Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.04.0390. N
COMPAGNIE BELGE DE MANUTENTION, societe anonyme,
GHENT COAL TEMINAL, societe anonyme,
ZEEBRUGSE BEHANDELINGSMAATSCHAPPIJ, societe anonyme,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
ETAT BELGE, ministre des Finances.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 avril 2004par la cour d'appel de Gand.
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat general Dirk Thijs a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demanderesses presentent deux moyens libelles dans les termessuivants.
(...)
Second moyen
Dispositions legales violees
- article 6, specialement le S: 1er, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales signee à Rome le 4novembre 1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955 ;
- article 14, specialement S: 1er, du Pacte international relatif auxdroits civils et politiques, signe à New York le 19 decembre 1966 etapprouve par la loi du 15 mai 1981 ;
- articles 10, 11 et 172 de la Constitution ;
- article 70, S: 1er et S: 1er bis, du Code de la taxe sur la valeurajoutee ;
- article 84, specialement l'alinea 2 (tant avant qu'apres sa modificationpar la loi du 15 mars 1999), du Code de la taxe sur la valeur ajoutee ;
- article 9 de l'arrete du Regent nDEG78 du 18 mars 1831 (arrete organiquede l'administration des finances).
Decisions et motifs critiques
En ce qui concerne les amendes administratives, l'arret attaque decide que« une amende de 200 p.c., soit deux fois les droits eludes, constitueune sanction à caractere repressif au sens des articles 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques.
La cour a, des lors, le droit d'examiner la legalite de cette sanction etpeut examiner en particulier si elle est conciliable avec les conditionsimperatives des conventions internationales et du droit interne, y comprisdes principes generaux du droit. Ce droit de controle doit permettre, plusspecialement, d'examiner si la peine n'est pas disproportionnee àl'infraction, de sorte que la cour doit examiner si l'administrationpouvait raisonnablement infliger une peine administrative d'une telleimportance. A cet egard, le juge peut tenir compte de la gravite del'infraction, du taux des sanctions dejà infligees et de la maniere dontil a ete statue dans des affaires similaires.
Mais ce droit de controle n'implique toutefois pas que le juge puisseliquider ou reduire des amendes pour de simples motifs d'opportunite et àl'encontre des regles legales (Cass., 24 janvier 2002, RG. 00.0234 et00.0307).
De sorte que, compte tenu de tous les elements disponibles, les sanctionsinfligees doivent, pour le surplus, telles qu'elles ont ete reduitesproportionnellement, etre maintenues des lors qu'elles sontproportionnelles aux infractions commises ».
Griefs
Le juge auquel il est demande de controler une sanction administrative quia un caractere repressif au sens des articles 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales et 14 duPacte international relatif aux droits civils et politiques peut examinerla legalite de cette sanction et il peut plus particulierement examiner sicette sanction est conciliable avec les conditions imperatives desconventions internationales et du droit interne, y compris les principesgeneraux du droit.
Ce droit de controle doit permettre notamment au juge d'examiner si lasanction n'est pas disproportionnee à l'infraction, de sorte que la cour[d'appel] pouvait examiner si l'administration pouvait raisonnablementinfliger une peine administrative d'une telle importance.
Ce droit de controle implique aussi que le juge puisse liquider ou reduireles amendes pour des motifs d'opportunite. En effet, afin de remplir lesconditions des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales et 14 du Pacte international relatifaux droits civils et politiques, le controle judiciaire doit etre exerceen pleine juridiction sur la sanction appliquee, ce qui signifie quel'organe judiciaire doit pouvoir reformer, en tous points, en droit commeen fait, la decision et que le juge doit disposer de la competenced'apprecier l'opportunite de la sanction infligee et d'accorder lareduction totale ou partielle.
C'est d'autant plus le cas que l'administration a la possibilite demoduler l'importance de la sanction quant à son opportunite et à sonequite, à tout le moins à l'intervention du ministre des finances dansl'exercice de ses pouvoirs accordes par l'article 9 de l'arrete du Regentdu 18 mars 1831 ou par l'article 84, alinea 2, du Code de la taxe sur lavaleur ajoutee et que tout ce qui est soumis à l'appreciation del'administration ne peut echapper au controle du juge.
Il s'ensuit que l'arret attaque qui constate que les amendes infligees auxdemandeurs ont un caractere repressif et qui decide que le droit decontrole des amendes administratives n'implique pas que le juge puisseliquider ou reduire les amendes pour de simples motifs d'opportunite et àl'encontre des regles legales :
- viole l' article 6, specialement S: 1er, de la Convention sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales signee à Rome le 4novembre 1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955, l'article 14,specialement S: 1er, du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, signe à New York le 19 decembre 1966 et approuve par la loidu 15 mai 1981 ainsi que l'article 70, S: 1er et S: 1er bis, du Code de lataxe sur la valeur ajoutee, des lors que les deux dispositions requierentque le juge exerce un controle de pleine juridiction sur les amendes ayantun caractere repressif, comme celle infligee par l'article 70, S: 1er etS: 1er bis du Code de la taxe sur la valeur ajoute, ce controle signifiantque le juge est competent pour reduire la sanction totalement oupartiellement en plus d'apprecier son opportunite;
- viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, ainsi que lesarticles 84, alinea 2 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee et 9 del'arrete du Regent nDEG 78 du 18 mars 1831 dans la mesure ou il ressort deces dispositions que l'administration a la possibilite de modulerl'importance de la sanction et que tout ce qui est soumis àl'appreciation de l'administration ne peut echapper au controle du juge.
III. La decision de la Cour
Sur le second moyen :
2. Le moyen invoque la violation de l'article 9 de l'arrete du Regent du18 mars 1831 et de l'article 84, alinea 2, du Code de la taxe sur lavaleur ajoutee.
Ces dispositions, qui concernent le droit de grace du pouvoir executif,sont etrangeres aux griefs invoques à propos du pouvoir de controle dujuge sur lequel les juges d'appel ont statue.
3. Pour le surplus, le moyen suppose que le juge doit avoir, en toutescirconstances, le pouvoir d'apprecier l'opportunite de la sanctioninfligee ayant un caractere repressif ou d'accorder une reduction totaleou partielle de la sanction.
4. Le juge auquel il est demande de controler la sanction infligee sur labase de l'article 70 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee peutexaminer la legalite de cette sanction ; il peut, plus particulierement,examiner si cette sanction est conciliable avec les conditions imperativesdes conventions internationales et du droit interne, y compris lesprincipes generaux du droit.
Ce droit de controle doit notamment permettre au juge de verifier si lasanction n'est pas disproportionnee à l'infraction, de sorte qu'il peutexaminer si l'administration pouvait raisonnablement infliger une amendeadministrative d'une telle importance.
Le juge peut ainsi tenir specialement compte de la gravite del'infraction, du taux des sanctions dejà infligees et de la maniere dontil a ete statue dans des affaires similaires, mais il doit tenir compte àcet egard de la mesure dans laquelle l'administration elle-meme etait lieepar rapport à la sanction.
5. Il s'ensuit que le juge, qui doit pouvoir apprecier en fait et en droittoutes les circonstances pertinentes afin de pouvoir apprecier la legalitede la sanction et qui doit pouvoir controler tout ce qui est soumis àl'appreciation de l'administration, n'y puise pas le pouvoir de reduire oude liquider une sanction pour de simples motifs d'opportunite et àl'encontre des regles legales.
Le moyen manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demanderesses aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section EdwardForrier, les conseillers Luc Huybrechts, Paul Maffei et Eric Stassijns, etprononce en audience publique du seize fevrier deux mille sept par lepresident Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat general Dirk Thijs,avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Christine Matray ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
16 FEVRIER 2007 C.04.0390.N/1