B. T.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
VILLE DE MOUSCRON, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis en l'hôtel de ville,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2003 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution;
- article 653 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt décide que «(la demanderesse) ne peut [...] se prévaloir d'aucune présomption légale de mitoyenneté (article 653 du Code civil)». Par voie de conséquence, il réforme la décision du premier juge et déboute la demanderesse de son action en ce qu'elle imputait à la défenderesse une voie de fait (la démolition du mur mitoyen) et réclamait la reconstruction du mur et le paiement d'une indemnité de 1.500.000 francs sous réserve de mieux préciser aux dires d'expert.
Griefs
1. Première branche
L'arrêt décide que la demanderesse ne peut pas se prévaloir de la présomption légale de mitoyenneté prévue par l'article 653 du Code civil mais ne donne pas les motifs de cette décision.
L'arrêt n'est dès lors pas régulièrement motivé en ce qu'il déboute la demanderesse de son action tendant à la reconstruction du mur et au paiement de dommages-intérêts pour sa démolition intempestive par la défenderesse.
2. Deuxième branche
L'article 653 du Code civil dispose que:
« Dans les villes et les campagnes tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen, s'il n'y a titre ou marque du contraire».
L'arrêt relève les éléments de fait suivants :
«(La demanderesse) est propriétaire d'un immeuble sis à Mouscron, rue du Luxembourg, 9, soit une maison d'habitation avec annexes, transformées en emplacements de garages pour voitures loués à des tiers, et jardin d'agrément ;
Cette propriété était clôturée de toutes parts par des murs, mitoyens selon [la demanderesse] ;
La (défenderesse) a acquis un ensemble de bâtiments industriels désaffectés, dénommés 'Le Site Roussel', sis également à la rue du Luxembourg à Mouscron et contigus à la propriété de [la demanderesse], le long des annexes de celle-ci et de son jardin ;
Après démolition des bâtiments existants ainsi que d'une partie du mur séparant les deux propriétés contiguës, qu'elle considère privatif, la [défenderesse] a aménagé sur ce terrain un parking pour 70 véhicules au moins ;
« [La demanderesse] estime qu'il s'agit d'une voie de fait qui lui cause un préjudice évident qu'elle décrit en citation et en conclusions».
Il résulte de ces éléments de fait qu'avant sa démolition, le mur litigieux servait de séparation entre la maison de la demanderesse, ou du moins ses bâtiments annexes, et les bâtiments industriels des anciens établissements «Textiles Roussel».
Conformément au prescrit de l'article 653 du Code civil, le mur était présumé mitoyen puisqu'il séparait deux bâtiments et ne pouvait donc être démoli à l'initiative de la seule défenderesse.
En décidant le contraire, l'arrêt attaqué viole par conséquent ledit article 653 du Code civil.
3. Troisième branche
Quand bien même il n'apparaîtrait pas clairement des constatations de fait de l'arrêt que le mur servait de séparation entre bâtiments, la présomption de mitoyenneté instituée par l'article 653 du Code civil était néanmoins applicable en l'espèce.
L'article 653 du Code civil édicte une présomption de mitoyenneté à propos «des murs servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins».
Ce texte ne signifie pas que la présomption de mitoyenneté ne s'applique pas lorsqu'un mur sépare un jardin et un complexe industriel composé de bâtiments et de cours.
Une telle interprétation aurait pour conséquence absurde qu'un mur séparant deux jardins ou deux cours est présumé mitoyen tandis qu'un mur séparant d'une part une maison d'habitation et son jardin et d'autre part une cour d'usine ne serait pas présumé mitoyen.
Au demeurant, l'utilité commune, base de la présomption légale de mitoyenneté, existe manifestement pour les propriétaires respectifs d'un bâtiment et d'un jardin ou, comme en l'espèce, d'une habitation et d'un jardin contigus à un ensemble de bâtiments industriels et cours.
Comme indiqué ci-dessus, l'arrêt constate à ce propos que la propriété de la demanderesse comprenant une maison d'habitation avec annexes et jardins était clôturée de toutes parts par des murs et était contiguë le long des annexes et du jardin à des bâtiments industriels désaffectés, dénommés «Le Site Roussel», et acquis par la défenderesse.
Il s'ensuit que l'arrêt n'a pu, sans violer l'article 653 du Code civil, décider que la présomption légale de mitoyenneté créée par ledit article 653 n'est pas applicable en l'espèce.
IV. La décision de la Cour
Quant à la première branche:
Attendu que le moyen, en cette branche, invoque un défaut de motivation régulière, sans indiquer la disposition légale qui serait violée;
Que le moyen, en cette branche, est irrecevable;
Quant à la deuxième branche:
Attendu que l'arrêt constate que la demanderesse «est propriétaire d'un immeuble sis à Mouscron, rue du Luxembourg, 9, soit une maison d'habitation avec annexes, transformées en emplacements de garage pour voitures, loués à des tiers, et jardin d'agrément», que la défenderesse «a acquis un ensemble de bâtiments industriels désaffectés (.) sis également à la rue du Luxembourg à Mouscron et contigus à la propriété de (la demanderesse), le long des annexes de celle-ci et de son jardin» et que la défenderesse a démoli «une partie du mur séparant les deux propriétés contiguës», mur dont elle conteste le caractère mitoyen;
Attendu qu'il ne se déduit pas de ces constatations qu'avant sa démolition, ledit mur séparait deux bâtiments;
Que le moyen, en cette branche, manque en fait;
Quant à la troisième branche:
Attendu que l'article 653 du Code civil établit une présomption de mitoyenneté de tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge ou entre cours et jardins;
Que cette présomption ne s'étend pas au mur séparant un bâtiment d'une cour ou d'un jardin;
Que le moyen qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent trente-neuf euros soixante-huit centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent soixante-quatre euros trente-deux centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du treize janvier deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.