1. P. J.-B.,
2. L. M.-T.,
3. P. J.-M.,
4. P. R.,
5. P. E.,
6. F. C.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre
1. D. V. A.-M.,
2. P. V.,
3. P. A.,
4. P. V.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile,
en présence de
D. P., notaire,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 22 avril 1997 par le tribunal de première instance de Charleroi, statuant en degré d'appel.
II. La procédure devant la Cour
Par ordonnance du 4 janvier 2005, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Philippe Echement a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
III. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 48.1, 49.1 et 51 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969, telle que modifiée par la loi du 7 novembre 1988;
- articles 1382 et 1383 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué considère que la notification visée à l'article 48.1 de la loi sur le bail à ferme aurait dû être adressée à la première défenderesse et à son époux aux motifs:
«Que la loi a accordé au preneur un droit de préemption en cas de vente d'un bien rural loué, c'est-à-dire le droit d'être informé de la mise en vente et d'acquérir le bien par préférence à tout autre amateur;
Que toutes les dispositions qui ont pour objet de protéger le droit de préemption du preneur ont un caractère impératif, l'article 56 de la loi réputant inexistantes toutes les conventions par lesquelles le preneur, d'une manière expresse ou tacite, renonce en tout ou en partie aux droits qu'il tient des articles 47 à 51, c'est-à-dire tous ceux qui lui confèrent le droit de préemption, dans son principe et sa mise en ouvre, ses titulaires et bénéficiaires, ses modalités diverses et les sanctions qu'entraîne sa méconnaissance (.);
Qu'aux termes de l'article 48 de la loi sur le bail à ferme, le propriétaire ne peut vendre le bien de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption. A cet effet, le notaire notifie au preneur le contenu de l'acte établi sous condition suspensive du non-exercice du droit de préemption, l'identité de l'acheteur exceptée. Cette notification vaut offre de vente;
Que l'article 49.1 de ladite loi dispose que si le bien est loué en commun par plusieurs preneurs, la notification visée aux 1 et 2 de l'article 48 doit être adressée à tous ceux qui exploitent le bien; que le droit de préemption peut, de l'accord écrit de tous les copreneurs exploitants, être exercé par un ou par plusieurs d'entre eux; que leur désaccord, absence ou silence vaut refus de l'offre;
Que les copreneurs doivent être placés sur un pied d'égalité et être aptes à se prévaloir de tous les droits attachés au bail et notamment d'un droit individuel à recevoir notification et à prendre position (.);
Que ce droit est consacré, en l'espèce, par les stipulations de l'article 8 du bail du 26 mars 1985 qui, en son alinéa 1er, fait expressément référence aux articles 47 à 55 de la loi;
Que l'allégation selon laquelle la notification n'aurait pas été nécessaire parce qu'elle n'aurait en tout cas pas conduit à l'exercice du droit de préemption par le défunt et son épouse, [première défenderesse], à défaut d'accord des autres copreneurs, relève de l'hypothèse, les copreneurs ne démontrant pas que cet accord aurait été refusé quels que soient les arguments ou moyens qu'auraient pu faire valoir le défunt et [la première défenderesse], s'ils avaient été régulièrement informés des ventes litigieuses;
Qu'il n'est pas exclu qu'un accord ait pu intervenir pour une acquisition, via le droit de préemption; que ne peut, en effet, être a priori exclue l'hypothèse où le défunt et [la première défenderesse] aient, de l'accord des copreneurs, pu exercer seuls le droit de préemption pour le tout, encore qu'elle soit très improbable;
Qu'à tort, les [demandeurs] affirment que les [défendeurs] auraient reconnu qu'un tel accord aurait été exclu, cette reconnaissance ne résultant pas des conclusions de ces derniers ni d'aucun élément soumis au tribunal;
Que la volonté des parties de cacher à feu C. P. et à [la première défenderesse] les ventes litigieuses résulte également de la clause de porte-fort insérée dans les actes 1593-91 et 1595-91 du 15 juillet 1991, laquelle n'a d'ailleurs reçu aucune ratification;
Que la notification n'était dès lors pas dépourvue d'objet ni d'intérêt pour son ou ses destinataires;
Qu'il appartenait, par conséquent, au notaire instrumentant de se conformer au prescrit de l'article 48.1 de la loi, ainsi que cela sera développé ci-après lors de l'examen de la demande en garantie».
Le jugement attaqué décide dès lors que les défendeurs sont fondés à solliciter la condamnation des premier et deuxième demandeurs au paiement de l'indemnité prévue à l'article 51 de la même loi et celle des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs dès lors que sont réunies dans leur chef les conditions de la tierce complicité.
Griefs
Aux termes de l'article 48.1, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, le propriétaire ne peut vendre le bien de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption.
L'article 49.1 de la même loi dispose que «si le bien est loué en commun par plusieurs preneurs, la notification visée aux 1 et 2 de l'article 48 doit être adressée à tous ceux qui exploitent le bien. Le droit de préemption peut, de l'accord écrit de tous les copreneurs-exploitants, être exercé par un ou plusieurs d'entre eux; leur désaccord, absence ou silence vaut refus de l'offre».
Il résulte du libellé dudit article 48.1, qui vise l'acquisition par une personne «autre que le preneur», que la notification visée aux dispositions précitées ne doit pas être faite lorsque le tiers acquéreur sous condition suspensive du non-exercice du droit de préemption est un des preneurs-exploitants du bien. En effet dans cette hypothèse l'accord de tous les copreneurs requis par l'article 49.1 ne pourra pas être obtenu puisque le copreneur, candidat acquéreur sous condition suspensive, s'opposera nécessairement à l'exercice par les autres copreneurs de leur droit de préemption.
Il s'ensuit que le jugement attaqué n'a pu légalement décider que la notification visée à l'article 48.1 de la loi sur le bail à ferme aurait dû être adressée à la première défenderesse et à son époux, copreneurs des biens litigieux avec les troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs, candidats acquéreurs sous condition suspensive desdits biens, et qu'à défaut d'avoir été faite, les défendeurs étaient en droit de solliciter la condamnation des premier et deuxième demandeurs au paiement de l'indemnité prévue à l'article 51 de la loi (violation des articles 48.1, 49.1 et 51 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969 telle que modifiée par la loi du 7 novembre 1988) et celle des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs, en tant qu'acquéreurs tiers complices, au paiement in solidum de la même indemnité limitée toutefois aux actes auxquels ils sont intervenus (violation de l'article 51 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969 telle que modifiée par la loi du 7 novembre 1988 et des articles 1382 et 1383 du Code civil).
2. Deuxième moyen
Dispositions légales violées
- articles 34bis, 51 et 53 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969;
- articles 1134, 1338, 1382 et 1383 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué décide que les défendeurs peuvent faire valoir leur droit à l'indemnité visée à l'article 51 de la loi du 4 novembre 1969 et, partant, condamne les premier et deuxième demandeurs solidairement à payer aux défendeurs la somme provisionnelle de 396.667 francs augmentée des intérêts judiciaires depuis le 24 août 1993 jusqu'à parfait paiement et les troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs, en tant qu'acquéreurs tiers complices, in solidum au paiement d'un montant d'un franc provisionnel aux motifs que:
«Que pour l'application d'une des sanctions prévues à l'article 51 de la loi, le titulaire du droit de préemption ne doit pas prouver qu'il a subi un préjudice ni qu'il avait l'intention d'acquérir le bien; que la seule condition d'intentement d'une des actions est la conclusion d'une vente dans laquelle n'ont pas été respectées tout ou partie des obligations qui constituent le droit de préemption;
Que le droit à l'indemnité est acquis dès lors que le bien a été vendu à un tiers, en dépit de ce que le bail était toujours en cours au moment de l'aliénation;
Qu'en l'espèce, le droit à l'indemnité était acquis le 15 juillet 1991, soit à un moment où le bail à ferme était toujours en cours, C. P. étant décédé le 23 mars 1992 et le partage de l'exploitation agricole étant intervenu le 12 mai 1993; (.)
Que si la finalité du droit de préemption est de permettre au fermier de devenir propriétaire du bien et d'en poursuivre l'exploitation (.), le but de l'article 51 est de sanctionner la méconnaissance de ce droit de préemption, en laissant le choix au fermier entre deux modes de réparation, l'indemnisation ou la subrogation, sans qu'il y ait lieu d'examiner si le preneur eût été réellement intéressé par l'achat ni d'apprécier s'il a concrètement subi un préjudice;
Que dans ces conditions, il importe peu qu'au moment où (la première défenderesse) a fait valoir son droit à l'indemnité, elle n'était plus apte à exercer son droit de préemption pour avoir perdu sa qualité de preneur-exploitant, dès lors qu'il suffit de constater qu'il y a eu atteinte au droit de préemption de (la première défenderesse) et de son défunt mari, au moment où ceux-ci étaient toujours preneurs à ferme exploitants, la sanction de l'article 51 étant indépendante de l'attitude qu'aurait pu prendre le preneur si cette atteinte n'avait pas existé».
Griefs
2.1. Première branche
L'article 51, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme dispose qu'en cas de vente faite en méconnaissance du droit de préemption du preneur, celui-ci peut exiger soit d'être subrogé à l'acquéreur, soit de recevoir du vendeur versement d'une indemnité correspondant à 20 % du prix de vente.
Les termes de cette disposition impliquent nécessairement qu'au moment de l'introduction de son action fondée sur cette disposition, le demandeur ait toujours la qualité de preneur puisque la perte de celle-ci ne lui permettrait plus d'exercer le choix entre les deux sanctions conféré par ledit article 51.
En outre, le but du législateur, en accordant au preneur un droit de préemption, était de protéger l'exploitation de ce dernier. L'action prévue à l'article 51 susvisé ne peut dès lors plus être introduite alors que le demandeur a perdu la qualité de preneur et qu'il n'y a partant plus d'exploitation à protéger.
Il s'ensuit que le jugement attaqué n'a pu légalement décider «qu'il importait peu qu'au moment où (la première défenderesse) a fait valoir son droit à l'indemnité, elle n'était plus apte à exercer son droit de préemption pour avoir perdu la qualité de preneur-exploitant» et par voie de conséquence que les défendeurs étaient fondés à solliciter la condamnation solidaire des premier et deuxième demandeurs, en qualité de vendeurs, et celle in solidum des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs, en tant qu'acquéreurs tiers complices, au paiement de l'indemnité prévue à l'article 51 de la loi sur le bail à ferme (violation de l'article 51 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969 et pour autant que de besoin des articles 1382 et 1383 du Code civil).
2.2. Seconde branche
La renonciation par un preneur à son droit au bail implique nécessairement renonciation à tous les droits qui sont dérivés de ce bail et parmi ceux-ci le droit visé à l'article 51, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme d'agir en retrait et subrogation ou en paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % en cas de méconnaissance du droit de préemption de ce preneur survenue antérieurement à ladite renonciation.
Le jugement attaqué constate en l'espèce que les défendeurs ont cédé leurs droits indivis au bail le 12 mai 1993, soit après la vente des biens litigieux survenue le 15 juillet 1991 et partant après la naissance de leur droit à l'indemnité prévue audit article 51.
La circonstance que l'acte de cession des droits indivis du 12 mai 1993 ne mentionnait pas que les défendeurs avaient renoncé également à leur droit à l'indemnité prévue audit article 51 est sans incidence dès lors que cette dernière renonciation découlait nécessairement de la cession de leur droit au bail.
Le jugement attaqué n'a dès lors pu légalement décider que les défendeurs étaient encore fondés à solliciter la condamnation solidaire des premier et deuxième demandeurs, en qualité de vendeurs, et celle in solidum des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs, en tant qu'acquéreurs tiers complices, au paiement de l'indemnité prévue à l'article 51 de la loi sur le bail à ferme (violation des articles 1134, 1338, 1382 et 1383 du Code civil et des articles 34bis, 51 et 53 de la section 3 - des règles particulières aux baux à ferme - du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil, introduite par la loi du 4 novembre 1969).
3. Troisième moyen
Dispositions légales violées
- articles 1382 et 1383 du Code civil;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué décide que la première défenderesse est fondée, tant en son nom personnel que qualitate qua pour ses enfants alors mineurs et actuellement majeurs, à solliciter la condamnation des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs au paiement de l'indemnité prévue à l'article 51 de la loi sur le bail
à ferme, limitée aux actes auxquels ils sont intervenus et condamne dès lors ces derniers in solidum à lui payer le montant provisionnel d'un franc et réserve à statuer sur le surplus de la demande principale aux motifs:
«Que la volonté des parties de cacher à feu C. P. et à son épouse, [la première défenderesse], les ventes litigieuses résulte également de la clause de porte-fort insérée dans les actes 1593-91 et 1595-91 du 15 juillet 1991, laquelle n'a reçu aucune ratification (.);
que sont réunies en l'espèce, dans le chef (des troisième, quatrième, cinquième et sixième défendeurs) les conditions de la tierce complicité (.);
qu'à cet égard la clause de porte-fort incluse dans les actes litigieux est significative de leur conscience et de leur participation à l'inexécution d'une obligation contractuelle impérative aux termes de la loi qui réglemente le contrat de bail à ferme».
Griefs
Ni la simple connaissance de l'existence d'une convention, ni la participation consciente à la violation d'une obligation contractuelle par un tiers ne constituent en soi une faute dans le chef de celui-ci emportant sa responsabilité quasi délictuelle.
Le juge doit en effet, conformément aux règles de la responsabilité aquilienne qui constituent le fondement de la théorie de la tierce complicité, tenir compte dans l'appréciation de la faute du tiers complice de toutes les circonstances propres à l'espèce afin de déterminer si un homme diligent et prudent aurait pu avoir un comportement similaire à celui adopté par ledit tiers.
En leurs conclusions d'appel, les demandeurs avaient précisément soutenu à cet égard:
«Que la clause dans laquelle les acquéreurs déclarent se porter forts de la renonciation de leur frère et de leur belle-sour au droit de préemption provient d'une initiative de [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] et pourrait être considérée comme totalement inutile, voire naïve, en d'autres circonstances;
Que l'on ne peut en effet imaginer des acquéreurs qui se portent forts de la renonciation, par le preneur, à son droit de préemption (.);
Que cette clause a toutefois été insérée en raison du lien de parenté unissant les acquéreurs à feu C. P., et de l'impossibilité dans laquelle se trouvait ce dernier d'exercer pratiquement un quelconque droit de préemption;
Qu'en ses conclusions additionnelles prises en premier ressort, [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] a fait part des circonstances dans lesquelles [elle] fut amené[e] à préparer les trois actes de vente, et a expliqué comment J. W. junior, ami intime de la famille P. sensu lato, prit contact avec [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] et lui fit comprendre qu'en raison notamment des liens familiaux existant entre toutes les parties, la notification d'un droit de préemption était superflue et dilatoire;
Que, dans ces mêmes conclusions additionnelles, [la partie appelée en déclaration d'arrêt commun] reconnaît expressément avoir 'cru bon' d'insérer la clause de porte-fort, et ajoute qu'elle le fut après que J. W., contacté au moment même de la signature des actes, eût confirmé que la rédaction des conventions de vente, clauses insérées, correspondait bien à la réalité et au souhait des différentes parties intéressées par la transaction;
Que J. W. junior est intervenu à l'acte de cession des droits indivis comme subrogé-tuteur des enfants mineurs de [la première défenderesse], avec laquelle et les enfants de laquelle il entretient des relations on ne peut plus cordiales;
Que l'on ne conçoit pas un comportement frauduleux qui trouverait toute sa raison d'être dans le seul plaisir de frauder, sans que vienne le motiver un intérêt bien précis;
Que [la première défenderesse] est bien en peine de déterminer l'intérêt réel auquel la prétendue fraude imputée aux[demandeurs] aurait pu répondre; (.)
Qu'on est en droit de se demander quel intérêt les [demandeurs sub 3 à 6] avaient à consentir la dépense importante correspondant aux prix d'achat (5.950.000 francs globalement pour 5 ha 60 a 49 ca de terres et des bâtiments agricoles, outre 4.000.000 francs pour les maisons d'habitation!!), alors même qu'ils jouissaient royalement d'un bail de 27 ans qui venait tout juste de prendre cours et que l'acquisition les contraignait à respecter, durant 21 ans encore, le bail de leur frère C. et de son épouse, dont ils allaient ainsi devenir les bailleurs;
Qu'au moment de l'acquisition, en effet, les concluants ignoraient évidemment que C. P. allait décéder et que son épouse renoncerait à la totalité de ses droits».
Les demandeurs invoquaient ainsi différents éléments justifiant selon eux l'absence de toute volonté de fraude dans leur chef lors de l'insertion de la clause de porte-fort dans les actes de vente du 15 juillet 1991 et de tout intérêt à une fraude quelconque et partant toute faute quasi délictuelle pouvant fonder une responsabilité en qualité de tiers complices.
Le jugement attaqué qui conclut dès lors à l'existence d'une tierce complicité dans le chef des troisième, quatrième, cinquième et sixième demandeurs pour le seul motif que «la clause de porte-fort incluse dans les actes litigieux est significative de leur conscience et de leur participation à l'inexécution d'une obligation contractuelle impérative aux termes de la loi qui réglemente le contrat de bail à ferme», sans procéder in concreto à une analyse des circonstances de fait propres à l'espèce invoquées par les demandeurs, ne justifie pas légalement sa décision (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil) et ne répond à tout le moins pas aux moyens circonstanciés des conclusions des demandeurs par lesquels ils justifiaient l'absence de toute intention frauduleuse dans leur chef, ne motivant dès lors pas régulièrement sa décision (violation de l'article 149 de la Constitution).
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Attendu qu'en vertu de l'article 48.1 de la loi sur le bail à ferme, le propriétaire ne peut vendre le bien de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption; qu'à cet effet le notaire notifie au preneur le contenu de l'acte établi sous condition suspensive de non-exercice du droit de préemption, l'identité de l'acheteur exceptée;
Que l'article 49.1 de ladite loi dispose que si le bien est loué en commun par plusieurs preneurs, la notification visée aux 1 et 2 de l'article 48 doit être adressée à tous ceux qui exploitent le bien et que le droit de préemption peut, de l'accord écrit de tous les copreneurs-exploitants, être exercé par un ou plusieurs d'entre eux, leur désaccord, absence ou silence valant refus de l'offre;
Attendu qu'il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucune autre que, lorsque le candidat acquéreur est un copreneur-exploitant, la notification de l'acte de vente sous condition suspensive ne doit pas être réalisée;
Que le moyen manque en droit;
Sur le deuxième moyen:
Quant à la première branche:
Attendu que l'article 51, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme prévoit qu'en cas de vente faite en méconnaissance des droits de préemption du preneur, celui-ci peut exiger soit d'être subrogé à l'acquéreur, soit de recevoir du vendeur le versement d'une indemnité correspondant à 20 % du prix de vente;
Attendu qu'il ressort de ce texte que l'exploitant, qui n'a pas été mis en mesure d'exercer son droit de préemption, dispose d'un choix; qu'il peut, dès lors, réclamer l'indemnité prévue par cette disposition soit par préférence soit parce qu'il n'est plus en mesure d'être subrogé à l'acquéreur;
Que ladite indemnité est due dès que le droit de préemption a été méconnu, sans qu'aucune autre condition que cette méconnaissance ne soit exigée;
Attendu que le moyen qui, en cette branche, soutient que les termes de l'article 51 impliquent qu'au moment de l'introduction de son action le demandeur ait toujours la qualité de preneur, manque en droit;
Quant à la seconde branche:
Attendu qu'il ressort de la réponse donnée à la première branche du moyen que les actions prévues par l'article 51 peuvent être intentées dès que le droit de préemption du preneur a été méconnu; que si le preneur peut renoncer à ces actions, cette renonciation ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation;
Attendu que le moyen qui, en cette branche, est fondé sur l'affirmation que la renonciation par le preneur à son droit au bail implique nécessairement sa renonciation au droit visé à l'article 51, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, manque en droit;
3. Sur le troisième moyen:
Attendu que par aucune considération, les juges d'appel n'ont répondu aux conclusions circonstanciées des demandeurs sub 3 à 6 visées au moyen;
Qu'à cet égard, le moyen est fondé;
Et attendu que la cassation du dispositif relatif à la demande dirigée contre les demandeurs sub 3 à 6 entraîne l'annulation des décisions relatives aux demandes reconventionnelle et en garantie de ces parties en raison du lien étroit existant entre ces décisions;
Sur la demande en déclaration d'arrêt commun:
Attendu que les demandeurs ont intérêt à ce que l'arrêt soit déclaré commun à la partie appelée à cette fin devant la Cour;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué en tant qu'il statue sur le fondement de l'action dirigée par les défendeurs contre les demandeurs sub 3 à 6, en tant qu'il statue sur la demande reconventionnelle entre les mêmes parties et en tant qu'il condamne la partie appelée en déclaration d'arrêt commun à garantir les demandeurs sub 3 à 6;
Rejette le pourvoi pour le surplus;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé;
Condamne les demandeurs sub 1 et 2 à la moitié des dépens et réserve l'autre moitié pour qu'il soit statué sur celle-ci par le juge du fond;
Déclare l'arrêt commun à la partie appelée en déclaration d'arrêt commun;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Mons, siégeant en degré d'appel.
Les dépens taxés à la somme de huit cent trois euros trente-six centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent soixante-deux euros neuf centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Philippe Echement, les conseillers Daniel Plas, Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du trente et un janvier deux mille cinq par le président de section Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.