Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.05.0153.N
K. L.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. B. A.,
2. B. I.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 8 novembre2004 par le tribunal de premiere instance d'Anvers, statuant en degred'appel.
Le premier president Ghislain Londers a fait rapport.
L'avocat general Dirk Thijs a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- article 203, S: 1er, tel qu'il a ete remplace par l'article 32 de la loidu 31 mars 1987, M.B., 27 mai 1987, et modifie par l'article 2 de la loidu 13 avril 1995, M.B., 24 mai 1995.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque condamne la demanderesse à la restitution audefendeur de toutes les pensions alimentaires rec,ues pour leur filledepuis juillet 2001, sur la base de la decision qu'à partir de cettedate, le defendeur n'etait plus tenu au paiement de telles pensions.
Cette derniere decision est fondee sur les motifs suivants :
« Le (defendeur) demande la suppression de la pension alimentaire àpartir de mai 2001, au motif que depuis cette date sa fille est alleevivre seule.
Au moment ou les parties, le (defendeur) et la (demanderesse), se sontseparees, une pension alimentaire de 3.500 francs (ordonnance en refere du20 novembre 1985) a initialement ete prevue en faveur de leur filleunique, nee le 13 juin 1983, montant qui a ensuite ete porte à 5.000francs (jugement du juge de paix du 12 avril 1994), 123,95 euros, et qui,indexe en janvier 2002, s'elevait à 142, 66 euros.
Apres que le (defendeur) et la (demanderesse) eurent entame la presenteprocedure devant le premier juge par proces-verbal de comparutionvolontaire du 30 avril 2002, leur (fille) est intervenue par requete enintervention volontaire du 14 mai 2002 pour demander qui lui soit payee`dorenavant' directement la pension alimentaire et qu'elle soit portee à250 euros.
Il ressort des pieces produites que la (fille) s'est mariee en juillet2001 et que son mari ne l'a rejointe en Belgique qu'en avril 2002.
Le 21 septembre 2001, la (fille) a conclu un bail pour une habitation à10.500 francs.
L'allegation du (defendeur) que sa (fille) vivrait dejà seule depuis mai2001 n'est demontree par aucune piece.
En vertu de l'article 213 du Code civil, les epoux ont le devoir d'habiterensemble ; ils se doivent mutuellement fidelite, secours, assistance.
Cette obligation d'entretien prime les autres obligations d'entretien.
Le fait que l'epoux de la (fille) ne l'aurait rejointe en Belgique qu'enavril 2002 ne porte pas atteinte à cette obligation essentielle.
La decision de se marier durant ses etudes est un choix que la (fille) afait elle-meme, comme elle l'indique dans ses conclusions.
Il est inconcevable qu'en cas de mariage de leurs enfants, les parentscontinuent à avoir une obligation d'entretien envers ces enfants, deslors que ces obligations sont immediatement remplacees des le debut dumariage par l'obligation mutuelle des epoux .
En decider autrement impliquerait une negation de l'institution du mariageet des droits et devoirs qui en decoulent.
Le tribunal considere, des lors, que c'est à tort que le premier juge acondamne le (defendeur) à poursuivre le paiement d'une pensionalimentaire à sa fille.
Des lors, l'appel est fonde et il y a lieu de reformer le premier jugementcomme suit ».
Griefs
L'article 203, S: 1er, alinea 2, du Code civil dispose de maniere expresseque « si la formation n'est pas achevee, l'obligation (definie àl'alinea 1er, soit une obligation d'hebergement, d'entretien, desurveillance, d'education et de formation de leurs enfants) se poursuitapres la majorite de l'enfant ».
L'obligation decoulant de l'article 203, S: 1er, du Code civil ne prenddonc pas fin tant que la formation de l'enfant n'est pas achevee. Ledevoir des parents subsiste des lors jusqu'au moment ou la formation deleur enfant est achevee.
L'obligation d'entretien fondee sur l'article 203, S: 1er, du Code civilne prend pas automatiquement fin au debut du mariage pour etre remplaceepar l'obligation legale mutuelle des epoux decoulant de l'article 213 duCode civil sans que cette obligation d'entretien continue à peser sur lesparents, si l'epoux de l'enfant etudiant ne parait pas capable de remplirses obligations en vertu de l'article 213 du Code civil à defaut derevenus propres.
Le jugement critique considere toutefois qu'il n'est pas concevable« qu'en cas de mariage de leurs enfants, les parents continuent à avoirune obligation d'entretien envers leurs enfants, des lors que cetteobligation est immediatement remplacee des le debut du mariage parl'obligation mutuelle des epoux ».
En se referant aux circonstances de fait « entierement decrites par lepremier juge », le jugement attaque les fait siennes.
Le premier juge constate, dans son jugement du 2 septembre 2003, qu'il« ressort en effet des pieces produites que l'epoux de la (fille) a droità l'aide du CPAS et qu'il se trouve actuellement dans une situationeconomique et sociale qui ne lui permet pas de respecter son obligationd'aide envers son epouse ».
En decidant, sur la base du seul fait du mariage de sa fille etudiante etde la constatation du premier juge que son epoux n'est pas en mesured'assumer son devoir d'epoux de subvenir à son entretien, que ledefendeur n'est plus tenu de son obligation legale d'entretien tant queles etudes de la fille ne sont pas terminees, le jugement attaque violel'article 203, S: 1er, du Code civil.
Si le jugement attaque doit etre lu en ce sens qu'il n'aurait pas faitsiennes les constatations de fait du juge de paix, le jugement attaque nerepond pas au moyen, invoque par la demanderesse dans ses conclusionsd'appel, que l'epoux de sa fille « ne parait pas capable de respecter sonobligation d'entretien fondee sur l'article 213 du Code civil à defaut derevenus propres » de sorte « que les parents continuent à avoirl'obligation de participer à l'entretien de la fille - meme majeure etmariee - dans la mesure de leurs moyens respectifs ».
En ne repondant pas au moyen de la demanderesse suivant lequel, meme encas de mariage, l'obligation d'entretien se poursuit lorsque l'epoux n'apas de revenus, le jugement attaque viole aussi l'article 149 de laConstitution.
(...)
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
1. L'article 203, S: 1er, du Code civil dispose que les pere et mere sonttenus d'assumer, à proportion de leurs facultes, l'hebergement,l'entretien, la surveillance, l'education et la formation de leurs enfantset que si la formation n'est pas achevee, l'obligation se poursuit apresla majorite de l'enfant.
L'article 213 du Code civil dispose que les epoux se doivent, notamment,secours et assistance.
2. Si l'enfant est marie, l'obligation d'entretien particuliere entre lesepoux prime, en regle, l'obligation d'entretien parentale.
Ceci n'empeche toutefois pas que l'obligation d'entretien parentalesubsiste lorsque les moyens du conjoint de l'enfant sont insuffisants pourlui permettre de respecter son obligation d'entretien ou lorsqu'il estetabli qu'il manque à son devoir.
3. Les juges d'appel ont constate, notamment en se referant au jugementdont appel, que :
- la formation de la fille majeure de la demanderesse et du defendeurconnait une progression normale, mais n'est pas encore achevee ;
- exception faite d'une aide du CPAS, la fille ne beneficie pas de revenusnormaux et a, des lors, droit à une pension alimentaire ;
- la fille s'est mariee en juillet 2001 et est ensuite allee vivre seuleen septembre 2001, son epoux l'ayant rejointe en avril 2002 ;
- l'epoux avait droit en cette periode à une aide du CPAS et se trouvaitdans une situation sociale et economique qui ne lui permettait pas encorede remplir son obligation de secours envers son epouse ;
- depuis juillet 2003, l'epoux a un emploi et perc,oit un salaire horairede pres de 10 euros.
Sur cette base, les juges d'appel ont considere « qu'il est inconcevablequ'en cas de mariage de leurs enfants, les parents continuent à avoir uneobligation d'entretien envers ces enfants, des lors que ces obligationssont immediatement remplacees des le debut du mariage par l'obligationmutuelle des epoux » et qu'« en decider autrement impliquerait unenegation de l'institution du mariage et des droits et devoirs qui endecoulent ».
Les juges d'appel ont des lors decide qu'« à partir de juillet 2001, le(defendeur) n'est plus tenu de payer une pension alimentaire à safille » et ont condamne la demanderesse « à la restitution au(defendeur) de toutes les pensions alimentaires rec,ues pour leur (fille)depuis cette date ».
4. En decidant ainsi, les juges d'appel ont viole l'article 203, S: 1er,alinea 2, du Code civil.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Sur les autres griefs :
5. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour,
Casse le jugement attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancede Malines, siegeant en degre d'appel.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president Ghislain Londers, le president de sectionEdward Forrier, les conseillers Luc Huybrechts, Paul Maffei et AlbertFettweis, et prononce en audience publique du vingt avril deux mille septpar le premier president Ghislain Londers, en presence de l'avocat generalDirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Sylvianne Velu ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,
20 AVRIL 2007 C.05.0153.N/1