IMEWO, société coopérative à responsabilité limitée,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
contre
V-B. L., et cons.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2004 par la cour d'appel de Gand.
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat général délégué Pierre Cornelis a conclu.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution;
- articles 1, 2, 3, 7 et 8 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Décisions et motifs critiqués
La cour d'appel, appréciant les conditions d'application de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, considère que toutes ces conditions sont réunies et confirme la condamnation de la demanderesse prononcée par le premier juge, sur la base des considérations suivantes:
«Quant à l'application de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Préalablement: la cour [d'appel] est suffisamment renseignée par les débats et les pièces transmises; il n'y a pas lieu de donner suite à l'expertise demandée en ordre subsidiaire.
Selon l'article 3.A de ses statuts, (la demanderesse) a pour objet la fourniture d'électricité. La distinction qu'elle estime devoir faire dans ses conclusions entre 'électricité' et 'puissance électrique' est artificielle et non pertinente.
Elle fournit donc un produit au sens de l'article 2, alinéa 2, de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Il y a aussi lieu de considérer (la demanderesse) comme producteur au sens de l'article 3 de cette même loi. En effet, on entend par producteur notamment le fabricant d'un produit fini. Ainsi, un produit constitue un produit fini lorsque le consommateur peut l'utiliser ou le consommer sans que le produit ne doive encore subir une quelconque modification.
Dans ses conclusions, l'appelante expose qu'elle transforme l'énergie électrique primaire, qui lui est fournie par la société anonyme Electrabel, en une puissance électrique d'une tension de 400V. Ce produit fini n'est toutefois pas encore utilisable par le consommateur et, en ce sens, il ne constitue pas un produit fini. Par la présence du conducteur neutre dans le câble, la tension est diminuée à 220V et est alors utilisable par le consommateur-abonné.
La cour [d'appel] se réfère aussi à l'article 2, § 2-1, des statuts qui inclut également dans la distribution de l'énergie électrique la transformation de cette énergie. Il ne s'agit donc pas uniquement du transport. Outre la distribution de l'électricité, (la demandersse) participe aussi à la production d'électricité consommable.
Lorsqu'en raison d'un défaut dans la borne, une tension divergente se crée qui est trop élevée pour les appareils électriques du consommateur qui s'en trouvent endommagés, il est question d'un produit défectueux.
(La demanderesse) tente de se soustraire à cette qualification en qualifiant le raccordement défectueux comme un vice de service. La cour [d'appel] ne peut accueillir cette argumentation. La disparition du conducteur neutre a augmenté la tension et a rendu le produit défectueux.
Ainsi, il s'agit d'un défaut au sens de l'article 5 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux dèslors que la tension trop élevée de l'électricité n'a pas offert la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Au moment où l'électricité subit une modification de tension en raison de l'embranchement et où elle entre chez le consommateur, il est question d'une 'mise en circulation' au sens de l'article 8.b de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Dès lors, (la demanderesse) ne peut se dégager en invoquant cet article.
(La demanderesse) tente aussi de se dégager de sa responsabilité en invoquant l'article 8.e de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. La cour [d'appel] considère que ceci n'est pas fondé. Il y a lieu de donner une interprétation restrictive au moyen de défense. L'impossibilité de déceler l'existence du défaut doit être absolue; ce qui n'est pas le cas en l'espèce. (La demanderesse) est propriétaire de l'embranchement dans lequel a surgi le défaut, en tant que distributeur, elle assure l'entretien et le fonctionnement correct et sûr de l'embranchement (voir article III-A-1, alinéa 2, et 6). Au regard de la jurisprudence communiquée, qui se rapporte au même problème, il s'agit d'un phénomène qui se produit manifestement régulièrement et (la demanderesse) est dès lors présumée le connaître. Elle aurait dû prendre les précautions requises.
Le premier juge a, dès lors, pris une décision judicieuse en l'espèce».
Griefs
(.)
Deuxième branche: violation des articles 1, 2, 3 et 7 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Conformément à l'article 7 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, la preuve du défaut du produit fabriqué par le producteur, du dommage et du lien de causalité entre le défaut et le dommage incombe à la personne lésée qui invoque les dispositions de cette loi pour réclamer une indemnisation.
Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit (article 1er de la loi 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
L'article 2 de cette même loi qualifie de manière expresse l'électricité comme un produit au sens de cette loi.
Au sens de la loi, on entend par " producteur " le fabricant d'un produit fini, le fabricant d'une partie composante d'un produit fini ou le producteur d'une matière première et toute personne qui se présente comme fabricant ou producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif (article 3 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
La cour d'appel constate que la présence du conducteur neutre dans le câble réduit la tension à 220 volt, la rendant utilisable pour le consommateur-abonné, que les statuts de la demanderesse mentionnent aussi la transformation d'énergie et que la demanderesse participe ainsi à la production d'électricité consommable, de sorte qu'en tant que fabricant du produit final, il y a lieu de la considérer comme producteur au sens de l'article 3 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Ensuite l'arrêt considère que «lorsqu'en raison d'un défaut dans la borne une tension divergente se crée qui est trop élevée pour les appareils électriques du consommateur qui s'en trouvent endommagés, il est question d'un produit défectueux. (.) La disparition du conducteur neutre a augmenté la tension et a rendu le produit défectueux.
La cour d'appel considère qu'il est question d'un produit défectueux au sens de l'article 3 de la loi relative à la responsabilité des produits défectueux.
Pour que la demanderesse soit tenue pour responsable sur la base de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux en raison d'un dommage causé par un produit défectueux, il faut, conformément aux articles 1, 3 et 7 de cette loi, pouvoir imputer le dommage au produit qui a été fabriqué par la demanderesse.
Comme le faisait valoir la demanderesse dans ses conclusions d'appel, il ne suffit pas de constater que la demanderesse est productrice d'un produit au sens de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et que le produit a causé un dommage en raison d'un défaut.
La responsabilité de la demanderesse en vertu de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux requiert, conformément aux articles 1, 3 et 7, que le produit fabriqué par le producteur (la demanderesse) soit défectueux et cause un dommage.
La cour d'appel a décidé qu'en raison de la présence du conducteur neutre dans le câble et la réduction de la tension qui en a résulté, la demanderesse pouvait être considérée comme producteur d'électricité consommable et utilisable par le consommateur.
Vu la disparition du conducteur neutre constatée par l'arrêt, l'arrêt ne pouvait pas légalement décider qu'en vertu de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, la demanderesse était responsable du dommage subi par les défendeurs.
Le dommage causé par l'électricité défectueuse ne pouvait, en effet, être imputé à sa production par la demanderesse, dans le sens que la cour d'appel avait préalablement donné aux notions de produit et de producteur, conformément à ces notions légales au sens de l'article 3 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
A défaut d'une production d'électricité au sens admis par la cour d'appel, celle-ci ne pouvait légalement décider que toutes les conditions pour l'application de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux étaient réunies dans le chef de la demanderesse et qu'il y avait lieu de condamner la demanderesse à la réparation du dommage subi par le défendeurs.
Par ces motifs, l'arrêt viole les articles 1, 2, 3 et 7 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Troisième branche: violation des articles 6 et 8, e) de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Aux termes de l'article 8, e) de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, le producteur n'est pas responsable sur la base de cette loi s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l'existence du défaut.
Au sens de cette loi, on entend par " mise en circulation " le premier acte matérialisant l'intention du producteur de donner au produit l'affectation à laquelle il le destine par transfert à un tiers ou utilisation au profit de celui-ci (article 6 de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
En se référant dans ses conclusions d'appel à l'article 8, e), de ladite loi, la demanderesse avait fait valoir qu'en raison des caractéristiques du produit, elle était dans l'impossibilité de déceler l'existence du défaut au moment de la mise en circulation du produit.
La cour d'appel considère qu'«au moment où l'électricité subit une modification de tension en raison de l'embranchement et où elle entre chez le consommateur, il est question d'une 'mise en circulation'» et rejette le moyen de défense invoqué par la demanderesse au motif de la considération qu' «il y a lieu de donner une interprétation restrictive au moyen de défense. L'impossibilité de déceler l'existence du défaut doit être absolue; ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La (demanderesse) est propriétaire de l'embranchement dans lequel a surgi le défaut; en tant que distributeur elle assure l'entretien et le fonctionnement correct et sûr de l'embranchement (voir article III-A-1, alinéa 2, et 6). Au regard de la jurisprudence communiquée, qui se rapporte au même problème, il s'agit d'un phénomène qui se produit manifestement régulièrement et l'appelante est dès lors présumée le connaître. Elle aurait dû prendre les précautions requises».
En vertu de l'article 8, e), de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, il appartient au producteur de prouver que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l'existence du défaut.
L'arrêt considère que la demanderesse est propriétaire de l'embranchement dans lequel a surgi le défaut, qu'en tant que distributeur elle assure l'entretien et le fonctionnement correct et sûr de l'embranchement, qu'elle est présumée connaître la problématique et qu'elle aurait dû prendre les précautions requises.
La cour d'appel ne constate toutefois pas qu'au moment où l'électricité a été mise en circulation, à savoir au moment où l'électricité a subi une modification de tension et est entrée chez le consommateur, la demanderesse avait la possibilité de déceler l'existence d'un défaut du produit (cf. article 8, e) de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
Sur la base de la considération que «la (demanderesse) est propriétaire de l'embranchement dans lequel a surgi le défaut; en tant que distributeur elle assure l'entretien et le fonctionnement correct et sûr de l'embranchement (voir article III-A-1, alinéa 2, et 6); au regard de la jurisprudence communiquée, qui se rapporte au même problème, il s'agit d'un phénomène qui se produit manifestement régulièrement et (la demanderesse) est dès lors présumée le connaître; elle aurait dû prendre les précautions requises», la cour d'appel n'a dès lors pas justifié légalement la décision que le moyen de défense de la demanderesse, fondé sur l'article 8, e) de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, est non fondé (violation de l'article 8, e) de la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
La décision de la Cour
(.)
Quant à la deuxième branche:
3. Le moyen, en cette branche, suppose qu'un producteur perde cette qualité lorsqu'une opération caractéristique du processus de production n'est pas réalisée lors de la fourniture d'un produit.
4. Le fournisseur d'un produit qui omet en raison d'un défaut dans son installation d'effectuer le processus de production normal et livre un produit non fini, ne perd pas de ce fait la qualité de producteur.
5. Le moyen qui, en cette branche, suppose le contraire, manque en droit.
Quant à la troisième branche:
6. Aux termes de l'article 8, e) de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, le producteur n'est pas responsable en application de la présente loi s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l'existence du défaut.
Ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 29 mai 1997, l'impossibilité de déceler l'existence d'un défaut ne prend pas en considération l'état des connaissances dont le producteur en cause était ou pouvait être concrètement ou subjectivement informé, mais l'état objectif des connaissances scientifiques et techniques dont le producteur est présumé être informé.
7. Le moyen, en cette branche, suppose que le juge soit tenu d'examiner s'il existait une impossibilité subjective de déceler le défaut.
8. Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation,
première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Ghislain Londers, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du six avril deux mille six par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général délégué Pierre Cornelis, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christine Matray et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,