D-H R.,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
contre
C. C. et cons.,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 juin 2003 par la cour d'appel d'Anvers.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.
III. Le moyen de cassation
Dans sa requête, la demanderesse présente un moyen.
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution;
- articles 774, 775, 778, 779, 780, 793, 796, 801, 802 et 806 du Code civil;
- article 824 du Code judiciaire;
- principe général du droit aux termes duquel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits qui ne sont susceptibles d'aucune autre interprétation.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué considère que la demande de Madame C. et de l'Union nationale des mutualités socialistes dirigée contre la demanderesse, Madame D-H, est fondée.
Cette décision est fondée sur les considérations suivantes:
«Selon la demanderesse et le premier juge, les demandes dirigées contre la demanderesse sont non fondées dès lors que la demanderesse n'a pas pris définitivement la qualité d'héritier.
Ce raisonnement ne peut être suivi.
Il n'est pas contesté que (Madame C. lire: la demanderesse) a accepté la succession de R.H. sous bénéfice d'inventaire, ce qui est établi par la procuration pour acceptation sous bénéfice d'inventaire du 23 novembre 1996;
Il résulte de l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire par la demanderesse que son obligation de supporter les dettes de la succession est limitée au montant de la valeur des biens de la succession.
L'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire ne met pas fin à la continuation légale de la possession des biens de la succession qui était accordée à la demanderesse.
La dévolution de la succession à la demanderesse est confirmée par l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire et la demanderesse a ainsi pris définitivement la qualité d'héritier. L'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire est irrévocable comme la simple acceptation.
La question de savoir si l'obligation de (Madame C. lire la demanderesse) de supporter les dettes de la succession est limitée au montant de la valeur des biens de la succession ou bien existe indépendamment de la valeur des biens de la succession, est subordonnée à la question de savoir si la succession est acceptée sous bénéfice d'inventaire ou est acceptée purement et simplement en raison des actes de disposition.
En l'espèce, il ressort de l'acte de vente passé devant le notaire Stockmann à Utrecht, le 29 janvier 1997, que la demanderesse a purement et simplement accepté la succession en vendant des droits réels sur des biens immeubles faisant partie de la succession de R.H. ainsi que des biens meubles de la succession à Monsieur W. et à Madame V.W. (arrêt p.11).
La demanderesse est tenue, dès lors, en tant qu'héritier pur et simple, des charges de la succession de R.H.».
Griefs
1. Première branche
Les héritiers peuvent accepter purement et simplement la succession qui leur échoit (article 778 du Code civil), l'accepter sous bénéficie d'inventaire (articles 774 et 793 du Code civil) ou y renoncer (article 784 du Code civil).
Selon l'article 775 du Code civil, l'acceptation de la succession est un droit et pas une obligation.
Les conséquences de l'acceptation d'une succession ne sont, en effet, pas négligeables: l'héritier qui accepte la succession est responsable des dettes du défunt sur ses propres biens.
Sans vouloir contraindre l'héritier à renoncer à la succession, ces conséquences graves peuvent être évitées lorsque l'héritier accepte la succession sous bénéfice d'inventaire telle qu'elle est organisée par les articles 793 à 810 du Code civil.
Ainsi, en vertu de l'article 802 du Code civil, «la confusion des patrimoines est empêchée, tant à l'égard de l'héritier que des débiteurs (lire les créanciers) et légataires», «l'héritier conserve contre la succession les droits qu'il avait contre le défunt», «il n'est tenu des dettes et charges de la succession que sur les biens qu'il recueille», et «les créanciers et les légataires sont payés sur ces biens de préférence aux créanciers personnels de l'héritier».
La Cour de cassation décide que, tout comme dans le cas de l'acceptation pure et simple, l'acceptation d'une succession sous bénéfice d'inventaire est irrévocable (Cass., 25 janvier 1949, Pas., 1949, I, p. 473).
L'arrêt attaqué décide, d'une part, que «la dévolution de la succession à la demanderesse est confirmée par l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire» de sorte que «la demanderesse (.) a pris définitivement la qualité d'héritier» et, en outre, que «l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire (.) est irrévocable tout comme une acceptation pure et simple» mais, d'autre part, que la solution à la question de savoir si l'obligation de la demanderesse «d'être tenue des dettes de la succession est limitée au montant de la valeur des biens de la succession, existe indépendamment de la valeur des biens de la succession», «est subordonnée à la question de savoir si la succession a été acceptée sous bénéfice d'inventaire ou a été accepté purement et simplement en raison d'actes de disposition».
En décidant, d'une part, à juste titre, qu'une acceptation sous bénéfice d'inventaire est définitive et irrévocable, mais en indiquant, d'autre part, qu'une telle acceptation peut se transformer en une acceptation pure et simple en posant certains actes de disposition, ce qui est toutefois contraire au caractère irrévocable de l'acceptation préalable sous bénéfice d'inventaire, l'arrêt est fondé sur des motifs contradictoires et, dès lors, viole l'article 149 de la Constitution.
L'arrêt est, à tout le moins, fondé sur des motifs ambigus dès lors que, d'une part, il admet légalement que l'acceptation sous bénéfice d'inventaire est définitive et irrévocable et que, d'autre part, il nie ce caractère définitif et irrévocable en admettant qu'une telle acceptation sous bénéfice d'inventaire peut se transformer en une acceptation pure et simple. Dans la mesure où il ne peut être décidé si l'arrêt est fondé sur un motif légal ou sur un motif illégal et que la Cour est, dès lors, dans l'impossibilité d'exercer son contrôle de légalité, l'arrêt est entaché d'une motivation ambigüe et viole ainsi l'article 149 de la Constitution.
Dans la mesure où l'arrêt énonce qu'une acceptation sous bénéfice d'inventaire peut se transformer en une acceptation pure et simple, il méconnaît le caractère définitif et irrévocable d'une telle acceptation sous bénéfice d'inventaire et, dès lors, viole l'article 793 du Code civil.
Dans la mesure où l'arrêt considère que l'acceptation définitive et irrévocable sous bénéfice d'inventaire est annulée par l'acceptation pure et simple de la succession en raison de la vente d'un bien immeuble appartenant à la succession, il applique de manière illégale des dispositions légales relatives à l'acceptation pure et simple, lorsqu'en l'espèce, comme l'a déjà constaté l'arrêt, le demandeur avait accepté la succession sous bénéfice d'inventaire et, dès lors, viole les articles 778 et 779 ainsi que (pour autant que de besoin) 774 et 775 du Code civil.
(.)
IV. La décision de la Cour
Quant à la première branche:
Attendu que l'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire par un héritier est irrévocable; qu'il s'ensuit que l'héritier qui a fait, conformément à l'article 793 du Code civil, une déclaration, a pris, de manière irrévocable, la qualité d'héritier, en sorte qu'il ne peut plus renoncer à la succession;
Que, sauf lorsque la loi impose l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, l'héritier bénéficiaire peut renoncer volontairement à cette acceptation et devenir un héritier pur et simple en posant des actes de disposition qui impliquent nécessairement la volonté de se comporter comme un héritier qui accepte purement et simplement la succession ainsi que la volonté de confondre le patrimoine de la succession avec son patrimoine personnel; que le juge apprécie souverainement en fait cette renonciation volontaire sans devoir appliquer les dispositions légales relatives à l'acceptation pure et simple de la succession;
Attendu qu'en cette branche, le moyen qui est fondé sur l'hypothèse qu'une acceptation sous bénéfice d'inventaire ne peut se transformer en acceptation pure et simple et qui invoque ainsi la violation des articles 774, 775, 778, 779 et 793 du Code civil, manque en droit;
Attendu que les juges d'appel qui ont admis que l'acceptation d'une succession sous bénéfice d'inventaire est définitive et irrévocable, excluent ainsi uniquement que l'héritier bénéficiaire puisse encore renoncer, mais n'indiquent pas ainsi qu'une telle acceptation ne peut se transformer en une acceptation pure et simple;
Que les motifs cités par le moyen ne sont ni contradictoires ni ambigus de sorte que dans la mesure où il invoque la violation de l'article 149 de la Constitution, le moyen, en cette branche, manque en fait;
(.)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Greta Bourgeois, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille cinq par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christine Matray et transcrite avec l'assistance du greffier délégué Véronique Kosynsky.
Le greffier délégué, Le conseiller,