Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEGC.04.0281.N
1.W.D.,
2. AMOFRA, societe anonyme,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. DEVER, societe anonyme,
2. TRANSBOX, societe anonyme,
Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 23 fevrier 2004par la cour d'appel d'Anvers.
Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat general Dirk Thijs a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs presentent un moyen libelle comme suit.
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- article 1315 du Code civil ;
- articles 870, 1694, 1695 et 1704, 2, g, du Code judiciaire ;
- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense etle principe dispositif.
Decisions et motifs critiques
Les juges d'appel ont declare non fondee la demande des demandeurs tendantà l'annulation de la sentence arbitrale du 8 avril 1999 rendue entre lesparties par la Chambre d'arbitrage de la Chambre de commerce etd'industrie à Anvers, sur la base des motifs suivants :
« 2.Devant la cour d'appel, les debats sur le fond sont limites aubien-fonde de la demande d'annulation de la sentence arbitrale.
Les demandeurs soutiennent que le demandeur a commis une erreur lors durejet de cette demande d'annulation.
2.1.Les demandeurs invoquent que les principes du contradictoire de laprocedure judiciaire et de respect de leurs droits de la defense ont etevioles des lors qu'apres les plaidoiries une des parties a ete entendueunilateralement en l'absence et sans convocation reguliere de l'autrepartie et que meme une appreciation du contenu de la violation ne sauraitentrainer la declaration de validite à l'encontre de l'infractionmanifeste.
A ce propos, les demandeurs font valoir que :
- le 11 decembre 1998, la cause a ete plaidee par les conseils et lesarbitres ont decide de prendre l'affaire en delibere le 12 fevrier 1999afin de leur permettre, sans devoir ordonner la reouverture des debats, sicela s'averait necessaire apres l'examen des dossiers et conclusionsdeposes, d'encore inviter les parties afin de les entendre ;
- le 12 fevrier 1999, les defenderesses etaient presentes pour le deliberede la cause ; les demandeurs qui n'avaient pas ete invites etaientlogiquement absents ;
- au lieu de remettre l'affaire et d'inviter formellement les partiesconformement à l'accord entre le college arbitral et les parties et,conformement aussi au reglement d'arbitrage, le college arbitral decide defaire usage de l'occasion pour interroger Monsieur L. ; cela n'a pas etenie in tempore non suspecto ;
- le premier juge a tout à fait neglige, à tort, cette audition crucialeau cours de laquelle Monsieur L. a notamment ete interroge sur le dommagesubi.
Il appartient à la cour d'appel d'appliquer les regles en vigueur auxelements qui ont ete produits par les demandeurs.
La sentence de la Chambre d'arbitrage de la Chambre de commerce etd'industrie à Anvers du 8 avril 1999 se refere aux conclusions deposeeset l'instruction mentionne ce qui suit :
«(...) les plaidoiries ont ete fixees au 11 decembre 1998 dans les locauxde la Chambre d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie àAnvers ;
Les parties ont ete entendues à cette date par la voix de leurs avocatsMe P. Mattheessens pour Monsieur W. et la societe anonyme Amofra, Me L. DeDaele pour la societe anonyme Transbox et la societe anonyme Dever qui onttous deux depose leurs dossiers ;
(...)que les causes ont ete remises en prosecution au 12 fevrier 1999,date à laquelle les debats ont ete clotures et les causes mises endelibere'.
Le 11 decembre 1998, les deux parties etaient presentes à l'audience etla cause a ete remise en prosecution à l'audience du 12 fevrier 1999, demaniere contradictoire.
Les deux parties etaient des lors informees que la cause avait ete remiseen prosecution à l'audience du 12 fevrier 1999. Les defenderesses etaientrepresentees par leur conseil. Les demandeurs n'etaient ni presents nirepresentes.
Le premier juge motive que la remise en prosecution de cause fixeecontradictoirement n'avait pas pour objectif d'entendre d'autresplaidoiries ou de mettre les causes en etat.
Dans la correspondance produite par les demandeurs entre le conseil desdemandeurs et le president du college arbitral, il n'a pas ete confirme nidavantage nie qu'au cours de cette audience du 12 fevrier 1999 Monsieur L.a ete notamment interroge sur le dommage subi. Le president des arbitresecrit à ce propos au conseil des demandeurs par lettre du 3 mai 1999 :
`A cette date, hormis les arbitres, etaient presents Me De Daele et legerant de sa cliente.
Les arbitres ont attendu pendant pres d'une demi-heure soit votre arriveesoit celle de votre client, et lorsque vous n'etes pas venus, les arbitresont autorise la presence de Me De Daele et de son client et il a etedecide de mettre la cause en delibere.
Aucune nouvelle piece ni conclusions n'ont ete deposees, il n'y a pas eude plaidoirie, rien n'a ete acte'.
Les defenderesses n'ont invoque aucun moyen de defense contre la telecopienon datee adressee par le denomme P. T. au premier appelant, d'apres sespropres dires le bras droit de la societe anonyme Transbox, selon lequelMonsieur L. lui a confirme le 15 fevrier qu'il avait ete chez le juge etque ce dernier lui avait pose des questions à propos du dommage subiauxquelles Monsieur L. a pu repondre. Suivant la citation introductived'instance, cette telecopie date du 12 fevrier 1999. La cour d'appelaccepte sur la base des pieces produites par les demandeurs que le denommeL. a ete entendu par les arbitres à l'audience du 12 fevrier 1999.
Il n'existe pas de principe general du droit relatif au caracterecontradictoire des debats qui differe du principe general du droit relatifaux droits de la defense. L'audition de Monsieur L. en l'absence desdemandeurs ne viole pas les droits de la defense lorsque la sentence de lachambre arbitrale n'est pas fondee sur cette audition. Lors de cetteaudience du 12 fevrier 1999, rien n'a ete acte suivant la lettre preciteedu 3 mai 1999. La sentence ne se refere pas à la pretendue declaration deMonsieur L. et est fondee exclusivement sur les pieces produites et lesconclusions deposees. Des lors que les demandeurs n'ont pas demontre queles arbitres ont tenu compte de l'audition du denomme L., leurs droits dela defense n'ont pas ete violes par la constatation qu'ils n'ont pas puinvoquer de moyen de defense à l'encontre de cette audition.
2.2.Les demandeurs invoquent la meconnaissance de la convocation formelledes parties telle que prescrite par le reglement d'arbitrage.
2.2.1.Les demandeurs invoquent la violation formelle des articles XL3 etXL6 - sont ainsi vises les articles XIL3 et XIL4 - du reglement de laChambre d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie à Anvers.
En vertu de l'article XIL3 les parties sont convoquees devant les arbitrespar le president de la juridiction d'arbitrage, à la demande des parties,ou de l'une d'entre elles, ou d'office, à l'heure, au jour et au lieufixes par les arbitres. La convocation a lieu par lettre recommandee et aumoins huit jours avant l'audience.
Le premier juge considere qu'aucune infraction n'a ete commise à uneregle imperative de la procedure arbitrale. L'audience en prosecution decause fixee contradictoirement n'avait pas pour but qu'il y ait d'autresplaidoiries ou de mettre la cause en etat de sorte que suivant lereglement arbitral aucune convocation n'etait plus requise et le reglementarbitral n'exclut pas que les arbitres decident de remettre la cause enprosecution à une date ulterieure.
Pour l'audience du 11 decembre 1998, au cours de laquelle les debatscontradictoires ont ete menes, les prescriptions de l'article XIL3concernant la convocation ont ete respectees. Des lors que les deuxparties etaient presentes à cette audience du 11 decembre 1998, laprocedure a pu etre poursuivie sans convocation formelle par lettrerecommandee à l'audience du 12 fevrier 1999. En outre, le delai de huitjours a ete respecte.
Les demandeurs n'ont pas comparu à l'audience du 12 fevrier 1999. Il n'yavait pas de motif pour inviter les demandeurs à encore etre entendus,des lors qu'à l'audience du 12 fevrier 1999 aucun nouvel element n'a eteapporte aux debats, qu'il n'a pas ete tenu compte de l'audition deMonsieur L. et que les demandeurs avaient fait valoir leurs droits dansles documents dejà produits et au cours des audiences anterieures. Laremise de la cause en prosecution au 12 fevrier 1999 avait uniquement pourbut de mettre la cause en delibere à cette date des lors que rien n'avaitete ajoute aux debats entre les parties. En tout cas aucune infraction àune regle imperative de la procedure arbitrale n'a ete commise comme l'aadmis le premier juge.
2.2.2.Les demandeurs pouvaient soulever la nullite des qu'ils ont estimeque leurs droits etaient violes. Ils le savaient dejà aux environs du 12fevrier 1999. Les demandeurs avaient le droit de demander la reouverturedes debats au cours du delibere s'ils estimaient que leurs droits de ladefense avaient ete violes par cette audition. Ils n'invoquent aucun motifadmissible pour justifier qu'ils ont attendu jusqu'apres la sentencearbitrale pour utiliser cette audition afin de fonder la violationinvoquee. Apres la decision, la reouverture des debats n'a pu etreordonnee afin de regulariser la pretendue irregularite.
Comme il a dejà ete dit, les demandeurs ne demontrent en outre pas queleurs droits de la defense ont ete violes lors de l'instruction de lacause. La simple audition de Monsieur L. en leur absence à l'audience du12 fevrier 1999 ne viole pas ces droits, des lors que cette audition n'apas ete actee, que cette audition, voire son contenu, n'ont pas etementionnes dans la sentence et que la decision n'est pas fondee sur cetteaudition.
2.3.Il a ete admis avec le premier juge que l'article XII, 4DEG, n'est pasapplicable en l'espece. Les parties ont comparu à l'audience du 11decembre 1998 à laquelle elles ont ete regulierement convoquees. Lors decette audience, les parties ont fait valoir leurs droits. Des lors que lesdebats ont ete clotures à l'audience fixee contradictoirement le 12fevrier 1999 et que la cause a ete mise en delibere, il n'etait plusrequis de constater expressement que les defenderesses etaient absentessans motif valable. Cette constatation etait seulement necessaire tant queles arbitres ou les parties ont estime que les debats ne pouvaient etreclotures. Les arbitres etaient suffisamment informes et les demandeurs,qui etaient absents, ne souhaitaient rien ajouter de plus aux debats. Lesdefenderesses n'ont rien apporte de plus des lors qu'il n'a pas ete tenucompte de ladite audition et qu'elles n'ont pas davantage insiste sur lapoursuite de la procedure ».
Griefs
Premiere branche :
L'article 1704, 2, g, du Code judiciaire dispose qu'une sentence arbitralepeut etre annulee s'il n'a pas ete donne aux parties la possibilite defaire valoir leurs droits et moyens ou s'il y a eu meconnaissance de touteautre regle imperative de la procedure arbitrale, pour autant que cettemeconnaissance ait eu une influence sur la sentence arbitrale.
Ainsi cette disposition comporte deux motifs distincts d'annulation.
Une sentence arbitrale peut en premier lieu etre annulee lorsqu'il n'a pasete donne aux parties la possibilite de faire valoir leurs droits etmoyens.
En outre, une sentence arbitrale peut etre annulee s'il y a eumeconnaissance de toute autre regle imperative de la procedure arbitrale,pour autant que cette meconnaissance ait eu une influence sur la sentencearbitrale.
Il ressort du texte meme de la loi que la condition qu'il y ait eu uneinfluence sur la sentence arbitrale ne concerne que le second motifd'annulation contenu à l'article 1704, 2, g, du Code judiciaire.
Par contre la meconnaissance des droits de la defense donne lieu àl'annulation de la sentence arbitrale, sans qu'il doive etre demontre quecette meconnaissance des droits de la defense a eu une influence sur lasentence arbitrale.
En l'espece, les juges d'appel ont constate que Monsieur L. a ete entenduen l'absence des demandeurs. Les juges d'appel ont decide qu'ainsi lesdroits de la defense des demandeurs n'ont pas ete violes par le motif quela sentence arbitrale n'est pas fondee sur cette audition.
Les juges d'appel ont decide ainsi qu'une meconnaissance des droits de ladefense ne peut donner lieu à l'annulation de la sentence arbitrale quesi cette meconnaissance a eu une influence sur la sentence arbitrale etils ont ajoute à l'article 1704, 2, g, premiere partie, du Codejudiciaire une condition qu'il ne contient pas (violation de l'article1704, 2, g, du Code judiciaire).
(...)
III. La decision de la Cour
Quant à la premiere branche :
Sur la fin de non-recevoir :
1. Les defenderesses ont souleve que la decision est legalement justifieepar le motif distinct non critique que les demandeurs ont eu l'occasion decomparaitre à l'audience du 12 fevrier 1999.
2. La circonstance que les demandeurs ont eu l'occasion de comparaitre le12 fevrier 1999 ne constitue pas un motif distinct. La decision attaqueeest fondee aussi sur la circonstance que le 12 fevrier 1999 il n'y a euaucune activite pertinente et cette circonstance a ete associee par lejuge d'appel à la maniere dont la cause a ete fixee.
La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.
Quant à la branche meme :
3. En vertu de l'article 1704, 2, g, du Code judiciaire, une sentencearbitrale peut etre annulee s'il n'a pas ete donne aux parties lapossibilite de faire valoir leurs droits et moyens ou s'il y a eumeconnaissance de toute autre regle imperative de la procedure arbitrale,pour autant que cette meconnaissance ait une influence sur la sentencearbitrale.
4. La violation des droits de la defense entraine la nulliteindependamment de savoir si cette violation a eu une influence sur lasentence arbitrale.
5. Les juges d'appel ont admis qu'une violation des droits de la defensene peut donner lieu à l'annulation que pour autant qu'elle ait eu uneinfluence sur la decision et ils ont viole ainsi l'article 1704, 2, g, duCode judiciaire.
Le moyen, en cette branche, est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, le president de section EdwardForrier, les conseillers Luc Huybrechts, Eric Dirix et Paul Maffei, etprononce en audience publique du vingt-cinq mai deux mille sept par lepresident Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat general Dirk Thijs,avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Traduction etablie sous le controle du president Ivan Verougstraete ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le president,
25 MAI 2007 C.04.0281.N/1