T.H.-M.,
requérant,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, et ayant pour conseil Maître Thierry Bosly, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 62, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 22 septembre 2004 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
II. La procédure devant la Cour
L'avocat général Raymond Loop a déposé des conclusions.
A l'audience du 1er décembre 2004, le conseiller Benoît Dejemeppe a fait rapport et l'avocat général Raymond Loop a conclu.
III. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
IV. La décision de la Cour
Attendu que le 19 mars 2004, le juge d'instruction de Bruxelles a procédé à une perquisition au bureau et au domicile du demandeur, qui exerce la profession de journaliste, et saisi ou mis sous scellés des documents et des instruments de travail;
Attendu que l'arrêt attaqué dit non fondé l'appel interjeté par le demandeur contre l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa requête tendant à la mainlevée de cette saisie;
Sur la cinquième branche du premier moyen et sur le second moyen:
Attendu que le demandeur critique la décision selon laquelle «les nécessités de l'instruction requièrent toujours le maintien des saisies et de la mise sous scellés justifiées par les devoirs d'enquête en cours, qui n'ont d'autre but manifeste que de vérifier la bonne foi du [demandeur] et la manifestation de la vérité dans le cadre des préventions à la base de la saisine du juge d'instruction»;qu'il allègue que les indices sérieux d'infraction, tels qu'ils ont été appréciés par la chambre des mises en accusationen application de l'article 61quater du Code d'instruction criminelle, sont inexistants ;
Attendu que la régularité d'une perquisition n'est pas subordonnée à l'existence d'indices sérieux de culpabilité dans le chef de la personne au domicile ou au bureau de laquelle la perquisition est effectuée; qu'il suffit, en effet, que le juge d'instruction dispose d'éléments permettant de penser que ces lieux abritent des documents ou des objets utiles à la manifestation de la vérité en ce qui concerne les infractions visées au mandat de perquisition;
Attendu qu'à cet égard la contestation soulevée par le demandeur est étrangère au contrôle de la régularité de l'instruction et, partant, ne ressortit pas aux moyens que la loi permet de faire valoir à l'appui du pourvoi formé en application de l'article 416, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle;
Que le premier moyen en sa cinquième branche et le second moyen sont irrecevables;
Sur le surplus du premier moyen:
Quant à la première branche:
Attendu que le demandeur soutient que les juges d'appel ont violé les engagements internationaux de la Belgiqueen affirmant que «la question de savoir si la protection de la confidentialité des sources utilisées par les journalistes constitue ou non un droit inhérent à la liberté de la presse et, dans l'affirmative, si ce droit a une valeur absolue ou s'il comporte des restrictions, n'a pas encore reçu de consécration légale à ce jour» ;
Attendu que, par cette considération, les juges d'appel, sans méconnaître les dispositions de droit international applicables dans l'ordre interne, se sont bornés à constater qu'en droit belge, il n'existe que des «projets législatifs» tendant à reconnaître aux journalistes, sous certaines réserves, le droit au secret de leurs sources d'information, mais qu'aucune loi n'avait été adoptée à ce sujet ;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli;
Quant aux deuxième et quatrième branches:
Attendu que le demandeur soutient d'abord que les juges d'appel ont violé l'article 10.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la saisie litigieuse constitue une ingérence non autorisée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression;
Attendu qu'en tant que le demandeur fait grief à l'arrêt de décider que la Convention ne garantit pas la protection des sources journalistiques, alors que celui-ci se borne à énoncer que cette protection ne figure pas textuellement dans l'article 10 précité, le moyen, en ces branches, manque en fait;
Attendu que l'article 10.1 de la Convention garantit la liberté d'expression;
Que l'article 10.2 autorise toutefois des limitations à cette libertéen disposantque l'exercice de celle-ci, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire;
Attendu que la perquisition et la saisie sont des mesures prévues par le Code d'instruction criminelle;
Attendu que l'arrêt énonce que la mesure contestée «poursuit des buts légitimes, dès lors qu'il s'agit, dans le cadre des éléments du dossier portés à la connaissance de la cour [d'appel], et dans lequel [le demandeur] est mis en cause, comme auteur ou coauteur, dans une affaire de corruption visant la divulgation d'informations confidentielles, de 'vérifier si la protection du secret s'applique à une source licite ou à une source illicite, cette dernière devant céder le pas à une valeur supérieure que constitue la prévention des infractions'»;
Attendu que ni l'article 10.2 de la convention précitée, ni aucune autre disposition de droit international, ni aucune disposition constitutionnelle, visées en ces branches du moyen, n'interdisent de décider que, dans ces circonstances, la mesure poursuit un but légitime;
Attendu que l'arrêt considère également, par adoption des motifs de l'ordonnance dont appel, que, «eu égard au contexte supposé de l'obtention par [le demandeur] de documents secrets, les perquisitions exécutées notamment dans les locaux où il travaille sont justifiées compte tenu de la mise en cause probable du [demandeur], fût-il journaliste, dans les faits, particulièrement graves, faisant l'objet de l'instruction. En effet, à supposer l'infraction établie, ce que l'enquête a précisément pour but de vérifier, [le demandeur] pourrait être personnellement impliqué, en qualité d'auteur ou de coauteur, dans une affaire de corruption visant la divulgation d'informations confidentielles. Compte tenu de ces considérations et des éléments du dossier, les motifs sont suffisamment pertinents pour ordonner et exécuter des perquisitions à l'occasion desquelles, eu égard aux circonstances, tous les éléments en relation directe avec les infractions, à les supposer établies, ou de nature à servir à la manifestation de la vérité doivent être saisis même si, en apparence, ces pièces bénéficieraient de la protection inhérente au 'secret des sources'. En effet, comme en matière de secret professionnel, il ne saurait être accepté que le droit de taire ses sources puisse servir à couvrir des infractions, ce qui détournerait ce droit de sa finalité, à savoir notamment l'information précise et fiable du public, et serait de nature à mettre en péril la sécurité publique en créant une impunité de fait. Tel est également l'intérêt d'une société démocratique. En l'espèce, la nécessité d'une restriction à l'exercice de la liberté d'expression se trouve dès lors établie d'une manière convaincante, tenant compte d'une balance équitable des intérêts en présence»;
Qu'ainsi, l'arrêt justifie les conditions mises à l'ingérence dans l'exercice du droit garanti par l'article 10.1 précité;
Que, dans cette mesure, le moyen, en ces branches, ne peut être accueilli;
Attendu que le demandeur fait également grief à l'arrêt de ne pas répondre à ses conclusions visant la violation de l'article 10.2 de la convention précitée;
Attendu qu'en tant qu'il invoque une violation de l'article 149 de la Constitution, qui ne s'applique pas aux juridictions d'instruction, le moyen, en ces branches, manque en droit;
Attendu que, pour le surplus, par les considérations mentionnées ci-dessus, les juges d'appel ont répondu à ces conclusions ;
Qu'à cet égard, le moyen, en ces branches, manque en fait;
Attendu qu'enfin, en tant qu'ils se sont référés aux éléments portés à leur connaissance, mais sans les préciser, les juges d'appel ont entendu désigner les pièces du dossier de la procédure qui leur était soumise, en sorte que cette référence permet à la Cour d'exercer son contrôle;
Que, dans cette mesure, le moyen, en ces branches, ne peut davantage être accueilli;
Quant à la troisième branche:
Attendu que le demandeur soutient que, pour légitimer la mesure de saisie, l'arrêt décide que les sources journalistiques ne bénéficient d'aucune protection particulière;
Attendu que les juges d'appel se sont bornés à constater que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la protection des sources journalistiques n'avait pas rang de «valeur absolue»;
Que le moyen qui, en cette branche, repose sur une lecture inexacte de l'arrêt, manque en fait;
Quant à la sixième branche:
Attendu que le demandeur soutient que les juges d'appel n'ont pas légalement justifié l'atteinte portée à l'inviolabilité de son domicile privé et de son lieu de travail;
Attendu que l'instruction a été ouverte du chef de violation du secret professionnel et de corruption; que les juges d'appel ont constaté que le demandeur y est mis en cause, comme auteur ou coauteur, et ont considéré que la perquisition tendait à «vérifier si la protection du secret s'applique à une source licite ou à une source illicite, cette dernière devant céder le pas à une valeur supérieure que constitue la prévention des infractionspénales »;
Qu'une visite domiciliaire ne s'avère pas irrégulière et n'est pas contraire aux articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par le seul fait qu'elle concerne un journaliste mis en cause dans ces circonstances ;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli;
Et attendu que les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et que la décision est conforme à la loi;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent trente-neuf euros vingt-sept centimes dont cent trente-deux euros trente-six centimes dus et cent six euros nonante et un centimes payés par le demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Francis Fischer, président de section, Jean de Codt, Frédéric Close, Paul Mathieu et Benoît Dejemeppe, conseillers, et prononcé en audience publique du premier décembre deux mille quatre par Francis Fischer, président de section, en présence de Raymond Loop, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier adjoint principal.
Conclusions du Ministère public
Par requête déposée le 24 mars 2004, le demandeur a sollicité du juge d'instruction la levée des mesures de saisie et de mise sous scellés de pièces lui appartenant ou appartenant à son employeur, l'hebdomadaire politique allemand Stern.
Dans cette requête, il contestait tant la régularité de ces mesures que leur opportunité et, à cet égard, le demandeur invoquait notamment «qu'il n'a été apporté aucun indice précis et concordant permettant légitimement de croire qu'il aurait d'une quelconque façon violé la loi».
Il est certain que, sans un constat d'indices d'infraction, de telles mesures d'instruction pratiquées au cours de perquisitions ne seraient pas régulièrement motivées.
Par ordonnance du 8 avril 2004, le juge d'instruction a rejeté cette requête aux motifs, notamment, que «le postulat du requérant ne résiste pas à la lecture de la dénonciation de l'OLAF contenue dans le dossier de la procédure, auquel, par ailleurs, le requérant n'a pas eu accès».
Le demandeur a interjeté appel de cette ordonnance et, devant la chambre des mises en accusation, il a conclu en soutenant à nouveau que les mesures ordonnées par le juge d'instruction n'étaient ni régulières ni opportunes. Invitée par le demandeur à exercer le contrôle de la régularité de ces actes d'instruction, la chambre des mises en accusation étaient donc tenue d'y procéder, en vertu de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la chambre des mises en accusation devait, pour contrôler la régularité de ces mesures d'instruction qui touchent à la protection des sources journalistiques, examiner si une balance équitable des intérêts en présence a bien été préservée, et notamment si les motifs de ces mesures sont «suffisants» pour justifier leur envergure. En d'autres termes, la chambre des mises en accusation devait vérifier si les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement disproportionnés à la poursuite des buts légitimes visés, compte tenu de la société démocratique à assurer, et à maintenir la liberté de la presse.
Un tel contrôle relève, il est vrai, d'une appréciation en fait de la chambre des mises en accusation, mais il appartient à la Cour de vérifier si, des éléments constatés par elle, notamment quant aux indices d'infraction, la chambre des mises en accusation a régulièrement motivé sa décision.
L'arrêt attaqué énonce en page 3, dernier alinéa, que la chambre des mises en accusation «se réfère, sans restrictions, à la pertinente motivation du magistrat instructeur, qu'elle fait sienne et tient ici pour reproduite.».
Par ces motifs, l'arrêt attaqué fait donc siens les motifs de l'ordonnance du juge d'instruction qui, pour répondre aux objections du demandeur sur la régularité des mesures, font expressément référence à «la lecture de la dénonciation de l'OLAF contenue dans le dossier de la procédure. auquel le requérant n'a pas eu accès», mais auquel la chambre des mises en accusation n'a pas eu accès non plus!
Force est de constater que, de cette manière, la chambre des mises en accusation a fondé sa décision relative à la régularité des actes d'instruction sur des pièces dont elle n'avait pas pu prendre connaissance.
Comme le soutient le demandeur dans la troisième branche du second moyen, l'arrêt attaqué méconnaît de la sorte le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et
la Cour n'est pas en mesure de vérifier si, des éléments constatés par elle, la chambre des mises en accusation a régulièrement motivé sa décision.
En cette branche, le second moyen est donc fondé.
Conclusions: Cassation avec renvoi.
Le 29 novembre 2004.
L'avocat général,
R. Loop