Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.05.0536.N
1. M. M.,
2. M. Y. ,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. M. A.,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
2. M. A.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 juin 2005 parla cour d'appel d'Anvers.
Le conseiller Ghislain Londers a fait rapport.
L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution coordonnee du 17 fevrier 1994 ;
- articles 577-2, S: 4, 6, 815, 841, 882, 883, 1131, 1133, 1134, 1161,1165, 1168, 1180, 1181, 1319, 1320, 1322, 1582, 1583, 1584, 1689, 2044,
2045 et 2049 du Code civil ;
- articles 19, alinea 1er, 23, 24, 25, 26, 28, 821, 823, 1068, 1207, 1209et 1211 du Code judiciaire ;
- principe general du droit suivant lequel la renonciation à un droit estde stricte interpretation et ne peut se deduire que de faits qui ne sontsusceptibles d'aucune autre interpretation.
Decisions et motifs critiques
Dans son arret du 6 juin 2005, la cour d'appel d'Anvers accueille l'appelde la premiere defenderesse et le declare fonde, reforme le jugementattaque et declare irrecevable la demande des demandeurs tendant auremplacement des notaires. Cette decision est fondee sur lesconsiderations suivantes :
« Le litige pendant entre les parties consiste essentiellement en ce quisuit. Les demandeurs demandent le remplacement des notaires de la massedesignes dans le cadre d'une liquidation-partage judiciaire dessuccessions des parents des parties. La premiere defenderesse invoquel'exception de transaction.
Le 13 janvier 1993, en l'etude des notaires F. De Boosere-de Streel siseà Herk-de-Stad et B. Hage Goetsbloets sise à Hasselt, les parties ontregle la sortie d'indivision concernant certains biens immeubles enformant des lots et en partageant les biens entre elles à l'amiable. Dansl'acte de transaction, les parties ont declare `que les procedures quisont pendantes entre les seuls quatre comparants, sont cloturees partransaction sans deroger à des procedures relatives à l'indivisionresultant de la succession pendante entre les autres parties. Plusparticulierement, Madame M.M. et Monsieur M.Y. ne renoncent pas à leurdemande de retrait et de substitution vis-à-vis de la societe anonymeHelsen'.
La question se pose de savoir si, apres la conclusion de la transaction,les demandeurs ont encore un droit d'action fonde sur le lien juridiqueoriginaire.
Le litige à propos duquel la transaction a ete conclue concerne laliquidation-partage judiciaire pendante entre les parties et relative àla succession de leurs parents. Il peut se deduire des termes de latransaction que les parties ont renonce à toutes leurs demandesconcernant cette liquidation-partage judiciaire à l'exception de lademande relative au litige encore pendant à ce moment concernant leretrait du pretendu transfert du droit successoral. Seul ce dernier litigen'a pas ete repris expressement dans la transaction. Au moment ou latransaction a ete conclue, la solution de ce litige n'etait pas encoreconnue.
Par un acte notarie du 20 mai 1985, les defenderesses ont cede leursdroits indivis dans le bien immeuble sis à Hasselt, Kapelstraat 15, à lasociete anonyme Helsen. Cette vente de leurs droits indivis qu'ellespossedaient dans un bien immeuble, qui depend d'une succession plusetendue, sans la collaboration des autres ayant-droits de cettesuccession, a entre-temps ete consideree comme valable. Une telle venten'est pas une cession de droit successoral au sens de l'article 841 duCode civil (Cass., 9 septembre 1994). Les successions des parents desparties sont definitivement liquidees et partagees.
Concernant le bien immeuble sis à Hasselt, Kapelstraat 15, il existeencore une indivision entre, d'une part, la societe anonyme Helsen et,d'autre part, les demandeurs. Cette indivision est etrangere auxsuccessions des parents des parties.
Eu egard au contenu de la transaction, les parties ont convenuexpressement de ne plus revenir sur leur lien juridique originaire. Lapremiere defenderesse invoque à juste titre l'exception de latransaction. La nouvelle demande des demandeurs est irrecevable.
La procedure suivie par les parties ne peut etre consideree commeprocedant d'une negligence manifeste ».
Griefs
(...)
Deuxieme branche
Tout coheritier peut eventuellement disposer de ses droits dans lesdifferents biens qui dependent de la succession, ainsi qu'il ressort del'article 577-2, S: 4, du Code civil.
Le sort de la convention, par laquelle l'heritier cede ses droits indivisdans un bien immeuble particulier, dependra toutefois du partagedefinitif.
Si le bien est attribue à un heritier, celui-ci est en effet cense avoirete proprietaire de ce bien ab initio, à partir de l'ouverture de lasuccession, en vertu de l'article 883 du Code civil, avec pour consequenceque tous les actes de disposition poses par un autre heritier concernantce bien ou concernant ses droits dans ce bien seront cadus.
En effet, aux termes de l'article 883 du Code civil, chaque coheritier estcense avoir succede seul et immediatement à tous les effets compris dansson lot ou à lui echus sur licitation, et n'avoir jamais eu la proprietedes autres effets de la succession.
Si la cession, faite par un coheritier, pendant la succession est tout àfait valable, elle aura toujours un caractere conditionnel au sens desarticles 1168, 1181 et 1584 du Code civil en ce sens que les droits dutiers, auquel un heritier a cede ses droits indivis dans un bien determinedependant de la succession, seront subordonnes aux operations definitivesde partage et qu'il ne pourra faire valoir effectivement un droit sur cebien litigieux qu'au moment ou il sera place dans le lot du cedant ou luisera attribue sur licitation.
Au cours de la succession, le tiers ne peut toutefois pas faire valoir dedroit sur le bien litigieux et ce, conformement à l'article 1181 du Codecivil.
Le tiers qui, au cours de la succession, acquiert les droits indivis d'unheritier dans un bien determine de cette succession, acquiert tout au plusla qualite de creancier de l'heritier-cedant ou de l'heritier-vendeur,ainsi qu'il ressort de l'article 882 du Code civil, qui disposeexpressement que les creanciers d'un copartageant, pour eviter que lepartage ne soit fait en fraude de leurs droits, peuvent s'opposer à cequ'il y soit procede hors de leur presence.
Il ressort encore de ce qui precede que, meme en cas de cession par unheritier de ses droits dans un bien determine de la succession, la demandede partage doit etre dirigee contre ce coheritier.
La circonstance que la succession ne se constituerait plus que d'un seulbien immeuble, n'y deroge pas.
Il ressort de ce qui precede que si par convention du 20 mai 1985 lesdefenderesses ont cede leurs droits indivis dans le bien immeuble sis àHasselt, Kapelstraat 15, à un tiers, à savoir la societe anonyme Helsen,cette derniere n'a obtenu ainsi qu'un droit conditionnel dont le sortdependra de l'operation finale de partage. Au cours de la succession, cetiers possede tout au plus la qualite de creancier, comme il estd'ailleurs constate expressement par le tribunal de premiere instance dansun jugement du 6 mars 1990, confirme en degre d'appel par l'arret du 13mai 1992 de la cour d'appel d'Anvers, accueillant la demande de partage,designant un notaire pour proceder aux operations de liquidation et departage et declarant irrecevable la demande d'intervention de la societeanonyme Helsen au stade actuel de la procedure, mais il a ete decidequ'elle pouvait intervenir dans le partage en application de l'article 882du Code civil.
Conclusion
Sur la base des constatations qui ont ete faites, desquelles il ressortnotamment qu'au cours de la succession, les defenderesses ont cede leursdroits indivis dans la maison de commerce sise à Hasselt, Kapelstraat 15,à la societe anonyme Helsen, tiers vis-à-vis de la succession, la courd'appel n'a pu decider legalement qu'ainsi, il n'existait plusd'indivision entre les demandeurs et les defenderesses en ce qui concerneledit fonds de commerce, statuant ainsi en violation, d'une part, ducaractere conditionnel de toute cession à titre onereux par un coheritierde ses droits indivis dans un bien, dependant de la succession, à untiers, et ce sans la collaboration des autres heritiers (violation desarticles 815, 883, 1168, 1181 et 1584 du Code civil), d'autre part, de laqualite de « creancier de l'heritier » du tiers cessionnaire des droitsindivis dans un bien determine, dependant de la succession, tant que lepartage concernant le bien litigieux n'a pas eu lieu entre les coheritiers(violation des articles 882, 1180 et 1584 du Code judiciaire). La courd'appel n'a pu, des lors, pas decider legalement que la demande enremplacement du notaire qui avait ete designe pour proceder aux operationsde liquidation et de partage, ne pouvait plus etre introduite vis-à-visdes defenderesses (violation des articles 1207, 1209 et 1211 du Codejudiciaire).
(...)
III. La decision de la Cour
(...)
10. En vertu de l'article 577-2, S: 4, du Code civil, le coproprietairepeut disposer de sa part et la grever de droits reels.
11. Lorsqu'un coproprietaire cede sa part indivise dans un bien determineà un tiers, cet acquereur acquiert la qualite de coproprietaire.
12. En vertu de l'article 883 du Code civil, chaque coheritier est censeavoir succede seul et immediatement à tous les effets compris dans sonlot ou à lui echu sur licitation, et n'avoir jamais eu la propriete desautres effets de la succession.
Il ressort de cette disposition que lorsqu'un coheritier cede à un tierssa part indivise dans un bien appartenant à une succession plus etendue,cette vente a toujours un caractere conditionnel et est subordonnee à laliquidation-partage finale de la succession.
La liquidation-partage doit pouvoir avoir lieu dans son ensemble enrespectant le droit de tous les coheritiers de composer leurs lotsuniquement de biens de la succession et autant que possible de bienssimilaires de meme nature et quantite.
Pour ce motif, le coheritier ne peut porter atteinte aux biens qui sontfinalement places dans le lot d'un autre coheritier.
Seuls les droits accordes par un coheritier au cours de l'indivision surles biens qui font finalement partie de son lot, restent valables. Lesdroits accordes par un coheritier sur les autres biens indivis sonteteints.
13. Dans l'attente de la liquidation-partage, qui ne peut avoir lieuqu'entre les coheritiers, l'acquereur d'une part indivise lors de laliquidation et du partage ne peut faire valoir de droits sur le bien venduen tant que copartageant. L'acquereur, comme creancier du vendeur, peutseulement surveiller ce partage en application de l'article 882 du Codecivil.
A la suite de la vente sous condition, l'acquereur acquiert la qualite decreancier de l'heritier-vendeur sans etre subroge à ses droits decopartageant en tant que nouveau coproprietaire.
14. Le juge d'appel a constate que :
- la demande des demandeurs tend au remplacement des notaires de la massedesignes dans le cadre de la liquidation-partage des successions desparents des parties ;
- par acte notarie du 20 mai 1985, les defenderesses ont vendu leursdroits indivis concernant la maison de commerce sise à Hasselt à lasociete anonyme Helsen ;
- par transaction du 13 janvier 1993, les parties ont procede à laliquidation-partage des successions de leurs parents et ont renonce àtoutes leurs demandes concernant cette liquidation-partage à l'exceptionde la demande concernant le litige encore pendant à ce moment à proposde ladite vente de droits indivis.
Le juge d'appel a considere qu'à la suite de la vente du 20 mai 1985,l'indivision entre les demandeurs et les defenderesses concernant lamaison de commerce sise à Hasselt, qui n'etait pas comprise dans latransaction, avait ete remplacee par une indivision entre les demandeurset la societe anonyme Helsen.
15. En decidant ainsi, le juge d'appel a admis qu'en tant qu'acquereur desdroits indivis des defenderesses dans la maison de commerce sise àHasselt, la societe anonyme Helsen avait repris leur qualite decoproprietaire et s'etait ainsi substituee à eux en tant que nouveaucoproprietaire.
En decidant ensuite que la demande des demandeurs etait irrecevable, deslors qu'ils n'etaient plus en indivision avec les defenderesses en ce quiconcerne la maison de commerce sise à Hasselt, le juge d'appel a violeles dispositions legales citees par le moyen, en cette branche.
16. Le moyen, en cette branche, est fonde.
Autres griefs :
17. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Robert Boes, le president de sectionErnest Wauters, les conseillers Ghislain Londers, Eric Stassijns etBeatrijs Deconinck, et prononce en audience publique du vingt-deuxdecembre deux mille six par le president de section Robert Boes, enpresence de l'avocat general Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffierPhilippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Sylviane Velu ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
22 DECEMBRE 2006 C.05.0536.N/1