NUCLEAR LASER MEDICINE S.R.L.,
Me Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
INNOGENETICS, s.a.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 février 2005 par la cour d'appel de Gand.
Le conseiller Ghislain Londers a fait rapport.
L'avocat général délégué Pierre Cornelis a conclu.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 3.1 de la Convention du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles;
- articles 1, 2, 3, 4 et 6 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué déclare non fondée la demande tendant à obtenir de la demanderesse les indemnités prévues aux articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961, notamment aux motifs suivants:
«Finalement, la (demanderesse) affirme que la (défenderesse) a résilié la convention de concession de manière illiciteet contraire à la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. A l'article 19 de leur convention, les parties ont fait le choix de l'application du droit belge en général (.). Une question de droit pertinente se pose. Lorsqu'une concession de vente exclusive produit des effets sur un territoire situé entièrement en dehors de la Belgique et contient une clause qui désigne le droit belge, cela signifie-t-il aussi que cette convention sera nécessairement régie par les principes de la loi du 27 juillet 1961? Une réponse négative est apportée à cette question par Erauw: 'Vooreerst verliest de wet van 1961 haar imperatief karakter indien en in de mate dat de betrokken situatie niet verbonden is met het Belgisch grondgebied (.) en vervolgens wijzen de tekst alleen al van de bevoegdheidsbepaling in art. 4 van de wet en ook de voorbereidende werkzaamheden erop dat de wet van 1961 moet bekeken worden als 'une norme autolimitée', dit wil zeggen een norm die - onafhankelijk van een eventuele keuze door de partijen gedaan voor het Belgisch recht - als toepasselijke wet geen toepassing zal vinden op een situatie buiten het Belgisch grondgebied. Partijen kunnen overigens o.i. geen bevoegdheidsgrond scheppen of uitbreiden. In casu betekent dit dat de wet van 1961 niet toepasselijk zou zijn, behalve wanneer de partijen ze op een zekere en ondubbelzinnige manier toepasselijk zouden hebben verklaard' (.). La ratio legis de la loi du 27 juillet 1961 était de protéger les concessions qui produisent leurs effets sur le territoire belge (.). Lorsque la concession produit ses effets entièrement en dehors de la Belgique, il n'est pas satisfait à la condition à laquelle l'article 4 subordonne l'application impérative de la loi. (.) Les auteurs déduisent du caractère autolimitatif de la loi de 1961 qu'en principe la loi n'est pas applicable si la concession est exécutée en dehors du territoire belge, sauf si les cocontractants expriment de manière explicite et certaine leur volonté d'appliquer la loi du 27 juillet 1961 à leur situation (.). La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée a un caractère autolimitatif: la loi elle-même contient des limitations quantà son application ratione materiae et loci lorsqu'une concession de vente exclusive ne produit pas ses effets sur le territoire belge, comme en l'espèce. Une concession de vente exclusive qui ne produit ses effets qu'à l'étranger ne relève pas de l'application impérative de la loi de 1961 (.). En ce qui concerne les concessions de vente exclusive produisant entièrement leurs effets en dehors du territoire belge, en raison de la ratio legis et de sa nature spécifique, la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée n'est pas applicable de manière automatique par l'effet du choix par les parties du droit belge en général. Le fait que le droit belge régit les rapports contractuels entre le concédant et le concessionnaire n'implique pas en soi que la loi du 27 juillet 1961 soit applicable à une concession produisant exclusivement ses effets à l'étranger. A défaut d'une clause contractuelle expresse se référant à la loi du 27 juillet 1961, celle-ci n'est par conséquent pas applicable à la convention visée qui n'est pas exécutée en Belgique (.). La cour considère - conformément à la jurisprudence et à la doctrine quasiment unanimes sur ce point au cours des quinze dernières années - que lorsque la concession est exécutée complètement et exclusivement à l'étranger (comme en l'espèce), la loi du 27 juillet 1961 ne sera applicable à la convention que si cette loi a été désignée de manière certaine par les parties comme loi régissant les relations contractuelles entre les parties. L'intention des parties en concluant la convention est capitale en l'espèce, d'autant plus qu'elles ont abouti devant un juge belge et le droit belge sur la base d'une clause de forum et d'une clause de choix du droit applicable. Depuis le 1er avril 1991, la convention européenne du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles est en vigueur. Relativement à la loi choisie par les parties, l'article 3, § 1er, de la convention dispose que 'ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause'. La théorie de la volonté 'présumée' des parties, à laquelle la Cour de cassation a adhéré jusque dans les années '80 (.), est ainsi expressément rejetée. 'La loi belge du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée a un caractère impératif. Cette loi ne s'impose, toutefois, qu'aux conventions de concession produisant leurs effets sur le territoire belge ou une partie de ce territoire. La question est de savoir si les parties qui déclarent le droit belge applicable à une concession exécutée en dehors de la Belgique, font aussi implicitement le choix de la soumettre à la loi belge du 27 juillet 1961. La doctrine belge estime qu'il appartient au juge de vérifier concrètement si les parties ont eu l'intention expresse de déclarer la loi belge applicable, en dehors de son champ d'application véritable' (.). Il ne ressort nullement de la convention entre les parties qu'elles avaient la volonté expresse d'appliquer la loi de 1961 à leurs relations contractuelles, nonobstant le fait que la concession se rapportait au territoire italien. Il pourrait ressortir des 18 autres articles de la convention qu'il n'était plutôt pas dans leur intention de rendre cette loi spécifique applicable à leur convention (article 19), laquelle contient diverses dispositions non conformes à la loi de 1961, tels l'article 8 (durée), l'article 9 (résiliation), l'article 10 (effets de la résiliation), etc. Les parties ont négocié ces clauses concrètes préalablement à la conclusion de leur convention, et les ont formulées de manière expresse. En outre, il ressort de la manière dont les parties se sont comportées durant l'exécution de la convention et en temps non suspect, qu'elles ont eu l'intention de respecter les stipulations de leur convention. On peut en conclure que les relations entre les parties relativement à la cessation de la convention de distribution produisant ses effets sur le territoire italien sont régies par les dispositions expresses de leur convention. Nulle part, les parties n'ont déclaré applicable la loi de 1961 de manière certaine et non équivoque. Même si la loi du 27 juillet 1961 relève du 'droit belge' déclaré applicable contractuellement, cette loi ne s'applique pas de manière automatique à une situation en dehors du territoire belge. Ceci découle du caractère autolimitatif de cette loi qui, en tant que loi impérative, se limite tant du point de vue du contenu que de l'espace aux concessions produisant leurs effets entièrement ou partiellement en Belgique. En l'espèce, la (défenderesse) a notifié la résiliation le 23 juin 1999 (.), soit six mois avant le terme de la convention (lequel était fixé au 31 décembre 1999 conformément à l'article 8 de la convention). Préalablement à cette procédure, il n'y avait pas eu de contestation sur ce point. Un abus du droit de résiliation contractuel n'a nullement été démontré. En outre, l'article 8.2 de la convention stipule de manière explicite qu'en cas de résiliation régulière de la convention par la (défenderesse), la (demanderesse) ne peut prétendre à aucune indemnité».
Griefs
L'article 3, § 1er, de la convention européenne du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dispose que le contrat est régi par la loi choisie par les parties et que ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.
Relativement à une convention de concession, produisant exclusivement ses effets à l'étranger, les parties sont libres de choisir l'application du système juridique belge, dont la loi du 27 juillet 1961 fait partie.
Naturellement, le législateur belge a édicté la loi du 27 juillet 1961 en premier lieu dans le but de régler de manière impérative les rapports contractuels entre les parties relativement aux concessions sur le territoire belge (article 4 de la loi du 27 juillet). Il ne peut, toutefois, s'en déduire que le législateur a entendu réserver de manière exclusive la protection spéciale de la loi du 27 juillet 1961 aux concessions belges et qu'il a voulu limiter la liberté contractuelle des parties relativement aux territoires de concession étrangers. La loi du 1961 n'a, ainsi, pas de caractère autolimitatif.
Il s'ensuit que les parties qui déclarent le droit belge généralement applicable à une concession produisant ses effets en dehors de la Belgique, choisissent aussi de manière implicite mais certaine l'application de la loi du 27 juillet 1961 à leurs relations contractuelles, à moins qu'elles ne l'aient exclue de manière expresse.
En l'espèce, il ne ressort d'aucune constatation de l'arrêt attaqué que les parties auraient exclu de manière expresse l'application de la loi du 27 juillet 1961. Du fait que les parties sont convenues de certaines stipulations contraires au contenu de la loi de 1961, il ne résulte pas qu'elles aient eu l'intention d'exclure la loi de 1961 de l'application du droit belge en son ensemble à laquelle elles se sont soumises.
La cour d'appel n'a, dès lors, pas pu déclarer légalement non fondée la demande de la demanderesse tendant à obtenir les indemnités prévues aux articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
La décision de la Cour
1. L'article 4, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée dispose que le concessionnaire lésé, lors d'une résiliation d'une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant.
En vertu de l'alinéa 2 de cette disposition légale, dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge.
2. Il suit de l'ensemble de l'article 4 précité ainsi, que des travaux parlementaires de la loi du 27 juillet 1961 que lorsqu'une concession de vente produit ses effets exclusivement en dehors du territoire belge, en cas de résiliation de cette concession de vente, les dispositions impératives de la loi précitée ne sont en principe pas applicables.
Les dispositions impératives de cette loi ne sont applicables en ce cas que lorsque la convention entre le concessionnaire et le concédant rend cette loi expressément applicable à la convention entre les parties.
Une référence générale dans la convention de concession au droit belge comme étant le droit régissant la convention ne suffit pas pour rendre ces dispositions impératives applicables.
3. Le moyen soutient, au contraire, que lorsqu'il est prévu dans une convention de concession que le droit belge est applicable, en cas de résiliation de la concession produisant exclusivement ses effets à l'étranger, les dispositions de la loi du 27 juillet 1961 sont applicables, sauf lorsque les parties l'ont expressément exclu.
4. Le moyen manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Ghislain Londers, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du six avril deux mille six par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général délégué Pierre Cornelis, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sylviane Velu et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,