Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.00.0136.F
demandeur en cassation,
contre
La décision attaquée
Sommaire
Ne constitue pas une loi au sens des articles 608 et 1080 du Code judiciaire, la délibération d'une commission d'assistance publique, telle celle établissant un règlement concernant le corps sanitaire de l'assistance publique (1). (1) Voir Cass., 21 décembre 2000, RG C.99.0096.F, n° 716, avec concl. de M.
Werquin, avocat général, spécialement concl. p. 2022; 22 décembre 2000, RG C.99.0164.N, n° 720 et la note 1 p. 2049. La délibération d'une commission d'assistance publique, telle celle établissant un règlement concernant le corps sanitaire de l'assistance publique, ne contient pas de règle revêtant le caractère de généralité propre à la loi;
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 septembre 1999 par la cour d'appel de Liège.
La procédure devant la Cour
Par ordonnance du 8 juillet 2004, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 1382 et 1383 du Code civil;
- articles 1er et 4 de la loi du 6 août 1909 relative à la stabilité des emplois dépendant des établissements publics de bienfaisance et des monts-de-piété;
- article 33, alinéas 3 et 4, de la loi du 10 mars 1925 organique de l'assistance publique;
- articles 52 et 53 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale;
- articles 1er, 2 et 20 du règlement général concernant le corps sanitaire de l'assistance publique de Liège, établi par délibération de la commission d'assistance publique de Liège du 6 juillet 1954, modifié par délibération du 17 avril 1962.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir notamment constaté que les médecins - parmi lesquels le demandeur - se trouvaient sous statut de droit public, que, nommés à des emplois permanents du cadre qui comportait onze médecins chefs de service et dix-sept médecins adjoints, ils bénéficiaient des règles touchant à la stabilité de l'emploi garantie expressément par les règlements et qu'il ne peut être soutenu que le service public justifiant la nomination des médecins ait été supprimé, l'arrêt déclare non fondée la demande en réparation du préjudice subi par le demandeur ensuite de la décision du défendeur du 4 décembre 1984 par laquelle il rompait les relations existant entre les parties et justifie cette décision par tous les motifs, ici tenus pour reproduits, de ses pages 4, 5 et 6, en particulier par les motifs «que l'attitude des médecins va être telle que le [défendeur] n'aura d'autre choix que de prendre la décision actée officiellement dans la délibération litigieuse du 4 décembre 1984; [.] qu'au vu de cette opposition systématique du comité médical, sans aucune discussion possible, à toute fermeture de l'hôpital qui ne serait pas globale alors que cette décision relevait de la seule compétence du [défendeur] et était de surcroît justifiée en fait - dès que cela était possible, il fallait ouvrir des lits à l'hôpital de la Citadelle afin de rentabiliser au plus vite ce projet; or, à toute ouverture de lit devait correspondre une fermeture de lit ailleurs - , et au vu du climat conflictuel et de défiance ainsi installé, il ne peut être reproché au [défendeur], qui était tenu de surcroît par des délais face au ministère concerné, d'avoir mis à exécution son plan de fermeture de l'hôpital en phases successives sans se concerter à nouveau avec le corps médical et d'avoir mis fin aux relations statuaires l'unissant aux médecins nonobstant leurs qualités professionnelles incontestées, d'autant que l'ouverture de l'hôpital de la Citadelle s'accompagnait d'une réforme fondamentale du système hospitalier sans qu'il ne soit démontré que cette réforme n'avait d'autre but que le bon fonctionnement du nouvel hôpital - médecine hospitalière rétribuée forfaitairement et s'exerçant autant que possible à temps plein alors qu'au sein de l'hôpital des Anglais, les horaires des prestations des médecins étaient fixés selon les besoins du service, le paiement s'effectuait à l'acte médical avec participation forfaitaire aux frais, pool d'honoraires répartis librement par le médecin titulaire; [.] que la fermeture de l'hôpital dans un tel climat impliquait [.] la constatation que les fonctions des médecins de l'hôpital des Anglais avaient pris fin par la disparition de leur emploi intervenue lors de la fermeture totale le 15 octobre 1984, indépendamment de l'expiration ou de la non-expiration des mandats conférés» et «qu'enfin, il a été démontré ci-dessus que le [défendeur] a voulu réaliser une réelle concertation avec les médecins, mais que leur attitude de rejet du projet de fermeture progressive de l'hôpital provoqua la rupture du dialogue et la prise de conscience dans le chef du [défendeur] de la nécessité de mettre fin à leurs fonctions».
Griefs
Le principe de la stabilité de l'emploi, consacré, à l'égard des médecins nommés à un emploi permanent du cadre de l'hôpital d'un centre public d'aide sociale, par la loi du 6 août 1909, l'article 33 de la loi du 10 mars 1925 et les articles 52 et 53 de la loi du 8 juillet 1976, et dont le bénéfice est reconnu au demandeur par l'arrêt, signifie que les agents statutaires ne peuvent être révoqués que pour une faute, pour raison de disparition d'emploi tenant à une réorganisation du service ou à une réduction sensible du travail ou encore pour un motif tenant à la situation personnelle de l'intéressé qui, sans rapport avec une faute qui peut lui être imputée, l'écarte du service pendant une longue période; l'attitude de l'agent n'est prise en considération, pour justifier la fin d'une relation statutaire, que dans le cadre d'une procédure disciplinaire diligentée contre lui; il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que la décision de mettre fin à la relation statutaire entre le défendeur et le demandeur a été prise par le défendeur dans le cadre de la restructuration du service public impliquant la fermeture de l'hôpital des Anglais et le transfert de ses lits à l'hôpital de la Citadelle; dans ce cadre, d'où toute connotation disciplinaire est absente, le défendeur ne pouvait, sans violer le principe de stabilité de l'emploi, priver le demandeur de son emploi en raison de son attitude dans les discussions qui ont précédé et suivi la décision de fermeture de l'hôpital des Anglais, mais devait procéder, éventuellement d'autorité, à sa mutation vers l'hôpital de la Citadelle.
Il s'ensuit qu'en admettant que le défendeur a pu mettre fin à la relation statutaire qui l'unissait au demandeur sur le seul fondement de l'attitude des médecins rendant tout dialogue impossible, l'arrêt méconnaît le principe de la stabilité de l'emploi consacré par les dispositions légales précitées au profit des médecins sous statut attachés à un hôpital dépendant d'un centre public d'aide sociale (violation des articles 1er et 4 de la loi du 6 août 1909, 33, alinéas 3 et 4, de la loi du 10 mars 1925, 52 et 53 de la loi du 8 juillet 1976, 1er, 2 et 20 du règlement général concernant le corps sanitaire de l'assistance publique de Liège du 6 juillet 1954, modifié le 17 avril 1962) et ne justifie, partant, pas légalement sa décision de déclarer non fondée la demande en réparation du préjudice subi par le demandeur ensuite de la décision du défendeur de rompre les relations entre les parties (violation de toutes les dispositions légales visées au moyen).
La décision de la Cour
En tant que le moyen est pris de la violation des articles 1er, 2 et 20 du règlement général concernant le corps sanitaire de l'assistance publique, établi par la délibération de la commission d'assistance publique de Liège du 6 juillet 1954 et modifié le 17 avril 1962:
Attendu que la délibération d'une commission d'assistance publique ne constitue pas une loi au sens de l'article 608 du Code judiciaire;
Que, dans cette mesure, le moyen est irrecevable;
Sur le surplus du moyen:
Attendu qu'après avoir constaté, d'une part, que les relations entre les parties étaient de nature statutaire et, d'autre part, que le demandeur occupait un emploi permanent de médecin à l'hôpital des Anglais, dépendant du défendeur, en vertu d'un mandat renouvelable dont la durée, initialement fixée à cinq ans, avait dès 1982 été réduite à un an, l'arrêt considère que le demandeur bénéficiait de la stabilité d'emploi prévue par la loi du 6 août 1909 relative à la stabilité des emplois dépendant des établissements publics de bienfaisance et des monts-de-piété et que, «même, comme en l'espèce, en cas d'engagement temporaire et non définitif, la décision de refus de renouvellement doit reposer sur un motif exact en fait et légalement admissible [et ne peut] en conséquence résulter de la simple échéance du terme de la nomination à titre temporaire»;
Attendu que l'arrêt, qui estime que la fermeture de l'hôpital des Anglais était justifiée par la vétusté et le coût élevé du fonctionnement de cet établissement et n'avait pas «pour motif réel de mettre fin aux liens unissant [le défendeur] aux médecins» qui y exerçaient leur art, décide «qu'il ne peut [.] être soutenu que le service public justifiant la nomination des médecins ait été supprimé», dès lors que tous les lits que comptait l'hôpital des Anglais ont été transférés à l'hôpital de la Citadelle;
Attendu que, examinant les faits soumis à l'appréciation de la cour d'appel, l'arrêt relève que le comité médical de l'hôpital des Anglais s'est «systématiquement» opposé, «sans discussion possible, à toute fermeture de [cet établissement] qui ne serait pas globale alors que cette décision relevait de la seule compétence du [défendeur] et était de surcroît justifiée en fait»;
Que l'arrêt énonce «que [la] réforme fondamentale» du système hospitalier géré par le défendeur, qu'il tient pour justifiée, et «devant laquelle les médecins reconnaissent qu'ils devaient s'incliner, ne pouvait s'accommoder [du] climat de défiance provoqué par l'attitude obstinée des médecins qui s'opposaient [.] à la fermeture progressive de l'hôpital» des Anglais;
Que, sur la base de cette appréciation qui gît en fait des nécessités du service public, l'arrêt a pu considérer «que la fermeture de l'hôpital [des Anglais] dans un tel climat impliquait alors nécessairement [.] la constatation que les fonctions des médecins de [cet] hôpital avaient pris fin par la disparition de leur emploi intervenue lors de la fermeture totale du 15 octobre 1984» et justifie dès lors légalement sa décision qu'il n'a pas été porté atteinte à la stabilité d'emploi dont bénéficiait le demandeur;
Que, dans la mesure où il est recevable, le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent trente-neuf euros trente-deux centimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux cent seize euros septante-trois centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Christine Matray et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-sept septembre 2004 par le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.