Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG S.06.0084.N
OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
contre
COBELFRET LOGISTICS, societe anonyme,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les 20 janvieret 16 decembre 2005 par la cour du travail d'Anvers.
Le president de section Robert Boes a fait rapport.
L'avocat general Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen dans sa requete.
Dispositions legales violees
- articles 34, 54 et 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969 pris enexecution de la loi du 27 juin 1969 revisant l'arrete-loi du 28 decembre1944 concernant la securite sociale des travailleurs (dit arrete royal du28 novembre 1969), l'article 34, dans la version anterieure à samodification par l'arrete royal du 14 octobre 2005, l'article 54, dans laversion anterieure à sa modification par l'arrete royal du 22 juin 2006 ;
- articles 1382 et 1383 du Code civil ;
- principe general du droit suivant lequel l'erreur invincible constitueune cause de justification.
Decisions et motifs critiques
1. L'arret interlocutoire attaque rendu le 20 janvier 2005 decide que ledemandeur a erronement inflige la sanction de l'indemnite forfaitaireprevue à l'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969, par lesmotifs que :
« Les parties admettent egalement que (la defenderesse) releve de lacategorie des employeurs redevables de provisions vises à l'article 34 del'arrete royal du 28 novembre 1969.
L'article 34 precite enonce la regle generale suivant laquelle laprovision trimestrielle est egale à trente pour cent du montant descotisations dues pour l'avant-dernier trimestre echu.
(...)
Toutefois, l'employeur est autorise à reduire le montant de la provisionfixee en application de la regle generale precitee, lorsque ce montantexcede le montant de trente pour cent des cotisations probables dutrimestre en cours. Dans ce cas, l'employeur peut reduire la provisionjusqu'à trente pour cent du montant des cotisations probables dutrimestre en cours.
(...)
Selon (la defenderesse), le quatrieme trimestre de 2001 ne peut servir dereference pour le trimestre litigieux, soit le deuxieme trimestre de 2002,des lors que, plusieurs membres du personnel ayant ete licencies à la finde l'annee 2001, le pecule de vacances du en cas de licenciement a du etrepaye en sus des primes de fin d'annee.
(La cour du travail) considere que, dans ces circonstances, la decision de(la defenderesse) de ne pas prendre le quatrieme trimestre de 2001 encompte comme trimestre de reference est tres pertinente. On ne peutcomparer des pommes et des citrons.
Il y a lieu de deduire de la disposition de l'article 34 de l'arrete royaldu 28 novembre 1969 que l'employeur calcule le montant des provisionsmensuelles au debut du trimestre pour lequel les provisions sont dues.
Ainsi, en l'espece, il incombait à (la defenderesse) de calculer lesprovisions mensuelles pour le deuxieme trimestre de 2002 au debut du moisd'avril 2002.
Il (lui) appartenait d'evaluer à ce moment le montant des cotisationsprobables du deuxieme trimestre de 2002.
L'employeur doit proceder à cette evaluation « en bon pere defamille », en tenant compte de tous les elements disponibles à ce momentafin de prevoir plus exactement possible le montant finalement du.
Quels etaient, au debut du mois d'avril 2002, les elements qui importaientà (la defenderesse) pour l'evaluation des cotisations de securite socialeprobables du deuxieme trimestre de 2002 ?
Le premier element auquel (la defenderesse) pouvait avoir egard etaitl'accord apparemment marque par (le demandeur) à la derogation apporteeà la regle generale de l'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969pour le premier trimestre de 2002 en ce que les provisions pour cetrimestre n'avaient pas davantage ete calculees en fonction descotisations dues pour l'avant-dernier trimestre echu. (Le demandeur)n'avait en effet emis aucune objection à cette derogation.
(La defenderesse) pouvait raisonnablement croire qu'elle pouvait se fondersur les memes principes pour l'evaluation des cotisations probables dudeuxieme trimestre de 2002.
Pour le surplus, (la defenderesse) pouvait et devait tenir compte de tousles parametres propres à l'effectif du personnel occupe au debut du moisd'avril 2002. Aucun element n'indique que (la defenderesse) ne l'auraitpas fait.
En ce qui concerne plus specialement l'effectif du personnel, (ladefenderesse) ne pouvait raisonnablement prevoir que les membres dupersonnel menaces d'un licenciement collectif à ce moment auraientdefinitivement quitte l'entreprise avant la fin du trimestre, donnant lieuau paiement des indemnites de licenciement.
Au debut du mois d'avril 2002, la probabilite du licenciement collectifetait encore bien trop incertaine.
Ainsi, il y a lieu de conclure qu'au debut du mois d'avril 2002, (ladefenderesse) a evalue les cotisations probables du deuxieme trimestre enbon pere de famille. Elle est restee dans les limites des dispositions del'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969. Cet article n'a pasete viole.
La correction de (la defenderesse) ressort egalement du fait que, parmesure de prudence, elle a porte le montant des provisions mensuelles de40.000 euros à 50.000 euros alors que, strictement parlant, cette mesuren'etait pas necessaire.
En ce qui concerne le deuxieme trimestre de 2002, (la defenderesse) arempli les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 34 del'arrete royal du 28 novembre 1969.
Par l'article 34 precite, le legislateur accorde à l'employeur lapossibilite de deroger à la regle generale. Il confie l'appreciation decette opportunite à l'employeur. En d'autres termes, il appartient àl'employeur de decider s'il deroge à la regle generale. Le legislateur aclairement utilise les termes « est autorise ». L'employeur qui appliquela derogation a interet à evaluer les cotisations probables du trimestreen cours le plus exactement possible. En effet, le legislateur a prevu àl'article 54 de l'arrete royal du 28 novembre 1969 la sanction de lamajoration des cotisations en cas d'insuffisance des provisions ainsievaluees par l'employeur. Tel est le risque couru par l'employeur quideroge à la regle generale en application de l'article 34 de l'arreteroyal du 28 novembre 1969.
Il est manifeste qu'en l'espece, les provisions mensuelles evaluees par(la defenderesse) pour le deuxieme trimestre de 2002 sont insuffisantes.Elles sont en effet inferieures à trente pour cent des cotisationsfinalement dues pour ce trimestre.
La cause en est que les implications financieres du licenciement collectifde treize travailleurs et, notamment, du paiement immediat des indemnitesde conge, n'ont ete connues qu'aux tout derniers jours du deuxiemetrimestre de 2002.
Ce 'deus ex machina' a influe sur tous les calculs de provisions auxquelsl'employeur, (en l'espece, la defenderesse) s'est risque. Tel est lerevers de la medaille lorsqu'il deroge au regime des provisions regle àl'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969.
Le texte de la loi ('en cas d'insuffisance des provisions ainsi payees')ne permet pas qu'il soit obvie à 'l'insuffisance' par la voie de sescauses, en l'espece, le 'deus ex machina' precite. Le texte de la loi estformel : des qu'il apparait que les provisions sont insuffisantes, pourquelque cause que se soit, la sanction prevue par le legislateur estapplicable et donne en principe lieu à l'imputation de la majoration descotisations prevue à l'article 54 de l'arrete royal du 28 novembre 1969.
Toutefois, le probleme en l'espece est que (le demandeur) ne reclame pasla majoration des cotisations et qu'en consequence, celle-ci ne fait pasl'objet de la contestation.
En effet, (le demandeur) a inflige une sanction autre que la sanctionprevue à l'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969 et a imputel'indemnite forfaitaire prevue à l'article 54bis du meme arrete royal.
Est-ce à bon droit que (le demandeur) a impute l'indemnite forfaitaireprevue à l'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969 ?
Les parties admettent egalement que (la cour du travail) est competentepour statuer sur cette nouvelle question.
La reponse est negative.
En effet, la sanction prevue à l'article 54bis de l'arrete royal du28 novembre 1969 n'est applicable que lorsque l'employeur ne respecte pasles obligations prevues à l'article 34 du meme arrete royal.
Or, il ressort de ce qui precede que (la defenderesse), l'employeur, arespecte ses obligations.
Elle a evalue les cotisations probables du deuxieme trimestre de 2002 enbon pere de famille, en tenant compte de tous les elements disponibles aumoment precis ou elle y etait tenue par la loi.
L'insuffisance considerable, nonobstant une evaluation correcte, descotisations finalement dues par rapport aux provisions evaluees estimputable non à un manquement de (la defenderesse) à ses obligationsmais à un fait imprevisible qu'(elle) ne pouvait connaitre au moment ouelle remplissait les obligations qui lui incombaient en vertu del'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969 et qu'en consequence,elle ne pouvait prendre en consideration.
La condition d'application de l'article 54bis de l'arrete royal du28 novembre 1969 n'etant pas remplie, la sanction prevue à cet articlen'est pas davantage applicable à (la defenderesse).
(La cour du travail) se rallie à cet egard à l'avis du ministere public.
(Le demandeur) soutient à cet egard que la sanction prevue àl'article 34, alinea 2, in fine, de l'arrete royal du 28 novembre 1969n'exclut pas l'application de l'article 54bis du meme arrete royal.
Ce n'est pas exact. L'article 54bis precite n'est applicable que sil'employeur remplit les conditions prevues à cet article, c'est-à-direqu'il manque à ses obligations. Ce n'est pas le cas en l'espece.
(...)
L'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969 n'est pas applicableen l'espece de sorte que (la defenderesse) ne peut etre obligee de payerl'indemnite forfaitaire prevue à cet article.
(...)
C'est à bon droit que (la defenderesse) releve qu'à l'epoque, elle a« indument » paye ce montant au (demandeur) de sorte qu'elle a droit auremboursement de cette somme.
(...)
C'est à bon droit que le ministere public a releve dans son avis qu'à lasuite de la decision du 21 octobre 2002 du (demandeur) [piece 8 de (ladefenderesse)], la moitie de cette somme a ete imputee au benefice de (ladefenderesse).
Ainsi, (la defenderesse) a encore droit au remboursement de la somme de :4.957, 87 euros moins 2.478, 93 euros = 2.478, 94 euros » (...).
En consequence, l'arret interlocutoire attaque rendu le 20 janvier 2005 acondamne le demandeur à rembourser à la defenderesse le montanteffectivement retenu de l'indemnite forfaitaire, savoir 2.478, 94 euros,majore des interets de retard à partir du 3 decembre 2002 et des interetsjudiciaires.
2. Considerant que le demandeur a commis une faute en appliquanterronement l'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969, l'arretinterlocutoire attaque rendu le 20 janvier 2005 ordonne la reouverture desdebats en vue de permettre aux parties d'etablir contradictoirement sicette faute du demandeur avait eu des consequences dommageables dans lechef de la defenderesse :
« (La defenderesse) impute notamment au (demandeur) la faute d'avoirecarte et refuse de repondre à ses moyens de defense circonstanciesexposes dans la lettre du 3 decembre 2002 de son conseil.
Apres avoir examine ces moyens de defense, (la cour du travail) constateque la contestation de la decision du (demandeur) d'infliger la sanctionde l'indemnite forfaitaire prevue à l'article 54bis de l'arrete royal du28 novembre 1969 est pertinente, correcte et exhaustive.
Ceci signifie qu'en tant qu'institution publique, (le demandeur) disposaitde toute la documentation et des tous les arguments justifiant uneretractation de sa decision en raison de l'application erronee del'article 54bis precite.
(Le demandeur) n'apporte pas la preuve de ce qu'il a serieusement examineles moyens de defense de (la defenderesse). Il (lui) incombait de le faireet de prendre position quant à ces moyens de defense qui, il y a lieu dele repeter, sont tres pertinents et circonstancies. (Sa) reponse du9 decembre 2002 ne satisfait pas à cette demande.
Par cette omission, (le demandeur) a commis une faute. En tantqu'institution publique, (le demandeur) est notamment tenu au devoir demotivation et de precaution.
(La cour du travail) constate que c'est egalement l'opinion du ministerepublic.
Toutefois, (le demandeur) et le ministere public relevent que (ladefenderesse) ne prouve pas le dommage qui resulte de cette faute.
En outre, (le demandeur) reproche à (la defenderesse) d'avoir developpece chef de la demande au fond dans les conclusions en replique deposees augreffe le 4 novembre 2004, violant ainsi ses droits de defense.
(La cour du travail) considere qu'effectivement, les arguments invoquespar (la defenderesse) à l'appui de sa demande en dommages-interets n'ontpas fait l'objet de debats contradictoires.
(La cour du travail) ordonne la reouverture des debats en vue de cesdebats contradictoires » (...).
3. Par l'arret definitif attaque rendu le 16 decembre 2005, la cour dutravail confirme que le demandeur a commis une faute en infligeant lasanction prevue à l'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969 :
« Ainsi, c'est à bon droit que le ministere public releve dans son avisque, outre le fait de n'avoir pas repondu aux moyens de defense de (ladefenderesse), (le demandeur) a aussi erronement inflige la sanction à lasuite d'une application incorrecte de la loi : en effet, les conditionsd'application de l'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969 nesont pas remplies.
La faute du (demandeur) à cet egard est d'autant plus manifeste qu'il apersiste dans l'application erronee de l'article 54bis precite alors queson erreur avait ete demontree, illustrations et documents à l'appui,dans les moyens de defense du 3 decembre 2002 et qu'en consequence, iletait parfaitement eclaire quant à son erreur dans l'application de laloi.
Aucune personne sensee ne persiste dans une erreur ou dans un comportementfautif lorsqu'une argumentation exhaustive et pertinente lui revele sonerreur d'opinion ou de comportement.
Cette persistance dans l'erreur contribue à aggraver la faute du(demandeur).
Cette persistance a egalement contraint (la defenderesse) à entamer lesprocedures en l'espece » (...).
4. Finalement, l'arret definitif attaque decide que le lien de causaliteentre la faute du demandeur et le dommage de la defenderesse estetabli (...), condamne le demandeur à payer à la defenderesse desdommages-interets s'elevant à la somme provisionnelle de 2.500 euros,majoree des interets judiciaires, et accorde les reserves demandees.
Griefs
Premiere branche
1. Aux termes de l'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969,l'employeur qui, au cours d'un trimestre determine, a declare descotisations dont le montant depasse 6.197, 34 euros (250.000 francs), esttenu de verser, pour le trimestre suivant, au plus tard le cinq du moisqui suit chacun des mois de ce dernier trimestre, une provision egale àtrente pour cent du montant des cotisations dues pour l'avant-derniertrimestre echu.
Cette meme disposition prevoit que, lorsque le montant de ces trente pourcent excede le montant de trente pour cent des cotisations probables dutrimestre en cours, l'employeur est autorise à reduire la provision à cedernier montant, sans prejudice de l'application de la majoration visee àl'article 54 de l'arrete royal en cas d'insuffisance des provisions ainsipayees.
En vertu de l'article 54bis du meme arrete royal, l'employeur qui, pour untrimestre, est redevable de provisions au sens des articles34, alineas 2et 4, et 34bis de l'arrete royal et qui ne respecte pas ses obligations enla matiere, est redevable au demandeur d'une indemnite forfaitaire qui estfonction de la « tranche » de cotisations declarees au trimestreconcerne.
Ainsi, par exemple, lorsque le montant des cotisations declarees se situeentre 495.787, 07 euros et 743.680, 59 euros, le montant de l'indemniteforfaitaire est de 4.957, 87 euros.
L'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969 a ete modifie parl'arrete royal du 14 octobre 2005 en ce sens qu'à partir du 1er octobre2005, la seule sanction applicable en cas d'insuffisance des provisionsest l'indemnite forfaitaire.
Ainsi, avant le 1er octobre 2005, le demandeur pouvait infliger àl'employeur qui a paye des provisions insuffisantes, comme c'est le cas enl'espece, tant la sanction de la majoration des cotisations prevue àl'article 54 de l'arrete royal que la sanction de l'indemnite forfaitaireprevue à l'article 54bis du meme arrete royal.
En l'espece, seule la sanction de l'article 54bis precite et lesconditions d'application de cette disposition sont en contestation.
2. L'obligation de payer des provisions suffisantes prevue à l'article 34de l'arrete royal du 28 novembre 1969 est une obligation de resultat dansle chef de l'employeur qui donne lieu à l'application de la sanction del'indemnite forfaitaire prevue à l'article 54bis du meme arrete royal parle simple fait de l'insuffisance des provisions.
Ainsi, l'employeur qui ne respecte pas ses obligations au sens del'article 54bis de l'arrete royal du 28 novembre 1969, est l'employeur quine remplit pas l'obligation de resultat precitee.
La sanction de l'indemnite forfaitaire prevue à l'article 54bis preciteest applicable de plein droit des que l'insuffisance des provisions estetablie.
En d'autres termes, l'insuffisance des provisions, en soi, implique quel'employeur n'a pas respecte les obligations qui lui incombent en vertu del'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969.
Ainsi, pour l'application de la sanction prevue à l'article 54bis del'arrete royal precite, il n'est pas requis que l'insuffisance desprovisions resulte d'un manquement fautif ou d'une negligence del'employeur.
3. L'employeur qui, en application de la disposition derogatoire del'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969, paie au demandeur desprovisions mensuelles qui se revelent insuffisantes par le motif qu'ellessont inferieures à trente pour cent des cotisations des cotisationsfinalement dues pour le trimestre en cours, ne remplit pas son obligationde resultat.
Ainsi, la sanction prevue à l'article 54bis de l'arrete royal du28 novembre 1969 est egalement appliquee à cet employeur par le motifqu'il a paye des provisions mensuelles dont le montant est inferieur àtrente pour cent des cotisations dues pour le trimestre en cours.
L'application de la sanction forfaitaire à cet employeur n'est pasdavantage subordonnee à la preuve d'une erreur flagrante de cet employeurdans l'evaluation des cotisations probables sur la base desquelles lesprovisions insuffisantes ont ete payees.
4. L'arret interlocutoire attaque a toutefois decide que la sanction del'indemnite forfaitaire a ete infligee erronement à la defenderesse parle motif qu'au debut du deuxieme trimestre de 2002, celle-ci avait evalueles cotisations probables de ce deuxieme trimestre en bon pere de famille,en tenant compte de tous les elements disponibles au moment precis ou elley etait tenue par la loi (...).
Suivant l'arret interlocutoire, l'insuffisance considerable, nonobstantune evaluation correcte, des cotisations finalement dues pour le deuxiemetrimestre de 2002 par rapport aux provisions evaluees est imputable non àun manquement de la defenderesse à ses obligations mais à un faitimprevisible qu'elle ne pouvait connaitre au moment ou elle remplissaitles obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 34 de l'arreteroyal du 28 novembre 1969 et qu'en consequence, elle ne pouvait prendre enconsideration (...).
Ainsi, l'arret attaque a fonde la decision qu'en ce qui concerne ledeuxieme trimestre de 2002, la defenderesse a rempli les obligations quilui incombent en vertu de l'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre1969 sur une appreciation des actes de la defenderesse faite à la lumieredu critere de la precaution d'un « bon pere de famille » alors que lasanction de l'indemnite forfaitaire prevue à l'article 54bis du memearrete royal est applicable des que les provisions sont insuffisantes,pour quelque cause que se soit.
5. Dans l'hypothese ou il considererait que le fait imprevisible que ladefenderesse ne pouvait connaitre au moment ou elle remplissait lesobligations qui lui incombaient en vertu de l'article 34 de l'arrete royaldu 28 novembre 1969 et qu'en consequence, elle ne pouvait prendre enconsideration, à savoir les implications financieres aux tout derniersjours du deuxieme trimestre de 2002 du licenciement collectif de treizetravailleurs et, notamment, du paiement immediat des indemnites de conge,constitue un cas de force majeure ou une erreur invincible dans le chef dela defenderesse, l'arret attaque viole le principe general du droitsuivant lequel l'erreur invincible constitue une cause de justification.
Le juge peut considerer que, dans certaines circonstances, le cas de forcemajeure ou l'erreur sont invincibles, à la condition qu'il puisse sededuire de ces circonstances que la personne qui invoque la force majeureou l'erreur a agi comme l'aurait fait toute personne raisonnable etprudente placee dans la meme situation.
Les restructurations au sein de l'entreprise de la defenderesse et lelicenciement collectif en resultant ne sauraient constituer dans son chefune erreur invincible justifiant le paiement de provisions insuffisanteset ce, à plus forte raison que la defenderesse a participe auxnegociations à la suite desquelles la decision a ete prise de procederaux licenciements immediats et au paiement immediat du solde desindemnites de conge à la fin du deuxieme trimestre de 2002 au lieu delaisser les travailleurs prester leur preavis (voir l'arretinterlocutoire, (...), ou la cour du travail considere qu'au debut du moisd'avril 2002, certains membres du personnel etaient « menaces » d'unlicenciement collectif).
6. Il s'ensuit que, des lors qu'il est etabli que les provisions payeesetaient insuffisantes, l'arret interlocutoire attaque ne decide paslegalement que les conditions d'application de l'article 54bis de l'arreteroyal du 28 novembre 1969 n'etaient pas remplies et que la sanction prevueà cet article ne pouvait etre appliquee par le motif qu'à defaut depreuve par le demandeur d'une erreur d'evaluation flagrante dans le chefde la defenderesse et qu'eu egard au fait imprevisible que la defenderessene pouvait connaitre, il y a lieu d'admettre que la defenderesse a rempliles obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 34 de l'arreteroyal du 28 novembre 1969 (violation des articles 34, 54, 54bis del'arrete royal du 28 novembre 1969 pris en execution de la loi du 27 juin1969 revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securitesociale des travailleurs, 1382 et 1383 du Code civil, ainsi que duprincipe general du droit suivant lequel l'erreur invincible constitue unecause de justification).
(...)
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la premiere branche :
1. En vertu de l'article 28, S: 1bis, de la loi du 27 juin 1969revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securitesociale des travailleurs, insere par l'article 64, 1DEG, de la loidu 25 janvier 1999, l'employeur qui ne verse pas les cotisationsdans les delais fixes par le Roi est redevable envers l'Officenational de securite sociale d'une majoration des cotisations dontle montant et les conditions d'application sont fixes par arreteroyal.
2. En vertu de l'article 34, alinea 2, de l'arrete royal du28 novembre 1969 pris en execution de la loi du 27 juin 1969revisant l'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securitesociale des travailleurs, dans la version applicable en l'espece,l'employeur qui, au cours d'un trimestre determine, a declare descotisations dont le montant depasse 250.000 francs est tenu deverser, pour le trimestre suivant, au plus tard le cinq du mois quisuit chacun des mois de ce dernier trimestre, une provision egaleà trente pour cent du montant des cotisations dues pourl'avant-dernier trimestre echu. Lorsque le montant de ces trentepour cent excede le montant de trente pour cent des cotisationsprobables du trimestre en cours, l'employeur est autorise àreduire la provision à ce dernier montant.
3. L'article 54bis du meme arrete royal du 28 novembre 1969, dans laversion applicable en l'espece, dispose que l'employeur qui pour untrimestre est redevable de provisions au sens des articles 34,alineas 2 et 4, et 34bis de l'arrete royal et qui ne respecte passes obligations en la matiere est redevable à l'Office national desecurite sociale d'une indemnite forfaitaire qui est fonction de la« tranche » de cotisations declarees au trimestre concerne.
4. L'employeur qui, appliquant la reduction des provisions à unmontant inferieur au montant de trente pour cent des cotisationsdues pour l'avant-dernier trimestre echu autorisee parl'article 34, alinea 2, de l'arrete royal du 28 novembre 1969, paieune provision egale à trente pour cent des cotisations probablesdu trimestre en cours, qui, ulterieurement, se revele etreinferieure au montant de trente pour cent des cotisationsreellement dues pour le trimestre en cours et, en consequence, serevele etre insuffisante, ne respecte pas les obligations qui luiincombent en vertu de l'article 54bis du meme arrete royal.
5. Par l'arret attaque rendu le 20 janvier 2005, les juges d'appelconstatent que :
- les provisions mensuelles pour le deuxieme trimestre de 2002 evalueespar la defenderesse etaient insuffisantes, des lors qu'elles etaientinferieures à trente pour cent des cotisations finalement dues pour cetrimestre, de sorte que la majoration des cotisations prevue àl'article 54 de l'arrete royal du 28 novembre 1969 est applicable ;
- le demandeur a impute non pas la majoration des cotisations prevue àl'article 54 de l'arrete royal precite mais l'indemnite forfaitaire prevueà l'article 54bis de ce meme arrete royal.
Ils considerent que :
- eu egard aux circonstances, la decision de la defenderesse de ne pasprendre le quatrieme trimestre de 2001 en compte comme trimestre dereference pour le deuxieme trimestre de 2002, est tres raisonnable ;
- au debut du trimestre, c'est-à-dire au debut du mois d'avril 2002, ladefenderesse a evalue les cotisations probables de ce deuxieme trimestreen « bon pere de famille », en tenant compte de tous les elementsdisponibles à ce moment afin de prevoir plus exactement possible lemontant finalement du, de sorte qu'en ce qui concerne le deuxiemetrimestre de 2002, elle a rempli les obligations qui lui incombent envertu de l'article 34 de l'arrete royal du 28 novembre 1969.
6. Par ces motifs, les juges d'appel ne decident pas legalement que ladefenderesse ne remplissait pas les conditions de l'article 54bisde l'arrete royal du 28 novembre 1969, de sorte que le demandeur aimpute erronement l'indemnite forfaitaire prevue à cettedisposition.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.
7. L'annulation partielle de l'arret du 20 janvier 2005 entrainel'annulation de l'arret du 16 decembre 2005 qui en decoule.
Sur les autres griefs :
8. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plusetendue.
Par ces motifs,
La Cour,
Casse l'arret attaque du 20 janvier 2005, sauf en tant qu'il declarel'appel recevable ;
Annule l'arret attaque du 16 decembre 2005 ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour du travail de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Robert Boes, president, le president desection Ernest Wauters, les conseillers Beatrijs Deconinck, Alain Smetrynset Koen Mestdagh, et prononce en audience publique du dix-sept septembredeux mille sept par le president de section Robert Boes, en presence del'avocat general Ria Mortier, avec l'assistance du greffier adjoint JohanPafenols.
Traduction etablie sous le controle du conseiller Philippe Gosseries ettranscrite avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
Le greffier, Le conseiller,
17 SEPTEMBRE 2007 S.06.0084.N/1