoir) ; S. W. entendu le 29 juillet 1997 déclare : '(...) pendant un long moment, il n'a pas arrêté de me harceler ; le ton a monté et il a commencé à insulter ma mère, la traitant de 'putain' et de 'traînée' (...) ;
en raison de la tournure prise par la discussion nouée avec (le défendeur), S. a été amené à appeler la (demanderesse) afin qu'elle vienne le chercher (...) ; la scène déboucha finalement sur des violences physiques exercées par S.. sur (le défendeur) " ; en outre, le défendeur a proféré des insultes à l'égard du médecin et de la police ; quant à la " scène violente " qui s'était produite, " la publicité que lui a conféré (le défendeur) et la position sociale des parties (...) sont des facteurs à prendre en considération pour apprécier la gravité du grief ".
L'arrêt se borne à admettre que le défendeur a tenté de faire croire aux policiers que la demanderesse l'avait frappé. Il laisse sans réponse les moyens précités des conclusions de la demanderesse relatifs aux injures que le défendeur a proférées à son égard devant son fils et à la publicité qu'il a donnée à toute la scène. L'arrêt n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
2. Second moyen
Disposition légale violée
Article 306 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir résumé comme suit les antécédents de la cause : " Les parties se sont mariées le 26 août 1968 et trois enfants, actuellement tous majeurs, sont issus de cette union. (La demanderesse) quitte
le domicile conjugal le 21 mars 1996 et assigne en divorce le 29 mars 1996 en invoquant des faits de coups, d'injures et d'alcoolisme (...). Le 15 janvier 1997, (le défendeur) dépose des conclusions où il forme une demande reconventionnelle en divorce basée sur les articles 229 et 231 du Code civil. Par jugement du 19 février 1997, le tribunal autorise chacune des parties à prouver quatre des cinq faits qu'elles ont cotés à preuve.
L'enquête directe de l'action principale se déroule en décembre 1997. Aucune enquête contraire n'est tenue, pas plus qu'une enquête dans le cadre de l'action reconventionnelle. Par jugement du 20 janvier 1999, le tribunal fait droit à l'action principale, en considérant que les faits de violence et d'injures invoqués par (la demanderesse) sont d'une gravité suffisante. Il prononce en conséquence le divorce aux torts (du défendeur) et, constatant que (le défendeur) ne diligente pas l'action reconventionnelle, réserve à statuer sur celle-ci. Un arrêt de la cour (d'appel), prononcé le 13 octobre 1999, réforme cette décision et déboute en conséquence (la demanderesse) de son action. Par ailleurs, il donne trois mois (au défendeur) pour diligenter ses enquêtes, sous peine de se voir débouter de son action. Par conclusions déposées devant le premier juge le 30 décembre 1999, (le défendeur) se désiste de son action reconventionnelle. Le 10 mai 2000, (la demanderesse) assigne à nouveau son conjoint en divorce, pour cause d'injures graves, en se basant sur des faits qui se sont déroulés le 29 juillet 1997. Dans cette nouvelle procédure, (le défendeur) dépose, le 19 février 2001, des conclusions principales où il sollicite le divorce à son profit pour cause d'injures graves, et des conclusions additionnelles où il sollicite le divorce pour cause de séparation de fait de plus de deux ans, avec renversement de la présomption édictée par l'article 306 du Code civil.
Par jugement du 25 juin 2001, qui est le jugement frappé d'appel, le premier juge ordonne la jonction des deux dossiers pour cause de connexité, donne acte (au défendeur) de son désistement de sa demande reconventionnelle introduite le 15 janvier 1997, déboute (la demanderesse) de son action, et prononce le divorce sur pied de l'article 232 du Code civil, sans renversement de la présomption légale. Le tribunal ordonne, par ailleurs, la liquidation du régime matrimonial et commet les notaires pour y procéder. Par leurs appels, les parties en reviennent à la position qu'elles défendaient devant le premier juge, (le défendeur) ne critiquant le jugement qu'en ce qui concerne le renversement de la présomption légale ", le jugement dont appel n'étant " pas entrepris en ce qu'il prononce le divorce pour séparation de plus de deux ans " et, après avoir débouté la demanderesse de son action en divorce pour cause d'injure grave fondée sur des faits qui se sont produits dans la soirée du 29 juillet 1997, au motif principalement que si le défendeur a eu ce soir-là un " comportement inqualifiable ", " un comportement injuste, voire agressif, largement postérieur à la séparation des époux, ne peut, en soi, constituer une injure grave qui aurait été à l'origine du divorce entre parties ", l'arrêt attaqué, faisant droit à l'appel du défendeur, prononce le divorce aux torts des deux parties.
L'arrêt attaqué fonde sa décision sur les motifs suivants :
" Si c'est bien (la demanderesse) qui a quitté effectivement le domicile conjugal, (le défendeur) n'a pas démontré et ne démontre pas que ce départ aurait été fautif de sorte qu'il n'apporte pas la preuve que l'origine de la séparation est imputable aux fautes et manquements (de la demanderesse). Par contre, le maintien de la séparation est imputable aux deux époux puisque (la demanderesse) a toujours persisté dans sa volonté de séparation par la poursuite de deux procédures en divorce dans lesquelles elle n'a pas triomphé. Elle n'a jamais proposé de revenir vivre avec (le défendeur) et ne l'a jamais sommé de reprendre la vie commune, au contraire. Quant à la persistance de cette séparation, (le défendeur) peut difficilement éluder le fait que lui-même a exprimé la volonté de ne pas reprendre la vie commune dans la mesure où, dès le 15 janvier 1997, il a introduit une demande reconventionnelle en divorce, demande dont il s'est désisté, certes, le 30 décembre 1999, mais pour en introduire une nouvelle un mois et demi plus tard.
(...) Le jugement dont appel doit dès lors être réformé en ce qu'il n'a pas admis que le maintien de la séparation était imputable aux deux époux, tout en constatant que (le défendeur) ne renversait pas la présomption pesant sur lui. (...) En conséquence, la cour (d'appel) constate que si (le défendeur) ne renverse pas la présomption de l'article 306 du Code civil, il établit que le maintien de la séparation est imputable aux deux époux, de sorte que le divorce est prononcé aux torts des deux parties ".
Griefs
1. Première branche
L'article 306 du Code civil dispose : " pour l'application des articles 299, 300 et 301, l'époux qui obtient le divorce sur base du premier alinéa de l'article 232, est considéré comme l'époux contre qui le divorce est prononcé ; le tribunal pourra en décider autrement si l'époux demandeur apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l'autre époux ". Lorsque la présomption de l'article 306 n'est pas renversée par l'époux demandeur en divorce, le divorce peut toutefois être prononcé également aux torts de l'époux défendeur, si ce dernier a commis des fautes ou manquements d'une gravité suffisante pour être à l'origine soit de la séparation soit de la persistance de la séparation. La persistance dans la volonté de résider séparément ne constitue pas en elle-même une telle faute ou manquement, dès lors que cette volonté peut trouver sa cause dans l'attitude fautive de l'autre époux ou dès lors que ce dernier n'a aucune volonté de reprendre la vie commune.
En l'espèce, l'arrêt attaqué décide que le défendeur n'a pas renversé la présomption de l'article 306 du Code civil, ce qui implique qu'il est responsable du divorce des parties. L'arrêt constate qu'il n'est pas démontré que la demanderesse aurait commis une faute en quittant le domicile conjugal et que le défendeur n'a manifesté aucune volonté de reprendre la vie commune, puisqu'il a introduit une demande reconventionnelle en divorce le 15 janvier 1997, dont il ne s'est désisté que pour en introduire une nouvelle, le 30 décembre 1999. L'arrêt constate enfin qu'après la séparation des parties, le défendeur a eu le 29 juillet 1997 un " comportement injuste, voire agressif " à l'égard de la demanderesse.
Dès lors, en décidant que le maintien de la séparation est aussi imputable à la demanderesse, pour le motif que celle-ci a persisté dans sa volonté de séparation, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié (violation de l'article 306 du Code civil).
2. Seconde branche
En vertu de l'article 306 du Code civil, le divorce prononcé contre l'époux qui l'a demandé sur la base de l'article 232, alinéa 1er, peut être également prononcé aux torts de l'époux défendeur à l'action en divorce lorsque des fautes ou des manquements de ce dernier sont à l'origine de la séparation ou de sa persistance.
L'introduction d'une action en divorce pour cause d'injures graves sur pied de l'article 231 du Code civil ne constitue pas une telle faute ou un tel manquement, à moins que l'action ait été introduite abusivement, sur la base d'allégations dépourvues de tout fondement.
En l'espèce, il ne ressort pas des constatations de l'arrêt que les deux actions en divorce pour cause d'injures graves, dont la demanderesse a été déboutée en degré d'appel, auraient été introduites abusivement.
Au contraire, l'arrêt attaqué constate, d'une part, que le premier juge a fait droit à la première action en divorce de la demanderesse, certains faits invoqués étant jugés d'une gravité suffisante, et, d'autre part, que les faits invoqués à l'appui de la seconde demande en divorce sont établis et révèlent un comportement " inqualifiable " du défendeur, mais l'arrêt attaqué a considéré que ces faits établis ne sont pas constitutifs d'injures graves, parce qu'ils sont postérieurs à la séparation des parties.
Dès lors, en décidant que le maintien de la séparation est aussi imputable à la demanderesse, pour le motif que celle-ci a poursuivi deux procédures en divorce " dans lesquelles elle n'a pas triomphé ", l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié (violation de l'article 306 du Code civil).
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant aux deux premières branches réunies :
Attendu que l'arrêt déboute la demanderesse de son action en divorce pour les motifs que les faits du 29 juillet 1997, sur lesquels elle fonde cette action, ont été commis par un homme " visiblement en état d'ébriété, (...) ne sembl(ant) pas être en possession de tous ses moyens ", et qu'ils se sont " produits de façon ponctuelle, à l'occasion du départ brutal du seul fils qui avait accepté de vivre avec son père, dans un climat de tension résultant d'une séparation mal vécue, tension exacerbée de surcroît par la présence sur place de (la demanderesse), (...) alors que (...) celle-ci était séparée du (défendeur) depuis de nombreux mois " ;
Attendu que de l'ensemble de ces circonstances, et non de chacune d'elles séparément, la cour d'appel a, par une appréciation qui gît en fait, estimé que les événements du 29 juillet 1997, survenus dans le contexte qu'elle précise, ne pouvaient être considérés comme gravement injurieux pour la demanderesse ;
Qu'en ses deux branches, le moyen manque en fait ;
Quant à la troisième branche :
Attendu qu'aux conclusions reproduites en cette branche du moyen, l'arrêt oppose que les faits se sont " produits de façon ponctuelle, à l'occasion du départ brutal du seul fils qui avait accepté de vivre avec son père, dans un climat de tension résultant d'une séparation mal vécue, tension exacerbée de surcroît par la présence sur place de (la demanderesse) " ;
Attendu que par ces considérations, l'arrêt répond auxdites conclusions et motive régulièrement sa décision ;
Que le moyen, en cette branche, manque en fait ;
Quant à la quatrième branche :
Attendu que l'arrêt énonce que " si le dossier répressif établit que de nombreuses personnes ont dû se sentir humiliées ce soir-là par le comportement inqualifiable (du défendeur) à leur égard, il y a lieu de douter sérieusement de ce que cette scène aurait été constitutive d'offense dans le chef de (la demanderesse) , alors qu'au moment des faits, celle-ci était séparée (du défendeur) depuis de nombreux mois " ;
Attendu que par ces considérations, l'arrêt répond aux conclusions de la demanderesse, reproduites en cette branche du moyen ;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait ;
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
Attendu que l'article 306 du Code civil dispose que pour l'application des articles 299, 300 et 301, l'époux qui obtient le divorce sur la base de la séparation de fait de plus de deux ans est considéré comme l'époux contre qui le divorce est admis mais que le tribunal pourra en décider autrement si l'époux demandeur apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l'autre époux ;
Attendu que lorsque les fautes et manquements de l'autre époux ont été à l'origine de la séparation de fait ou ont contribué à son maintien pendant plus de deux ans, cette séparation est également imputable, au sens de l'article 306 précité, aux fautes et manquements de cet autre époux de sorte que dans les deux cas le divorce doit être considéré comme ayant lieu contre chacun des époux, la présomption instituée par l'article 306 restant d'application à l'époux demandeur ;
Que la volonté persistante de l'époux défendeur de résider séparément ne constitue toutefois pas nécessairement une faute ou un manquement, cette volonté pouvant notamment trouver sa cause dans l'attitude fautive de l'époux demandeur ou dans l'absence de volonté de ce dernier de reprendre la vie commune, sans raison légitime ;
Attendu qu'ayant considéré que " si c'est bien (la demanderesse) qui a quitté effectivement le domicile conjugal, (le défendeur) n'a pas démontré et ne démontre toujours pas que ce départ aurait été fautif, (...) (que le défendeur) peut difficilement éluder le fait que lui-même a exprimé la volonté de ne pas reprendre la vie commune " et qu'en ce qui concerne les faits qui se sont produits le 29 juillet 1997, le défendeur a adopté un " comportement inqualifiable ", la cour d'appel n'a pas pu légalement décider que le maintien de la séparation était également imputable aux fautes et manquements de la demanderesse pour les seuls motifs qu'elle a " persisté dans sa volonté de séparation par la poursuite de deux procédures en divorce dans lesquelles elle n'a pas triomphé, (qu') elle n'a jamais proposé de revenir vivre avec (le défendeur) et ne l'a jamais sommé de reprendre la vie commune " ;
Qu'en cette branche, le moyen est fondé ;
Sur les autres griefs :
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du second moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il décide que le maintien de la séparation est aussi imputable à la demanderesse et que c'est aussi aux torts de la demanderesse que le divorce est prononcé, et en tant qu'il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent septante-huit euros envers la partie demanderesse et à la somme de cent six euros soixante-trois centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, les conseillers Daniel Plas, Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du treize septembre deux mille quatre par le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.