EUROMAF-ASSURANCE DES INGENIEURS ET ARCHITECTES EUROPEENS, société de droit français dont le siège est établi à Paris (France), rue Hamelin, 16, venant aux droits et obligations de la demanderesse sub 2, et cons., demanderesses en cassation,
représentées par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 81, où il est fait élection de domicile,
contre
T. C. et cons.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 juin 2004 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Le moyen de cassation
Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 34, § 2, spécialement alinéa 2, 35, §§ 3 et 4, et 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre avant la modification de cette loi par la loi du 22 août 2002 portant diverses dispositions relatives à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs;
- articles 2219, 2242, 2244, 2251 et 2261 du Code civil;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, pour rejeter le moyen par lequel la [seconde] demanderesse soutenait que l'action dirigée contre elle était prescrite, se fonde sur les motifs suivants :
«[La seconde demanderesse] fait grief au premier juge d'avoir considéré que la prescription prenait cours à dater de l'apparition du dommage et d'avoir estimé qu'elle avait été valablement interrompue par un courrier du conseil de l'architecte L. adressé à [la seconde demanderesse] le 3 décembre 1996.
L'article 34, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre énonce la règle générale selon laquelle le délai de prescription de toute action dérivant du contrat d'assurance est de trois ans ; le délai court à partir du jour de l'événement qui donne ouverture à l'action ; si celui à qui appartient l'action prouve qu'il n'a eu connaissance de cet événement qu'à une date ultérieure, le délai commence à courir à cette date, sans pouvoir excéder cinq ans à dater de l'événement.
Le paragraphe 2 du même article déroge à cette règle en disposant que l'action résultant du droit propre de la personne lésée contre l'assureur se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ; si la personne lésée établit qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai commence à courir à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage.
Le législateur a voulu, à la fois, respecter le principe selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'ignorance de son droit et fixer un délai maximal endéans lequel l'action doit être exercée.
En l'espèce, les [défendeurs] exercent l'action résultant de leur droit propre contre l'assureur qui, conformément au paragraphe 2 de l'article 34 de la loi précitée, se prescrit par cinq ans depuis le fait générateur du dommage ou l'apparition de celui-ci, sans pouvoir excéder le délai maximal de dix ans.
Les travaux de construction, qui constituent le fait générateur du dom-mage, ont été exécutés dans le courant de l'année 1990, tandis que les [défendeurs] ont eu connaissance de leur droit envers l'assureur de l'architecte à l'apparition des fissures dans le courant de l'année 1995 ; ils pouvaient donc agir au-delà de l'année 1995 mais en respectant le délai de prescription de dix ans à compter du fait générateur du dommage, soit jusque dans le courant de l'année 2000, sauf suspension ou interruption de la prescription.
L'article 35, § 4, de la loi précitée du 25 juin 1992 dispose en effet que la prescription de l'action visée à l'article 34, § 2, est interrompue dès que l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'obtenir l'indemnisation de son préjudice ; cette interruption cesse au moment où l'assureur fait connaître par écrit, à la personne lésée, sa décision ou son refus d'indemnisation.
Cette disposition ne pose aucune exigence de forme quant à la manière dont l'assureur doit être informé de la volonté de la personne lésée d'être indemnisée.
En l'espèce, [la seconde demanderesse] a été informée, par courrier adressé le 3 décembre 1996 par le conseil de l'architecte Ledoux, de la procédure judiciaire diligentée contre lui par les [défendeurs] ; à ce courrier était annexée la copie de la citation et celle du jugement du 24 septembre 1996 ordonnant une mesure d'expertise.
Par ce courrier, [la seconde demanderesse] a, incontestablement, été informée de la volonté des [défendeurs] d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice.
C'est d'ailleurs à la suite de ce courrier que la [seconde demanderesse] a mandaté un avocat pour assister à la première réunion d'expertise du 11 décembre 1996, à laquelle celui-ci l'a effectivement représentée (rapport de l'expert Honoré, pp. 3 et 4).
La prescription a donc été interrompue le 3 décembre 1996.
La [seconde demanderesse] a fait connaître, par écrit, sa décision de refus d'indemnisation aux [défendeurs] dès lors que la lettre adressée le 12 mai 1997 par le conseil de [la seconde demanderesse] au conseil des [défendeurs], signalant la fin de son intervention sans autre explication, ne peut qu'être considérée comme un refus d'indemnisation ; l'interruption de la prescription a donc pris fin le 12 mai 1997.
L'interruption de la prescription a pour effet d'effacer le temps qui a couru jusqu'à la cause qui la produit, avec la conséquence qu'une nouvelle prescription prend cours lorsque la cause d'interruption disparaît (M. Regout-Masson, La prescription en droit civil, CUP, volume XXIII, avril 1998).
Eu égard aux motifs exposés ci-avant :
- un nouveau délai de prescription de cinq ans a donc commencé à courir le 13 mai 1997 et venait à échéance le 12 mai 2002 ;
- la citation introductive d'instance, signifiée le 14 janvier 2002, avant l'expiration du nouveau délai de prescription, n'est dès lors pas tardive ;
- l'action directe des [défendeurs] a donc été introduite en temps utile et n'est pas éteinte».
Griefs
1. Première branche
La [seconde] demanderesse soutenait en conclusions:
«Que le problème principal de ce litige est la prescription;
Qu'in casu, les travaux de construction (fait générateur) ont été exécutés à partir de l'année 1989 pour se terminer en 1990 (date la plus favorable pour la personne lésée: 31 décembre 1990) et que des fissures (dommages subis par la personne lésée) sont apparues en 1995 (date la plus favorable pour la personne lésée: 31 décembre 1995);
Que si l'on s'en tient aux termes de la loi, la personne lésée a un droit d'action directe (principe général) contre l'assureur pendant cinq ans à compter du fait générateur du dommage;
Que, dans le cas d'espèce, cela signifie que le délai de prescription a pris cours au plus tard le 31 décembre 1990 pour se terminer le 31 décembre 1995, c'est-à-dire durant l'année au cours de laquelle des fissures sont apparues, ce qui est difficilement acceptable, vu la réduction, voire la suppression, de tout délai d'action ;
Que la loi de 1992 comble précisément cette lacune et prévoit que si la personne lésée n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commence à courir qu'à cette date, sans toutefois pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage;
Que, dès lors, dans le cas d'espèce, la personne lésée pouvait agir contre l'assureur au-delà du 31 décembre 1995 mais sans excéder une période de dix ans (délai de forclusion) à compter du fait générateur du dommage, soit à compter du 31 décembre 1990 au plus tard ;
Que la citation qui intervient le 14 janvier 2002 est manifestement tardive;
Qu'en effet, l'action est prescrite depuis le 31 décembre 2000 ;
Qu'il échet en outre de rappeler que si le premier juge a eu tort de décider que le délai de prescription commençait à courir à dater de l'apparition du dommage, il a également eu tort de ne pas considérer comme acquise la prescription de l'action à l'échéance d'un délai de cinq ans à compter de l'apparition des fissures ;
Qu'en effet, même à suivre le raisonnement du premier juge quant à la prise d'effet du délai de prescription à l'apparition des fissures, soit le 31 décembre 1995 (date la plus favorable aux [défendeurs]), il fallait constater que l'action introduite en date du 14 janvier 2002 était formulée plus de cinq ans après 'l'apparition du dommage' et donc était prescrite;
Absence d'interruption ou de suspension de la prescription
Qu'ainsi qu'il vient d'être démontré, l'action est prescrite en toute hypothèse depuis le 31 décembre 2000 ;
Que cette prescription est calculée à partir du fait générateur, la construction de l'immeuble dans les années 1989-1990, et court durant un délai maximal de dix ans, délai du reste de forclusion, c'est-à-dire non susceptible d'interruption ou de suspension».
L'arrêt par les motifs reproduits au moyen ne rencontre pas ces conclusions en ce qu'elles soutenaient que le délai de dix ans à compter du fait générateur était un délai de forclusion non susceptible d'interruption ou de suspension et en déduisaient que le fait générateur du dommage s'étant produit (au plus tard) le 31 décembre 1990 la forclusion était acquise, sans avoir pu être interrompue, le 31 décembre 2000, soit avant l'introduction de l'action le 14 janvier 2002.
L'arrêt n'est ainsi pas régulièrement motivé et viole l'article 149 de la Constitution.
2. Deuxième branche
L'article 34, § 2, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 visé au moyen prévoit que «l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 86 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage».
L'alinéa 2 du même article déroge à cette règle lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date postérieure à la survenance du fait générateur du dommage. Dans ce cas, le délai de prescription de cinq ans prévu à l'alinéa 1er ne commence à courir qu'à partir de cette date sans pouvoir excéder dix ans à partir du fait générateur du dommage. Ce délai de dix ans est un délai de forclusion qui n'est susceptible ni d'interruption ni de suspension.
Ayant constaté que le fait générateur du dommage, à savoir les travaux de construction, datait de 1990 et que le délai de dix ans venait en conséquence à expiration en 2000, la cour [d'appel] n'a pu légalement considérer que ce délai de forclusion avait été interrompu le 3 décembre 1996 et en déduire que l'action introduite le 14 janvier 2002 n'était pas tardive (violation des articles 34, § 2, et 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et des articles 2219, 2242, 2244, 2251 et 2261 du Code civil).
3. Troisième branche
L'article 35, § 4, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre énonce que le délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 34, § 2, alinéa 1er, est interrompu «dès que l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'obtenir l'indemnisation de son préjudice. Cette interruption cesse dès le moment où l'assureur fait connaître par écrit à la personne lésée sa décision d'indemnisation ou son refus».
Comme le soutenait la [seconde] demanderesse en conclusions, il résulte de cette disposition que la prescription de cinq ans prévue à l'article 34, § 2, alinéa 1er, n'est interrompue que si la personne lésée fait savoir à l'assureur son intention d'exercer contre lui l'action directe de l'article 86 en vue d'être indemnisée. La déclaration de sinistre faite par l'assuré à son assureur visée à l'article 35, § 3, de la loi n'a d'effet, par contre, qu'entre ces deux parties et n'interrompt par conséquent pas la prescription de l'action de la personne lésée contre l'assureur.
L'arrêt retient comme cause d'interruption de la prescription de l'action des défendeurs contre la [seconde] demanderesse fondée sur l'article 86 de la loi un«courrier adressé le 3 décembre 1996 par le conseil de l'architecte Ledoux» informant la [seconde] demanderesse «de la procédure judiciaire diligentée contre lui par les [défendeurs]» auquel étaient annexés une copie de la citation de ces derniers contre l'architecte et le jugement ordonnant une expertise.
Cette communication était sans doute l'expression de la volonté des défendeurs d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice à charge de l'architecte Ledoux et de la volonté de celui-ci de se faire couvrir par la garantie de l'assurance qu'il avait souscrite auprès de la [seconde] demanderesse, mais non l'expression de la volonté des défendeurs d'exercer contre la [seconde] demanderesse l'action propre qui leur est reconnue par l'article 86 de la loi du 25 juin 1992.
Certes, comme l'a constaté la cour [d'appel], l'article 35, § 4, de la loi ne définit pas la forme selon laquelle le tiers lésé doit manifester sa volonté d'exercer cette action contre l'assureur. Encore faut-il que l'information donnée à l'assureur soit l'expression de cette volonté. Tel n'est pas le cas d'un courrier émanant de l'assuré faisant part de l'existence du sinistre et de l'action dirigée contre lui.
En retenant la lettre précitée du 3 décembre 1996 comme constituant une cause d'interruption de la prescription de l'action des défendeurs à l'encontre de la [seconde] demanderesse fondée sur l'article 86 de la loi, l'arrêt méconnaît en conséquence l'ensemble des dispositions légales visées au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution.
La décision de la Cour
Quant à la première branche:
Attendu que l'arrêt énonce que «les travaux de construction, qui constituent le fait générateur du dommage, ont été exécutés dans le courant de l'année 1990, tandis que les [défendeurs] ont eu connaissance de leur droit envers l'assureur de l'architecte à l'apparition des fissures dans le courant de l'année 1995» et qu'«ils pouvaient donc agir au-delà de l'année 1995 mais en respectant le délai de prescription de dix ans à compter du fait générateur du dommage, soit jusque dans le courant de l'année 2000, sauf suspension ou interruption de la prescription»;
Qu'ainsi, l'arrêt répond, en les contredisant, aux conclusions de la seconde demanderesse faisant valoir que le délai de dix ans à compter du fait générateur du dommage, visé à l'article 34, § 2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, est un délai de forclusion non susceptible d'interruption ou de suspension;
Que le moyen, en cette branche,
manque en fait;
Quant à la deuxième branche:
Attendu que suivant l'article 34, § 2, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992, l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 86 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, à compter du jour où celle-ci a été commise;
Que l'alinéa 2 dispose que, toutefois, lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commence à courir qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, du jour où celle-ci a été commise;
Que l'existence de cette limite de dix ans n'a pas pour effet de transformer ce délai en un délai de forclusion non susceptible d'être interrompu ou suspendu;
Que le moyen qui, en cette branche, revient à soutenir le contraire, manque en droit;
Quant à la troisième branche:
Attendu que l'article 35, § 4, de la loi du 25 juin 1992, dispose que la prescription de l'action visée à l'article 34, § 2, est interrompue dès que l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'obtenir l'indemnisation de son préjudice et que cette interruption cesse au moment où l'assureur fait connaître par écrit, à la personne lésée, sa décision d'indemnisation ou son refus;
Que le moyen qui, en cette branche, soutient que la prescription prévue à l'article 34, § 2, n'est interrompue que si l'assureur est informé de la volonté de la personne lésée d'exercer l'action visée à l'article 86 de la même loi, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent nonante-quatre euros huit centimes envers les parties demanderesses et à la somme de cent soixante-quatre euros trente-deux centimes envers les parties défenderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller Christian Storck, faisant fonction de président, les conseillers Albert Fettweis, Daniel Plas, Christine Matray et Benoît Dejemeppe, et prononcé en audience publique du sept octobre deux mille cinq par le conseiller Christian Storck, faisant fonction de président, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.