Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.05.0514.N
ING Belgique, societe anonyme,
Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,
contre
B.I.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 2 fevrier 2004par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants.
Dispositions legales violees
- articles 4, 5, 6, 7 et 8 de la Convention sur le statut del'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord, des representants nationauxet du personnel international, signee à Ottawa le 20 septembre 1951, dontla traduction est publiee dans le Moniteur belge du 6 mars 1955 (nommeeci-dessous Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951) ;
- article unique de la loi du 1er fevrier 1955 portant approbation de laConvention sur le statut de l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord,des representants nationaux et du personnel international, ainsi que ladeclaration des gouvernements belge, luxembourgeois et neerlandais, signeeà Ottawa le 20 septembre 1951 (M.B., 6 mars 1955) ;
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1452, 1453, 1454, 1455, 1456, 1539, 1542 et 1543 du Codejudiciaire ;
- principe general du droit consacrant la primaute des regles de droitinternational en cas de conflit avec les regles de droit national.
Decisions et motifs critiques
Dans l'arret attaque, les juges d'appel ont declare l'appel de lademanderesse contre le jugement du juge des saisies de Bruxelles du 9novembre 2001 recevable mais non fonde, ont confirme le jugement dontappel declarant la demanderesse simple creancier à l'egard de ladefenderesse pour un montant de 200.000 francs belges (4.957,87 euros)majore des interets judiciaires et ont condamne la demanderesse auxdepens, sur la base des motifs suivants :
« 1. La demande de la defenderesse est fondee sur l'article 1542 du Codejudiciaire qui dispose qu'à defaut d'avoir fait sa declaration dans lesquinze jours de la saisie-arret ou de l'avoir fait avec exactitude, etcomme il est dit à l'article 1452, le tiers saisi peut etre declaredebiteur, en tout ou en partie, des causes de la saisie, ainsi que desfrais de celle-ci, sans prejudice des frais de la procedure formee contrelui, qui, en ces cas, seront à sa charge.
(...)
2. Il est etabli qu'en sa qualite de tiers saisi la demanderesse n'a pasfait de declaration conformement à l'article 1452 du Code judiciaire deslors qu'apres s'etre referee à la Convention conclue à Ottawa, elle adecide de considerer que la saisie-arret-execution etait sans effet.
Apres reception de la lettre du 14 juin 2000 du conseil de la defenderessequi a insiste pour obtenir une declaration du tiers saisi, elle a refused'y donner suite.
La demanderesse se fonde sur une immunite d'execution dont beneficieraitl'OTAN en vertu de la Convention d'Ottawa afin de justifier le fait den'avoir pas fait la declaration correcte de tiers saisi.
Elle soutient qu'en tant que tiers saisi elle a le droit de contester laregularite de la saisie-arret-execution et estime qu'il resulte del'immunite d'execution dont beneficie l'OTAN que les fonds qui luiappartiennent ne sont pas susceptibles d'etre saisis de sorte que lasaisie-execution est irreguliere et qu'elle peut la contester.
Il y a lieu d'examiner tout d'abord s'il appartient au tiers saisid'adopter un point de vue lorsqu'il fait sa declaration quant à laquestion de savoir si certains biens qui font l'objet d'unesaisie-arret-execution sont saisissables ou non en fonction dedispositions legales ou conventionnelles.
Le tiers saisi est etranger aux rapports juridiques existant entre lesaisissant et le saisi. Il ne lui appartient pas d'examiner si la saisiepratiquee entre ses mains est juste.
Il ne peut prendre position en faveur du saisi et ne peut donc pas refuserde se conformer à la prescription de l'article 1539 du Code judiciaireparce qu'il estime que les biens qui ont ete saisis ne sont passaisissables.
Une telle defense contre une saisie-execution doit etre menee par le saisiauquel la saisie est signifiee, lequel, en vertu de l'article 1541 du Codejudiciaire, peut former opposition contre la saisie-arret-execution, cequi a un effet suspensif, de sorte que le tiers saisi ne peut plus sedessaisir des sommes.
La demanderesse invoque que lorsque le saisi omet de former opposition letires saisi peut s'opposer à une saisie-arret dans la mesure ou il a uninteret.
Elle soutient qu'elle avait un interet legitime en l'espece à ne pasdonner suite à la saisie pratiquee entre ses mains à charge de l'OTANdes lors que les sommes saisies beneficient d'une immunite d'executionforcee de sorte qu'elle aurait agi en violation de la convention relativede compte-courant conclue avec l'OTAN et aurait meconnu le devoir dediscretion resultant de ces conventions si elle avait execute sesobligations de tiers saisi et avait fait une declaration precise de tierssaisi.
Lorsque le tiers saisi dispose d'un interet propre pour critiquer unesaisie-arret-execution, il a le droit de former opposition contre cettesaisie.
Il n'a toutefois pas le droit de decider lui-meme lors de la redaction desa declaration de tiers saisi, s'il doit donner suite ou pas à la saisiepratiquee entre ses mains par le motif qu'il estime que les biens dont ildispose ne sont pas saisissables.
En l'espece, la demanderesse n'a pas forme opposition contre lasaisie-execution du 31 mai 2000, elle n'a pas davantage soumis le litigeau juge des saisies dans le cadre de l'article 1498 du Code judiciaire.
Elle ne demontre meme pas qu'elle a demande à l'OTAN si elle devaitdonner suite ou pas à la saisie litigieuse mais elle a decide elle-memede ne pas y donner suite de sorte qu'elle a clairement meconnu lesdispositions des articles 1539 et 1542 du Code judiciaire.
La demanderesse fait aussi valoir qu'elle avait le droit de ne pas donnersuite à la saisie des lors que les immunites de l'OTAN valent erga omneset sont absolues de sorte que tout acte d'execution à charge del'organisation doit rester de plein droit sans effet.
Elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 19 avril1990) suivant laquelle, selon elle, il est decide que le tiers saisicommet une faute lorsqu'il donne suite sans protestation à une pretenduesaisie dont il devait connaitre l'irregularite flagrante.
Cette jurisprudence est sans pertinence, en l'espece, des lors que dans lecas soumis à la Cour de cassation aucune saisie n'a ete pratiquee maisbien une opposition extra judiciaire moyennant paiement, à laquelle labanque concernee avait donne suite, ce qui a ete considere comme etantfautif alors qu'en l'espece la saisie execution a ete pratiquee tout àfait regulierement sur la base d'un jugement executoire qui est passe enforce de chose jugee. La demanderesse estime uniquement ne pas pouvoir ydonner suite eu egard à l'immunite d'execution dont beneficie, selonelle, le saisi.
Il n'appartient pas au tiers saisi de se prononcer sur la portee d'uneregle d'immunite à l'egard d'une organisation internationale.
L'execution d'une decision judiciaire executoire sur tous les biens dudebiteur constitue la regle, le fait d'invoquer une disposition legale ouconventionnelle pour echapper à cette execution constitue l'exception desorte qu'il appartient au seul saisi de s'opposer à une eventuelle mesurede contrainte.
C'est à juste titre que le premier juge a, des lors, considere que lecontenu de la declaration du tiers saisi faite par la demanderesse nerepond pas aux normes legales precisees par l'article 1452 du Codejudiciaire.
La demande introduite est uniquement fondee sur l'article 1542 du Codejudiciaire.
Les parties n'ont pas introduit de demande devant le juge des saisies ence qui concerne le caractere licite ou regulier de lasaisie-arret-execution pratiquee le 31 mai 2000 de sorte que ni le premierjuge ni la cour [d'appel] ne sont tenus de se prononcer à ce propos ».
Griefs
(...)
Seconde branche
En vertu de l'article 4 de la Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951,l'OTAN a la capacite de contracter, d'acquerir et d'aliener des biensmobiliers et immobiliers.
L'Organisation , ses biens et avoirs, quels que soient leur siege et leurdetenteur, jouissent, en vertu de l'article 5 de la Convention precitee,de l'immunite de juridiction sauf dans le cas de la renonciation àl'immunite prevue par cette disposition. La renonciation à l'immunite nepeut s'etendre à des mesures de contrainte et d'execution.
L'article 6 de ladite Convention dispose que les biens et avoirs del'Organisation, ou qu'ils se trouvent et quel que soit leur detenteur,sont exempts de perquisition, requisition, confiscation, expropriation oude toute autre forme de contrainte.
En vertu de l'article 8 de la Convention precitee, l'Organisation peutdetenir des devises quelconques et avoir des comptes en n'importe quellemonnaie.
L'article unique de la loi du 1er fevrier 1995 portant approbation de laConvention sur le statut de l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord,des representants nationaux et du personnel international, ainsi que de ladeclaration des gouvernements belge, luxembourgeois et neerlandais, signeeà Ottawa le 20 septembre 1951 confere un « plein effet » auxdispositions de la Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951.
Lesdites dispositions de la Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951 ontdes lors un effet direct dans l'ordre juridique belge et, conformement auprincipe general du droit consacrant la primaute des regles de droitinternational en cas de conflit avec des regles de droit national, ellespriment sur les dispositions contraires du droit belge.
En vertu de ces dispositions precitees de la Convention d'Ottawa du 20septembre 1951, les avoirs de l'Organisation aupres des institutionsfinancieres sont exempts de perquisition, requisition, confiscation,expropriation ou de toute autre forme de contrainte.
Ces dispositions visent à garantir la continuite de l'OTAN et de sesorganes.
La declaration de tiers saisi visee aux articles 1452, 1453, 1454, 1455,1456, 1539, 1542 et 1543 du Code judiciaire a pour but de permettre aucreancier saisissant de connaitre tous les elements utiles à ladetermination de ses droits et specialement :
- les causes et le montant de la dette, la date de son exigibilite et,s'il echet, ses modalites ;
- l'affirmation du tiers saisi qu'il n'est pas ou n'est plus debiteur dusaisi ;
- le releve des saisies-arrets dejà notifiees au tiers saisi ;
- et constitue donc une mesure de perquisition, requisition, confiscationou toute autre mesure de contrainte dont les avoirs de l'OTAN sontexemptes en vertu de l'article 6 de la Convention d'Ottawa du 20 septembre1951.
Le fait que le tiers saisi fasse ladite declaration quant aux avoirsfinanciers dont l'OTAN dispose chez lui constituerait dans le chef dutiers saisi une infraction à l'article 6 de la Convention d'Ottawa du 20septembre 1951 qui exempte les avoirs de l'OTAN de mesures deperquisition, requisition, confiscation ou toute autre mesure decontrainte.
En vertu des dispositions de la Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951indiquees comme etant violees, qui ont un effet direct dans l'ordrejuridique belge et qui priment sur les dispositions de droit internecontraires, la demanderesse devait donc s'abstenir de faire unedeclaration de tiers saisi quant aux avoirs bancaires de l'OTAN.
En declarant neanmoins la demanderesse debiteur ordinaire à l'egard de ladefenderesse à concurrence d'un montant de 4.957,87 euros du chef dedefaut de declaration de tiers saisi, les juges d'appel ont viole lesarticles 4, 5, 6, 7 et 8 de la Convention d'Ottawa du 20 septembre 1951 etl'article unique de la loi du 1er fevrier 1955 portant approbation de laConvention sur le statut de l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord,des representants nationaux et du personnel international, ainsi que de ladeclaration des gouvernements belge, luxembourgeois et neerlandais, signeeà Ottawa le 20 septembre 1951.
Par ailleurs, en declarant la demanderesse debiteur ordinaire à l'egardde la defenderesse sur la base de l'article 1542 du Code judiciaire, lesjuges d'appel font primer les dispositions du droit national, à savoirles articles 1452, 1453, 1454, 1455, 1456, 1539, 1542 et 1543 du Codejudiciaire, concernant la declaration du tiers saisi, sur des regles dedroit international contraires, à savoir les dispositions de laConvention d'Ottawa du 20 septembre 1951.
Les juges d'appel ont ainsi meconnu le principe general du droitconsacrant la primaute des regles de droit international en cas de conflitavec les regles de droit national.
(...)
III.La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la seconde branche :
Quant à la recevabilite :
1. La defenderesse souleve qu'en cette branche, le moyen est irrecevabledes lors que la question de l'immunite de l'OTAN concerne le caracteresaisissable et des lors la legitimite ou non de la saisie et que le tierssaisi ne peut contester que la regularite et pas la legitimite de lasaisie.
2. L'examen de la fin de non-recevoir du moyen, en cette branche, estindissociable de l'examen de la branche elle-meme.
Quant au fondement :
3. Conformement aux articles 1452 et 1542 du Code judiciaire, dans lesquinze jours de la saisie-arret, le tiers saisi est tenu de faire ladeclaration des sommes ou effets, objets de la saisie. A defaut de fairesa declaration ou de la faire avec exactitude, il peut etre declaredebiteur en tout ou en partie des causes de la saisie ainsi que des fraisde celle-ci, en vertu des articles 1456 et 1543 de ce code.
Le tiers saisi ne peut refuser de faire cette declaration sur la base degriefs qui concernent la legitimite de la saisie.
4. Conformement à l'article 5 de la Convention d'Ottawa du 20 septembre1951 sur le statut de l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord, desrepresentants nationaux et du personnel international, approuvee par laloi du 1er fevrier 1955, les biens et avoirs de l'Organisation jouissentde l'immunite de juridiction sauf s'il y a ete renonce, etant entendu quela renonciation à l'immunite ne peut s'etendre à des mesures decontrainte et d'execution.
Conformement à l'article 6 de cette meme convention, les locaux del'Organisation sont inviolables et ses biens et avoirs sont exempts deperquisition, requisition, confiscation, expropriation ou de toute autreforme de contrainte.
Il s'ensuit que ces dispositions conventionnelles excluent toute formed'execution sur le patrimoine de l'Organisation du Traite de l'AtlantiqueNord.
5. Les dispositions du droit national ne peuvent deroger aux regles dedroit international et, en cas de conflit entre une regle de droitnational et une regle de droit international, le juge doit declarer que lapremiere regle ne s'applique pas.
6. Il ressort de la combinaison des dispositions conventionnellesprecitees et de la priorite des normes de droit international sur lesdispositions du droit national qu'un debiteur de l'OTAN doit refuser defaire une declaration en tant que tiers saisi au sens de l'article 1452 duCode judiciaire.
7. Il ressort de l'arret que :
- par exploit du 31 mai 2000 la defenderesse a pratique entre les mains dela demanderesse une saisie-arret executoire à charge de l'Organisation duTraite de l'Atlantique Nord ;
- le 14 juin 2000, la demanderesse a fait sa declaration de tiers saisi ;
- la demanderesse a dit dans cette declaration qu'elle ne peut donnersuite à l'obligation imposee par l'article 1542 du Code judiciaire, euegard à l'article 6 de la Convention du 20 septembre 1951 sur le statutde l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord.
8. Sur la base de ces constatations, l'arret declare la demanderesse tiersdebiteur des causes de la saisie pratiquee par la defenderesse.
9. En statuant ainsi, l'arret viole les articles 5 et 6 de la Conventiond'Ottawa du 20 septembre 1951, le principe general du droit consacrant laprimaute des regles de droit international sur la norme de droit interneet l'article 1456, alinea 1er, du Code judiciaire.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Ernest Wauters, les conseillersGhislain Londers, Eric Dirix, Eric Stassijns et Alain Smetryns et prononceen audience publique du deux mars deux mille sept par le president desection Ernest Wauters, en presence de l'avocat general Guy Dubrulle, avecl'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Daniel Plas ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
2 MARS 2007 C.05.0154.N/1