Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.05.0083.N
ADINCO, societe privee à responsabilite limitee,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. BELGACOM, societe anonyme de droit public,
Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,
2. AGF BELGIUM INSURANCE, Allianz group, societe anonyme,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant le Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 octobre 2003par la cour d'appel d'Anvers.
Le president de section Ernest Wauters a fait rapport.
L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- articles 149 de la Constitution coordonnee ;
- articles 1382 et 1383 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
Sur l'appel de la premiere defenderesse qu'il declare fonde, l'arretattaque rejette le moyen de defense de la demanderesse fonde sur la fautepretendue de la premiere defenderesse, consistant dans le depot de planscomportant une difference de 1 m 30 par rapport à l'emplacement reel descables de telephone, et, emendant le jugement entrepris, declare recevableet fondee la demande dirigee par la premiere defenderesse contre lademanderesse et condamne la demanderesse à payer à la premieredefenderesse la somme de 36.222,57 euro, majoree des interetscompensatoires au taux legal à partir du 21 mai 1997 jusqu'au jour dupaiement integral, par les motifs suivants :
« 1. Quant aux faits.
La demanderesse etait notamment chargee par la societe anonyme TUC RAIL,dans le cadre de la procedure de recherche d'equipements d'utilitepublique souterrains, d'executer des fouilles à partir desquellesseraient effectue des sondages en profondeur.
Le 13 aout 1996, le maitre de l'ouvrage de la demanderesse a demande lesplans des equipements d'utilite publique de la premiere defenderesseaupres de celle-ci. Le 4 septembre 1996, la premiere defenderesse acommunique ces plans au maitre de l'ouvrage de la demanderesse.
Les fouilles devaient etre executees jusqu'à 1 metre 50 de profondeur àl'endroit des points de sondage avec des parties prealables plus profondesde 2 metres. Des sondages en profondeur devaient etre effectues dans lesfouilles jusqu'à une profondeur de 2 à 3 metres dans l'argile de Boom,à savoir jusqu'à environ 30 metres de profondeur. Les points de sondagespouvaient etre deplaces en cas de presence d'equipements d'utilitepublique.
Le 16 mai 1997, Geo Techniek a transmis à la demanderesse 29 extraits deplans. Ceux-ci ne sont pas produits au cours de l'actuelle procedure.
Le 21 mai 1997, à 9 heures 30, des cables appartenant à la premieredefenderesse ont ete endommages dans le trottoir situe à hauteur dunumero 61 de la Pelikaanstraat. Cela s'est produit lorsque des fouillesont ete executees afin de rechercher des equipements d'utilite publiquesouterrains. Le 26 mai 1997, la premiere defenderesse a depose plainte eta reproche à la demanderesse d'avoir endommage les cables de la premieredefenderesse lors du forage effectue dans le trottoir à la hauteur dunumero 61 de la Pelikaanstraat en presentant une photo du trou qui a etefore dans le trottoir.
Monsieur D'Hoore, gerant de la demanderesse, a declare dans le dossierpenal qui a ete classe sans suite qu'il connaissait les faits en question.Selon Monsieur D'Hoore, son assureur ferait le necessaire pour reparer ledommage.
Le 21 mai 1997, lors de l'execution des fouilles à la hauteur du point desondage 54, la demanderesse a heurte du beton. Il s'agissait d'unecanalisation en beton appartenant aux equipements d'utilite publique de lapremiere defenderesse. Le 21 mai 1997, cette canalisation en beton a etetranspercee par la demanderesse et les equipements d'utilite publique dela premiere defenderesse qui etaient proteges par cette canalisation enbeton ont ete endommages.
2. Le premier juge a declare non fondee la demande dirigee par la premieredefenderesse contre la demanderesse et fondee sur l'article 1382 du Codecivil, à defaut de preuve de l'existence d'une faute de la demanderesse.
Le premier juge a declare sans objet la demande dirigee par lademanderesse contre la seconde defenderesse, son assureur enresponsabilite
`exploitation'.
3. L'appreciation de la preuve d'une faute au sens de l'article 1382 duCode civil dans le chef de la demanderesse
Il n'est pas conteste que le dommage survenu aux cables a ete cause parles travailleurs de la demanderesse.
Il n'est pas conteste que le dommage a ete cause au cours de l'executionpar la demanderesse d'un contrat d'entreprise conclu avec Tuc Rail parlequel la demanderesse s'etait engagee à executer des fouilles afin derechercher des equipements d'utilite publique souterrains.
Il n'est pas conteste que, lorsque les fouilles ont ete executees à lahauteur de l'immeuble situe Pelikaanstraat 61, la demanderesse a endommagetrois cables de jonction de la premiere defenderesse.
Il n'est pas conteste que, lorsqu'elle a execute ces fouilles, lademanderesse s'est heurtee à du beton.
Il n'est pas conteste que la demanderesse a transperce le beton auquelelle s'est heurtee, qu'il s'agissait d'une canalisation en beton faisantpartie des equipements d'utilite publique de la premiere defenderesse etqu'à la suite de cette perforation, le cablage de la premieredefenderesse a ete endommage.
La cour d'appel prend en consideration ces circonstances concretesincontestees ainsi que le fait que les fouilles sont precisement executeesen vue de rechercher les equipements souterrains suivant la procedureproduite par la demanderesse pour rechercher les equipements d'utilitepublique souterrains et tient compte du fait que le dommage est survenudans le trottoir de la Pelikaanstraat 61, au centre d'Anvers.
L'entrepreneur normalement prudent et diligent qui se trouve dans descirconstances concretes identiques à celles de la demanderesse n'auraitpas transperce le beton lorsqu'il executait des fouilles et qu'il s'estheurte à du beton.
Dans les memes circonstances concretes, un entrepreneur normalementprudent et diligent qui execute des fouilles qui, selon les instructionscontractuelles du maitre de l'ouvrage, doivent etre executees manuellementen raison du risque d'endommagement des equipements d'utilite publique, etqui se heurte à un morceau de beton, doit enlever ce morceau de betonmanuellement et si cela n'est pas possible, consulter les proprietairesdes equipements d'utilite publique avant de transpercer la canalisation enbeton.
Un entrepreneur normalement prudent et diligent qui, dans les memescirconstances concretes, est occupe à un travail dont l'objectif est derechercher des equipements d'utilite publique souterrains et qui se heurteà une canalisation en beton souterraine doit s'assurer avec certitude quela canalisation en beton ne sert pas à proteger un equipement d'utilitepublique avant de transpercer cette canalisation en beton.
Dans les memes circonstances concretes, un entrepreneur normalementprudent et diligent aurait demonte manuellement la canalisation en betonet ne l'aurait pas transpercee. Cela constitue un manquement à la normede diligence imposee à quiconque.
4. Quant au lien de causalite entre la faute et le dommage
Si la canalisation en beton n'avait pas ete transpercee, le dommage ne seserait pas produit tel qu'il est survenu concretement.
La cour d'appel retient ainsi le fait que la canalisation en beton a etetranspercee comme une faute dans le chef de la demanderesse et retientaussi un lien de causalite entre cette faute et la survenance du dommageaux equipements d'utilite publique de la premiere defenderesse.
5. Quant au moyen de defense fonde sur la force majeure
Le moyen de defense fonde sur la force majeure deduite de ce quel'emplacement des cables de la premiere defenderesse presentait unedifference de 1 m 30 par rapport à leur situation reelle est non fonde enl'espece des lors que la demanderesse ne prouve pas que les conditionsd'application de la force majeure sont remplies. En se heurtant au beton,la demanderesse devait prevoir que celui-ci faisait partie d'unecanalisation protegeant des equipements d'utilite publique. Le dommage eutpu etre evite si la demanderesse avait agi comme un entrepreneurnormalement raisonnable et prudent l'aurait fait dans les memescirconstances concretes.
6. Quant au moyen de defense fonde sur la pretendue faute de la premieredefenderesse consistant à avoir produit des plans contenant unedifference de 1 m 30 par rapport à la situation reelle des cablestelephoniques avec pour consequence juridique que la premiere defenderessene pourrait pretendre à une indemnisation integrale
Dans les directives communiquees par la premiere defenderesse à Tuc Railafin de prevenir les dommages qui pourraient etre causes aux equipementsde telecommunication souterrains de la premiere defenderesse, il estindique qu'à proximite des soudures et d'autres equipements, les cablesdevient hors du trace dessine.
Le lien de causalite entre la faute reprochee à la premiere defenderesseen ce qui concerne les deviations sur les plans communiques le 4 septembre1996 à Tuc rail à propos de la situation des equipements d'utilitepublique de la premiere defenderesse et le dommage est rompu en l'especepar la derniere faute, à savoir celle du 21 mai 1997 commise par lademanderesse qui, alors qu'elle executait des fouilles pour rechercher descablages, a heurte une canalisation en beton et l'a transpercee enviolation du comportement d'un entrepreneur prudent se trouvant dans lesmemes circonstances concretes.
A defaut de lien de causalite entre la faute reprochee à la premieredefenderesse et le dommage, tel qu'il est survenu concretement, iln'existe pas de motif juridique pour considerer que la premieredefenderesse ne peut pretendre à une indemnisation integrale ».
Griefs
(...)
Troisieme branche
En cas de pluralite de fautes, il appartient au juge d'examiner s'ilexiste un lien necessaire entre chaque faute et le dommage et, des lors,d'examiner pour chaque faute constatee si, independamment des autres,celle-ci a necessairement cause le dommage, c'est-à-dire qu'il doitexaminer pour chaque faute si le dommage, tel qu'il est survenuconcretement, serait aussi ne sans cette faute.
Il ne ressort pas de la seule circonstance que le responsable a commis unefaute presentant un lien de causalite avec l'accident, qu'il n'existe pasde lien de causalite entre la faute de la victime et ce meme accident.
Pour autant que la motivation de la decision admettant qu'il n'existe pasde lien de causalite entre la faute de la victime et l'accident concerneexclusivement la faute declaree etablie à charge du responsable, ladecision n'est pas legalement justifiee des lors que cela n'implique pasque le dommage se serait malgre tout produit tel qu'il est survenu enl'absence de la faute constatee dans le chef de la victime.
En l'espece, l'arret attaque examine la faute invoquee par la demanderesseà charge de la premiere defenderesse consistant dans le fait « d'avoirproduit des plans comprenant une deviation de 1 m 30 par rapport à lasituation reelle des cables telephoniques » et conclut qu'il n'existe pasde lien de causalite « entre la faute reprochee à la premieredefenderesse et le dommage tel qu'il est survenu en realite ».
Il fonde cette decision sur la consideration « qu'en l'espece, le lien decausalite entre la faute reprochee à la premiere defenderesse en ce quiconcerne les deviations sur les plans communiques le 4 septembre 1996 àTuc Rail à propos de la situation des equipements d'utilite publique dela premiere defenderesse et le dommage est rompu par la derniere faute endate, à savoir celle du 21 mai 1997 commise par la demanderesse qui,alors qu'elle executait des fouilles pour rechercher des equipementsd'utilite publique, a heurte une canalisation en beton et l'a transperceeen violation du comportement d'un entrepreneur prudent se trouvant dansles memes circonstances concretes ».
Cette motivation concerne exclusivement la faute declaree etablie àcharge de la demanderesse et n'implique pas que le dommage serait aussisurvenu tel qu'il s'est produit en l'absence de la faute reprochee à lapremiere defenderesse.
La simple circonstance que la faute declaree etablie à charge de lademanderesse se situe chronologiquement apres la faute invoquee à chargede la premiere defenderesse ne suffit pas pour rejeter le lien decausalite des lors que chaque faute, sans laquelle le dommage ne se seraitpas produit tel qu'il est survenu, constitue une cause, quelle que soit lachronologie des fautes.
L'arret attaque n'a pu, des lors, legalement deduire des constatationsqu'il contient que la faute invoquee à charge de la premiere defenderessen'a pas contribue au dommage et que la premiere defenderesse ne supporte,des lors, pas de responsabilite propre pour le dommage (violation desarticles 1382 et 1383 du Code civil).
Second moyen
Dispositions legales violees
- articles 6, 1108, 1126, 1134, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- article 1138, 2DEG, du Code judiciaire ;
- articles 3, 8, 11 et 77 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre ;
- principe general du droit qui interdit de statuer sur choses nondemandees, consacre notamment par l'article 1138, 2DEG, du Codejudiciaire ;
- principe general du droit relatif à l'autonomie des parties au proces,consacre notamment par les articles 807 et 1138, 2DEG, du Code judiciaire,et dit principe dispositif ;
- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense ;
- principe general du droit « fraus omnia corrumpit ».
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque declare recevable mais non fonde l'appel conservatoireforme par la demanderesse contre la seconde defenderesse et, emendant lejugement entrepris, declare recevable mais non fondee la demande de lademanderesse en garantie contre la seconde defenderesse, par les motifsrepris par le premier moyen et consideres comme etant ici reproduits,ainsi que par les motifs suivants :
« 8.Quant à l'appel conservatoire dirige par la demanderesse contre laseconde defenderesse.
La demande dirigee par la demanderesse contre la seconde defenderesse aete declaree sans objet par le juge. L'action tendait à la garantie surla base du contrat d'assurance conclu entre la demanderesse et la secondedefenderesse.
La seconde defenderesse oppose comme exception liberatoire de l'obligationde fournir la garantie prevue par la police qu'à peine de decheance, lademanderesse doit prendre toutes les dispositions afin de prevenir desdommages aux equipements.
La seconde defenderesse prouve en l'espece que la demanderesse n'a paspris toutes les dispositions necessaires afin d'eviter les dommages auxequipements. Lorsqu'en l'espece, le 21 mai 1997, la demanderesse,executant des fouilles en vue de rechercher des equipements d'utilitepublique, s'est heurtee à du beton, elle eut du demanteler prudemmentcette canalisation en beton ou à tout le moins contacter lesproprietaires de ces equipements afin de ne pas les endommager alorsqu'ils etaient proteges par la canalisation en beton.
Des lors que la seconde defenderesse prouve que les conditionsd'application de la cause contractuelle liberatoire de garantie sontremplies, la demande dirigee par la demanderesse contre la secondedefenderesse est non fondee ».
Griefs
(...)
Seconde branche
Aux termes de l'article 77 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, l'assurance de responsabilite vise à garantirl'assure contre toute demande en reparation fondee sur la survenance dudommage prevu au contrat et de tenir, dans les limites de la garantie, sonpatrimoine indemne de toute dette resultant d'une responsabilite etablie.
En vertu de l'article 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, le contrat d'assurance ne peut prevoir la decheancepartielle ou totale du droit à la prestation d'assurance qu'en raison del'inexecution d'une obligation determinee imposee par le contrat et à lacondition que le manquement soit en relation causale avec la survenance dusinistre. Cette disposition est imperative (article 3 de la loi du 25 juin1992 sur le contrat d'assurance terrestre).
L'obligation imposee à peine de decheance n'est « determinee », au sensde l'article 11 precite, que lorsqu'elle est qualifiee de manieresuffisamment precise. Une obligation libellee en termes generaux à peinede decheance afin de prendre toutes les dispositions necessaires pourprevenir le dommage ne remplit pas cette condition.
Par ailleurs, l'assureur est tenu, en application de l'article 8, alinea2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre derepondre des sinistres causes par la faute, meme lourde, du preneur.
Ainsi qu'il ressort des travaux preparatoires de la loi du 25 juin 1992,en ce qui concerne l'assurance de responsabilite qui a precisement pourobjectif de couvrir la faute du preneur, le legislateur a voulu eviter,par la disposition de l'article 8, alinea 2, de la loi du 25 juin 1992 surle contrat d'assurance terrestre, que l'assurance ne couvre pas lanegligence, meme la negligence grave.
En ce qui concerne « la faute grave », cet objectif est realise par ladisposition claire de l'article 8, alinea 2, de la loi du 25 juin 1992 surle contrat d'assurance terrestre, en vertu duquel l'assureur ne peuts'exonerer de ses obligations que « dans les cas de faute lourdedetermines expressement et limitativement dans le contrat ».
Quant à la faute « legere », cet objectif , dans le cadre de clauses dedecheance du droit à la garantie, est realise par la condition preciteeque la decheance peut etre stipulee «en raison de l'inexecution d'uneobligation determinee imposee par le contrat ».
Enfin, en application des articles 6, 1108, 1126 et 1134 du Code civil etdu principe general du droit « fraus omnia corrumpit », le juge ne peutappliquer une clause du contrat annulant l'objet du contrat.
Dans un contrat d'assurance, couvrant le dommage cause par la faute del'assure, la clause qui prevoit en termes generaux la decheance de lagarantie lorsque le preneur « ne prend pas toutes les dispositionsnecessaires afin de prevenir le dommage », annule l'objet meme du contratet elle ne peut, des lors, avoir d'effet.
En l'espece, les constatations et les considerations de l'arret attaqueimpliquent que le dommage litigieux, par lequel la demanderesse, lors del'execution de l'entreprise, a cause un dommage aux cables souterrains dela premiere defenderesse, est en principe couvert par la policed'assurance « responsabilite civile exploitation » contractee entre lademanderesse et la seconde defenderesse.
L'arret attaque rejette la demande en garantie de la demanderesse contrela seconde defenderesse sur la base d'une clause figurant que lesconditions particulieres de la police qui oblige, « à peine dedecheance », la demanderesse « à prendre toutes les dispositionsnecessaires afin de prevenir des dommages aux equipements ».
Il attribue une portee generale et indeterminee à cette cause dedecheance en examinant, en vue de son application, quelles dispositions lademanderesse, dans les circonstances donnees de l'accident, aurait duprendre afin de prevenir le dommage, et en retenant les circonstances quela demanderesse n'a pas demantele « avec prudence' la canalisation enbeton qu'elle a heurtee lorsqu'elle a execute les fouilles le 21 mai 1997,et que la demanderesse a, à tout le moins, omis de contacter lesproprietaires des equipements d'utilite publique au moment ou elle aheurte le beton.
L'arret attaque qualifie ces memes circonstances de manquement à la normegenerale de diligence, sur la base de laquelle il retient laresponsabilite
civile de la demanderesse à l'egard de la premiere defenderesse (articles1382 et 1383 du Code civil), et sur la base de laquelle il retient, demaniere implicite mais certaine, la responsabilite de principe de laseconde defenderesse, sur la base de la police responsabilite civileexploitation.
Il ressort des lors de l'arret attaque que la clause de decheanceappliquee ne sanctionne pas une obligation « determinee » imposee par lecontrat mais la meconnaissance d'une obligation indeterminee « deprendre toutes les dispositions necessaires afin de prevenir les dommagesaux equipements » et que les juges d'appel ont exonere la secondedefenderesse, en tant qu'assureur de la responsabilite civile, de sesobligations de garantie, en raison d'une faute legere commise par sonassure.
En attribuant un effet à la clause de decheance, en l'appliquant, sur labase des constatations qu'il contient, et en rejetant la demande engarantie contre la seconde defenderesse, l'arret attaque
- viole les articles 3 et 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, qui n'autorisent, de maniere imperative, que ladecheance du droit à la prestation d'assurance en raison de l'inexecutiond'une obligation « determinee » imposee par le contrat d'assurance ;
-viole les articles 3, 8, alinea 2, 11 et 77 de la loi du 25 juin 1992 surle contrat d'assurance terrestre, qui obligent de maniere imperativel'assureur à indemniser le dommage cause par « la faute » de l'assure ;
-meconnait les articles 6, 1108, 1126 et 1134 du Code civil et le principegeneral du droit « fraus omnia corrumpit », sur la base desquels il estinterdit au juge d'attribuer un effet à une clause du contrat d'assurancequi annule l'objet du contrat.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la troisieme branche :
1. Celui qui commet une faute est responsable du dommage qui en resultememe si le dommage a egalement pour cause la faute d'un tiers.
Le lien de causalite entre une faute et le dommage ne peut etre exclu quesi le juge constate que le dommage, tel qu'il s'est produit en realite, seserait egalement produit sans cette faute.
Il ne peut se deduire de la seule circonstance qu'une faute a ete suiviepar la faute de l'autre partie qu'il n'existe pas de lien de causaliteentre la premiere faute et le dommage.
2.L'arret n'exclut pas que la premiere defenderesse a commis une fautemais considere que « le lien de causalite entre la faute reproche à lapremiere defenderesse en ce qui concerne les deviations sur les planscommuniques le 4 septembre 1996 à Tuc Rail relatifs à la situation desequipements d'utilite publique de la premiere defenderesse et le dommage(...) est rompu en l'espece par la derniere faute en date, à savoir cellecommise par la demanderesse le 21 mai 1997 ».
L'arret viole ainsi les articles 1382 et 1383 du Code civil.
En cette branche, le moyen est fonde.
Sur le second moyen :
Quant à la seconde branche :
Quant à la recevabilite du moyen, en cette branche :
3. La seconde defenderesse invoque que le moyen, en cette branche, estirrecevable des lors qu'il est nouveau et requiert un examen des faits.
4. L'article 11 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre est imperatif en faveur de l'assure, de sorte que lademanderesse a le droit d'invoquer la violation de cette disposition pourla premiere fois devant la Cour.
Pour le surplus, le moyen, en cette branche, ne requiert pas uneappreciation des faits.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Quant à la branche meme :
5. En vertu de l'article 77 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, une assurance de responsabilite est un contratd'assurance qui tend à garantir l'assure contre toute demande enreparation fondee sur la survenance du dommage prevu au contrat, et detenir, dans les limites de la garantie, son patrimoine indemne de toutedette resultant d'une responsabilite etablie.
En vertu de l'article 8, alinea 2, de ladite loi, l'assureur repond dessinistres causes par la faute, meme lourde, du preneur d'assurance, del'assure ou du beneficiaire.
Suivant cette meme disposition l'assureur ne peut s'exonerer de sesobligations que pour les cas de faute lourde determines expressement etlimitativement dans le contrat.
Il en resulte que la faute legere est toujours couverte.
6. En vertu de l'article 11 de ladite loi, le contrat d'assurance ne peutprevoir la decheance partielle ou totale du droit à la prestationd'assurance qu'en raison de l'inexecution d'une obligation determineeimposee par le contrat et à la condition que le manquement soit enrelation causale avec la survenance du sinistre.
7. Il ressort de la conjonction de ces dispositions imperatives quel'assureur ne peut stipuler la meconnaissance d'une obligation dediligence formulee en termes generaux comme motif de decheance du droit àune prestation d'assurance.
8. D'une part, les juges d'appel ont decide que la demanderesse estresponsable du dommage subi par la premiere defenderesse des lors « qu'unentrepreneur normalement prudent et diligent se trouvant dans les memescirconstances concretes qui execute des fouilles qui, suivant lesinstructions contractuelles du maitre de l'ouvrage, doivent etre executeesmanuellement en raison du risque d'endommagement des equipements d'utilitepublique, et qui heurte un morceau de beton, aurait enleve ce morceaumanuellement ou, si cela n'avait pas ete possible, aurait consulte lesproprietaires des equipements d'utilite publique avant de transpercer lacanalisation en beton ».
D'autre part, ils ont decide sur la base des memes considerations que laseconde defenderesse est exoneree de l'obligation de garantie sur la based'une clause figurant dans le contrat d'assurance obligeant lademanderesse à prendre toutes les dispositions necessaires afin deprevenir tout dommage aux equipements.
9. L'arret, qui donne un effet à la clause de decheance qui sanctionne laviolation d'une obligation de diligence formulee de maniere generale, nejustifie pas legalement sa decision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
Quant aux autres griefs :
10. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel irrecevable ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section ErnestWauters, les conseillers Eric Stassijns, Albert Fettweis et BeatrijsDeconinck, et prononce en audience publique du douze janvier deux millesept par le president Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat generalGuy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le president,
12 JANVIER 2007 C.05.0083.N/1