ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,
contre
FORTIS BANQUE, société anonyme,
défenderesse en cassation.
I. La décision attaquée
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2002 par la cour d'appel de Liège.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
III. Les moyens de cassation
A. Quant au pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.03.0128.F:
Par un acte déposé au greffe de la Cour le 30 avril 2003, le demandeur se désiste de son pourvoi.
B. Quant au pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.03.0206.F:
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 2, 1390, alinéa 6, 1543 et 1627 du Code judiciaire;
- article 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée;
- article 300, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- articles 164 et 165 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué, confirmant sur ce point la décision du premier juge, décide que, « dès lors que les receveurs compétents ont été informés par l'huissier Jentges de la volonté de [la défenderesse] de s'associer aux saisies pratiquées et de venir en concours sur le prix de réalisation des deniers saisis, ils se devaient, dès lors qu'ils n'avaient aucun pouvoir pour effectuer eux-mêmes la répartition prévue par la loi, de remettre les fonds à l'huissier (...) afin qu'il soit procédé conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire » et, en conséquence, déboute le demandeur de son appel.
L'arrêt attaqué fonde sa décision sur les motifs suivants:
Se référant tout d'abord à l'enseignement de la Cour, l'arrêt constate qu'en vertu de l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire, aucune remise ou distribution des deniers saisis ou provenant de la vente de biens meubles saisis ne peut avoir lieu que conformément aux dispositions de l'article 1627 du Code judiciaire, et « que l'article 1390, qui donne une portée concrète à la nature collective de la saisie mobilière, a une portée générale et est en principe applicable également en cas de saisie-arrêt-exécution ».
L'arrêt précise en outre, à propos du caractère collectif des saisies, « qu'il y va d'une règle générale à laquelle il ne peut être dérogé que par un texte de loi ».
Examinant ensuite les articles 164 et 165 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 et 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, l'arrêt attaqué juge que, « même s'ils prévoient des modalités particulières », ils « ne dérogent au droit commun que par 'la simplification des formes destinées à éviter le recours à l'huissier de justice, ce qui arrête là (leur) spécificité' au-delà de laquelle s'appliquent les dispositions du Code judiciaire», qu'ils « prévoient l'établissement de l'avis de saisie instauré par l'article 1390 du Code judiciaire, ce qui confirme la vocation collective de la saisie-arrêt fiscale » et que « l'existence de 'spécificités' propres à la saisie-arrêt fiscale en matière de contributions directes et en matière de T.V.A. mises en exergue par (le demandeur) » et le fait que, dans certaines circonstances, ces articles « imposent aux administrations concernées de recourir à une saisie-arrêt-exécution par voie d'huissier (...) n'énervent en rien les considérations qui précèdent ».
L'arrêt rappelle enfin « qu'il est de principe que la saisie pratiquée ne confère au créancier aucun privilège (...), que tout autre créancier a le droit de s'associer aux poursuites et de concourir à la distribution du prix de réalisation du bien saisi » et « qu'il est fermement admis que la procédure de distribution par contribution s'applique au produit d'une saisie-arrêt ».
Griefs
En vertu de l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire, « aucune remise ou distribution des deniers saisis ou provenant de la vente de biens meubles saisis ne peut avoir lieu que conformément aux dispositions de l'article 1627 » qui organise une procédure de distribution par contribution confiée à un huissier de justice.
Cette disposition renferme l'expression concrète du caractère collectif de la saisie mobilière, laquelle doit nécessairement déboucher sur une procédure de distribution par contribution en application des articles 1627 et suivants du Code judiciaire.
Sans doute, l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire se voit-il aussi reconnaître une portée générale. Cependant, ce n'est qu'en principe et sous réserve d'exceptions éventuelles qu'il est permis de considérer qu'il est également applicable en matière de saisie-arrêt-exécution de droit commun.
Dans ce cas et sur la base de l'article 1543 du Code judiciaire, l'obligation de remise en mains de l'huissier de justice instrumentant porte sur la créance objet de la saisie.
La portée générale de l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire est par ailleurs largement tempérée par l'article 2 du Code judiciaire qui dispose que « les règles énoncées dans le présent code s'appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées (...) dont l'application n'est pas compatible avec celles des dispositions dudit code ».
Les saisies-arrêts fiscales litigieuses résultent en l'espèce de la mise en oeuvre de normes fiscales spécifiques dont l'application est incompatible avec la règle précitée déduite de l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire, réserve faite cependant des situations particulières pour lesquelles ces dispositions fiscales organisent elles-mêmes le passage à la saisie-arrêt-exécution de droit commun (articles 85bis, § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et 165 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992).
En matière de taxe sur la valeur ajoutée, le Code de la taxe sur la valeur ajoutée met en place un mécanisme de poursuites indirectes dont les modalités dérogent en plusieurs points au droit commun de l'exécution forcée et notamment aux articles 1390, alinéa 6, et 1627 et suivants du Code judiciaire.
L'article 85bis, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée dispose que «...le fonctionnaire chargé du recouvrement peut faire procéder, par pli recommandé à la poste, à la saisie-arrêt-exécution entre les mains d'un tiers sur les sommes et effets dus ou appartenant au redevable... ».
L'article 85bis, § 2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée précise que, « sous réserve de ce qui est prévu au § 1er, les dispositions des articles 1539, 1540, 1542, premier et deuxième alinéas, et 1543 du Code judiciaire sont applicables à cette saisie », mais ajoute aussitôt qu'il est « entendu que la remise du montant de la saisie se fait entre les mains du fonctionnaire chargé du recouvrement ».
Cette disposition fixe ainsi les modalités d'une saisie-arrêt fiscale en matière de taxe sur la valeur ajoutée qui se caractérise notamment par le fait qu'elle évite tout recours à l'huissier de justice et qui, par voie de conséquence, se trouve affranchie des contraintes des articles 1390, alinéa 6, et 1627 et suivants du Code judiciaire, lesquels ne sont d'ailleurs pas repris dans l'énumération limitative que fait le législateur des dispositions du Code judiciaire qui sont applicables à cette saisie.
Vouloir consacrer l'application générale des articles 1390, alinéa 6, et 1627 et suivants du Code judiciaire à cette saisie-arrêt fiscale revient ainsi à méconnaître la spécificité et l'autonomie de la règle fiscale qui prend soin de ne renvoyer au droit commun des saisies que de manière ciblée et sous réserve.
C'est donc à tort que l'arrêt attaqué croit pouvoir justifier l'application des articles 1390, alinéa 6, et 1627 et suivants du Code judiciaire par la considération selon laquelle les modalités de l'article 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée « ne dérogent au droit commun que par 'la simplification des formes destinées à éviter le recours à l'huissier de justice ce qui arrête là (leur) spécificité' au-delà de laquelle s'appliquent les dispositions du Code judiciaire ».
En matière d'impôts sur les revenus, l'article 300, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 confie au Roi le soin de déterminer « le mode à suivre pour les déclarations, la formation et la notification des rôles, les paiements, les quittances et les poursuites ».
Le Roi est de la sorte habilité à prévoir, contre les tiers détenteurs de revenus, sommes et effets dus ou appartenant à un redevable, des poursuites indirectes dont les modalités peuvent déroger au droit commun de l'exécution forcée.
L'article 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 déroge ainsi en plusieurs points au droit commun de l'exécution et, si la simplification des formes destinée à faciliter le travail administratif et à réduire les frais de justice en évitant le recours à l'huissier de justice constitue la dérogation la plus apparente, elle n'est cependant pas la seule, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt attaqué.
Une lecture attentive des articles 164 et 165 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 atteste en effet d'une procédure de saisie-arrêt également affranchie des contraintes des articles 1390, alinéa 6, et 1627 et suivants du Code judiciaire.
Selon l'article 164, § 1er, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, « tous fermiers, locataires, receveurs, agents, économes, notaires, huissiers de justice, greffiers, curateurs, représentants et autres dépositaires et débiteurs de revenus, sommes et effets dus ou appartenant à un redevable, sont tenus, sur la demande que leur en fait le receveur compétent par pli recommandé à la poste, de payer sur la partie saisissable des revenus, sommes et effets qu'ils doivent ou qui sont en leurs mains, et à l'acquit du redevable, jusqu'à concurrence de tout ou partie du montant dû par ce dernier au titre d'impôts, accroissements d'impôts, intérêts de retard, amendes et frais de poursuite ou d'exécution ».
L'intervention d'un huissier de justice est manifestement exclue dans un tel système et, avec elle, l'éventualité même d'une procédure de distribution par contribution, puisque le receveur qui reçoit le paiement du tiers détenteur ne se trouve investi d'aucune mission en ce sens et ne se voit pas davantage contraint de se dessaisir des fonds perçus en faveur d'un huissier de justice qui se manifesterait ultérieurement pour diligenter une procédure de distribution.
Il est en outre significatif de constater que, contrairement à la solution adoptée par le Roi en matière de saisie-exécution mobilière où une disposition expresse renvoie à la procédure judiciaire de la distribution par contribution (voy. l'article 162, § 2, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992), rien de tel n'est organisé relativement à la saisie-arrêt fiscale proprement dite, sous réserve d'un passage obligé en la forme à la saisie-arrêt-exécution de droit commun dans des hypothèses limitées (voy. l'article 165 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 ).
De plus, là où le droit commun oblige dans tous les cas les tiers saisis à établir la déclaration prescrite par l'article 1452 du Code judiciaire, l'article 164, § 4, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 n'impose pareille obligation aux tiers détenteurs que lorsqu'ils « ne sont pas à même de satisfaire à la demande visée au paragraphe 1er dans les 15 jours du dépôt à la poste de cette demande ».
Enfin, en énonçant expressément que le tiers détenteur n'est tenu de se dessaisir qu' « à concurrence de tout ou partie du montant dû par ce dernier au titre d'impôts... », l'article 164, § 1er, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 limite sans équivoque l'obligation du tiers détenteur aux causes de la saisie, tandis qu'en droit commun, l'obligation de remise en mains de l'huissier de justice instrumentant porte sur la créance objet de la saisie (voy. l'article 1543 du Code judiciaire).
Une telle limitation, dont l'arrêt attaqué ne rend aucunement compte, ne s'explique que par la conception volontairement et radicalement «individuelle» (par opposition à « collective ») de la saisie-arrêt simplifiée en matière de contributions directes.
Le mécanisme de saisie-arrêt simplifiée mis en place par les articles 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 est ainsi conçu qu'il ne peut avoir la dimension collective que lui attribue l'arrêt attaqué, sauf dans les circonstances et les conditions strictement énoncées selon le cas aux articles 85bis, § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ou 165, § 1er, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, et en raison du passage requis à une saisie-arrêt-exécution effectuée de la manière établie par le Code judiciaire.
La spécificité de la saisie-arrêt fiscale et des textes qui l'organisent est telle que, si l'on voulait comparer le système mis en place à la saisie-arrêt-exécution judiciaire, on pourrait dire que tant l'article 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée que l'article 164, § 1er, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 réalisent à eux seuls la fusion du mécanisme défini à l'article 1539, alinéa 1er, du Code judiciaire, et de l'obligation de dessaisissement contenue à l'article 1543, alinéa 1er, du Code judiciaire, sous le contrôle unique du receveur compétent.
Une des particularités des articles 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et 164, § 1er, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 est en effet d'associer intimement la notification de la saisie-arrêt fiscale à l'obligation pour le tiers détenteur de vider ses mains.
L'entièreté de la procédure est organisée autour du receveur, à l'exclusion de l'huissier de justice, sans que celui-ci ne se soit vu confier la mission d'opérer une quelconque distribution.
En réalité et contrairement à ce qui ressort au moins implicitement de l'arrêt attaqué, le seul fait de la remise des fonds saisis-arrêtés au créancier saisissant clôt définitivement la procédure d'exécution résultant de la saisie-arrêt fiscale et l'huissier de justice instrumentant dans une procédure d'exécution parallèle, inconnue tant du tiers détenteur que du créancier fiscal, est sans droit pour en réclamer le montant à ce dernier.
A son tour, le créancier tiers, qui s'estime lésé par le fait que la saisie-arrêt fiscale ne s'est pas achevée
par une procédure de distribution par contribution à l'occasion de laquelle il aurait pu faire valoir son droit de préférence, ne peut s'appuyer sur les seuls articles 1390, alinéa 6, et 1627 du Code judiciaire pour réclamer la remise des fonds en mains d'un huissier de justice chargé de procéder à une distribution et, par là, bénéficier indirectement des effets d'une action en répétition que personne n'a pris la peine d'enclencher.
La référence aux articles 1390, alinéa 6, et 1627 du Code judiciaire ne permet pas de fonder la restitution postulée par la défenderesse de fonds légalement perçus par les receveurs concernés à la suite de procédures d'exécution spécifiques dont nul ne conteste d'ailleurs la légitimité.
Nulle part n'est organisée dans le Code judiciaire une procédure, dont aurait à connaître le juge des saisies, autorisant le créancier, qui n'a pas pu faire valoir ses droits dans le cadre d'une procédure de distribution par contribution, à exiger directement du créancier saisissant, qui, en raison de cette omission, se serait vu attribuer à tort les deniers saisis-arrêtés, la restitution de ces sommes, fût-ce même en mains d'un huissier de justice commis pour faire procéder à une nouvelle distribution.
La circonstance que les articles 85bis, § 1er, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et 164, § 3, de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoient chacun l'établissement de l'avis de saisie instauré par l'article 1390 du Code judiciaire n'implique pas en soi que la règle énoncée à l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire s'applique et, contrairement à ce qu'infère l'arrêt attaqué, ne confirme nullement la vocation collective de la saisie-arrêt fiscale.
La déduction qu'opère du reste l'arrêt à cet égard omet d'ailleurs d'apercevoir que l'avis de saisie en question a déjà sa spécificité propre par le fait qu'il est établi, non pas par un huissier de justice, mais par le receveur.
De façon plus générale, cette déduction ne rend pas compte des spécificités autrement plus fondamentales mises en exergue en degré d'appel par le demandeur et rappelées ci-dessus.
Bien que la saisie-arrêt simplifiée en matière de taxe sur la valeur ajoutée ne soit pas en tout point identique à celle utilisée en matière d'impôts sur les revenus, elles ont en commun une nature individuelle consacrée par des dispositions particulières qui dérogent partiellement mais sûrement aux dispositions du Code judiciaire relatives à l'exécution forcée.
L'arrêt attaqué ne pouvait donc, sans violer l'ensemble des dispositions visées au moyen, reconnaître une vocation collective à la saisie-arrêt fiscale et décider que les receveurs compétents « se devaient, dès lors qu'ils n'avaient aucun pouvoir pour effectuer eux-mêmes la répartition prévue par la loi, de remettre les fonds à l'huissier (...) afin qu'il soit procédé conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire ».
2. Second moyen
Dispositions légales violées
- article 1382 du Code civil;
- articles 1390, alinéa 6, 1543 et 1627 du Code judiciaire;
- article 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée;
- article 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992;
- article 149 de la Constitution;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir affirmé la vocation collective de la saisie-arrêt fiscale et rappelé qu'il était de principe que tout autre créancier a le droit de s'associer aux poursuites et de concourir à la distribution du prix de réalisation du bien saisi et après avoir constaté ensuite que les receveurs compétents avaient été informés par l'huissier de justice J. de la volonté de la défenderesse de s'associer aux saisies (fiscales) pratiquées et de venir en concours sur le prix de réalisation des deniers saisis, l'arrêt attaqué décide qu'ils « se devaient, dès lors qu'ils n'avaient aucun pouvoir pour effectuer eux-mêmes la répartition prévue par la loi, de remettre les fonds à l'huissier (...) afin qu'il soit procédé conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire » et condamne le demandeur au paiement des intérêts de retard sur les sommes retenues à compter du jour où la demande de rapport a été faite à l'administration, au motif « que les receveurs ont donc commis une faute qui engage la responsabilité (du demandeur) sur pied de l'article 1382 du Code civil en refusant de rapporter les fonds lorsque la demande leur en a été faite, ce qui a entravé le bon déroulement de la procédure de distribution ».
Griefs
2.1. Première branche
L'affirmation de la vocation collective de la saisie et de la nécessité subséquente de procéder conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire ne suffit pas pour faire naître dans le chef des receveurs ayant opéré une saisie-arrêt simplifiée fondée sur les articles 85bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 l'obligation de vider leurs mains en celles d'un huissier de justice qui se présente à eux comme chargé de diligenter une procédure de distribution dans le cadre d'une procédure de saisie parallèle, même si ces receveurs n'ont pas le pouvoir d'effectuer eux-mêmes la répartition prévue par l'article 1627 du Code judiciaire.
Les receveurs de la taxe sur la valeur ajoutée et ceux des contributions directes agissent en effet sur la base de dispositions fiscales spécifiques aux termes desquelles la remise aux receveurs concernés des fonds saisis-arrêtés se présente comme un aboutissement de la procédure. Ces dispositions n'organisent nullement le passage à une phase de distribution et encore moins ne commandent aux receveurs de se départir des fonds perçus au profit d'un quelconque huissier de justice.
Ni l'article 1390, alinéa 6, du Code judiciaire ni l'article 1627 du Code judiciaire ne règlent la remise en mains d'un huissier de justice des fonds saisis-arrêtés. La distribution de ces fonds n'est possible sur la base de l'article 1627 du Code judiciaire que parce que l'huissier de justice est déjà entré en possession desdits fonds par application de l'article 1543 du Code judiciaire.
Or, étant donné que dans le cadre de la saisie-arrêt fiscale la remise du montant de la saisie se fait directement du tiers saisi entre les mains du receveur et non d'un huissier de justice, l'article 1543 du Code judiciaire n'est pas applicable en matière d'impôts sur les revenus et n'est applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée qu'avec cette réserve essentielle « que la remise du montant de la saisie se fait entre les mains du fonctionnaire chargé du recouvrement » (article 85bis, § 2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée).
Les receveurs compétents ne se devaient donc pas de remettre les fonds à l'huissier de justice désigné par le tribunal de commerce dans une procédure de saisie parallèle et n'ont donc commis aucune faute qui engagerait la responsabilité du demandeur au sens de l'article 1382 du Code civil et qui justifierait qu'il soit condamné au paiement des intérêts sur les sommes retenues, contrairement à ce que décide l'arrêt attaqué en violant les articles 1390, alinéa 6, 1543 et 1627 du Code judiciaire, l'article 85bis du Code sur la taxe de la valeur ajoutée, l'article 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 et en particulier l'article 1382 du Code civil visés au moyen.
2.2. Seconde branche
Dans sa requête d'appel, le demandeur faisait déjà valoir :
« que l'ordonnance dont appel condamne (le demandeur) à verser à l'huissier de justice J. les sommes de 6.141.168 francs et 807.562 francs majorées des intérêts au taux légal depuis le 5 février 1998, ainsi que la somme de 3.709.804 francs majorée des intérêts au taux légal depuis le 16 février 1998 ;
que la base légale de l'obligation mise à charge (du demandeur) de payer les intérêts légaux à compter des dates précisées au dispositif n'est pas précisée dans ce jugement qui se contente de faire droit en bloc et sans nuance à l'entièreté des prétentions de [la défenderesse];
qu'il appartient pourtant au juge du fond d'appliquer aux faits dont il est régulièrement saisi les normes juridiques sur la base desquelles il fera droit à la demande ou la rejettera;
qu'une véritable obligation pèse ainsi sur le juge qui, tout en respectant les droits de la défense, est tenu de déterminer la norme juridique applicable et d'appliquer celle-ci;
que cependant, l'application d'une norme juridique non invoquée ne peut se faire que dans le respect du droit de la défense, soit après avoir offert aux parties un débat contradictoire (A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Faculté de Droit de Liège, 1987, p. 76, n° 62: 'si la maîtrise du droit lui est reconnue, le juge ne peut appliquer une norme juridique dont les parties n'ont pu débattre');
qu'en l'espèce donc, le premier juge, en s'abstenant de désigner la norme juridique qu'il appliquait et en empêchant par conséquent les parties de débattre de cette application, n'a pu, sans violer les droits de la défense, faire droit à la demande quant aux intérêts légaux postulés et à leur date de prise de cours» ;
Et le demandeur insistait encore dans ses conclusions d'appel :
« [.] que ni le premier juge, ni la (défenderesse) ne précisent la base légale de l'obligation mise à charge (du demandeur) de payer des intérêts légaux à compter des dates précisées au dispositif du jugement entrepris, ce qui rend de ce fait impossible toute discussion sur ce point ;
Que tout au plus (la défenderesse) se borne-t-elle à prétendre que (le demandeur) aurait 'refusé fautivement toute distribution et qu'il doit dès lors réparation complète'; que toutefois, ces assertions, non seulement sont dépourvues de toute démonstration quant à la prétendue faute commise, mais en outre n'indiquent même pas par référence à quelle disposition légale cette faute devrait être appréciée (articles 1378 et 1382 du Code civil, ... ?) et justifierait la condamnation au paiement d'intérêts légaux à compter des dates retenues par le premier juge».
L'arrêt attaqué se borne simplement à constater qu'une faute a été commise au sens de l'article 1382 du Code civil, mais n'offre pas aux parties l'occasion de s'en expliquer et ne répond pas davantage aux conclusions du demandeur, de telle sorte qu'il viole tout à la fois l'article 149 de la Constitution et le principe général du droit visé au moyen.
IV. La décision de la Cour
Attendu que les pourvois sont dirigés contre le même arrêt; qu'il y a lieu de les joindre;
A. Quant au pourvoi portant le numéro C.03.0128.F du rôle général:
Attendu qu'il y a lieu de décréter le désistement du pourvoi;
B. Quant au pourvoi portant le numéro C.03.0206.F du rôle général:
Sur le premier moyen :
Attendu qu'en application de l'article 85bis, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, le fonctionnaire chargé du recouvrement peut faire procéder à la saisie-arrêt-exécution en forme simplifiée entre les mains d'un tiers sur les sommes et effets dus ou appartenant au redevable ;
Qu'en vertu de l'article 85bis, § 2, de ce code, du fait de cette saisie-arrêt en forme simplifiée, le tiers saisi, dont la dette est liquide et exigible, est, en règle, tenu de remettre au fonctionnaire chargé du recouvrement le montant de la saisie, à l'expiration du délai prévu à l'article 1543 du Code judiciaire ;
Que l'article 85bis, § 1er, alinéa 3, du même code dispose que cette saisie donne lieu à l'établissement et à l'envoi par le fonctionnaire chargé du recouvrement d'un avis de saisie comme il est prévu à l'article 1390 du Code judiciaire ; qu'en vertu de l'article 85bis, § 3, s'il appert de la déclaration du tiers qu'un autre créancier s'est opposé, avant la saisie, à la remise par le tiers saisi des sommes dues par celui-ci, la saisie-arrêt doit être pratiquée par exploit d'huissier, de la manière prévue aux articles 1539 à 1544 du Code judiciaire ;
Attendu qu'en application de l'article 164, § 1er, de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, le receveur compétent peut pratiquer entre les mains d'un tiers une saisie-arrêt en forme simplifiée sur la partie saisissable des revenus, sommes et effets qu'il doit ou qui est en ses mains, et à l'acquit du redevable, jusqu'à concurrence de tout ou partie du montant dû par ce dernier au titre d'impôts, accroissements d'impôts, intérêts de retard, amendes et frais de poursuite ou d'exécution ;
Qu'il se déduit de l'article 164, §§ 1er, 3 et 4, de cet arrêté royal que le tiers saisi, dont la dette est liquide et exigible, est, en règle, tenu de remettre au receveur le montant de la saisie-arrêt, dans les quinze jours du dépôt à la poste de la demande valant saisie-arrêt ;
Que l'article 164, § 3, alinéa 2, du même arrêté royal dispose que la saisie-arrêt donne lieu à l'établissement par le receveur de l'avis de saisie visé à l'article 1390 du Code judiciaire ; qu'en vertu de l'article 165, §§ 2 et 3, s'il appert de la déclaration du tiers saisi que les revenus, sommes et effets font l'objet, de la part d'autres créanciers, de quelque opposition ou saisie-arrêt antérieure à la demande, le receveur fait procéder à une saisie-arrêt de la manière prescrite par le Code judiciaire ;
Attendu qu'il suit de ces dispositions que la saisie-arrêt en forme simplifiée pratiquée soit par le receveur, soit par le fonctionnaire chargé du recouvrement n'a pas pour effet d'attribuer définitivement le montant de la saisie-arrêt au créancier saisissant ; qu'en cas de saisie antérieure pratiquée par un créancier sur le patrimoine du redevable, le montant de la saisie-arrêt est soumis au concours des créanciers de celui-ci ;
Attendu que l'arrêt constate, d'une part, que la défenderesse, créancière d'une société Simafo, a fait saisir le 4 décembre 1997 le fonds de commerce de cette société qui lui avait été donné en gage, d'autre part, que le demandeur a reçu les 6, 10 et 19 février 1998 de la société Ace Factors, débitrice de la société Simafo, des sommes qui lui ont été payées en exécution de saisies-arrêts en forme simplifiée pratiquées le 14 octobre 1997 et le 3 février 1998 par le fonctionnaire chargé du recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée sur la base de l'article 85bis, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et le 13 janvier 1998 par le receveur des contributions directes sur la base de l'article 164 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
Attendu que, dès lors que les receveurs compétents ont été informés par l'huissier de justice J. de la volonté de la défenderesse de s'associer aux saisies pratiquées et de venir en concours sur les deniers saisis, la décision de l'arrêt qu'ils se devaient de remettre les fonds qui leur avaient été versés
les 6 et 19 février 1998 en exécution des saisies-arrêts pratiquées le 3 février 1998 et le 13 janvier 1998 à l'huissier de justice désigné à la requête de la défenderesse par le président du tribunal de commerce afin qu'il soit procédé conformément aux articles 1627 et suivants du Code judiciaire, est légalement justifiée ;
Que, fût-il fondé, le moyen qui, dans cette mesure, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt et, partant, irrecevable ;
Attendu qu'en revanche, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision d'ordonner la remise aux mêmes fins à cet huissier de justice des fonds versés le 10 février 1998 en exécution da la saisie-arrêt pratiquée le 14 octobre 1997;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la cassation de la décision d'ordonner la remise de la somme versée le 10 février 1998 s'étend à la décision condamnant le demandeur aux intérêts sur cette somme ;
Sur le surplus du moyen :
Quant à la première branche :
Attendu qu'il ressort de la réponse au premier moyen que l'arrêt décide légalement que le demandeur avait l'obligation de remettre les sommes payées les 6 et 19 février 1998 à l'huissier de justice désigné par le président du tribunal de commerce;
Que, constatant que le demandeur ne s'était pas conformé à cette obligation, l'arrêt a pu décider légalement que le demandeur avait commis une faute en s'en abstenant;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli ;
Quant à la seconde branche :
Attendu que, dans ses conclusions d'appel, la défenderesse faisait valoir que le demandeur avait refusé fautivement toute distribution et, qu'ayant bénéficié des fonds saisis, il devait verser les intérêts compensatoires réparant le préjudice né du retard de l''indemnisation ;
Attendu que l'arrêt considère que les receveurs ont commis une faute qui engage la responsabilité du demandeur sur la base de l'article 1382 du Code civil en refusant de rapporter les fonds lorsque la demande leur en a été faite, ce qui a entravé le bon déroulement de la procédure de distribution ;
Qu'ainsi, sans violer le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, l'arrêt répond à la requête d'appel et aux conclusions d'appel du demandeur reproduites au moyen, en cette branche ;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.03.0128.F et C.03.0206.F ;
Statuant en la cause C.03.0128.F :
Décrète le désistement du pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens ;
Statuant en la cause C.03.0206.F :
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne le demandeur à verser à l'huissier de justice J. J. la somme de 152.334,74 euros, majorée des intérêts au taux légal depuis le 3 avril 1998et qu'il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Condamne le demandeur à la moitié des dépens; réserve l'autre moitié pour qu'il y soit statué par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Les dépens taxés dans la cause C.03.0128.F à la somme de quatre cent nonante-neuf euros cinquante-neuf centimes envers la partie demanderesse et dans la cause C.03.0206.F à la somme de cent trente-neuf euros cinquante-neuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent nonante-six euros vingt-sept centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Daniel Plas, et prononcé en audience publique du seize décembre deux mille cinq par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.