ETAT BELGE, ministre des Finances,
Me Ignace Claeys Bouuaert, avocat à la Cour de cassation,
contre
D. C.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2003 par la cour d'appel de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Dirk Thijs a conclu.
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
- article 48 du Code des droits de successions, modifié par le décret du Parlement flamand du 15 juillet 1997, et tel qu'il était en vigueur avant la modification de ce texte par le décret du 30 juin 2000;
- article 149 de la Constitution coordonnée.
Décision et motifs critiqués
L'arrêt «confirme le jugement attaqué» et condamne le demandeur aux dépens. Le jugement: «déclare la demande recevable et fondée; ordonne que les droits d'enregistrement dus en l'espèce soient à nouveau calculés et ordonne le remboursement éventuel compte tenu de ce qui précède, majoré des intérêts moratoires. Condamne le demandeur aux dépens».
La décision de l'arrêt est fondée sur la motivation suivante:
«L'article 48 du Code des droits de succession applicable inséré par l'article 2 du décret du Parlement flamand du 15 juillet 1997 (M.B. 1er octobre 1997) dispose que:
'Pour l'application du présent article, on entend par personnes vivant ensemble maritalement la ou les personnes qui vivaient ensemble avec le défunt sans interruption depuis au moins trois ans, à la date d'ouverture de la succession, ce fait étant établi au moyen d'un extrait du registre de population, et qui tenaient ménage avec lui, ce qui constitue une présomption réfragable. La tenue d'un ménage commun est démontrée entre autres par la volonté soutenue, manifestée à ce sujet par les deux parties, et par leur participation aux dépenses ménagères'.
Suivant l'administration il y a lieu de déduire de ce texte que la cohabitation ne peut être établie qu'au moyen d'un extrait du registre de population et en aucun cas d'une autre manière. La défenderesse défend par contre la thèse qu'un extrait du registre de population constitue un moyen de preuve ('étant établi au moyen de.') et pas une condition d'application du tarif réduit comme l'administration souhaite le faire admettre.
Les travaux préparatoires de ce décret démontrent que le pouvoir décrétal de 1997 avait l'intention d'appliquer un tarif de droits de succession réduit aux personnes vivant maritalement depuis un certain temps - au moins trois ans - et de ne pas les soumettre au tarif applicable à des personnes étrangères les unes aux autres. Cela ressort très clairement de l'exposé des motifs de la proposition de décret introduite par deux parlementaires suivant lequel (voir travaux parlementaires du Parlement flamand - pièce 694, 1996-1997, n°1):
'Les personnes qui ont tenu un ménage commun pendant plusieurs années, sont considérées pour les droits de succession comme des personnes étrangères l'une à l'autre si elles ne sont pas mariées.
Ceux qui sont à l'origine de la proposition trouvent cela inéquitable. Les personnes qui vivent ensemble sans interruption depuis au moins trois ans, sur une base libre, qui tiennent un ménage commun et qui s'avantagent l'une l'autre dans leur testament, ne peuvent être imposées comme des personnes étrangères l'une à l'autre.
Ils insèrent une nouvelle catégorie pour ces cohabitants dans le Code des droits de succession'.
La lecture du rapport fait au nom de la Commission des Finances et du Budget lors de la proposition de décret devant le Parlement flamand (pièce 694, 1996-1997, n°6) nous convainc que l'intention du législateur était précisément de faire bénéficier les cohabitants qui tenaient un ménage commun depuis au moins trois ans d'un tarif réduit de droits de succession.
Il n'est pas contesté que la défenderesse vivait avec le défunt et tenait un ménage commun avec lui depuis le 23 octobre 1981. Il est aussi établi que l'admission de L.F. dans une maison de repos au cours des derniers mois de sa vie s'imposait en raison de sérieux problèmes de santé (maladie d'Alzheimer). Cela n'empêche toutefois pas que ces partenaires étaient 'des cohabitants' au sens et dans l'esprit du décret, d'autant plus qu'il est établi et qu'il n'est pas davantage contesté qu'au cours de son hospitalisation, la défenderesse rendait visite quotidiennement à son partenaire et prenait soin de lui.
La circonstance que le domicile du défunt a été transféré à l'adresse de la maison de repos quelques mois avant son décès et ce à la demande de l'institution et pour de simples raisons administratives n'y change rien et constitue un cas de force majeure pour ces cohabitants.
Il ne se déduit d'aucun élément du texte du décret que seul un extrait du registre de population peut établir la cohabitation et qu'un tel certificat constitue une condition pour être considéré comme cohabitant. Au contraire, il ressort des travaux parlementaires que le pouvoir décrétal a voulu faciliter la preuve de la cohabitation pour les partenaires en se référant à un extrait du registre de population. Cela n'exclut toutefois pas que l'on puisse déduire la preuve de la cohabitation d'autres faits ou éléments et aussi que la force majeure puisse empêcher, comme c'est le cas en l'espèce, qu'un extrait du registre de population puisse être produit jusqu'au jour de l'ouverture de la succession.
Il y a donc lieu d'admettre dans les circonstances données que la défenderesse remplit les conditions prévues par l'article 48 du Code des droits de succession modifié par l'article 2 du décret du Parlement flamand du
15 juillet 1997 pour bénéficier du tarif réduit des droits successoraux».
Griefs
Le texte de l'article 48 du Code des droits de succession, tel qu'il était en vigueur le 3 avril 1998 soit la date de l'ouverture de la succession de feu L.F., et qui est cité in extenso dans l'arrêt, dispose que le tarif réduit peut s'appliquer aux personnes «qui vivaient avec le défunt sans interruption depuis trois ans au moins, à la date d'ouverture de la succession, ce fait étant établi au moyen d'un extrait du registre de la population .»
Ce texte est obligatoire et ne permet aucune dérogation pour des motifs d'équité. Pour des motifs d'équité, le juge ne peut pas davantage appliquer ce texte tel qu'il a été amendé par le décret du 30 juin 2000 entré en vigueur ultérieurement.
Ce texte requiert une cohabitation effective jusqu'au jour du décès et la preuve de ce fait par un extrait du registre de population. Ce moyen de preuve est imposé par le texte. Il n'est pas permis au juge, par dérogation à ce texte, de remplacer ce moyen de preuve imposé par des présomptions fondées sur la volonté soutenue manifestée par les parties de continuer à vivre ensemble.
La cohabitation est une situation de fait concrète. Il ne peut y avoir cohabitation «au sens et dans l'esprit du décret» sans cohabitation effective, c'est-à-dire sans être domicilié sous le même toit. La loi n'est pas davantage respectée lorsque cette cohabitation n'est pas établie au moyen d'un extrait du registre de population.
L'arrêt cite, d'une part, des circonstances de fait, d'autre part, les travaux parlementaires des deux décrets cités et la présentation d'un extrait du registre de population est négligée en tant que moyen de preuve obligatoire. Cela n'apporte toutefois aucune réponse à l'argument avancé par le demandeur qui est fondé sur le principe de légalité et l'exigence d'une stricte application de la loi. Il peut être fait référence à ce propos aux conclusions déposées le 31 décembre 2002 par le demandeur au greffe de la cour d'appel, plus particulièrement aux numéros 6 et 7 (pages 5-6) et aux conclusions déposées au même greffe le 27 mars 2003, sous les numéros 3 et 4 (page 2).
Conclusion
L'arrêt qui déroge à la signification claire du texte d'appliquer le tarif réduit lorsque le défunt et le bénéficiaire ne cohabitaient pas effectivement le jour du décès, et suivant lequel la cohabitation invoquée n'est pas établie par un extrait du registre de population, viole l'article 48 du Code des droits de succession tel qu'il était en vigueur le 3 avril 1998.
L'arrêt qui omet de répondre aux conclusions du demandeur insistant sur l'application stricte de la loi et sur l'obligation d'établir la cohabitation au moyen d'un extrait du registre de population, ne respecte pas l'obligation de motivation imposée (violation de l'article 149 de la Constitution coordonnée).
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'en vertu de l'article 48, alinéa 5, du Code des droits de succession modifié par le décret du 15 juillet 1997 fixant les droits de succession des personnes vivant ensemble maritalement, applicable en l'espèce dans la Région flamande, il y a lieu d'entendre par personnes vivant ensemble maritalement, pour l'application du tarif entre cohabitants, la ou les personnes qui vivaient avec le défunt sans interruption depuis au moins trois ans, à la date d'ouverture de la succession, ce fait étant établi au moyen d'un extrait du registre de population, et qui tenaient ménage commun avec lui, ce qui constitue une présomption réfragable;
Que cette disposition stipule en outre que le fait de tenir un ménage commun est démontré entre autres par la volonté soutenue manifestée à ce sujet par les parties, et par leur participation aux dépenses ménagères;
Qu'il ressort des travaux parlementaires de ce décret que le pouvoir décrétal avait l'intention d'appliquer un tarif réduit des droits de succession aux personnes vivant ensemble maritalement qui tenaient un ménage commun depuis au moins trois ans;
Que dans l'esprit de la loi, pour l'application de ladite disposition, les personnes qui sont admises dans une institution ou une maison de soins en raison d'une maladie grave sont censées continuer à vivre ensemble avec le partenaire avec lequel elles tenaient un ménage commun depuis au moins trois ans avant leur admission, dès lors qu'une telle hospitalisation forcée ne démontre pas en soi que «la volonté soutenue» des parties de tenir un ménage commun aurait pris fin;
Que la circonstance que, quelques mois avant son décès, le défunt a été inscrit dans les registres de population pour des motifs administratifs, à l'adresse de l'institution et la demande de celle-ci, n'y déroge pas;
Attendu que le moyen suppose qu'en cas d'admission forcée dans une institution - allant de pair avec une modification du domicile officiel «à l'initiative de la direction» - d'une personne cohabitant depuis plus de trois ans de manière ininterrompue, celle-ci «n'étant ainsi plus domiciliée sous le même toit», «il ne peut exister de cohabitation au sens et dans l'esprit du décret»;
Que, dans cette mesure, le moyen manque en droit;
Attendu qu'en outre l'arrêt rejette le moyen de défense visé au moyen et y répond par les motifs qu'il reproduit;
Que, dans cette mesure, le moyen manque en fait;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Luc Huybrechts, Eric Dirix, Paul Maffei et Albert Fettweis, et prononcé en audience publique du huit septembre deux mille cinq par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président Ivan Verougstraete et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le président,