ETHIAS, anciennement dénommée Société mutuelle des administrations publiques, dont le siège social est établi à Liège, rue des Croisiers, 24,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Driekoningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
AXA BELGIUM, anciennement dénommée Axa Royale Belge, société anonyme dont le siège social est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
défenderesse en cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 2 mai 2003 par le tribunal de première instance de Liège, statuant en degré d'appel.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 2, alinéas 1er et 6, du Code de commerce;
- article 577, alinéa 2, du Code judiciaire;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir relevé que:
« l'action introduite par la [demanderesse] vise la condamnation de la [défenderesse] à lui rembourser la somme de 1.469,71 euros (59.288 francs) en principal représentant ses débours en qualité d'assurance-loi résultant d'un accident du travail dont a été victime un ouvrier de la commune de Beyne-Heusay [...]»,
le tribunal de première instance décide qu'il
« n'est pas compétent pour connaître de l'appel interjeté contre le jugement rendu en premier ressort par le juge de paix de Fléron [...], mais que cette affaire est de la compétence du tribunal de commerce »,
pour les motifs suivants:
« En l'espèce, tant la [demanderesse] que la [défenderesse] sont des sociétés à forme et à but commercial. Elles ont donc la qualité de commerçants.
Selon l'article 2 du Code de commerce, sont des actes commerciaux, d'une part, les opérations d'assurances (article 2, alinéa 5) et, d'autre part, toutes obligations de commerçants, qu'elles aient pour objet des immeubles ou des meubles, à moins qu'il soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce (article 2, alinéa 11).
En ce qui concerne la demanderesse, [.] c'est en sa qualité de compagnie d'assurances et dans le cadre de son activité commerciale d'assurance qu'elle intente la présente action. [...]
En ce qui concerne la défenderesse, [.] c'est également son activité commerciale même qui a entraîné sa mise à la cause, puisque la [demanderesse] lui demande d'exécuter en sa faveur des obligations qu'elle a contractées en vertu de sa qualité d'assureur ».
Griefs
Selon l'article 577 du Code judiciaire:
« Le tribunal de première instance connaît de l'appel des jugements rendus en dernier ressort par le juge de paix [...].
Néanmoins, l'appel des décisions rendues en premier ressort par le juge de paix sur les contestations entre commerçants et relatives aux actes réputés commerciaux par la loi [...] est porté devant le tribunal de commerce ».
La compétence du tribunal de commerce de connaître de l'appel des jugements du juge de paix est donc subordonnée à deux conditions cumulatives: la contestation doit exister entre commerçants et elle doit être relative aux actes réputés commerciaux.
Le jugement décide:
« Selon l'article 2 du Code de commerce, sont des actes commerciaux [...] les opérations d'assurances [...].
En ce qui concerne [...] la [demanderesse], c'est en sa qualité de compagnie d'assurances et dans le cadre de son activité commerciale d'assurance qu'elle intente la présente action ».
Or, selon l'article 2, alinéas 1er et 6, du Code de commerce,
« la loi répute acte de commerce:
[...] toute entreprise [...] d'assurances à primes ».
Toute entreprise d'assurances n'est donc pas réputée être un acte de commerce : il doit s'agir d'une entreprise d'assurances à primes.
En conséquence, l'assurance mutuelle ne constitue pas, en soi, un acte de commerce et l'association fournissant ce service n'acquiert pas de ce fait un caractère commercial.
Il en résulte:
d'une part, que si par le motif énoncé ci-dessus, le tribunal, après avoir décidé que la demanderesse avait la qualité de commerçant, a entendu, en outre, décider que toute entreprise d'assurances était un acte réputé commercial et que, donc, le tribunal de commerce était en l'espèce compétent sur la constatation que la demanderesse exerce une activité commerciale d'assurance, il a violé les articles 2, alinéa 6, du Code de commerce et 577, alinéa 2, du Code judiciaire,
d'autre part, et en tout état de cause, la motivation reproduite ci-dessus ne permet pas de savoir si le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce parce que l'activité de la demanderesse était une activité d'assurances à primes ou parce que n'importe quelle activité d'assurances est un acte réputé commercial ; cette ambiguïté équivaut à une absence de motivation, ce qui est une violation de l'article 149 de la Constitution.
IV. La décision de la Cour
Attendu que suivant l'article 577 du Code judiciaire, le tribunal de première instance connaît de l'appel des jugements rendus en premier ressort par le juge de paix; néanmoins l'appel des décisions rendues en premier ressort par le juge de paix sur les contestations entre commerçants et relatives aux actes réputés commerciaux par la loi est porté devant le tribunal de commerce;
Attendu qu'aux termes de l'article 2, alinéas 1er et 6, du Livre Ier, Titre Ier, du Code de commerce, la loi répute notamment acte de commerce «toute entreprise d'assurances à primes»;
Qu'en vertu de cette disposition, seule l'entreprise d'assurances à primes a un caractère commercial; que l'entreprise d'assurances mutuelles n'est pas réputée acte de commerce par la loi et l'association d'assurances mutuelles prestant ce service n'acquiert pas de ce fait la qualité de commerçant;
Attendu qu'en se déclarant incompétents pour connaître de l'appel interjeté contre le jugement entrepris, aux motifs que «tant la [demanderesse] que la [défenderesse] sont des sociétés à forme et à but commercial [et] ont donc la qualité de commerçants» et que, «selon l'article 2 du Code de commerce, sont des actes commerciaux [.] les opérations d'assurances (article 2, alinéa [6])», sans examiner si la demanderesse a pour objet d'exploiter une entreprise d'assurances à primes, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance de Huy, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Philippe Echement, les conseillers Frédéric Close, Didier Batselé, Albert Fettweis et Daniel Plas, et prononcé en audience publique du vingt-quatre février deux mille cinq par le président de section Philippe Echement, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.