OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,
contre
D. P.,
défendeur en cassation.
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2004 par la cour du travail de Liège, section de Namur.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Philippe Gosseries a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 44, 45, alinéas 1er, 1°, et 7, spécialement 1°, 48, § 1er, spécialement 1° (cet article 48 tel qu'il était libellé avant sa modification par l'arrêté royal du 23 novembre 2000), 153 (tel qu'il était libellé avant sa modification par l'arrêté royal du 29 juin 2000), 154, alinéa 1er (tel qu'il était libellé avant sa modification par l'arrêté royal du 29 juin 2000), et 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage;
- article 3, § 1er, alinéas 1er et 4, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, modifié par l'arrêté royal du 18 novembre 1976.
Décisions et motifs critiqués
Réformant le jugement dont appel, l'arrêt met à néant la décision du
19 avril 1999 par laquelle le directeur du bureau du chômage avait exclu le défendeur du bénéfice des allocations de chômage à partir du 29 décembre 1997 pour avoir omis de déclarer alors son mandat d'administrateur d'une société commerciale, avait décidé de récupérer les allocations de chômage indûment perçues depuis cette date et avait appliqué au défendeur deux sanctions d'exclusion pour n'avoir pas fait une déclaration requise, ni indiqué son activité sur sa carte de contrôle.
L'arrêt fonde sa décision sur les motifs suivants:
"La décision administrative a été prise sur la base des articles 44 et 45 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et exclusivement sur cette base. Elle se fonde sur l'exercice par [le défendeur] d'une activité pour son propre compte qui peut être intégrée dans le courant des échanges économiques des biens et des services sans être limitée à la gestion de ses biens propres. Il est de jurisprudence bien établie que l'activité de mandataire de société est une activité exercée pour compte propre.
[.] [Le défendeur] possède des parts de coopérateur. L'activité d'administrateur est donc une activité exercée pour compte propre, même si le mandat est gratuit, car c'est l'activité qui est dans un premier temps concernée et non son caractère rémunéré.
Il n'y a pas lieu d'opérer une distinction selon le type de mandat exercé. Un administrateur ayant un intérêt à la bonne marche de la société par le fait qu'il possède des parts sociales ou des actions exerce une activité accessoire pour compte propre non autorisée à un chômeur (non prépensionné) si elle est exercée en dehors des conditions mises par les articles 45 et 48 de l'arrêté royal. Peu importe en soi qu'il s'agisse d'un mandat d'administrateur délégué (ou de gérant) ou de simple administrateur.
L'article 45, dernier alinéa, tel qu'il a été modifié par l'arrêté royal du 26 mars 1996, précise ce qu'il faut entendre par activité limitée à la gestion normale. Trois conditions simultanées doivent être réunies:
- l'activité ne doit pas être 'réellement' intégrée dans le courant des échanges économiques des biens et des services et ne peut pas être exercée dans un but lucratif;
- l'activité ne peut permettre que de conserver ou d'accroître modérément la valeur des biens;
- par son ampleur, l'activité ne peut compromettre ni la recherche ni l'exercice d'un emploi.
[Le défendeur] soutient que, dans son cas, ces conditions sont réunies, en telle sorte qu'il pouvait exercer l'activité sans déclaration préalable.
Première condition
[Le défendeur] relève qu'auparavant, il a exercé une activité en tant que travailleur salarié chargé de la gestion journalière de la société et que, suite à la mise en prépension, il a été nommé administrateur, étant remplacé dans sa fonction de gestionnaire par un autre salarié.
Il semble donc en déduire que l'activité n'est pas réellement intégrée dans le courant des échanges économiques des biens et des services.
Quelle distinction faut-il faire entre une activité intégrée et une activité réellement intégrée ?
Il ne peut s'agir que de la distinction entre une situation théorique et celle rencontrée dans un cas d'espèce ; ainsi, en principe, un mandat d'administrateur est une activité intégrée mais il se peut que, dans certaines circonstances, cette activité ne soit pas réellement intégrée, situation qui peut se présenter lorsque l'activité exercée est dérisoire et donc n'est pas d'une grande utilité à la bonne fin de l'entreprise.
Il n'est pas requis pour autant qu'il soit établi que le chômeur n'exerce aucune activité quelconque à peine de rendre le texte réglementaire incohérent puisque cette précision a été ajoutée et ne peut être négligée ou tenue pour insignifiante alors qu'il faut partir du principe selon lequel le texte légal ou réglementaire doit avoir une signification.
En l'espèce, la société est une société coopérative dont la gestion journalière est en fait confiée à un gérant salarié placé sous la surveillance d'un conseil d'administration.
Si les statuts de la société coopérative prévoient (article 17) que le conseil d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus, ils permettent aussi la délégation de ces pouvoirs en tout ou en partie (article 18). Cette délégation est donc conforme aux statuts et rien n'indique que cette délégation n'est pas réelle comme elle l'a été au temps où [le défendeur] était gérant salarié.
[Le défendeur] soutient sans être démenti [.] que le conseil d'administration dont il a fait partie s'est réuni trois ou quatre fois par an.
Dans ces conditions, l'activité d'administrateur exercée dans cette petite société coopérative (dont il faut souligner que les statuts doivent se conformer à l'arrêté royal du 8 janvier 1962 et spécialement à son article 2, tel qu'il a été modifié par l'arrêté royal du 24 septembre 1986, qui impose la gratuité des mandats d'administrateur hormis d'éventuels jetons de présence) ne peut être qualifiée de réellement intégrée.
Par ailleurs, le mandat est gratuit et [le défendeur] ne possède que 2.000 parts de coopérateurs sur 30.500. Il n'est par ailleurs pas soutenu que des jetons de présence auraient été alloués.
La première condition est dès lors remplie dans les deux composantes qu'elle contient.
Deuxième condition
L'activité ne peut permettre que de conserver ou d'accroître modérément la valeur des biens.
Tel a été manifestement le cas en l'espèce.
Non seulement l'importance relative des parts dont [le défendeur] a la propriété est minime (moins de 7 p.c.) mais encore l'activité exercée par [le défendeur] dans le cadre de son mandat n'était pas réellement importante et n'a pu accroître la valeur des biens.
Troisième condition
Par son ampleur, l'activité ne peut compromettre ni la recherche ni l'exercice d'un emploi.
Comme indiqué ci-dessus, l'activité exercée a été minime mais, en outre, le défendeur était déjà prépensionné à temps plein, ce qui semble avoir échappé au directeur lorsqu'il a pris la décision litigieuse.
Dès lors, les trois conditions requises par l'article 45, dernier alinéa, étaient réunies et l'activité pouvait être exercée sans déclaration préalable.
La décision doit par voie de conséquence être annulée et [le défendeur] être rétabli dans ses droits".
Griefs
Aux termes de l'article 44 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, pour pouvoir bénéficier d'allocations de chômage, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.
En vertu de l'article 45, alinéa 1er, 1°, de cet arrêté, il faut considérer comme travail, pour l'application de l'article 44, l'activité effectuée par le chômeur pour son propre compte qui peut être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qui n'est pas limitée à la gestion normale des biens propres.
En son alinéa 7, l'article 45 dispose que, pour l'application de l'alinéa 1er, 1°, de cet article, une activité n'est considérée comme limitée à la gestion normale des biens propres que s'il est satisfait simultanément aux trois conditions rappelées par l'arrêt et, en premier lieu, à la condition que l'activité n'est pas réellement intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et "n'est pas exercée dans un but lucratif".
L'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants prévoit
- en son alinéa premier, que toute personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n'est pas engagée dans les liens d'un contrat de travail ou d'un statut doit être considérée comme un travailleur indépendant;
- en son alinéa [4], que les personnes désignées comme mandataires dans, notamment, une société assujettie à l'impôt belge des sociétés sont présumées de manière irréfragable exercer en Belgique une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant. Or, une activité professionnelle implique nécessairement une activité exercée dans un but lucratif, même si en fait elle ne produit pas de revenus.
Comme il ressort des constatations de l'arrêt, le défendeur était administrateur d'une société coopérative et pareille société est assujettie à l'impôt belge des sociétés. En raison de son mandat d'administrateur, le défendeur devait donc être considéré comme exerçant une activité professionnelle à but lucratif.
Il s'ensuit qu'en fondant sa décision sur la gratuité de ce mandat et l'activité minime exercée par le défendeur, l'arrêt méconnaît la règle que, pour pouvoir être considérée comme une activité limitée à la gestion normale des biens propres, et comme ne constituant dès lors pas un travail inconciliable avec le bénéfice des allocations de chômage, cette activité ne peut être exercée dans un but lucratif (violation des articles 44, 45, alinéas 1er, 1°, et 7, 1°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage), méconnaît les effets de la présomption irréfragable selon laquelle l'administrateur d'une société commerciale doit être considéré comme exerçant une activité professionnelle, partant lucrative, en tant que travailleur indépendant (violation de l'article 3, § 1er, alinéas 1er et 4, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, modifié par l'arrêté royal du 18 novembre 1996), violant en outre les autres dispositions de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage visées en tête du moyen.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Attendu qu'aux termes de l'article 44 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, pour pouvoir bénéficier des allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté;
Qu'en vertu de l'article 45, alinéa 1er, 1°, de cet arrêté, est considérée comme travail, pour l'application de l'article 44, l'activité effectuée pour son propre compte qui peut être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qui n'est pas limitée à la gestion normale des biens propres;
Que l'article 45, dernier alinéa, du même arrêté dispose que, pour l'application de l'alinéa 1er, 1°, une activité n'est considérée comme limitée à la gestion normale de biens propres que s'il est satisfait simultanément à trois conditions dont la première est de n'être pas réellement intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et de n'être pas exercée dans un but lucratif;
Attendu que l'exercice du mandat d'administrateur d'une société commerciale constitue une activité effectuée pour son propre compte au sens de l'article 45, alinéa 1er, 1°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991;
Que pareille activité professionnelle est exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus; qu'elle n'est dès lors pas une activité limitée à la gestion normale de biens propres au sens de l'article 45, dernier alinéa, de cet arrêté;
Attendu que l'arrêt qui, pour décider que l'activité d'administrateur d'une société coopérative exercée par le défendeur répond à la première des conditions prévues à l'article 45, dernier alinéa, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, a égard à l'importance minime de cette activité, à la gratuité de son mandat et à l'absence de distribution de jetons de présence, ainsi qu'au nombre limité de parts de coopérateur qu'il possède, viole les dispositions légales précitées;
Que le moyen est fondé;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel principal;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Bruxelles.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent trente-deux euros quarante et un centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Christine Matray et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du trois janvier deux mille cinq par le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.