D.L.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
ING Belgique, société anonyme,
Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19décembre 2003 par la cour du travail de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section RobertBoes a fait rapport.
L'avocat général AnneDeRaeve a conclu.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen, libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles32, 3°, 37, §1er, 39, §1er, et 82, §3, premier et dernier alinéas, dans la version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20juillet 2000, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail;
- article1134 du Code civil;
- article149 de la Constitution coordonnée du 17février 1994.
Décision et motif critiqué
Statuant par la décision attaquée sur la demande principale de la défenderesse, la cour du travail a déclaré l'appel de la défenderesse recevable et fondé, a réformé le jugement rendu le 13décembre 2000 dans la mesure où il était attaqué et uniquement en ce qui concerne l'allocation de la somme provisionnelle de 1franc majorée des intérêts et a condamné le demandeur au paiement d'une somme de ?17.218,91, à majorer des intérêts, par les motifs suivants:
"1. (Le demandeur), et non (la défenderesse), a irrégulièrement mis fin le 31août 1999 au contrat de travail conclu pour une durée indéterminée entre les parties. (Il) ne prouve pas que (la défenderesse) a marqué son accord à son départ le 1erseptembre 1999. En revanche, il est établi que (le demandeur) ne s'est plus manifesté et, en conséquence, ne s'est plus présenté au travail. Les entretiens au cours desquels (il) a communiqué à son directeur régional au sein de l'(ancienne) Banque Bruxelles Lambert (BBL) qu'il envisageait de quitter la banque ne constituent pas un préavis ni davantage un accord amiable quant à la résiliation du contrat de travail.
(.)
"3. La lettre du 29juillet 1999, par laquelle (le demandeur) a notifié à son employeur que le contrat de travail prenait fin le 1erseptembre 1999, ne constitue pas un préavis mais un congé. Elle ne fait pas état de préavis ou de délai de préavis, ni davantage du début ou de la fin de ce délai, etc . Même en tant que préavis, cette lettre serait nulle et irrégulière. Dans l'hypothèse où il serait soutenu qu'elle mentionne un délai de préavis, quod non, (.) cette lettre ne pourrait sortir ses effets qu'à partir du troisième jour suivant son envoi. Ni (le demandeur) ni (la défenderesse) n'ont réalisé le congé le 29juillet 1999 et l'exécution du contrat de travail a été poursuivie jusqu'à ce que (le demandeur) y mette fin le 1erseptembre 1999. Ainsi, (le demandeur) a continué de travailler jusqu'au 31août 1999 inclus. C'est à tort qu'il fait état d'un délai de préavis convenu dans sa lettre du 7septembre 1999. Le préavis n'existe pas par le simple motif que (le demandeur) considère que (la défenderesse) y a marqué son accord.
4. (Le demandeur) est tenu de prouver que (la défenderesse) a (renoncé) au préavis, mais n'y parvient pas. La pièce3 déposée par (le demandeur) établit que (la défenderesse) n'acceptait pas que son travailleur quitte ses fonctions sans prester le préavis. Les pièces4 et 5 de (la défenderesse) révèlent qu'il n'y avait pas d'accord à cet égard. (Le demandeur) désirait quitter ses fonctions par le motif qu'il avait obtenu la gestion d'une filiale Centea à Reninge à partir du 1erseptembre 1999. La lettre du 29juillet 1999 (du demandeur) ne fait pas état d'un consentement à la résiliation du contrat de travail au 1erseptembre (1999). La cour du travail considérant que la lettre du 29juillet 1999 constitue un congé - non réalisé à cette date - et non un préavis, toute l'argumentation fondée sur la nullité du préavis ou la couverture de cette nullité est dénuée de pertinence.
(Le demandeur) a poursuivi ses prestations jusqu'au 31août 1999, sans faire l'objet de la moindre observation.
5. (Le demandeur) a poursuivi l'exécution de son contrat de travail du 29juillet 1999 au 1erseptembre 1999, date à laquelle il a rompu celui-ci.
6. Conformément à l'article39 de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail, (le demandeur) qui a résilié le contrat sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis (.) est tenu de payer à (la défenderesse) une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant à la durée du délai de préavis.
(.)
8. La rémunération du (demandeur) étant supérieure à la somme indexée de 650.000francs (947.000francs en 1999), le délai de préavis à observer, à défaut d'accord à cet égard, est fixé par le juge (article82, §3, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail). Aux termes du troisième paragraphe de cet article, si le congé est donné par l'employé, le délai de préavis ne peut être supérieur à quatre mois et demi. Eu égard aux circonstances dans lesquelles (le demandeur) a quitté (la défenderesse), une indemnité de congé égale à quatre mois et demi n'est certainement pas excessive. Il n'y a aucun motif de réduire le délai.
(.)
11. Dès lors qu'elle ne constitue pas un préavis (voir "notification succincte": "Par la présente, je vous prie de prendre note de mon congé de la BBL, à partir du 1er septembre 1999. Veuillez agréer ."), il importe peu que la lettre du 29juillet 1999 du (demandeur) ait ou n'ait pas été reçue. (La défenderesse) allègue en effet qu'elle n'a reçu cette lettre que postérieurement à la lettre recommandée du 3septembre 1999, à laquelle elle était par ailleurs jointe. En refusant délibérément de se présenter au travail à partir du 1erseptembre 1999 et de poursuivre ses prestations au service de (la défenderesse), (le demandeur) a rompu son contrat de travail. (Il) ne démontre pas davantage que (la défenderesse) a adopté le régime de sécurité sociale "préavis" le 29juillet 1999. Il est même contesté que (la défenderesse) a reçu cette lettre. Toujours est-il qu'elle a pris connaissance de la lettre recommandée du 29juillet 1999 à la réception de la lettre du 3septembre 1999, à laquelle elle était jointe.
(.)
13. Quant aux chiffres, c'est à bon droit que (la défenderesse) réclame la somme de 694.609francs (1.852.291francs x 4,5/12) majorée des intérêts, le montant de la rémunération annuelle du (demandeur) n'étant pas contesté et son calcul étant détaillé dans la citation introductive d'instance" (page7, au milieu, 11, deuxième alinéa).
Griefs
1. Première branche.
1. En vertu de l'article32, 3°, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail, en abrégé ci-après "loi du 3juillet 1978", les engagements résultant d'un contrat de travail conclu pour une durée indéterminée prennent fin par la volonté de l'une des parties. En d'autres termes, chacune des parties à un contrat de travail peut à tout moment signifier son congé, c'est-à-dire porter par un acte à la connaissance de l'autre partie qu'elle décide de mettre fin au contrat.
Aux termes de l'article37, §1er, de la loi du 3juillet 1978, lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties peut le résilier moyennant un préavis. Le préavis est la notification préalable, faite par une partie à un contrat de travail à l'autre partie au contrat, du délai à l'expiration duquel le contrat prendra fin. Pour être régulier, le préavis doit satisfaire aux conditions de l'article37 de la loi du 3juillet 1978 et sa notification doit mentionner le début et la durée du préavis et avoir lieu dans les formes prescrites par la loi.
Il suit des articles32, 3°, et 37, §1er, de la loi du 3juillet 1978 que le congé émanant d'une des parties au contrat de travail, qui ne constitue pas un préavis régulier, met immédiatement fin au contrat même si la lettre de congé mentionne une date ultérieure. Cette résiliation immédiate du contrat de travail est irrévocable et ne peut être réduite à néant que par la volonté des parties.
La cour du travail a considéré que la lettre du 29juillet 1999 par laquelle le demandeur a notifié à la défenderesse que le contrat de travail prenait fin le 1erseptembre 1999 ne constitue pas un préavis mais un congé dès lors qu'elle ne fait pas état de préavis ou de délai de préavis, ni davantage du début ou de la fin de ce délai (page7, in fine, page8, point4, au milieu, de l'arrêt).
Elle a ensuite considéré que ni le demandeur ni la défenderesse n'ont réalisé le congé le 29juillet 1999 et que l'exécution du contrat de travail a été poursuivie jusqu'à ce que le demandeur y mette fin le 1erseptembre 1999 (page8, premier alinéa, de l'arrêt). Elle a constaté ainsi qu'il n'y a pas eu de congé effectif au 29 juillet 1999 (page8, point4, au milieu, de l'arrêt). Elle n'a pas constaté que les parties ont consenti à annuler le congé du 29juillet 1999. Au contraire, elle a considéré "qu'il n'y avait pas d'accord à cet égard" (page8, point4, au milieu, de l'arrêt). Ni la considération de la cour du travail suivant laquelle le demandeur et la défenderesse n'ont pas réalisé le congé le 29juillet 1999 ni la considération suivant laquelle l'exécution du contrat de travail a été poursuivie jusqu'au 1erseptembre 1999 n'impliquent que les deux parties ont voulu annuler le congé.
Ainsi, la cour du travail n'a pas légalement décidé qu'il n'y a pas eu de congé effectif le 29juillet 1999 et que le demandeur a rompu le contrat de travail le 1erseptembre 1999, dès lors qu'elle ne constate pas que les parties ont voulu annuler le congé du 29juillet 1999 (violation des articles32, 3°, et 37, §1er, de la loi du 3juillet 1978 et 1134 du Code civil).
2. En vertu de l'article39, §1er, de la loi du 3juillet 1978, la partie qui résilie un contrat conclu pour une durée indéterminée sans respecter le délai de préavis fixé par la loi, est tenue de payer à l'autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours et aux avantages acquis en vertu du contrat correspondant soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir.
En vertu de l'article82, §3, alinéa1er, de la loi du 3juillet 1978, les délais de préavis à observer par l'employé dont la rémunération annuelle excède la somme déterminée par la même disposition sont fixés, à défaut de convention conclue au plus tôt au moment où le congé est donné, par le juge. Conformément à l'article82, §3, alinéa3, de la même loi, le délai de préavis d'un employé dont la rémunération annuelle n'excède pas la somme fixée par la disposition, ne peut être supérieur à quatre mois et demi.
L'indemnité de congé est due lorsque le contrat de travail est résilié sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis fixé.
Suivant les constatations de la cour du travail reproduites ci-avant, le demandeur a notifié son congé le 29juillet 1999 et il ne ressort pas de ces constatations que ce congé a été annulé. Ainsi, l'indemnité de congé égale à la rémunération en cours et aux avantages acquis en vertu du contrat correspondant à quatre mois et demi, réclamée par la défenderesse et allouée par la cour du travail, couvre une période de quatre mois et demi à compter du 29juillet 1999.
La cour du travail a constaté ensuite que le demandeur a continué de travailler jusqu'au 31août 1999 inclus (page8, alinéa1er, de l'arrêt).
Elle a considéré, quant à l'indemnité de congé réclamée par la défenderesse, qu'une indemnité de congé égale à quatre mois et demi n'est certainement pas excessive et qu'il n'y a aucun motif de réduire ce délai (page9, point8, de l'arrêt) et, quant aux chiffres, que c'est à bon droit que la défenderesse réclame la somme de 694.609francs (1.852.291francs x 4,5/12) majorée des intérêts (page11, point13, de l'arrêt) et, en conséquence, a condamné le demandeur au paiement d'une somme égale à la rémunération en cours et aux avantages acquis en vertu du contrat de quatre mois et demi, soit, convertie en euros, à une somme de ?17.218,91, à majorer des intérêts.
Il n'est cependant pas admissible qu'un travailleur exécute des prestations de travail pour une période déterminée et paye simultanément, pour la même période, une indemnité de congé correspondant à la rémunération (et aux avantages acquis en vertu du contrat) pour les mêmes prestations.
Ainsi, la cour du travail n'a pas légalement condamné le demandeur à payer à la défenderesse une indemnité de congé égale à quatre mois et demi de la rémunération en cours et des avantages acquis en vertu du contrat, dès lors qu'elle n'a pas égard à la période suivant le congé du 29juillet 1999 au cours de laquelle le demandeur a poursuivi ses prestations au service de la défenderesse et qu'en conséquence, elle alloue pour la même période une indemnité de congé correspondant à la rémunération des prestations (violation des articles 39, §1er, et 82, §3, premier et dernier alinéas, dans la version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20juillet 2000, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail).
Elle n'a pas légalement décidé qu'il n'y a pas eu de congé effectif le 29juillet 1999 et que l'exécution du contrat de travail a été poursuivie après cette date jusqu'à ce que le demandeur y mette fin le 1erseptembre 1999, ni légalement condamné le demandeur à payer à la défenderesse la somme de ?17.218,91, majorée des intérêts moratoires à partir du 7septembre 1999 et des intérêts judiciaires à partir du 29juillet 2000 jusqu'à la date du paiement (violation des articles32, 3°, 37, §1er, 39, §1er, 82, §3, premier et dernier alinéas, dans la version applicable avant sa modification par l'arrêté royal du 20juillet 2000, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail et 1134 du Code civil).
(.)
IV. La décision de la Cour
1. Quant à la première branche:
Attendu qu'aux termes de l'article37, §1er, alinéa1er, de la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail, lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties peut le résilier moyennant un préavis; qu'aux termes de l'article37, §1er, alinéa2, de la même loi, à peine de nullité, la notification du congé doit mentionner le début et la durée du préavis;
Attendu que la nullité du préavis n'affecte pas la validité du congé; qu'aucune disposition légale ne subordonne la validité du congé à des règles de forme déterminées;
Que, la nullité du préavis affectant le délai du congé, le contrat de travail prend en principe immédiatement fin, même si la lettre de congé mentionne une date ultérieure;
Que, toutefois, l'attitude adoptée par l'employeur et le travailleur postérieurement à la notification d'un préavis irrégulier par laquelle ils donnent à penser que le congé n'est pas immédiat, ne couvre pas la nullité du préavis mais permet de considérer, après un délai raisonnable, qu'ils ont renoncé à leur droit de se prévaloir du congé immédiat; que,
dans ces circonstances, le contrat de travail subsiste jusqu'à ce qu'il y soit autrement mis fin;
Attendu que l'arrêt considère que la lettre du 29juillet 1999, par laquelle le demandeur a notifié à la défenderesse que le contrat de travail prenait fin le 1erseptembre 1999, ne constitue pas un préavis valable mais un congé;
Qu'il constate ensuite que le demandeur a continué de travailler après l'envoi de cette lettre, que ni le demandeur, ni la défenderesse n'ont réalisé le congé le 29juillet 1999 et que l'exécution du contrat de travail a été poursuivie "sans (donner lieu) à la moindre observation" jusqu'à ce que le demandeur refuse délibérément de se présenter au travail à partir du 1erseptembre 1999 et de poursuivre ses prestations au service de la défenderesse pour travailler au service d'une autre institution bancaire;
Attendu que l'arrêt considère, dans la mesure où la défenderesse a reçu la lettre de congé, qu'eu égard aux circonstances, les parties n'ont pas voulu réaliser immédiatement le congé et ont voulu réduire celui-ci à néant;
Qu'il pouvait décider par ce motif, sans violer les dispositions légales indiquées, que le contrat de travail n'a pris fin que le 1erseptembre 1999, date à laquelle le demandeur a rompu celui-ci, et condamner le demandeur au paiement d'une indemnité de congé;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli;
(.)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Robert Boes, les conseillers Ghislain Dhaeyer, Greta Bourgeois, Eric Stassijns et Luc Van hoogenbemt, et prononcé en audience publique du onze avril deux mille cinq par le président de section Robert Boes, en présence de l'avocat général Anne De Raeve, avec l'assistance du greffier adjoint délégué Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Philippe Echement et transcrite avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
Le greffier, Le président de section,