V. V., aux bons soins de Maître Vincent Colson, domicilié à Verviers, rue des Martyrs, 24,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
contre
LES ASSURES REUNIS, anciennement dénommée Assar, société anonyme,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2002 par la cour d'appel de Liège dans la cause 2000/RG/1346.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
Articles 742, 745, 746, 747, particulièrement 747, § 2, alinéa 6, et 1042 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt « dit n'y avoir lieu à l'écartement d'office des conclusions de [la défenderesse] déposées au greffe de la cour [d'appel] le 18 mai 2001, soit dans le délai imparti par l'ordonnance rendue le 22 janvier 2001 en application de l'article 747 du Code judiciaire », bien qu'elles aient été communiquées au conseil du demandeur le 20 juin 2001 seulement, soit plus de trente jours après l'expiration du délai imparti par l'ordonnance pour conclure.
L'arrêt fonde sa décision sur les motifs suivants:
« que l'original des conclusions de [la défenderesse] a été déposé au greffe de la cour [d'appel] le 18 mai 2001 ; qu'elles ont été adressées par télécopieur le 20 juin 2001 au conseil [du demandeur] ; que le conseil de [la défenderesse] qui a été invité à s'expliquer à ce sujet à l'audience du 16 septembre 2002 a déclaré être dans l'impossibilité de prouver avoir communiqué ses conclusions au conseil [du demandeur] avant le 20 juin 2001 (voir le procès-verbal d'audience du 16 septembre 2002) ;
que la sanction visée à l'article 747, § 2, du Code judiciaire, de l'écartement d'office des conclusions tardives, ne peut s'appliquer que dans les cas visés par la loi, les termes utilisés dans l'ordonnance étant sans incidence ;
qu'en vertu de l'article 742 du Code judiciaire, les parties adressent ou déposent au greffe l'original de leurs conclusions ; qu'en vertu de l'article 745 du même code, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu'elles sont remises au greffe ; qu'en vertu de l'article 746 du même code, la remise des conclusions au greffe vaut signification ; que, contrairement à l'article 747, § 2, du même code, sans préjudice de l'application des exceptions prévues à l'article 748, §§ 1er et 2, - lesquelles ne sont pas applicables en l'espèce -, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé les délais pour conclure, les conclusions qui ont été communiquées après l'expiration du délai sont d'office écartées des débats ;
qu'il résulte de la combinaison des articles mentionnés ci-avant que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai déterminé par le juge sont écartées d'office des débats (Cass. 23 mars 2001, R.G. n° C.97.0270.N) ».
Griefs
L'article 745 du Code judiciaire dispose que « toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat 'en même temps' qu'elles sont remises au greffe » tandis que l'article 747, § 2, in fine, prévoit que sans préjudice de l'application d'exceptions non applicables en l'espèce, lorsque le juge a fixé les délais pour conclure, « les conclusions communiquées après l'expiration des délais (...) sont 'd'office' écartées des débats ».
Il importe peu par conséquent que les droits de défense de la partie adverse n'aient pas été violés par la communication tardive des conclusions. Le juge est tenu d'écarter d'office les conclusions déposées après l'expiration du délai imparti par l'ordonnance aménageant les délais pour conclure.
A tort, l'arrêt objecte-t-il qu'en vertu de l'article 742 du Code judiciaire, les parties adressent ou déposent leurs conclusions au greffe, l'article 746 précisant que « la remise des conclusions au greffe vaut signification ».
Si la remise des conclusions au greffe vaut signification, c'est parce que l'article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire a prévu que « toutes conclusions sont adressées [à la partie adverse ou à son avocat] en même temps qu'elles sont remises au greffe ». Autrement dit, l'article 746 ne peut être dissocié de l'article 745. La remise des conclusions au greffe vaut signification dans la mesure où les conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu'elles sont remises au greffe (article 745 du Code judiciaire).
Si cette condition n'est pas remplie, la remise des conclusions au greffe ne vaut pas signification ou du moins c'est une signification qui n'est pas l'équivalent de la communication des conclusions à la partie adverse.
Ceci est confirmé par l'article 745, alinéa 2, du Code judiciaire, qui dispose que « la communication des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l'envoi des conclusions ». Le dépôt des conclusions non accompagné de leur envoi à la partie adverse ne vaut donc certainement pas communication des conclusions.
C'est bien pourquoi l'article 747, § 2, du Code judiciaire a prévu, non pas que les conclusions déposées tardivement, mais que les conclusions «communiquées » tardivement seront d'office écartées des débats.
Il résulte de cette disposition que c'est la date de la communication des conclusions à la partie adverse et non celle de leur dépôt au greffe qui est déterminante pour apprécier l'éventuel dépassement du délai.
Il s'ensuit que la décision selon laquelle les conclusions communiquées au conseil de la demanderesse plus de trente jours après l'expiration du délai pour conclure ne doivent pas être écartées des débats étant donné qu'elles ont été déposées au greffe dans le délai déterminé par le juge et que les droits de défense du demandeur n'ont pas été violés, n'est pas légalement justifiée (violation des dispositions légales citées en tête du moyen).
La décision de la Cour
Attendu qu'aux termes de l'article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu'elles sont remises au greffe;
Attendu qu'en vertu de l'article 747, § 2, alinéa 5, du Code judiciaire, le président ou le juge désigné par celui-ci, détermine les délais pour conclure et fixe la date de l'audience des plaidoiries ;
Que le sixième alinéa de cette même disposition légale dispose que, sans préjudice de l'application des exceptions prévues à l'article 748, §§ 1er et 2, étrangères à la présente espèce, les conclusions communiquées après l'expiration des délais déterminés à l'alinéa précédent sont d'office écartées des débats ;
Que, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tous deux avoir lieu dans le délai fixé ;
Que la seule remise des conclusions au greffe, sans envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi;
Qu'il s'impose en pareil cas au juge d'écarter les conclusions même si elles ont été déposées au greffe dans le délai ;
Attendu qu'en décidant que les conclusions principales de la défenderesse ne devaient pas être écartées des débats, bien qu'elles n'eussent été communiquées au conseil du demandeur qu'après l'expiration du délai fixé par le juge, l'arrêt viole l'article 747, § 2, du Code judiciaire ;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Claude Parmentier, le président de section Ernest Waûters, le conseiller Greta Bourgeois, le président de section Philippe Echement, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Paul Maffei et Albert Fettweis, et prononcé en audience publique et plénière du neuf décembre deux mille cinq par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.