RESIDENCE DU GESU, association sans but lucratif dont le siège est établi à Saint-Josse-ten-Noode, chaussée de Haecht, 8,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Brederode, 13, où il est fait élection de domicile,
contre
CERCLE J. NAESSENS, association sans but lucratif dont le siège est établi à Ixelles, rue du Brochet, 55,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 23 décembre 2003 par le tribunal de première instance de Nivelles, statuant en degré d'appel comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 21 décembre 2000.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil;
- articles 6, 23 à 28, 1110 et 1138, 3°, du Code judiciaire;
- principe général du droit dit principe dispositif;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué
«Dit pour droit
- que [la] [.] cassation ne s'étend pas à la recevabilité de la demande de [la défenderesse];
- que le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 avril 1999, en tant qu'il a déclaré l'appel et donc la demande de [la défenderesse] recevables, a acquis force de chose jugée;
Déclare l'appel partiellement fondé;
Met à néant le jugement dont appel en tant qu'il a déclaré la demande non fondée;
Emendant,
Condamne [la demanderesse] à payer à [la défenderesse] une indemnité forfaitaire de vingt-sept mille sept cent cinquante-cinq euros nonante-quatre centimes - 27.775,64 euros (1.119.672 francs), soit 36 x 770,99 euros (31.102 francs), à majorer des intérêts judiciaires depuis la citation du 17 février 1983 (lire: 1993)»;
Avant de statuer plus avant sur le surplus du préjudice, désigne un expert et condamne la demanderesse aux dépens de toutes les instances,
Par les motifs,
«Quant à la recevabilité de la demande de [la défenderesse],
Que, nonobstant l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2000, [la demanderesse] (défenderesse originaire) maintient que la demande de [la défenderesse] tendant à obtenir le paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article 25, alinéa 1er, 3°, de la loi sur les baux commerciaux serait irrecevable au motif, d'une part, que la cession intervenue entre elle et la demoiselle F., locataire principale, lui serait inopposable et, d'autre part, que ladite [défenderesse], en tant que sous-locataire, n'aurait aucun droit personnel à l'indemnité d'éviction;
Qu'il s'agit de préciser la limite de la saisine du tribunal de céans ensuite de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2000; que la Cour de cassation n'avait pas été saisie d'un pourvoi portant sur la recevabilité de la demande de [la défenderesse] mais d'un pourvoi relatif à l'interprétation des articles 25, alinéa 1er, et 28 de la loi sur les baux commerciaux, et notamment à la question de la naissance du droit à l'indemnité visée par ces dispositions ou du moment auquel pouvait être conclu l'accord visé par l'alinéa premier de l'article 25 de ladite loi; que, comme l'a dit la doctrine la plus autorisée en la matière, 'l'annulation d'un jugement ou d'un arrêt, si généraux et absolus que soient les termes dans lesquels elle a été prononcée par la Cour de cassation, est limitée à la portée du moyen qui lui a servi de base, de sorte qu'elle laisse subsister, comme passées en force de chose jugée, toutes les dispositions non attaquées par le pourvoi' (E. Krings, «L'étendue de la cassation», Act. dr., 1995, 999; A. Meeùs, «L'étendue de la cassation en matière civile», R.C.J.B., 1986, 265; Cass., 21 juin 1982, Pas., 1982, I, 1226);
Qu'il en résulte que, 'même si l'arrêt ne limite pas la cassation, le juge de renvoi ne peut connaître des points qui avaient été résolus par la décision cassée et dont la Cour de cassation n'a pas été saisie par le pourvoi, cette décision ayant en ce qui les concerne force de chose jugée';
Qu'ainsi, il est admis que, 'si le moyen qui entraîne la cassation a trait au fond du litige et ne met pas en cause la légalité des dispositifs relatifs à la compétence du juge ou à la recevabilité de l'action, de l'opposition ou de l'appel, la cassation, même si elle est prononcée sans réserve, ne remettra pas en règle ces derniers points en discussion devant le juge de renvoi; ils sont définitivement jugés';
Que l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2000 n'ayant pas mis en cause la légalité du jugement du tribunal de première instance de Bruxelles portant sur la recevabilité de la demande originaire, il a été définitivement jugé que cette demande était recevable; que [la demanderesse] ne peut donc plus soulever l'irrecevabilité de la demande qui a été définitivement jugée; que, le tribunal n'en étant pas saisi, il serait dès lors contraire à la limite de sa saisine d'examiner une nouvelle fois cette recevabilité».
Griefs
La cassation d'un jugement ou d'un arrêt, si généraux que soient les termes dans lesquels elle est prononcée, est, certes, limitée à la portée du moyen qui en est le fondement.
Toutefois, dans l'hypothèse d'une cassation, il appartient au juge de renvoi de se prononcer aussi sur ce qui était, au point de vue de [l'étendue de] la cassation, un dispositif non distinct ne pouvant à ce moment être attaqué par aucune des parties.
Encore qu'il n'ait pas été visé par la cassation, constitue un dispositif qui n'était pas distinct du dispositif expressément cassé le dispositif qui ne pouvait faire l'objet d'un pourvoi recevable d'aucune des parties en cause alors qu'il pouvait porter grief à l'une de ces parties dès l'instant où les autres dispositifs qui la concernaient étaient cassés.
Dans ce cas, ce dispositif non distinct est implicitement compris dans la cassation et les parties sont recevables à soumettre à nouveau la question en litige au juge appelé à statuer ensuite du renvoi.
En l'espèce, la défenderesse avait formé un pourvoi à l'encontre du jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 avril 1999 en tant que celui-ci avait déclaré sa demande originaire non fondée.
Le même jugement du 15 avril 1999 avait rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par la demanderesse à l'égard de la demande originaire de la défenderesse.
Même si elle n'avait pas obtenu gain de cause quant à la question de l'irrecevabilité de la demande de la défenderesse, la demanderesse n'avait aucun intérêt à former un pourvoi dans la mesure où le tribunal de première instance de Bruxelles avait rejeté la demande de la défenderesse sur le fond. Tout pourvoi que la demanderesse aurait formé sur la question de recevabilité, tranchée par le jugement du 15 avril 1999, aurait été déclaré irrecevable à défaut d'intérêt dans le chef de la demanderesse. La défenderesse n'avait pas davantage intérêt à former un pourvoi sur la question de la recevabilité de sa demande originaire, le jugement du 15 avril 1999 ayant déclaré celle-ci recevable.
Les dispositifs du jugement du 15 avril 1999 sur la recevabilité et sur le fondement de la demande originaire constituaient donc des dispositifs non distincts au sens de la jurisprudence de la Cour.
Dans ces conditions, même si l'arrêt du 21 décembre 2000 prononce la cassation du jugement attaqué sans autre précision et même si le pourvoi de la défenderesse se limitait à critiquer le jugement du 15 avril 1999 statuant sur le fondement de sa demande originaire, la cassation s'étendait également au dispositif du jugement du 15 avril 1999 statuant sur la recevabilité de la demande originaire de la défenderesse.
Par conséquent, le tribunal de première instance de Nivelles, statuant sur renvoi après l'arrêt du 21 décembre 2000, était bien saisi de la question de la recevabilité de la demande originaire de la défenderesse.
La demanderesse a rappelé ces principes en ses conclusions additionnelles d'appel et a dès lors sollicité que le juge de renvoi se prononce à nouveau sur la question de la recevabilité de la demande originaire de la défenderesse.
Le jugement attaqué, qui refuse de se prononcer sur la question de la recevabilité de la demande originaire de la défenderesse au motif que l'arrêt de la Cour du 21 décembre 2000 n'aurait pas mis en cause la légalité du jugement du tribunal de première instance de Bruxelles portant sur la recevabilité de la demande originaire et, partant, que cette question serait définitivement jugée et qu'il serait, en outre, contraire à la limite de sa saisine d'examiner une nouvelle fois cette recevabilité, viole les dispositions légales et méconnaît le principe visés au moyen.
Plus précisément, le jugement attaqué
- méconnaît l'autorité qui s'attache à l'arrêt du 21 décembre 2000 (violation des articles 23, 24, 26 et 1110 du Code judiciaire) et viole ainsi ses termes (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil);
- refuse de se prononcer sur une chose demandée par les parties et dont la juridiction de renvoi était légalement saisie (violation des articles 6, 1110 et 1138, 3°, du Code judiciaire et du principe dispositif),
- et, partant, n'est pas légalement justifié (violation de l'article 149 de la Constitution).
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Sur les fins de non-recevoir opposées au moyen par la défenderesse et déduites de ce que, d'une part, il ne précise pas en quoi le jugement attaqué violerait l'article 1110 du Code judiciaire, du reste étranger au grief fait à ce jugement de refuser de se prononcer sur une chose demandée par les parties, d'autre part, il n'indique pas comme violés les articles 1082, alinéa 1er, et 1095 du même code, dans lesquels les règles relatives à l'étendue de la cassation en matière civile, que concerne le grief, trouvent leur fondement:
Attendu que le moyen soutient qu'en refusant de se prononcer sur la recevabilité de la demande, chose demandée dont il était légalement saisi, le tribunal d'appel, statuant comme juridiction de renvoi, a méconnu les limites de sa saisine;
Que, d'une part, il précise ainsi en quoi serait violé l'article 1110 du Code judiciaire, qui est relatif au pouvoir de juridiction du juge auquel une cause est renvoyée après cassation;
Que, d'autre part, si des articles 1082, alinéa 1er, et 1095 du Code judiciaire se déduisent certaines règles régissant l'étendue de la cassation en matière civile, la seule violation de l'article 1110 de ce code suffirait, si le moyen était fondé en tant qu'il énonce le grief auquel se rapporte cette disposition légale, à justifier la cassation;
Que les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies;
Sur le fondement du moyen:
Attendu que, si, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, le juge de renvoi a le pouvoir de statuer sur une contestation, élevée devant lui, qui a été tranchée par un dispositif de la décision annulée autre que celui qu'attaquait le pourvoi lorsque, du point de vue de l'étendue de la cassation, ce dispositif n'est pas distinct du dispositif attaqué;
Qu'en matière civile, n'est pas, du point de vue de l'étendue de la cassation, un dispositif distinct du dispositif attaqué celui qui ne peut être l'objet d'un pourvoi recevable d'aucune des parties à l'instance en cassation; que tel est le cas d'un dispositif qui, n'infligeant pas grief à la partie demanderesse en cassation, n'infligerait grief à la partie défenderesse en cette instance que si le dispositif attaqué était cassé; qu'en pareil cas, en effet, ni la partie demanderesse ni la partie défenderesse n'ont intérêt à attaquer ce dispositif, contre lequel leur pourvoi serait, dès lors, déclaré irrecevable;
Attendu que, par le jugement du 15 avril 1999, le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré d'appel, a dit la demande de la défenderesse recevable mais non fondée; que la défenderesse s'est pourvue en cassation contre le dispositif de ce jugement la déboutant de sa demande; que la cassation prononcée par l'arrêt de la Cour du 21 décembre 2000 s'est, en vertu des règles qui viennent d'être exposées, étendue au dispositif du jugement annulé disant cette demande recevable, qui, du point de vue de l'étendue de la cassation, n'était pas distinct du dispositif alors attaqué la disant non fondée;
Attendu qu'en refusant de statuer sur la recevabilité de la demande de la défenderesse, que contestait la demanderesse, au motif que cette question excédait les limites de la saisine du tribunal d'appel, statuant comme juridiction de renvoi, le jugement attaqué viole l'article 1110 du Code judiciaire;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance de Mons, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du treize janvier deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.