Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0431.N
KIBEKA, societe anonyme,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. R. P.,
2. K. I.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 avril 2006par la cour d'appel de Bruxelles.
Le president de section Ernest Wauters a fait rapport.
L'avocat general delegue Pierre Cornelis a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente trois moyens libelles dans les termes suivants.
(...)
Deuxieme moyen
Disposition legale violee
Principe general du droit relatif au respect des droits de la defense,consacre notamment par l'article 774 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque decide que
« L'appel, y compris l'appel incident, est recevable ;
Reforme le jugement attaque et condamne la demanderesse à enlever lespoteaux en bois et la surelevation poses sur la propriete des defendeurset à executer les travaux de terrassement necessaires à la constructioneventuelle d'un chemin sur sa propriete comme precise dans le rapportd'expertise, la demanderesse decidant ensuite elle-meme si elle amenagerale chemin proprement dit ;
La demanderesse commencera ces travaux un mois apres la signification del'arret, sous peine d'une astreinte de 100,00 euros par jour de retard, etterminera les travaux au plus tard six mois apres leur commencement, souspeine d'une astreinte de 20,00 euros par jour ;
Condamne la demanderesse à payer une indemnite de 10.000 euros + 1.200euros, soit 11.200 euros, majoree des interets judiciaires à partir du 16juin 1997, comme reclame dans les conclusions ;
Rejette l'appel incident de la demanderesse comme non fonde ;
Condamne la demanderesse aux depens des deux instances, taxes au totaldans son chef à 944,56 euros (...) et dans le chef des defendeurs à4.357,23 euros »,
« sur la base des motifs figurant à la page 5 :
« A.Le rapport juridique entre les parties
« Les parties ne precisent pas la nature de leur rapport juridique. Ellessupposent toutes deux que la demanderesse a le droit d'amenager une voied'acces sur sa propriete et d'effectuer, à cette fin, les travaux deterrassement necessaires sur les proprietes des defendeurs avec desdifferences de hauteur minimales ;
Il est etabli qu'aucun contrat n'a ete conclu directement entre lesparties ;
L'engagement des defendeurs par rapport au droit precite de lademanderesse s'explique le mieux par une stipulation pour autrui. Lacondition particuliere invoquee à cet egard, reprise par le contrat devente sous seing prive des defendeurs, octroie en effet certains droits àla demanderesse, meme si elle n'est pas partie au contrat ».
Griefs
Bien qu'il appartienne au juge d'appliquer aux faits dont il a eteregulierement saisi les normes de droit en vertu desquelles il accueilleraou rejettera la demande, il est tenu de respecter les droits de ladefense.
En l'espece, les juges d'appel ont expressement constate que les partiesne precisaient pas la nature de leur rapport juridique et ils ont qualified'office de stipulation pour autrui la condition speciale du contrat devente sous seing prive auquel la demanderesse n'etait pas partie.
Il ne ressort d'aucune piece de la procedure à laquelle la Cour peutavoir egard que la demanderesse ait eu l'occasion, prealablement àl'arret attaque, de se prononcer sur l'application de la regle de droit dela stipulation pour autrui qui n'a pas ete invoquee par les defendeurs.
Il s'ensuit que l'arret attaque statue en violation des droits de ladefense de la demanderesse (violation du principe general du droit relatifau respect des droits de la defense).
Troisieme moyen
Dispositions legales violees
- principe dispositif, tel qu'il est consacre notamment par l'article 1138du Code judiciaire ;
- article 1138, 2DEG, du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque decide que
« L'appel, y compris l'appel incident, est recevable ;
Reforme le jugement attaque et condamne la demanderesse à enlever lespoteaux en bois et la surelevation poses sur la propriete des defendeurset à executer les travaux de terrassement necessaires à la constructioneventuelle d'un chemin sur sa propriete comme precise dans le rapportd'expertise, la demanderesse decidant ensuite elle-meme si elle amenagerale chemin proprement dit ;
La demanderesse commencera ces travaux un mois apres la signification del'arret, sous peine d'une astreinte de 100,00 euros par jour de retard, etterminera les travaux au plus tard six mois apres leur commencement, souspeine d'une astreinte de 20,00 euros par jour ;
Condamne la demanderesse à payer une indemnite de 10.000 euros + 1.200euros, soit 11.200 euros, majoree des interets judiciaires à partir du 16juin 1997, comme reclame dans les conclusions ;
Rejette l'appel incident de la demanderesse comme non fonde ;
Condamne la demanderesse aux depens des deux instances, taxes au totaldans son chef à 944,56 euros (...) et dans le chef des defendeurs à4.357,23 euros »,
sur la base des motifs figurant à la page 9 :
« 2.Indemnisation du dommage des defendeurs
a. Surcout pour la construction et retard encourus par les plans deconstruction
L'expert Boeckx a decide qu'en raison de l'existence d'un batardeau eleve,les defendeurs ne peuvent eriger leur construction comme ilsl'entendaient, c'est-à-dire qu'un etage supplementaire est, en fait,necessaire ou à tout le moins un terre-plein sureleve. Les defendeurssoutiennent, par ailleurs, qu'ils doivent obtenir une derogation auxprescriptions urbanistiques afin de construire de cette maniere et queleurs projets de construction ont ete retardes par la faute de lademanderesse ;
Meme si la demanderesse avait amenage le chemin des le depart conformementaux conditions speciales, les defendeurs auraient malgre tout eteconfrontes à une denivellation importante de la limite de la parcelle.Meme dans l'hypothese la plus favorable pour eux, savoir que le cheminaurait ete amenage aussi bas que possible, le batardeau ne serait de toutefac,on eloigne que de trois metres de la limite de la propriete. Lesdefendeurs n'etablissent pas que ces trois metres constituent unedifference telle qu'ils auraient pu amenager un etage normal et uneterrasse au niveau du sol ;
Ils n'etablissent pas davantage qu'ils ont tente de construire un etagesupplementaire ou que leurs projets de construction ont encouru duretard ;
Ils presentent certes un plan fait par l'architecte Van Impe, qui n'est nidate ni signe par lui, mais il ne semble pas que qu'un permis ait etedemande, a fortiori accorde ou refuse, pour ce plan ;
Mais c'est un fait que les defendeurs ont subi un dommage visuel etesthetique, qui est evalue en equite à 10.000 euros ».
Griefs
En vertu de l'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire et du principedispositif, le juge ne peut prononcer sur choses non demandees ni adjugerplus qu'il n'a ete demande.
En degre d'appel, les defendeurs n'ont à aucun moment invoque un dommagevisuel ou esthetique ni reclame une indemnite du chef de ce dommage qu'ilsauraient subi.
Dans leurs conclusions de synthese definitives, les defendeurs n'ontreclame une indemnite que du chef « d'etablissement des plans deconstruction» (p. 26), « surcout de l'habitation avec terre-plein »(pp. 27 et svtes), « dommage du aux retards encourus par les projets deconstruction » (pp. 28 et svtes) et « dommages subis en raison del'abattage d'arbres » (pp. 29 et svtes), ces postes ayant tous eterejetes par les juges d'appel.
Il s'ensuit que l'arret attaque condamne illegalement la demanderesse aupaiement de 10.000,00 euros à titre d'indemnite du chef de dommage visuelet esthetique, majoree des interets judiciaires à partir du 16 juin 1997,ces dommages n'ayant pas ete reclames par les defendeurs (violation del'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire) mais ayant ete retenus d'officepar les juges d'appel en lieu et place des postes reclamees par lesdefendeurs et qui ont ete rejetes (violation du principe dispositif).
III. La decision de la Cour
(...)
Sur le deuxieme moyen :
2. Lorsque les parties invoquent les faits sur lesquels elles fondent leurdemande sans enoncer aucun fondement juridique à ce propos, le juge quiapplique un fondement juridique à ces faits sans le soumettre à lacontradiction des parties, ne viole pas leurs droits de defense.
3. L'arret constate, sans etre critique sur ce point, que les parties neprecisent pas la nature du rapport juridique.
Il considere, par ailleurs, sans inviter les parties à la contradictionsur ce point, « que l'engagement des defendeurs par rapport au droit dela demanderesse s'explique le mieux par une stipulation pour autrui ».
4. Par ces motifs, l'arret ne viole pas les droits de la defense de lademanderesse.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
5. Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lesdefendeurs n'ont pas reclame d'indemnite du chef de dommage visuel etesthetique.
6. L'arret condamne la demanderesse à payer aux defendeurs une indemnitede 11.200,00 euros, majoree des interets judiciaires à partir du 16 juin1997, comprenant une somme de 10.000,00 euros du chef de dommage visuel etesthetique.
7. En accordant ainsi une indemnite du chef d'un dommage pour lequel lesdefendeurs n'ont reclame aucune indemnite, l'arret viole l'article 1138,2DEG, du Code judiciaire.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Statuant à l'unanimite,
Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse à payer unesomme de 10.000,00 euros comprise dans la somme de 11.200,00 euros majoreedes interets judiciaires et qu'il statue sur les depens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Condamne la demanderesse aux deux tiers des depens ;
Reserve le surplus des depens pour qu'il soit statue sur celui-ci par lejuge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Ernest Wauters, les conseillersGhislain Londers et Eric Dirix, et prononce en audience publique du seizefevrier deux mille sept par le president de section Ernest Wauters, enpresence de l'avocat general delegue Pierre Cornelis, avec l'assistance dugreffier adjoint Johan Pafenols.
Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le president,
16 FEVRIER 2007 C.06.0431.N/8