Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG D.05.0011.N
L. L.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
ORDRE DES MEDECINS VETERINAIRES,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre la decision rendue le 25 avril2005 par le conseil mixte de l'Ordre des medecins veterinairesd'expression neerlandaise.
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat general Christian Vandewal a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle comme suit :
Dispositions legales violees
- article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1950 etapprouvee par la loi du 13 mai 1955 ;
- articles 10 et 11 de la Constitution ;
- principe general du droit relatif à l'impartialite et à l'independancedu juge.
Decisions et motifs critiques
Le conseil mixte d'appel a inflige au demandeur, apres confirmation de ladecision attaquee du conseil regional d'expression neerlandaise dudefendeur, une sanction disciplinaire de suspension d'exercer l'artveterinaire pendant six mois, du chef d'infraction à la deontologieveterinaire, à l'honneur, à la probite, à la dignite et à ladiscretion devant etre respectes par les membres de l'Ordre dansl'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur profession, à la suitedes faits punissables du chef desquels le demandeur a ete condamnepenalement par les arrets du 28 mars 2002 et du 31 janvier 2002 de la courd'appel de Gand.
Cette decision du conseil d'appel mixte a ete rendue et signee notammentpar :
« E. De Ridder, veterinaire - membre
R. Vosters, veterinaire - membre
A. De Beul, veterinaire - membre ».
Griefs
Premiere branche
Les articles 10 et 11 de la Constitution impliquent que quiconque setrouve dans une situation identique est traite de maniere identique, maisn'excluent pas qu'une difference de traitement entre certaines categoriesde personnes soit instauree, pour autant que le critere de distinctionsoit justifie de maniere objective et raisonnable.
L'existence d'une telle justification doit etre appreciee par rapport àla finalite et aux consequences de la mesure. Le principe d'egalite estviole lorsqu'il est etabli que les moyens utilises ne sont pasraisonnablement proportionnes au but poursuivi.
Conformement à l'article 5 de la loi du 19 decembre 1950 creant l'Ordredes medecins veterinaires, les conseils de l'ordre assurent « le respectde la deontologie veterinaire, l'honneur, la discretion, la probite et ladignite des membres de l'ordre dans l'exercice de ou à l'occasion del'exercice de la profession, et meme en dehors de leur activiteprofessionnelle dans les cas de faute grave rejaillissant sur l'honneur dela profession ».
Conformement à l'article 12, alinea 1er, de la meme loi, le conseil mixted'appel d'expression neerlandaise est compose de trois conseillers à lacour d'appel designes par le Roi, ... et de « trois veterinaires designespar le sort parmi les membres du conseil de l'Ordre regional dont ladecision est en cause et à l `exclusion de ceux qui l'ont rendue ».
En vertu de l'article 6, 2DEG, de l'arrete royal nDEG 79 du 10 novembre1967 relatif à l'Ordre des medecins, les conseils provinciaux de l'Ordresont competents pour « veiller au respect des regles de la deontologiemedicale et au maintien de l'honneur, de la discretion, de la probite etde la dignite des medecins vises à l'article 5, alinea 1er. Ils sontcharges à cette fin de reprimer disciplinairement les fautes de cesmedecins, commises dans l'exercice de la profession ainsi que les fautesgraves commises en dehors de l'activite professionnelle, lorsque cesfautes sont de nature à entacher l'honneur ou la dignite de laprofession ».
Il ressort de l'article 13 du meme arrete royal que chaque conseil d'appelconnait de l'appel des decisions prises par les conseils provinciaux enapplication de l'article 6, 2DEG.
En vertu de l'article 12, S: 1er, les conseils d'appel sont composesnotamment : 1DEG de cinq membres effectifs et de cinq membres suppleantsmedecins parmi les medecins de nationalite belge inscrits au tableau duconseil provincial electeurs depuis un an au moins et à l'un des tableauxprovinciaux de l'Ordre depuis dix ans au moins, « ...à l'exclusiontoutefois de ses membres effectifs et suppleants ».
Il s'ensuit qu'un medecin poursuivi disciplinairement, contrairement à unmedecin veterinaire poursuivi disciplinairement, sait que sa cause seratraitee en degre d'appel par une juridiction dont les membres ne sont pasdes membres effectifs ou suppleants de la juridiction qui a instruit sacause en premiere instance.
Cette distinction entre les medecins veterinaires poursuivisdisciplinairement et les medecins n'est pas justifiee de maniere objectiveet raisonnable, compte tenu de la finalite et des consequences de la regleen question.
Il ressort de ce qui precede que la composition du conseil mixte d'appelqui a pris la decision attaquee est contraire au principe d'egalite et auprincipe de non-discrimination, de sorte que la condamnation du demandeurn'est pas legalement justifiee (violation des articles 10 et 11 de laConstitution coordonnee).
Seconde branche
La regle suivant laquelle le juge doit etre independant et impartialconstitue un principe general du droit qui est applicable à toutes lesjuridictions et notamment au conseil mixte d'appel de l'Ordre des medecinsveterinaires d'expression neerlandaise.
L'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales requiert pour le respect de cette garantieque les instances judiciaires de pleine juridiction qui sont competentes,comme en l'espece le conseil mixte d'appel, pour examiner en fait et endroit les decisions rendues en premiere instance, repondent à cescriteres.
Ce principe general du droit et cette disposition conventionnelle sontvioles lorsque la decision est aussi rendue par un juge dont on peutcraindre à juste titre qu'il ne presente pas les garanties d'impartialiteauxquelles le justiciable a droit.
Tel est le cas lorsqu'un ou plusieurs membres qui ont participe à ladecision en appel infligeant une sanction disciplinaire au veterinaire,comme le prescrit en l'espece l'article 12, alinea 1er, de la loi du 19decembre 1950 creant l'Ordre des medecins veterinaires, « sont designesparmi les membres du conseil de l'Ordre regional dont la decision est encause ».
Cette circonstance peut eveiller dans le chef du veterinaire poursuivi àtout le moins l'apparence que ces membres du conseil mixte d'appel nepeuvent statuer avec l'independance et l'impartialite requise sur sacause, des lors que la juridiction dont ils font partie a statue à cepropos en premiere instance et, notamment, a condamne le demandeur.
Il ressort de ce qui precede que la condamnation du demandeur qui a eteprononcee par une juridiction qui en raison de sa composition a pueveiller dans le chef du demandeur une suspicion legitime quant à sonaptitude à juger sa cause de maniere independante et impartiale, n'estpas legalement justifiee (violation de l'article 6, S: 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et du principe general du droit relatif à l'impartialite età l'independance du juge).
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
1. Aux termes de l'article 12, alinea 1er, de la loi du 19 decembre 1950creant l'Ordre des medecins veterinaires, le conseil mixte d'appel del'Ordre des medecins veterinaires est notamment compose de troisveterinaires designes parmi les membres du conseil de l'Ordre regionaldont la decision est en cause et à l'exclusion de ceux qui l'ont rendue.
2. En cette branche, le moyen invoque que cette disposition implique uneviolation du principe d'egalite à l'egard d'autres professionnels dontl'affaire disciplinaire est instruite en degre d'appel par une juridictiondont aucun des membres ne fait partie de la juridiction qui a examinel'affaire en premiere instance.
Cette disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.Dans son arret nDEG 195/2005 rendu le 21 decembre 2005, la Courd'arbitrage a decide en ce sens.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
3. L'article 12, alinea 1er, de la loi du 19 decembre 1950 creant un Ordredes medecins veterinaires dispose que les membres veterinaires du conseilmixte d'appel de l'Ordre des medecins veterinaires designes par le sortparmi les membres du conseil de l'Ordre regional dont la decision est encause, ne peuvent avoir fait partie du college qui a rendu la decisiondont appel.
L'article 13, alinea 5, dispose que le membre ou les membres du bureau oudu conseil qui ont accompli la mission d'instruction ne peuvent prendrepart aux deliberations ni à la decision rendue en matiere disciplinaire.
4. La simple circonstance que les veterinaires membres du conseil mixted'appel sont designes parmi les membres du conseil regional dont ladecision est en cause ne suffit pas à faire naitre une apparence departialite aux yeux du medecin veterinaire poursuivi disciplinairement.
Le moyen qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section RobertBoes, les conseillers Eric Dirix, Paul Maffei et Eric Stassijns, etprononce en audience publique du huit decembre deux mille six par lepresident Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat general ChristianVandewal, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Daniel Plas ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
8 DECEMBRE 2006 D.05.0011.N/1