P & V ASSURANCES, société coopérative dont le siège social est établi à Saint-Josse-ten-Noode, rue Royale, 151,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Adolphe Houtekier, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Malines, Battelsesteenweg, 95, où il est fait élection de domicile,
contre
ERJI GARDEN, société anonyme dont le siège social est établi à Corbais, Grand'Route, 69,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. D. G.,
2. D. Y.,
parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 juin 2002 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 1er de la Convention Benelux relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, faite à Luxembourg le 24 mai 1966, approuvée par la loi du 10 février 1968;
- articles 1er, 2, § 1er, 3, §§ 1er et 3, des dispositions communes annexées à la Convention Benelux du 24 mai 1966 mentionnée ci-dessus;
- article 149 de la Constitution;
- articles 1108, 1126, 1134 et 1135 du Code civil;
- article 1er de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances en général, formant le titre X du livre Ier du Code de commerce;
- article unique de la loi du 19 février 1968 portant approbation de la Convention Benelux conclue à Luxembourg le 24 mai 1966 et relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, des dispositions communes annexée à cette convention et du protocole de signature;
- articles 1er, 2, § 1er, alinéa 1er, et 6, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs;
- article 1A de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres;
- article 1er de l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt de réformation condamne la demanderesse à garantir la défenderesse de toutes les sommes qu'elle paiera à G. D. et Y. D. ensuite de la condamnation prononcée à sa charge aux motifs que, suivant le devis du 1er février 1997, G. D. et J.-M. D. ont passé commande auprès de la [défenderesse] pour l'abattage de dix peupliers, ces travaux comprenant le «démontage, l'évacuation, le débitage et la destruction des branches», étant entendu que l'accès au lieu d'abattage devait être possible avec un tracteur«pour évacuer le bois et arrimer les arbres»; que le prix convenu était de 160.000 francs, hors la taxe sur la valeur ajoutée; que les travaux ont débuté en février; qu'après avoir été interrompus en raison des intempéries, ils ont été achevés le 24 avril 1997; qu'à cette date, il a été procédé à l'évacuation du bois à l'aide d'un camion de vingt tonnes; qu'un tracteur a été utilisé afin de fournir une plus grande force motrice au camion et d'éviter ainsi qu'il ne s'embourbe en circulant sur le terrain ici en cause; que, par lettre du 25 avril 1997, les époux D.-D. ont confirmé à la [défenderesse] l'existence des dégâts encourus à la suite desdits travaux: «une berge de l'étang complètement renversée par le fait d'être passé avec des charges trop lourdes, sur les lieux des travaux, des ornières d'environ soixante centimètres ont également été occasionnées, un arbre ornemental a été coupé sur notre terrain, la clôture entre notre propriété et la propriété voisine a été arrachée, de plus vous avez roulé sur le terrain [du] voisin, lequel venait de semer une nouvelle pelouse, par conséquent vous avez occasionné des ornières d'environ soixante centimètres sur ce terrain»; qu'ils prenaient note que la [défenderesse] ferait intervenir son assureur en responsabilité civile professionnelle; que la défenderesse a déclaré le sinistre à la [demanderesse] dans le cadre de la police de responsabilité civile véhicule automoteur contractée auprès de cette compagnie; que, par courrier du 3 juillet 1997, celle-ci a informé les parties D.-D. qu'en possession du rapport de son inspecteur, elle déclinait son intervention, «les circonstances dans lesquelles le dommage [s'était] produit [relevant] de la responsabilité civile ou exploitation»; que la [défenderesse] a, par acte du 6 mars 1998, cité la [demanderesse] en intervention et garantie, estimant que si, malgré sa contestation, sa responsabilité était retenue, ladite compagnie devrait alors fournir sa garantie dans le cadre de la police de responsabilité civile véhicule automoteur contractée auprès d'elle puisque le camion et le tracteur, formant un tout, étaient, lorsqu'ils ont occasionné le dommage, affectés uniquement au transport du bois; que, se fondant sur un arrêt du 23 octobre 1984 de la Cour de justice Benelux, la [demanderesse] a fait valoir, d'une part, que «la responsabilité de dommages résultant des manouvres d'un véhicule automoteur sans qu'il y ait de la part de celui-ci participation à la circulation ne constitue pas une responsabilité couverte par l'assurance de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs» et, d'autre part, que le risque de circulation devait être exclu dès lors que le dommage n'avait pas été causé d'une manière qui est caractéristique du dommage causé par un véhicule à moteur; qu'il n'est pas sérieusement contestable que la [défenderesse] devait, en sa qualité de professionnelle, notamment s'assurer, au préalable, que ses véhicules pouvaient circuler sans encombre sur le terrain pour effectuer le transport du bois; qu'il lui appartenait d'adapter son intervention à la disposition des lieux et aux effets des conditions climatiques; qu'elle eût pu réaliser le transport du bois de manière plus appropriée en ayant recours, par exemple, à des véhicules plus légers; qu'en agissant comme elle le fit, la [défenderesse] a eu un comportement fautif; que la mention figurant au contrat, aux termes de laquelle l'accès devait être possible avec un tracteur pour évacuer les bois et arrimer les arbres, est d'autant moins de nature à énerver les constatations qui précèdent qu'elle vise un tracteur et non pas un camion de vingt tonnes; que le comportement dénoncé est en relation causale avec le dommage subi par G. D. et Y. D.; que la [défenderesse] en doit donc réparation; qu'au moment où s'est produit le sinistre, le camion et le tracteur servaient exclusivement au transport, vers un endroit non précisé, du bois provenant de l'abattage de dix peupliers; que ces véhicules ne faisaient donc pas, à cet instant, office de machine-outil; qu'ils ne constituaient rien d'autre que des véhicules automoteurs destinés au transport de choses; que l'arrimage du camion au tracteur afin de permettre, à l'ensemble, grâce à une force motrice accrue et plus efficace, de franchir un endroit assurément peu praticable, ne modifie pas la nature des véhicules composant cet ensemble; qu'il s'ensuit que, lorsqu'ils ont causé le dommage, le camion et le tracteur participaient à la circulation; que l'affaissement du sol et l'effondrement consécutif de la berge de l'étang sous l'effet des poussées latérales exercées contre celle-ci sont des dommages causés d'une manière qui est caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation; que la [demanderesse] doit donc sa garantie.
Griefs
1. Première branche
La demanderesse faisait expressément valoir dans ses conclusions d'appel que, d'une part, elle était uniquement l'assureur de la responsabilité civile découlant de l'emploi du tracteur «Fendt» et que, d'autre part, le déplacement de ce tracteur était intimement lié à l'enlèvement des bois et faisait partie des travaux d'exploitation étrangers à la circulation; que, contrairement à ce que faisait valoir la défenderesse, il y a un parallélisme entre le cas du tracteur qui tire une arracheuse de pommes de terre; que le tracteur fournit sa force motrice, dans le premier cas, au camion affecté à l'enlèvement des bois et, dans l'autre cas, à l'arracheuse de pommes de terre; la demanderesse [avait] rappelé que, suivant l'arrêt de la Cour de justice Benelux du 23 octobre 1984, le seul déplacement du véhicule ne suffit pas à caractériser le risque de circulation mais qu'il faut, en outre, que le déplacement ne puisse pas uniquement être envisagé comme une partie des travaux d'exploitation et que le dommage causé soit caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation, et qu'en l'espèce, ce n'était pas le seul déplacement du véhicule qui était en cause mais les passages répétés du convoi et le poids du camion et de son chargement (cfr lettre de D. du 18 novembre 1997, faisant état de l'évacuation de cent cinquante stères de bûches par un camion de vingt tonnes ayant entraîné plusieurs passages du camion).
L'arrêt ne répond pas à suffisance de droit à cette défense, dans laquelle la demanderesse soutenait que le dommage litigieux n'était pas caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation et qu'il était causé par les passages répétés du tracteur, tirant le camion lourdement chargé, sur les lieux des travaux qui avaient pour objet l'arrimage et l'évacuation de dix peupliers. L'arrêt est dès lors irrégulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
2. Deuxième branche
Le dommage a été causé par le tracteur, en tirant sur les lieux des travaux le camion de vingt tonnes lourdement chargé des bois coupés, afin de fournir une plus grande force motrice au camion pour qu'il ne s'embourbe pas en circulant sur le terrain ici en cause. Ce dommage consistait dans l'affaissement d'une partie de la berge le long du lac sur lequel le tracteur tirait ainsi en avant le camion et dans le creusement d'ornières de soixante centimètres. Il ressort de ces constatations de l'arrêt que le dommage a été réalisé par le tracteur et sa charge au moment où il fournissait sa force motrice au camion pour éviter son embourbement et que le tracteur était alors utilisé comme un engin prêtant sa force motrice au camion. Le tracteur était ainsi utilisé principalement comme engin mobile exécutant le travail de tirer le camion chargé des bois de peupliers et accessoirement pour le déplacement. Le fait que le transport s'effectuait vers un endroit non précisé n'est pas de nature à faire participer le tracteur à la circulation, l'appréciation de cette question devant se faire au moment où le dommage, à savoir l'affaissement de la berge, a été réalisé. A ce moment, le tracteur prêtait sa force motrice au camion pour l'évacuation des bois sur les lieux du travail et ne participait pas à la circulation, dont la notion légale a ainsi été méconnue par l'arrêt (violation des articles 1er de la Convention Benelux du 24 mai 1996, 1er, 2, § 1er, 3, §§ 1er et 3, des dispositions communes annexées à la Convention Benelux du 24 mai 1966, unique de la loi du 19 février 1968, 1er, 2, § 1er, alinéa 1er, 6, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 et 1er de l'arrêté royal du 1er décembre 1975). Il s'ensuit que la réparation du dommage occasionné par le tracteur n'incombait pas à la demanderesse, qui était l'assureur de la responsabilité civile automobile et non de la responsabilité d'exploitation (violation des articles 1108, 1126, 1134, 1135 du Code civil, 1er de la loi du 11 juin 1874 et 1A de la loi du 25 juin 192).
3. Troisième branche
Le dommage causé par le tracteur, en tirant le camion de vingt tonnes chargé des bois coupés, consistait dans l'affaissement de la berge au bord du lac, sur la propriété des consorts D.-D., et dans le creusement d'ornières de soixante centimètres sur le lieu du travail. Ces dommages, causés par les allées et venues répétées du tracteur en tirant le camion lourdement chargé afin d'éviter son embourbement sur ce terrain, ne sont pas caractéristiques des dommages occasionnés par des véhicules automoteurs dans la circulation. Ces dommages sont en effet liés à l'exécution du travail par le tracteur tirant le camion sur le terrain et sont étrangers à la circulation telle qu'elle est conçue dans le droit du roulage (violation des articles 1er de la Convention Benelux du 24 mai 1966, 1er, 2, § 1er, 3, §§ 1er et 3, des dispositions communes annexées à la Convention Benelux du 24 mai 1966, unique de la loi du 19 février 1968, 1er, 2, § 1er, alinéa 1er, 6, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 et 1er de l'arrêté royal du 1er décembre 1975). Il s'ensuit que la réparation du dommage occasionné par le tracteur n'incombait pas à la demanderesse, qui était l'assureur de la responsabilité civile automobile de ce véhicule (violation des articles 1108, 1126, 1134, 1135 du Code civil, 1er de la loi du 11 juin 1874 et 1A de la loi du 25 juin 1992).
IV. La décision de la Cour
Quant à la première branche:
Attendu que l'arrêt constate que les travaux litigieux, consistant en l'abattage de dix peupliers et comprenant «le démontage, l'évacuation, le débitage et la destruction des branches», «ont débuté en février [1997]; qu'après avoir été interrompus, ils ont été achevés le 24 avril 1997; qu'à cette date, il a été procédé à l'évacuation du bois à l'aide d'un camion de vingt tonnes; qu'un tracteur a été utilisé afin de fournir une plus grande force motrice au camion et d'éviter ainsi qu'il ne s'embourbe sur le terrain»;
Que l'arrêt considère «qu'au moment où s'est produit le sinistre, le camion et le tracteur servaient exclusivement au transport vers un endroit non précisé du bois provenant de l'abattage des dix peupliers; que ces véhicules ne faisaient donc pas, à cet instant, office de machine-outil; qu'ils ne constituaient rien d'autre que des véhicules automoteurs destinés au transport de choses; [.] que, lorsqu'ils ont causé le dommage, le camion et le tracteur participaient à la circulation; que l'affaissement du sol et l'effondrement consécutif de la berge de l'étang sous l'effet des poussées latérales exercées contre celui-ci sont des dommages causés d'une manière qui est caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation»;
Que, par ces énonciations, l'arrêt répond aux conclusions de la demanderesse invoquées au moyen, en cette branche, et motive régulièrement sa décision «que la [demanderesse] doit donc sa garantie»;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;
Quant aux deuxième et troisième branches:
Attendu que les notions de circulation et, dès lors, de dommages liés à la circulation, au sens des articles 2, § 1er, et 3
de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs doivent être définies conformément à l'interprétation donnée par la Cour de justice Benelux des articles 2, § 1er, et 3, au contenu similaire, des Dispositions communes annexées à la Convention Benelux du 24 mai 1966 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs;
Attendu qu'en son arrêt rendu le 23 octobre 1984 en la cause A 83/2, la Cour de justice Benelux a dit pour droit que la responsabilité de dommages résultant des manouvres d'un véhicule automoteur sans qu'il y ait de la part de celui-ci participation à la circulation ne constitue pas une responsabilité qui doit être couverte en vertu de l'article 3, § 1er, des Dispositions communes précitées; que la circonstance que les dommages sont causés par un véhicule automoteur qui n'est pas conçu, ou ne l'est pas uniquement, pour le transport de personnes ou de choses sur des routes ou des terrains, mais pour servir, exclusivement ou non, d'engin destiné à réaliser des opérations autres que pareil transport, et que ces dommages sont causés alors que le véhicule automoteur est utilisé ainsi en tant qu'engin n'empêche pas de considérer que le véhicule automoteur participait à la circulation à ce moment-là; qu'en particulier, lorsque, en se déplaçant sur une voie publique ou un terrain au sens de l'article 2, § 1er, desdites Dispositions communes, le véhicule automoteur cause des dommages d'une manière qui est caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation, le fait de l'utilisation concomitante du véhicule automoteur comme engin, au sens précité, ne saurait empêcher de considérer que les dommages ont été causés dans la circulation; que, cependant, il n'y a pas lieu de décider que tel est le cas lorsque les déplacements du véhicule automoteur ne peuvent raisonnablement être envisagés que comme une partie des manouvres liées à l'utilisation du véhicule automoteur en tant qu'engin et que les dommages n'ont pas été causés d'une manière qui, pour le reste, est caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation;
Attendu que, par les énonciations reproduites en réponse à la première branche du moyen, l'arrêt, qui, sur la base d'appréciations qui gisent en fait, considère que le tracteur et le camion arrimés l'un à l'autre «compos[aient] un ensemble» ne faisant pas «office de machine-outil», qu'ils étaient «destinés au transport de choses» et que les dommages subis par l'auteur des parties appelées en déclaration d'arrêt commun ont été «causés d'une manière qui est caractéristique des dommages provoqués par les véhicules automoteurs dans la circulation», justifie légalement ses décisions que le véhicule litigieux participait à la circulation et que la réparation des dommages qu'il a causés devait être garantie par la demanderesse;
Qu'en ces branches, le moyen ne peut être accueilli;
Et attendu que le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quatre-vingt-un euros cinquante-six centimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux cent trente-trois euros quatre-vingt-deux centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Albert Fettweis, Daniel Plas et Christine Matray, et prononcé en audience publique du six janvier deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général délégué Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.