D.M. J., et cons.,
Me Dirk Caestecker, avocat au barreau d'Anvers,
contre
ETAT BELGE, ministre des Finances,
Me Ignace Claeys Bouuaert, avocat à la Cour de cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 mars 2004 par la cour d'appel d'Anvers.
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat général Dirk Thijs a conclu.
Les moyens de cassation
Le demandeur présente trois moyens, le deuxième libellé dans les termes suivants:
Deuxième moyen
Dispositions légales violées
Article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus, tel qu'il était applicable pour les exercices 1996 à 1999 inclus.
Décisions et motifs critiqués
La cour d'appel d'Anvers, statuant sur l'appel des demandeurs contre le jugement du 26 juin 2002 dit pour droit que:
«Si l'administration conteste que les pertes professionnelles sont prises en charge en vue de sauvegarder des revenus professionnels et qu'elle invoque à ce propos la disproportion entre les pertes prises en charge et les revenus professionnels retirés de la société, les [demandeurs] doivent démontrer que l'administration a déduit une conséquence inexacte de cette donnée. Cette preuve peut être apportée en démontrant que la structure de la société, son plan financier, ses charges et ses revenus permettent à court, moyen et long terme, d'acquérir des revenus professionnels qui sont plus importants que les pertes prises en charge. Si cette preuve fait défaut, il est impossible de soutenir que les pertes sont prises en charge en vue de sauvegarder les revenus professionnels que le contribuable retire de la société.
Bien que la disproportion entre le montant des pertes prises en charge et les revenus professionnels que le dirigeant ou l'associé actif retire de la société ne constitue pas en soi un motif pour refuser la déduction des pertes prises en charge, cette disproportion peut constituer un élément ou un critère important lors de l'appréciation de l'objectif poursuivi par le dirigeant ou l'associé actif lorsqu'il prend en charge les pertes. L'administration n'ajoute pas de condition à la loi lorsqu'elle déduit de ces faits que l'objectif du contribuable n'est pas de sauvegarder des revenus professionnels» (.) «Pendant la période allant du 20 novembre 1992 au 31 décembre 1997, la société coopérative Demvest n'a pas réalisé de chiffre d'affaires et il ressort de la structure des frais de la société que le financement de l'acquisition de la nue-propriété des actions de la société anonyme Frankipar a été la seule activité de la société» (.). «Les [demandeurs] ne présentent aucun document dont il ressort que la structure de la société, son plan financier, ses charges et ses revenus permettent à court, moyen et long terme, d'acquérir des revenus professionnels qui sont plus importants que les pertes prises en charge, de sorte qu'il est impossible de soutenir que les pertes ont été prises en charge dans le but de sauvegarder les revenus professionnels que le contribuable retire de la société. Il est, en effet, tout à fait invraisemblable de soutenir que de l'argent soit cédé annuellement à une société alors que l'on ne peut s'attendre raisonnablement à ce que les revenus de la société soient un jour plus importants que les pertes prises en charge. Les [demandeurs] ne prouvent donc pas que la première condition de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus 1992 a été remplie».
Griefs
L'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable pour les exercices 1996 et 1997, est libellé comme suit: Ne constituent pas des frais professionnels: (.) 15° les pertes des sociétés que les administrateurs et les associés actifs prennent en charge, sauf lorsque cette prise en charge se réalise par un paiement, irrévocable et sans condition, d'une somme, effectué en vue de sauvegarder des revenus professionnels que ce contribuable retire périodiquement de la société et que la somme ainsi payée a été affectée par la société à l'apurement de ses pertes professionnelles;l'article 53, 15° du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable aux exercices 1998 et 1999, est libellé comme suit: «Ne constituent pas des frais professionnels: (.) 15° les pertes des sociétés prises en charge par des personnes physiques, sauf s'il s'agit de dirigeants d'entreprise qui réalisent cette prise en charge par un paiement, irrévocable et sans condition, d'une somme, effectué en vue de sauvegarder des revenus professionnels que ces dirigeants retirent périodiquement de la société et que la somme ainsi payée a été affectée par la société à l'apurement de ses pertes professionnelles».
Ainsi, conformément à l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus, les pertes des sociétés prises en charge peuvent être déduites comme frais professionnels s'il est établi que les trois conditions suivantes sont rempliessimultanément:
1°la prise en charge des pertes des sociétés doit être réalisée en vue de sauvegarder des revenus professionnels que les contribuables concernés retirent périodiquement de la société;
2°la prise en charge doit être réalisée par un paiement irrévocable et sans condition d'une somme;
3°la société concernée doit affecter la somme ainsi payée à l'apurement de ses pertes professionnelles.
En l'espèce, le litige ne concerne pas le respect des deuxième et troisième conditions mais le respect de la première condition. A cet égard, il est nécessaire mais aussi suffisant, selon le législateur, que le contribuable démontre qu'il a retiré des revenus professionnels de la société et ce sans avoir égard respectivement à l'importance des pertes prises en charge et aux revenus professionnels; il faut alors aussi qu'il existe un lien particulier entre la société et la personne qui prend en charge les pertes de la société.
En l'espèce, il ressort des faits, tels qu'ils ont été appréciés et admis par la cour d'appel d'Anvers, qu'au cours des exercices 1996 à 1999 inclus, le premier défendeur a retiré une rémunération de la société, dont les pertes ont été prises en charge, à concurrence de 2.500.000 francs belges (actuellement 61.973,38 euros); que, dès lors, les demandeurs ont démontré sur la base des éléments objectifs existants que le premier demandeur a retiré des revenus professionnels de la société, satisfaisant ainsi à la première condition de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Les considérations de fait de la cour d'appel d'Anvers suivant lesquelles:
-la société dont les pertes ont été prises en charge pendant les exercices concernés n'a pas réalisé de chiffre d'affaires,
-il ressort de la structure de frais de la société que le financement de l'acquisition de la nue -propriété des actions par la société était la seule activité de la société,
-de l'argent est cédé annuellement à cette société, alors qu'il n'existe raisonnablement aucun espoir que les revenus retirés de la société soient un jour plus importants que les pertes prises en charge,
sont sans intérêt, à cet égard, lors de l'appréciation de la première condition de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus 1992.
La condition de la sauvegarde des revenus professionnels doit être appréciée à la lumière du point de vue du contribuable et pas du point de vue de la société dont les pertes sont prises en charge.
En outre, une approche subjective de la première condition de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus 1992, à savoir l'appréciation de ce que l'on vise «finalement», c'est-à-dire outre l'obtention ou la sauvegarde des revenus périodiques de la société, par la prise en charge des pertes, ne trouve aucun fondement dans la loi; en outre, lorsque les termes de la loi sont clairs, il n'y a pas lieu de l'interpréter (Cass., 11 décembre 1962, Pas., 1963, I, 455); le point de départ essentiel de l'interprétation des textes de loi est en effet un texte légal peu clair; le texte de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus ne contient toutefois aucune imprécision justifiant son extension au moyen d'une interprétation subjective; enfin, les textes légaux fiscaux sont d'ordre public et doivent donc être interprétés de manière restrictive.
L'arrêt n'a dès lors pas pu décider légalement sans violer l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus qu'outre le fait que le premier demandeur a retiré des revenus professionnels de la société, les demandeurs devaient prouver que la structure de la société, son plan financier, ses charges et revenus permettaient à court, moyen et long terme, d'acquérir des revenus professionnels qui étaient plus importants que les pertes prises en charge et qu'à défaut d'une telle preuve, les demandeurs ne pouvaient soutenir que les pertes avaient été prises en charge en vue de sauvegarder des revenus professionnels retirés par le contribuable de la société.
Il s'ensuit que l'arrêt viole l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus tel qu'il était applicable aux exercices 1996 à 1999 inclus.
La décision de la Cour
Sur le second moyen:
6.En vertu de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus (1992) tel qu'il était applicable aux exercices 1995 à 1997, ne constituent pas des frais professionnels, les pertes des sociétés que les administrateurs et les associés actifs prennent en charge, sauf lorsque cette prise en charge se réalise par un paiement, irrévocable et sans condition, d'une somme, effectué en vue de sauvegarder des revenus professionnels que ce contribuable retire périodiquement de la société et que la somme ainsi payée a été affectée par la société à l'apurement de ses pertes professionnelles.
En vertu de l'article 53, 15°, du Code des impôts sur les revenus (1992), tel qu'il était applicable au cours des exercices 1998 et 1999, ne constituent pas des frais professionnels les pertes des sociétés prises en charge par des personnes physiques sauf s'il s'agit de dirigeants d'entreprise qui réalisent cette prise en charge par un paiement, irrévocable et sans condition, d'une somme, effectué en vue de sauvegarder des revenus professionnels que ces dirigeants retirent périodiquement de la société et que la somme ainsi payée a été affectée par la société à l'apurement de ses pertes professionnelles.
7.Il s'ensuit que les pertes d'une société prises en charge par les administrateurs et associés actifs ou les dirigeants d'entreprise ne sont déductibles à titre de frais professionnels qu'à la condition que la prise en charge se réalise en vue de la sauvegarde des revenus professionnels qu'il retirent périodiquement de ladite société.
8.La disproportion entre le montant des pertes prises en charge et le montant des revenus professionnels ne constitue pas en soi un motif pour refuser la déduction des pertes prises en charge mais peut constituer un élément lors de l'appréciation de la condition légale que la prise en charge des pertes de la société doit être réalisée en vue de la sauvegarde des revenus professionnels personnels que l'administrateur ou l'associé actif ou le dirigeant d'entreprise retire de la société.
9.Contrairement à ce qu'invoque le moyen, la circonstance que l'administrateur a retiré des revenus professionnels de la société en perte ne démontre pas toujours que la prise en charge des pertes de la société a eu lieu en vue de la sauvegarde des revenus professionnels retirés de la société par l'administrateur.
10.Le moyen manque en droit
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Edward Forrier, les conseillers Luc Huybrechts, Paul Maffei et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du huit juin deux mille six par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christine Matray et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,