C. P.,
partie civile,
demandeur en cassation,
contre
V. A.-M.,
personne à l'égard de laquelle l'action publique est engagée,
défenderesse en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Serge Moureaux et Pascal Hubain, avocats au barreau de Bruxelles.
I. la procédure devant la cour
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 29 juin 2006 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, et dans une requête reçue le 20 juillet 2006 au greffe de la cour d'appel.
Le conseiller Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Raymond Loop a conclu.
II. la décision de la cour
Sur le premier moyen:
L'arrêt attaqué déclare irrecevable la constitution de partie civile dirigée par le demandeur contre la défenderesse. Cette décision prend appui sur l'article 59, alinéa 4, de la Constitution, aux termes duquel, pendant la durée de la session, seuls les officiers du ministère public et les agents compétents peuvent intenter des poursuites en matière répressive à l'égard d'un membre de l'une ou de l'autre Chambre.
Selon le demandeur, l'arrêt viole la disposition constitutionnelle précitée dès lors que, ne précisant pas les dates d'ouverture et de clôture de la session parlementaire, les juges d'appel n'ont pas examiné si la date du 25 août 2005, à laquelle le magistrat instructeur a reçu la constitution de partie civile, se situe pendant la durée de la session ou en dehors de celle-ci. Le demandeur en déduit que l'arrêt est irrégulièrement motivé.
Dans les conclusions qu'il a déposées à l'audience de la chambre des mises en accusation du 19 juin 2006, le demandeur a soutenu, pour en déduire un excès de pouvoir, que la session fut clôturée «deux mois après le début des vacances parlementaires de juillet et la veille de la nouvelle session», celle-ci «ne pouvant, aux termes de l'article 44 de la Constitution, débuter que le deuxième mardi d'octobre».
Le demandeur n'a donc pas soutenu que sa constitution de partie civile du 25 août 2005 entre les mains du juge d'instruction avait eu lieu après la clôture d'une session parlementaire et avant l'ouverture de la suivante.
La session parlementaire ordinaire de 2004-2005 a été close par l'arrêté royal du 31 août 2005, entré en vigueur le lundi 10 octobre 2005.
L'arrêt ne viole dès lors pas l'article 59, alinéa 4, de la Constitution en constatant que le demandeur s'est constitué partie civile pendant cette session.
Pour le surplus, les juges d'appel n'avaient pas à rechercher si la session parlementaire 2004-2005 fut clôturée avant le 25 août, alors que les conclusions dont ils étaient saisis reposaient sur l'affirmation du contraire.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen:
Devant les juges du fond, le demandeur a fait valoir que le gouvernement «a pris la fâcheuse habitude de publier, fin septembre de chaque année, un arrêté royal précisant la date de la fin de la session parlementaire, qui coïncide avec le jour de l'ouverture de la nouvelle session». Il en a déduit qu'en procédant de la sorte, le Roi excédait ses pouvoirs, en manière telle qu'il appartient aux cours et tribunaux, en vertu de l'article 159 de la Constitution, de «refuser de donner effet à l'arrêté royal qui clôture la session parlementaire en septembre et de dire pour droit que la constitution de partie civile faite en août 2005 [.] est parfaitement recevable».
L'arrêt écarte cette défense en énonçant que le juge est sans pouvoir pour apprécier si un arrêté royal est ou non conforme à la Constitution.
Le moyen fait valoir que les cours et tribunaux détiennent le pouvoir que l'arrêt leur dénie.
Contrairement à ce que l'arrêt énonce, les juridictions peuvent et même doivent refuser d'appliquer les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, en ce compris les dispositions non réglementaires portées par de tels actes, s'ils sont contraires, notamment, à la Constitution.
Le motif critiqué l'est donc à bon droit.
Toutefois, le demandeur a sollicité de la cour d'appel qu'elle déclare sa constitution de partie civile recevable, bien qu'intervenue pendant la durée de la session parlementaire, dès lors que le Roi a excédé ses pouvoirs en n'ayant pas clôturé celle-ci plus tôt.
L'inconstitutionnalité déférée par le demandeur à l'examen des juges d'appel ne portait donc pas sur un arrêté royal déterminé mais sur son absence à la date où il s'est constitué partie civile.
Si le contrôle par voie d'exception institué par l'article 159 de la Constitution permet d'écarter l'application d'un acte, il n'autorise pas la censure de son inexistence.
Il en résulte que, même fondé, le moyen ne pourrait entraîner la cassation et est dès lors irrecevable à défaut d'intérêt.
Sur le troisième moyen:
Le demandeur a soutenu devant les juges d'appel que le monopole réservé au ministère public par l'article 59, alinéa 4, de la Constitution violait les articles 6.1, 13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Pour décider que l'irrecevabilité de l'action civile du demandeur ne méconnaît pas les droits garantis par l'article 6.1 précité, l'arrêt se borne à considérer que cette disposition ne s'applique pas, en règle, aux juridictions d'instruction lorsqu'elles ne sont pas appelées à décider du bien-fondé d'une accusation en matière pénale.
Le demandeur fait valoir que l'article invoqué vise également les juridictions décidant des contestations sur les droits et obligations de caractère civil et que tel est le cas lorsque, comme en l'espèce, la chambre des mises en accusation doit se prononcer sur une fin de non-recevoir opposée à la partie civile.
Toutefois, l'article 6.1 de la Convention ne donne pas le droit, à la partie qui se prétend lésée par une infraction, de mettre elle-même l'action publique en mouvement contre celui qu'elle accuse.
Certes, si un tel droit est prévu par l'ordre juridique interne d'un Etat membre, les garanties consacrées par la disposition conventionnelle précitée sont alors applicables à la procédure que la partie lésée a pu mettre en mouvement conformément à sa législation nationale.
Cependant, l'article 59 de la Constitution ne confère pas ce droit à la victime des infractions dont il règle la poursuite.
L'irrecevabilité de la constitution de partie civile du demandeur ne saurait, dès lors, violer l'article 6.1 précité, celui-ci n'ayant pas vocation à créer en la matière une procédure que le droit interne ne connaît pas.
A cet égard, le moyen, même s'il était fondé, ne pourrait entraîner la cassation et est, dès lors, irrecevable à défaut d'intérêt.
Pour le surplus, l'arrêt répond aux conclusions du demandeur et justifie légalement la décision de la cour d'appel en considérant, d'une part, quant à l'article 13 de la Convention, que le recours effectif ne consiste pas nécessairement en une protection par le juge pénal mais peut aussi résulter de l'accès aux juridictions civiles, et d'autre part, quant à l'article 14, que le régime de l'immunité parlementaire ne repose pas sur une distinction de traitement qui manquerait de justification objective et raisonnable.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de soixante euros trente-neuf centimes dont trente euros trente-neuf centimes dus et trente euros payés par ce demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Francis Fischer, président de section, Jean de Codt, Frédéric Close, Paul Mathieu et Jocelyne Bodson, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux novembre deux mille six par Francis Fischer, président de section, en présence de Raymond Loop, avocat général, avec l'assistance de Patricia de Wadripont, greffier adjoint principal.