FONDS COMMUN DE GARANTIE AUTOMOBILE, dont le siège est établi à Saint-Josse-ten-Noode, rue de la Charité, 33,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile,
contre
ELECTRABEL, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard du Régent, 8,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile,
en présence de
WINTERTHUR-EUROPE ASSURANCES, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue des Arts, 56, ayant succédé aux droits de la société anonyme CGU,
partie appelée en intervention et en déclaration d'arrêt commun,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile, prêtant son ministère en remplacement de feu Maître René Bützler.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 avril 2002 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 1315 du Code civil ;
- article 870 du Code judiciaire ;
- article 50, spécialement § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances (devenu article 80, § 1er, 2°, de la même loi, conformément à la numérotation modifiée par l'arrêté royal du 12 août 1994) ;
- articles 14 et 19, spécialement § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 16 décembre 1981 portant mise en vigueur et exécution des articles 49 et 50 (devenus 79 et 80) de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances ;
- principe général du droit relatif à la charge de la preuve en matière répressive.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que, le 16 novembre 1986, alors qu'il circulait sur l'autoroute E 411 en direction de Bruxelles, à hauteur de Tourinnes-SaintLambert, le véhicule de C. A. «s'est déporté vers la droite, a quitté l'autoroute, a poursuivi une trajectoire rectiligne d'abord sur l'accotement herbeux puis dans un champ en pente, pour terminer sa course en percutant une cabine à haute tension appartenant à (la défenderesse) », l'arrêt dit non fondée l'action en réparation de la défenderesse en tant qu'elle était dirigée contre [la partie appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun], couvrant la responsabilité civile de C. A., et fondée en tant qu'elle était dirigée contre le demandeur et condamne, en conséquence, le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 2.476,58 euros, outre les intérêts, et [les] dépens des deux instances, par les motifs suivants:
« 1. La partie [appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun], compagnie d'assurances en responsabilité civile, observe que la (défenderesse) a, en sa qualité de demanderesse originaire, la charge de la preuve, d'une part, d'une faute imputable au conducteur et, d'autre part, du lien nécessaire entre cette faute et le dommage dont elle réclame la réparation, en vertu de l'article 1382 du Code civil.
La (défenderesse) invoque une contravention commise par le conducteur à l'article 8.3 de l'arrêté royal du 1er décembre 1975 suivant lequel 'tout conducteur doit être en état de conduire, présenter les qualités physiques requises et posséder les connaissances et l'habileté nécessaires. Il doit être constamment en mesure d'effectuer toutes les manouvres qui lui incombent et doit avoir constamment le contrôle du véhicule qu'il conduit'.
La Cour de cassation a toutefois observé que lorsqu'une partie fonde son action sur l'infraction commise par un conducteur aux [dispositions] des articles 8.3 et 10.1.1°, elle conserve la charge de la preuve devant le juge du fond que ce conducteur n'a pas eu constamment le contrôle de son véhicule et qu'il n'a pas réglé sa vitesse dans la mesure requise par les circonstances (...).
Les éléments de fait n'excluent pas l'absence de faute pour le conducteur, rien n'étant à lui reprocher notamment ni quant à la vitesse, ni quant à l'état de son véhicule.
[La partie appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun] soutient, sur la base d'un ensemble d'éléments relevés tant par l'expert en automobile que par le médecin légiste, l'existence d'un cas de force majeure.
La (défenderesse) conteste la présence en l'espèce de cette notion de force majeure en évoquant différentes hypothèses. Toutefois, elle omet que lorsqu'une action en justice est fondée sur une infraction au code de la route, c'est au demandeur à l'action qu'incombe la preuve soit de l'imputabilité de cette infraction au défendeur soit de l'inexistence de la cause de justification alléguée par celui-ci, pour autant que cette allégation ne soit pas dépourvue de tout élément permettant de lui accorder crédit (...).
(La défenderesse) n'établit pas que la force majeure invoquée en l'espèce, qui aurait frappé C. A., soit dépourvue de crédibilité. Partant, l'appel de [la partie appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun] est fondé.
2. Le (demandeur) conteste toute intervention en partageant les considérations (de la défenderesse) quant à l'absence de cas fortuit et de force majeure. Toutefois, la cour [d'appel] a considéré que la force majeure ne peut être écartée.
(La défenderesse) invoque l'article 14 de l'arrêté royal du 16 décembre 1981 portant mise en vigueur et exécution des articles 79 et 80 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances, ces dispositions ayant été respectivement modifiées par l'arrêté royal du 23 octobre 1995 et du 12 août 1994. Sur la base de ces dispositions, le (demandeur) est effectivement tenu d'intervenir pour réparer les dommages 'lorsqu'aucune entreprise d'assurances n'est obligée à ladite réparation en raison (...) d'un cas fortuit exonérant le conducteur du véhicule qui a causé l'accident'.
Or, même s'il n'est pas établi, la cour [d'appel] a relevé que le cas fortuit exonérant le conducteur de sa responsabilité ne peut être écarté eu égard aux éléments de fait. C'est donc en raison d'un cas fortuit exonérant le conducteur qui causa l'accident que [la partie appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun] n'est pas obligée à la réparation.
La requête d'appel (de la défenderesse) contre le (demandeur) sur ce point est fondée ».
Griefs
Aux termes des articles 50, § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 et 19, §1er, de l'arrêté royal du 16 décembre 1981, tels qu'ils étaient applicables à l'espèce, toute personne lésée peut obtenir du Fonds commun de garantie automobile la réparation des dommages causés par un véhicule automoteur lorsqu'aucune entreprise d'assurances n'est obligée à cette réparation notamment en raison d'un cas fortuit exonérant le conducteur du véhicule qui a causé l'accident.
Et il incombe à la victime, qui demande réparation de son préjudice au Fonds commun, d'apporter la preuve qu'il en est ainsi.
Et l'action de la victime, étant fondée non sur une infraction à la loi pénale mais sur les textes cités, est soumise aux règles relatives à la preuve en matière civile et non aux règles relatives à la preuve en matière répressive : condamnation ne peut être prononcée à charge du Fonds commun que si, conformément aux règles de la preuve en matière civile, la victime apporte la preuve qu'aucune entreprise d'assurances agréée n'était obligée à réparation «en raison d'un cas fortuit exonérant le conducteur du véhicule assuré qui a causé l'accident ».
Singulièrement, cette preuve ne saurait se déduire de la circonstance que le conducteur dont la responsabilité est recherchée par la victime sur le fondement d'une infraction pénale ou sa compagnie d'assurance responsabilité civile ont opposé avec succès à l'action de la victime le cas fortuit ou la force majeure comme cause de justification non dénuée de crédit.
Il s'en déduit que l'arrêt n'a pu légalement prononcer condamnation à charge du demandeur dès lors que l'action dirigée contre la défenderesse (lire: la partie appelée en intervention et déclaration d'arrêt commun), dans la même instance, sur le fondement d'une infraction à la loi pénale reprochée à son assuré C. A., a été dite non fondée aux motifs que « les éléments de fait n'excluent pas l'absence de faute pour le conducteur, rien n'étant à lui reprocher notamment ni quant à la vitesse, ni quant à l'état de son véhicule », et que « la force majeure », dans le chef de son assuré, invoquée par [la partie susvisée] comme cause de justification de l'infraction qui lui était reprochée, n'est pas « dépourvue de crédibilité ».
Et la preuve exigée de la défenderesse, suivant les règles rappelées, ne saurait se déduire non plus, légalement, des autres motifs critiqués de l'arrêt, et singulièrement de la circonstance, rappelée à nouveau par l'arrêt, que, «même s'il n'est pas établi, la cour [d'appel] a relevé que le cas fortuit exonérant le conducteur de sa responsabilité ne peut être écarté eu égard aux éléments de fait ».
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen:
Attendu qu'en vertu des articles 50, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances et 19, § 1er, de l'arrêté royal du 16 décembre 1981 portant mise en vigueur et exécution des articles 49 et 50 de cette loi, dans leur version applicable au litige, toute personne lésée peut obtenir du Fonds commun de garantie automobile la réparation des dommages causés par un véhicule automoteur lorsqu'aucune entreprise d'assurances agréée n'est obligée à cette réparation notamment en raison d'un cas fortuit exonérant le conducteur du véhicule qui a causé l'accident;
Attendu que, dès lors que l'action formée par la défenderesse contre le demandeur n'est pas fondée sur une infraction à la loi pénale mais sur les dispositions légales précitées et que le demandeur n'a pas invoqué une cause de justification, il appartient à la défenderesse de prouver l'existence du cas fortuit qu'elle invoque, conformément aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire;
Attendu que l'arrêt déclare fondé l'appel de la défenderesse contre le demandeur par les motifs que «même s'il n'est pas établi, (.) le cas fortuit exonérant le conducteur de sa responsabilité ne peut être écarté eu égard aux éléments de fait» et que «c'est donc en raison d'un cas fortuit exonérant le conducteur qui causa l'accident que (son assureur) n'est (pas) obligé à la réparation»;
Qu'ainsi l'arrêt, qui condamne le demandeur sans que soit légalement rapportée la preuve d'un cas fortuit, viole les dispositions légales et le principe général du droit visés au moyen;
Que le moyen est fondé;
Et attendu que la défenderesse suggère à la Cour de poser à la Cour d'arbitrage les questions préjudicielles suivantes:
«1. L'article 50, spécialement § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances, actuellement 80, § 1er, 2°, de la même loi, combiné avec l'article 1315 du Code civil, avec l'article 870 du Code judiciaire et avec le principe général du droit relatif à la charge de la preuve en matière répressive, interprété en ce sens que cette disposition légale exige que la victime d'un accident qui agit contre le Fonds commun de garantie automobile doit supporter le fardeau de la preuve du cas fortuit qu'elle allègue pour obtenir l'application de ces dispositions légales et que cette preuve n'est pas rapportée par la circonstance, même judiciairement établie, qu'aucune entreprise d'assurances n'est obligée à réparation en raison d'un cas fortuit, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution?
2. L'article 50, spécialement § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances, actuellement 80, § 1er, 2°, de la même loi, combiné avec l'article 1315 du Code civil, avec l'article 870 du Code judiciaire et avec le principe général du droit relatif à la charge de la preuve en matière répressive, interprété en ce sens que cette disposition légale n'exige pas que la victime d'un accident qui agit contre le Fonds commun de garantie automobile doit supporter le fardeau de la preuve du cas fortuit qu'elle allègue pour obtenir l'application de ces dispositions légales et qu'il lui suffit de rapporter la preuve de la circonstance, le cas échéant judiciairement établie, qu'aucune entreprise d'assurances n'est obligée à réparation en raison d'un cas fortuit, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution?»;
Attendu que la Cour n'est pas tenue de poser à la Cour d'arbitrage ces questions qui ne dénoncent pas une distinction opérée par la loi entre des personnes se trouvant dans la même situation juridique et auxquelles s'appliqueraient des règles différentes;
Sur la demande en intervention et en déclaration d'arrêt commun:
Attendu que la décision de rejeter la demande dirigée par la défenderesse contre la partie appelée en intervention et en déclaration d'arrêt commun n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation; que cette décision n'est pas affectée par le pourvoi du demandeur concernant la décision rendue sur la demande que la défenderesse avait formée contre lui et que la cassation de cette dernière décision est sans incidence sur la décision de l'arrêt relative à la demande de la défenderesse contre la partie appelée en intervention et en déclaration d'arrêt commun;
Que, faute d'intérêt, la demande est irrecevable;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le fondement de l'appel dirigé par la défenderesse contre le demandeur et sur les dépens entre ces parties;
Rejette la demande en intervention et en déclaration d'arrêt commun;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Condamne la défenderesse aux dépens relatifs à la demande en intervention et en déclaration d'arrêt commun;
Réserve le surplus des dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent septante-cinq euros soixante-quatre centimes envers la partie demanderesse, à la somme de cent soixante-trois euros septante-six centimes envers la partie défenderesse et à la somme de cent trente euros onze centimes relatif à sa demande en intervention et en déclaration d'arrêt commun et à la somme de deux cent cinquante-cinq euros vingt-trois centimes envers la partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
Ainsi jugé par
la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Didier Batselé, Daniel Plas, Christine Matray et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du dix février deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général délégué Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.