O.N.S.S.,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
contre
B.M.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 14novembre 2002 par la cour du travail de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section RobertBoes a fait rapport.
L'avocat général AnneDeRaeve a conclu.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
-article 2, plus spécialement alinéa1er, de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs;
-article14 de la loi du 27juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs;
-article23, alinéas1er et 2, de la loi du 29juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés;
-article1134 du Code civil;
-articles2, 3 et 20, 3°, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail;
Décisions et motifs critiqués
Après avoir estimé que le demandeur a apporté la preuve de ce que V.O. a exécuté des prestations pour la défenderesse sous l'autorité, la direction et la surveillance de la défenderesse, l'arrêt décide que:
"(La défenderesse) est redevable des cotisations de sécurité sociale calculées pour les prestations de V.O. sur la base de la rémunération à laquelle celui-ci a droit (articles14 de la loi du 27juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et 2de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs);
(V.O.) n'ayant pas droit à une rémunération horaire de 700francs (?17,35) pour les prestations qu'il a exécutées en qualité de travailleur, la base de calcul des cotisations précitées est moins importante et (le demandeur) est tenu de procéder à un nouveau calcul en fonction des rémunérations payées aux travailleurs de (la défenderesse) pour l'exécution de prestations similaires au cours de la même période".
Dans l'attente de ce nouveau calcul du montant des cotisations de sécurité sociale, l'arrêt renvoie la cause au rôle particulier.
Griefs
Conformément aux articles14 de la loi du 27juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et 23, alinéas 1er et 2, de la loi du 29juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, les cotisations de sécurité sociale sont calculées sur la base de la rémunération des travailleurs, telle qu'elle est déterminée par l'article2 de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.
Aux termes de l'article2 de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la loi entend par rémunération "le salaire en espèces et les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement".
L'avantage octroyé au travailleur fait partie de la rémunération au sens de l'article2 de loi du 12avril 1965 précitée, lorsque le travailleur individuel puise dans son engagement le droit de se prévaloir de cet octroi à l'égard de son employeur dans les limites des conditions consenties.
Le statut social du travailleur indépendant qui exécute en réalité ses prestations pour un maître d'ouvrage en qualité de travailleur salarié, en d'autres termes, sous les liens d'un contrat de travail, doit néanmoins être reconsidéré et, la législation en matière de sécurité sociale étant d'ordre public, le demandeur est obligé de régulariser les cotisations de sécurité sociale avec effet rétroactif.
En raison de la requalification du statut social de l'intéressé, le maître de l'ouvrage - en réalité l'employeur d'un prétendu travailleur indépendant - est tenu de payer les cotisations de sécurité sociale découlant de cette occupation.
La base de calcul de ces cotisations est constituée de tous les avantages perçus par le prétendu travailleur indépendant à titre de rémunération pour l'exécution des prestations prévues au contrat avec le maître de l'ouvrage-employeur.
En l'espèce, la cour du travail a constaté que, les parties ayant convenu d'une rémunération horaire de 700francs (?17,35) indépendamment de la nature du travail ou de son degré de difficulté, J.V.O. a le droit, en vertu de ce contrat, de réclamer le paiement de cette rémunération à charge de la défenderesse en contrepartie des prestations exécutées pour celle-ci (voir les articles2, 3 et 20,3°, de loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail).
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (article1134 du Code civil).
Ainsi, c'est à tort que la cour du travail a décidé que J.V.O. n'avait pas droit à la rémunération horaire de 700francs (?17,35).
La thèse suivant laquelle J.V.O. aurait nettement moins gagné pour ces prestations en qualité de travailleur salarié qu'en qualité de travailleur indépendant, n'empêche pas que la rémunération horaire convenue lui est due et lui a été payée.
En conséquence, les rémunérations horaires nettement inférieures à 700francs (?17,35) perçues par les travailleurs réguliers de la défenderesse pour un même travail ne font pas obstacle à ce que les cotisations de sécurité sociale soient calculées en fonction des indemnités perçues par J.V. en exécution de son contrat, même si celui-ci a été renommé.
Le juge qui requalifie un statut social reste néanmoins tenu au respect des stipulations des parties concernant la rémunération des prestations de travail. En d'autres termes, s'il n'est pas lié par la qualification donnée au contrat par les parties, le juge est lié par les stipulations du contrat concernant la rémunération des prestations exécutées. Ce contrat tient lieu de loi aux parties (article1134, alinéa1er, du Code civil) et, en l'espèce, oblige la défenderesse à payer la rémunération convenue (article20, 3°, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail).
En décidant que J.V.O. n'a pas droit à une rémunération horaire de 700francs (?17,35) pour les prestations qu'il a exécutées en qualité de travailleur et que le demandeur est tenu de procéder à un nouveau calcul en fonction des rémunérations payées aux travailleurs de la défenderesse pour l'exécution de prestations similaires au cours de la même période, l'arrêt attaqué viole la force obligatoire du contrat qui stipule une rémunération horaire fixe de 700francs (?17,35) pour toutes prestations (violation des articles1134 du Code civil, 2, 3 et 20, 3°, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail).
En tant qu'ainsi, elle décide également qu'il ne peut réclamer en qualité de travailleur de la défenderesse la rémunération horaire convenue de 700francs (?17,35), la cour du travail viole également la notion légale de rémunération (violation des articles2 de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, 14 de la loi du 27juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et 23, alinéas1er et 2, de la loi du 29juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés).
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'en vertu de l'article14, §2, de la loi du 27juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, la notion de rémunération sur la base de laquelle les cotisations de sécurité sociale sont calculées est déterminée par l'article2 de la loi du 12avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, c'est-à-dire, le salaire en espèces et les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement;
Attendu que la requalification, par le juge, d'un contrat d'activité indépendante en contrat de travail à la suite de la constatation que les prestations convenues ont été exécutées sous l'autorité d'une des parties, entraîne l'application du régime de sécurité sociale des travailleurs;
Attendu que le montant de la rémunération convenue entre le maître de l'ouvrage et l'ouvrier indépendant dans le cadre du louage d'une activité indépendante peut être fixé en fonction des cotisations dont le travailleur indépendant sera redevable aux caisses d'assurances sociales des travailleurs indépendants;
Que la partie de la rémunération originairement prévue par les parties pour le paiement de la cotisation du travailleur indépendant aux caisses d'assurances sociales des travailleurs indépendants est propre au contrat de louage d'une activité indépendante et non au contrat de travail; que cette partie n'acquiert pas à la suite de la requalification du contrat le caractère d'avantage ou de salaire auxquels le travailleur a droit "en raison de son engagement"; qu'en conséquence, elle ne peut servir de base pour le calcul des cotisations de sécurité sociale des travailleurs;
Que le moyen qui conteste la légalité de la décision des juges d'appel concernant les cotisations de sécurité sociale dues par le seul motif que la rémunération stipulée pour l'activité indépendante doit nécessairement servir de base au calcul des cotisations de sécurité sociale découlant du contrat de travail requalifié, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Robert Boes, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Dhaeyer, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du dix janvier deux mille cinq par le président de section Robert Boes, en présence de l'avocat général Anne De Raeve, avec l'assistance du greffier adjoint délégué Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Philippe Echement et transcrite avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
Le greffier, Le président de section,