H. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,
contre
D. E., et cons.,
défendeurs en cassation
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 mars 2004 par la cour d'appel de Mons.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 23, alinéa 1er, de la Constitution;
- articles 1675/3, alinéa 3, et 1675/13, § 1er, du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
Statuant en prosécution de cause de l'arrêt du 25 (lire 29) avril 2003, par lequel la cour d'appel : (1) a constaté, « que par ordonnance du 20 août 2001 du juge des saisies [du] tribunal de première instance de Charleroi, (le demandeur) a été admis à la procédure de règlement collectif de dettes, [le premier défendeur] étant désigné en qualité de médiateur ; qu'ont été notifiées au médiateur des créances pour un montant total de 3.166.403 francs alors que (le demandeur) n'a pour ressources que des allocations à titre de minimex qui lui sont versées par le c.p.a.s. ; que le médiateur a proposé un plan d'une durée de quatre ans moyennant le paiement de la somme globale de vingt euros par mois qualifiée de symbolique, à répartir sur les créanciers ; que divers créanciers ayant refusé cette proposition, le médiateur a sollicité, le 29 avril 2002, qu'il soit procédé à la phase judiciaire ; que, par jugement du 14 février 2003, le juge des saisies a considéré que la demande en règlement collectif de dettes devait être dite non fondée, la capacité financière (du demandeur) étant à ce point réduite qu'aucun plan amiable ou judiciaire n'est concevable » ; (2) a considéré « que la situation d'insolvabilité définitive du débiteur n'empêche pas a priori l'octroi d'un plan de règlement judiciaire ; que cette situation ne doit cependant pas amener le juge à accorder de manière automatique une remise quasi totale de dettes sans examen concret de la situation du demandeur ; que les travaux préparatoires de la loi n'envisagent une telle remise que comme étant une solution ultime, lorsqu'aucune autre mesure n'est possible ; qu'ils précisent qu'en pareil cas, le plan ne revêtira plus qu'un caractère symbolique, seules des mesures d'accompagnement garderont leur peine signification » ; (3) a ordonné la réouverture des débats aux motifs « qu'en l'espèce (le demandeur) soutient qu'il se trouve dans une situation d'insolvabilité totale, qu'il présente comme étant définitive, devant entraîner la décharge de l'entièreté de ses dettes, moyennant des versements symboliques ; qu'il convient d'examiner concrètement la situation (du demandeur) afin d'en connaître l'origine et les causes de son maintien ainsi que ses perspectives futures avant de dire si un plan judiciaire doit ou non lui être accordé, en précisant les mesures d'accompagnement qui s'imposeraient le cas échéant ; que (le demandeur) ne s'est guère expliqué à cet égard, de sorte qu'il convient de rouvrir les débats afin de lui permettre de ce faire »,
l'arrêt attaqué, par confirmation de la décision du premier juge, rejette la demande de règlement collectif de dettes du demandeur.
L'arrêt attaqué fonde cette décision sur les motifs suivants:
Le demandeur « s'est borné en ses conclusions à reproduire la teneur des correspondances échangées entre son conseil et le juge des saisies en 2001, ce qui n'apporte évidemment aucun éclaircissement quant au maintien de la situation depuis lors et quant aux perspectives futures (du demandeur) (.). En plaidoirie, son conseil, outre des considérations théoriques quant à l'évolution de la jurisprudence, s'est borné à préciser que (le demandeur) continue à bénéficier de l'aide du c.p.a.s. et qu'il n'y a pas de changement en vue. Comme déjà précisé par le précédent arrêt, la situation d'insolvabilité définitive du débiteur n'empêche pas a priori l'octroi d'un plan de règlement judiciaire. Toutefois, cette situation ne doit pas amener le juge à accorder de manière automatique une remise quasi totale de dettes sans examen concret de la situation du débiteur. Le plan avec remise de dettes ne sera décidé que si le juge l'estime indispensable face à des situations de surendettement particulièrement délabrées où le débiteur ne dispose pas de moyens suffisants pour rembourser ses créanciers. Une remise quasi totale pourra être accordée dans les situations les plus extrêmes lorsque seule cette disposition permet de préserver encore la dignité humaine. En ce cas, c'est le critère du redressement de la situation financière qui est essentiel et non la hauteur de la capacité de remboursement de débiteur. En l'espèce, à défaut d'informations précises et actualisées, il n'est pas établi que (le demandeur) se trouve bien dans une situation telle qu'une remise quasi totale de ses dettes s'impose afin de redresser sa situation financière et de lui permettre de mener une existence conforme à la dignité humaine ».
Griefs
En vertu de l'article 23, alinéa 1er, de la Constitution, « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ».
C'est notamment pour garantir le respect de cette disposition constitutionnelle que le législateur a inséré dans le Code judiciaire la procédure du règlement collectif de dettes. L'article 1675/3 dudit code permet au juge d'imposer aux créanciers un plan de règlement judiciaire si le débiteur n'a pas obtenu l'accord de ses créanciers sur le plan de règlement amiable qui leur a été proposé (alinéas 1er et 2). Selon l'alinéa 3 de cette disposition, « le plan de règlement a pour objet de rétablir la situation financière du débiteur, en lui permettant notamment dans la mesure du possible de payer ses dettes et en lui garantissant simultanément ainsi qu'à sa famille, qu'ils pourront mener une vie conforme à la dignité humaine » (article 1675/3, alinéa 3).
A cet effet, le plan de règlement imposé par le juge peut comprendre des mesures relatives aux délais de paiement, aux intérêts et aux sûretés (article 1675/12, § 1er, du Code judiciaire). Selon l'article 1675/13, § 1er, « si les mesures prévues à l'article 1675/12, § 1er, ne permettent pas d'atteindre l'objectif visé à l'article 1675/3, alinéa 3, à la demande du débiteur, le juge peut décider toute autre remise partielle de dettes, même en capital, aux conditions suivantes : - tous les biens saisissables sont réalisés à l'initiative du médiateur de dettes, conformément aux règles des exécutions forcées [.] - après réalisation des biens saisissables, le solde restant dû par le débiteur fait l'objet d'un plan de règlement dans le respect de l'égalité des créanciers, sauf en ce qui concerne les obligations alimentaires en cours visées à l'article 1412, alinéa 1er. Sans préjudice de l'article 1675/15, § 2, la remise de dettes n'est acquise que lorsque le débiteur aura respecté le plan de règlement imposé par le juge et sauf retour à meilleure fortune du débiteur avant la fin du plan de règlement judiciaire ».
Lorsque les mesures prévues par l'article 1675/12, § 1er, du Code judiciaire ne suffisent pas pour redresser la situation financière du débiteur et lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine, le plan de règlement judiciaire peut donc comprendre une remise de dettes quasi totale en capital, étant toutefois exigé que le débiteur participe symboliquement au désintéressement de ses créanciers, après la réalisation de tous ses biens saisissables. Le critère qui doit guider le juge est celui du redressement de la situation financière du débiteur qui doit permettre à ce dernier de retrouver, après le règlement de sa situation de surendettement, une situation en accord avec l'article 23, alinéa 1er, de la Constitution.
Dès lors, dans les situations de surendettement extrême, lorsqu'il existe une disproportion entre les ressources du débiteur et ses dettes, seule une remise de dettes quasi totale en capital peut permettre au débiteur de redresser sa situation financière. En pareil cas, afin d'assurer le respect du but de la loi, à savoir permettre aux personnes insolvables de repartir à zéro après une période d'efforts consentis, le juge doit octroyer une remise de dettes en capital si le débiteur le demande et qu'il accepte que ses biens saisissables soient aliénés.
Le juge ne peut refuser d'accorder un plan de règlement collectif de dettes avec remise de dette partielle en capital, dans des situations de surendettement extrême, que si le débiteur ne veut pas ou ne peut pas collaborer à ce plan de sorte que sa situation financière ne cessera de s'aggraver en dépit du plan sollicité. En revanche, les éventuelles fautes du débiteur qui l'ont mené à sa situation d'endettement ne peuvent justifier le refus d'un règlement collectif de dettes judiciaire.
En l'espèce, dans l'arrêt avant dire droit du 25 (lire 29) avril 2003, la cour d'appel a constaté le montant total des dettes du demandeur (3.166.403 francs) ainsi que la limitation de ses ressources aux allocations versées par le c.p.a.s. à titre de minimum de moyen d'existence. L'arrêt attaqué ne dénie pas que, comme l'a soutenu le conseil du demandeur en termes de plaidoirie, celui-ci n'a d'autre perspective de revenu que l'aide du c.p.a.s., même si, selon l'arrêt, le demandeur n'a apporté dans ses conclusions aucun éclaircissement sur le maintien de sa situation depuis 2001 et sur ses perspectives futures. Par ailleurs, l'arrêt attaqué ne dénie pas que le demandeur est disposé à affecter une somme symbolique au désintéressement de ses créanciers. L'arrêt attaqué ne lui conteste pas la possibilité ou la capacité de le faire. Il n'a du reste constaté ni que le capital à rembourser aurait augmenté ni que le demandeur aurait refusé la réalisation de ses biens saisissables. Il ressort de ces constatations que le demandeur se trouvait dans la situation visée par le législateur lorsqu'il a prévu qu'un plan de règlement collectif de dettes avec remise partielle en capital pouvait être accordé.
Dès lors, l'arrêt attaqué n'a pas pu légalement considérer qu'« il n'est pas établi que (le demandeur) se trouve bien dans une situation telle qu'une remise quasi totale de dettes s'impose afin de redresser sa situation financière et de lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine » ; en fondant sur ce motif le rejet de la demande de règlement collectif de dettes, l'arrêt attaqué viole l'article 23, alinéa 1er, de la Constitution et les articles 1675/3, alinéa 3, et 1675/13, § 1er, du Code judiciaire en tant que ceux-ci visent à permettre de libérer des personnes insolvables de leurs dettes pour qu'elles puissent mener à nouveau une vie conforme à la dignité humaine.
La décision de la Cour
Attendu que l'arrêt attaqué ne dénie pas que, lorsque la situation du débiteur est obérée, le juge peut admettre celui-ci au règlement collectif de dettes organisé par la loi du 5 juillet 1998 et lui accorder une remise quasi totale de ses dettes afin de redresser sa situation financière et lui permettre de mener désormais une existence conforme à la dignité humaine;
Attendu que, sans être critiqué par le moyen, l'arrêt énonce que, pour apprécier s'il y a lieu d'accorder pareille remise de dettes, «c'est le critère du redressement de la situation financière qui est essentiel et non la hauteur de la capacité de remboursement du débiteur»;
Qu'il considère qu'une telle remise de dettes ne peut être accordée «sans examen concret de la situation du débiteur», qui doit apporter les éclaircissements nécessaires sur l'évolution de sa situation et les perspectives d'avenir;
Attendu que l'arrêt attaqué qui considère, après la réouverture des débats, «qu'en l'espèce, à défaut d'informations précises et actualisées, il n'est pas établi que [le demandeur] se trouve bien dans une situation telle qu'une remise quasi totale de ses dettes s'impose afin de redresser sa situation financière et de lui permettre de mener une existence conforme à la dignité humaine», justifie légalement sa décision de rejeter la demande de règlement collectif de dettes;
Que le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux cent septante-cinq euros cinquante et un centimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, le président de section Philippe Echement, les conseillers Didier Batselé, Albert Fettweis et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du neuf septembre deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.