ALLEN & OVERY Limited Liability Partnerschip, et cons.,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation
I. La demande
La demande tend à entendre prononcer la nullité de l'article 3.8 du règlement relatif à la formation permanente de l'Orde van Vlaamse balies adopté le 2 juin 2004.
La demande est libellée comme suit:
«Conformément aux articles 501 et 611 du Code judiciaire les requérants introduisent une demande d'annulation de l'article 3.8 du règlement relatif à la formation permanente qui a été approuvé au cours de son assemblée générale du 2 juin 2004 et publié aux annexes du Moniteur Belge du 18 juin 2004, dont le texte est le suivant:
'3.8.Un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être reconnu que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie du cabinet'».
II. La procédure devant la Cour
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Guido Bresseleers a conclu.
III. Les faits
Lors de l'assemblée générale du 2 juin 2004, l'Orde van Vlaamse balies a approuvé le règlement «relatif à la formation permanente». Le texte est libellé comme suit:
Article 1er: La formation permanente signifie que l'avocat se perfectionne et se recycle régulièrement dans des matières juridiques ou dans des matières utiles à la pratique en suivant des cours agréés ou en enseignant ou en participant en tant qu'orateur à des conférences ou en publiant, au sens de ce règlement.
Article 2: Chaque avocat est déontologiquement tenu de justifier d'une formation permanente.
Le fait de suivre une formation permanente est attributif de points.
Chaque avocat doit obtenir au moins 16 points par année judiciaire.
En ce qui concerne les stagiaires, les cours du BUBA valent comme formation permanente pour leurs trois premières années de stage.
Si les trois premières années se terminent dans le courant d'une année judiciaire ou si un avocat est à nouveau inscrit dans le courant d'une année judiciaire, le nombre minimum de points à obtenir est déterminé proportionnellement.
Article 3.
3.1.L'assistance à une heure de cours agréé est attributif d'un point.
3.2.La charge d'un enseignement:
-dans une université ou dans une institution d'enseignement supérieur.
-d'un cours agréé ou d'un cours donné dans le cadre de la formation des avocats stagiaires;
est attributif de deux points par heure de cours avec un maximum de dix points.
3.3.La participation en tant qu'orateur à une conférence juridique à un niveau académique est attributif de deux points par heure de cours.
3.4.La rédaction d'un article juridique, publié dans la littérature juridique ou dans une publication analogue, est attributif d'un point pour 1.000 mots et ensuite d'un point par mille mots supplémentaires.
3.5.Un cours qui a été agréé soit par l'Ordre des barreaux francophones et germanophones soit par un barreau étranger qui est membre du Conseil des barreaux de l'Union européenne peut être agréé.
Un avocat qui souhaite suivre un tel cours ou qui a suivi un tel cours peut demander un agrément.
Après avis du comité d'agrément l'Orde van Vlaamse balies peut conclure des accords à propos de l'agrément des cours avec d'autres barreaux ou organisations.
3.6.Le fait de suivre un programme de cours régulier et agréé par décret dans une faculté de droit établie en Belgique et qui donne lieu à l'obtention d'un diplôme supplémentaire est attributif de 32 points.
3.7.Le fait de suivre un cours 'formation professionnelle à la procédure de cassation', organisé par l'Ordre des avocats à la Cour de cassation est attributif de 32 points par an.
3.8.Un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet.
Le cabinet qui organise le cours est tenu de payer à l'Orde van Vlaamse balies les droits de dossier tels qu'ils sont prévus par l'article 5.3 .
3.9.Un surplus de points, avec un maximum de 16 points, peut être reporté à l'année judiciaire suivante.
3.10.L'avocat établit librement son programme annuel de formation et de recyclage étant entendu qu'il concerne des matières juridiques pour au moins la moitié des points.
Article 4.
4.1.L'Orde van Vlaamse balies institue une commission d'agrément.
(.)
Article 5.
5.1.La commission d'agrément décide quelles activités, visées à l'article 1er de ce règlement, sont agréées.
5.2.Tant celui qui propose le cours que l'avocat à titre individuel peuvent adresser une demande d'agrément à la commission d'agrément.
5.3.Une demande d'agrément introduite par celui qui propose le cours n'est recevable que s'il a payé à l'Orde van Vlaamse balies une indemnité égale à une fois le droit d'inscription complet par participant potentiel avec un minimum de 100 ? et un maximum de 625 ?.
Cette disposition ne s'applique pas aux cours qui sont organisés de manière tout à fait indépendante par les barreaux, par les associations de barreaux ou par les conférences.
5.4.Lors de la demande d'agrément d'un cours le demandeur introduit un dossier et s'oblige à remettre des certificats de présence après avoir contrôlé celle-ci, et à mentionner à tout le moins les éléments suivants:
1.la date et le lieu du cours;
2.le sujet du cours, le cas échant les titres des différentes conférences;
3.le nombre d'heures pour lequel l'agrément est demandé;
4.l'indentité de l'orateur;
5.le groupe-cible;
6.le prix de participation;
7.la mise à la disposition éventuelle d'un syllabus pour les participants;
8.le mode de publicité de l'offre de cours.
5.5.Lors de la décision d'agrément et lors de l'attribution des points, la commission d'agrément tient compte de la qualité du cours et de son accessibilité.
La commission d'agrément peut à tout moment contrôler sur place la qualité du cours proposé.
5.6.La commission d'agrément prend une décision dans le mois suivant la demande. La commission d'agrément motive chaque rejet de demande d'agrément.
5.7.Celui qui propose le cours peut indiquer l'agrément des points attribués.
La proposition de cours agréé est reprise sur le site web de l'Orde van Vlaamse balies.
Article 6.
6.1.Chaque année, et au plus tard le 30 septembre qui suit l'année de formation, l'avocat justifie par écrit auprès du bâtonnier du programme qu'il a suivi et joint les documents de preuve de cette formation.
6.2.Le bâtonnier communique les données traitées de son barreau à l'Orde van Vlaamse balies au plus tard le 31 mars.
IV. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens dans leur requête.
1. Premier moyen
Excès de pouvoir et violation de la loi et plus particulièrement des dispositions légales suivantes citées comme étant violées:
-articles 495, 496 et 498 du Code judiciaire.
Dispositions légales violées
L'article 3.8 du Règlement attaqué de l'Orde van Vlaamse balies relatif à la formation permanente qui dispose que:
«Un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet».
Griefs
Conformément à l'article 495 du Code judiciaire, l'Orde van Vlaamse balies a, en ce qui concerne les barreaux qui en font partie, pour mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres et sont compétents en ce qui concerne l'aide juridique, le stage, la formation professionnelle des avocats-stagiaires et la formation de tous les avocats appartenant aux barreaux qui en font partie. Il prend les initiatives et les mesures utiles en matière de formation. L'article 496 du Code judiciaire confère à l'Orde van Vlaamse balies le pouvoir d'arrêter les règlements en ce qui concerne la formation professionnelles des avocats-stagiaires et la formation de tous les avocats des barreaux qui en font partie.
Aux termes de l'article 498 du Code judiciaire, les règlements qui sont adoptés conformément à l'article 496 s'appliquent à tous les avocats des barreaux faisant partie de l'Orde van Vlaamse balies lorsque lesdits règlements ont été adoptés par l'Orde van Vlaamse balies.
Le règlement relatif à la formation permanente instaure dans son article 2 une obligation déontologique pour chaque avocat de se former de manière permanente ce qui signifie, conformément à l'article 1er, qu'il se forme et se recycle de manière régulière dans des matières juridiques ou utiles à la pratique professionnelle notamment en suivant des cours agréés. L'article 4 de ce même règlement instaure une commission d'agrément qui décidera conformément à l'article 5 quelles activités sont agréées. Aux termes de l'article 5.5 du règlement, lors de la décision d'agrément et lors de l'attribution des points, la commission d'agrément tiendra compte notamment de la qualité du cours et elle pourra à tout moment contrôler sur place la qualité du cours proposé.
Le pouvoir conféré à l'Orde van Vlaamse balies par les articles 495 et 496 du Code judiciaire d'arrêter des règlements relatifs à la formation professionnelle et à la formation vise, dès lors, à assurer une formation permanente de haute qualité à ses membres. La condition prévue à l'article 3.8 du Règlement, à savoir qu'un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet, est toutefois sans pertinence pour apprécier la question de savoir si le cours organisé est de qualité. La condition attaquée prévue par l'article 3.8 du Règlement, est manifestement sans rapport avec l'objectif et la justification légale du règlement à savoir une formation permanente et qualitative des avocats. Elle n'est pas concrètement requise pour la sauvegarde des intérêts confiés par le législateur à l'Orde van Vlaamse balies dans les articles 495 et 496 du Code judiciaire (voir Cass., 25 septembre 2003, C.03.0179.N, Règlement relatif à la collaboration avec des non-avocats). La qualité d'un cours organisé par un cabinet d'avocats n'est, en effet, pas subordonnée à la circonstance qu'il soit gratuitement accessible aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet. Une telle condition d'agrément n'est, en outre, pas prévue par le règlement du 27 mai 2002 de l'Ordre des barreaux francophones de Bruxelles.
Même s'il existait un lien, quod non, entre, d'une part, l'objectif poursuivi par le règlement et les intérêts à sauvegarder en vertu des dispositions légales invoquées et, d'autre part, la limitation attaquée de l'article 3.8, cette condition constitue un moyen à tout le moins manifestement disproportionné d'atteindre le but poursuivi (voir Cass., 25 septembre 2003, C.03.0179.N, Règlement relatif à la collaboration avec les non-avocats). En effet, une procédure a été instaurée par l'article 5 du règlement afin de s'assurer de la qualité des cours proposés. Ainsi, celui qui propose le cours doit introduire une demande d'agrément à laquelle est joint un dossier contenant les éléments énumérés à l'article 5.4 afin de permettre précisément à la commission d'agrément d'en apprécier la qualité. Enfin, l'article 5.5 du règlement dispose expressément que la commission d'agrément peut en tout temps contrôler sur place la qualité du cours proposé, cette disposition étant aussi applicable aux cours organisés par un cabinet d'avocats.
Il ressort de ce qui précède que la limitation imposée aux demandeurs par l'article 3.8 du règlement, n'est pas justifiée par les dispositions légales qui constituent le fondement du règlement. En imposant cette limitation, dans les circonstances données, de manière non légalement justifiée, l'Orde van Vlaamse balies a excédé ses pouvoirs. L'article 3.8 attaqué a ainsi été entaché d'excès de pouvoir et viole les articles 495, 496 et 498 du Code judiciaire.
2. Deuxième moyen
Excès de pouvoir et violation de la loi et plus particulièrement des dispositions légales suivantes citées comme étant violées:
-articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que les principes d'égalité et de non-discrimination contenus par ces articles;
-articles 495 et 496 du Code judiciaire.
Dispositions légales violées
L'article 3.8 du règlement de l'Orde van Vlaamse balies relatif à la formation permanente qui dispose que:
«Un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est gratuitement accessibles aux avocats qui ne font pas partie du cabinet».
Griefs
L'article 10 de la Constitution contient la règle consacrant l'égalité devant la loi alors que l'article 11 consacre la jouissance sans discrimination des droits et libertés. Il en résulte l'interdiction de faire une distinction qui n'est pas objectivement et raisonnablement justifiée.
L'article 3.8 du règlement instaure une distinction entre deux catégories de personnes qui proposent des cours, à savoir les cabinets d'avocats et toutes les autres. Seuls les cabinets d'avocats se voient imposer l'obligation de rendre gratuitement accessibles les cours organisés aux avocats qui ne font pas partie du cabinet s'ils souhaitent que ces cours soient agréés alors que cette obligation et cette condition ne sont pas imposées aux autres personnes proposant des cours comme le barreau lui-même, les associations de barreaux, les conférences, les universités ou les organisateurs professionnels de tels cours et séminaires. Cette distinction n'est justifiée ni de manière objective ni de manière raisonnable et il en ressort que l'article 3.8 du règlement implique une violation des articles 10 et 11 de la Constitution et des principes d'égalité et de non-discrimination.
L'article 3.8 du règlement a aussi pour conséquence qu'une seconde distinction est faite, à savoir entre les cabinets d'avocats dont les membres appartiennent exclusivement soit à un barreau de l'Ordre des barreaux francophones et germanophones et, d 'autre part, les cabinets d'avocats dont les membres appartiennent exclusivement à un barreau de l'Orde van Vlaamse
balies soit appartiennent en partie à un barreau d'un Ordre et en partie à un barreau de l'autre Ordre. En effet, dès lors que le règlement du 27 mai 2002 de l'Ordre des barreaux francophones de Bruxelles ne contient pas une telle condition d'agrément, l'introduction d'une telle condition par l'article 3.8 du règlement de l'Orde van Vlaamse balies a pour conséquence que seuls les cabinets d'avocats dont certains ou tous les membres appartiennent à un barreau faisant partie de l'Orde van Vlaamse balies sont obligés de rendre gratuitement accessibles les cours qu'ils organisent aux avocats qui ne font pas partie de leur cabinet alors que cette obligation n'existe pas pour les cabinets d'avocats dont les membres appartiennent exclusivement à un barreau de l'Ordre des Barreaux francophones et germanophones. Ainsi, les cabinets d'avocats qui comptent parmi leurs membres des avocats d'un barreau de l'Orde van Vlaamse balies sont lésés
de manière illicite à l'égard des autres cabinets qui ne comptent pas de tels avocats parmi leurs membres. Une telle distinction ne pas justifiée de manière objective et raisonnable de sorte que la disposition attaquée constitue une violation du principe d'égalité et du principe de non-discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Enfin, une troisième distinction est faite par l'article 3.8 du règlement qui n'est pas davantage objectivement et raisonnablement justifiée à savoir entre les avocats-membres d'un cabinet qui font partie d'un barreau de l'Ordre des Barreaux francophone et germanophone et, d'autre part, ceux qui font partie d'un barreau de l'Orde van Vlaamse balies. Si, afin de satisfaire aux conditions en matière de formation permanente, la première catégorie peut se borner à suivre les cours organisés de manière interne par le cabinet dont ils font partie ce qui signifie un gain de temps et d'argent pour ces avocats, la seconde catégorie doit au contraire participer à des cours en-dehors du cabinet qui sont généralement payants, ce qui constitue un désavantage pour cette seconde catégorie quant au prix de revient et à la perte de temps. Cette distinction n'est pas justifiée objectivement et raisonnablement dès lors que les cours organisés de manière interne sont tout à fait identiques pour les deux catégories d'avocats, de sorte que l'article 3.8 du règlement comporte à nouveau une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
3. Troisième moyen
Excès de pouvoir et violation de la loi et plus particulièrement des dispositions légales suivantes citées comme étant violées:
-articles 495, 496 et 498 du Code judiciaire;
-articles 1er et 2 de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique;
-articles 49 et 81, alinéas 1er et 2 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, approuvé par la loi du 2 décembre 1957, modifié par le Traité de Maastricht du 7 février 1992, approuvé par la loi du 26 novembre 1992 et consolidé par la loi du 10 août 1998, modifié par le Traité de Nice du 26 février 2001, approuvé par la loi du 7 juin 2002 (version consolidée publiée dans le Journal Officiel des Communautés Européennes, C-325, 24 décembre 2002).
Dispositions légales violées
L'article 3.8 du règlement de l'Orde van Vlaamse Balies relatif à la formation permanente qui dispose que:
«Un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est gratuitement accessibles aux avocats qui ne font pas partie du cabinet».
Griefs
En vertu de l'article 1er de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique, il y a lieu d'entendre par entreprise toute personne physique ou morale poursuivant de manière durable un but économique.
En vertu de l'article 2 de cette même loi, sont interdites toutes décisions d'associations d'entreprises qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence sur le marché belge ou dans une partie substantielle de celui-ci. Les avocats, même s'ils ne sont pas des commerçants au sens de l'article 1er du Code de commerce et même s'ils ont une fonction sociale, exercent une activité dirigée sur l'échange de biens et de services. Ils poursuivent de manière durable un but économique et sont donc en principe des entreprises au sens de l'article 1er de la loi du 5 août 1991.
L'Orde van Vlaamse balies est une association professionnelle. Pour pouvoir exercer la profession d'avocat il faut être membre d'un des ordres des avocats. Le législateur a confié certaines missions à l'Ordre, notamment de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de ses membres et lui confère compétence en ce qui concerne la formation professionnelle des avocats-stagiaires et la formation de tous les avocats appartenant aux barreaux qui en font partie. L'Ordre peut prendre les initiatives et les mesures utiles en matière de formation (voir article 495 du Code judiciaire). L'Ordre ne poursuit pas ainsi un but économique mais remplit une mission légale pour laquelle une compétence réglementaire lui a été attribuée par les articles 495 et 496 du Code judiciaire.
Cela n'empêche toutefois pas qu'il constitue une association d'entreprises au sens de l'article 2, § 1er, de la loi du 5 août 1991 dont les décisions, dans la mesure où elles ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence, doivent être contrôlées sur la base des exigences de la loi du 5 août 1991.
Un règlement de l'Ordre qui impose des limites à la concurrence à un ou à plusieurs de ses membres celles-ci n'étant pas requises afin de maintenir les règles fondamentales de la profession mais qui tend en réalité à favoriser certains intérêts matériels d'autres personnes ou à installer ou maintenir un système économique, peut être une décision d'une association d'entreprises dont la nullité peut être constatée par la Cour de cassation conformément à l'article 611 du Code judiciaire (comp. Cass., 25 septembre 2003, C.03.0179.N).
L'interprétation donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes aux dispositions conventionnelles précitées ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, spécialement de l'arrêt du 19 février 2002 rendu dans la cause C-309/55. Le règlement attaqué doit donc être considéré comme une décision d'une association d'entreprises au sens de l'article 81, alinéas 1er et 2, du Traité instituant la Communauté européenne. Il limite la libre concurrence et influence de manière défavorable la circulation intracommunautaire des marchandises.
Il ne peut y avoir de contestation sur le fait que les avocats indépendants et les cabinets d'avocats comme les demanderesses sont des entreprises au sens de l'article 81.1 dudit Traité et que lorsqu'en vertu d'une compétence qui lui est conférée par la loi il prend des mesures obligatoires qui se situent dans le cadre des échanges économiques, l'Orde van Vlaamse balies est une association d'entreprises au sens de ce même article du Traité. Divers cabinets d'avocats agissant en l'espèce en tant que demanderesses sont d'ailleurs actives dans différents Etats membres de la Communauté européenne et en-dehors, et leurs associés et collaborateurs sont régulièrement déplacés d'un cabinet à l'autre.
Il ne peut être mis en doute que l'article 3.8 du règlement attaqué a des effets négatifs pour la concurrence en ce sens que les cabinets d'avocats/demandeurs font des investissements importants à leurs propres frais en vue de l'organisation interne de la formation permanente de leurs associés et collaborateurs de sorte que, d'une part, la formation des avocats-associés et collaborateurs est assurée de manière efficace et peu coûteuse en limitant les frais et les pertes de temps occasionnés par les déplacements en-dehors du cabinet et que, d'autre part, une formation de bonne qualité est assurée visant spécifiquement les nécessités de la pratique personnelle et au cours de laquelle un know-how interne est transmis sur la base des dossiers concrets du cabinet, à d'autres avocats du cabinet. En outre, le niveau élevé de la formation permanente interne est utilisé comme un avantage concurrentiel lors de l'engagement de jeunes collaborateurs ainsi que lors du maintien des collaborateurs dès lors que la qualité de la formation qui est donnée au sein du cabinet constitue un facteur important si pas déterminant pour les candidats-collaborateurs lors du choix du cabinet dans lequel ils souhaitent travailler.
Cet avantage concurrentiel est toutefois complètement mis à néant par l'article 3.8 du règlement attaqué dès lors que les cabinets d'avocats sont ainsi obligés de faire bénéficier les autres avocats qui ne font pas partie du cabinet des investissements qu'ils font pour développer une formation permanente interne de haut niveau, une extension du cabinet et l'économie de frais qui en découle dès lors qu'ils sont obligés de rendre les cours qu'ils organisent de manière interne accessibles gratuitement aux avocats qui ne font pas partie du cabinet. En outre, ces cabinets sont encore obligés de payer des frais de dossier à l'Orde van Vlaamse balies comme le prévoit l'article 5.3 de ce même règlement ce qui a pour conséquence que tous les frais liés à l'organisation d'une formation interne et les droits de cours doivent être supportés par les cabinets d'avocats qui organisent ces cours alors que les avocats qui ne font pas partie d'un tel cabinet ont accès gratuitement à ces cours ce qui leur procure un avantage anormal qui porte atteinte à la concurrence.
Le service juridique fourni par un avocat qui dispose d'un quasi-monopole en ce qui concerne la représentation des parties devant les cours et tribunaux, est essentiel dans un état de droit. Une bonne administration de la justice est impossible sans l'exercice correct de la profession d'avocat. L'indépendance, l'(im)partialité, la protection du secret professionnel et la suppression de tout conflit d'intérêt relèvent de l'essence même de la profession. Les demandeurs ne contestent pas davantage que la formation permanente et le recyclage constituent une obligation déontologique pour l'avocat.
Les ordres des avocats bénéficient donc d'une grande liberté dans l'appréciation de la nécessité et de la proportionnalité d'une mesure en vue de favoriser un bon exercice de la pratique. Les effets négatifs sur le plan de la concurrence doivent toutefois être contrebalancés par l'objectif poursuivi. Lorsque les règles déontologiques peuvent être considérées comme étant raisonnablement nécessaires en vue de poursuivre un objectif légitime elles ne constituent pas une limitation à la concurrence au sens de l'article 81.1 du Traité instituant la Communauté européenne même pas si elles portent atteinte à la concurrence. Il est toutefois requis que ces mesures ne soient pas plus étendues que nécessaire.
Il est toutefois évident que l'article 3.8 du règlement va plus loin que nécessaire. Comme il a été démontré dans le premier moyen, la limitation imposée par l'article 3.8 du règlement est sans rapport avec le maintien des intérêts légaux poursuivi par l'Orde van Vlaamse balies au moyen dudit règlement. Il n'y a pas de motif d'intérêt général justifiant de subordonner l'agrément de cours organisés par un cabinet d'avocats à la condition que l'accès à ces cours soit gratuit pour les avocats qui ne font pas partie du cabinet. En effet, le règlement prévoit un mécanisme de contrôle pour apprécier la qualité de ces cours, à savoir que les cabinets doivent introduire une demande afin d'obtenir l'agrément conformément à l'article 5 du règlement au cours de laquelle ils doivent fournir les éléments nécessaires permettant à la commission d'agrément d'en apprécier la qualité. En outre, l'article 5.5 prévoit que la commission d'agrément peut à tout moment contrôler sur place la qualité du cours proposé. Ces mesures suffisent en soi pour assurer la qualité. Le fait que ces cours doivent en outre être accessibles gratuitement aux avocats qui ne font pas partie du cabinet n'implique pas une garantie supplémentaire pour la qualité. Il suffit de se référer au règlement de l'Ordre francophone du barreau de Bruxelles pour constater que ce règlement ne pose pas une telle condition (voir règlement de l'Ordre francophone de Bruxelles du 27 mai 2002 relatif à la formation permanente).
La condition contenue à l'article 3.8 du règlement attaqué ne peut être considérée comme étant nécessaire et proportionnelle. Il s'agit au contraire d'une mesure disproportionnée qui va plus loin que nécessaire afin d'assurer un bon exercice de la profession d'avocat. L'article 3.8 du règlement attaqué viole, dès lors, l'article 81, alinéa 1er, du Traité instituant la Communauté européenne et est, dès lors, nul de plein droit, conformément à l'article 81, alinéa 2, de ce même Traité.
Suivant une jurisprudence constante de la Cour de justice, la disposition de l'article 49 du Traité instituant la Communauté européenne s'étend aussi à des règlements qui ne sont pas de droit public qui visent à régler de manière collective les actes des services. Une réglementation viole l'article 49 précité lorsqu'elle limite le droit des prestataires de service établis dans un Etat membre déterminé d'offrir des services à des clients qui sont établis dans un autre Etat membre. Les demandeurs sub 1, 5, 6, 8 et 9 sont des cabinets d'avocats dont le siège principal est situé au Royaume Uni. Ils offrent aussi des services à des clients établis en Belgique par l'intermédiaire d'une filiale située à Bruxelles. L'article 3.8 du règlement attaqué a toutefois pour effet qu'à partir du moment où leur filiale à Anvers ou à Bruxelles comprend des avocats en qualité d'associés ou de collaborateurs qui sont membres de l'Orde van Vlaamse balies, ils sont obligés de rendre les cours de formation interne qu'ils organisent gratuitement accessibles aux avocats d'autres cabinets s'ils souhaitent obtenir l'agrément de ces cours. Cela implique un obstacle aux services qu'ils souhaitent offrir par l'intermédiaire de leurs filiales en Belgique à la clientèle établie en Belgique. Cette limitation de la libre circulation des services ne peut être justifiée par des motifs graves d'intérêt général, à savoir l'assurance d'un bon exercice de la profession d'avocat en Belgique. L'article 3.8 du règlement attaqué va donc plus loin que ce qui est nécessaire au bon exercice de la profession d'avocat en Belgique et viole, dès lors, l'article 49 du Traité instituant la Communauté européenne.
V. La décision de la Cour
1. La requête en intervention volontaire
Attendu que, conformément à l'article 501, § 3, du Code judiciaire, l'Ordre van Vlaamse balies peut introduire une requête en intervention volontaire dans laquelle il peut invoquer des moyens nouveaux fondés sur un excès de pouvoir, la violation des lois ou l'adoption irrégulière du règlement attaqué;
Que l'assistance d'un avocat à la Cour n'est pas requise pour le barreau qui intervient à la procédure conformément à l'article 501, § 3;
Que si l'intervention d'un avocat à la Cour n'est pas requise par une disposition expresse, la Cour n'impose pas l'assistance d'un avocat dans des affaires civiles autres que les pourvois en cassation;
Que la requête est recevable;
2. Quant au fond
Attendu que conformément à l'article 1er du règlement relatif à la formation permanente, la formation permanente signifie que l'avocat se forme et se recycle de manière régulière dans des matières juridiques ou des matières utiles à la pratique professionnelle, en suivant des cours agréés ou en enseignant ou en participant en tant qu'orateur à des conférences ou en publiant, au sens de ce règlement;
Que le règlement énumère les formations considérées comme une formation permanente attributive de points afin d'obtenir le nombre minimum de points prévu
par l'article 2 de ce règlement;
Que l'article 3 du règlement énumère limitativement les formations pour lesquelles des points sont attribués; que l'article 3.8 prévoit en particulier qu'un cours organisé par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet;
2.1. Sur le premier moyen
Attendu qu'en vertu de l'article 495 du Code judiciaire, l'Orde van Vlaamse balies a pour mission, en ce qui concerne les barreaux qui en font partie et qui sont exclusivement constitués d'avocats, de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de ses membres; qu'il prend aussi des initiatives et des mesures utiles en matière de formation, de règles disciplinaires et de loyauté professionnelle ainsi que pour la défense des intérêts de l'avocat et du justiciable; qu'en ces matières, il peut faire des propositions aux autorités compétentes;
Attendu que sur la base de cette disposition, l'Orde van Vlaamse balies a élaboré un règlement qui doit permettre à chaque avocat de satisfaire à son obligation de rendre un service de qualité en suivant une formation permanente adéquate;
Attendu que lorsqu'un règlement relatif à la formation permanente suppose qu'un cours organisé de manière interne par un cabinet d'avocats est susceptible d'être agréé, l'accessibilité obligatoire pour les avocats qui ne font pas partie du cabinet peut contribuer à l'effectivité d'un contrôle indirect et complémentaire par l'Ordre sur la manière dont ledit cours contribue à la formation permanente;
Attendu que, conformément à l'article 3.8 du règlement attaqué, le cours organisé de manière interne par un cabinet d'avocats ne peut être agréé que s'il est accessible gratuitement aux avocats qui ne font pas partie de ce cabinet;
Que la condition de la gratuité de l'accès aux avocats qui ne font pas partie du cabinet constitue un moyen manifestement disproportionné à la réalisation dudit contrôle; que cet objectif pourrait aussi être atteint si l'accès de ces avocats était subordonné au paiement du prix de revient marginal;
Que cette disposition n'est donc pas concrètement justifiée par la sauvegarde des intérêts confiés par le législateur à l'Orde van Vlaamse balies dans l'article 495 du Code judiciaire;
Que, dès lors, il y a lieu d'annuler l'article 3.8 dans la mesure où il impose l'accessibilité gratuite aux avocats qui ne font pas partie du cabinet:
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Annule l'article 3.8 du règlement relatif à la formation permanente approuvé par l'assemblée générale de l'Orde van Vlaamse balies du 2 juin 2004, dans la mesure où il impose l'accessibilité gratuite aux avocats qui ne font pas partie du cabinet;
Laisse les dépens à charge de l'Etat.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les présidents de section Robert Boes et Ernest Waûters, les conseillers Ghislain Londers et Eric Dirix, et prononcé en audience publique du vingt-deux décembre deux mille cinq par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guido Bresseleers, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président Ivan Verougstraete et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le président,